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W. Deonna L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (second et dernier article) In: Revue de l'histoire des religions, tome 140 n°1, 1951. pp. 5-58. Citer ce document / Cite this document : Deonna W. L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (second et dernier article). In: Revue de l'histoire des religions, tome 140 n°1, 1951. pp. 5-58. doi : 10.3406/rhr.1951.5816 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1951_num_140_1_5816

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W. Deonna

L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier etdes grenouilles (second et dernier article)In: Revue de l'histoire des religions, tome 140 n°1, 1951. pp. 5-58.

Citer ce document / Cite this document :

Deonna W. L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (second et dernier article). In: Revuede l'histoire des religions, tome 140 n°1, 1951. pp. 5-58.

doi : 10.3406/rhr.1951.5816

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L'ex-voto de Cypsélos à Delphes

le symbolisme du palmier

et des grenouilles

(Suite)1

9. Le symbolisme du palmier. L'arbre de la destinée des cités, des individus, des dynasties

Partout l'homme, sa vie individuelle et sociale, est comparé à une plante, un arbre, qui naissent, grandissent et meurent comme lui2. La mentalité primitive va plus loin, en associant étroitement par des liens mystiques la vie de l'un à celle des

1) Cf. RHR, CXXXIX, 2, p. 163-208. 2) Ex. en Grèce : Homère, //., VI, 145, cité par Plutarque, Consolations

à Apollonius {Œuvres morales, trad. Bétolaud, I, 1870, 253) : « II existe vraiment beaucoup de ressemblance entre le sort de l'homme et les feuilles. Tu vois que des unes le vent jonche en hiver les bois, tandis que du printemps la sève réveillée des arbres, qu'il ravive, épaissit la feuillée. Hommes, feuilles, ainsi nous passons tour à tour » ; Id., Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles en vers (ibid., II, 342) : « Platon a dit de l'homme que c'est une plante céleste, parce que sa tête se lève droite, comme sortant d'une racine » ; Id., De l'exil (chap. 5 (ibid., Ill, 129), même citation de Platon; Id., Des opinions adoptées par les philosophes, V, n° XXIV (ibid., IV, 96) : Heraclite et les Stoïciens disent que l'homme commence à atteindre son plein développement vers 14 ans, à la puberté. « En effet, les arbres commencent à réaliser le leur lorsqu'ils donnent leurs premières semences » ; Id., Sur ceux que la divinité punit tardivement, chap. 7 (ibid., Ill, 15) : « De même qu'un cultivateur n'arrache une plante épineuse qu'après en avoir détaché le fruit, de même que les Libyens ne brûlent pas le branchage du ladanum avant d'avoir retiré la gomme de cet arbuste, de même, lorsqu'une race illustre et royale doit naître d'une tige mauvaise et criminelle, Dieu ne détruit pas cette dernière avant qu'elle n'ait donné le fruit qu'elle devait produire » ; Id., Si les vieillards doivent prendre part au gouvernement, chap. 25 (ibid., Ill, 622) : l'homme vieilli et misonéiste, comparé à une vieille souche qui arrête la végétation et le développement des arbres autour d'elle. Comparaison universelle, à laquelle on revient toujours. Pour Swift, « l'homme est un balai », il est fait d'un arbre, mais « qui se présente maintenant d'une façon inverse, ses

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6 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

autres1, que ceux-ci soient des végétaux naturels ou artificiels, réels ou mythiques. Tel arbre devient ainsi le symbole de l'individu, de sa lignée, de son groupe social, celui de sa cité2 : «puxov fxucmxov, cni|i.6oXov tou (3íou xcà . tou SavdcTou3.

Par sa haute et droite stature, qui l'élève au-dessus des autres arbres, par le rôle qu'il joue dans la vie sociale, par les notions qu'on y rattache, le palmier se prête plus que tout autre à cette comparaison avec l'être humain. La beauté et la noblesse de Nausicaa évoquent à Ulysse le palmier qu'il vit à Délos. Les justes, dit le Psaume, floriront comme le palmier4 ; il est l'arbre de la sagesse5. Il est aussi l'arbre des grands, des puissants. Dans le livre sacré des Iraniens, le Bundehesh, Ormuzd place le palmier-dattier à la tête de tous les arbres ; des textes cunéiformes le comparent au roi ; de nos jours les Arabes le désignent fréquemment comme le « roi des oasis », et Littré lui a appliqué l'épithète si souvent répétée de princeps arborum6. Roi des arbres, il est aussi l'arbre des rois, pareil ainsi à l'arbre sacré d'Éridu, « nourriture des dieux, ornement des rois »7. L'une de ses variétés était dite « royale », то (3a<uXtxov xaXoú[xsvov yévoç, uniquement réservée aux rois de Perse8.

branches sur la terre et la tige en l'air... La nature l'a créé vigoureux et robuste... avec des cheveux sur la tête, comme les branches véritables de cette plante raisonnable »... il est « l'image d'un arbre qui se tient sur la tête », etc. Cf. M. Epuy, Anthologie des humoristes anglais et américains, 1910, 24. Méditation sur un balai.

1) Les ex. sont nombreux et universels, depuis le conte égyptien des deux frères où la vie de Bitiou est attachée à celle de l'acacia, Maspéro, Contes populaires de VÉgyple ancienne, 1882, 5 ; Cosquin, Rev. quest, hist., 1877 ; Id., Contes populaires de Lorraine, 1877, I, LXVII sq. ; Hartland, The Legend of Perseus, II, 33 ; Sébillot, Le Folklore de France, III, 432 sq. ; Frazer, Le rameau ďor, trad. Stiebel-Toutain, III, 536 sq. ; Hoffmann-Krayer, Handwô'rterbuch d. deutsch. Aberglaubens, s. v. Baum, 955, 2, B. als Seelensitze ; 956, 4, Wesen- gleichheit von Mensch und Baum.

2) L'arbre en relation avec la vie sociale, Frazer, III, 1 sq. ; Bôtticher, Baumkultus d. Hellenen, 165 sq., 170, « Schicksalsbaum ».

3) Cf. Kerenyi, Hermes, 66, 1931, 429, réf. 4) Psaume, 92, 13 ; cf. ci-dessus g. 5) Sur ces différents passages, Westphal, Encyclopédie de la Bible, II, s. v.

Palmier. 6) Danthine, Le palmier-dattier, 8, réf. 7) Ibid., 149-150, 160, réf. 8) Thêophr., H. Plant, 2, 6, 7 ; Pline, HN, XIII, chap. IX : « Les plus

célèbres sont ceux qu'on nommait royaux, parce qu'ils étaient uniquement réser-

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L EX-VOTO DE CYPSELOS A DELPHES 7

a) Palmier et cité. — La vie d'une cité dépend de celle d'un arbre sacré1. Mégare de son olivier2, la destinée de Rome du ficus ruminalis3. Le palmier évoque la majesté des enfants d'Aaron ; il est l'emblème national de la Judée ; il la représente victorieuse sur les premières monnaies macchabéennes, vaincue sur les monnaies de Vespasien. Les Juifs en placent l'image sculptée dans leurs synagogues4 ; à ce titre, la palme reparaît, comme la vigne, sur les monnaies du nouvel État d'Israël5.

En regardant le palmier de Cypsélos à Delphes, Plutarque remarque que ce n'est pas une plante de marais, et que les grenouilles n'ont rien de commun avec les Corinthiens, qu'on ne saurait reconnaître là un symbole ou un emblème de leur cité, cocrre crófx6oXov xoù TOxpácnqjxov sívat ttjç 7ioXécoç, comme le sont d'autres végétaux, par exemple le sélinon des Sélinontins. Ce palmier est, avant tout, nous le dirons plus loin, le symbole de Cypsélos lui-même,, mais il peut être aussi celui de Corinthe dont Cypsélos est devenu le chef. Le palmier de l'Eurymédon rappelle la victoire des Athéniens, il est aussi l'image de la cité, et il en annoncera la destinée par les ravages que les corbeaux y apporteront. N'en serait-il pas de même du palmier de l'Érechthéion ? Il abrite la lampe dont la lumière éternelle représente la vie de la cité et doit en assurer la perpétuité, si bien que son extinction présage le déclin d'Athènes. Palmier et feu sont associés6. On allume des lampes dans le culte des arbres7. Le feu perpétuel assure la

vés aux rois de Perse ; il n'y en avait qu'à Babylone, dans le seul jardin de Bagoas... Ce jardin s'est toujours trouvé dans l'enceinte du palais du souverain. » Cf. Bôt- ticher, 422 ; PW, s. v. Phoinix, 392, 399 ; Hubaux et Leroy, Le mythe du phénix, 103. Les fidèles juifs offraient des palmes d'or à leurs rois, 1 Macch., 13, 27; 2 Macch., 14, 4 ; cf. Westphal, Encyclopédie de la Bible, II, s. v. Palmier.

1) Bôtticher, 165 sq. 2) Ibid., 167, réf. 3) PW, s. v. Feige, 2145, 2146-8 ; Bôtticher, 166 ; cf. plus loin с 4) Sur ces ex. Wetsphal, Encyclopédie de la Bible, II, s. v. Palmier, flg. 5) Cf. mon article Sacra Vitis, pour paraître dans Les cahiers techniques de Vart. 6) Cf. plus haut, 8 b. 7) Bôtticher, 49, n° 6, Heilige Lampen bei der Baumverherung. Sur ce feu

perpétuel et sa signification, cf. Frazer, Les origines magiques de la royauté, trad. Loyson, 1920, 14, 242 sq., 246, etc.

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durée de ce qu'il symbolise, et une lampe perpétuelle devant l'autel de Némi maintient le salut de l'empereur Claude et de sa famille1. Le palmier de Nicias n'est pas seulement un ex-voto à Apollon Délien, mais l'image de la cité qui l'a consacré.

b) Palmier et individu, famille. — La destinée d'un chef puissant, de sa famille, de son genos, de sa dynastie, est de même liée à celle d'un arbre2. Il en était ainsi pour le platane et la vigne d'or des rois achéménides3. La vigne d'or de Thoas est un a\)\x&okov tou yevouç, et un signe de reconnaissance familiale4. Celle du roi de Judée, Aristobule II était aussi un joyau de famille des rois juifs5. Le songe de la vestale Sylvia présage l'avenir de Rome, de ses fondateurs et de ses chefs : fécondée par Mars, elle voit sortir de terre deux palmiers — les jumeaux Rémus et Romulus — dont l'un plus grand que l'autre couvre de ses branches l'univers entier6. La légende de la dynastie julienne est formée à cet exemple7. Les palmiers poussés, au Capitole8, à Tralles9, à Munda10, annoncent à César ses succès futurs. Auguste a la même vénération pour cet arbre11. Il fait transporter dans sa demeure, à

1) Frazer, ibid., 14, 2) Bôtticher, 139, Schicksalsbàume der Familie; 193, Schicksalsbàume einzel-

ner Familien und Personen ; 165 sq., 170 sq. ; Frazer, Le rameau ďor, III, 539 ; Hubaud et Leroy, Le mylhe du phénix, 237 ; Deonna, La légende d'Octave- Auguste, dieu, sauveur et maître du monde, RHR, LXXXIII-IV, 1921, n° 54 sq. Ex. universels, cf. en pays kissi, Afrique, RHR, CXXXV, 1949, 34, 37.

3) Bôtticher, 212 : « Dieses Heiligkeitsverhâltnis der Baume erklârt es wenn die Persichen Kônige unter der Platane als ihrem Familienbaum und der Wein- rebe als Symbole ewigen Lebens, beide aus Gold und edlen Steinen gearbeitet, ihre Throne hatten. » Cf. plus haut, n° 6.

4) Cf. plus haut, n° 6. 5) Cf. plus haut, n° 6. Chapot, La colonne torse et le décor en hélice, 81-2, rap

pelant que le cep de vigne est à Rome emblème de commandement, voit dans la remise de cette vigne aux Romains par les princes juifs un témoignage de leur vassalité, du transfert à Rome de leur autorité.

6) Ovide, Fastes, III ; cf. Bôtticher, 417; Hubaux et Leroy, 31 sq. 7) Hubaux et Leroy, /. с : « Ovide a modifié le thème augustéen d'après

les exigences de la légende romuléenne. Son désir manifeste est d'apparenter la légende du premier fondateur de Rome à celle de l'homme qui mérita d'être appelé le second Romulus. »

8) Cf. plus haut, n° 8 a. 9) Ibid.

10) Ibid. 11) Hubaux-Leroy, 232 : « Une profonde association mystique unissait le

palmier d'Octave à celui de César. » La destinée de son neveu, Marcellus, qu'il avait choisi comme successeur, mais qui mourut jeune, était aussi comparée à

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L EX-VOTO DE CYPSELOS A DELPHES У

côté des dieux Pénates, un palmier qui avait poussé en face d'elle dans les jointures des pierres, et le soigne avec une attention toute particulière1. Un autre arbre est uni au sort des Jules, le laurier. Un aigle avait laissé tomber dans le sein de Livie une poule blanche qui tenait dans son bec un rameau de laurier ; elle planta le laurier qui prit racine et fournit à la suite des rameaux aux triomphateurs romains. Selon Pline, le laurier crût à tel point qu'il donna naissance à une forêt. C'est à cette forêt qu'Auguste, toutes les fois qu'il remporta les honneurs du triomphe, prit la branche de laurier qu'il tenait dans cette cérémonie, et la couronne. Dans la suite, tous les Césars devenus empereurs répétèrent le geste d'Auguste ; la coutume s'établit de replanter après le triomphe les rameaux qu'ils avaient tenus. Chacun reprit, et Pline affirme que de son temps on voyait encore des bosquets de lauriers portant le nom du triomphateur. Suétone certifie que les rejetons du laurier disparurent avec le dernier empereur de la dynastie julienne, ce qui prouve bien qu'il s'agit d'un arbre dynastique2. Aussi le palmier et le laurier sont-ils associés déj à dans l'art augustéen3, et le demeurent ultérieurement4. La vie d'Alexandre-Sévère offre des analogies avec celles d'Alexandre le Grand et d'Auguste ; on y lit que dans une villa appartenant à l'empereur, un laurier poussa près d'un

celle d'un arbre : Cressit, occulto velut arbor aevo, fama Marcelli. Horace, Odes, I, XII, Auguste.

1) Suétone, Auguste, 92; Bôtticher, "418 ; Hubaux et Leroy, 231-2; Deonna, La légende d'Octave-Auguste, RHR, LXXXIII-IV, 1921, n° 54, Le palmier du prince et de VEmpire.

2) Pline, HN, XV, chap. XL ; Suétone, Galba, I, etc. ; cf. Bôtticher, 383-4 ; Hubaux et Leroy, 234 sq.

3) Hubaux et Leroy, 232 : « II n'est pas surprenant, dès lors, de trouver le palmier à côté de l'aigle et du laurier, dans une des plus importantes scènes d'apothéose qui nous soient parvenues de l'antiquité romaine. » C'est, dit Cumont, la plus ancienne représentation de l'apothéose à Rome. Sur une face d'un autel consacré à Auguste par le Sénat et le peuple, quelques années av. J.-C, le divus, très probablement Jules César, sur un char à chevaux ailés ; la scène est encadrée par un palmier et un laurier. Au-dessus, le buste de Caelus, un aigle éployé, le quadrige de Sol. Les divers détails rendent indubitable qu'une relation est déjà établie dans cette première manifestation plastique du culte impérial entre le personnage divinisé et le soleil. Cf. Cumont, Études syriennes, 98 sq.

4) Marrou, Palma et laurus, Mel. ďarch. et ďhist. de Г École de Rome, LVI II, 1941-6, 109.

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pêcher (persicus), et que dans l'espace d'un an, il l'avait dépassé en hauteur, d'où les augures conclurent qu'Alexandre serait vainqueur des Perses1.

Les feuilles du palmier sont éternelles, alors que, si l'olivier et le laurier demeurent aussi toujours verts, ils renouvellent cependant les leurs : « seulement, les premières feuilles étant tombées, d'autres poussent à leur place, comme dans la ville chaque être vivant se trouve successivement remplacé et ne laisse pas de vide »2. L'arbre dynastique symbolise la perpétuité de la famille, renouvelée dans sa descendance ; il est comme le phénix « son propre fils, son héritier, son père... 11 est lui et non lui, le même et non le même... conquérant par la mort une vie éternelle »3. Le palmier de Munda, que César respecte comme présage de sa victoire, pousse aussitôt après un rejeton qui grandit en quelques jours au point non seulement d'égaler, mais de couvrir la tige-mère tout entière. Ce prodige fut, dit-on, un des principaux motifs qui déterminèrent César à ne vouloir pour successeur que le petit-fils de sa sœur4. Énée doit arracher du chêne le rameau d'or5, mais à peine ce rameau est-il enlevé qu'un autre renaît soudain : primo avulso, non deficit alter aureus, et simili frondescit virga métallo ; le futur prêtre d'Aricie devait détacher le rameau fatidique avant de pouvoir mettre à mort le rex nemorensis et de lui succéder, la vie du roi, liée à celle de l'arbre, étant en sûreté tant que la branche était préservée6. Une médaille du

1) Hist. Aug., Alexandre-Sévère, XII ; cf. Hubaux et Leroy, 231, n. 3. 2) Plutarque, Symposiaques, VIII, chap. IV, n° 2. 3) Lactance, De Ave phoinici ; cf. Hubaux et Leroy, Le mythe du phénix,

XX, trad. ; cf. aussi Claudien, ibid., XXIV : « Cet être n'est conçu d'aucun germe vivant. Il est son père, il est son ills ; nul ne le crée... chaque trépas lui donne une nouvelle vie » ; ibid., 188, 1901, notent Г « idée de la pérennité d'un personnage se survivant dans ses successeurs », le rapprochement entre la survie, le renouvellement du phénix et la réincarnation du personnage dans ses descendants, notion déjà connue en Egypte « pour symboliser soit la survie individuelle de Râ, soit la réincarnation personnelle d'un pharaon défunt dans ... la personne de son successeur ».

4) Suétone, Auguste, 94. 5) Virgile, Aen., VI, 143-4. Cf. plus haut, n° 6. 6) Frazer, Le rameau d'or, trad. Stiebel-Toutain, III, 77, 79, 385, La

mort des divinités de la végétation et le rameau d'or ; 539 ; Id., Les origines magiques de la royauté, trad. Loyson, 1920, 5 sq. ; Id., Balder le Magnifique,

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l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 11

médecin de Vérone, François Roset (xvie siècle), représente un palmier auquel un homme nu arrache une branche, avec en exergue la légende Uno avulso non deficit alter posteritali, où l'on reconnaît le vers de Virgile relatif au rameau d'or, et l'adjonction significative posteritati1.

c) Vicissitudes de l 'arbre et de la vie individuelle, sociale ; présages. — La vie de l'arbre coïncide avec celle des humains auxquels il est mystiquement lié, notion générale dont on trouve des exemples partout2.

Sur une hydrie à figures rouges de Naples3, Priam est assis sur l'autel, se tenant de désespoir la tête entre les mains, le corps d'Astyanax étendu mort sur ses genoux. Un palmier se dresse à côté de l'autel ; son tronc est courbé, ses feuilles pendent flétries. M. Claesen voit avec raison dans la représentation exceptionnelle de cet arbre un symbole4 : « Le palmier placé derrière Priam semble prendre toute sa signification : arbre sacré d'Apollon, comment pourrait-il vivre encore quand tous les malheurs s'abattent sur Troie ? Apollon vient de lui retirer sa protection ; dieu pur et dieu purificateur, il s'écarte de la tristesse des hommes et ne les assiste que dans la joie et le triomphe. Suggérer que le palmier mourant symbolise la défaite des Troyens et l'abandon d'Apollon nous paraît vraisemblable5. » Le palmier n'est-il ici que le seul attribut du dieu ? ne serait-il pas plutôt celui de la famille de Priam, dont il évoque par son aspect le triste sort ? Le figuier ruminalis, qui abrita les jumeaux Remus et Romulus, périclite parfois, mais on a soin de l'entretenir6. En 58 ap. J.-C, « il perdit

trad. 1931, 1. Le rameau d'or de Virgile a été identifié, ce qui n'est pas certain, avec le rameau du bois d'Aricie ; cf. L'anthropologie, IX, 1903, 724.

1) Museum Mazzuchellianum, I, 1761, pi. XXXVIII, n° I. Ce motif est une modification de celui de l'enfant au palmier, cf. plus haut, n° 8 /.

2) Ex. RHR, CXXXV, 1949, 35, n. 1. Cf. plus haut. 3) Furtwaengler-Reichold, Griech. Vasenmalerei, I, pi. 25 ; Claesen,

Le palmier, symbole d'Apollon, Bull, de VInsl. hist, belge de Rome, XIX, 1938, 90, pi. I, 2.

