Art Romanesque Ionel Teodoreanu

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L'art romanesque de Ionel Teodoreanu dans La Medeleni (1925-1927) by Michel Wattremez Résumé et fiche analytique Introduction Première partie: La Medeleni, le texte et l'avant-texte I1. Chronologie I2. Le texte et l'avant-texte I3. La réception de La Medeleni I4. Résumé de La Medeleni Deuxième partie: Le roman de l'âge heureux Préludes d'une fiction II1. Récits d'enfance antémedelenistes II2. Le gai roman des âmes enfantines II3. Le récit des années tendres Conclusion Troisième partie: Roman des images, images d'un roman Introduction III1. L'art de la pointe III2. Vivante forêt d'images III3. Fonctions de l'image Images: conclusion Quatrième partie: L'histoire d'un roman IV1. Le roman du passage IV2. Le roman d'une écriture Conclusion générale de thèse Sources consultées Bibliographie critique INTRODUCTION À LilyTeodoreanu Când ai trăit o viaţă întreagă printre lucruri şi fapte aspre, purtându -ţi colţii condensatei tale singurătăţii; când ai trăit războiul, dându -ţi seamă că civilizaţia e o pictură, nu un organism viu, tenul unui fard, nu al sângelui; când ai simţit mereu că fiecare om, prieten ori duşman, e un copac vasal al codrului primordial, la umbra căruia, în loc de bancă, un lup aşteaptă, în crengile căruia, privighetoare, o gorilă clipeşte lubric; când te -ai deprins să nu mai socoţi viaţa ca un mănunchi de flori, idilic, cules de îngeri şi prefirat din poala lui Dumnezeu, ci ca o absurdă îndârjire milenară în tr-o vastă indiferenţă spaţială; şi când şuieri melodiile muzicei ca să nu scuipi, şi -ţi apleci ochii pe file ca să -i speli de viaţă, nu ca s-o găseşti acolo - e ciudat, foarte ciudat, să simţi deodată frăgezimea unui zâmbet omenesc, hărăzit ţie! Quand on a vécu une vie entière parmi des choses et des faits âpres, en arborant les crocs endurcis de la solitude; quand on a vécu la guerre, en s’apercevant que la civilisation est une peinture, pas un organisme vivant, le teint d’un fard, pas celui du sang; quand on a senti continuellement que chaque homme, ami ou ennemi, est un arbre vassal de la forêt primordiale, à l’ombre de laquelle, au lieu de banc, un loup attend, et dans les rameaux de laquelle, rossignol, un gorille cligne de ses yeux lubriques; quand on s’est habitué à ne plus considérer la vie comme une gerbe de fleurs, idyllique, glanée par les anges aux pieds de Dieu, mais comme un absurde acharnement millénaire dans une vaste indifférence spatiale; et quand on siffle les mélodies de la musique pour ne pas cracher, et qu'on baisse ses yeux de la feuille pour les laver de la vie, non pour l’y trouver - il est étrange, très étrange, de sentir soudain la fraîcheur d’un sourire humain, à soi voué! (Ionel Teodoreanu, La Medeleni , III, Între vânturi , 1927, p.48.)

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Page 1: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

L'art romanesque de Ionel Teodoreanu dans La Medeleni (1925-1927)

by Michel Wattremez

Résumé et fiche analytique

Introduction

Première partie: La Medeleni, le texte et l'avant-texte I1. Chronologie

I2. Le texte et l'avant-texte

I3. La réception de La Medeleni

I4. Résumé de La Medeleni

Deuxième partie: Le roman de l'âge heureux Préludes d'une fiction

II1. Récits d'enfance antémedelenistes

II2. Le gai roman des âmes enfantines

II3. Le récit des années tendres

Conclusion

Troisième partie: Roman des images, images d'un roman Introduction

III1. L'art de la pointe

III2. Vivante forêt d'images

III3. Fonctions de l'image

Images: conclusion

Quatrième partie: L'histoire d'un roman IV1. Le roman du passage

IV2. Le roman d'une écriture

Conclusion générale de thèse

Sources consultées

Bibliographie critique

INTRODUCTION

À LilyTeodoreanu

Când ai trăit o viaţă întreagă printre lucruri şi fapte aspre, purtându -ţi colţii condensatei tale singurătăţii; când ai trăit

războiul, dându-ţi seamă că civilizaţia e o pictură, nu un organism viu, tenul unui fard, nu al sângelui; când ai simţit

mereu că fiecare om, prieten ori duşman, e un copac vasal al codrului primordial, la umbra căruia, în loc de bancă, un

lup aşteaptă, în crengile căruia, privighetoare, o gorilă clipeşte lubric; când te -ai deprins să nu mai socoţi viaţa ca un

mănunchi de flori, idilic, cules de îngeri şi prefirat din poala lui Dumnezeu, ci ca o absurdă îndârjire milenară în tr-o

vastă indiferenţă spaţială; şi când şuieri melodiile muzicei ca să nu scuipi, şi -ţi apleci ochii pe file ca să-i speli de viaţă, nu ca s-o găseşti acolo - e ciudat, foarte ciudat, să simţi deodată frăgezimea unui zâmbet omenesc, hărăzit ţie!

