Article du Quotidien d'Oran sur "Paris-Marrakech"

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ECONOMIESupplément Le Quotidien d'OranMardi 24 janvier 2012 12

out ce que vous avez pu ima-giner sur Marrakech et ses attraitsmultiples pour les élites économi-ques et politiques de France et deNavarre n’était pas faux. La lecturedu livre vous fera comprendrenéanmoins que votre imaginationqui s’alimente de rumeurs et debribes d’information était encoretrès loin de la réalité. «Kech», pourreprendre la formule «in» en usagechez la jetset parisienne, est unegrande destination pour les touris-tes du monde entier. Elle incarnenéanmoins un «bout de Paris à deuxpas du désert», un ultime arrondis-sement parisien exotique où l’onprend du bon temps tout en conti-nuant de faire de la politique. Lesélites françaises - de droite ou degauche – sont chez elles à Marra-kech, y possèdent des pied-à-terreou bien y ont, à longueur d’année,des habitudes dans des hôtels hy-perluxueux. Souvent aux frais de laprincesse, ce qui dans le cas du Ma-roc signifie aux frais du palais. Lesdeux journalistes s’y intéressent enallant dans des détails sur des ac-teurs souvent présents dans lesmagazines «people» qui illustrentparfaitement la singularité de la re-lation entre le Maroc et la France.Et les informations précises sur lesbiens immobiliers des membres del’élite française à Marrakech, leurshabitudes, les «invitations royales»qui ne peuvent être refusées, fontde la ville ocre une «porte d’entréesur un sujet autrement plus vaste,celui des relations entre la Franceet son ancien protectorat dont elleest une sorte de précipité».

DES MŒURS PAS«TOUJOURS GLORIEUSES»DES ÉLITES

Et au risque de déplaire de Paris àMarrakech en passant par Rabat,les deux journalistes donnent à voirle «ballet des hommes politiques,des intellectuels, des chefs d’entre-prise français qui y viennent en vil-légiature». Et, poursuivent-ils, «ob-server les mœurs – pas toujours glo-rieuses – de nos élites sur place ren-voie forcément aux liens entre laFrance et le Maroc». Ce sont desliens «sans équivalent», un sujet«d’étonnement» et «d’ahurissement»pour les étrangers car aucun payseuropéen «n’entretient avec l’une deses anciennes colonies des relationscomparables à celles qui unissentla France et le Maroc». Le livre nese contente pas de parler des éliteséconomiques et politiques françai-ses qui trouvent à Marrakech unlieu discret pour l’entretien d’unerelation qui fait des présidents – etdes candidats – des représentantsavérés ou potentiels du Cac 40. Lelivre parle aussi des élites marocai-nes. De Mohamed VI qui n’a rien«d’un roi des pauvres» et cherchesurtout à se distinguer de son pa-ternel Hassan II et entend avoir ses«propres palais et, dans le même

Les relationsfranco-marocaines

au scalpel

PAR SALIM RABIA

Le rite ne change pas. Que la France se metteen congés et voilà Marrakech saisie par la fiè-vre. «Vacances» rime alors avec «effervescen-ce» pour la cité presque millénaire. À l’aéro-port international Marrakech-Menara, l’agita-tion est palpable. Le hall d’arrivée ressemble àun souk. On s’y bouscule gentiment sous l’œilgoguenard des policiers de service. Les doua-niers aussi sont à leur poste, près de la sortie.S’ils auscultent, palpent, fouillent les valisesdes Marocains de retour au pays, ils délais-sent les bagages des touristes français. Bien-venue «dans le plus beau pays du monde»,comme l’assure la publicité de l’office du tou-risme. À deux pas des guichets des passagers«normaux», la file réservée aux diplomates etaux équipages s’écoule en bon ordre. Quiaurait imaginé qu’autant d’ambassadeurs,actifs ou à la retraite, fréquentent Marrakech? Peu de têtes connues parmi ceux qui, passe-port à la main, valise à roulettes dans l’autre,patientent devant les policiers plantés derriè-re leur comptoir comme les caissières dans unsupermarché. Ni ministre, ni dirigeant politi-que, ni parrain du CAC 40. La raison en estsimple. À peine débarqués, quelques-uns deces happy few se sont engouffrés dans une li-mousine qui les attendait au pied de la passe-relle de l’avion ; les autres se sont dirigés toutnaturellement vers les salons pour VIP instal-lés un peu à l’écart. Les formalités y sont dou-ces. Traitement de faveur identique pour lesclients de la Mamounia et d’une poignée depalaces pris en main et choyés dès leur arri-vée. Un salon particulier les accueille avecboissons fraîches et serviteurs en gants blancs.

