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    M. Franois Delpech

    Essai d'identification d'un type de conte. Deuxime partie:

    Antoine, la princesse muette et l'amour mdecin.In: Mlanges de la Casa de Velzquez. Tome 21, 1985. pp. 255-280.

    Citer ce document / Cite this document :

    Delpech Franois. Essai d'identification d'un type de conte. Deuxime partie: Antoine, la princesse muette et l'amour mdecin.In: Mlanges de la Casa de Velzquez. Tome 21, 1985. pp. 255-280.

    doi : 10.3406/casa.1985.2446

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/casa_0076-230X_1985_num_21_1_2446

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_casa_671http://dx.doi.org/10.3406/casa.1985.2446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/casa_0076-230X_1985_num_21_1_2446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/casa_0076-230X_1985_num_21_1_2446http://dx.doi.org/10.3406/casa.1985.2446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_casa_671
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    ESSAI D'IDENTIFICATION D'UN TYPE DE CONTE

    Par Franois DELPECH

    Membre de la Section Scientifique

    Deuxime

    partie:

    ANTOINE,

    LA PRINCESSE MUETTE

    ET

    L'AMOUR

    MEDECIN

    Dans la premire partie de ce

    travail,

    je me

    suis efforc

    de mettre en

    relief

    les liens

    des

    contes

    espagnols

    et

    portugais

    sur

    "la

    ahijada

    de

    San

    Pedro" (ou

    San Antonio)

    avec une

    tradition narrative folklorique

    interna

    tionale

    dont

    la plus ancienne formulation connue

    remonte

    la littrature

    arthurienne1. Le type de conte ainsi dgag se

    caractrise

    par la combinaison

    de trois thmes qui,

    pris sparment,

    se trouvent aussi ailleurs, mais ne sont

    articuls en

    un

    ensemble

    cohrent

    que dans ce groupe de rcits,

    qui

    semble

    avoir

    eu

    un

    enracinement et une diffusion privilgis dans

    les

    traditions

    orales de la pninsule ibrique:

    1)

    la

    fille

    dguise

    en

    homme

    qui

    surmonte certaines preuves

    difficiles;

    2)

    la

    rvlation

    de l'infidlit de la reine

    par

    une crature mystrieuse

    (homme

    sauvage ou

    fille muette); ,

    3) la capture ou le

    sauvetage de cette

    crature par la fille travestie.

    1.

    Voir

    MCV,

    t.XX,

    1984.

    Mlanges de

    la

    Casa de Velazquez, (MCV) 1985, t.XXI;

    p.255-280.'

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    256 FRANOIS DELPECH

    Ces trois lments sont

    indissociables: ils s'organisent de

    manire

    introduire

    la

    squence essentielle

    de la substitution de la reine

    infidle

    par

    l'hrone,

    que

    le roi

    pouse

    ;

    le ressort

    principal du conte

    tant

    le

    rapport

    qui

    se noue entre la fille dguise

    et

    la crature mystrieuse,

    laquelle

    fonctionne

    comme auxiliaire et joue un rle dterminant dans la

    dsoccultation

    finale

    (rvlation du sexe

    rel

    de

    l'hrone

    et des agissements de

    la reine).

    Que cette combinaison spcifique de thmes

    soit

    "originaire" (ou du

    moins archaque)

    ou

    qu'elle soit due une contamination secondaire de

    cycles

    narratifs

    primitivement distincts, que le

    conte donc soit

    issu plus

    ou

    moins

    directement d'un archtype ancien

    ou

    qu'il

    soit

    le rsultat d'un

    processus d'agrgation

    d'lments

    divers,

    il

    m'est

    apparu

    que

    les

    images

    mobilises et

    les

    reprsentations

    sur

    lesquelles

    elles

    reposent plongent leurs

    racines dans un complexe de scnarios

    mythiques

    et rituels que l'on

    ne peut

    reconstituer,

    mais

    dont

    on

    peut retrouver

    des

    traces

    dans

    diverses cultures,

    notamment

    orientales

    et

    probablement pr-indoeuropennes. Il semble

    bien,

    en

    particulier,

    qu'il

    y

    a dans les rites et

    les

    rcits

    qui

    s'organisent autour

    de la

    figure de T'Homme Sauvage (remarquables par

    la

    rcurrence de certains

    squences et de certaines

    gestes

    relatifs

    sa capture et

    sa connexion avec

    une

    forme de travestissement sexuel), les fragments d'un

    hritage

    prhistori

    que

    t

    transculturel:

    le

    fait

    que

    ces

    rcits

    et

    ces "liturgies"

    sont

    majoritaire

    ment

    ssocis

    des rites de passage et

    ce que l'on appelle gnralement le

    folklore calendaire, et

    empreints

    de reprsentations

    essentiellement

    erotiques

    (initiation sexuelle,

    fcondit

    ; mise en scne

    de

    comportements agonistiques

    ou prdateurs), explique

    le

    rle qu'ils jouent dans les aspects les moins

    officiels ou canoniques

    de la religion,

    ou

    simplement,

    en Occident,

    dans

    les

    traditions dites "populaires"2. Cet hritage

    n'est

    certes pas homogne: il

    comporte une accumulation de strates historiquement dates3, et chaque

    Cf. le rle,

    que

    l'on commence

    peine

    mesurer aujourd'hui,

    que jouent dans les "cultes

    de

    village" en

    Inde, les mythes et les rituels relatifs aux relations (trs

    ambigus,

    puisqu'il

    y

    a, la fois, meurtre sacrificiel

    et

    union

    nuptiale)

    entre le

    Dmon-buffle

    et

    la

    Desse

    (voir M.

    Biardeau ouv.

    cit.).

    C'est

    galement autour de

    ces deux

    entits

    mythiques que

    s'articulent en

    Inde

    la plupart des

    histoires de

    transvestisme

    (voir W.D. O'Flaherty.

    Women,

    Androgynes

    and other mythical beasts,

    Chicago

    1980, p.296 sq.,

    et

    A.

    Hiltebeitel. "Siva, the Goddess and the disguises

    of

    the

    Pandavas

    and Draupadi",

    History

    of Religions 20-1981).

    On

    pourra ainsi

    distinguer,

    dans

    une

    perspective proppienne, les lments

    qui,

    dans les

    reprsentations

    de l 'homme sauvage, renvoient

    une

    mythologie

    propre

    une socit de

    chasseurs (le

    "matre

    de

    la

    fort"

    et

    son

    pouvoir

    sur les

    animaux)

    et

    ceux

    qui,

    probablement plus rcents,

    reposent

    sur

    "la

    religion agricole" (le sauvage comme esprit

    de la

    vgtation"

    et

    indicateur calendaire).

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    LA PRINCESSE

    MUETTE

    ET

    L'AMOUR MEDECIN 257

    milieu culturel concern

    l'a

    modul selon son

    propre

    systme.

    Il ne doit en

    aucun cas tre reconduit

    un quelconque

    archtype

    mtapsychologique

    jungien,

    et

    on

    se

    gardera

    de

    considrer

    les

    rcits

    qui

    nous

    occupent

    comme

    des variantes d'un schma mythique

    standard du

    genre

    La Belle

    et la Bte"4.

    I.

    SPECIFICITE DE L'ECOTYPE IBERIQUE

    Quels que soient l'origine et le sens

    premier du

    lien qui

    associe

    l'homme

    sauvage l'quivoque sexuelle,

    et par

    consquent

    au

    travesti,

    on constate

    que

    le conte-type qui le met

    en

    scne le

    plus clairement

    se subdivise lui

    mme

    en

    deux sous-ensembles

    qui

    semblent

    constituer deux traditions

    parallles

    mais autonomes.

    1) La plupart des

    rcits

    franais

    et

    italiens semblent dpendre, de prs

    ou

    de

    loin,

    des

    versions

    littraires mdivales et renaissantes

    (histoire

    de

    Grisandole,

    conte de

    Straparole) qui,

    travers

    les

    transformations

    de

    la

    matire narrative merlinesque, reconduisent

    une interprtation celtise de

    la lgende de Salomon et Asmode. Dans

    ces

    textes, qui ont

    manifestement

    influenc la

    tradition orale,

    la crature mystrieuse, qui

    rvle le

    sexe de

    l'hrone

    et

    l'infidlit

    de

    la

    reine, est

    un

    homme

    sauvage

    (un

    satyre

    ou

    un

    Nous avons vu,

    en

    particulier

    propos du

    type

    425K,

    que

    nos

    rcits sont en

    relation avec

    un

    ensemble

    de contes portant sur les rapports entre une hrone (travestie ou

    non)

    et un

    partenaire surnaturel (qui peut avoir occasionnellement l'allure

    d'une

    entit sauvage).

    Mais la

    nature et

    la signification de ce rapport

    varient

    profondment selon les fonctions

    attribues

    aux

    protagonistes

    respectifs.

    De

    mme,

    selon

    les

    "champs

    idologiques"

    o

    il

    sera

    mobilis, l'homme sauvage apparaitra

    li la

    fonction royale (le plus

    souvent

    en

    tant qu'auxiliaire du

    souverain

    ou du hros,

    comme

    c'est le cas

    dans

    le mythe de

    Gilgamesh

    et

    Enkidu,

    o la prostitue ne joue qu'un rle de mdiateur, ainsi

    que

    dans la

    srie des rcits sur

    Asmode, Marcolphe,

    Bertoldo

    et

    Merlin, qui mettent leurs

    pouvoirs

    magiques ou

    leur

    sagesse spcifique au service des

    rois

    auxquels

    ils sont

    associs) ou,

    d'une

    manire

    plus

    gnrale, la

    classe

    des

    "jeunes" (dans

    ces

    cas

    c'est

    surtout

    sa

    fonction

    initiatique

    et

    sexuelle

    qui

    sera mise

    en

    relief).

    Des rcits comme l'histoire de

    Grisandole

    et

    celle de la ahijada sont prcisment situs

    l'intersection

    de ces deux

    types

    de

    traditions, dont

    la premire est

    surtout

    narrative, la seconde

    surtout

    rituelle ou

    ludique : l'hrone

    travestie

    y est la fois reine en puissance

    et reprsentante

    de Yethos

    du

    groupe des

    jeunes filles-candidates

    au mariage. (Cf. le motif caractristique

    de

    la

    qute de

    l'anneau

    nuptial

    perdu

    par

    la

    reine,

    premire

    des

    preuves

    auxquelles

    est

    soumise

    "Pedro" dans les contes

    ibriques).

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    258 FRANOIS

    DELPECH

    avatar de

    Merlin

    trs proche de l'enchanteur silvestre de la Vita Merlin),

    et

    l'accent est mis

    sur

    son pouvoir de prophtie et de

    divination5.