Quand on a vécu une vie entière parmi des choses et des faits âpres, en arborant les crocs endurcis de la solitude; quand

on a vécu la guerre, en s’apercevant que la civilisation est une peinture, pas un organisme vivant, le teint d’un fard, pas

celui du sang; quand on a senti continuellement que chaque homme, ami ou ennemi, est un arbre vassal de la forêt

primordiale, à l’ombre de laquelle, au lieu de banc, un loup attend, et dans les rameaux de laquelle, rossignol, un gorille

cligne de ses yeux lubriques; quand on s’est habitué à ne plus considérer la vie comme une gerbe de fleurs, idyllique,

glanée par les anges aux pieds de Dieu, mais comme un absurde acharnement millénaire dans une vaste indifférence

spatiale; et quand on siffle les mélodies de la musique pour ne pas cracher, et qu'on baisse ses yeux de la feuille pour les

laver de la vie, non pour l’y trouver - il est étrange, très étrange, de sentir soudain la fraîcheur d’un sourire humain, à soi

voué!

(Ionel Teodoreanu, La Medeleni, III, Între vânturi, 1927, p.48.)

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Avant-propos

J'avais dix-sept ans quand je lus pour la première fois, en 1976, La Medeleni [«À Medeleni»]

du Roumain Ionel Teodoreanu. Ayant appris la langue d'Eminescu en autodidacte, par la

lecture des grands classiques et par de copieux échanges épistolaires avec de jeunes gens de

Roumanie, j'avais hésité quelque peu à m'engager dans la lecture d'une oeuvre monumentale

en trois volumes totalisant 1365 pages, et d'un auteur dont j'ignorais absolument tout. La

trilogie romanesque de Teodoreanu me plut à tel point que, nullement rebuté par la difficulté

du texte original, j'engloutis en un été une oeuvre qui fut pour moi une véritable révélation esthétique.

Mes études de littérature et de linguistique roumaines, menées à Paris de front avec celles des lettres françaises, me

permettraient, un peu plus tard, de me familiariser de manière plus intime avec les grands noms des littératures française

et roumaine; mais aucun parmi les Roumains, sinon peut-être Eminescu, ne pouvait surpasser dans mon esprit l'auteur

inoubliable d'un roman qui l'avait marqué si tôt de manière indélébile, à l'âge où les lectures laissent des impressions

très vives. La Medeleni, c'était l'histoire d'une famille de Moldavie, suivie de 1907 à 1922, avec l'enfance, l'adolescence

et l'entrée dans l'âge adulte des trois héros principaux, Dănuţ -- double de l'auteur -- et ses soeurs Olguţa et Monica; une

enfance revécue sous nos yeux avec ses rires, ses chants, ses parfums, ses sensations fraîches, sa poésie et sa violence à

la fois; la découverte des corps, de l'amour; trois destins emportés dans la tourmente du siècle; un chemin partant de

l'aube lumineuse de la fleur, pour atteindre au soir et à la mélancolie née de l'ombre de la fleur; l'histoire de l'expérienc e d'une écriture, surtout, ou comment l'on devient romancier...

1

Les études roumaines apportèrent par la suite maints démentis à la révélation que Teodoreanu avait provoquée chez

moi, assez proche de celle que j'avais connue avec l'Aurélia et les Filles du feu de Nerval, ou av ec À la recherche du

temps perdu de Proust, dans Între vânturi surtout. M'étais -je complètement trompé? Avais-je lu La Medeleni à

contresens? Je parcourais la critique roumaine consacrée au roman, avec un mélange de perplexité et d'effroi:

Teodoreanu ne savait pas narrer2, et, quand par bonheur il y parvenait, c'était pour un "considérable public d'écolières et

de galopins sentimentaux"3; sa vision du monde était limitée, sa problématique futile, superficielle, voire réactionnaire

4,

émanant tantôt d'un "écrivain aux exultations lyrico-sentimentales et à l'imagisme luxuriant"5, tantôt d'un "peintre de

scènes gracieuses"6.

En juin 1990, je rencontrai à Aix-en-Provence le professeur Valérie Rusu, linguiste réputé tant en Roumanie qu'en

France pour ses travaux remarquables sur la dialectologie balkanique et sur le roumain. Je le connaissais aussi

indirectement, par son épouse Aurélia Rusu, éditrice d'Eminescu mais surtout -- qualité précieuse à mes yeux --

collaboratrice consciencieuse d'une édition des oeuvres choisies de Ionel Teodoreanu7. J'exposai à monsieur Rusu mon

projet de thèse sur l'art romanesque de l'écrivain dans La Medeleni; il l'accepta avec enthousiasme et je préparai sous sa direction, dans un premier temps, un diplôme d'études approfondies à l'Un iversité de Provence.

La thèse qu'on soutient ici est le développement de ce projet initial. On y étudie l'originalité romanesque de Teodoreanu

dans son oeuvre la plus célèbre, par rapport à l'héritage laissé par les grands prosateurs roumains avant lui. Le travail se

divise en quatre parties formant un tout organique, et construites selon un plan logique et dynamique: les différents

aspects de la trilogie sont abordés selon une stratégie à la fois de découverte et de mise en évidence de l'originalité des procédés stylistiques mis en oeuvre.

Une première partie, intitulée « La Medeleni, le texte et l'avant-texte », fournit au lecteur un ensemble d'informations

indispensables à l'entrée en matière, sur les principaux événements de la vie de Teodoreanu (chapit re 1), sur la genèse

du roman et ses remaniements à travers les différents états de texte dont nous disposons, en manuscrits et en revues

(chapitre 2). Le chapitre 3 fait le point sur le contexte littéraire, historique et social de la Roumanie des années 1925-

1927, époque de la parution de La Medeleni, sur les conditions de la publication et de la réception de la trilogie par la

critique et le public. La partie de présentation s'achève naturellement par un résumé analytique du roman -fleuve, utile au lecteur non roumanophone.