4) Claesen, /. c. : « C'est la première fois que nous rencontrons une interprétation qui s'écarte de la tradition. Nous ne pouvons croire ni à une intention réaliste, ni à l'évocation d'une tempête... le document est exceptionnel. »

5) Ibid., 91. 6) Pline, HN, XV, chap. XX : Ulic crescit ; rursusque cura sacerdotum serilur.

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12 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

toutes ses branches, et son tronc se dessécha, ce qu'on regardait comme sinistre ; mais il poussa de nouveaux rejetons ю1. Il en était de même pour un cornouiller sur le Palatin, considéré comme sacré ; s'il souffrait de la sécheresse, chacun se hâtait de l'arroser2. Le laurier, planté par chaque empereur, dépérit à sa mort3. Aussi se réjouit-on quand l'arbre reprend vie. Auguste remarque à Capri qu'un vieux chêne, dont les branches pendaient languissantes à terre, s'était ranimé à son arrivée ; il en eut tant de joie qu'en échange de Capri, il céda Énarie à la république de Naples4. Comme le phénix surgit de ses cendres, l'arbre se renouvelle de lui-même. Brûlé par les Perses, l'olivier sacré d'Athéna Polias sur l'Acropole renaît. Le chêne d'Énée remplace immédiatement par un nouveau rameau d'or celui qui vient d'être arraché. Le palmier de César à Munda pousse de nouveaux rejetons ; on considère comme un miraculum qu'un olivier complètement brûlé ait repoussé5. Malgré toute l'attention qu'on lui porte,, l'arbre peut périr, et avec lui la famille dont il est le symbole. L'olivier des empereurs romains se dessécha jusqu'aux racines pendant la dernière année du règne de Néron, présage annonçant l'extinction de la race des Jules en la personne de cet empereur6. Comme les statues, dont les détériorations, la chute, sont néfastes à ceux qu'elles représentent, ou qui les ont consacrées7, les arbres fournissent de multiples présages, en rapport avec la destinée humaine. A Laodicée, lors de l'arrivée de Xerxès, un platane, arbre dynastique des Aché-

1) Tacite, Annales, XIII, chap. LVI II ; cf. Bôtticher, 166 ; PW, s. v. Feige, 2146-8; Frazer, Le rameau ďor, III, 4.

2) Plutarque, Romulus, 20 ; cf. Frazer, 4-5. 3) Suétone, Galba, I. 4) Suétone, Auguste, 92. Cf. Deonna, La légende d'Octave Auguste, RHRy

LXXXIII-LXXXIV, 1921, n° 55, L'arbre desséché. 5) Pline, HN, XVII, chap. 38. 6) Suétone, Galba, 1 : « La race des Césars s'éteignit en Néron ; événement,

qu'avaient annoncé plusieurs présages ; ... pendant la dernière année du règne- de Néron, tout le plant se dessécha jusqu'aux racines. » Cf. Bôtticher, 166 ; Hubaux et Leroy, 234 sq.

7) Ex. nombreux. Plutarque, Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles- en vers, chap. 8 ; Julius Obsequens, Prodiges, n° CXXVIII (statue de Cicéron),. n° CXXIX (statue du consul Pansa), etc.

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l'EX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 13

ménides, se changea en olivier. Près de Cumes, un arbre s'enfonça dans le sol, au point que quelques branches seules en apparaissaient, peu avant les guerres civiles de Pompée. Un figuier, arbre de défaite, poussa sur un laurier, arbre de victoire, à Cyzique, avant le siège de cette ville par Mithri- date1. Un arbre qui, renversé, s'était relevé à l'approche de Vespasien, peu avant son avènement au trône, et l'annonçant, retomba tout à coup avec fracas quelque temps avant la mort de Domitien2. Avant celle d'Alexandre-Sévère, un immense laurier, dans le palais d'une ville d'où le prince partit pour la guerre, s'écroula soudainement, de même que 3 figuiers devant sa tente3. On pourrait citer d'autres exemples analogues.

Le palmier fournit de pareils présages. Il annonce les victoires du héros prédestiné, celles de César4 ,- la chute d'une ville, d'une dynastie, celle de Priam5. Tout comme une statue, comme la colonne en bronze d'Hiéron qui tomba spontanément le jour où ce prince mourait à Syracuse6, son équivalent métallique joue le même rôle. Assailli par les corbeaux qui l'endommagèrent, celui de l'Eurymédon présage la défaite que les Athéniens allaient subir en Sicile7 : l'extinction de la lampe sous le palmier d'Athéna Polias à l'Érechthéion, le déclin d'Athènes8. On peut se demander s'il n'en était pas de même pour le palmier de Nicias à Délos. Renversé un jour par le vent, il aurait entraîné dans sa chute l'Apollon des Naxiens. Placé à environ 10 mètres de ce colosse, ce palmier, qui, peut- être, n'atteignait pas en hauteur la distance qui l'en séparait, et qui, creux, ne devait pas être fort pesant, était-il suffisamment près de l'Apollon, et avait-il suffisamment de poids pour déterminer la chute de la statue monolithe, immense,

1) Pline, HN, XVII, 38, ex. 2) Suétone, Domitien, XV. Cf. Bôtticher, 166. 3) Hist. Auguste, Alexandre-Sévère, LIX. Cf. PW, s. v. Feige, 2145. 4) Cf. plus haut, n<> 8 a. 5) Cf. plus haut. 6) Plutarque, Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles en vers, chap. 8

(Œuvres morales, trad. Bétolaud, II, 336). 7) Cf. plus haut, n° 4 a. 8) Cf. plus haut, n° 4 d.

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et d'un poids assurément supérieur1 ? Ne serait-ce qu'une légende ? Aurait-on associé les chutes des deux ex-voto, survenues indépendamment l'une de l'autre, pour en tirer un présage ? Parmi les exemples d'œuvres d'art tombées spontanément pour annoncer des événements fâcheux2, on en connaît qui, dans leur chute, ont endommagé des autels, des statues3.

De ces constatations, ne peut-on supposer que le palmier de Cypsélos à Delphes était un de ces arbres, image du donateur et de sa race ?

d) Arbre de la destinée et arbre cosmique. — « L'homme, c'est Platon qui l'a dit, n'est point une plante terrestre attachée au sol. Le ciel est sa patrie, sa racine est figurée par le corps sur lequel se dresse la tête, et la tête est tournée vers la voûte céleste4. » L'arbre de la destinée des cités, des princes, qui s'élèvent par leur grandeur et leur puissance bien au- dessus de la commune humanité, se confond avec l'arbre cosmique, qui dresse sa tête jusqu'aux cieux et plonge ses racines dans l'Océan primordial ou dans le monde souterrain, avec la colonne ou le pilier cosmiques, soutiens de l'univers, croyance universelle, que connaissent les Orientaux5, les Grecs6, qui inspire partout des mythes, des légendes7,

1) Cf. plus haut, n° 4 b. Le fragment du torse mesure 2 m. 20 de haut ; le fragment du bassin 1 m. 20. Deonna, Apollons archaïques, 192, 194; Id., Dédale, I, 106.

2) Plutarque, Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles en vers, l. c. 3) Bôtticher, 168 sq., ex. 4) Plutarque, De l'exil, chap. 5 (cf. Œuvres morales, trad. Bétolaud, III,

1870, 129) ; Id., Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles en vers (ibid., II, 342). 5) L'arbre « nourriture des dieux, ornement des rois, qui a ses racines dans

l'Océan, dans l'abîme d'Arallu, et dont le sommet atteint les cieux élevés ». Cf. Danthine, 161, réf.

6) Ex. Homère, //., XIV, 287, L'arbre gigantesque qui, sur l'Ida, domine jusqu'à la région où commence l'éther. Cf. Plutarque, Sur la vie et la poésie d'Homère, chap. 94 (Œuvres morales, V, 1870, 241), etc.

7) Sur l'arbre de vie, l'arbre cosmique. Cf. entre autres travaux : Danthine, Le palmier-dattier et les arbres sacrés dans Г iconographie de Г Asie ancienne, 1937 ; passim, 160 ; N. Perrot, V arbre sacré sur les monuments de Mésopotamie et ďÉlam, 1937 ; G. Lechler, The Tree of Life in Indo-European and islamic cultures, Ars islamica, IV, 1937, 369 ; H. Gergema, De Boom des Levens in Schrifl and Historie, Hilversum, 1938 ; A. J. Wensinck, Tree and Bird as cosmological symbols in Western Asia, Verhandelingen d. Akad. de Wetenshappen, XII, 1921 ;

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l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 15

et inconsciemment encore mainte comparaison moderne1. Selon Chrysippe, le fœtus est nourri dans le sein de sa

mère comme une plante2. Atia, mère d'Auguste, songe que ses entrailles, sortant d'elles, s'élèvent jusqu'aux astres, s'étalent sur toute l'étendue de la terre et du ciel, les identifiant ainsi avec l'arbre cosmique3. Le roi Astyage voit en songe sortir de sa fille Mandane une vigne qui couvre toute l'Asie, présage que l'enfant qui naîtra d'elle, Cyrus, régnera à sa .place4. Un chef turc voit sortir de son corps un arbre gigantesque qui, bientôt, ombrage les terres et les mers, annonce de sa gloire et de sa puissance5. Le thème de l'arbre de Jessé s'inspire de telles données. Dans d'autres récits, l'arbre est indépendant du corps humain. C'est celui de Nabu- chodonosor, dont Daniel donne l'interprétation. « L'arbre que tu as vu, et qui était devenu grand et fort, dont la cime touchait aux cieux et qu'on voyait de toute la terre... c'est toi, ô roi, qui es devenu grand et puissant, dont la grandeur s'est accrue et s'est élevée jusqu'aux extrémités de la terre6. » C'est la vigne du peuple élu de Dieu, Israël : « Tu enlevas d'Egypte une vigne ; tu chassas les nations pour la planter ; elle jeta ses racines et remplit la terre ; les montagnes furent

Wilke, Der Weltenbaum und die beiden kosmischen Vôgel, in d. vorgeschichtlich. Kunst, Mannus, XIV, 1922, 73 ; Przyluski, La grande déesse, 1950, ex. 168, etc.

Nombreux parallèles ethnographiques d'un arbre, d'une plante, qui s'élèvent jusqu'au ciel et par lesquels grimpe le héros, ex. RHR, CXXXI, 1946, 33, 36, n. 1 ; Cosquin, Contes populaires de Lorraine, I, 24 ; II, 18, 168, 171 sq.

1) Verdi, Mistral, J.-H. Fabre, 3 génies paysans, « ont poussé comme des chênes au milieu de la place de leur village, et ils ont poussé si haut que l'univers a salué leur frondaison ». Lasserre, L'esprit de la musique française, 1917, 141.

2) Plutarque, Des contradictions stoïciennes, chap. 41 [Œuvres morales, trad. Bétolaud, IV, 455).

3) Suétone, Auguste, 94. Cf. Deonna, La légende d'Octave Auguste, RHR, LXXXIII-IV, 1921, n° 29; Le songe ďAtia, Les entrailles et l'arbre cosmique; Hubaux et Leroy, Le mythe du phénix, 231 et n. 2 (admettent que « l'image d'un arbre est sous-entendue »). Cf. aussi les présages survenus au père d'Auguste, Suétone, ibid. : en Thrace, la flamme des libations qu'il fait sur l'autel de Dionysos s'élève jusqu'au faîte du temple, et du faîte jusqu'au ciel, prodige qui n'était arrivé jusqu'alors que pour Alexandre le Grand.

4) Hérodote, I ; Valère-Maxime, I, chap. VII, 5. 5) Journal des Savants, 1917, 158. 6) Daniel, IV, 10 sq., 20 sq. Cf. L'arbre de Nabuchodonosor comme emblème,

Nicolas Reusner, Emblemata, Francfort, 1581, 132; Emblemata sacra, n° XXIV.

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couvertes de son ombre, et les cèdres de Dieu de ses sarments. Elle étendait ses pampres jusqu'à la mer, et ses rejetons jusqu'au fleuve1. »

Ce rôle est parfois celui du palmier, au sujet duquel nous rappelons le proverbe arabe, que ce roi de l'oasis a sa tête dans le ciel et ses pieds dans l'eau2, et qui, en Orient est assimilé, semble-t-il, à l'arbre de vie, et à l'arbre cosmique3. Des deux palmiers que Sylvia voit en rêve, et qui sont les jumeaux Rémus et Romulus, l'un plus grand que l'autre, étendait sur l'univers entier ses branches vigoureuses, et son feuillage naissant touchait déjà les cieux4.

10. Conclusion

Ces longs détours ne sont pas inutiles pour déterminer le sens de Гех-voto de Cypsélos à Delphes. Consacré dans le sanctuaire d'Apollon, ce palmier de bronze est apparemment l'attribut du dieu. Mais il évoque d'autres notions, plus importantes sans doute pour celui qui Га dédié. Arbre de puissance, il le symbolise, lui et sa famille, il est l'arbre auquel s'attache leur destinée. Arbre de force, dont la durée brave les ans, il signifie la pérennité que le tyran souhaite pour lui et les siens. Arbre qui annonce la gloire, le succès, il est moins la commémoration d'une victoire que le prince a remportée sur ses adversaires, qu'un vœu de victoire et de triomphe sur l'avenir.

Toutefois, ce palmier n'est pas seul, des grenouilles et des hydres grouillent à ses pieds. Quel en est le sens ? Celui-ci confirme-t-il ou non notre interprétation ?

1) Psaume LXXX, 9 sq. ; cf. Joret, Les plantes dans l'antiquité, I, 451. Cf. l'apologue que Jotham adresse aux chefs de Sichem quand ils élisent pour roi Abimelech, celui des arbres qui veulent désigner un roi : ils s'adressent successivement en vain à l'olivier, au figuier, à la vigne, qui tous refusent de renoncer à leur rôle bienfaisant « pour aller planer au-dessus des arbres ». Fable analogue d'Ésope, Les arbres et Volivier, Ésope, éd. Chambry, 1927, 112, n° 252.

2) Danthine, 23 ; Jacobsthal, Ornamente griechischer Vasen, 94. 3) Danthine, 137, 144. 4) Ovide, Fastes, III.

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III. — Les grenouilles

Nous avons éliminé quelques-unes des explications que l'on a données des grenouilles au pied du palmier de Cypsélos à Delphes : symbole de la basse envie qui s'attaque aux puissants1 ; de la victoire remportée par le tyran sur ses adversaires politiques2 ; de la terre arrosée où croît le palmier3. Quel en est alors le sens ?4

11. Grenouilles et dieux grecs

Dira-t-on — bien que Plutarque repousse cette suggestion5 — que les grenouilles s'unissent au palmier parce qu'elles sont comme lui6 les attributs d'Apollon7, à qui Гех-voto est consacré ?

« Je fais les délices d'Apollon, le dieu de la cithare, parce que je fais croître dans Геаи de mes marécages le roseau qui sert de chevalet à la lyre », chante la grenouille d'Aristo-

1) Cf. I, n°" 2, 3. 2) Cf. I, n° 3; II, n° 8 a. 3) Cf. I, n° 3 ; II, n° 8 d. 4) Quelques références générales sur la grenouille dans l'antiquité et les temps

modernes ; on en trouvera d'autres au cours de ce mémoire : Deonna, Sauriens et batraciens, RÉG, XXXII, 1919, 132 (spécialement 141, II, Batraciens et sauriens) ; Id., RA, 1924, XX, 111. — S. Eitrem, Symbolae osloenses, VII, 1928, 81, Exkurs ; XI, 1932, 112, Varia. — FrXnkel, JDAI, I, 1886, 48. — Graindor, Terres cuites de l'Egypte gréco-romaine, 1939, 163. — .De Gubernatis, Mythologie zoologique, trad. Regnaud, II, 1874, 392. — Hoffmann-Krayer, Handwôr- terbuch d. deutschen Aberglaubens, s. v. Frosch. — Hopfner, Der Tierkult der alien Aegypter, 1913, 149, Der Frosch. — A. Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 219, II, Die spâtere Litteratur (Egypte) ; ibid., VIII, 1904, 78, Nachschrift. — O. Keller, Die anlike Tierwslt, II, 1913, 305, Frosch und Krôte. — Leclercq et Cabrol, Did. ďarch. chrét. et de lit., s. v. Grenouille. — Pauly-Wissowa, Real-Encyclo- padie, s. v. Frosch (Wellmann). — Perdrizet, Bronzes grecs ď Egypte de la collection Foiiquet, 1911, 80-2; Id., Terres cuites grecques ďÉgyple de la collection Fouquel, 35, n° 107. — Sébillot, Le Folklore de France, III, 235 sq., passim, dans le chapitre sur les reptiles. — W. Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 215, Die aegypiische Litleralur.

5) Cf. I, n° 1. * 6) Palmier, attribut d'Apollon, cf. II, n° 7. 7) Grenouilles, comme attributs d'Apollon, Deonna, RÉG, XXXII, 1919,

146 et n. 2 ; Saglio-Pottier, DA, s. v. Donarium, 374, n. 159, 1 ; FrXnkel, JDAI, I, 1886, 50 sq. ; PW, s. v. Frosch, 114; Gruppe, Griech. Mythol., 1234, n. 2 ; Schede, RM, XXXVII, 1912, 204 ; Lang, Mythes, cultes et religions, 507.

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phane1. C'est un des rares textes qui mettent la grenouille en relation avec le dieu, et encore d'une façon fort indirecte2. Serait-ce, a-t-on pensé, parce qu'elle est mantique comme lui, prédit le temps, l'avenir3 ? ou que, chanteuse infatigable, elle évoque le dieu de la musique, et les sons mélodieux des instruments ? « Tu entendras des chanteurs ravissants... Des grenouilles à voix de cygne, c'est délicieux », dit Gharon à Dionysos descendu aux enfers, et les grenouilles autour de lui s'exclament : « Que notre voix harmonieuse unisse ses hymnes aux accents de la flûte4. » Ainsi, dit encore la grenouille d'Aristophane : « Je suis chérie des Muses à la lyre mélodieuse, et de Pan aux pieds de bouc, qui tire de si doux sons du chalumeau. » Une terre cuite gréco-égyptienne semble illustrer ces vers : une grenouille, assise sur un poisson, chante en s'accompagnant de la lyre5.

Nous connaissons quelques monuments qui rapprochent la grenouille d'Apollon. Une monnaie de Luceria en Apulie, a au droit la tête du dieu, au revers le batracien6. On cite Гех-voto de Cypsélos, et nous montrerons les relations que ses grenouilles ont avec le soleil levant, par suite peut-être avec Apollon, dieu de la lumière7. Une grenouille en bronze du Musée de Berlin8, provenant peut-être de Corinthe, porte en alphabet corinthien, de la première moitié du ve siècle av. J.-C, la dédicace d'un Amon à « Boason » ; cette épithète, qui dérive du verbe (âoav, crier, employé pour le chant des grenouilles9, serait celle d'Apollon à qui ce petit monument

1) Aristophane, Les grenouilles, 231. 2) Selon Goossens, La nouvelle Klio, I, 1949, 14 ; Les grenouilles « jouent

un rôle dans les légendes de l'enfance d'Apollon », l'auteur fait sans doute allusion à la légende de Leto en Lycie. Cf. plus loin.

3) Gruppe, Frânkel, Schede, PW, etc. 4) Aristophane, Les grenouilles. 5) Perdrizet, Terres cuites grecques ď Egypte de la collection Fouquet, 150, n° 410. 6) Imhoof-Blumer et O. Keller, Tier- und Pňanzenbilder auf griech. Milnzen

und Gemmen, 43, n° 41. * 7) Guilmot, Chronique ďÉgypte, n° 43, 1947, 246-7. 8) Frânkel, Geweihter Frosch, JDAI, I, 1886, 48 ; Reinach, Répert. de

a stat., II, 778, n° 1 ; PW, s. v. Apollon, 45, 109 ; Eitrem, Symbolae Osloenses, XI, 1932, 112-3; DA, Donarium, 374, n° 159, 1, flg. 2537.

9) PW, s. v. Frosch, 114, (3oav.

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l'ex-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 19

aurait été consacré1. Perdrizet a, toutefois, relevé le peu de certitude de cette hypothèse, et en a proposé une meilleure : « Amon, le donateur, était, je suppose, quelque Grec, né en Egypte, dont l'origine explique cette dédicace à Boácrcov, divinité insolite, inconnue au panthéon hellénique, et qui n'est autre, je crois, que la grenouille divinisée : à la déesse-grenouille, Amon avait offert une image qui la représentait. Seul, le nom de cette déesse est grec, (Soáacov, celle qui coasse (cf. Aristophane, Grenouilles, 212 : (3oav <р6еу£Ж{Аг8а). Mais la déesse doit être égyptienne », soit Haqit2. Un marbre de Samos, au Musée de Vathy, avec une grenouille en relief, serait-il un ex-voto à Apollon3 ? Il paraît plus vraisemblable, étant donné sa provenance, de le rapporter au culte d'Héra, qui reçoit en ex-voto des grenouilles dans son Héraion samien4. Les fouilles du sanctuaire d'Apollon Maléatas à Épidaure ont livré une grenouille, en terre cuite, représentée nageant, pattes écartées, avec d'autres figurines archaïques5.