    2)

    Par

    contre

    les

    contes

    espagnols et portugais semblent beaucoup moins

    chargs

    de

    rfrences

    littraires

    et

    ne se rattachent

    aucun

    cycle constitu.

    Le scnario

    du

    rcit, stable

    et

    strotyp,

    est

    rest propre

    la tradition

    orale6, et reflte vraisemblablement avec plus de fidlit que les

    versions

    "celtiques" et

    italiennes,

    qui ont intgr des

    lments

    allognes,

    la

    forme

    ancienne

    du

    conte-type

    sur

    lequel

    repose l'ensemble

    de la tradition. Dans

    les

    versions ibriques le

    rle

    de l'homme

    sauvage est

    tenu,

    nous l'avons vu,

    par

    une fille muette ; la

    reine n'a

    pas d'amants travestis (mais prend Pedro ou

    "Antonio"

    pour

    un

    homme

    et

    essaie

    de

    "le" sduire);

    l'hrone doit

    surmonter aussi

    d'autres preuves

    en particulier celle qui

    consiste

    rcuprer un anneau

    perdu^

    et

    ne triomphe

    que grce

    l'aide de son

    "parrain"

    surnaturel, Saint Pierre

    ou Saint Antoine ;

    enfin, dans certaines

    cas, elle se prsente

    la cour sous les apparences d'un mdecin et commence,

    la

    srie

    de ses exploits en gurissant le roi malade.

    On pourrait tre tent de

    ne voir

    dans

    ces

    traits qu'un cho dform de

    l'histoire

    arthurienne

    ou des

    contes

    italiens, ou encore

    le

    produit

    de

    quelque

    contamination. Ils sont bien

    plutt

    la marque de l'inscription du scnario

    dans

    un

    rseau

    de

    thmes

    et

    de

    reprsentations

    qui

    ont

    connu

    un

    dveloppe-

    Il

    est

    certain

    que

    plusieurs topiques mi-folkloriques mi-littraires

    ont

    t

    prsents

    l'esprit des auteurs qui

    ont

    rlabor

    la lgende

    salomonienne (le philosophe vaincu

    par

    la courtisane, le prophte "enserr"

    par

    la

    fe,

    etc..) mais

    aucun

    ne suffit

    rendre

    compte

    de

    l'ensemble

    du

    scnario,

    manifestement

    fond

    sur un type

    de

    conte populaire

    prexistant. L'utilisation de ce conte,

    la

    mobilisation de plusieurs

    motifs

    narratifs

    d'origine orientale

    et

    la ractivation

    du vieux

    scheme mythique

    qui les sous-tend (la

    capture

    du sauvage par le

    travesti)

    sont trs probablement

    mettre

    en relation avec le

    dveloppement,

    aux

    12e

    et

    13e sicles,

    d'une

    mythologie littraire erotique para-

    courtoise- exaltation, par inversion de certains motifs

    primitivement

    mysogines,

    du

    pouvoir de la Femme-

    qui

    va

    prendre

    de plus en

    plus,

    aux 14e

    et

    15e sicles,

    une

    allure

    "naturaliste",

    voire anti-courtoise, et

    rejoindre certains

    thmes de la

    culture folklorique.

    Les transformations subies par

    l'image

    de l'Homme

    Sauvage

    sont prcisment lies

    cette volution (cf. R. Bernheimer. ouv. cit., chap. 5).

    Malgr l'influence

    qu'il

    a

    pu

    avoir, au seizime sicle,

    sur

    des rcits

    comme

    celui de

    Timoneda

    (cf. la note 5 de la premire partie de ce

    travail)

    qui suffit

    attester

    l'implantation hispanique ancienne

    du

    thme

    de

    la

    "ahijada.

    Voir

    galement

    notre

    tude

    sur

    la Doncella Guerrera,

    note 80).

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    LA PRINCESSE MUETTE ET L'AMOUR

    MEDECIN

    259

    ment

    particulier

    et

    privilgi dans

    les

    cultures

    orales de tradition ibrique

    post-mdivales7.

    1)

    La

    fille muette joue bien un rle

    analogue

    celui

    du sauvage

    dans

    les

    autres rcits, mais ce rle y est beaucoup moins mis en valeur:

    elle

    est,

    comme Merlin et les satyres,

    dote de double-vue, mais

    elle

    n'a rien de

    proprement surnaturel et n'a pas de

    rapport

    particulier avec le monde de la

    nature

    sauvage

    (si

    ce

    n'est qu'elle

    est

    "enchante"

    ou

    prisonnire des maures

    ou de voleurs)8.

    Qui

    plus

    est,

    elle est soeur

    ou

    fille

    du souverain et

    se verra,

    la fin,

    runie

    la

    famille

    royale. Tout se

    passe

    donc

    sur

    un plan

    purement

    humain,

    l'enjeu principal du rcit tant la rintgration et la

    purification

    d'un

    lignage disjoint

    (rcupration

    du membre perdu

    et

    remplacement,

    en

    la

    personne de

    la reine

    infidle, de l'lment corrompu)

    plus

    que

    la

    mdiation

    entre

    nature et culture,

    entre

    fort et

    univers

    aulique.

    2)

    Par

    contre

    la

    fonction

    donatrice et l'antenne surnaturelle sont assumes

    par le personnage du saint patron, parrain on ne

    peut

    plus rassurant et

    orthodoxe9, qui joue un

    rle analogue

    celui des diffrents

    personnages

    C'est dans

    l'aire

    hispano-lusitanienne (avec des

    ramifications

    en Amrique) que

    notre

    conte-type

    a

    connu,

    et

    de

    loin,

    la

    plus importante

    diffusion

    (voir

    la bibliographie

    d'A.M.

    Espinosa,

    ouv. cit.).

    Ce

    n'est sans doute

    pas par

    hasard :

    on

    a rappel ailleurs

    l'accueil

    particulier

    fait en Espagne

    surtout

    au

    Sicle

    d'Or au motif de la

    "disfrazada

    de

    varn",

    aux images

    de femmes

    viriles,

    et plus spcialement, dans

    la

    tradition orale

    romancistica, a la Doncella Guerrera. La mme

    problmatique

    d'un "fminisme"

    tempr

    par la primaut

    absolue

    des modles

    masculins et

    des

    valeurs hroques et

    fodales transparat dans les ftes

    et jeux

    de la Sainte Agathe, qui ont connu en

    Espagne

    la vigueur que l'on

    sait, et

    dans les

    traditions

    "matriarcales" qui se sont maintenues dans

    le Nord et le Nord-Ouest de

    la pninsule

    jusqu' une date trs rcente (cf. J. Caro Baroja.

    Los pueblos

    del

    None.

    3e d.

    San Sebastian 1977, p. 13

    sq.,

    et C. Lisn

    Tolosana.

    Antropologia Cultural de Galicia, 4e d. Madrid, 1979, p.243 sq.).

    Le fait qu'il s'agit

    d'une fille et qu'elle

    est, par consquent,

    du

    mme sexe que l'hrone,

    te

    toute

    ambigut

    au

    rapport

    entre les

    deux

    protagonistes,

    et

    prvient

    toute

    possibilit

    de surimpression avec un conte-type du genre 425K

    (o la

    crature sauvage

    est

    le

    partenaire

    sexuel de

    la

    fille

    travestie).

    On se

    souvient que,

    dans l'histoire de Grisandole, c'est

    Merlin

    lui-mme qui, se

    ddoublant

    et

    prenant

    l'apparence

    d'un cerf, donnait l'hrone les instructions

    ncessaires

    sa propre capture. Il n'est

    pas

    difficile de voir

    que

    le "parrain"

    est

    en fait le

    substitut surnaturel

    d'un

    pre

    humain dfaillant

    (cf. le

    dbut

    de

    la

    version prsente

    par

    Espinosa "Eran dos ancianos

    que

    no habian

    tenido

    familia.

    Y siempre

    rogaban

    a

    San

    Pedro

    que les diera

    una hija,

    y al fin ya de viejos les di Dios una

    hija..."). Dans

    d'autres

    versions,

    au

    contraire,

    les

    parents

    de l'hrone sont pauvres

    et

    chargs d'enfants:

    dsesprant de

    trouver

    un parrain pour

    leur

    nouvelle-ne

    ils

    la mettent

    sous

    la protection

    d'un

    inconnu, parfois un saint

    dguis

    en mendiant, qui la baptise

    et

    dans certaines

    versions

    la

    prend

    sa

    charge.

    On

    reconnat

    ici

    la

    squence

    de

    la

    "qute

    d'un parrain",

    que

    l'on trouve galement dans d'autres contes: cf. J. Leite de Vasconcellos, ouv.

    cit., t.I,

    n 194. "O afilhado de Santo Antonio".

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    7/27

    260

    FRANOIS DELPECH

    vieille

    femme,

    cheval

    merveilleux, compagnon surdou qui, dans les

    contes

    du cycle

    narratif

    que nous avons

    examin

    propos de la "doncella

    guerrera", aident l'hrone travestie

    surmonter

    les

    diverses

    preuves

    auxquelles

    elle

    est

    soumise. Variante christianise

    du magicien

    silvestre

    auquel l'enfant

    est vendu par

    anticipation

    sa naissance,

    et

    qui n'est autre

    que son futur

    patron

    initiaque10, le saint,

    reprsentant

    de la seule face

    positive et rvrencieuse du sacr, est dpouill de toute ambivalence et

    contribue

    faire des

    rcits

    ibriques les versions les

    plus apprivoises

    et

    innocentes de l'ensemble mythologique essentiellement paen que nous

    dcryptons en

    filigrane11.

    3)

    Enfin

    la

    reine

    infidle

    ne

    cache pas d'amant

    dguis parmi

    ses

    suivantes, comme le veut la

    tradition

    orientale reprise par plusieurs

    versions

    europennes du

    conte,

    mais

    elle

    s'prend de l'hrone travestie, lui fait des

    propositions, puis, repousse, la calomnie

    ou

    prtend

    qu'elle

    s'est vante

    ,

    d'accomplir tel et

    tel exploit.

    Espinosa

    a

    insist,

    nous

    l'avons

    vu, sur

    le lien

    de cet pisode avec le thme de Joseph et de la

    femme

    de Putiphar (qui est

    aussi

    le thme

    de

    Phdre). Il

    est cependant plus probable

    que la

    squence

    en

    question n'a t rattache

    que secondairement

    au conte, tant donn qu'elle

    n'apparat pas

    dans

    la plus

    ancienne des versions

    connues

    (Grisandole) ni

    dans

    les

    rcits

    orientaux

    avec lesquels

    on

    a pu

    la

    comparer12.