La seconde partie de la thèse, « Le roman de l'âge heureux », aborde La Medeleni selon la problématique dégagée

auparavant, à partir de sa réception dans les années 1920 presque exclusivement comme récit de l'enfance. Dans un

premier chapitre, il a paru nécessaire de dresser un bilan, à la suite d'un examen attentif de la prose roumaine consacrée

à ce sujet, avant la publication de la trilogie de Teodoreanu: on a ainsi donné au lecteur un aperçu des motifs et des

procédés dont l'écrivain hérite en 1925, année de parution de Hotarul nestatornic [« La marche mouvante »]. On a

ensuite pu démontrer l'originalité de Teodoreanu par rapport à la représentation romanesque de la psychologie

enfantine, et réfuter la thèse d'Eugen Lovinescu sur l'échec du romancier roumain dans la réalisation d'un véritable

roman de l'enfance (chapitre 2). Dans «Le récit des années tendres », on a poursuivi l'apologie, en répliquant aux

principaux arguments de la critique roumaine fustigeant la débilité narrative du roman, son inconsistance et son

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insignifiance narratives, son défaut de cohérence et d'ampleur architectonique. Grâce à une étude approfondie du texte,

menée sans parti-pris, on a dégagé nettement les traits stylistiques saillants de La Medeleni, en en délimitant la part de

convention et d'innovation par rapport aux devanciers de Teodoreanu, en soulignant surtout la contribution décisive de

l'écrivain à l'art de la scène, du dialogue et du contrepoint, dans l'histoire du roman roumain, et l'adaptation d'un s tyle nouveau à une vision nouvelle de l'enfance (chapitre 3).

La troisième partie, « Roman des images, images d'un roman », située au coeur même de la thèse, est une incursion plus

avancée dans la micro-structure de La Medeleni. On y remarque un net changement de perspective, et le passage d'une

vision globale de l'oeuvre, saisie dans son architecture d'ensemble (parties, chapitres, épisodes, scènes ... ), à une

exploration stylistique en profondeur, jusqu'au niveau de la phrase et de ses parties. L'analyse de plus de 700 tropes du

roman, selon leur position, leur volume, leur champ iconique et l'effet produit, a permis une lecture inédite de la trilogie

roumaine, ainsi qu'une réfutation argumentée des accusations de métaphorisme et d' «imagisme lubriq ue» régulièrement

portées par la critique à son adresse, depuis 1925. La troisième partie aboutit ainsi à des conclusions inattendues sur

l'apport de Teodoreanu au roman roumain du XXe siècle, mettant en lumière un art de l'image au service d'un récit

baroque à plus d'un titre, tendu vers l'expression à la fois d'un désir heuristique et d'une véritable combustion ontologique.

La quatrième et dernière partie de la thèse, enfin, est une herméneutique de La Medeleni, dans le prolongement de celle

entreprise jusque-là à partir d'une simple micro-lecture de la figuralité d'exploration. L'étude du « roman des images »

débouche logiquement sur le « roman du roman » et sur la spécularité de la trilogie roumaine. Conçue

traditionnellement en Roumanie comme un Bildungsroman partiellement réalisé, l'oeuvre est lue désormais comme une

réussite évidente du roman initiatique, au cours d'une exploration argumentée d'un parcours des protagonistes à travers

l'univers fictionnel, et d'un dévoilement des caractéristiques de l'écriture hermétique mise en jeu surtout dans Între

vânturi (chapitre 1, « Le roman du passage »). Mais, dans la mesure où le parcours du héros principal de La Medeleni

mène à un roman intitulé lui aussi Medeleni, cette lecture orphique de la trilogie s'inscrit également dans la perspective

spéculaire d'un récit métaphorisant ses principes de fonctionnement, et se dissolvant dans sa propre représentation. Ces

caractéristiques confèrent au roman une modernité que la thèse met finalement en évidence (chapitre 2, « Le roman d'une écriture »).

*

* *

Le texte de référence utilisé est l'édition princeps de La Medeleni [« À Medeleni »], parue aux Editions Cartea

Românească de 1925 à 1927: Hotarul nestatornic pour le premier volume [« La"marche mouvante »], Drumuri pour le

second [« Chemins »] et Între vânturi [« Aux vents »] pour le dernier8. Teodoreanu n'a jamais revu cette édition,

maintes fois reproduite telle quelle jusqu'à la seconde guerre mondiale, avec de menues erreurs de ponctuation et de graphie -- surtout dans les mots étrangers.

Sous le régime communiste, la trilogie roumaine a ensuite été victime d'une censure qui a obligé les éditeurs à tronquer

légèrement le texte princeps, en éliminant deux remarques du narrateur non pas anti-russes mais anti-bolchéviques, au

début de Între vânturi:

« Rusul e nemuritor, -- încheiase Vania, dar "marea noastră aliată" e o mâncare indigestă pentru stomahul românesc. Şi

în protestul general, adăugase: -- În schimb România pe o foae de blinî, e un ingredient apreciabil pen tru stomahul rusesc. »

9;

et plus loin:

« Ruşii au devenit un popor de spioni, dintr-un popor de sclavi. Asta-i îngrozitoarea invenţie a bolşevicilor. Au etatizat

mahalagismul, făcându-l spionaj. »10

De plus, les éditions contemporaines de La Medeleni comportent toutes plusieurs ereurs de découpage du récit, avec

notamment des confusions sur les blancs interscéniques. Ces raisons expliquent le choix de l'édition de 1925-1927

comme texte de référence, qu'on a gardé avec son orthographe et ses moldovénismes. Pour la commodité du lecteur non

roumanophone, on a accompagné les citations de la trilogie roumaine d'une traduction française en note infrapaginale.