SARKOZY ET CARLA À JNAN KÉBIREn ce Noël 2010, Marrakech a fait le plein debeau monde. C’est une fin d’année hors ducommun. Un cru exceptionnel. Jamais jus-qu’alors Kech n’a réuni autant de membres dela France d’en haut. Jamais autant de VIPn’ont débarqué de Paris. Premier de cordée,Nicolas Sarkozy a donné le ton. Au départ, leprésident français et son épouse Carla avaientd’autres projets : changer d’hémisphère, alleren Afrique du Sud pour oublier la France etses frimas. Marrakech, ils y étaient pour leréveillon 2009. Pourquoi ne pas aller voirailleurs ? Mais une offre royale, de celles qu’ilest délicat de rejeter, les a contraints à chan-ger de destination. Comme l’année précéden-te, le monarque mettait à la disposition ducouple présidentiel, flanqué d’un des enfantsde Carla, Jnan Kébir (le «Grand Jardin»), le

Ali Amar, auteur de «Mohamed VI,le grand malentendu» et Jean-Pierre Tuquoi,auteur du «Dernier roi» ne croient pas à une

«spécificité marocaine» une idée «fausseet rassurante». Ils croient par contre à la

«singularité» de la relation franco-marocainequ’ils décortiquent dans un livre qui va

faire du bruit. Dans «Paris Marrakech, Sexe,fric et réseaux» on a des clés pour

comprendre pourquoi la diplomatiefrançaise est au service de «celle du

royaume» alors qu’au niveau économique«le Maroc reste l’arrière-cour des groupes

français du CAC 40».

temps, à coups demillions, transfor-mer en hôtels deluxe certains desbiens dont il a héri-té». Le Royal Man-sour, classé parmiles hôtels les «plusextraordinaires dumonde» est le pre-mier fruit d’un «rè-glement de comptesposthume… Entreun fils et son père,entre deux rois,Mohammed VI etHassan II». Une«folie condamnée àn’être jamais ren-table» et dont lecoût tient du se-cret d’Etat. Et à côté de cejeune roi, une nouvelle élite a émer-gé et dont le portrait-robot corres-pond bien à l’image qu’en donnent,par exemple, les jeunes du Mouve-ment du 20 février.

DES QUADRAS MAROCAINS«VORACES»

Ce sont des «quadras», «voraces augain» qui se comportent en «touteimpunité comme des prédateursdécidés à bâtir très vite des fortu-nes». «Malheur à ceux qui se met-tent en travers de leur route» écri-vent-ils en révélant que des entre-prises françaises «ont préféré quit-ter le Maroc plutôt que d’être ran-çonnées». Paris s’en est ému, écri-vent-ils mais pas au point «de re-mettre en cause Paris-Marrakech,ce monde étrange et fascinant».Les relations franco-marocaines«avec leur cortège d’intérêts croi-sés et de connivences troubles»que rien ne vient ternir sous laprésidence de Jacques Chirac ontété perpétués avec NicolasSarkzoy alors qu’un «aggiorna-mento était possible». Sarkzoy nedevait rien à Mohamed VI mais àpeine élu, il s’est coulé avec faci-lité dans le moule – le corset – des«amis du Maroc». Pouvait-il en êtreautrement quand les deux auteurssoulignent que l’économie maro-caine est «l’arrière-cour des grou-pes français du CAC 40»? L’arri-vée au gouvernement des «barbus»du PJD va-t-elle changer la don-ne ? Outre qu’un gouvernementbis s’installe au Palais royal pourveiller au grain, Jean-Pierre Tu-quoi et Ali Amar soulignent que lesislamistes sont des libéraux auplan économique et qu’ils conti-nueront à solliciter les entreprisesfrançaises. Celles-ci devront ce-pendant se «montrer plus géné-reuses en matière de rémunéra-tions, moins dures sur les condi-tions de travail». Ils s’attendent,au cas où le PJD parvient à durer,à une incidence au niveau des«mœurs». Mais les touristes qui fontvivre Marrakech et les propriétairesfrançais de riad et villas ne quitte-ront pas le «Paris du Sahara». Ils seferont juste un peu discrets.