    10. Cf. V. Propp. ouv. cit., p. 120-124 (La promesa de venta). Le mendiant

    qui

    est

    confi le

    soin de baptiser l'enfant n'est pas seulement un thme narratif: les inconnus rencontrs

    sur

    le chemin de l'glise le jour

    du

    baptme peuvent avoir une influence

    sur

    le caractre

    de l'enfant il faut donc

    se

    les

    rendre propices

    par un don (cf. le

    pan

    del llanto :

    voir

    E.

    Casas Gaspar. Costumbres espanolas de nacimiento, noviazgo, casamiento y muerte,

    Madrid 1947).

    11.

    Le

    rapport de l'hrone avec ce trs catholique parrain est aussi dnu d'ambigut que

    celui qu'elle

    entretient

    avec la

    crature

    muette

    :

    il

    est

    cependant probable

    que

    le

    conte a

    t adapt

    et

    transform

    et qu'il

    a connu

    une forme

    plus ou moins proche

    du

    type

    425K

    (dans lequel le personnage surnaturel,

    auquel l'hrone est confie par

    son pre,

    est

    une

    sorte de dmon forestier qui devient son poux). Dans le

    conte

    brsilien assez

    contamin recueilli

    par

    S, Romero (Contos populares do

    Brazil.

    Lisboa 1885. n VI,

    p. 17. "O Sargento Verde"), l'hrone

    chappe

    au diable, qu'elle a malencontreusement

    pous, grce l'intervention d'un cheval

    merveilleux

    (quoique

    laid et

    maigre)

    qui

    se

    transforme ensuite en prince charmant,

    aprs

    l'avoir aide surmonter les

    preuves

    difficiles,

    et

    qui finit

    par

    pouser la princesse muette dsenchante...

    12. Cf. L.A. Paton, ouv. cit. Les rcits

    orientaux

    mentionns ne comportent pas le thme de

    la

    fille

    travestie

    (mais

    seulement celui des "fausses suivantes"). La reine sductrice-

    calomniatrice n'apparat

    dans

    notre type qu'en

    relation avec ce

    thme et

    par assimilation

    avec

    le

    cycle

    gnral

    des

    rcits

    qui

    s'tendent

    sur les

    situations

    embarrassantes,

    quivoques

    ou scabreuses, dans lesquelles se trouve parfois

    l'hrone

    du fait de son

    dguisement

    et

    des

    sollicitations

    erotiques auxquelles

    elle-

    n'est pas en mesure de

    rpondre (cLJe

    type

    425

    K et

    le conte El

    Oricuerno).

    S3

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    8/27

    LA PRINCESSE MUETTE ET L'AMOUR MEDECIN 261

    4) Dans ces

    rcits

    apparat

    par

    contre le

    motif

    du

    rire

    nigmatique des

    poissons

    (rvlateur,

    une

    fois

    "traduit",

    de l'infidlit de

    la

    reine,

    et

    parallle

    aux onomatopes mystrieuses de

    la

    fille muette)13. Ce

    qui

    conseille de

    considrer

    comme

    primitifs

    deux

    traits qui

    apparaissent

    dans

    plusieurs

    versions

    ibriques:

    le fait que la princesse

    muette est, dans certains cas,

    "enchante" quelque part au fond de

    la mer,

    et l'utilisation du

    motif

    de

    "l'anneau

    de

    Polycrate" dans

    les

    preuves

    prliminaires

    imposes l'hrone

    travestie. Ce motif apparat dans d'autres

    contes,

    en

    particulier

    celui de

    la

    "fille du

    diable",

    mais ce n'est qu'ici qu'il conserve l'une

    de

    ses

    significations

    les plus primitives, celle qui

    en

    fait une "ordalie de

    l'adultre",

    puisqu'il est

    directement li aux menes adultrines et calomniatrices de la reine14.

    Il

    est

    trs probable que

    ce motif a

    t

    introduit dans

    le conte en mme temps

    que

    le

    personnage

    de Saint

    Antoine. Antoine

    de

    Padoue est

    en effet le "patron des

    objets

    perdus"

    et un pisode

    tout

    fait

    analogue

    celui de

    l'anneau

    de

    Polycrate figure dans sa

    lgende

    (un espagnol qui a

    perdu

    dans

    la

    mer

    un

    anneau fait dire une messe en l'honneur du saint.

    Il

    le retrouve peu aprs

    dans

    le ventre

    d'un poisson attrap

    par

    des

    pcheurs15).

    Cette observation

    13. Voir A. H.

    Krappe.

    "Le

    rire du

    Prophte",

    Mlanges

    F.

    Kiaeber (Minneapolis

    1929)

    qui

    complte

    utilement

    et

    prcise

    le

    panorama

    de

    rcits

    orientaux

    bauch

    par

    L.A.

    Paton.

    14. Au

    mme

    titre

    que la

    disparition de

    la princesse, la

    perte de l'anneau

    ("o

    anel

    do

    nosso

    casamento" selon une version portugaise) reprsente manifestement le disfonctionne

    mentui affecte le couple

    royal.

    Sa

    rcupration

    qualifie

    l'hrone

    pour remplacer sa

    rivale auprs du souverain. Les

    poissons

    jouent encore l,

    bien

    sr, un

    rle

    dterminant.

    Sur les rapports entre le motif de "l'anneau de

    Polycrate" et

    des

    "ordalies

    de l'adultre",

    voir P. Saintyves Essais de

    folklore biblique. Paris

    1922,

    chap.

    VII1 "L'anneau de

    Polycrate et le statre dans

    la

    bouche du poisson",

    par.

    1, "l'ordalie de

    l'adultre". Noter

    cependant que

    l'auteur

    rapproche

    notre

    conte

    de

    celui

    de

    "la Belle

    aux

    cheveux

    d'or"

    dans lequel la recherche de

    l'anneau

    reprsente, selon lui, une

    "ordalie

    de l'habilet

    et

    du

    mrite": p.381 sq.

    Ce

    conte, tudi

    par E. Cosquin

    (Contes populaires de

    Lorraine. Paris

    1886, n 73,

    t.2, p.290 sq.) recoupe

    partiellement les

    contes-types

    516B et 531. Il

    est en

    effet

    symtrique

    et

    inverse

    par

    rapport

    celui

    qui nous occupe

    :

    il

    y

    a

    bien

    substitution

    royale, mais c'est le

    roi

    qui est limin,

    et

    remplac

    par le hros ; la qute de

    l'anneau

    perdu en mer est

    impose non par

    une reine adultre mais par la Belle

    aux

    cheveux d'or

    que le hros a enleve

    et

    amene la cour

    du roi et

    qu'il finira par pouser. L'pisode

    n'est

    pas li la disqualification

    d'une reine en

    place,

    mais

    rend

    possible le

    mariage

    des

    deux jeunes gens. La fonction "mdicale" est remplie par la

    belle, qui ressuscite

    le hros

    qui

    a

    t

    tu,

    et

    non

    par

    ce dernier.

    Pour

    les versions

    espagnoles

    voir A.M. Espinosa,

    ouv. cit., n 140 (El principe espanot), t.III, p.26 sq.

    15. San

    Pedro et

    d'autres personnages concurrencent San

    Antonio

    pour l'emploi de parrain

    de

    l'hrone

    dans plusieurs versions du conte. Il

    est

    cependant

    probable

    que

    la forme

    primitive

    ibrique

    du

    conte

    ne faisait intervenir

    que

    Saint Antoine

    tant

    donn

    que

    la

    plupart des

    versions

    comportent l'pisode de

    l'anneau (y

    compris celles o

    c'est

    de Saint

    Pierre

    qu'il

    s'agit).

    Sur

    les

    miracles

    de

    Saint

    Antoine

    o apparat

    cet

    pisode,

    voir

    P.

    Saintyves, op. cit., p.387 sq.

    et

    Ada Sanctorum 13

    Juin.

    Analecta

    de

    S.

    Antonio

    Patavino, p.242 sq.

    "Rerum

    amissarum patrocinium S.

    Antonio utiliter commendatum"

    qui

    cite

    plusieurs anecdotes du mme type.

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    9/27

    262 FRANOIS DELPECH

    nous

    amne

    nous demander

    dans quelle mesure la

    forme

    ibrique de notre

    conte a

    t

    influence par

    la

    lgende

    de Saint Antoine et

    formuler quelques

    hypothses sur

    sa

    gense.

    Il

    faut

    d'abord

    remarquer

    que

    le

    saint

    de

    Padoue

    est d'abord

    un

    saint portugais et

    qu'

    partir

    du XVIe s. il

    est devenu

    le

    saint

    national du Portugal.

    Il n'y

    a donc rien d'tonnant ce qu'il figure dans

    la

    plupart

    des versions lusitaniennes du

    conte, qui,

    rappelons le,

    sont

    les

    plus

    nombreuses. Il

    a

    bien

    fallu cependant que quelque trait de sa lgende rende

    possible son

    intrusion

    dans un conte

    dont

    l'origine et la

    signification n'ont

    rien de

    particulirement religieux

    et

    dont

    les versions non

    ibriques ne

    font

    intervenir

    aucun

    lment hagiographique.

    Nous avons vu que

    dans le cycle

    des

    rcits

    orientaux o s'enracine le thme

    essentiel

    dans notre

    conte

    des

    rires

    ou

    des

    interjection

    de

    la

    crature

    sauvage

    dont l'interprtation

    aboutira

    la rvlation des infidlits de la reine16, ce sont souvent des poissons qui

    mettent

    le

    rire en question.

    Le

    mrite

    essentiel

    du

    hros,

    ou de

    l'hrone, qui

    dsabuse le roi

    est

    donc

    d'avoir

    su

    comprendre et interprter

    la

    langue

    des

    poissons. Or ce talent spcifique est prcisment celui

    dont

    fait preuve

    Antoine de Padoue dans l'un de ses plus clbres

    miracles, celui

    de la

    "Prdication aux poissons" (inspire de

    la

    prdication

    de

    Saint

    Franois

    aux

    oiseaux)17.

    Nous avons vu galement

    que,

    dans les

    versions

    mdivales (Grisan-

    dole),

    italiennes

    et

    franaises, l'hrone russissait

    c'est

    la

    dernire

    de

    ses

    preuves faire parler l'homme sauvage; un pisode

    analogue

    apparat

    dans les versions ibriques, o la ahijada finit

    par

    obtenir que la princesse

    muette sorte de

    son

    mutisme pour rvler

    son

    sexe et

    son

    innocence

    en

    accusant la reine.

    L encore

    un

    pisode

    de la

    lgende d'Antoine a d

    favoriser le glissement vers le

    conte

    folklorique du thme hagiographique de

    l'enfant

    en bas ge ou de la crature muette qui prend la parole pour

    disculper

    une

    personne injustement calomnie.