Les éléments roumains plus courts, comme les titres d'oeuvres, ont été translatés entre crochets. Quant au x propos des

critiques roumaines discutées dans le corps de la thèse, on les a cités habituellement en français, afin de ne pas alourdir

davantage la présentation et la clarté de la démonstration.

On a fait suivre la thèse proprement dite d'un ensemble d'annexes bibliographiques et d'un thésaurus, qui permettront à

tous ceux que la littérature roumaine intéresse, et aux spécialistes du roman roumain en particulier, une exploitation

Page 4: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

scientifique de nos recherches. La liste des sources consultées donne une su ite de références utilisées plusieurs fois dans

le travail, concernant La Medeleni spécifiquement (108 titres), le roman roumain (17) et le roman en général (13). Une

bibliographie critique et analytique passe en revue une bonne dizaine de références souvent utilisées et citées, avec un

résumé et des commentaires. La thèse s'achève par un index des noms et des notions, qui permettra à un lecteur plus pressé de trouver rapidement réponse à des questions plus pointues.

Remerciements

Je remercie chaleureusement monsieur Valérie Rusu, professeur de langue et de littérature roumaines à l’Université de

Provence, pour la confiance qu’il m’a sans cesse témoignée depuis le début de mes recherches. En 1990, il a accepté

avec enthousiasme mon projet de thèse sur La Medeleni de Ionel Teodoreanu, et m’a laissé depuis lors - tout en me

guidant - une grande latitude dans l’élaboration des concepts et des hypothèses - ce dont je lui sais gré. Fin connaisseur

de la littérature roumaine moderne, et linguiste reconnu, monsieur Valérie Rusu était sans doute en France la

personnalité la plus apte à diriger un tel chantier.

Madame Lily Teodoreanu, l’épouse du romancier étudié dans cette thèse, m’a accueilli plusieurs fois avec le sens de

l’hospitalité qui caractérise les Roumains. Les entretiens que j’ai eus avec ce dernier témoin vivant de la littérature

roumaine du XXe siècle finissant - née en 1897, elle fut proche des plus grands écrivains: Delavrancea, Sadoveanu,

Arghezi, Cezar Petrescu... -- m’ont passionné et profondément motivé. Je lui dédie ce travail comme un hommage affectueux, à elle et à toute sa famille.

J’ai pu travailler intensément en Roumanie, où j’ai vécu de 1990 à 1992, détaché comme lecteur à Bucarest. Que soient

donc remerciés aussi tous ceux qui ont facilité l’exécution matérielle de mes recherches durant ces deux années

fructueuses -- le personnel et la direction de la Bibliothèque de l’Académie roumaine, qui, avec beaucoup de gentillesse

et de courtoisie, m’ont permis de consulter les manuscrits de Teodoreanu et leur riche fonds de volumes et de

périodiques -- , ainsi que ceux qui m’ont donné la chance de mettre mes travaux en valeur: l’Institut d’histoire littéraire

de Bucarest, qui m’a invité à tenir en 1992 une communication sur Teodoreanu, et les Éditions d e l’Académie roumaine, qui ont accueilli avec bienveillance, dans les pages d’une de leurs publications, l’une de mes contributions.

Ce travail de recherche aurait été ardu, sans l’aide et les conseils de monsieur Marin Bucur, chercheur à l’Institut

George Călinescu et professeur de littérature roumaine à l’Université de Bucarest. J’ai tiré profit, depuis le début de mes

recherches sur la littérature de son pays, en 1977, et particulièrement sur le romancier roumain Ionel Teodoreanu, de sa

méthode littéraire, de son érudition, et de son ouverture d’esprit. Emporté par un mal foudroyant le 5 février 1994, à

l’âge de 64 ans, Marin Bucur ne voit pas aujourd’hui, hélas, le résultat de quatre ans de travail. C’est à titre posthume

que je le remercie ici amicalement, du fond du cœur.

Enfin, je remercie vivement les membres de mon Jury des remarques pertinentes qu'ils ont bien voulu me faire au cours de la soutenance, et sans lesquelles il m'aurait été impossible de parachever ce travail et de lui donner une valeur scientifique. J'ai apporté toutes les corrections nécessaires à la thèse, d'après leurs observations et critiques. Elles apparaissent en rouge. Ces remarques bienveillantes m'ont fait prendre conscience des limites subjectives de ma démarche et des qualités de modestie que doit posséder un chercheur. C'est en quelque sorte la leçon qu'en tant que disciple j'ai tiré de mes maîtres, et je les en respecte davantage.

Ces corrections sont de trois types. D'abord quelques coquilles et fautes matérielles en français et en roumain, menues erreurs de traduction en notes de bas de page, signalées par les spécialistes du roumain. Ensuite, dans la seconde partie de la thèse, un glissement de sens du terme épique (nom masculin et adjectif), qui renvoie strictement en français à une catégorie littéraire, l'épopée, alors qu’il dénote le narratif en général en roumain. J’ai rétabli le terme propre la plupart du temps, sauf quand épique renvoie à l’épopée ou à la guerre parodiée par les enfants de La Medeleni. Enfin, dans la bibliographie générale, des ajouts de références placées auparavant dans les notes de bas de pages et des précisions sur les textes portant sur le roman en général.