* * *

Une légende rattache les grenouilles à halone. Après avoir mis au monde les jumeaux sous le palmier délien, elle fuyait encore la colère d'Héra. Parvenue en Lycie, des pâtres l'empêchèrent de se désaltérer aux eaux d'un lac marécageux, et en punition furent changés par elle en grenouilles6 ; on voyait, au milieu du lac, un autel antique de Léto, noirci par la fumée des sacrifices et entouré de roseaux. C'est aussi au milieu de marécages que s'élevait le Létôon lycien, sur la rive droite du Xanthos7. Vallois remarque, à ce propos, qu'à Délos la ter-

1) FrXnkel, PW, s. v. Boason (Jessen, ne se prononce pas). 2) Perdrizet, Bronzes grecs ď Egypte de la collection Fouquei, 1911, 80. 3) AM, XXXVII, 1912, 203, n° 3, fig. 2. 4) Voir plus loin. 5) Papadimitriou, BCH, LXXIII, 1949, II, 378, fig. 10, 1. 6) Ovide, Met., VI, chap. Ill ; cf. PW, s. v. Frosch, 115 ; Roscher, Lexikon,

s. v. Leto, 1961 ; Lang, Mythes, cultes et religions, 137 ; Gubernatis, Mythologie zoologique, II, 1874, 397 ; BCH, LUI, 1929, 223.

7) Strabon, XIV, 3, 6 ; cf. PW, s. v. Letôon, 2145 ; ibid., suppl. V, s. v. Leto, 555; Benndorf-Niemann, Reisen in Lykien, 118; Vallois, BCH, LUI, 1929, I, 223.

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20 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

rasse des Lions conduisait « principalement, sinon exclusivement » au Létôon, dont l'étang sacré devait baigner le témé- nos ; que des statues animales, alignées sur les bords d'un étang auraient pu inspirer la légende de la métamorphose lycienne, et que les lions archaïques de Délos auraient pu être plaisamment pris pour des grenouilles1. Ce rapprochement, que La Coste-Messelière relève avec quelque faveur2, paraît peu convaincant, car on connaît ailleurs des légendes analogues à celle des grenouilles lyciennes3, et les contes ou des humains sont changés en grenouilles ne sont pas rares4.

Des grenouilles votives étaient offertes dans le sanctuaire à'Artémis Orthia à Sparte5 ; la femme nue montée sur une grenouille, qui forme le manche de miroirs archaïques6, est rapportée par certains érudits à l'art Spartiate7, qui verraient en elle une servante d'Artémis Orthia8 ; on a, en effet, trouvé des figurines de femmes nues dans son sanctuaire9.

1) Vallois, BCH, l. c. : « Or, la légende à laquelle est lié le renseignement — métamorphose des habitants du pays en grenouilles — a tout l'air d'être un aition, et, mieux que les grenouilles sacrées de l'étang, telles représentations d'animaux alignés sur ses bords ont pu en fournir le motif. Je n'ose toutefois me prononcer sur la vraie nature de ces statues : on accorderait bien peu d'esprit ou d'imagination aux Grecs en général et aux poètes alexandrins en particulier, si on les croyait incapables de prendre plaisamment pour des grenouilles sorties de leur étang quelques-uns des lions monstrueux de Délos. »

2) La Coste-Messelière, Au Musée de Delphes, 1936, 109, n. : « Pour Délos, une curieuse indication de Vallois. j

3) Lang, Mythes, cultes et religions, 1896, 138, mythe australien de la genèse des grenouilles. Une femme met au monde deux enfants, et cherche une source pour les y baigner ; mais des pâtres l'écartent d'une fontaine qui, disent-ils, sert à abreuver leurs bestiaux ; des loups la conduisent à une rivière où elle peut se désaltérer et baigner ses enfants. De retour à la fontaine, elle change en grenouilles les pâtres qui s'y baignaient, et c'est depuis que les grenouilles vivent dans les marais et au bord des rivières.

4) Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 128, 142, ex. ; Sébillot, Le Folklore de France, II, 411, garçon changé en grenouille par une fée.

5) Dawkins, The sanctuary of Artemis Orthia, 1929, 197, pi. LXXX b, gr. en bronze, période géométrique; 217, pi. CXV, deux gr. en os, trouvées avec de la poterie laconienne V, soit du ve siècle.

6) Voir plus loin. 7) Praschniker, JOAI, 1912, 219 ; Langlotz, Fruhgriech. Bildhauerschulen,

1927, 87, 91-2. 8) Langlotz. 9) Cf. plus loin le rapprochement possible entre l'épithète d'Artémis, Orthia,

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l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 21

Dionysos descend aux enfers, et en traverse le marais, sur la barque de 'Charon, accueilli par le chœur des grenouilles1 ; elles lui rappellent qu'à Athènes son temple se dresse « en Limnais », dans les marais qui sont leur habitat : « Humides enfants des marécages... répétons ces chants que nous chantons en l'honneur de Dionysos Nysien, le jour de la fête des marmites, quand la foule ivre se porte vers notre temple du marais2. » Une épigramme d'Antigone de Carystos3 constate ce lien entre le batracien et le dieu, en décrivant une coupe d'argent : « Grenouille sculptée au fond de cette coupe d'argent, j'y suis arrosée par la liqueur de la vigne, et je ne coasse plus.' J'y vis avec les Nymphes, chère à celles-ci, chère à Bacchus, tout inondée de leur double breuvage. Trop tardivement, j'ai fait l'orgie avec Bacchus. Ah ! quels hommes que les buveurs d'eau avec leur froide et folle sagesse ! »

La grenouille est « chérie des Muses à la lyre mélodieuse, et de Pan aux pieds de bouc, qui tire de si doux sons du chalumeau », dit Aristophane4 ; elle vit « avec les Nymphes, chère à celles-ci », dit l'épigramme de YAnlhologie. « Servante des Nymphes — dit une autre épigramme, qui décrit une grenouille de bronze, ex-voto — messagère et chantre de la pluie qu'elle aime, cette grenouille, modelée en bronze, est l'offrande votive d'un voyageur guéri par elle d'une horrible soif sous les feux du soleil. Elle lui montra, en effet, une

Orthosia, et celle de Zeus Orthosios, de Jupiter Stator, dont les colonnes du temple à Rome étaient ornées de grenouilles.

1) Juvénal, Sat., II, 149 sq. : « Qu'il y ait des Mânes, un royaume souterrain, un passeur armé d'une perche, des grenouilles noires dans le gouffre du Styx... les enfants même ne le croient pas. »

2) Aristophane, Les grenouilles; cf. PW, s. v. Frosch, 114. 3) Anthol. grecque, éd. Hachette, I, 1863, 311, n° 406; cf. PW, s. v. Frosch,

115; JDAI, I, 1886, 52; Willamowitz, Antigonos, 169. 4) Cf. ci-dessus.

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22 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

source, ayant chanté de sa voix amphibie au fond d'un humide ravin. Le voyageur, en suivant sans se détourner le chant qui le guidait, trouva la fraîche eau de la source qui le désaltéra1. »

A Samos, les fouilles de l'Héraion ont découvert plusieurs représentations archaïques de grenouilles ; elles permettent de supposer que cet animal a des affinités avec Héra : une petite grenouille orne la charnière d'un ustensile, ou d'un vase2 ; le goulot en bronze d'un bassin ou d'une fontaine est fait d'un avant-train de lion sur le cou duquel une grenouille est accroupie3 ; nous avons cité plus haut un relief en marbre de Samos, sans provenance précise, mais qui pourrait avoir cette même origine. Ces batraciens ne veulent-ils que rappeler le lieu marécageux où s'élève le temple, « le marais d'Héra, peuplé des grenouilles qu'on consacrait si volontiers en ex- voto »4 ?

Hécate est qualifiée de cppuvmç dans un texte magique5, de <ppo\Sv7) ou 9púvY}, dans un hymne orphique à cette déesse6, soit de « crapaud femelle » ; nous reviendrons plus loin sur ses relations avec le batracien.

1) Anthologie grecque, éd. Hachette, I, 1863, 85, n° 43; Perdrizet, Bronzes grecs ď Egypte de la collection Fouquet, 1911, 80 (« n'est d'aucune utilité pour expliquer ces petits monuments »).

2) Buschor, Alisamische Standbilder, III, 1935, 57, fig. ; 212, vie siècle. 3) Buschor, AM, LV, 1930, 30, pi. I ; AA, 1930, 151, fig. 28 ; Buschor,

Alisamische Standbilder, III, 1935, 57, pi., fig. 213, 216-7; Picard, Manuel ďarch. grecque, Période archaïque, 408, n. 2; RÉG, 1932, 60; XLIX, 1936, 187, vne siècle. Cf. plus loin, n° 20, Grenouille et lion, et mon article, La grenouille et le lion, BCH, LXXIV, 1950, I.

4) Picard, 544 ; RÉG, 48, 1935, 97, n. 1 (en rapport avec la limné locale et le culte d'Héra) ; GBA, 1936, I, 199 ; La Goste-Messelière, Au Musée de Delphes, 1936, 109, n.

5) Par. h. mag., III, A, 289, Abel ; cf. PW, s. v. Frosch, 117 ; s. v. Baubo, 151. 6) E. Miller, Mélanges de littérature grecque, 1868, 442, 460 ; Longpérier,

Notice sur les bronzes antiques du Louvre, 1879, I, 211.

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l'EX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 23

*

La grenouille est-elle en rapport avec Zeus, qui Га créée ? « Car le fils de Cronos a fait les grenouilles amphibies, pour sauter sur la terre et se cacher dans l'eau, et pour habiter des demeures divisées' en deux éléments1. » Zeus leur envoie un roi sur leur demande, et elles ornent les colonnes du temple de Jupiter Stator à Rome2.

L'est-elle avec Athéna, avec le héros Persée, qui la font taire ?3

Pour qu'elle ait été ainsi rapprochée de diverses divinités grecques, et non seulement d'Apollon, il faut des raisons plus sérieuses que l'eau, les marécages où elle vit, ou que son chant mélodieux ou discordant. C'est au symbolisme de la grenouille qu'il faut les demander, que nous préciserons plus loin. Image de la création, de la fertilité terrestre, de la fécondité humaine, du renouvellement incessant du monde, et du temps, étroitement unie à l'eau et au feu céleste qui les déterminent, image funéraire de renaissance, elle convient aux divinités dont la nature et -les fonctions évoquent les mêmes notions, et dont plusieurs, remarquons-le, ont aussi le palmier comme attribut4 : à Apollon, dieu lumineux, de la végétation des saisons, de l'année, chtonien5 ; à Léto, déesse de la vie féminine, de l'enfantement, des enfants6 ; à Héra, déesse de la fécondité naturelle et humaine, du mariage, protectrice des femmes, chtonienne7 ; à Hécate, déesse de la fécondité, du

1) Batrachomyomachie, v. 59. 2) Cf. plus loin, n° 25, Grenouille et Jupiter Stator. 3) Cf. plus loin, n° 26, Les grenouilles, le peuple et les grands. 4) Cf. II, n° 7. 5) PW, s. v. Apollon, I, 8, III, enumeration de ses caractères (dieu de végé

tation, 9, n° 2 ; des saisons, de l'année, 10, n° 3 ; chtonien, 10, n° 4 ; lumineux, sinon solaire, 19, n° 23) ; Nilsson, Gesch. d. griech. Religion, 1941, 498, Apollon im Vegetationskult.

6) Roscher, s. v. Leto, 1963 (déesse des enfants, de la naissance, 1968 ; en relation avec Eileithyia, 1969).

7) PW, s. v. Нега, 392, n° VIII (déesse des femmes, 396, n° 3 ; de fécondité, 397, n° 6 ; de la nature, du sol, de l'eau, 397, n° 6 ; chtonienne, 399) ; Nilsson, 400.

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mariage, de la naissance, chtonienne, infernale1 ; à Dionysos, dieu de la végétation qui meurt et renaît, de la fécondité, chtonien2 ; à Zeus même, support du monde3.

12. La grenouille, comme motif décoratif

Les représentations de grenouilles, nombreuses, remontent à une antiquité fort reculée4, et persistent jusqu'à nos jours. Beaucoup n'ont assurément pas de signification spéciale, et ne sont que des motifs décoratifs. Telle grenouille sur un relief hellénistique du Louvre évoquerait, dit-on, l'humidité fluviale5. Il est naturel d'en orner des fontaines6, des récipients7,

1) Roscher, s. v. Hekáte (déesse de l'enfantement, de la naissance, 1892, n° 3 ; du mariage, de la fécondité, 1892, n° 3 ; infernale, chtonienne, 1895. Cf. plus loin, Hécate et la grenouille de fécondité, n° 16, Grenouille et fécondité humaine ; Hécate et le serpent, symbole du temps, n° 21, Grenouille et serpent).

2) Nilsson, 532 (dieu de la végétation, 550 ; phallique, 557 ; chtonien, 561). 3) Cf. plus loin, n° 25, Grenouilles et Jupiter Stator. 4) Les rares représentations de batraciens dans l'art quaternaire sont plutôt

celles de salamandres, de « batraciens urodèles » (Laugerie Basse, La Madeleine, etc.), et certaines sont même incertaines. Breuil et Saint-Périer, Les poissons, les batraciens et les reptiles dans l'art quaternaire, Arch. last, de paléontologie humaine, n° 2, 1927, 141, Batraciens. Andrée, Votive und Weihegaben d. kathol. Volkes in Suddeutschland, 129, signale quelques images préhistoriques de crapauds : un animal pareil à une grenouille ou un crapaud dans des fouilles de l'âge du bronze de Seelow (Mark), Verhand. d. berlin. Anthropol. Gesell., 1875, 87, pi. VII, 7 ; des fibules « préhistoriques », par ex. à Bornholm, dans le gouvernement de Perm, Aspelin, Antiquités du Nord finno-ougrien, n° 568 (mais postérieures à l'époque romaine) ; Hendelmann, Ober den Krótenaberglauben und die Krôtenflbeln, Zeit. f. Eihn., XIV, 1882, 22, ex. divers ; Id., Ibid., 558, Die Krôtenfibeln.

5) Schreiber, Hellenistische Reliefbilder, pi. XXXI ; cf. Perdrizet, Bronzes grecs ď Egypte de la collection Fouquet, 81.

6) Ex. fontaine d'une maison de Pompéi : colonne supportant une vasque d'où l'eau tombe, avec des animaux en ronde bosse, parmi lesquels une grenouille, Avellino, Descr. di una casa di Pompei, pi. VIII ; Saglio-Pottier, DA, s. v. Fons, 1234, fig. 3154.

7) Cruche en terre cuite, avec grenouille accroupie à côté de l'anse, Bacho fen, Rômische Grablampen, pi. XIX, 1. Dans les temps modernes, ex. coupe du Landeron, Neuchâtel, dite « de la grenouille ». Gobelet d'argent sur pied. A l'intérieur, un tube, qui dépasse le bord de la coupe et fait siphon ; il est pourvu de 3 goulots par lesquels on boit, et surmonté d'une boule sur laquelle une grenouille est perchée ; si on oublie de boucher avec le doigt le trou sous le pied de la coupe, le liquide reste sourd aux aspirations. Œuvre de Jean-F. Corneille, graveur, Neuchâtel, première moitié du xvnie siècle, Musée neuchâtelois, XXVI, 1889, 185.

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l'ex-voto de cypsélos a delphes 25

d'en faire des bibelots plaisants1, aussi bien jadis qu'aujourd'hui. Cependant, cette explication, facile, ne suffît pas toujours, et surtout quand il s'agit de l'antiquité ; bien des grenouilles, en apparence ornementales, ont une signification autre.

13. La grenouille dans les croyances

Comme le crapaud2, avec qui on la confond presque partout3, la grenouille joue un grand rôle dans les croyances, mythes, légendes, contes, de tous les pays et de tous les temps, dans la médecine, savante et populaire4, la magie et la sorcellerie5, les superstitions diverses6, et ceci pour des raisons qu'il est souvent possible de discerner.

1) Crapauds en bronze de la Renaissance, xvie siècle, Planiscig, Die Bronze- plasliken, 1924, 39, n° 66, fïg. 66 (encrier) ; n° 67, fig. 67. Italie, atelier de Riccio (cite d'autres ex.) ; W. Bode, Die italienischen Bronzesialueilen d. Renaissance, I, pi. XXXIX, 1 (grenouille appuyée sur une coquille) ; 2, 3 ; Berlin, Kaiser Fried. Museum, atelier de Riccio.

2) Sur le crapaud, cf. entre autres travaux : R. Cornilleau, Le crapaud, bête fabuleuse et médicale, Aesculape, 1940, 59. — Deonna, Sauriens et batraciens, RÉG, XXXII, 1919, 142 et n. 4, réf. — De Gubernatis, Mythologie zoologique, trad. Regnaud, II, 1874, 401. — Hoffmann-Krayer, Handwo'rterbucft d. deulschen Aberglaubens, s. v. Krôte. — Hopfner, Die Tierwelt der alien Aeggp- ter, 1913, 151. — Jacoby, Sphinx, VIII, 1904, 78-9. — Pauly-Wissowa, s. v. Frosch (traite aussi du crapaud), 116. — Sébillot, Le Folklore de France, III, 263. — J. Sùndwall, Das Krôtenmotiv in d. Vorgeschichte von Latium, Ada Inst. R. Sueciae, Mélanges Nilsson, 1939, 444. Voir plus loin, n° 16, Grenouille et fécondité humaine, les références données à propos du crapaud identifié à la matrice.

3) Déjà en Egypte, Jacoby, Sphinx, VIII, 78; Hopfner, Der Tierkult der alien Aegypter, 510.

4) PW, s. v. Frosch, 117-8 ; Sébillot, Le folklore de France, III, 287 ; Hoffmann-Krayer, Handwb'rterbuch, s. v. Frosch, 136, n° 3 ; Volksmedizinischesr 142; s. v. Krôte, 617, n° 3, Volksmedizin ; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 223 (Egypte).

5) Déjà dans l'antiquité, les grenouilles signifient avSpaç уо-цшс, Arté- midore, II, 15 ; cf. Jahn, Uber den Aberglauben, 99 ; Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 127, n° 2, Zauber ; s. v. Krôte, 611, n° 2, Zauber ; PW, s. v. Frosch, 117; Jacoby, Sphinx, 222 (Egypte); Perdrizet, Bronzes grecs d'Egypte de la collection Fouquet, 1911, 82. Sur le crapaud, comme animal diabolique et infernal, ci-dessus, I, n° 2, réf. ; Collin de Plancy, Le diable peint par lui-même, 1819, 167 (crapaud avalant les damnés) ; Bodin, De la démonomanie des sorciers, éd. 1587, 126 ; Sébillot, Le folklore de France, III, 266, 281 ; Blind, L'art populaire en France, IV, 1932, 137 ; Deonna, RÉG, XXXII, 1919, 141-2, réf.

6) Gubernatis, Mythologie zoologique, II, 1874, 392 ; Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch ; s. v. Krôte, 625, n° 5, Sage, etc.

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26 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

14. La grenouille comme apotropaion

La grenouille sert souvent d'apotropaion1, et, de l'antiquité aux temps modernes, un grand nombre de ses images, en matières diverses, offertes en ex-voto, portées comme cachets de bagues, comme parures, déposées dans les tombes, ou décorant des objets, ont cette destination prophylactique2.

1).FrXnkel, JDAI, I, 1886, 52; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 222, réf.; Jahn, Ûber den Aberglauben des bôsen Blickes, Ber. d. sàchs. Gesell. d. Wissen- schafl, Phil. hist. Klasse, 1855 ; Marqués-Rivière, Amulettes, talismans et pan- tacles, 1938, 335 ; PW, s. v. Frosch, 115, 117-8 ; Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 128 ; Bellucci, Parallèles ethnographiques, Amulettes, 1915, etc.

2) Nous en donnons ici quelques exemples. On en trouvera d'autres au cours de ce mémoire.

Orient. — Contenau, La magie chez les Assyriens et les Babyloniens, 1947, 244 (« la grenouille compte parmi les amulettes les plus répandues »). — ■ Gadd, An old babylonian frog amulet, Brit. Mus., X, 1935, 7 (agate, semble dater des rois sargonides, IIIe millénaire). — A. Parrot, Tello, 1948, 52, flg. 12 с (pierre, Tello, époque de Djemdet Nasr) ; 252, réf. (plusieurs ex., époque néo-sumérienne), 266, réf. (pierre, époque présargonide). — D. Van Buren, The Fauna of ancient Mesopotamia as represented in art, Analecla Orientalia, n° 18, 1939, 10, n. 40, Frog (ex., pl.-flg. 103-5). — Bossert, Altsyrien, 1950, pi. 422 (Tell Brak) ; The ill. London News, 1938, 701, flg. 16. — P. Toscanne, Notes sur quelques figurations d'animaux, en Chaldée-Susiane, Rev. ďassyr., IX, 1912, 16, fig. 5 (personnages prenant une grenouille, tablette).