    Il s'agit

    de l'un des

    plus

    16. Voir L.A.

    Paton, ouv.

    cit.

    et

    A.H. Krappe. ("Le

    rire du prophte...").

    17. Ce miracle est d'ailleurs cohrent avec

    l'pisode de l'anneau, qui

    implique

    galement une

    connivence secrte entre

    Antoine et

    les poissons. Noter que l'image

    du saint

    prchant

    sur

    la plage

    et

    de la foule des poissons qui viennent l'couter

    est

    voisine de celle qu'voquent

    plusieurs versions

    portugaises

    du

    conte

    de la Ahijada: "Antonio",

    sur

    les conseils de son

    saint

    homonyme,

    va

    sur

    la plage

    et

    jette

    du

    pain dans l'eau.

    Les

    poissons accourent

    ;

    l'un

    d'eux porte l'anneau recherch.

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    10/27

    LA

    PRINCESSE

    MUETTE ET L'AMOUR MEDECIN 263

    clbres miracles du saint,

    celui

    du "tmoignage de

    l'enfant

    nouveau-n"

    qui

    dsigne

    son

    pre

    et

    justifie

    sa

    mre

    accuse

    d'adultre18.

    On

    peut

    enfin se

    demander

    si

    le

    remplacement, dans les versions

    ibriques

    du

    conte, de l'homme

    sauvage par une princesse recluse ou

    prisonnire (des maures, des voleurs) n'est pas partiellement d

    une

    lgende relative

    un

    miracle posthume de Saint Antoine,

    celle

    de Batrice de

    Silva,

    dame

    de

    compagnie

    de

    l'pouse

    portugaise de

    Jean II

    de Castille, qui

    avait eu le malheur de trop plaire au roi,

    suscitant

    ainsi la colre de la

    "zelotypa

    regina", qui la fit enfermer

    "angusto loculo dans

    la

    forteresse de

    Tordesillas, dont elle

    put

    finalement s'chapper grce

    l'intervention

    miraculeuse du

    saint19.

    Il

    n'y a rien d'tonnant

    ce

    que

    la

    lgende hagiographique et

    le

    conte

    populaire

    se

    soient contamins : on sait en effet que Saint Antoine de Padoue

    est

    traditionnellement,

    en Espagne et au Portugal,

    le patron

    des filles qui

    cherchent

    se

    marier et que

    plusieurs

    rites fort profanes

    le

    mobilisent des

    fins nuptiales20.

    Le

    saint apparat lui

    mme

    engag dans une action

    dlibrment erotique

    dans

    certaines lgendes locales, comme c'est le cas

    El

    Alpedret del

    Enebral, o l'on raconte une histoire

    sur

    la

    fuite

    de

    Santa

    Quiteria,

    et sa

    poursuite par

    Saint

    Antoine, sans

    faire de mystre sur les

    18. Sur ces miracles

    et

    leurs reprsentations

    iconographiques, voir

    L. Rau. Iconographie de

    l'art

    chrtien.

    Paris 1955-1959,

    t.III,

    1,

    p.l 15-122.

    On a remarqu que la

    princesse

    muette

    des

    contes

    hispano-portugais joue exactement le mme

    rle

    que Merlin dans

    l'histoire

    de

    Grisandole : il apparat donc d'autant plus

    curieux

    de retrouver le thme du tmoignage

    de l'enfant nouveau-n dans l'un des pisodes les plus connus de

    la lgende

    relative

    l'enfance de

    Merlin

    (dans

    la

    version de Robert de Boron), celui au

    cours

    duquel le

    futur

    prophte,

    qui

    n'a

    encore qu'un

    an,

    prend la

    parole et

    justifie sa mre

    accuse

    d'adultre.

    Presque

    immdiatement conscutif est l'pisode de la tour de Vortigern (chez Nennius

    et

    Geoffroy

    de

    Monmouth),

    dont

    A.

    H. Krappe a

    montr

    la

    relation

    avec

    une

    srie de

    rcits

    orientaux ndiens

    et hbraques

    o les rvlations prophtiques de l'enfant

    merveil

    leux

    ont

    directement

    lies

    sa connaissance

    du

    langage des

    animaux poissons

    ou

    serpents

    avec lesquels

    il

    a des

    affinits

    secrtes,

    et portent

    en particulier

    sur

    les

    infidlits

    de la reine ("La

    naissance

    de Merlin", Romania 59-1933, p. 12

    sq.). Se

    rappeler,

    ce sujet, que, dans le pome anglais Art

    hour and

    Merlin, l'pisode de

    Vortigern

    est

    ml

    celui de

    l'hrone

    travestie

    (qui est

    une forme simplifie de l'histoire

    de Grisandole).

    19. Voir Acta Sanctorum ouv. cit.,

    p.244 (n

    30). La rclusion de la

    jeune

    fille

    est

    compare

    au sjour

    de

    Jonas dans le ventre

    de

    la baleine.

    Le

    rcit

    de semblables

    miracles a

    bien pu

    veiller, dans un auditoire populaire, des

    associations

    imaginaires

    avec

    des scnarios

    "initiatiques" semblables celui

    autour duquel s'articule notre

    conte-type.

    20.

    Voir

    par

    exemple

    A.

    Limon

    Delgado.

    Costumbres

    populares

    andaluzas

    de

    nacimiento.

    matrimonio y muerte,

    Sevilla

    1981, p.99-104. (Creencias y supersticiones

    respect

    o a los

    medios de

    encontrar novio).

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    11/27

    264

    FRANOIS DELPECH

    intentions

    sexuelles du saint21.

    Il

    est enfin remarquer que

    mme

    dans des

    contes

    o

    l'hrone travestie

    n'est

    nullement filleule de Saint Antoine,

    ce

    dernier

    joue

    nanmoins

    un

    rle,

    ne fut-ce

    que

    par

    la

    mention

    d'un

    pisode

    se

    droulant le jour de sa fte22.

    Il

    est

    donc

    fort probable que

    le conte de la ahijada

    a acquis

    certaines

    des caractristiques

    qui distinguent

    ses versions

    ibriques au

    contact

    de la

    lgende

    de Saint

    Antoine

    et que

    ce

    contact s'est

    opr

    au Portugal l'absence

    du thme de

    l'homme

    sauvage

    ssentiel

    dans les autres versions europen

    nes

    et l'occurrence du thme piscicole (absent de

    ces

    dernires, mais

    important

    dans les

    contes

    orientaux de

    la mme

    famille)

    montre

    que

    la

    tradition ibrique

    est indpendante

    des

    autres versions

    europennes23,

    et

    qu'elle

    a d se

    dvelopper

    partir

    d'une

    rinterprtation

    de

    schmas

    narratifs venus d'Orient,

    fondus

    avec les lments d'une

    mythologie

    autoch-

    21.

    Voir

    P. Jimeno Salvatierra, "Santa Quiteria,

    el umbral

    de Mayo y

    la

    emancipation" in

    Tiempo de Fiesta, ensayos antropolgkos sobre las

    fiestas

    en Espana. (H.

    M.

    Velasco d.

    Madrid 1982, p.207 sq.). Remarquer que cette lgende est indirectement actualise dans

    une fte

    prside par les

    femmes. L'auteur

    ne prcise pas

    si l'Antoine de

    la lgende est

    le

    saint de

    Padoue

    ou

    l'abb

    gyptien...

    (l'association

    d'Antoine avec

    Quiteria,

    sainte

    d'origine portugaise, laisse penser qu'il s'agit du premier,

    d'autant

    plus que les habitants

    d'El Alpedret s'attribuent volontiers

    une origine lusitanienne...).

    En Catalogne,

    Antoine

    est le

    "sant

    del

    mal

    d'amor" (voir J.

    Amades

    Costumari..., t.3, p.872;

    Amades

    note

    galement

    que,

    comme Saint

    Biaise,

    Antoine rend

    la parole

    aux muets ou aux agonisants

    qui n'ont plus la force de s'exprimer, ibid.,

    p.885).

    Voir

    enfin

    quelques exemples

    asturiens de

    "la

    oracin de San Antonio"

    dans

    C. Cabal La mitologia

    asturiana.

    rd.

    Oviedo 1983,

    p.571

    sq.

    22.

    C'est ce qui se

    passe

    dans le conte brsilien de "Maria Gomes" (in Camara Cascudo.

    Contes traditionnels du Brsil

    trad.

    fr. Paris 1978, p.66) qui contamine le type

    425K et

    le

    thme

    de la doncella

    guerrera

    : c'est au cours des cavalcades que le roi organise pour la

    fte de Saint Antoine (13 juin)

    que

    le

    partenaire surnaturel

    de

    l'hrone

    qui tait

    jusqu'alors

    enchant sous la

    forme

    d'un

    cheval,

    prend

    forme

    humaine

    et

    vient

    l'enlever

    aprs

    avoir triomph

    dans tous

    les

    jeux

    questres. Dans un autre

    conte

    brsilien

    S.

    Romero

    op. cit. "O

    Sargento verde" qui

    mlange

    le thme de

    "la

    fille

    qui

    a

    pous le

    diable"

    et

    celui de

    "la

    ahijada", la premire

    preuve que doit

    surmonter le

    "sergent"

    (en

    fait l'hrone

    travestie),

    est

    une acrobatie questre qu'elle russit

    grce

    l'aide de son

    cheval merveilleux

    (qui

    est un "Undo moo" enchant).

    Aujourd'hui

    encore la

    fte

    de

    Saint Antoine

    est

    clbre en

    Espagne

    par des cavalcades...

    23. Tout en

    leur tant

    parallle pour la structure gnrale

    du rcit:

    je pense que leurs

    ressemblances

    s'expliquent

    par un

    hritage

    commun (celui des

    traditions

    orientales) plus

    que par

    des influences rciproques. Les

    rcits

    mdivaux et leurs pigones seraient plus

    tributaires

    de

    la

    version salomonienne (thme du dmon ou du satyre

    que

    l'on retrouve

    dans le personnage de Merlin) dans

    laquelle ont

    conflu ces

    traditions,

    que les rcits

    hispano-portugais qui

    les ont rinterprtes

    plus librement

    en

    fonction

    de leurs

    propres

    contextes culturels.

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    12/27

    LA PRINCESSE MUETTE ET L'AMOUR

    MEDECIN

    265

    tone

    elle

    mme

    compose

    de

    topiques

    hagiographiques

    et

    nourrie de

    lgendes

    locales24.