Michel Wattremez

__________

1. On trouvera plus loin un résumé analytique plus précis du roman de Teodoreanu; voir infra.

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2. George Călinescu, Istoria literaturii române de la origini până în prezent ["Histoire de la littérature roumaines des origines jusqu'à présent"], ed. A. Piru, Bucureşti: Editura Minerva, 1988, p. 753.

3. Mihail Sebastian, "Cazul Ionel Teodoreanu" ["Le cas Ionel Teodoreanu"], Cuvântul, IV, 1928 (1070), p. 1.

4. Thèse de Nicolae Ciobanu, lonel Teodoreanu, Viata şi opera [« lonel Teodoreanu, Sa vie et son oeuvre »], Bucureşti: Editura Minerva, 1970, 267 p.

5. Ibidem, p. 11.

6. Tudor Vianu, Arta prozatorilor români [« L'art des prosateurs roumains »], Bucureşti: Editura Contemporană, 1941,

p. 368.

7. I. Teodoreanu, Opere alese, 7 volumes, Bucureşti: Editura pentru Literatură puis Editura Minerva, 1968-1981, coll. «

Scriitori români ». Cette édition paraît au cours de la première «renaissance» teodorenienne parmi la critique (1963-

1970). Le nom d'Aurelia Rusu ne figure que sur les volumes IV et V (La Tour de Milena, Bal masqué, Lorelei), à côté

de celui de Nicolae Ciobanu, bien que le travail scientifique de la collaboratrice dépasse de loin le cadre de c es trois romans de Teodoreanu.

8. Voir infra.

9. T. F.: « Le Russe est immortel, avait conclu Vania, mais "notre grande alliée" est un plat indigeste pour l'estomac

roumain. » Et, sous la protestation générale, il avait ajouté: « -- En revanche, la Roumanie sur une tranche de bliny est

un ingrédient appréciable pour l'estomac russe. » (Între vânturi, p. 26.)

10. T. F.: Les Russes sont devenus un peuple d'espions, d'un peuple d'esclaves qu'ils étaient. Voilà l'effroyable invention des bolchéviques. Ils ont étatisé la gueuserie pour en faire de l'espionnage. » (ibidem, p. 56.)

CHRONOLOGIE: IONEL TEODOREANU 1897-1954*

1897

6 janvier, 12 heures 10, naissance à Iaşi, rue Ştefan cel Mare, de Ioan Hipolit Teodoreanu, deuxième fils d’Osvald

Teodoreanu et de Sofia Teodoreanu (née Muzicescu).

1904-1908

Classes primaires, à l’école allemande de Pitar-Moş à Bucarest, puis à Iaşi.

1908-1909

Ionel entre au Lycée Lazăr de Bucarest.

1909-1916

Teodoreanu est interne au Lycée national de Iaşi. Dans les grandes classes, il a pour collègues Mihai Ralea, Demostene

Botez, D. I. Suchianu et Mimi Sevastos. Il a un moment comme professeur de roumain Calistrat Hogaş, surnommé moş

Surtuc.

1916-1917

La Roumanie entre dans la première guerre mondiale aux côtés de l’Entente , après une neutralité de deux ans. Après le

baccalauréat, Ionel est incorporé dans une unité militaire à Botoşani. Mais il ne sera pas envoyé au front.

1918

À Noël, Teodoreanu fait la connaissance d’une cousine des filles Delavrancea, réfugiées à Iaşi: Lily Lupaşcu [Lupasco],

née le 17 octobre 1897 en France d’un père diplomate roumain et d’une mère française, et qui deviendra son épouse

deux ans plus tard.

Mort du frère de Ionel, Laurenţiu (dit Puiu), sur le front aérien français.

1919

En une seule année, Teodoreanu prépare tous les examens de la licence à la Faculté de Droit de Iaşi.

Demostene Botez lui fait rencontrer Garabet Ibrăileanu, auquel il se lie d’une profonde amitié.

Début de Teodoreanu dans la revue de Iaşi Însemnări ieşene («Notes de Iaşi»), dirigée par Mihail Sadoveanu et George

Topârceanu, avec Jucării pentru Lili («Jouets pour Lily»), une suite de poèmes en prose et de notations métaphoriques.

Page 6: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

1920

15 février: mariage avec Lily Lupaşcu à Iaşi. L’épouse de Teodoreanu deviendra célèbre comme écrivain sous le

psudonyme de Ştefana Velisar.

Mars: réapparition à Iaşi de Viaţa Românească («La Vie roumaine»), qui avait cessé en 1916. Teodoreanu collaborera

régulièrement à cette revue. Teodoreanu obtient sa licence en droit et commence sa carrière d’avocat en s’inscrivant au barreau de Iaşi.

1921

3 décembre: naissance des deux jumeaux de Teodoreanu: Ştefan et Osvald.

1922

Parution du premier volume de l’écrivain, Uliţa copilăriei («La ruelle de l’enfance»), aux éditions «Cultura naţională»

[«La culture nationale»].

1925-1927

Parution chez «Cartea Românească» [«Le livre roumain»] des trois volumes du roman La Medeleni: Hotarul

nestatornic [«La marche mouvante »] (1925), Drumuri [«Chemins») (1926), Între vânturi [«Aux vents»] (1927).

Auparavant des fragments sont publiés dans Viaţa Românească et Adevărul literar şi artistic («La Vérité littéraire et

artistique») à Bucarest.

1928

Parution chez «Cartea Românească» du roman Turnul Milenei («La Tour de Milena»). Teodoreanu reçoit à Bucarest le Prix Femina pour La Medeleni.