Egypte. — V. Bissing, Una figurína arcaica di rana nel museo di Alessandria, Bull. Soc. r. ďarch. Alexandrie, n° 15, 1914, 28. — Cap art, Les débuts de Vart en Egypte, 185 (Abydos, Hiérakonpolis). — Hopfner, Der Tierkult der alien Aegypter, 1913, 149, 150 (ex.). — Leemans, Description raisonnée des monuments égyptiens de Leide, 1840, 32, n08 592-634, 635 ; 33, n° 636 (terre émaillée, 3 grenouilles sur une même base) ; 71, n° 166 (chaton de bague). — Lexa, La magie dans Г Egypte antique, I, 87-8, pi. LXV, fig. 131. — Marqués-Rivière, Amulettes, talismans et paniacles, 1938, 79. — ■ Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, 1902, 194; 173 (grenouille avec mâchoire articulée, n° 871, XIe dyn., jouet). — • Id., Catalogue du Musée égyptien de Marseille, 1889, 169, n° 681 с — Musées royaux ottomans, monuments égyptiens, Notice sommaire, 1898, 60, n° 778. — Perdrizet, Terres cuites grecques d'Egypte de la collection Fouquet, 34-5. — Id., Bronzes grecs ďÉgypte de la collection Fouquet, 80-2, n° 124, pi. XXXIV ; n° 125, pi. XXXVI. — A.-J. Reinach, Catalogue des antiquités recueillies dans les fouilles de Coptos, 1912, 122. — S. Reinach, Répert. de la stat.,

■ IV, 550, n» 7 (Caire, Edgar, n° 27785) ; V, 467, 2 (Coll. Fouquet, pi. 36) ; 467, 4

(Coll. Fouquet, pi. 34). — Wiedemann, Die Amuletten der alien Aegypler, 1910, n° 1, 11. — RÉG, XXXII, 1919, 145, n. 2, réf. — Deonna, RA, 1924, I, 111, n° 73 (t. c, avec ouverture à chaque extrémité, vase, lampe ?) ; 111, n° 74 (calcaire). — Musée de Genève, D 155, pierre grise.

Carthage. — P. Cintas, Amulettes puniques, I, 1946 (Inst. Hautes Études de Tunis), 12, n° 11, fig. (scarabéoïde, grenouille ou crapaud, à cause des verrues sur son dos) ; 101-102, fig., plaque carrée, avec divers motifs répétés chacun 7 fois en rangs superposés (Phtah, poissons, Bès, feuille de lotus, grenouilles, chèvres (?), crocodiles).

Grèce. — Ex-voto du sanctuaire d'Artémis Orthia, Sparte ; grenouille en

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l'ex-voto de cypsélos a delphes 27

Mais constater cet emploi n'explique pas le choix de la grenouille ; pour qu'elle ait pris cette valeur prophylactique, il faut qu'il y ait des raisons ; elles peuvent être diverses, tout en se ramenant à un principe commun1.

bronze avec dédicace à Boason, etc., cf. plus haut. — Friederichs, Berlin. Ant. Bildwerke, II : Gerâthe und Bronzen im alien Museum, 1871, 287, n° 1339 b (d'Ar- gos, deux grenouilles, sans doute comme éléments d'une chaîne). — Applique creuse en bronze, hellénistique, avec grenouille accroupie, de Ridder, Bronzes antiques du Louvre, I, 1913, 70, n° 476.

Éirurie. — King, Handbook of engraved gems (2), 1885, 30, fig. Époque romaine, — Sabazios. La grenouille est un des attributs figurés en

relief sur les mains votives de Sabazios : Jahn, Uber den Aberglauben des bôsen Blickes, 101, pi. IV, 2 6, 3. — Blinkenberg, Arch. Studien, 82. — Perdrizet, Bronzes grecs d'Egypte de la coll. Fouquet, 82. — Babelon-Blanchet, Calai, des bronzes de la Bibl. Nationale, 460, n° 1064 ; de Ridder, Bronzes antiques du Louvre, I, 1913, 112, n0B 836, 837, 838, pi. 57. — Collier trouvé à S. Agata dei Goti, Museo Borbonico, II, 2, pi. XIV; Jahn, 99, pi. V, 2. — Bronzes, tombes rhénanes, Musée de Bonne, Cumont, Textes et monuments relatifs aux mystères de Milhra, II, 1896, 525, n° 323 bis, fig. 492. — Tombes romaines du Mt. Mithri- date, Stephani, Comptes rendus Saint-Pétersbourg, 1865, 197, pi.. VI, 11. — S. Reinach, Répert. de la stat., III, 225, 10 (Catalogue Bourguignon, 1901, 56, n° 254) ; IV, 550, 6 (Vindonissa, à Berne) ; 550, 4. — . Jagsthausen, Obergerma- nisch. Limes, XXXII, 1909, pi. 3 (10). — Babelon-Blanchet, Calai, des bronzes de la Bibl. Nationale, nos 1232-3 (bronzes n° 1234 « Grenouille allongée en phallus », anc. coll. Oppermann). — • P. Paris, Le Musée archéologique de Madrid, 1936, 111 (bronze). — Musée Fol, Genève, 2e année, 1875, 89, pi. IV, 7. — Furtwaen- gler, Antike Gemmen, II, p. vi, 175, pi. XXXVI, 18 (coll. Kestner, 4 lièvres mangeant une feuille de vigne sur laquelle une grenouille accroupie, époque augustéenne) ; 220, pi. XLV, n° 52 (Berlin, 7071, 7072). — De Ridder, Coll. de Clercq, VII : Les bijoux et les pierres gravées, 349, n° 1875, 1876, 1880 (pierre, pâte, bronze). — Caylus, Recueil ďantiquités, III, 1759, pi. LXXXII, n° III (verre) ; V, pi. LXXXV, n° VI, 239 (agate). — Reinach, Répert. de la stat., II, 778, 8 ; Perdrizet, Bronzes grecs, 81-2. — Perdrizet, Bronzes grecs, 82 (coll. Fouquet, racine d'émeraude). — Imhoof-Blumer et Keller, Tier und Pflanzen- bilder, 138, n° 49, pi. XXII, n° 49 (gemme). — Fibule romaine, ruines de Novio- dunum, Dernovo, près Gurkfeld, Andrée, Votive und Weihegaben d. kathol. Volkes in Suddeulschland, 129. — Sur des vases gallo-romains à relief, Hermet, La Graufesenque, I, 1934, 40, n° IX; II, pi. 28, n° 74 ; pi. 103, n» 10 ; pi. 104, n° 13. — Jahn, Ober den Aberglauben d. bôsen Blickes bei den Alten, Ber. Verhandl. d. kgl. sàchsischen Gesell. d. Wiss., Phil. hist. Klasse, VIII, 1855, 28, ex. divers, 99, pi. ; RA, 1914, 1,259, fig. 1 (Vénasque, bronze). — W. Haberey, Gravierte Glasschale, etc., Bonner Jahrbilcher, 149, 1949, 94, 101 (figurines diverses, crapaud). — Pétrie, Amulets, pi. 2, 18 a-p. — Walters, Brit. mus. Calai, gems, 42, n° 348. — Bonner, Studien in magical amulets, 1950, 205 (grenouille ailée) ; 243, 316, n° 370 ( coll. Seyrig).

Époque chrétienne. — Bronze de Smyrně, amulette, avec caractères illisibles ; Berlin, Kaiser Fried. Mus. Wùlff, Allchristliche und mitlelallerlich. byzanl. und iial. Bildwerke, Berlin, 1909, 183, n° 830. — Leclercq et Cabrol, Diet. ďarch. chrét. et de lit., s. v. Grenouille, 1811. — J. Bronsted, A frog as a Viking age burial gift, Ada archaeologica, 13, 1942, 315 (bronze, tombe du Danemark, xe siècle). — Jacoby, Sphinx, VIII, 1904, 78 (amulette en plomb, хшв siècle). — Amulettes populaires, modernes, Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 128, 139. — Blind, L'art populaire en France, IV, 1932, 138 ; Id., Globus, LXXXII, 1902, 74, fig. 9.

1) Dans une récente communication, Goossens rapproche l'hymne aux

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28 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

15. La grenouille et la création

La grenouille chante la pluie bienfaisante, elle l'annonce, elle en est la gardienne, la dispensatrice1. Divers mythes cos- mogoniques lui font renfermer en elle les eaux qu'elle a avalées, et qu'elle répand, pour donner naissance aux lacs, aux fleuves2. C'est une croyance générale dans l'antiquité et dans les temps modernes que les grenouilles, apparaissant en grand nombre avec l'humidité et les pluies', disparaissant avec elles, naissent spontanément du sol fangeux, du limon3. Animaux élémentaires, elles sont le symbole de la matière primitive, humide et informe, elles sont aux origines du monde, elles contribuent à sa création, et le soutiennent même sur leur dos4.

grenouilles du Rig- Véda, du chœur des Grenouilles d'Aristophane ; ils exprimeraient, indépendamment l'un de l'autre, d'antiques superstitions sur la grenouille, restées vivaces dans le peuple, sinon dans les classes cultivées, selon lesquelles la grenouille est un charme de pluie, a la faculté de renaître après une mort apparente et devient symbole des saisons, de résurrection et d'immortalité ; communes à la Grèce et à l'Inde, « il est a priori probable qu'elles existaient chez les Indo-Européens » (La nouvelle Klio, I, 1949, 6, 14 sq.).

1) Aristophane, Les grenouilles : « Humides enfants des marécages... quand Zeus verse la pluie, du fond de nos demeures, nous unissons nos voix agiles au bruissement des gouttes. » — Anthologie grecque, éd. Hachette, I, 75, épigramme de Platon : « Messagère et chantre de la pluie qu'elle aime. » — Plutarque, Causes naturelles, question II, citant Aratus. Cf. Œuvres morales, éd. Bétolaud, IV, 1870, 105. — Id., Quels animaux sont les plus intelligents, des terrestres ou des aquatiques ? ibid., IV, 283. — Aelian., De Nat. animal., IX, chap. XIII. — Cf. de Gubernatis, Mythologie zoologique, II, 1874, 392. — PW, s. v. Frosch, 114. — Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 125, 129. — Sébillot, Le folklore de France, III, 267. — Frazer, Le rameau ďor, trad. Stiébel-Toutain, I, 109 ; III, 61. — E. Reclus, Les primitifs de l'Australie, 286. — Wassen, The Frog- motive among the South-Americans Indians, Anthropos, XXIX, 1934, nss 3-4. — Id., The Frog in Indians mythology, ibid., nos 5-6. — Bender, On the naturalistic Background of the Frog-Цутп, Rid- Veda, 7, 103. — Journal of the americ. orient. Soc, 1917. — Perdrizet, Terres cuites grecques de la collection Fouquet, 135, n° 360.

2) Lang, Mythes, cultes et religions, 40 sq. ; 371, 456 ; Sébillot, I, 91. 3) PW, s. v. Frosch, 113, réf.; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 220 sq. ; Wie-

demann, Die Amulette der alien Aegypter, 1910, 11 ; Lexa, La magie dans l'Egypte antique, I, 88 ; Hopfner, Der Tierkull der alien Aegypter, 1913, 149 ; Hoffmann- Krayer, s. v. Frosch, 125 ; Perdrizet, Bronzes grecs, 80. Cf. Dhorme, Les religions de Babylonie et d'Assyrie, 1945, 303 : « Après que la boue eût créé le ver » (création babylonienne).

4) Tylor, Civilisation primitive, trad. Brunet, I, 419 (légendes mongoles) ; Sébillot, Folklore de France, III, 161 (Roumanie).

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l'ex-voto de cypsélos a delphes 29

II en est ainsi en Egypte où, des dieux de l'ogdoade hermo- politaine, qui sont à l'origine du monde et le créent, 4 ont des têtes de grenouilles, 4 des têtes de serpents1. La grenouille y symbolise diverses divinités, Hor, Amon-Râ, Baštit2, mais surtout la déesse Haqit, une de celles qui préside à la création du monde3. Des momies de batraciens évoquent son culte4 ; la grenouille est son signe hiéroglyphique5 ; de nombreux documents en donnent l'image, soit sous l'aspect de l'animal, soit sous celui d'une femme à tête de grenouille6.

16. La grenouille et la fécondité humaine

La grenouille a présidé à la naissance du monde, elle préside plus tard à celle de l'homme. Naissant inachevée du limon, avant de prendre sa forme parfaite, elle devient l'emblème de l'embryon humain, même de l'homme7. Haqit est,

1) Lepsius, Ober die GOtter der Vier Elemente, Berlin. Akad. Abhand., 1856, 183 ; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 219-220 ; Hopfner, Der Tierkult der alien Aeggpter, 1913, 137, 149 ; Brugsch, Religion und Mglh., 158-9, 132 sq. ; Maspero, Hist. anc. des peuples de VOrieni, I, 145 sq., 148, n. 2, réf. ; Jéquier, Le livre de ce quHl g a dans VHadès, 1894, 135 ; Wiedemann, Religion der alien Aeggpter, 72 ; Erman, La religion des Égyptiens, trad. Wild, 1937, 86, 120 ; Vandier, La religion égyptienne, 1944, 33, 61 ; Sethe, Amun und die acht Urgôtter von Hermopolis, Berlin, 1929 ; Grapow, Die Welt vor der Schôpfung, Zeitschr. f. àgypt. Sprache und Altertumsk., 67, 1931, 34 ; A. de Buck, De eggpt. Voorstellingen betreffende den Oerheuvel, Leiden, 1922 ; Guilmot, Chronique d'Egypte, n° 43, 1947, 245-6 (les rapproche « des grenouilles et des serpents d'eau de l'offrande de Cypsélos »).

2) Cf. plus loin, n° 19. La grenouille et le soleil (Hor, Amon-Râ) ; Maspero, Catalogue du Musée du Caire, 1902, 194 (Baštit).

3) Graphies diverses : Haqît, Hiqît, Heket, Hekt. Brugsch, Religion und Myth. d. alien Aeggpter, I, 1885, 499; Lanzone, Dizionario di mitol. eg., 1881, 852; "Pierret, Diet. ďarch. égypt., s. v. Grenouille; Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 216, n. 2, réf. ; Hopfner, Der Tierkult der alien Aegypter, 149, п. 67 ; Maspero, Catalogue du Musée égyptien de Marseille, 169 ; Graindor, Terres cuites gréco-égyptiennes, 163 ; Leclercq et Cabrol, s. v. Grenouille* 1810. Stèle calcaire de Nebouaou, hiérodule de Haqit, XVIIIe dyn., Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, 1902, 185, n. 718.

4) Wilkinson-Birch, Manners and Customs of the ancient Egyptians, III, 248 ; Hopfner, 151, réf. ; Perdrizet, Bronzes grecs ďÉgypte, 80.

5) Fabiáni, Delia rana nei ieroglifici dell'Egitto, Gli Studi in Italia, 1878, 333 ; Maspero, Rev. critique ďhisioire el de lilt., I, 1879, 199 (à propos d'un passage de Chérémon relatif à la grenouille) ; Leclercq et Cabrol, 1810.

6) Ex. Lanzone, 854, fig. ; ex. cf. plus loin. 7) Horapollon, Hieroglyphica, I, n° 25 : « voulant écrire un homme qui

n'est pas encore formé, ils peignent une grenouille, parce que celle-ci est engendrée

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30 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

en Egypte, déesse de l'accouchement, de la fécondité féminine, et nombre de représentations l'évoquent dans ces fonctions, lui sont consacrées en cette qualité, jusqu'à l'époque gréco- romaine. Croyance qui n'est pas limitée à l'Egypte, mais qui se retrouve ailleurs, en des monuments de temps et de pays divers, et qui persiste dans les superstitions populaires contemporaines, pour associer toujours la grenouille à la vie sexuelle de la femme. Nous en avons donné ailleurs maints exemples auxquels nous renvoyons1.

17. La grenouille et le renouveau, le temps, la renaissance

« On peut dire, observe Plutarque à propos de l'ex-voto de Cypsélos, que les grenouilles représentées ici sont un emblème du printemps, où le soleil commence à dominer dans l'espace et à dissiper l'hiver2. » Par leur chant, elles annoncent le renouveau de la nature, elles sont de tout temps associées au printemps3.

De plus, selon Pline, qui rapporte' une croyance égyptienne, les grenouilles, après six mois de vie, se résolvent en limon, puis renaissent spontanément au printemps, phénomène qui se reproduit chaque année4. Elles expriment donc aussi la notion d'année, d'un nombre indéfini d'années, de temps qui se renouvelle incessamment, d'éternité5. On en

par le limon du fleuve » ; II, n° 102 ; cf. Chronique ďÉgypte, n° 35, 1943, 64-5, n° 25 ; n° 36, 1943, 234-5, n° 102. Pour cette raison, l'Imperfection est une femme qui tient de chaque main une grenouille, Ripa, Iconologia, éd. Padoue, 1625, 310, s. v. Imperfettione ; Boudard, Iconologie, Parme, 1759, II, 108.

1) La femme et la grenouille, Essays in honor of Hans Tietze, pour paraître. 2) Cf. I, n° Г. 3) Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 128; PW, s. v. Frosch, 116. 4) Pline, HN, IX, chap. LXXIV : Mirumque, semestri vita resolvuntur in

limum nullo cernente, et rursus vernis aquis renascuntur, quae fuere : naturae perinde occulta ratione, quum omnibus annis eveniat. Cf. Brugsch, Religion und Myth, d. alien Aegypter, I, 1885, 499 ; Hopfner, Der Tierkuli d. alien Aegypter, 149 ; Wiedemann, Herodot, II Buch, 291 ; Graindor, Terres cuites de l'Egypte gréco- romaine, 1939, 163.

5) Pierret, Diet. ďarch. égyptienne, 1875, 240-1, s. v. Grenouille; Spiegel- berg, Sphinx, VII, 1903, 218 ; RA, VIII, 1851, 23 n. H ,24 ; Le têtard est l'hiéroglyphe du nombre 100.000.

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l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 31

offre en Egypte l'image comme souhait de bonne année, de nouvel an1.

Elles signifient la renaissance de la nature. Le Nil, dont l'inondation féconde annuellement l'Egypte, est considéré comme le créateur éternel de la végétation sans cesse renouvelée, comme un emblème de la renaissance, de la résurrection que donne ses eaux2.

Il a parmi ses noms le signe de la grenouille, comme symbole de renaissance3 ; à ce titre, il la tient dans sa main droite4 ; ailleurs, la grenouille sous la barque solaire évoque le Nil, sur lequel le navire vogue5. Sur une poignée de lampe gréco-égyptienne, le dieu Nil est assis, entouré d'animaux aquatiques, hippopotames, grenouilles6.

La grenouille est le symbole du renouvellement de la vie humaine, de sa résurrection7, celui de la déesse Haqit, en tant que créant et renouvelant sans cesse la vie8 ; dans les textes égyptiens, le signe de la grenouille prend la valeur de « rajeunir », « renouveler la vie », « ressusciter »9. C'est pourquoi la grenouille Haqit accompagne dans les textes égyptiens le nom du défunt, qui va renaître à une autre vie10. Elle est figurée

1) Lexa, La magie dans VÉgypte ancienne, pi. LXV, fig. 131 ; Hopfner,. 181, n° 64 ; Wiedemann, Die Amulette der alten Aegypter, Der alte Orient, XI I, 1910, n° 1, 11 ; Perdrizet, Terres cuites grecques d'Egypte, 135.

2) Horapollon, Hieroglyphica, I, 35 ; Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 218. — Hubaux et Leroy, Le mythe du phénix, 25 : le phénix, animal solaire qui renaît régulièrement, symbolise l'inondation du Nil ; ibid., 12, 13 : le griffon perd ses plumes sous l'action du soleil ; pour les renouveler, il se plonge dans le Nil, symbole de renaissance, et il redevient ce qu'il était auparavant. Cf. le rôle de l'eau du Nil dans la liturgie égyptienne, Roscher, Lexikon, III, 90, 93 ; Perdrizet, Bronzes grecs d'Egypte, 49.

3) Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 217. 4) Ibid., 218. 5) Ibid. 6) Perdrizet, Terres cuites grecques d'Egypte, 63, n° 162, pi. L, 135 ; Id.,

Bronzes grecs d'Egypte, 81. Hippopotame, symbole de fécondité. 7) BA, VIII, 1851, 23 ; Jacoby et Spiegelberg, Der Frosch als Symbol

d. Auferstehung bei den Aegyptern, Sphinx, VII, 1903, 215 ; Hopfner, Der Tierkull d. alten Aegypter, 151 ; Deonna, BÉG, XXXII, 1919, 145, n. 2, réf. ; Leclercq et Cabrol, Diet, d'arch. chrét. et de lit., s. v. Grenouille, 1810, réf.