    Ces

    regroupements

    et

    recoupements

    ne

    se

    sont

    cependant

    pas

    faits

    au

    hasard

    ni par

    la seule

    force

    de

    l'association

    d'images :

    constamment

    sous-

    tendus par

    l'ensemble

    de valeurs

    et

    de

    reprsentations que

    j'ai essay de

    dgager dans la premire

    partie

    de

    ce

    travail, ils n'ont

    pu s'oprer

    qu'en

    respectant la

    cohrence

    de ce systme, qui est d'abord celle d'une mythologie

    du

    transvestisme

    fminin et de

    son

    rle dans

    la

    mdiation entre monde

    humain (culture), monde

    sauvage

    (nature) et monde

    surnaturel.

    Les versions

    ibriques

    ignorent, nous l'avons vu,

    le

    personnage du sauvage

    (remplac

    par

    la princesse muette) : elles christianisent, mme si

    ce n'est que superficielle

    ment

    ette

    histoire

    essentiellement

    paenne

    en

    donnant

    un rle privilgi

    un "parrain"

    surnaturel.

    Elles

    ne

    sauraient donc

    se rattacher directement

    la

    mythologie

    rotico-initiatique que nous avons pu voquer

    propos

    des

    autres versions

    europennes du type, et trouvent des chos dans les

    cycles

    de

    Mai

    et de la Saint Jean

    plus

    que dans celui de la Chandeleur Sainte

    Agathe25. Je voudrais

    cependant

    essayer de montrer

    que, malgr ces

    diffrences, nos versions reconduisent

    un mme substrat

    de valeurs et de

    reprsentations que

    celui

    que j'ai examin

    dans

    la

    premire

    partie.

    Cela

    en

    me fondant prcisment

    sur les

    deux lments

    qui-

    apparaissent comme

    les

    plus spcifiques

    des textes

    ibriques

    le motif

    de

    la

    princesse

    muette

    et

    celui

    de la fille dguise en mdecin.

    24. Le moule dans lequel ont t fondus ces lments divers

    tant

    vraisemblablement une

    forme du type 425K, largement rpandu dans le bassin mditerranen

    (versions

    italiennes,

    grecques,

    arabes,

    etc.), dont nous

    avons vu qu'il

    est rattach au cycle trs

    vaste

    et

    archaque de rcits, d'origine mythique,

    sur

    le thme "Psych

    et

    Cupidon" (voir

    J.O. Swann, ouv. cit.),

    et

    qu'il

    articule, quoique diffremment, les mmes lments

    que

    le

    type

    qui nous occupe,

    savoir

    la

    fille

    travestie,

    la

    crature

    mystrieuse

    qui

    rvle

    le

    sexe

    de celle-ci,

    et

    les infidlits de la reine. Remarquer qu'il existe une version espagnole de

    ce type, El

    len

    y

    Angelina

    (A. Llano Roza

    de Ampudia. Cuentos

    asturianos, Oviedo

    1975, p.29 sq.), dans

    laquelle

    l'hrone

    dguise doit, comme

    dans le

    type Ahijada,

    vaincre, puis faire parler, une

    crature

    sauvage qui

    a mis

    un rire mystrieux.

    Comme

    dans plusieurs

    contes orientaux

    cits

    par

    A.

    H.

    Krappe dans les

    tudes

    cites plus haut,

    cette crature est un serpent

    et

    explique pourquoi elle a ri au spectacle de l'enterrement

    d'un

    enfant

    (?...los que

    no tenian parentesco con

    liban

    llorando.

    Y el cura, que lo tnia,

    iba

    cantando"), pisode exactement identique

    l'un de

    ceux

    qui apparaissent dans

    les

    cycles

    d'Asmode

    et

    de

    Merlin...

    25. Il

    conviendrait d'tudier

    systmatiquement

    ce que

    nous

    ne

    pouvons

    faire

    ici

    les rites

    et

    croyances tournant

    autour

    de Saint Antoine de Padoue

    et

    de sa fte (13 Juin), qui

    semblent intermdiaires

    entre

    ceux

    du

    dbut

    Mai

    et

    ceux du

    solstice

    (Saint

    Jean).

    Le

    thme questre,

    le

    symbolisme du

    vert (cf. "O Sargento Verde"), les images

    relatives aux

    poissons et/ ou aux

    serpents

    qui apparaissent

    dans

    nos textes

    seraient

    sans doute

    mettre

    en relation avec ces

    "liturgies

    populaires"...

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    13/27

    266 FRANOIS DELPECH

    IL

    LA

    PRINCESSE MUETTE

    Nous

    avons

    vu

    qu'en

    faisant

    intervenir

    une

    fille

    muette,

    prisonnire

    ou

    recluse au fond de la mer, plutt

    qu'un

    sauvage, au moment cl de l'histoire,

    les

    contes ibriques dsexualisent

    quelque

    peu le scnario

    et

    marquent

    une

    plus

    grande

    dpendance

    par rapport aux

    traditions

    orientales (o la crature

    d'o

    surgira la

    rvlation est

    un poisson

    ou

    un

    enfant dot de pouvoirs

    miraculeux26)

    que les autres

    rcits

    europens

    du

    mme

    type27.

    Du

    coup,

    ce

    qui est

    rais

    en scne est

    plutt

    une

    libration ou un dsenchantement qu'une

    capture.

    Cependant, d'un point

    de

    vue structurel,

    les

    scnarios sont identi

    ques la princesse muette est

    ranger

    dans la catgorie,

    bien

    connue des

    folkloristes,

    des personnages

    fminins

    soumis

    a

    un

    geis

    li

    leur

    condition

    semi-frique

    et

    un

    stage initiatique

    pralable

    leur (r)intgration dans la

    communaut28. Plusieurs

    types

    de contes sont

    centrs

    sur la "dumb princess"

    et

    voquent

    les conditions

    spciales, toutes ritualises, dans

    lesquelles

    elle

    retrouve la parole (ou le rire)29.

    26. Sur

    le

    thme

    oriental

    de l'enfant

    muet

    qui

    se

    met

    parler

    (ou

    rire

    mystrieusement) au

    moment o il va

    tre

    sacrifi

    et

    dont les rvlations s'avrent

    vitales

    pour le roi,

    voir

    A. H.

    Krappe.

    "The

    foundation

    sacrifice

    and

    the

    child's

    last

    words"

    in

    Balor

    with

    the

    evil

    eye.

    (Columbia Univ.

    1927).

    27. II arrive cependant que, dans ces autres rcits, la crature sauvage soit de sexe

    fminin

    (voir Le Murlu,

    conte breton

    recueilli

    par Luzel,

    ouv.

    cit.

    :

    la fin le

    sauvage apparat

    sous sa vraie forme,

    qui

    est celle d'une "belle

    reine" ;

    dans Basile I

    V-6

    l'auxiliaire

    sauvage

    qui"

    sauve in

    extremis l'hrone

    travestie

    est

    une "orca") et que,

    paralllement, dans

    telle

    version portugaise,

    l'hrone

    ait

    affaire

    la fois un lion (qui, comme l'ours de la

    Chandeleur a

    des comportements inverss puisqu'il dort les yeux

    ouverts et veille

    les

    yeux ferms ) et une

    "filha

    muda"

    (S. Leite

    de Vasconcellos, ouv. cit.

    n

    215

    "A

    rapariga veslida de homen"). La

    tradition

    post-salomonienne

    o

    le sauvage

    est

    un

    dmon mle du genre

    d'Asmode

    n'a

    donc

    pas entirement recouvert l'pisode et

    a

    laiss

    subsister

    des traces de versions concurrentes.

    28.

    Il

    s'agit bien

    sr d'une fausse

    mutit

    puisque,

    aux

    moments voulus,

    la

    princesse

    mettra

    les interjections

    prophtiques puis

    donnera les

    explications

    attendues.

    Sur

    l'interdiction

    de parler et de rire dans les rituels et fictions initiatiques, voir

    V.

    Propp

    Edipo a la

    luz

    del

    folklore,

    trad.

    esp. Madrid 1982, p.57 sq.

    Sur

    les tabous

    et

    conditions de la rclusion

    initiatique prmatrimoniale,

    voir Id.

    Raices..., p.45-60

    (Los

    ninos en la crcel).

    29.

    Motif

    H 343 (Suitor-test : Bringing dumb

    princess to

    speak)

    cf. Boggs op.

    cit. n

    *860

    et

    Aa-Th. 945

    (Luck

    and intelligence).

    Paralllement, sur

    le

    thme,

    du rire bloqu puis

    libr,

    voir

    motif H 341 (Suitor-test

    :

    making

    princess

    laugh) et

    types 559

    (Dungbeetle) et

    571-574

    (Making

    the princess laugh). Dans la plupart de ces

    cas

    le

    rire

    est li au mariage,

    et

    la

    fin

    d'un stage

    initiatique: voir

    tude

    gnrale et

    bibliographie dans V.

    Propp

    Edipo..., p.47-86 (La risa

    ritual en el

    folklore).

    Voir

    galement les diverses

    tudes

    de

    A.

    H.

    Krappe dj

    cites

    sur les rires prophtiques et rvlateurs (cf.

    motifs

    N 456

    Enigmatical laugh reveals

    secret

    knowledge,

    D

    1318-2-1.

    Laughing

    fish reveals unjust

    judgement), et

    les

    types

    670

    et

    671

    sur

    le

    thme

    du hros qui comprend le langage des

    animaux et

    rit de ce qui lui est ainsi rvl...

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    14/27

    LA PRINCESSE MUETTE ET L'AMOUR

    MEDECIN

    267

    Dans

    les mythes et les

    contes, le silence que,

    dans

    les rites, doivent

    observer,

    pendant

    la

    priode de

    marge

    du

    rite de passage, les

    candidats

    l'initiation

    et

    au

    mariage,

    est

    transpos

    dans l'image

    de Yencantamiento

    provisoire auquel ils sont soumis. Enchantement qui prend

    aussi,

    trs

    souvent,

    l'allure d'une adoption provisoire

    mais force

    d'une forme animale

    ou sauvage (cf.

    tous

    les hommes sauvages

    qui

    sont en

    fait

    des

    princes

    charmants "enchants"

    vous

    reprendre une forme "civilise"

    la

    fin).-

    Ainsi

    trouve-t-on

    un

    symtrique

    fminin du sauvage dans la

    "swan

    maiden"

    ou dans les

    fes

    mlusiniennes, souvent muettes,

    gnralement

    lies

    l'eau

    (source,

    lac

    ou mer), auxquelles doit s'associer tout hros fondateur de

    lignage30. Le scnario de leur "capture" est souvent analogue

    celui de la

    capture

    de

    l'homme

    sauvage31,

    et

    leurs

    systmes

    de

    manifestation

    sont

    souvent identiques : comportements contre-temps", alternance de mutis

    me

    t d'onomatopes (cris, soupirs, clats de rire) ou manifestations

    mystrieuses dont

    l'explication finale rvlera la

    signification prophtique32.