1929

Parution chez «Cartea Românească» du roman Bal mascat («Bal masqué»).

1930

24 juillet: Teodoreanu prend la succession de Iorgu Iordan comme directeur du Théâtre national de Iaşi.

La rédaction de la revue Viaţa Românească part s’installer à Bucarest avec la plupart de ses membres.

1931

Voyage à Constantinople avec Lily et Mihail Sadoveanu.

Parution chez «Cartea Românească» de Fata din Zlataust («La fille de Zlataust»), roman en deux volumes.

1933

Parution chez «Cartea Românească» de Golia, roman en deux volumes.

Publication à Iaşi de Crima de la 13 septembrie («Le crime du 13 septembre»), plaidoirie magistrale de Teodoreanu

dans une affaire d’homicide. En fin d’année, Teodoreanu quitte la direction du Théâtre national de Iaşi.

1934

Parution chez «Cartea Românească» du roman Crăciunul de la Silvestri («Le Noël de Silvestri»).

1935

Parution chez «Cartea Românească» du roman Lorelei .

1936

Parution chez «Cartea Românească» de Arca lui Noe («L’Arche de Noé»), roman en deux volumes dédié à G.

Ibrăileanu, mort récemment.

1937

Parution chez «Cartea Românească» du roman Secretul Anei Florentin («Le secret d’Ana Florentin»). Mort d’Osvald Teodoreanu, père de l’écrivain.

1938

Parution chez «Cartea Românească» du volume În casa bunicilor («Chez les grands-parents») et du roman Fundacul

Varlamului(«Le grèbe de Varlam»).

Page 7: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Teodoreanu s’installe avec sa famille à Bucarest, dans un immeuble sis au 55 Intrarea romană, et où il restera jusqu’en

1953. Il s’inscrit au barreau de Bucarest.

1939

Parution chez «Cartea Românească» du roman Prăvale-Baba.

1940

Parution chez «Cartea Românească» du conte Ce-a văzut Ilie Pânişoara («Ce qu’a vu Ilie Petit Pain») et du

roman Tudor Ceaur Alcaz, I. Grave opération chirurgicale effectuée par Liviu Câmpeanu, à qui Teodoreanu dédiera Masa umbrelor («La table des

ombres»)..

1941

Parution chez «Cartea Românească» de Reîntoarcerea în timp («Le retour dans le temps») et de Tudor Ceaur Alcaz, II.

1942-1943

Parution chez «Cartea Românească» de Tudor Ceaur Alcaz, III et IV.

1945

Parution chez «Cartea Românească» du roman Hai-Diridam.

1946

Parution chez «Cartea Românească» du roman La porţile nopţii («Aux portes de la nuit»).

1947

Parution, chez «Forum» à Bucarest, de Masa umbrelor («La table des ombres»).

1948

Parution, chez «Socec» à Bucarest, du roman Zdrulă şi Puhă («Zdrulă et Puhă»).

1952

Mort de Sofia Teodoreanu, mère de l’écrivain.

1954

3 février: mort de Ionel Teodoreanu d’une crise cardiaque, au n° 1 de la rue Căuzaşi à Bucarest, devant un magasin

alimentaire.

__________

* Source: Nicolae Ciobanu, Ionel Teodoreanu. Viaţa şi opera [«Ionel Teodoreanu. Sa vie et son œuvre»], Bucureşti:

Editura Minerva, 1970; Silvia Tomuş, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei «Ionel Teodoreanu ou la Joie de la métaphore»], Cluj: Editura Dacia, 1980.

L’AVANT-TEXTE

Nous possédons de notre roman deux états de texte: une première variante autographe, sur trois cahiers d'écolier,

occupe 829 feuillets; un ensemble de dossiers présente une version définitive, très lacunaire, du roman: il s'agit de

fragments, tantôt manuscrits, tantôt dactylographiés, destinés à la publication en revue.

I. Les dossiers de La Medeleni.

La Bibliothèque de l'Académie roumaine conserve, sous les cotes mss rom. 5724 à 5726, une première version de La

Medeleni _ en fait des extraits destinés à la publication dans la revue Viaţa Românească de Iaşi et dans l'hebdomadaire

bucarestois Adevărul literar şi artistic. Face à l'édition définitive, ces feuillets à double numérotation (l'une

correspondant à la totalité des feuillets dans le dossier, l'autre à celle des extraits envoyés aux revues et détachés du

dossier), tantôt dactylographiés, tantôt manuscrits, présentent un texte très souvent incomplet. Rappelons que

Teodoreanu n'a publié en totalité dans Viaţa Românească que le volume I de La Medeleni, environ la moitié du volume

II, Drumuri, et une centaine de pages du volume III, Între vânturi.1

L'étude de ces feuillets nous apporte toutefois deux informations intéressantes.

a. La trilogie des Enfants Deleanu.

Page 8: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Il faut remarquer d’abord que le premier chapitre du volume Hotarul nestatornic, intitulé Potemkin şi Kami-

Mura (variante: Zmeul lui Dănuţ2), très incomplet, contient en sous-sol de la page 2 du manuscrit la petite note

explicative suivante:

La Medeleni3

est le titre d'une trilogie de romans dédiés à l'évolution d'une génération de Moldaves dont l'enfance a

commencé au temps démodé de la valse et du foyer patriarcal, et dont la jeunesse, après avoir goûté à la Grande guerre,

a recommencé à vivre au rythme du jazz-band. Le premier volume, Hotarul nestatornic, comprend l'enfance; le deuxième, Dacă vecinii îmi omoară hulubii!...,

comprend l'adolescence, et le troisième, Olguţa, comprend la jeunesse.4

On voit ici que, dès la publication en revue (octobre 1924) de Hotarul nestatornic, Teodoreanu a une vision très claire

de la construction et du sujet de son roman, une trilogie dédiée aux Enfants Deleanu. Il vient de lui trouver un titre

définitif: La Medeleni, mais il hésite encore sur le titre des deux autres volumes en préparation: Dacă vecinii îmi

omoară hulubii!... doit devenirDrumuri et Olguţa, Între vânturi.