8) Graindor, Terres cuites, 163 (voit dans la croyance rapportée par Pline, cf. plus haut, l'explication du fait que la grenouille, symbole de Haqit, est devenue la figure de la résurrection).

9) Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 216-7 (textes de la fin des Ramessides). 10) Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 217, ex. ; Hopfner, 149, réf.

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32 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

sur les sarcophages, à côté de la barque funéraire, animale, ou comme déesse humaine à tête de batracien1, ou à côté du lit du défunt2. Elle se tient sur un socle, au pied d'un Osiris funéraire, ithyphallique, en forme de momie, au temple de Dendérah3. En une figurine de basse époque, le Kâ est un homme à tête de grenouille, exprimant la même idée4. Les amulettes en forme de grenouilles, portées par les vivants, ou déposées dans les tombes, assurent aux uns la vie, aux autres la renaissance d'une vie future5. C'est ainsi qu'il convient d'interpréter nombre de grenouilles portées comme parures, €achets de bagues6, et c'est sans doute la raison pour laquelle Mécène en avait fait l'emblème de son cachet7.

Elle, ou le crapaud de même sens, décore des lampes encore païennes8, en terre cuite9, en bronze10, mais surtout un très

1) Spiegelberg, 216, ex. ; Hopfner, 149. 2) Lanzone, Dizion. di mit. egiz., 1881, pi. CCLXXXV, n° 5 (grenouille sur

un socle) ; pi. CCLXXXVII, n° 4 (déesse debout à tête de grenouille). 3) Hopfner, 181, n. 63. 4) Moret, Mystères égyptiens, 218, n. 1 ; Wilkinson, Manners and Customs (2),

II, 21, fig. 501. 5) Lexa, La magie dans V Egypte ancienne, I, 87-8 ; Perdrizet, Bronzes

grecs, 81; Id., Terres cuites, 135; Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 219; Wie- demann, Die Amulette der alien Aegypter, 11. Cf. plus haut, n° 14, ex.

6) Cf. plus haut, n° 14, ex. 7) Pline, HN, XXXVII, chap. IV ; Pierius Valerianus, Hieroglyphica,

éd. Bale, 1556, 211, verso, 212 (à cause de sa taciturnité) ; Claude Paradin, Devises héroïques et emblèmes, Paris, 1621, 79 (une grenouille et la devise : Mihi lerra lucusque, « A moy la terre et l'eau »). L'auteur rappelle que, selon Dion, Mécène portait une grenouille comme devise : « Mécène... estoit en très grande autorité, de manière qu'il avoit toute puissance et gouvernement tant par mer que par terre. Occasion possible qui luy faisoit porter la grenouille en sa devise. Si autrement ne la portoit en signe de celles de Syrie qui ne crient jamais... »

8) Dates, Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 226, 228, ex. (Musée du Caire) ; Adriáni, Annuaire du Musée gréco-romain, 1933-5, 152, flg. 72, 6 ; Graindor, Terres cuites de l'Egypte gréco-romaine, 1939, 164, n. 8; 165, n. 3.

9) Ex. de Cnide, téménos de Déméter, Walters, Calai. Greek and roman Lamps in the British Mus., 1914, 192, n° 1272, fig. 282 (grenouille sur le disque) ; Bachofen, Rômische Grablampen, pi. XIX, 3 (sur le disque, crabe, au-dessus duquel une grenouille) ; JDAI, XXVII, 1912, n. 153, n° 81 a (id.). Lampe romaine du Ier siècle, avec grenouille, phallus, et autres animaux, Jahn, Ober den Aber- glauben, 100, pi. IV, 1.

10) Musée du Caire, avec grenouille en ronde bosse, accroupie sur une feuille de lotus, Edgar, Catal. Musée du Caire, Greek Bronzes, 1904, n° 27785, pi. XII ; Arch. Anz., 1903, 145, 148, fig. 3 с ; JDAI, XXIV, 1909, 43, n° 16 ; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 228 ; Reinach, Réperi. de la slat., IV, 550, n° 7. Musée de Constantinople, grenouilles à droite et à gauche du bec, Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 228. Musée de Parme, provenant de Velleia, lampe en forme de grenouille ou de crapaud, accroupi, avec bec sortant de la gueule ; sur le dos, l'orifice est

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l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 33

grand nombre de lampes en terre cuite égyptiennes d'époque chrétienne1, qui perpétuent pendant longtemps ce motif antérieur2. Elles n'ont rien de commun, comme le pensaient jadis certains auteurs, avec l'hérésie des Batrachites, qui auraient adoré la grenouille, selon Philastre, évêque de Brescia, en souvenir de celles que la colère de Dieu fit sortir de la terre d'Egypte à l'époque des Pharaons, et auxquels une loi de 428 refuse, comme à d'autres hérétiques, le droit de se réunir sur l'étendue du territoire romain3. La grenouille y paraît, comme sur leurs prototypes païens, en tant que symbole de l'antique déesse Haqit, celui de la résurrection, et cette signification est attestée par l'inscription grecque que portent quelques-

entouré d'une rosace ; à la partie postérieure de l'animal, une poignée faite de serpents noués. Aurigemma, Velleia, Itineráři dei Musei e monumenti ďltalia, n° 73, 1940, 73, fig.

1) Leur littérature est considérable. Ex. Bachofen, pi. XIX, 4 ; Dalton, Catalogue of early Christian antiquities, Brit. Mus., 1901, 150, n° 819, réf. ; Deonna, RÉ G, XXXII, 1919, 145, n. 4, réf.; Gayet, Varl copte, 92; Graindor, Terres cuites de VÉgypte gréco-romaine, 1939, 163, 164, n. 8, réf. ; Hopfner, Der Tierkult d. alien Aegypter, 1913, 150 ; Jahn, pi. IV, 1 ; Jacobv, Sphinx, VII, 1903, 226, 227, réf.; VIII, 1904, 78; JOAI, XXX, 1937, 250, n. 57, réf.; Kaufmann, Handbuch d. christlich. arch., 1905, 572 (3e éd. 1922, 585, n. 5) ; Id., Aegyptische Koroplastik, 1915, 84, pi. 72, 783, 786-94 ; pi. 29, 223-5 ; Id., Oriens Christianus, 1913, 299; L^nzone, Dizionario di mil. eg., 1881, 853, fig. ; Le Blant, Mém. Soc. nat. Ant. de France, 1878, 99 ; Id., CRAI, 1879, 27 ; Leclercq et Cabrol, Dici. ďarch. chrét. et de lit., s. v. Grenouille, 1811, 1812, réf.; Le Blant, Calai, des monuments chrétiens du Musée de Marseille, 90, n. 74 ; Lefebvre, Recueil des Inscr. grecques chrét. ď Egypte, nos 744-746, réf. ; Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire (3), 1914, 538; Реет, The Cemeteries of Abydos, II, 1914, 101, pi. XXXIX, 10, 11 ; Perdrizet, Bronzes grecs d'Egypte, 81 ; Pétrie, Roman Ehnasya, 1904, 9, F, Frog-lamps ; E, 10. Frog and corn lamps, pi. LXIII sq. ; A.-J. Reinach, Catalogue des antiquités recueillies dans les fouilles de Coptos, 1913, 122 ; Walters, Catalogue of the greek and roman lamps in the Brit. Mus., 1914, 192, n° 1272; Wiedemann, Die Amulette d. alien Aegypter, 1910, 11 ; Robins, Graeco-roman lamps from Egypt, Journal of egyplian arch., 25, 1939, 48 ; Chronique ď Egypte, n° 42, 1946, 257 ; n° 43, 1947, 250, n. 4 ; L. A. Shier, The Frog Lamps of Roman Egypt, comm. AJA, 54, 1950, 255.

2) Sur cette continuité, Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 226 ; Graindor, Terres cuites de V Egypte gréco-romaine, 163 sq. La plupart de ces lampes datent du шв siècle de notre ère ; une peut être datée d'après une monnaie de vers 340, Pétrie, Hawara, 12, col. 2, en bas.

3) Le Blant, Mém. Soc. Nat. Ant. de France, XXXIX, 1878, 99 ; Id., RA, XXXVII, 1879, 87, 243; Forrer, Reallexikon, s. v. Krôten ; Leclercq et Cabrol, s. v. Grenouille, 1813 ; Dalton, Calai, of the early Christian antiquities, 1901, n° 360, n° 819; Hopfner, Der Tierkult d. alien Aegypter, 150; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 226-7; Graindor, Terres cuites de VÉgypte gréco-romaine, 1 64-5. Cf. une bulle du pape Grégoire X, de 1233, selon laquelle les hérétiques baisaient un crapaud ou une grenouille sur la gueule. Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 128.

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34 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

unes : « Je suis la résurrection1 » ; sur d'autres, la grenouille est accompagnée de divers signes célestes, croix, croissants, rosaces, étoiles, lions2 ; le même type de lampe est aussi orné, au lieu de la grenouille, de deux palmes3, de deux embryons humains4, des deux bras levés du kâ, amulette de vie5, soit de motifs de sens analogue.

C'est sans doute la grenouille de résurrection qui décore le fond d'une coupe chrétienne en argent, de Carthage, au Brit. Museum6.

Ce sens de la grenouille et du crapaud a persisté. Dans les croyances populaires, ils incarnent les âmes7. Un crapaud, associé à un crâne, évoque encore l'idée de la résurrection8,

1) Le Blant, RA, 1879, 37, 187, 243 ; Id., CfíAJ, 1879, VII, 27 ; Id., Mém. Soc. Nat. Ant. de France, 1898, 80 ; Leclercq et Cabrol, s. v. Grenouille, 1812-3, flg. 5466, 5467; s. v. Lampes, 1121; Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 215; Perdrizet, Bronzes grecs, 81 ; A. Reinach, Calai, des ant. trouvées dans les fouilles de Coptos, 126 ; Graindor, Terres cuites de l'Egypte .gréco-romaine, 165, n. 2. Graindor émet l'hypothèse que ces lampes ont pu servir à quelque cérémonie nocturne, comme celle de la veille de Pâques, que l'église grecque célèbre encore aujourd'hui, où les fidèles échangent avec le baiser de paix la formule Xptoroç ávlcnf].

2) Ex. Leclercq. et Cabrol, s. v. Grenouille, fig. 5466-7, 1814. Sur le- sens du lion associé à la grenouille, cf. plus loin, n° 20.

3) Pétrie, Roman Ehnasga, 1904, 10, P. Corn and Palm lamps, pi. LXV ; 11, J, Joint types, pi. LXVI ; Dalton, Catalogue of the early Christian antiquities, Brit. Mus., 150, pi. XXXII ; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 227. Les deux palmes, symboles de fécondité, attribut de la coiffure de diverses divinités égyptiennes, ex. Leemans, Monuments égyptiens du Musée de Leide, 1840, 21, nos 1437, 1440-1 ; 18, nos 1208-10; 20, n° 1425, etc., amulette, ibid.%8l, n°s 1114-1125.

4) Cf. plus haut, n° 16. 5) Lampes avec ce motif, Pétrie, Roman Ehnasya, 1904, 11, A, Arm lamps ;

sur cette amulette, Wiedemann, Die Amulette d. alien Aegypter, 1910, 15. 6) Dalton, Catalogue of the early Christian antiquities, 80, n° 360, pi. XXI ;

Leclercq et Cabrol, s. v. Grenouille, 1809, fig. 5464 ; Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 227. Cf. plus haut, n° 11, une épigramme de Y Anthologie grecque, coupe avec une grenouille sculptée dans le fond. Leclercq et Cabrol, s. v. Grenouille, 1811, reconnaissent la grenouille chrétienne de la résurrection dans des monuments qui n'en portent pas trace, soit une stèle d'Erment, Crum, Coptic Monuments, 1902, n° 8585, pi. XXXII ; « une sorte de spatule à Akhmin, sur laquelle on découvre avec beaucoup d'imagination et encore plus de bonne volonté une tête de grenouille », Strzygowski, Kopiische Kunst, 1904, 111, n° 8769 (cet auteur ne dit rien de tel ; il ne s'agit pas d'une spatule, mais d'une épingle ou d'une tige en pierre, que termine une vague tête humaine).

7) Hoffmann-Krayer, s. v. Krôte, 612, 627. 8) Jacoby, Sphinx, VIII, 1904, 78, à propos d'un monument dans la chapelle

d'un château badois. Blind, Globus, LXXXII, 1902, 74 ; Id., L'art populaire en France, IV, 1932, 138 : « Le crapaud aime les milieux lugubres ; les memento mori d'ivoire du xve et de l'aube du xvie siècle, le montrent accroupi sur le crâne qui rappelle la fragilité des choses humaines. » Ces crânes sont, en effet, parfois

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l'EX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 35

comme celui qui figure, avec d'autres animaux, près d'un cadavre1, comme la grenouille figurée sur des stalles d'église2. La grenouille, dit Barthélémy Aneau, poète français du xvie siècle, reprenant les vieilles croyances :

Tout Veste vit, et sur l'hyver termine, Puis au printemps revient en action. Si doncq revit une telle vermine, Qui ne croira à la Résurrection3 ?

18. La grenouille et le jugement

M. Drioton a décrit des plaquettes servant à un jeu égyptien très ancien, qui a persisté à l'époque copte4. Elles sont percées de trous, où l'on enfonçait des fiches ; les coups se tiraient au moyen de jetons. L'une d'elles, au Louvre, datant du Nouvel Empire, approximativement de la XXIIe dynastie (950-730 av. J.-C), a la forme d'une grenouille en céramique bleu clair5. « Si décorative qu'elle fût, dit M. Drioton, cette réalisation n'était évidemment qu'une inspiration d'artiste », une « fantaisie », une « pièce d'amateur »6. L'auteur explique toutefois que ce jeu se jouait en 30 points, si bien qu'on pourrait l'appeler le « jeu des Trente Points » ; que ce nombre est traditionnel en Egypte pour lui dès une haute antiquité ; que :

« Bien mieux, ce nombre 30 avait été mis en rapport avec ce collège des Trente Juges, qui apparaît dans les textes, à partir du Moyen Empire, pour désigner la Cour suprême de Justice, soit dans ce monde, soit dans l'autre. De la sorte,

aussi rongés des vers. Mais on les voit surmontés du papillon, symbole de l'âme immortelle, comme la grenouille. Deonna, Le papillon et la tête de mort, Rev. ďethn. et des traditions populaires, 1920, I, 250.

1) Musée de Cluny, n° 360. Art espagnol de la fin du xvie siècle ; un cadavre étendu, auprès duquel des animaux, lézard, grenouille, serpent se mordant la queue, qui est symbole d'éternité.

2) Ex. Cathédrale Saint-Pierre, Genève, miséricorde de stalle, xve siècle. 3) Barthélémy Aneau, Décades de la description, forme et vertu naturelle des

animaulx, tant raisonnables que brutz, Lyon, 1549, La Grenouille. 4) Drioton, Un ancien jeu copte, Bull. Soc. ďarch. copte, VI, 1940, 177. 5) Ibid., 194, I, pi. V A; date, 201. 6) Ibid., 201.

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36 ' REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

toute la partie devenait symboliquement, en vertu du nombre 30, sur lequel elle se jouait, une sorte de Jugement de Dieu. D'après le texte si curieux de la XXe dynastie — prière pour gagner au jeu — commencer le jeu se disait : entrer dans la salle du Tribunal des Trente, et la formule pour annoncer le gagnant était Tu es justifié, qui était le terme juridique en usage dans les sentences judiciaires. "Dans sa conception même, le jeu égyptien — du moins le jeu disputé entre des partenaires — était lié par la mystique à l'emploi du nombre 30. »

Si l'on a donné à l'une de' ces plaquettes la forme d'une grenouille, ne serait-ce pas que celle-ci, symbole d'Haqit, la déesse-grenouille, funéraire et de résurrection, évoque la salle du tribunal de l'au-delà où le défunt sera jugé et se justifiera ? Elle s'associe, en effet, à la déesse de la Justice et de. Vérité, et les juges en sont leurs prêtres1; à la déesse Maât, qui introduit le défunt dans la salle du Jugement, la « salle de la double Justice » selon les textes, où a lieu la pesée des actions devant le grand juge Osiris2.

Deux tribunaux d'Athènes étaient dénommés, l'un Ватра- Xí-ouv, l'autre Ooivixioov, à cause, dit Pausanias, de leur couleur, qui rappelait celle de la grenouille et celle de la pourpre3. Mais le .mot « Phoinix » signifie autant « palmier »

1) Hopfner, 149, à propos de Haqit, déesse funéraire et de la résurrection : « Schon im A. R. erscheinen die Richter meist als ihre Priester und auch als die der Gôttin Wahrheit » ; ibid. : « Hierzu kommt das in einem hiera- tischen Papyrus zu Kairo (éd. Daressy), in dem Satze : « leh (der Verstorbene) « wandere als Gerechte mit der Sonnenscheibe zu dem Hause dessen, der das « zweite Leben wiederholt », le groupe signifiant « das Leben wiederholt », avec la grenouille comme déterminatif ; Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 218.

2) Sur le jugement de l'âme dans la salle de Vérité, Pierret, Diet. ďarch. égyptienne, 1875, 282, s. v. Jugement; ibid., 561, s. v. Vérité; Id., Le livre des Morts des anciens Égyptiens, 1882, chap. GXXV : « Chapitre d'entrer dans la salle de Vérité et de séparer l'homme de ses péchés, afin qu'il voie la face des dieux » ; 385, chap. GXXV, tableau représentant la grande salle de la Vérité, où le défunt va être jugé ; à l'entrée de la salle, le défunt est introduit par la Vérité ; il dit : « Je me présente devant le Maître de l'Éternité », etc. ; Daressy, MP, XXV, 1921-2, 93 sq. Représentation de ce jugement sur les sarcophages, Maspero, Guide du Musée égyptien de Marseille, 1889, 37-8 ; Daressy, Une représentation égyptienne du pèsement des actions sur un papyrus du Musée du Caire, MP, XXV, 1921-2, 93 sq., 95-6.

3) Pausanias, I, chap. XXVIII, 8; cf. PW, s. v. Batrachioun.

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que la couleur pourpre, et il est plus vraisemblable de penser que ces tribunaux tenaient leurs noms du symbolisme de la grenouille et du palmier, que nous trouvons précisément associés dans Гех-voto de Cypsélos et ailleurs1, comme dans le jeu égyptien précédemment cité, dont une autre plaquette porte l'image d'un palmier2.

La comédie d'Aristophane, Les grenouilles (406 av. J.-C), unit aussi les grenouilles au jugement funèbre. Dionysos, dieu du théâtre, mais aussi dieu chtonien, descend aux Enfers pour en ramener un poète tragique qui lui donne satisfaction. Il traverse le marais infernal sur la barque de Gharon, accompagné du chœur des grenouilles. Après avoir frappé à la porte de Pluton, il est reçu par Éaque; il assiste au jugement que Pluton a institué pour déterminer la valeur respective des deux tragiques, Eschyle et Euripide ; l'épreuve se fait, comme dans la psychostasie, en pesant à la balance les vers que les deux poètes se jettent à la tête3.

Devant le tribunal suprême, le défunt doit dire la vérité et se justifier. On lit dans un papyrus magique égyptien : « Moyen de les forcer à parler. Tu jettes une tête de grenouille dans la poêle, et ils parleront4. » Nous avons mentionné, plus haut5, la croyance antique, perpétuée dans la superstition moderne, que la langue de grenouille permet de faire dire la vérité à une femme endormie ; la grenouille oblige aussi les voleurs à se confesser ; ailleurs, on conseille de nouer la bouche d'une grenouille avec une laine rouge pour obtenir un jugement favorable6. Et comme dans le christianisme la grenouille et le crapaud sont devenus les symboles des vices,

1) Cf. plus loin, n° 24, La grenouille et l'arbre. 2) « Jeu Garnavon », XIIe dyn., de Deir-el-Bahari, provenant d'une tombe

d'Amenemnès IV (1800-1792), Drioton, Bull. Soc. ďarch. copte, VI, 1940, 189, n° C, pi. IV, A. 3) Le mémoire de Sedgevick, The Frog and the audiense, . Classica and

Mediaevalia, 9, 1948, 1, n'a aucun rapport avec ce sujet. 4) Lexa, La magie dans VÉgyple antique, II, 136, 4 (grimoire démotique de

Londres et de Ley de). 5) Cf. n° 16. 6) Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 131.