    Toujours est-il qu'en Galice et au

    Portugal

    ces

    rcits "mlusiniens" sont

    souvent

    centrs sur

    le personnage d'une fille

    muette

    qui ne se dcide

    parler

    que dans une circonstance

    particulirement

    critique33.

    On ne

    sera donc

    pas

    surpris de retrouver, associe

    au personnage

    de

    la

    princesse prisonnire

    ou enchante

    des contes ibriques, la

    mme dialectique

    acoustique

    qui

    caractrisait

    les

    pigones

    d'Asmode

    dans

    les

    autres

    rcits

    europens : j'ai essay de montrer comment cette pondration du silence et

    de l'expression sonore

    s'enracinait dans une mythologie de l'ours et dans les

    rites

    du

    dbut

    du mois

    de

    Fvrier

    (cycle

    Chandeleur-Sainte

    Agathe). Or

    nous

    avons vu

    que

    les

    textes

    hispano-portugais semblent

    plutt,

    notamment

    30. Voir les nombreux rcits

    sur

    lesfadas galiciennes, les

    mouras

    encantadas portugaises, les

    lamias

    basques, les xanas asturiennes...

    31.

    Lequel

    dpend probablement, pour

    certains

    aspects,

    de

    mythes

    anciens

    relatifs

    la

    capture

    de dmons

    aquatiques

    (thmes de

    l'enivrement,

    du combat

    transformations, du

    gu, etc..) voir

    la

    note 44 de

    la premire partie.

    Le procd

    pour

    capturer une femme-

    cygne

    est

    le mme

    que

    celui qui permet de dsenchanter un loup-garou :

    il

    suffit de les

    empcher

    de reprendre leur forme animale en dtruisant la "chemise" ou la

    peau

    qu'ils

    revtent

    pour pratiquer la mtamorphose.

    32.

    Voir

    premire partie, note 68.

    Pour

    le thme du sauvage muet

    finalement

    guri de son

    mutisme

    par

    une femme, voir

    les

    rcits

    sur

    Valentin

    et

    Ourson

    (Namelos)

    et

    la Vie

    d'Esope dans le premier cas Rosilia rend la

    parole

    au sauvage en coupant une veine sous

    sa langue ; dans le

    second c'est

    Isis qui gurit

    l'esclave

    philosophe. (Souvenir

    du

    rituel

    gyptien de l'"ouverture de la bouche'7).

    33.

    Voir le conte Muda Mudella

    (T. Braga. Contos tradicionaes

    do povo

    portuguez.

    Porto

    1883,

    t.

    1,

    n

    18)

    et

    la lgende

    gnalogique

    du

    lignage

    des

    Marinhos.

    Dans

    les

    contes

    indiens les poissons rient au passage de la reine infidle; voir

    D.

    Devoto. "Mudo como

    un

    pescado"

    in Textos y contextos. Madrid 1974, p. 170, sq.

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    15/27

    268 FRANOIS

    DELPECH

    travers la rfrence

    Saint Antoine, s'inscrire dans un contexte folklorique

    printanier

    et prsolstitial (cycle de Mai et de

    la

    Saint Jean). On devrait

    donc,

    en

    bonne logique analogique,

    retrouver

    dans

    ce

    dernier

    contexte calendaire,

    une ractivation de

    la mme dialectique

    acoustique :

    c'est

    effectivement ce

    qui se passe, comme

    on

    s'en

    rend

    compte

    si l'on

    veut bien

    suivre

    la

    sinueuse

    mais efficace dmarche qui

    a

    permis

    Claude Gaignebet de mettre

    jour

    l'arrire-fond de

    pneumatologie

    populaire sur lequel

    se constituent

    "le

    folklore enfantin du pet

    "et les

    rituels du Loup

    Vert" de

    Jumiges

    ( la

    Saint

    Jean)34. Si l'on

    prend

    galement

    en considration l'interprtation dumzi-

    lienne de la desse romaine Angerona,

    patronne silencieuse

    des

    angusti

    dies

    du

    solstice

    d'hiver, et du dieu Scandinave

    Vidarr,

    "l'Ase silencieux" qui seul

    vient bout du

    Loup

    eschatologique, on s'aperoit que l'on est

    vraisembla

    blementn prsence des

    traces

    d'un

    trs ancien

    systme

    de reprsentations

    calendaires

    et

    mtorologiques (d'origine indo-europenne?) fond

    sur les

    cycles

    alternatifs

    d'tranglement

    et

    de

    libration engendrs

    par la

    course

    annuelle du soleil35.

    Il

    y a donc de fortes prsomptions

    en

    faveur d'une

    explication

    du motif

    (silence et

    onomatopes

    nigmatiques de la muette ou du

    sauvage)

    par

    l'enracinement du

    conte

    dans ce systme, qui a d

    survivre

    l'tat implicite,

    enfoui

    dans

    un

    ensemble d'images,

    de gestes

    et

    de fictions apparemment

    inconnexes,

    dont

    le folklore oral

    a

    recueilli et

    transmis

    les

    disjecta membra,

    tout en

    les

    refondant

    dans

    le

    moule

    initiatico-matrimonial

    qui

    informe

    la

    plupart des contes merveilleux36.

    34.

    Voir C. Gaignebet.

    Le folklore

    obscne des

    enfants.

    Paris 1974, p.33-168 ("Le folklore

    enfantin du

    pet"), notamment p.52

    sq,

    sur les

    fictions et rituels qui

    mettent en

    oeuvre

    successivement

    contrainte verbale

    et

    conduites de bruit. Le

    "loup

    pteur"

    de

    la

    Saint

    Jean

    est

    le

    symtrique

    de l'ours

    pteur

    de la Chandeleur, de mme

    que

    Saint Jean est,

    comme Saint Biaise,

    un

    dlieur

    de

    langue. On

    retrouve

    galement

    le

    paralllisme

    entre

    code sonore (registre de la parole

    et du

    rire)

    et code

    alimentaire (complmentaire

    du

    prcdent

    en tant

    que li

    l'ouverture de la bouche, donc

    la dsocclusion)

    que

    nous

    avions not propos des sauvages de type ursin.

    Noter

    que, selon les versions du type

    Ahijada,

    la fille travestie convoque les poissons avec un sifflet ou en leur

    jetant

    du pain,

    et

    que la princesse muette met des cris, des clats de

    rire

    ou de simples soupirs...

    35.

    Voir G. Dumzil. Desses

    latines et

    mythes

    vdiques (Paris

    1956)

    ("Diva Angerona").

    36.

    C'est

    dans la version,

    par ailleurs

    mixte, de Basile

    (IV-6) que

    le code

    vocal

    est

    le plus

    explicitement mis en oeuvre: la naissance de

    l'hrone est

    annonce

    par

    une

    voix

    mystrieuse

    ; l'ogresse est convoque par un

    cho, et

    c'est

    encore, invisible,

    par sa seule

    voix

    qu'elle

    annonce le

    sexe et

    l'innocence

    de

    la

    fille

    travestie...

    Le

    motif

    C 21

    ("Ah

    me ":

    ogre's

    name uttered.

    He appears)

    du personnage surnaturel

    convoqu

    par

    une

    onomatope ( laquelle

    son

    nom

    est

    identique) apparat dans

    plusieurs

    versions du type 425 K. Voir galement Boggs op. cit. type

    *860

    ("Hazelnuts ofay, ay,

    ay")

    o

    apparat

    le

    thme de

    la princesse muette (versions asturiennes).

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    16/27

    LA

    PRINCESSE MUETTE ET L'AMOUR MEDECIN 269

    On

    doit

    maintenant se demander

    si

    le lien qui

    associe, dans

    le

    conte

    qui

    nous

    occupe, la princesse

    muette et

    l'hrone

    dguise en

    homme

    est

    purement accidentel,

    s'il

    est

    dmarqu

    de celui qui,

    dans

    des

    traditions

    anciennes que j'ai voques, unit dans un contexte erotique, le sauvage et la

    fille travestie,

    ou bien s'il

    est "originaire" et investi d'un

    symbolisme

    particulier.

    Remarquons d'abord

    que

    dans plusieurs des

    contes

    que j'ai examins

    dans mon

    tude

    sur le thme de la Doncella Guerrera, l'hrone travestie se

    fait accompagner d'un serviteur muet (ou qu'elle fait passer

    pour muet)37, ou

    devient

    elle-mme

    muette38.

    Ces cas,

    joints

    ceux de filles travesties qui

    russissent

    faire parler un sauvage ou une princesse obstinment muets,

    suggrent

    que

    le

    transvestisme

    et

    le

    silence

    rituel

    sont structuralement

    associs.

    Ce qui

    est confirm par les

    mythes

    et les rcits o

    le

    secret du

    dguisement est perc

    par

    une crature muette {cf. les poissons qui rient des

    amants de la reine, dguiss en chambrires), autant que par les contes et les

    jeux, lis

    des contextes narratifs et crmoniels de type initiatique39,

    dont

    certains ressortissent des

    inversions

    proprement carnavalesques, o

    le

    travestissement

    a

    une fonction exhilarante

    et contribue faire

    parler

    ou rire

    le muet rcalcitrant.

    Dans

    ces

    cas,

    plus que

    le dguisement lui-mme, c'est ce qu'il cache, ou

    l'opration

    mme

    du

    dvoilement, qui

    provoque

    la rupture

    du silence;

    la

    parade masque

    n'tant

    que

    prtexte

    et

    prolgomne

    du moment essentiel,

    qui est celui de la

    rvlation,

    de la manifestation

    longtemps

    retenue.

    Dsoccultation

    qui

    est

    une dsocclusion,

    mise

    jour

    de ce qui tait enfoui,

    ouverture d'un nouveau

    cycle

    (calendaire, liturgique, social) et remise

    en

    marche du jeu de l'change et des

    communications.

    La

    denudation,

    l'exhibi

    tionexuelle,

    actes magiques

    et transgressifs, sont ncessaires pour

    produire

    le

    dbloquage cette notion est

    sous-jacente

    dans plusieurs mythes que l'on

    retrouve d'un bout

    l'autre

    de l'aire indo-europenne o

    un

    trickster

    ~37.

    >

    Voir J. Amades.

    Rondallistica,

    p. 1452 (n 1995:

    lgende du Castell

    d'Oix).

    38. Dans une version sicilienne recueillie

    par

    G. Pitre, La bella

    del dente d'argento,

    Kjolombr

    reconnat sa belle en faisant

    rire

    les filles (d'o le rle de la dent d'argent, qui

    permet

    l'identification?). Il l'enlve mais, en entendant le coq, elle devient

    muette.