Selon le romancier lui-même, La Medeleni aurait été commencé lorsque Teodoreanu avait 20 ans.5 Il s’agit sans doute

ici d’une coquetterie d’écrivain. Sans doute est-il plus exact d’affirmer que l’idée originelle du roman est née dans

l’esprit de l’artiste à cette époque, et qu’il l’a portée en lui jusqu’à la rédaction de Hotarul nestatornic en 1924. Aussi

bien les propos de Teodoreanu, un peu plus loin dans la conférence, vont -ils dans ce sens; Hotarul nestatornic n’est pas

un livre prémédité, en ce sens qu’il n’est pas le fruit d’une élaboration contrainte et pénible, mais le résultat spontané

d’une pensée naturelle et vive qui hantait le romancier depuis sept ans environ, et qui s’est alors tout simplement

cristallisée dans le premier volume de la trilogie de La Medeleni: «Ce volume a littéralement jailli de moi, comme le

pétrole d’une terre gorgée. Il m’a comblé.» L’écriture du roman devient ainsi la transcription d’une idée obsessionnelle

mais délicieuse, par des moyens littéraires qui ne sont pas sans évoquer la technique onirique: «Je rêvais la nuit des

fragments d’action que je transcrivais littéralement pendant le jour, avec l’impression de plagier.»6

b. Les deux étés de Drumuri.

Une deuxième constatation s’impose. Une note sur le dernier feuillet du manuscrit assez complet

de Drumuri («Techirghiol, 3 août _ 1er septembre 1925; Techirghiol, 15 juillet _ 15 septembre 1926») indique que la

rédaction de ce dernier a eu lieu en deux étapes: en ce qui concerne la première partie, en été 1925 pour une publication

dans Viaţa Românească de septembre 1925 à janvier 1926; en ce qui concerne les IIe et IIIe parties, en été 1926 pour

une publication très partielle dans la même revue en octobre et novembre de la même année. Ionel Teodoreanu travaille

donc comme Cezar Petrescu: leurs romans sont généralement écrits pendant le refuge des vacances, les mois d’été, loin

de l’activité fébrile d’avocat et, respectivement, de journaliste.

II. Le manuscrit autographe de La Medeleni.

La seconde version manuscrite de La Medeleni, sous les cotes mss rom. 4234, 4235 et 4236 à la Bibliothèque de

l'Académie roumaine, occupe trois volumes ou ensembles de cahiers d'écolier d'une petite écriture fine au crayon de papier.

1. Le premier volume, mss. rom. 4234

Des trois celui qui a le plus l'aspect de brouillon et qui trahit le tâtonnement de l'écrivain roumain, le premier ensemble

de cahiers d'écolier compte en tout 169 feuillets d'une très fine écriture au crayon, puis à l'encre pour les feuillets 36 v°

et 37-39. Certains d'entre eux contiennent des fragments de la nouvelle Dacă vecinii îmi omoară hulubii7, des dessins et

des notes disparates8.

a. La nouvelle Dacă vecinii îmi omoară hulubii, prémisse du roman.

Teodoreanu avoue en effet en 1947 dans Masa umbrelor que La Medeleni a pour point de départ une nouvelle:

C'est ce qui m'est arrivé avec La Medeleni. Je me suis mis à écrire une nouvelle intitulée Dacă vecinii îmi omoară

hulubii, et dont les protagonistes étaient Dan Deleanu, un lycéen de Bucarest, et Monica, une jeune fille d'un domaine

de Moldavie. La nouvelle commençait de façon bifurquée: dans le train qui amenait, pour les vacances, le lycéen au

domaine de ses parents; et au domaine de Moldavie, où Monica attendait Dan. J'écrivais consciencieusement et

fructueusement, mais sans conviction. Tout ce qui arrivait, au présent narratif, me semblait une allusion à un passé d'une

richesse accablante, fabuleuse, et pour lequel je soupirais presque moi aussi, avec les protagonistes, bien que je ne le

connusse point. Jusqu'au moment où, après quelques jours d'effort qui devenait supplice, je me suis dit, en m'appuyant

Page 9: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

sur la plume comme sur un bâton quand on change de route: Mais la nouvelle que j'écris n'est qu'un chapitre du roman

que je veux écrire. Car c'est à ce moment-là que j'ai eu la certitude de Medeleni, qui était écrit en moi. Et, en effet, la

nouvelle est devenue, au bon moment, un simple chapitre valable, quoique écrit de manière anticipée, du deuxième

volume de La Medeleni.9

Cette première ébauche de ce qui va devenir le chapitre O noapte (I) de la première partie de Drumuri, conçue pour le

numéro de Pâques 1925 de Viaţa Românească, est considérée par Teodoreanu comme un moment nécessitant une

longue analepse explicative qui deviendra le roman Hotarul nestatornic. Il explique en effet en 1927: «En quelque

sorte, pour expliquer l’âme de mon héros, je ressentais la nécessité de montrer une série d’événements concernant

l’ensemble du passé de mon personnage; je me suis réveillé en train d’écrire Hotarul nestatornic, et j’ai finalement complété la série avec le roman Drumuri.»