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l'Injustice sera une femme qui tient comme la Justice une épée dans la main droite, mais à ses pieds gisent les tables brisées de la loi, et la balance, et elle élève dans sa main gauche un crapaud, symbole d'avarice, dit Ripa1, parce que l'injustice procède de l'avarice, des intérêts particuliers et terrestres. Ne retrouve-t-on pas là le souvenir des croyances antiques ?2

19. La grenouille et le soleil

Sérapion supposait que les grenouilles de Гех-voto de Cypsélos évoquaient le soleil, ce dont Plutarque se gausse, à tort, remarque Jacoby. Habitant des lieux humides, la grenouille craint naturellement le soleil qui peut les dessécher et la faire périr, ce dont la fable donne maint témoignage. Il n'est donc pas étonnant qu'un peu partout elle soit en relation avec le feu céleste, le soleil ; que l'eau s'associe avec le feu, ces deux éléments primordiaux indispensables à la vie, que vénéraient les Égyptiens. Dans leur cosmogonie, les divinités à tête de grenouille assistent à la naissance du soleil ; elles portent parfois sur leur tête le scarabée solaire ; la grenouille, symbole de fécondité et de renaissance, accompagne le nom du Nil qui féconde l'Egypte sous l'action solaire ; des divinités solaires ont des têtes de grenouille, Hor, Ammon-Râ, Kouk3 ; et si Nefertoum enfant est assis sur le lotus, symbole du soleil levant qui naît des eaux, on voit aussi le disque solaire, monté sur une tige de lotus, à l'intérieur duquel une grenouille est accroupie. M. Guilmot a signalé plusieurs documents caractéristiques, véritables prototypes de Гех-voto de Gypsélos, illustrant la cosmogonie hermopolitaine. Ainsi, sur un sarcophage de bélier, de l'époque ptolémaïque, une tige végétale

1) Ripa, Iconologie, éd. Padoue, 1625, 320, s. v. Iniustizia, fig. 2) A croire les assertions des mages, dit Pline, HN, XXXII, chap. XVIII,

les grenouilles seraient plus utiles à la société que les lois : Addunt etiamnum alia Magi, quae si vera sunt, mullo utiliores vitae existimentur ranae, quam leges. Ce rapprochement de la grenouille et des lois est curieux.

3) Kouk, dieu grenouille, qui fait lever le soleil ; Sethe, Amun und die acht Urgôtter von Hermopolis, 1929, par. 149 ; Chronique ď Egypte, n° 43, 1947, 246.

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aquatique, accostée d'un côté par les quatre dieux grenouilles, de l'autre par les quatre dieux serpents, est surmontée par l'enfant solaire Nefertoum, le doigt à la bouche, qui s'élève dans les airs, soutenu par Hout et Hauhet1. Cette parenté entre le batracien et le feu céleste explique pourquoi il a été choisi pour décorer des lampes, des thymiateria, etc., soit des ustensiles pour le feu et la lumière ; pourquoi il sert d'amulette contre l'incendie, la foudre, la fièvre2.

20. La grenouille et le lion

Animal du soleil et de sa force fécondante, le lion est le phallus des dieux solaires ; il symbolise l'inondation du Nil qui fertilise la terre d'Egypte quand le soleil est dans le signe du Lion. Il y a entre le lion du feu céleste et l'eau une connexion intime, et selon Élien, les Égyptiens attribuaient au feu la partie antérieure de l'animal, à l'eau la partie postérieure. Cette relation explique non seulement les gargouilles égyptiennes qui déversent leur eau par des protomés de lion, usage devenu général, en Grèce comme ailleurs, mais aussi certaines représentations, dont on connaît des exemples en Grèce dès l'archaïsme, où des grenouilles sont associées au lion3.

21. La grenouille et le serpent

On voyait, à la base du palmier de Cypsélos, des hydres et des grenouilles.

Ce batracien est souvent groupé avec d'autres animaux :

1) Guilmot, Chronique ď Egypte, n° 43, 1947, 247-8, fig. ; Mariette, Monuments divers recueillis en Egypte et en Nubie, pi. 46. — Guilmot, 246 : « Les documents égyptiens expliquent que les quatre grenouilles et les quatre serpents firent jaillir de l'eau primordiale une fleur de lotus dans laquelle était caché le soleil ; le jeune dieu Nefer-toum sortit alors de la fleur et éclaira le monde. » '

2) Cf. sur ces rapports entre la grenouille, le soleil, le feu, mon mémoire La grenouille et Je lion, ВС H, LXXIV, 1950, I.

3) Cf. mon mémoire La grenouille et le lion, BCH, LXXIV, 1950, I.

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lézard1, tortue2, crabe3, sauterelle4, grue5, aigle6, etc.7, et souvent avec un sens symbolique, qu'il n'y a pas lieu de rechercher ici. Certains lui sont hostiles et en font leur nourriture ; il craint surtout l'hydre, serpent d'eau8, antagonisme qui inspire le fabuliste9, s'exprime dans les superstitions antiques et modernes10, et dans quelques monuments : sur un pied

1) Deonna, Sauriens et batraciens, RÉG, XXXII, 1919, 132; 141, H, Batraciens et sauriens ; 146, III, Sauras et Batrachos.

2) Grenouille et tortue, gemme, Cades, 49, 31 ; Imhoff-Blumer et Keller, Tier- und Pflanzenbilder, 138, n° 50 ; crapaud cherchant à monter par derrière sur une tortue, gemme, ibid., 138, n° 50. Cf. plus haut, substitution de la tortue à la grenouille dans certains thèmes.

3) Crabe, au-dessus duquel une grenouille, lampe romaine, Bachofen, Rômische Grablampev, pi. XIX, 3; JDAI, XXVII, 1912, 153, n° 81 a; même motif, fond de coupe de Calés, Potenza, Pagenstecher, JDAI, XXVII, 1912, 153, n° 80 k; Id., Die calenische Reliefkeramik, 1909, 63, n° 80, pi. II ; 105, n° 231. Grenouilles luttant contre des crabes, gemmes gréco-romaines, Furtwaengler, Antike Gemmen, II, 220, pi. XLV, n° 59, type connu par d'autres exemples (ibid.). Dans la Batrachyomomachie, les crabes mettent fin à la lutte entre les grenouilles et les rats, en venant au secours des premières, et en rongeant les pattes des rats qui s'enfuient. Noter que si Persée fait taire les grenouilles de Sériphos, le crabe lui est consacré dans cette île, Tûmpel, Der Karabos des Perseus, Philol., VII, Neue Folge, 544 ; cf. Année sociol, II, 1897-8, 125.

4) Cf. plus loin, n° 28. 5) Fragment de vase, avec relief, grue luttant contre un serpent, grue contre

une grenouille, grue contre une chouette, de Ridder, Bronzes antiques du Louvre, II, 1915, 134, n° 2975,' pi. 105.

6) Anse de bronze, « les appliques formées d'un aigle de face liant une grenouille » ou par un muffle de taureau, de Ridder, III, 124, n° 2860.

7) Gemmes prophylactiques (autour du mauvais œil, tortue, crabe, serpent, abeille, lézard, scorpion, grenouille), Jahn, Ûber den Aberglauben, pi. III, nos 5, 6 ; clou prophylactique, ibid., pi. III, n° 9 ; lampe (phallus, grenouille, scorpion, escargot), ibid., pi. IV, 1.

8) Virgile, Géorgiques, III, 431 ; Plutarque, Causes naturelles, quest. II, citant Aratus, Œuvres morales, éd. Вето laud, IV, 1870, 105 ; Aelian, De natur. anim., XII, chap. XV ; Id., Variae hist., I, chap. HI ; cf. PW, s. v. Frosch, 113 ; JDAI, I, 1886, 52 ; antagonisme entre l'hydre et le crocodile, Physiologus, dans le symbolisme chrétien, Athenaeum, XXVII, 1949, 267.

9) La fable des grenouilles qui demandent un roi ; impatienté de leurs réclamations, Zeus leur envoie une hydre qui les croque ; cf. plus loin, n° 27. Dans la fable d'ÉsoPE, La vipère et l'hydre, éd. Chambry, 1927, n° 52, une vipère et une hydre se battent pour savoir qui aurait la possession de la terre et de l'eau ; par haine de l'hydre, les grenouilles promettent leur appui à l'une, mais se bornent à pousser de grandes clameurs. Dans la Batrachyomachie, une hydre apparaît, et le roi des grenouilles, terrifié, plonge, abandonne à son sort le rat qu'il portait sur son dos. De Gubernatis, Mythologie zoologique, II, 1874, 395, cite un conte hindou où le roi des grenouilles invoque l'aide d'un serpent noir, pour se venger de certaines grenouilles ennemies, ce qui entraîne la mort de toutes les grenouilles.

10) Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 132; PW, s. v. Frosch, 118, 132; d'après Pline, HN, XXX, chap. XLIV, talisman servant à la délivrance des femmes, obtenu en séparant une grenouille d'un serpent. Ci-dessus, n° 16 : de même pour le crapaud, Sébillot, Le folklore de France, III, 262.

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d'objet mobilier de Sousse (Hadrumète), un serpent enlace et étouffe une grenouille1 ; ailleurs, des serpents, formant une sorte de lyre, agissent de même2.

L'association de la grenouille et du serpent n'est, cependant, pas toujours ennemie. Les uns et les autres sont des animaux élémentaires qui naissent spontanément du limon3, et les divinités primordiales de l'ogdoade égyptienne ont, les unes des têtes de grenouilles, les autres des têtes de serpents4. Le symbolisme du serpent est souvent analogue à celui de la grenouille5. Il est emblème de fécondité terrestre et humaine ; changeant chaque année de peau, il se renouvelle et se rajeunit sans cesse6, tout comme le soleil qui se recrée sans cesse dans sa course, et il devient symbole de renaissance7, du temps, de l'année au recommencement perpétuel8, d'éternité et, mordant sa queue, il en exprime le cercle infini9.

1) Bull. Corn. Trav. hist., 1911, CXCII ; Calai, du Musée Alaoui, 2e suppl. (Merlin), 1921, 152, n» 471.

2) Jacobsthal, Early Celtic art, I, 1944, 54, п. 7 ; Salmony, Sino-siberian art in the coll. of C. T. Loo, pi. 23, 5, 6 ; Jacobsthal renvoie encore à Yetts, Eumorfopoulos Coll., 2, pi. 47, n° B, 153.

3) Hérodote, I, 78 ; Pline, HN, VIII, chap. LXXXIV ; Macrobe, Saturn., VII, chap. XVI ; Artémidore, Oneir., II, 13 ; cf. Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 190, 220.

4) Ci-dessus, n° 15. 5) Hopfner, Der Tierkult d. alien Aegypter, 1913, 136, Die Schlange. 6) Ibid., 139. 7) Macrobe, Saturn., I, chap. XX : « De même que les serpents rajeunissent

chaque année, en se dépouillant de leur peau. C'est pour la même raison que le serpent représente le soleil, parce que cet astre est toujours ramené du point de sa plus grande déclinaison, qui est en quelque sorte sa vieillesse à celui de sa plus grande hauteur, où il semble recouvrer la force de la jeunesse... On prouve aussi que le serpent draco est un des principaux emblèmes du soleil... son œil perçant et vigilant participe, dit-on, de la nature du soleil. » Cf. Jacoby, 226 ; Hopfner, 142.

8) Horapollon, I, n. 2 ; Pierius Valerianus, Hieroglyphica, éd. Bâle, 1556, 102 verso sq. (Mundi machina; Iuveniuti redditus ; Tempus ; Aelerniias, Basiliscus). — Pierret, Le livre des Morts des anciens Égyptiens, 1882, chap. 87 : « Je suis le serpent, fils de la terre, multipliant les années. Je me couche et suis enfanté chaque jour. Je suis le serpent, fils de la terre, aux confins de la terre. Je me couche et suis enfanté, renouvelé, rajeuni chaque jour. »

9) Macrobe, Saturn., I, chap. IX : « De là vient aussi que les Phéniciens l'ont représenté dans leurs temples sous la figure d'un dragon roulé en cercle et dévorant sa queue, pour désigner que le monde s'alimente de lui-même et se replie sur lui-même... le monde, c'est-à-dire le ciel... parce que le monde va toujours roulant sur lui-même, sous sa forme de globe » ; en Egypte, Hopfner, 138. Le serpent qui se mord la queue paraît déjà sur un relief chaldéen (deux serpents entrelacés, en cette position, entre deux personnages) ; Mém. Délégation en Perse,

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Hécate est parfois dite « Phrynitis » (crapaud)1 ; elle a comme attribut le serpent2, peut-être, a-t-on pensé, comme symbole du temps3, sa triplicité signifiant le Temps éternel4. Sur un cachet en steatite de Cnossos, de style géométrique5, un personnage décoche une flèche contre un centaure ; devant la bête se tient une grenouille ; un des autres côtés porte le même personnage que celui de la face principale, et de sa main gauche part une ligne en zigzag qui représente probablement un serpent. M. Demargne rattache cette représentation au thème d'Héraklès, rappelant que la destruction des serpents faisait partie de sa légende, et, tout en mentionnant le rôle prophylactique de la grenouille, ne voit en elle qu'un motif pour remplir le champ6. Toutefois, la réunion du serpent, si c'en est un — ce qui est douteux — et de la grenouille sur ce petit monument, pourrait avoir une autre signification. On a trouvé, dans un bassin, vivier sacré du sanctuaire syrien du Janicule, des figurines de grenouilles et de serpents, avec une statuette d'Héraklès aux prises avec l'hydre7. Nous avons déjà cité une figurine gréco- romaine où Harpocrate phallique pose un pied sur une grenouille, l'autre sur deux uraeus8 ; un autre bronze gréco-romain d'une déesse allaitant un enfant au maillot, sur la base de laquelle grouillent grenouille, tortue, lézard, tandis qu'un serpent dresse sa tête vers elle9. Une lampe romaine en bronze de Velleia, au Musée de Parme, a la forme d'une grenouille ou d'un crapaud, la poignée à la partie postérieure de l'animal est faite de deux serpents

Pottier, XIII, pi. XXXVII, 8 ; Toscanne, ibid., XI, 1911, 296, fig. 394. Le sens d'éternité du serpent « ouroboros » est bien connu en tout temps. Serpent comme symbole du temps, Devéria, Musée du Louvre, Calai, des ms. égyptiens, 1881, 51-2; Leglay, Mél. École de Rome, LX, 1948, 136 sq., etc.

1) Cf. n° 11. 2) Leglay, Mélanges École de Rome, LX, 1948, 142, n. 1, réf- 3) Ibid., 136 sq. 4) Ibid., 143. 5) Perrot, HA, IX, 4, pi. I, 1 ; pi. II, 9, 20. 6) Demargne, BCH, LUI, 1929, 122. 7) Gauckler, Le sanctuaire syrien du Janicule, 269 ; Syria, XXVI, 1949,

162, n. 1 (ces figurines ont disparu). 8) De Ridder, Bronzes antiques du Louvre, I, 1913, 90, n° 637, pi. 44. 9) De Ridder, Bronzes antiques du Louvre, I, 1913, 102, n° 744, pi. 51.

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noués1. Un abraxas porte au revers une grenouille et un serpent en face l'un de l'autre, et King y reconnaît le symbolisme égyptien du printemps et de la renaissance2. Eitrem signale d'autres exemples de cette antique association3, qui persiste dans l'art du Moyen âge4.

IV. — L'arbre, les serpents et les grenouilles

Nous avons, jusqu'ici, étudié séparément les divers éléments de Гех-voto de Gypsélos : palmier, grenouilles, serpents. Examinons maintenant leur réunion.

22. Le serpent et l'arbre

Dès l'ancien Orient5, et durant les civilisations grecque, romaine6, le serpent est attaché à l'arbre, que celui-ci soit l'arbre de vie, celui où s'incarne la divinité ou le défunt ; il en est le gardien, le genius loci. Ce sont là des données générales bien connues, auxquelles il convient sans doute de rattacher les serpents au pied de Гех-voto de Gypsélos7. Cet

1) Aurigemma, Velleia, IHnerarii del Musei e monumenli ď Italia, n° 73, 1940, 73, fig.

2) King, The gnostics and their remains, ancient and mediaeval (2), 1887, 364 : « Ancient emblems of Spring, but probably here in their mediaeval sense as types of the Resurrection of the body. »

3) Eitrem, Symbolae osloenses, XI, 1932, 113, n. 2. 4) Dans l'art funéraire, avec le sens de renaissance, éternité, ci-dessus, n° 17 :

serpent et crapauds infernaux, sur le dos du « Prince du Monde », le Tentateur, à la cathédrale de Strasbourg, Réau, L'art religieux du Moyen âge, La sculpture, 1946, pi. 92 ; crapauds et serpents mordant les réprouvés. Ces représentations seraient, selon Eitrem, une survivance antique, Symbolae osloenses, XII, 1932, 112, n. 1.

5) Toscanne, Mém. Délég. en Perse, XI, 1911, 153. Étude sur le serpent, figure et symbole dans l'antiquité élamite ; 156, Le serpent et l'arbre sacré ; 165, Le serpent debout mangeant des fruits de l'arbre de vie ; 172, Le serpent enroulé sur l'arbre de vie, etc.

6) Bôtticher, Der Baumkultus der Hellenen, 1856, 204, Schlangen als Huter des heiligen Baumes ; PW, s. v. Baumkultus, 166 ; sur ce thème bien connu, Deonna, L'arbre, le serpent et la jeune femme, Mélanges H. Grégoire, 1949, 197.

7) Eitrem, Symbolae osloenses, VII, 1928, 81 : « Es scheint ein verbreitetes und gewiss uraltes Motiv der Kunst, zu sein, ein Reptil d. dgl. am Fusse eines Baumes (einer Saule), oder einen Baum klettemd darzustellen. » (En rappelant le palmier de Cypsélos, et les colonnes du temple de Jupiter Stator à Rome.)

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arbre est souvent le palmier, arbre de vie, de fécondité par excellence, dont nous avons dit plus haut le symbolisme, en Orient1, où le reptile gardien s'enroule autour de son stipe2, et plus tard encore3 : lors de sa traversée d'Épidaure à Rome, le serpent sacré descendit à Antium et y resta trois jours enroulé autour d'un palmier, avant de reprendre sa place sur le navire4.

23. La grenouille comme support

La grenouille sert de support à divers objets. Un de ces batraciens, en pierre, de Warka, devait recevoir sur son dos une tige ou une figure5 ; un autre, en bronze, de Kish, au Field Museum, est surmonté d'une tige qui se divise en 3 branches, comme une sorte de trident6. Nous avons mentionné plus haut7 plusieurs monuments où elle porte sur son dos, en tant que symbole de fécondité, Harpocrate, un Pyg- mée, une femme nue tenant elle-même sur ses épaules un Bès, en des figurines gréco-égyptiennes ; une femme nue aux crotales, manches de miroirs grecs archaïques ; et poursuivi ce schéma jusque dans l'art de la Renaissance. Des pieds d'objets mobiliers8 de style gréco-oriental et archaïque, puis ultérieur,

1) Toscanne, 159, 170, 183, 208, 219, Le serpent et le palmier. 2) Toscanne, /. c. ; Danthine, Le palmier-dattier, 106, flg. 9, n° 1208. 3) Sur un lécythe à flg. noires, Apollon enfant, dans les bras de Léto, tire

de l'arc contre le serpent Python, caché dans des rochers devant lesquels se dressent des palmiers, Pfuhl, Malerei und Zeichnung d. Griechen, III, pi. 75, n° 284. Sur une monnaie, un serpent devant Hygie, derrière elle un palmier, Roscher, Lexikon, s. v. Hygieia, 2791, flg.

4) Valère-Maxime, I, chap. 2 : « Là, le serpent qui, partout ailleurs, était demeuré dans le vaisseau, en sortit, se dirigea vers le vestibule du temple d'Es- culape, et s'entortilla autour d'un palmier dont la cime superbe dominait majestueusement un myrte touffu. Il y reste trois jours, pendant lesquels on lui apporta sa nourriture. » Cf. Botticher, 420 ; Besnier, L'île Tibérine dans Vanliquité, 155.

5) Gadd, The Brit. Mus. Quarterly, IX, n° 2, 1934, 44 sq., pi. XI, 5 ; Syria, 16, 1935, 223. D. Van Buren, The fauna of ancient Mesopotamia as represented in art, Analecta orientalia, n° 18, 1939, 102 (Frog).

6) Pijoan, Summa artis, II, Asia, 1931, 50, fig. 67. Rapprocher d'un motif sur une empreinte, sorte de trident monté verticalement sur un socle (autel ?), Toscanne, Mém. Délég. en Perse, XI, 1911, 198, flg. 377, Le trident et la foudre de Hadad.

7) Cf. no 16. 8) JDAI, I, 1886, 48 ; Michaelis, Arch. Zeil., XXI, 43 ; Jahn, Ber. sàchs.

Gesell d. Wiss., 1855 ; Id., Ficoronische Cista, 36 ; Mon. antichi, VII, 1897, 299 ; VIII, 339.