    Ce

    n'est qu'au

    moment o il voudra en pouser une autre

    qu'elle reprendra la

    parole et

    ses

    droits... Ce motif apparat

    souvent

    li au

    thme

    de la "fiance abandonne" (type

    884) et

    aux diffrents

    contes

    sur la "fiance

    substitue".

    39.

    Voir en

    particulier

    le rite

    ocanien voqu

    par V.

    Propp (Edipo...

    p. 59) o une

    fille

    dguise en homme

    s'efforce

    de faire

    rire

    les

    nouveaux initis, lesquels doivent

    rester

    impassibles...

    Voir

    galement G.

    Bateson.

    La

    crmonie

    du

    Naven

    (trad,

    fr,

    Paris

    1971,

    passim).

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    17/27

    270

    FRANOIS DELPECH

    impudique

    parvient,

    par un geste obscne,

    faire

    parler

    ou rire une

    divinit

    rticente

    et,

    comme

    en un renouvellement de la

    cosmogonie,

    librer les

    forces

    captives

    et

    rtablir

    les

    rciprocits suspendues40.

    Toute

    la squence

    des

    "tests de

    sexe", sur laquelle

    reposent les contes

    du

    cycle de la Doncella

    Guerrera

    (preuves-piges

    qui tendent

    obliger l'hrone

    rvler son

    sexe),

    et que l'on retrouve dans nombre de versions du type 425K, fait apparatre,

    par un effet de

    symtrie41,

    que la

    dsoccultation

    n'est

    pas univoque, mais

    rciproque

    et gnralise, chaque

    partenaire

    tant l'agent de

    la

    dsocculta

    tione l'autre, l'opration correspondant

    symboliquement une

    transition

    sociale

    et

    cosmique.

    Ces considrations

    nous

    permettent de

    saisir

    la nature profonde de

    cet

    "enchantement",

    la

    signification

    de

    ce

    mutisme,

    qui

    sont

    les

    mmes pour

    la

    princesse des

    contes ibriques,

    le sauvage des

    autres

    versions

    europennes,

    et,

    dans

    une certaine mesure, les

    poissons ou serpents des rcits

    orientaux

    : ils

    sont en tat

    d'occlusion,

    de contrainte erotique,

    d'attente

    du moment o ils

    sortiront de Yangustia42.

    Leur

    comportement, alternance de silence et

    d'clats onomatopiques, fait

    partie d'un

    jeu

    agonistique (provocation et

    recul,

    mtamorphoses

    et inversions), rpt en cho par

    le protagoniste

    travesti

    (qui par

    un

    comportement

    symtrique

    mascarade

    et

    dvoilement,

    pratique de l'quivoque sexuelle leur

    donne

    la rplique), jeu apparent

    un concours d'nigmes qui serait aussi une

    partie

    de cache-cache, et

    destin

    actualiser le franchissement d'un

    seuil,

    mettre

    en

    scne

    une

    dsocclusion,

    une gurison...

    40 . Il s'agit, pour

    l'essentiel

    du mythe de Baubo

    (qui

    fair

    rire

    Dmeter),

    et

    d'pisodes des

    mythologies

    Scandinave

    (Loki

    et

    Skadi)

    et

    japonaise

    (Ame

    no Uzume

    et Amaterasu)

    :

    voir V. Propp (Edipo... p.73-85), S. Reinach ("Le

    rire

    rituel" in Revue de l'Universit de

    Bruxelles 191 1)

    et,

    plus rcemment,

    S. Mandel, "The

    laughter of

    Nordic and

    Celtic-Irish

    Tricksters" Fabula 23-1982, et

    G.

    Devereux. Baubo. La Vulve

    mythique, Paris

    1983. Le

    rythme

    alternatif

    d'occultation

    et

    de

    dsoccultation qu'impliquent

    ces

    mythes est

    certainement

    li

    des rituels saisonniers semblables ceux qu'tudie

    M .

    Granet dans

    "Coutumes matrimoniales de la Chine antique" in

    Etudes

    Sociologiques

    sur

    la Chine.

    Paris

    1953, p.65

    sq.

    (sur

    la

    dpendance

    rciproque des

    rites calendaires et erotiques). Le

    caractre la fois transculturel

    et

    relativement

    localis

    de ces

    mythes

    et

    des rites qui les

    actualisent

    semble

    conseiller plutt une interprtation

    par

    l'hritage prhistorique que

    par

    une thorie diffusionniste, ou psychologisante (Devereux).

    41 . Du fait que ce

    n'est pas,

    dans ces

    cas,

    la

    fille travestie qui obtient une

    rvlation d'un

    autre personnage,

    mais,

    l'inverse, un autre

    personnage

    qui essaie de

    la forcer

    rvler

    son sexe. Le travestissement

    tant,

    selon les cas,

    instrument

    d'occultation

    et

    de

    dsoccultation, ou les deux la fois.

    42 .

    Moment

    qui sera la fois rite de passage

    et seuil

    calendaire, voire renouvellement de la

    cosmogonie

    (cf.

    la

    signification

    palingnsique

    des

    poissons

    qui

    parlent,

    ou

    du

    loup

    qui

    se

    dlie, la

    fin du monde).

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    18/27

    LA

    PRINCESSE MUETTE ET L'AMOUR MEDECIN 271

    III.

    L'AMOUR MEDECIN

    L'

    "enchantement"

    peut

    en

    effet

    tre

    vcu

    comme

    une

    maladie;

    la

    dsoccultation

    comme

    le rsultat d'une thrapeutique43. Son agent sera

    donc, d'une manire ou d'une autre, mdecin :

    ce

    qui nous amne

    envisager non

    comme

    des

    versions

    aberrantes ou contamines, mais

    comme

    partie intgrante

    de

    la mme "mythologie",

    les versions

    ibriques

    o

    l'hrone travestie

    est

    (ou se fait passer

    pour)

    mdecin44.

    Dans

    ces

    versions

    apparat peut-tre

    une

    forme plus ancienne du type, dpouill ici du

    merveilleux

    chrtien

    (le "parrain"

    n'est

    pas

    un saint,

    mais

    un

    inconnu, ou

    le

    maire du village, et il fait faire des tudes de mdecine

    sa protge, qu'il fait

    passer

    pour

    un garon)45

    et

    de l'intermde piscicole,

    remplac

    par un pisode

    o le "docteur" travesti gurit le

    roi

    d'une maladie et devient mdecin du

    palais.

    Suivent les squences habituelles de la vaine tentative de sduction de

    la part de la reine, puis de la fausse

    assertion et

    de l'preuve impose

    l'hrone (sauvetage et gurison de la princesse muette, sur du

    roi

    dans les

    deux

    versions).

    Pour apprcier

    l'originalit relative de ces

    versions

    il

    faut d'abord tenir

    compte

    du fait que le

    thme

    mdical est plus

    ou

    moins sous-jacent

    dans

    plusieurs des "textes" que nous avons voqus dans

    cette

    tude.

    L'hrone

    y

    est en effet souvent associe,

    plus

    ou moins directement,

    un pouvoir

    thaumaturgique : dans

    le

    Roman de Silence,

    la

    mre de

    la

    protagoniste,

    Eufmie, obtient,

    en

    rcompense de

    sa

    comptence mdicale, le droit de

    se

    43. Le

    contenu

    sexuel du

    jeu

    rvle

    la

    nature

    erotique

    de 1

    "enchantement".

    Une chanson

    franaise

    exprime

    clairement de

    quelle

    "maladie" relve le mutisme

    et quelle

    est la

    finalit

    du processus dclench : "EU'

    fit la

    muette /

    pour

    un mdecin...

    Il lui

    donne une herbe /

    qui crot

    dans la

    main, / qui

    fait

    pousser l'ventre et grossir les seins"

    (in

    J . Bujeaud.

    Chants

    et

    chansons populaires

    des

    provinces

    de

    l'Ouest,

    Niort

    1865,

    t.

    2,

    p.290.

    //

    tait

    trois nonnes")... ,

    44.

    Pour

    le

    domaine

    ibrique essentiellement deux verions :

    "El

    mdico boniton, recueilli

    en

    1871 (sans autre prcision )

    par

    A. Machado

    y

    Alvarez (Estudios sobre literatura

    popular, in

    Biblioteca

    de las Tradiciones Populares Espanolas. t. 5. Madrid 1884, p. 103

    sq.),

    et

    El Joan Savi (J.

    Amades

    Rondallistica...

    n

    405). Espinosa, qui ignore la version

    catalane, classe celle de

    Machado

    dans son type 146 (La ahijada de

    S.

    P.), et

    S.

    Thompson, qui cite

    la

    version

    d'Amades

    mais ignore celle de Machado, "fabrique" un

    type

    881*

    ( Women in

    Men's

    Clothes as

    Physician

    in

    Court.

    Queen's attempt at seduction

    repulsed. Queen says doctor

    has

    boasted that he could

    give

    speech to one born dumb. In

    court

    dumb

    person

    speaks and

    tells

    truth)

    qu'il distingue du type 514** (The Court

    Physician)

    dans

    lequel il classe les versions

    d'Espinosa

    146

    45.

    Dans

    les

    deux cas

    la

    fille

    a

    un

    nom

    pralable sa nouvelle

    indentit,

    et

    ce

    nom

    (Marie)

    est le mme: les deux

    versions

    dpendent

    manifestement d'une

    mme tradition.

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    19/27

    272 FRANOIS DELPECH

    choisir

    librement un mari46

    ; dans

    le conte occitan recueilli par

    D. Fabre et

    J. Lacroix (ouv.

    cit.), la

    "fille dguise

    en

    garon" te une pine

    de la patte

    d'un

    ours,

    qu'elle

    fera

    ensuite

    parler;

    enfin

    et

    surtout

    dans

    le

    rcit

    de

    Sercambi

    (op.

    cit.,

    De Magna

    Prudentia)

    Calidonia'\

    vtue en

    mdecin

    obtient, que le roi lui octroie les pleins

    pouvoirs

    et le gurit de sa mlancolie

    en

    dmasquant

    la fausse "suivante" de la reine47.

    Il

    semble

    bien

    qu'il y

    a

    un lien

    profond

    entre travestissement et pouvoir

    thaumaturgique

    (lien dont

    l'origine est

    peut-tre

    rechercher

    dans les

    pratiques

    chamaniques)

    et qu'un

    type de femme-mdecin

    dguise

    en homme

    se retrouve dans diffrents

    rcits

    (mythes et contes) qui reposent sans doute,

    au

    mme titre

    que ceux qui associent crature sauvage et

    femme

    travestie,

    sur

    un systme

    de

    reprsentations d'origine

    prhistorique

    dont on

    ne

    peut

    qu'entrevoir

    la configuration.