T

Un extrait du livre«Paris Marrakech,Sexe, fricet réseaux»

Noël 2010,un crufrançaisexceptionnelà «Kech»Avec l’autorisation desauteurs, le Quotidien d’Oran– Maghreb Emergent,publient un extrait du livre«Paris Marrakech, Sexe, fricet réseaux». L’extrait prisdans un chapitre «JoyeuxNoël, Majesté» rend comptedu climat particulier quirégnait en cette période del’année où Marrakech a faitle «plein de beau monde»et de VIP venus de Paris.

dernier-né de ses palais, mélange d’archi-tecture mauresque et de décoration africai-ne. Caché dans la palmeraie, Jnan Kébirest réputé enchanteur même si l’atmosphè-re, selon des confidences chuchotées, serévèle un brin ennuyeuse lorsqu’on n’estpas un contemplatif. Dans le sillage du pré-sident, c’est le noyau dur du Sarkoland quia débarqué à Kech. (…)

Tout dégoulinant de luxe qu’il est, le Es Saadin’est pas ce qui se fait de mieux à Marrakech,loin s’en faut. Le summum, c’est le Royal Man-sour, dans le quartier huppé de l’Hivernage,un palace plus discret que la Mamounia etle seul, au fond, qui sait faire la différenceentre un millionnaire et un milliardaire. Àl’automne 2010, Jacques et Bernadette Chi-rac y ont passé quelques jours dans des con-ditions identiques. Hasard de la toute petitehistoire, le jour où les Chirac ont quitté leRoyal Mansour et son pavillon luxueux, ilsauraient pu croiser Nicolas Sarkozy et CarlaBruni, qui y arrivaient, invités eux aussi parMohammed VI. Le temps de changer la lite-rie et le nouveau président et madame occu-paient sans le savoir la chambre de sonmeilleur adversaire politique. (…)

LE ROYAL MANSOUR,PREMIER PALACE GRIFFÉ M6

Le Royal Mansour mérite que l’on s’y attarde.Classé en 2011 parmi les hôtels «les plus ex-traordinaires du monde» par le Conde Nast Tra-veler, la bible des voyageurs fortunés, il estd’une certaine façon le fruit d’un règlement decomptes posthume. Entre un fils et son père,entre deux rois, Mohammed VI et Hassan II.Ce dernier, à l’image d’un sultan oriental, avaitfait construire au fil de ses trente-huit annéesde règne maints palais par ses architectes fran-çais fétiches Michel Pinseau et André Paccard,sans compter les résidences royales, les villasd’été, les villas d’hiver dans lesquelles il séjour-nait au rythme des saisons et de son humeur,traînant derrière lui un harem et une armée deserviteurs. Mohammed VI s’est détaché de cepatrimoine immobilier. Il ne l’a pas rendu aupropriétaire officiel, l’État, comme la rumeurl’a propagé un temps ; il n’est pas devenu le«roi des pauvres» – une formule vendue parl’entourage du souverain au début du règneet prise pour argent comptant par la presseoccidentale. Simplement, le nouveau monar-que entend lui aussi être un bâtisseur com-me son père. Il veut avoir ses propres palaiset, dans le même temps, à coups de millions,transformer en hôtels de luxe certains desbiens dont il a hérité. Le Royal Mansour estle premier palace griffé Mohammed VI. Lerésultat est là, stupéfiant, dissimulé derriè-re la porte d’entrée. Faite de cuivre et de boisde cèdre de l’Atlas, commandée par un systè-me électronique, elle est monumentale, et trèslourde. Elle pèse la bagatelle de quatre tonnes.Ainsi l’a voulue Mohammed VI.