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de trépieds, de candélabres, de thymiatéria, posent sur des grenouilles, soit directement1, soit par l'intermédiaire d'un pied de biche2, d'une griffe de lion3 ; dans l'art romain encore, un pied de meuble est fait d'une grenouille qu'un serpent enlace4. La fréquence de cet emploi du batracien comme support semble bien ne pas procéder d'une simple fantaisie décorative, mais d'une pensée symbolique5. Une image égyptienne est caractéristique : la grenouille à queue de têtard, symbole de temps indéfini, sur le sceau (domination), supporte le sceptre des panégyries, soit une branche dentelée, sans doute végétale, lorsque des vœux de domination éternelle sont exprimés en l'honneur des rois ; Birch l'entend dans le sens de « renouvellement indéfini d'existence »6.

24. La grenouille et la plante, l'arbre

La grenouille amphibie grimpe aux tiges des plantes aquatiques, elle monte aux arbres pour annoncer la pluie7. Au milieu du bol en terre cuite de Tell er Retabeh8, elle est accroupie au sommet d'une tige verticale, qui veut sans doute rappeler celle d'un végétal, du lotus, émergeant de l'eau quand le récipient était rempli. La grenouille Haqit surmonte une tige

1) Longpérier, Notice sur les Bronzes antiques, Louvre, I, 1879, 211, n° 982, 983 : « Deux grenouilles sur le dos desquelles s'élève une tige de plante. Ces bronzes ont servi de pieds à des vases ou à un candélabre » ; de Ridder, Bronzes antiques du Louvre, II, 1915, 156, n08 3200-1, pieds de candélabres : « Grenouilles accroupies, les pattes écartées, les tiges partant du dos et munies de gourmands ; les pieds du candélabre reposent sur les grenouilles. »

2) Froehner, Collection Gréau, Les bronzes antiques, 1885, 13, n° 44 : thymia- terion « base formée de 3 pieds de biches surmontés de 3 colombes et portant sur 3 grenouilles ».

3) Cf. ex. plus haut, n° 21, La grenouille et le lion. Pieds de trépieds grecs archaïques ; cistes étrusques du ine siècle.

4) Bull. Com. Trav. hist, 1911, CXCII ; Calai. Musée Alaoui, 2e-suppl. (Merlin), 1921, 152, n° 471.

5) Serait-ce parce que la grenouille, à l'origine du monde, le supporte sur son dos dans certains mythes ?

6) RA, VIII, 1851, 24, n. H, fig. 7) Pline, HN, XXXII, chap. 29 ; PW, s. v. Frosch, 116 ; Hoffmann- Krayer,

s. v. Frosch, 125 ; ci-dessus, n° 15. Cf. l'arbre aux grenouilles, marque de l'imprimeur Froschauer de Bâle, xvie siècle, I, n° 2.

8) Pétrie, Hyksos and Isrealite Cities, 1906, 31, pi. XXXI ; ci-dessus, n° 20, La grenouille et le lion.

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de lotus, parfois placée à l'intérieur du disque solaire1, et la fleur ou la feuille de lotus, symbole solaire de renaissance2, l'accompagne sur divers monuments3. Elle surmonte la tige de papyrus4, de signification analogue5. Elle s'associe aussi au palmier, à la palme, dont nous avons dit les sens équivalents, entre autres de fécondité, fertilité, renaissance. Elle est symbole de fécondité féminine, accompagne la femme qui, dans des figurines accroupies, confond son attitude avec la sienne, s'identifie en quelque sorte à elle6, et l'on en rapprochera des figurines orientales de la déesse nue sur le sexe ou l'abdomen de laquelle est inscrite la palme de fécondité7. Des sceptres égyptiens sont faits d'une tige de palmier terminée par une grenouille*. Sur des lampes chrétiennes au type du batracien, celui-ci peut s'unir à des palmes, ou être remplacé par elles9. Nous avons déjà noté l'association de la grenouille et du palmier dans un jeu égyptien, dans la dénomination de tribunaux athéniens10. Et rappelons que la grenouille a des affinités avec des divinités grecques dont le palmier est l'attribut, Apollon, Léto, Artémis, Dionysos11. Les palmes demeurent

1) Jacoby, Sphinx, VII, 1903, 222, flg. ; Lanzone, Diz. di mil. eg., 1881, pi. CCLIX, n° 5. Ci-dessus, n° 19, La grenouille et le soleil. Oenochoé hellénistique à représentations égyptiennes, de Egyed, Hongrie, grenouille sur une tige ou un piédestal à fleur de lotus, entre des divinités, v. Bissing, Die Darstellungen auf den Gefâssen von Egyed, JDAI, XXIV, 1909, 40 sq., 41, flg. 6, pi. 4.

2) Pierret, Diet. ďarch. eg., 1875, 308, Lotus ; Perdrizet, Bronzes grecs, 1911, 46.

3) Nous en avons déjà cité plusieurs, cf. n° 1 6 : femme debout sur une grenouille, elle-même sur une fleur de lotus (la femme portant Bès sur ses épaules) ; grenouille en bronze, sur une feuille de lotus, lampe ; Harpocrate assis sur une fleur de lotus, le pied droit sur une grenouille, etc.

4) Spiegelberg, Sphinx, VII, 1903, 219, flg., réf.; Perdrizet, Terres cuites, 135.

5) Tige de papyrus, symbole de fraîcheur, jeunesse, résurrection, Lexa, La magie dans l'Egypte antique, I, 88, 93, pi. XLVI, fig. 72 (amulette) ; Perdrizet, Bronzes grecs, 46.

6) Ci-dessus, n° 16, La femme et la fécondité humaine. 7) Mélanges Univ. S. Joseph de Beyrouth, XXVII, 1947-8, 14, 18 (comme

symboles de fécondité). 8) Ci-dessus, n° 23, La grenouille comme support. Gayet, L'art copte, 93 :

« Le sceptre de la déesse Таг, qui préside au renouveau, se compose de la tige de palmier, terminée par le sceau du mystère sur lequel la grenouille s'accroupit »

9) Ci-dessus, n° 17, La grenouille et le renouveau, etc. 10) Ci-dessus, n° 18, La grenouille et le jugement. 11) Ci-dessus, n° 11, Grenouilles et dieux grecs.

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l'ex-voto de cypsélos a delphes 47

associées à la grenouille dans certaines superstitions populaires. Pour obtenir que ses cris n'importunent pas, on jette 3 petites palmes dans la mare de la maison, le jour de la fête des Rameaux1.

25. La grenouille et l'édifice, la colonne, le pilier

On ne peut rien déduire d'un fragment archaïque en poros de Delphes, orné d'une grenouille, sinon qu'il avait une destination architecturale, et pourrait provenir, non d'une métope, mais d'un fronton2. Au dire de Pline3, une grenouille et un lézard étaient sculptés au temple de Jupiter Stator et de Juno Regina, à Rome, construit en 149 av. J.-C, in columnarum spiris, sur les bases des colonnes4, les architecte» Sauras et Batrachos ayant choisi ce moyen détourné pour faire connaître par ces emblèmes parlants leurs noms qu'on refusait d'inscrire sur l'édifice5. Un chapiteau ionique de S. Lorenzo fuori le Mura à Rome montre encore aujourd'hui, dans une des volutes une grenouille, dans l'autre un lézard. Winckelmann y reconnaissait un de ceux que Pline avait signalés, mais il date du xine siècle6. Ces deux animaux sont aussi unis sur un chapiteau de S. Giovanni in Laterano7. Sur un dessin de Piranese, une base de colonne ionique, qu'il attribuait au temple de Jupiter Stator, porte dans des rin-

1) Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 130 ; on court aussi 3 fois autour de l'étang aux grenouilles sans dire un mot ; le Vendredi Saint, on y jette des os de morts.

2) Fouilles de Delphes, IV, 31, n° 15 ; La Coste-Messelière, Au Musée de Delphes, 1936, 108, n. 5 (il n'est pas certain que ce fragment provienne du monoptère sicyonien).

3) Pline, HN, XXXVI, chap. IV, 28. 4) Sur la signification des mots, in columnarum spiris, Thiersch, 160-163 ;

des bases de colonnes ioniques seraient désignées par le terme сггаТроа dans une inscription d'Aphrodisias de Carie ; cf. L. Robert, Bull, épigr., 1948, 211 ; contre Jagopi qui y voit des volutes de chapiteaux, Mon. ant., 38, 1939, 227, n. 8 ; chez. Vitruve, III, 5, 1, spira : base ; cf. REG, 1949, 169.

5) Thiersch, Zu Sauras und Batrachos, RM, XXIII, 1908, 153; Deonna, Sauriens et batraciens, RÉG, XXXII, 1919, 143, n. 3, réf. ; 146, III, Sauras et Batrachos ; PW, s. v. Batrachos, n° 2 ; Roscher, s. v. Jupiter Stator, 682, 685 ; Eitrem, Symbolae osloenses, VII, 1928, 81-2; XI, 1932, 112.

6) Giovannoni, Varie, XI, fasc. IV, 274-5, flg. 10, 11 ; Thiersch, 152 sq.r fig. 1-2, 165 ; Deonna, RÉG, XXXII, 1919, 142, n. 8 ; Eitrem, VII, 1928, 82.

7) Giovannoni, 15 ; Thiersch, 166 ; Deonna, 143.

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ceaux un lézard et un autre animal, qui est une sorte de salamandre et non une grenouille, cette dernière ayant pu être représentée sur une autre partie de cette ornementation1.

On a discuté le texte de Pline et ces documents figurés. Thiersch a été tenté d'admettre la véracité de l'assertion de Pline, l'existence des deux architectes Sauras et Batrachos, bien que nous connaissions le nom de celui qui édifia le temple de Jupiter Stator, Hermodoros2, de reconnaître dans les sculptures ultérieures le souvenir du motif romain. Afïirmatif au début de son mémoire, il devient plus dubitatif à la fin. Il ne s'agit sans doute que d'une légende iconographique, née d'un thème mal compris. Mais Thiersch repousse avec raison la pensée qu'il ne s'agissait que d'une « rein dekorative Spie- lerei, ohne jeden besondern Nebensinn », et suppose que la présence de ces animaux sur les colonnes du temple de Jupiter Stator devait avoir quelque signification, qu'il ne précise pas3. Selon Eitrem, la grenouille servait ici d'apotropaion contre l'incendie ou la foudre4, attribuée en cette qualité à Jupiter Fulgurator, le Jupiter Stator étant représenté sur des monnaies avec la hache de la foudre5.

On peut cependant envisager une autre interprétation. L'épithète Stator, équivalent de Op6warioç6, fait allusion au rôle du dieu stabilisateur ; il est non seulement soutien de l'Empire romain7, mais du monde, Stator et conservator8, ailleurs conservator totius poli9, ou totius mundi, assurant la stabi-

1) Thiersch, 161, fig. 3; Deonna, 143, réf. 2) Thiersch, 164-5, rappelle que divers artistes portaient des noms « par

lants », que Sauras et Batrachos pouvaient avoir travaillé sous les ordres d'Her- modoros, architecte en chef, le seul autorisé à indiquer son nom.

3) Ibid., 166. 4) Cf. n° 19, La grenouille et le soleil. 5) Eitrem, Symbolae osloenses, VII, 1928, 82. 6) Ëpithète de Zeus, aussi de Jupiter Stator, selon Den. Halicarn., PW,

s. v. Orthosios. 7) PW, s. v. Stator, stabilitor, « der Festiger der rômischen Macht und des

rômischen Reiches » ; Cicéron, Contre Caïilina, XIII : « Tu... Jupiter... quem Statorem hujus urbis atque imperii vere nominamus... ».

8) Ibid., PW, Л с. 9) Jupiter Dolichenus ; cf. Kahn, Juppiter Dolichenus, 1943, nos 141, 145,

149 ; cf. Mél. Univers. S. Joseph de Beyrouth, XXVII, n° 2, 1947-8, 35.

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l'ex-voto de cypsélos a delphes 49

Iité du cosmos. Ce rôle de soutien apparaît dans une autre épithète de Jupiter, Tigillus, soit pieu, soliveau (tigillum)1. Dixerunt eum Victorem, Invictum, Opitulum, Impulsorem, Statorem, Centumpedam, Supinalem, Tigillum, Almum, Rumi- num, el alia quae persequi longum est. Haec autem cognomina imposuerunt uni deo, propler causám potestatesque diversas, non tamen propter tot res etiam tot deos eum esse cogerunl : quod... haberet... siatuendi, stabiliendi... potestatem, quo tanquam tigillus mundum contineret ac suslinerei2. Sculptées sur les bases des colonnes qui sont les soutiens du temple, les grenouilles unissent leur symbolisme de fécondité, d'immortalité, à celui du dieu stabilisateur, du tigillum divin qui soutient et maintient le monde, comme elles s'unissent, avec une signification analogue, au palmier, arbre de vie, arbre cosmique, de l'ex-voto de Cypsélos.

Serait-ce pour la même raison qu'Artémis Orthia reçoit čorrtme ex-voto dans son sanctuaire de Sparte des grenouilles ? On a rapproché « Orthia » de « Orthosia », 'Орбохтса3, épithète qu'elle porte ailleurs encore, analogue à celle de Zeus Orthosios, soit Stator, et dérivée assurément de 'Орбос4. Nilsson la ramène au rôle d'Artémis comme déesse de l'arbre et de la fertilité5, et Dawkins pense qu'elle évoque l'apparence primitive de la déesse, comme pilier6. Et n'avons- nous pas vu que la grenouille, elle aupsi, joue le rôle de support7 ?

1) PW, s. v. Tigillus ;«Roscher, s. v. Juppiter, 752. On a rapproché de cette épithète le tigillum sororium, lieu dit où Horace avait tué sa sœur, et en expiation avait passé sous un tigillum, barre de bois supportée par deux poutres verticales, érigées en cet endroit, duo tigilla, tertio superjectr. Le Tigillum Sororium était, sans doute, à l'origine un fétiche. PW, s. v. Sororium tigillum ; Homo, Lexique de topographie romaine, 1900, s. v. Tigillum Sororium.

, 2) Saint Augustin, La cité de Dieu, VII, chap. XI. 3) PW, s. v. Orthosia ; s. v. Orthia ; Dawkins, /. с

• 4) Sur les origines et le sens discuté du nom Orthia, Dawkins, The sanctuary of Artemis Orthia; PW, s. v. Orthia, 1394 ; s. v. Sparta ; Nilsson, Gesch. d. Griech. Religion, I, 1941, 458.

5) Nilsson, 457, Artemis in dem Baum- und Fruchtbarkeitskult. 6) Dawkins, l. c. 7) Ci-dessus, n° 23, La grenouille comme support.

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26. Les grenouilles : le peuple et les grands

Sortant en grand nombre des eaux, au point, d'avoir constitué une des plaies d'Egypte, et d'avoir obligé des habitants à émigrer1, les grenouilles sont la multitude, la masse populaire à la force aveugle, qui doit être contenue par l'autorité du souverain2. Elles-mêmes en sentent le besoin. Comme les crapauds, elles ont leur roi3, et l'on sait le rôle perfide joué par l'un d'eux dans la Batrachomyomachie4. Dressée sur son piédestal comme sur- un trône, au milieu du bol égyptien de Tell er Retabeh, la grenouille semble régner sur celles qui l'entourent nombreuses, comme sur ses sujets5. Privées de chef et craignant l'anarchie, elles en demandent à Zeus6.

La fable décrit plus d'une fois leurs relations avec les puissants de ce monde, dont elles n'ont, le plus souvent, pas à se féliciter. Le Soleil dessèche leurs étangs ; le lion, le lourd chariot, le taureau, les écrasent7. Leur coassement importune les dieux. Dionysos, traversant le marais infernal, en est excédé et voudrait leur imposer silence8. Athéna ne veut pas leur porter secours, parce qu'une fois, accablée de fatigue et désirant dormir, elle n'a pu, grâce à elles, fermer l'œil9. Le

1) Sous le règne de Cassandre, le peuple illyrien des Antariates aurait cherché un refuge en Macédoine, devant une invasion de grenouilles. Appien, Illyr., 4 ; Justin, XV, 2; cf. PW, s. v. Antariatae ; s. v. Frosch, 114, réf., Perdrizet, Bronzes grecs ď Egypte, 80-1.

2) Ватрахос, au figuré, homme de rien, misérable, vil. 3) Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 142 ; s. v. Krôte, 630. 4) Balrachomyomachie, v. 82. Certains auteurs ont reconnu dans ce poème

burlesque une création de l'Egypte ptolémaïque ; la déformation de mythes égyptiens où les grenouilles et les rats avaient rang de divinités, ou de récits relatifs aux rivalités de deux villes égyptiennes, Perdrizet, Bronzes grecs ď Egypte, 81. Il existait une « Myomachie » antérieure à Alexandre, mais la Batrachomyomachie serait née en Italie à une date assez tardive, entre l'époque de Néron et de Domitien ; elle signifierait les luttes entre Romains, les guerres de 69, et l'auteur en serait Babrius. L. Hermann, Recherches sur Babrius et la Batrachomyomachie, L'antiquité classique, XVIII, 1949, 353.

5) Pétrie, Hyksos and Isrealite Cities, 31, pi. XXXI. 6) Cf. n° 27. 7) Cf. plus haut, I, n° 3. 8) Aristophane, Grenouilles. 9) Balrachomyomachie, v. 195 sq., PW, s. v. Frosch, 114.

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• l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 51

lion est irrité de ce qu'une si grosse voix puisse sortir d'une si petite bête1. Aussi les puissants les font taire. A Sériphos, pour la même raison qu'Athéna, Persee, ou selon un autre récit Héraklès, les rend muettes2, d'où le proverbe parpa^oç èx Sspicpoo, en parlant des muets. Octave enfant prouve sa destinée glorieuse en réduisant au silence les grenouilles qui coassent dans la campagne de ses aïeux, et qui, dès lors, ne se firent plus entendre3. C'est un miracle souvent répété par les héros comme par les saints chrétiens qui, par leur puissance surnaturelle, commandent aux animaux4, et c'était une prérogative du droit féodal que de faire battre l'eau pour faire taire les grenouilles5. On comprend le sens du songe où l'homme se voit frapper sur des grenouilles, assurément pour les rendre silencieuses, présage pour lui d'élévation, de commandement, au dire d'Artémidore6. Cette soumission de la grenouille humble

1) Ésope, Le lion et la grenouille, éd. Ghambry, 1927, n° 201. 2) Pline, HN, VIII, chap. LXXXIII : « Transportées ailleurs, elles coassent,

ce qui arrive aussi, dit-on dans le Sicendus, lac de Thessalie. » « A Cyrène, les grenouilles étaient muettes, et cette espèce persiste, bien qu'on y ait transporté du continent des grenouilles coassantes. » Aelian, De Nat. anim.* III, chap. XXXVII (SSriphos) ; chap. XXXV (Cyrène). PW, s. v. Frosch, 114; s. v. Sériphos, 1731. La grenouille est devenue le symbole de l'aphonie. Papadimitriou, BCH, LXXIII, 1949, II, 378-80, attribue ce sens symbolique à une grenouille en terre cuite d'Épidaure (temple d'Apollon Maléatas) ; d'autre part Apollon était guérisseur de l'aphonie ou du bégaiement. Elle est devenue le symbole du silence, delà taciturnité, du secret, Pierius Valerianus, Hieroglyphica, éd. Bâle, 1556,211. Silentium ; Ripa, Iconologie, éd. Padoue, 1625, 594, s. v. Segretezza ; Baudoin, Iconologie, Amsterdam, 1698, 232. Ces auteurs donnent ce sens à la grenouille du cachet de Mécène.

3) Suét., Auguste, 74 ; Deonna, La légende d'Octave-Auguste, dieu sauveur et maître du monde, RHR, LXXXIII-IV, 1921, n° 45, Le silence des grenouilles.

4) Deonna, l. c, ex. ; Sébillot, Le folklore de France, III, 261 ; Hoffmann- Krayer, s. v. Frosch, 130 (Luther, etc.) ; Le Brun, Hist, critique des pratiques superstitieuses, éd. Paris, 1702, 357 (grenouilles rendues muettes par un prêtre, selon saint Ambroise).

5) Sébillot, Le folklore de France, IV, 289 ; Hoffmann-Krayer, s. v. Frosch, 130-1.

6) Artémidore, La clef des songes, trad. Vidal, 1921, 128, chap. 15. Les grenouilles : « J'ai connu un homme qui songea frapper à grands coups de poings sur des grenouilles nageant dans un étang. Aussitôt après avoir eu cette vision, cet homme, qui, jusqu'alors, avait vécu dans des situations subalternes, et méprisées, se vit investir d'autorité par son maître qui le désigna pour commander à la valetaille de la maison. J'ai interprété ce songe de la façon suivante : l'étang représentait la maison, les grenouilles ses habitants, et le geste que faisait le songeur en frappant sur les grenouilles était le signe du commandement. » Cf. PW, s. v. Frosch, 115.