    Pour

    ne s'en

    tenir qu'aux

    rcits

    qui ont une relation plus ou moins

    directe avec le type de

    conte

    qui nous occupe,

    on

    retiendra ceux

    dont

    l'hrone,

    travestie en homme, se fait passer pour un mdecin et gurit

    un

    roi

    ou

    un prince dont,

    dans plusieurs cas,

    elle devient

    l'pouse. C'est ce

    qui

    arrive dans

    plusieurs

    versions

    du

    type 425 K,

    dont nous

    avons,

    plusieurs

    reprises, remarqu l'homologie avec le type Ahijada spare par force de

    son partenaire surnaturel bless

    par

    ses

    surs jalouses, l'hrone se

    dguise

    en

    homme et, grce un remde magique dont

    elle

    a surpris le secret

    (overhearing

    motif),

    elle russit,

    incognito,

    le

    gurir puis

    se

    fait

    reconnatre

    et l'pouse ou renoue

    avec lui48.

    46 . Episode analogue

    dans

    le Dcamron (III, 9) o

    Gilette de Narbonne gurit

    le

    roi de

    France et obtient le droit de dsigner qui

    elle

    veut

    pour

    mari

    (remarquer les

    traces

    d'idologie "matriarcale" associes au thme de

    la

    "femme mdecin").

    47.

    Voir

    R. Koehler "Illustrazioni comparative

    ad

    alcune

    novelle di

    Giovanni Sercambi"

    (Giornale Storico dlia letteratura italiana

    14-1889)

    qui

    cite

    une version analogue tire

    du

    Scha'aschuim de

    J.

    Sabara,

    dont

    il

    est

    intressant

    de

    noter

    qu'il

    vcut

    en Espagne

    au

    12e

    s.

    Dans ce dernier texte la

    fille

    ne se dguise pas en

    homme.

    Il n'y a ni muette ni

    sauvage chez

    Sercambi

    et

    Sabara c'est

    par

    sa seule science, qui confine la double vue,

    que

    l'hrone

    perce

    le

    secret

    de l'adultre de la reine. Elle n'a

    pas

    besoin

    d'auxiliaire

    car

    elle

    porte

    en elle

    mme le pouvoir magique.

    Noter que

    le thme du rire

    nigmatique

    de

    l'enfant

    est li,

    dans plusieurs

    rcits orientaux,

    celui de

    la

    maladie du roi (qui veut

    prcisment sacrifier l'enfant pour se gurir):

    voir

    A. H.

    Krappe

    "The

    foundation

    sacrifice..."

    (p.

    171 sq).

    48. Voir Legey. Contes

    et

    lgendes populaires du Maroc. Paris 1926 ("Moulay Hammam, la

    jeune

    fille

    et

    les gholes",

    p. 104 sq.), et

    Busk The

    folk-lore of Rome.

    London, 1874,

    p.57

    (Voir parallles dans

    E. Cosquin.

    Contes populaires de Lorraine, rd. Marseille

    1978,

    t.

    2, p.221

    sq.). Dans "Le caftan d'amour

    tachet

    de

    passion"

    (E.

    Dermenghem.

    Contes

    fasis.

    rd.

    Paris

    1975,

    p.225

    sq.)

    la

    fille

    du sultan

    tombe malade

    d'amour

    pour "Si

    Ali",

    qui n'est autre que l'hrone travestie,

    et

    ne voit son tat s'amliorer que si

    on

    lui donne

    des

    morceaux coups du

    corps

    de

    cette

    dernire...

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    20/27

    LA

    PRINCESSE

    MUETTE ET L'AMOUR

    MEDECIN

    273

    Ces versions sont contamines avec le type 432 {The

    prince

    as bird)

    o

    l'amant

    merveilleux

    prend la forme d'un

    oiseau pour

    visiter sa belle, se fait

    blesser

    par

    des clats

    de

    verre,

    et

    ne

    gurit

    que

    lorsque, dguise

    en

    mdecin,

    l'hrone

    vient,

    sans se

    faire

    reconnatre,

    lui appliquer

    un onguent magique49.

    De mme, dans les

    types

    434 {The stolen mirror) et 435* {The dumb

    princess

    disenchants the prince), o le

    prince

    malade (d'amour) pouse le "mdecin"

    qui

    l'a guri, on retrouve

    le

    motif de

    la princesse

    muette

    qui se met

    parler

    et

    de 1' "enchantement" qui se traduit

    la fois

    par

    une mtamorphose animale

    et une

    langueur

    amoureuse50.

    C'est enfin dans

    le

    cycle

    narratif examin

    propos de

    la

    Doncella

    Guerrero

    que l'on remarque

    le

    lien du

    travestissement

    et du pouvoir

    thaumaturgique

    :

    la

    fille

    dguise

    se

    substitue

    son

    pre

    malade,

    ou

    gurit,

    au cours de

    ses

    preuves, tel ou tel

    personnage, ou encore

    ressuscite un

    frre

    mort,

    ou

    conquiert l'Eau

    de Vie51.

    La

    plupart de

    ces

    fictions semblent avoir

    connu un

    dveloppement

    particulirement important

    autour du bassin mditerranen52, et

    se sont

    solidement

    implantes dans

    la

    pninsule ibrique

    o,

    on

    le

    sait

    par

    ailleurs,

    le

    49. Voir le motif K. 1825-1-1-1. (Girl disguised as doctor). Il

    existe

    plusieurs versions

    ibriques de ce type qui .rappelle le Lai de

    Yonec: voir

    notamment J.

    Amades

    Rondallistica n 13 ("La

    mallerengueta"),

    N 97 ("/ princep de

    la

    cara de clavell...")

    et

    n 138

    ("Laflor

    del ricardeir). Le prince

    est

    souvent intimement

    li

    voire identifi

    une plante (voir J.A.

    Mason et

    A. Espinosa. "Porto-Rican folklore" Journal

    of

    American

    folk-lore

    39-1926, p.312: "Elramito de arreijn"). Comparer avec le type 512

    A* (The

    Stepdaughter

    driven from

    home)

    qui

    correspond un conte cubain proche

    du

    type Ahijada: l'preuve impose

    l'hrone consiste

    non pas

    capturer un sauvage ou

    rcuprer

    une princesse muette, mais s'emparer

    d'une

    plume d'oiseau. A la fin

    du

    conte

    la plume se transforme en un oiseau qui

    rvle

    le

    sexe

    de la

    fille travestie et dnonce

    la

    reine. Dans le type 707 (The Three Golden Sons), la

    soeur

    conquiert

    la fois l'Oiseau de

    Vrit

    et

    l'Eau

    de Vie,

    avec laquelle

    elle

    dsenchantera ses

    frres.

    50.

    Pour le type 435*

    voir

    la version espagnole (assez "littraire") de A. Machado y Alvarez,

    ouv. cit. t. 1, p. 156 sq. (" El papagayo del cuento"),

    et

    pour le type 434 la version catalane

    recueillie

    par

    Amades (Rondallistica, n

    90: "La

    princesa triste"). Le thme du mutisme

    apparat

    galement,

    dans un scnario analogue, dans le type 879

    A

    (Fisher husband of

    the princess) dont le hros muet ne recouvre la

    parole

    que pour

    sauver in extremis le

    "mdecin"

    (la

    princesse travestie) qui a vainement

    essay

    de le gurir. Je ne connais

    pas

    de version hispanique de

    ce type.

    51.

    cf. Basile (111-6); L.

    Gonzenbach. Sicilianische

    Marchen. (Leipzig 1870) t. 1,

    n

    12; V.

    Imbriani.

    La

    novellaja

    Fiorentina (Livorno

    1877,

    n 37:

    "Fanta Ghir"), R.M. Dawkins

    Modem

    Greek

    folktales, (Oxford 1953, p.312 sq. n 47 b.). Voir, pour le thme de la

    rsurrection du frre

    par

    la fille dguise, les lgendes d'Asie centrale cites

    par

    P_.

    Samuel, Amazones,

    guerrires

    et

    gaillardes (Bruxelles

    1975)

    p. 129

    sq.

    52. Les

    rcits

    asiatiques (altaques et sibriens)

    semblent d'origine turque ou

    turco-mongole.

  • 7/24/2019 article_casa_0076-230x_1985_num_21_1_2446

    21/27

    274 FRANOIS DELPECH

    thme

    de

    la femme-mdecin

    a eu

    une

    diffusion littraire presque comparable

    celui de la Doncella Guerrera53.

    C'est,

    l

    encore,

    en

    Orient

    qu'il

    faut

    chercher la

    source

    probable

    de

    ces

    fictions

    on a vu que

    c'est la "fausse fiance"

    (dieu dguis en femme)

    qui,

    dans

    le

    cycle

    indo-europen

    du "Festin d'immortalit", reconquiert sur les

    dmons l'Ambroisie,

    laquelle

    correspond

    l' Eau

    de Vie" des contes

    folkloriques54. Mais c'est plus prcisment, en Inde que l'on retrouve les

    traces

    les

    plus insistantes d'un type

    mythique

    archaque

    de femme travestie

    dote de pouvoirs thaumaturgiques perscute

    par

    sa

    belle-mre,

    Kirtisena

    s'chappe dguise en

    homme

    et part en qute de

    son

    mari

    aprs

    avoir subi

    diverses

    preuves

    elle apprend,

    en

    surprenant la conversation d'une ogresse,

    comment

    dbarraser

    le roi

    des

    insectes

    qui

    parasitent

    son

    corps

    et

    le

    gurit55.

    Mais

    c'est surtout dans le roman populaire

    chinois

    de Miao-Shan

    biogra

    phieolklorise de

    Kuan Yin (desse de

    la

    piti, d'origine indienne)

    que

    l'on

    voit pleinement dvelopp et

    exalt

    le type de la femme dguise investie

    d'un pouvoir magique de gurison perscute

    par

    le roi son pre

    cause de

    sa vocation asctique et de son refus du mariage, mise

    mort puis ressuscite

    et intronise

    par

    le Buddha dans l'assemble des dieux,

    elle

    revient

    sur

    terre,

    se

    dguise en

    mdecin,

    et,

    sacrifiant diverses parties

    de

    son

    propre

    corps, elle

    gurit le roi des ulcres que lui ont envoys

    les

    dieux en

    chtiment

    de sa

    cruaut.

    Il

    est

    intressant

    de noter que Kuan Yin

    a

    des rapports

    privilgis

    53. Le thme

    apparait

    dans la Comedia, o

    il est li celui

    de la mujer varonil (voir. M.

    Mckendrick. Women and Society in the

    Spanish

    Drama

    of

    the Golden Age. Cambridge

    Univ.

    1974, p. 233 sq., propos de La hermosura

    aborrecida

    de Lope

    et

    de El amor

    mdico

    de Tirso) mais c'est l'aspect miraculeux ou magique de cette mdecine, plus