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et sujette à ses chefs subsiste dans les temps modernes. Dans ses Emblèmes royales, Martinet tire de l'apologue des grenouilles qui ont osé s'attaquer au soleil et en punition ont vu celui-ci dessécher leurs étangs et les livrer en proie aux oiseaux, la moralité suivante :

Les Roys sont les dieux sur la terre, Mortels, sujets, vassaux, respectez leur pouvoir1.

Dans Гех-voto delphique, si le palmier, arbre de puissance, symbolise le tyran, les grenouilles à ses pieds peuvent signifier, non pas ses adversaires vaincus, mais le peuple de Corinthe sur lequel il a affirmé sa domination, tout comme le pieu lancé par Zeus dans la mare des grenouilles qui demandent un roi, signifie le tyran Pisistrate et le peuple athénien2.

27. Les grenouilles qui demandent un roi

II n'est pas hors de propos de rappeler ici la fable des grenouilles qui demandent un roi3. Fâchées de vivre dans l'anarchie, elles en sollicitent de Zeus. Il leur envoie un morceau de bois qui tombe avec bruit dans leur marais. Après s'être remises de leur émoi, elles s'enhardissent jusqu'à l'effronterie, se perchent sur lui, le tournent en dérision, et lassées de son apathie, réclament de Zeus un monarque plus actif. L'hydre qu'il leur expédia les dévora. Ici encore4, la grenouille est en relation avec le pilier. Car c'est bien ainsi que l'on peut entendre le mot ÇuXov d'Ésope, morceau de bois qui peut être tout aussi bien une poutre, un poteau, même un tronc d'arbre ; Phèdre le traduit par parvum tigillum, soit, comme La Fontaine, un « soliveau ». Nous imaginons volontiers ce poteau, tombé du ciel, se fichant verticalement dans la mare aux

1) Martinet, Emblèmes royales, Paris, 1673, 52, n° XX. 2) Cf. n» 27. 3) Ésope, éd. Chambry, 1927, 32, n° 66; Phèdre, liv. I, n° II. 4) Cf. ci-dessus, nos 23, 24, 25.

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l'eX-VOTO DE CYPSÉLOS A DELPHES 53

grenouilles1 et émergeant de celle-ci, pareil à la tige qui supporte là grenouille isolée, mais entourée de ses congénères, au milieu du bol égyptien de Tell er Retabeh. Ne rappelle-t-il pas l'épithète de « Tigillus » donnée à Jupiter Stator2 ? D'autre part, on ne saurait méconnaître l'analogie de cette fable avec Гех-voto de Cypsélos. Selon Phèdre, Ésope aurait raconté cette fable aux Athéniens, qui se plaignaient de la perte de leur liberté, après que Pisistrate eut pris le pouvoir ; Gypsélos érige son ex-voto à Delphes après s'être de même, emparé de la tyrannie. La fable unit le poteau, les grenouilles, l'hydre, tout comme Гех-voto unit le palmier aux mêmes animaux. Faut-il remarquer qu'Ésope assiste au Banquet des Sept Sages, organisé par Périandre, fils de Cypsélos3, où l'on demande précisément à Chérias quel peut être le sens de Гех-voto corinthien4 ? Celui-ci, éludant la question, renvoie aux sages présents, faiseurs de maximes, pour leur en demander l'explication. « Qu'avez-vous besoin, dit Pittakos, que nous vous les expliquions ? Il y a longtemps que vous-mêmes applaudissez aux apologues composés par Ésope dans l'intention, ce semble, d'appliquer chacune de ces maximes. »

A propos des colonnes du temple de Jupiter Stator, ornées de grenouilles, Eitrem évoque l'arbre de vie, l'arbre cosmique5 ; nous retrouvons, jusque dans la fable des grenouilles qui demandent un roi, la croyance générale à laquelle nous a conduit l'étude du palmier de Cypsélos6, celle de l'arbre, du pilier ou dé la colonne, du support symbolique. D'autres thèmes iconographiques présentent certaines analogies avec celui-ci : le frêne cosmique Iggdrasil avec le dragon Nidhogg à sa

1) Ésope : ÇoXov etç ttjv Xt{jtv/)v xaGŤjxs ; Phèdre : tigillum mersum Hmo. 2) Ci-dessus, n° 25. 3) Plutarque, Le banquet des Sept Sages, chap. 4 : « II (Ésope) se trouvait

avoir été envoyé récemment par Crésus vers Périandre, en même temps qu'on l'avait chargé de consulter le dieu à Delphes, et il était là, sur un siège fort bas, auprès de Solon qui en occupait un beaucoup plus élevé. »

4) Ibid., chap. 21. 5) Eitrem, Symbolae osloenses, VII, 1928, 82. 6) Ci-dessus, II, nos 9, 10.

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racine1, l'arbre du songe d'Agave2, l'arbre de la légende si populaire au moyen-âge de Barlaam et de Joasaph, inspirée de celle du Bouddha3.

* * *

V. — Les grenouilles dans l'archaïsme grec L'origine et le sens de l'ex-voto de Cypsélos

28. Les grenouilles dans l'archaïsme grec

Les représentations de grenouilles ne sont pas rares dans l'archaïsme grec. Dès cette époque, des monnaies l'ont comme emblème, les unes attribuées à l'île de Sériphos, mais sans certitude, pour la raison *que Persée y avait fait taire les

1) Eitrem, Symbolae osloenses, VII, 1928, 72, fait ce rapprochement à propos des colonnes du temple de Jupiter Stator.

2) Agave, mère de Penthée songe qu'elle voit son fils assis au sommet d'un arbre touffu ; autour de la tige, des animaux féroces, se précipitent sur l'arbre, font tomber Penthée, et le déchirent. Présage de la mort de Penthée, qui s'est caché dans un arbre pour voir les rites des Ménades, mais qui est déchiré par elles. Nonnos, Dionysiaca, chant XLIV, v. 46 sq., trad. Marcellus, 369.

3) Un homme fuit devant une unicorne et tombe dans un abîme. Il se retient à un arbre et s'y installe. Mais il voit deux souris, blanche et noire, qui rongent le pied de l'arbre, prêt à tomber. Dans le fond de l'abîme, un dragon le guette, pour le dévorer. Quatre serpents rampent le long de l'arbre. Mais, levant les yeux, il voit du miel qui découle des rameaux et qui lui fait oublier les maux environnants. L'unicorne est la Mort qui poursuit l'homme. L'abîme est le monde plein de misères. L'arbre est notre vie, détruite par les jours et les nuits. Les serpents sont les quatre éléments. Le dragon, l'enfer qui attend ceux pour qui les biens de ce monde sont préférables à ceux de l'au-delà. Le miel, la douceur de ce monde, qui détourne l'homme de penser à son salut. G. Paris, Hist, de la litt. française au moyen âge, II, 213 ; Meyer et Zotenberg, Barlaam et Josaphat, 1865 ; F. Jacobs, Barlaam and Josaphal, English Lives of Buddha, 1896 ; Cosquin, Rev. des quest, hist., 1880; Id., Contes populaires de Lorraine, I, 1887, XXXVII, La vie des saints Barlaam et Joasaph et la légende du Bouddha ; Leclercq et Cabrol, Did. ďarch. chrét. et de lit., s. v. Joasaph (2533, réf.). Thème souvent reproduit par l'art, S. der Nercessian, L'illustration du roman de Barlaam et de Joasaph, 1937 ; ex. v. Marle, Iconographie de Vart profane, II, Allégories et symboles, 149 (relief d'Antelami, Parme, 156, fig., et autres ex.) ; L. Pillion, Un tombeau français du xnie siècle et l'apologue de Barlaam sur la vie humaine, Rev. art anc. et mod., 1910, I, 321 (tombeau d'Adélaïde de Champagne et autres ex.). Est-ce une pensée semblable qui inspire la marque de l'imprimeur Antonius Bladus de Asula, Rome (1519, 1520, 1536) : un palmier qui sort d'une mer agitée, au sommet duquel un homme est assis. M. Kristeller, Die italienischen Buch- drucker- und Verlegerzeichen, 1893, n° 150. Soit le palmier, l'arbre de vie, de victoire sur le temps, au-dessus des flots agités de l'existence ?

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l'ex-voto de cypsélos a delphes 55

batraciens1, les autres de provenances diverses ou douteuses2. Nous avons déjà mentionné d'autres documents : à l'Hé-

raion, une petite grenouille ornant la charnière d'un ustensile ; un goulot de fontaine avec lion et grenouille ; des ex-voto du temple d'Artémis Orthia à Sparte ; une femme nue sur une grenouille, manche de miroir ; des pieds de trépieds posant sur une grenouille ; un fragment architectural de Delphes3. En voici encore quelques-uns. Ce sont des vases plastiques en terre cuite, ayant l'apparence de cet animal4. D'autres, en faïence, sont constitués par un récipient ovoïde, dont le couvercle est surmonté d'une grenouille et qu'un personnage agenouillé, de type égyptien5, tient des deux mains devant lui, en général une femme, parfois un homme barbu6, qui peut être remplacé par un singe7.

1) Attribution faite par Svoronos, Journal internat, ďarch. numismat., I, 1898, 205 ; PW, s. v. Seriphos, 1731, 1733, réf. ; Barclay Head, Hisloria numorum, 1911, 480, 490; Babelon, Traité des monnaies grecques et romaines, II, I, 1303; Brit. Mus., A Guide to the principal Coins of the Greeks, 1932, 10, n° 46, pi. 5 ; Perrot, Hist, de Vart, IX, 130, fig. 78 ; G. Richter, Animal in greek sculpture, 42, fïg. 232 ; BCH, LXXIII, 1949, II, 378.

2) Barclay Head, 365 (attribution incertaine, Eubée ? vie siècle) ; Imhoof- Blumer et Keller, Tier- und Pflanzenbilder, 1889, 43, n° 40, pi. VI, n° 40 (Eubée ou Athènes) ; 43, n° 41, pi. VI, n° 41 (Luceria, au droit la tête d'Apollon, au revers une grenouille ; aes grave, avec « Metalontion »), ibid., 43 ; 42, n° 39, pi. VI, n° 39, drachme de système éginétique, sans légende.

3) D'autres monuments sont ultérieurs à l'archaïsme, par ex. la grenouille en bronze avec dédicace à Boason, de la première moitié du ve siècle, semble-t-il.

4) Maximova, Les vases plastiques dans l'antiquité, 1927, I, 100 (grenouille ou crapaud), mentionne plusieurs exemplaires : de Grèce, à Berlin, Antiquarium (peau rugueuse du crapaud), pi. XLIV, n° 165. Fragment d'Ëgine, Furtwaen- gler, Aegina, 389, n° 37, pi. CVIII ; n° 31. Coll. Calvert, Dardanelles, ̂ SVinter, Typen d. flgurlichen Terrakotten, I, LXH. Musée de Boston, Robinson, Catalogue, n° 66 (serait corinthien). Fragment de Lindos, Rhodes, Blinkenberg, Lindos, I, 1931, 587, n° 2440. Vase italiote, Corpus Vasorum, France, n° 15, Petit Palais, pi. 47, n°3 7, 10.

5) De Rhodes; à Munich, AA, XXVII, 1912, 129-130, n° 23, fig. 23. De Rhodes, Salzmann, Nécropole de Camiros, pi. 14. Micali, Sloria, pi. 101, 5. De Rhodes, Maximova, pi. XXXIV, n° 128. De Rhodes, Lindos, Blinkenberg,

. Lindos, I, 364, noe 1333-5, fragments de vases analogues. L'auteur donne une liste de vases de ce type, provenant de Chypre, de Carthage, de Syracuse, etc. Corpus Vasorum, Belgique, Bruxelles, III, pi. 5, n° 6.

6) Lindos, n° 1333. 7) Berlin, Antiquarium, n° 4877, de Thèbes, Grèce; Maximova", 115,

pi. XXXIII, n° 125 (le singe porte la main droite à sa bouche) ; de Lindos, Blinkenberg, Lindos, I, 363, n° 1330 ; mentionne d'autres exemplaires, de Camiros, du Caere, de Carthage (Musée Lavigerie, pi. 19, fig.). Cf. les vases plastiques en forme de singes, nombreux, en particulier dans la série corinthienne, Maximova, 25, 113, etc.

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56 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Plusieurs de ces représentations évoquent l'Egypte : la femme nue sur une grenouille, manche de miroir1 ; le goulot de Samos avec lion et grenouille2 ; les pieds de trépieds avec griffes de lions sur des grenouilles3 ; les vases plastiques en forme de cet animal4. Ceux qui figurent un personnage agenouillé tenant un vase surmonté d'une grenouille proviennent en général de Rhodes, où tant d'influences étrangères, surtout égyptiennes, se sont fait sentir pendant l'archaïsme5, et de l'étranger (Carthage, Caere, etc.) ; attribués à une fabrique orientalo-ionienne6, ils sont en faïence égyptienne ; la forme du récipient est celle du vase égyptien qui servait pour le lavement des mains et pour les libations d'eau7 ; le personnage est de type et de coiffure égyptienne, et parfois le goulot du vase, placé sur sa tête, a l'aspect d'une fleur de lotus8. Le singe est un animal exotique, qui a en Egypte un sens symbolique, en relation avec l'eau9, comme la grenouille. Blinkenberg remarque que l'on n'a pas trouvé en Egypte de compositions analogues, du moins avec certitude10, mais tous les détails précités ramènent à des prototypes égyptiens. La grenouille en bronze de Berlin est offerte à Boason, déesse- grenouille, par un dédicant au nom égyptien, Ammon11.

1) Cf. n° 16. Déjà Perrot, H. A., III, 863 : « L'idée de poser une femme sur une grenouille paraît empruntée à l'Egypte. »

2) Cf. n° 20, La grenouille et le lion. 3) Ibid. 4) On en connaît en Egypte, Murray, British School of arch, in Egypt. Studies,.

II, 40 sq., pi. XXII-XXIV, signale divers exemplaires en Orient, et en Egypte (vases égyptiens, nos 3, 4, 5, 73) ; Maximova, 100.

5) Pottier, Mon. Piot, XXV, 1921-2, 397 ; Deonna, Dédale, II, 64, 180 ; Id., Du miracle grec au miracle chrétien, II, 297.

6) Maximova, I. с. 7) Blinkenberg, Lindos, I, 364. 8) Maximova, 115, pi. XXXIII, n<> 125. 9) Hopfner, Der Tierkult d. alien Aegypter, 1913, 26 sq. Animal lunaire et .

solaire, il représente l'équinoxe, parce qu à cette date, il hurle 12 fois par jour et 12 fois par nuit; c'est pourquoi, dit Horapollon, I, 15, le signe hiéroglyphique de l'équinoxe est un singe accroupi. Il ajoute : « Pour cette raison, les Égyptiens peignent un singe accroupi assis sur leurs horloges hydrauliques, dont le membre laisse couler l'eau. » Hopfner, 27-8, flg. d'une horloge de ce type, de Leyde. Pierius Valerianus, Hieroglyphica, éd. Bâle, 1556, 45, v° sq. (cynocéphales et équinoxe ; 47, cynocéphales et écritoires).

10) Blinkenberg, Lindos, 364. 11) Cf. n" 11.

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l'kx-voto de cypsélos a delphes 57

Mous avons montré la préférence des Corinthiens pour la colonne végétale, dont le palmier de Cypsélos est un ancien exemple en Grèce1. D'autres grenouilles que celles de cet ex- voto ramènent aussi à Corinthe, par exemple celle qui porte en alphabet corinthien la dédicace à Boason, et qui pourrait avoir cette provenance.

On sait combien grande a été, pendant la période primitive et archaïque de la Grèce, l'influence de l'étranger, oriental et égyptien, avec qui les cités grecques sont en relations politiques et "commerciales, et qui a fourni à l'art hellénique maint thème religieux ou ornemental2. Des liens unissent les Cypsélides à l'Egypte ; l'un d'eux, Psammétique, qui succède à son oncle Périandre, fils de Cypsélos, ne porte-t-il même pas un nom égyptien3 ?

Il n'est donc pas étonnant que Гех-voto de Cypsélos, par ses éléments constitutifs, palmier, grenouilles, serpents, évoque l'Orient et l'Egypte. Le tyran avait choisi pour l'offrir au dieu de Delphes un thème symbolique, plus spécialement celui de la cosmogonie hermopolitaine4, en lui conservant peut-être sa signification originelle5, mais en l'adaptant aussi à ses propres fins. D'autres tyrans avaient agi' de même. Pittakos avait consacré dans des temples de Mityléně des échelles mystiques, qui, dit Élien, symbolisaient les vicissitudes du sort, tantôt élevant, tantôt abaissant les mortels6. Pisistrate

1) Cf. I, n° 5, La colonne-palmier en Orient et en Grèce. 2) Sur ces influences, en dernier lieu, Deonna, Du miracle grec au miracle

chrétien, II, 245 sq. La Grèce archaïque, tributaire de l'étranger. 3) PW, s. v. Periandros, 716 ; s. v. Korinthos, 1017 ; généalogie des Cypsél

ides, ibid., s. v. Periandros, 711. Échange d'influences entre Corinthe et l'Egypte, Guilmot, Chronique d'Egypte, n° 43, 1947, 247.

4) Guilmot, Chronique ďÉgqpte, n° 43, 1947, 250, remarque que les Grecs n'ignoraient pas la cosmogonie hermopolitaine. Hérodote : « En Egypte, les huit dieux existèrent tout d'abord. »

5) Id., Ibid. : Toutefois ceux qui ciselèrent l'offrande de bronze de Cypsélos et imitèrent le vieux thème égyptien du lever solaire, comprirent-ils toute la signification de leur œuvre ? Tout porte à le croire, car l'offrande exaltant l'apparition du jour fut portée à Delphes, qui était la terre d'élection d'Apollon, dieu de la lumière. La plante symbolique entourée des grenouilles semble donc avoir conservé^ dans l'esprit des Grecs, le sens symbolique que lui attribuaient les Égyptiens. »

6) Aelian, Variae hist, II, chap. XXIX. Cf. Deonna, L'échelle aux serpents, BCH, LVI, 1932, II, 410. Le symbolisme de l'échelle est bien eonnu ; il

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58 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

avait placé sur sa demeure de l'Acropole, comme apotropaion, une sauterelle en bronze1, animal prophylactique, mantique2, aussi symbole de renaissance en Egypte3.

29. Conclusion. Le sens de Vex-volo de Cypsélos

Nous avons déjà dit4 quelle nous paraît être la signification du palmier de Cypsélos. Celle des grenouilles et des serpents est analogue. A l'arbre de fécondité et de vie, de puissance et de domination, de durée et de stabilité, qui représente le tyran et sa lignée, les grenouilles et les serpents ajoutent leur symbolisme de fécondité et d'éternité.

W. Deonna.

est universel, et fréquent en Egypte. Cf. Blok, Zuř âltâgyptische Vorstellung d. Himmelsleiter, Ada orientalia, 1927, 257 ; Vandier, La religion égyptienne, 1944, 71 ; Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire (3), 1914, 522; Moret, Le Nil, 204 ; Perdrizet, Terres cuites grecques d'Egypte, 147 ; Michailidès, Échelle mystique chrétienne dessinée sur lin, Bull. Soc. arch., copie, XI, 1945, 87 ; Volgraff, Hommages à J. Bidez et à F. Cumont, Lalomus, II, 1949, 364, etc.

1) Lobeck, Aglaoph., 97; Curtius, Hist, grecque, trad. I, 465; PW, s. v. Heuschrecke.

2) Sur la sauterelle dans les croyances, PW, Heuschrecke ; Hoffmann- Krayer, s. ». Heuschrecke (1825, oraculaire ; 1826, prophylactique). Textes antiques et représentations figurées, Marthe Conor, Archives de l'Institut de Tunis, 1916, 149 ; cf. RA, 1918, I, 205 ; Furtwaengler, Antike Gemmen, II, pi. XI, n° 42 ; pi. XII, n°8 20-21 ; pi. XXIX, n°8 15, 65. La sauterelle entre parfois en lutte avec les mêmes animaux que ceux de Гех-voto de Cypsélos ; avec le serpent, Pseud. Aris., PW, s. v. Heuschrecke, 1383 ; sauterelle luttant contre un basilic, chapiteau roman de Vézelay, GBA, 1949, I, 349, fig. 3 ; 347, 389. Avec la grenouille, Théocrite, Thalysies, v. 41, éd. Budé, I, 10 (une grenouille qui lutterait contre des sauterelles) ; éd. Pessonneaux, 1895, 63 (une grenouille qui défie des cigales).

3) Moret, Mystères égyptiens, 54. — Keimer, Une analogie curieuse entre certaines représentations égyptiennes de sauterelles et la description de ces insectes donnée par Joel et par Jean dans l'Apocalypse, Bull. Inst. Egypt, XX, 1937-8, 255 (sauterelles en faïence).

4) Cf. H, n° 10.