10

La rédaction de ce premier volume s’est élaborée en grande partie au bord de la Mer noire, durant l'été 1924, comme en

témoignent une note du manuscrit: «Lily: Bureau postal Carmen Sylva. Plage d'Eforie, Villa Meia, Techirghiol,

département de Constanţa.»11

, et l’auteur lui-même, qui, dans une interview publiée en 1927, affirme que Hotarul

nestatornic a été composé «moitié à Iaşi, moitié à Techirghiol»12

D’autre part, une lettre de Lily Teodoreanu à Garabet

Ibrăileanu, datée de Techirghiol, 27 août 1926, confirme la présence des Teodoreanu au bord de la Mer noire en été

1924, en compagnie de Cezar Petrescu.13

Enfin, une note de Viaţa Românească en 1925 laisse penser que Hotarul nestatornic est prêt dès l’été de l’année précédente.

14

Trois remarques s'imposent sur ce premier volume.

b. Le roman des vacances.

Il faut d’abord noter que durant cette première phase d'élaboration Teodoreanu pense donner à La Medeleni le titre Cele

şase vacanţe15

: il écrit en effet ce titre sur la première page du premier cahier, suivi de l'indication «Ie partie»16

. Dès la

première version, la narration se situe donc sous le signe des vacances qui se suivent et se répètent à la campagne. Dans

le chapitre III de la Ie partie (Herr Direktor), sur la première page du chapitre, ce titre est simplifié en Vacanţele17

, puis

en Vacanţele. Roman sur la couverture du premier cahier18

. À un moment le romancier envisage même d'intituler la IIe partie du volume Marea

19, reflet de l’écriture matérielle du livre à Techirghiol.

c. Une structure souple et un texte lacunaire.

On peut remarquer aussi qu'au début le romancier n'a pas encore une idée net te de la composition de l'oeuvre: pas de

numéro ni de titre de volume (à l'exception du chapitre III, intitulé dès le début Moşu Puiu (Herr Direktor)20

, absence

de titre pour le premier chapitre, qui deviendra Potemkin şi Kami-Mura. Par rapport au texte définitif de 1925, ce chapitre lacunaire dans le manuscrit 4234 s’arrête à la phrase

Chipiul Peste-Amiralului rus[,] tresări, rămânând cu o gropiţă întunecată în fund.21

(T. F.: Le képi du Sur-amiral russe trembla et resta troué d’une fossette sombre en son fond.),

et accuse donc un déficit important de 57 pages. Le futur chapitre II (Căsuţa albă şi rochiţa roşie22

) est également

manquant, contrairement au chapitre III, qui sera conservé sans grandes modifications.

Suit immédiatement le chapitre IV, sans rupture de partie, lacunaire lui aussi en son commencement et en sa fin. En

effet la scène où les enfants mangent les raisins est déficitaire par rapport au texte définitif; elle commence par des notations griffonnées, presque inintelligibles, puis vient la phrase

Monica desprindeà boaba, o desbrăcà de cojiţă între buze [...]

(T. F.: Monica détachait le grain, le dépouillait de sa peau entre les lèvres [...]).

La comparaison inaugurale

Ca dintr’un cantalup ţinut la gheaţă, delaolaltă cu lumina soarelui, intrà răcoarea prin ferestrele deschise: venise toamna.

(T. F.: Comme d’un cantaloup tenu sur la glace, avec la lumière du soleil, la fraîcheur pénétrait par les fenêtres

ouvertes: l’automne était là.),

la riche description de la corbeille de raisins et des att itudes de Dănuţ et d’Olguţa seront écrites par Teodoreanu dans la

préparation finale du manuscrit en vue de l’impression. Coupé en deux parties à la phrase

Page 10: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Şi adierea toamnei de afară, învăluind suflarea toamnei din cotnar, se umplù de amintiri...23

(T. F.: Et la brise d’automne au-dehors, enveloppant le souffle automnal du vin de Cotnar, se remplit de souvenirs...),

le chapitre IV sera fondu dans la phase finale. L’exclamation de clôture de Madame Deleanu («_ Săracii! Bieţii

copii!»24

) sera complétée elle aussi par une image en point d’orgue, à la manière de celle du premier chapitre de Hotarul

nestatornic dans le texte définitif25

:

Cu mişcări nesigure şi albe, cădeau petalele unui trandafir de pe măsuţa de noapte: cum se dezvelesc copiii mici prin

somn, când visează...26

(T. F.: Avec des mouvements indécis et blancs, des pétales d’une rose tombaient sur la table de nuit: comme se

découvrent les petits enfants dans leur sommeil, quand ils rêvent...) .

Ces remarques de détails pourraient être poursuivies. Ce qui ressort de ces ajouts de dernière heure au manuscrit 4234,

c’est la volonté de Teodoreanu d’unifier le chapitre IV intitulé Herr Direktor, et d’y circonscrire le nœud de Hotarul

nestatornic: par le passage du chapitre en tête de la IIe partie et donc en position centrale par rapport au roman, afin de

marquer matériellement la grande ellipse temporelle entre ce chapitre et ceux qui précèdent; enfin par l’encadrement plus rigide du chapitre au moyen d’images éblouissantes et suggérant «l’écoulement inélu ctable du temps»

27.

d. Des variantes importantes.

Il est clair, enfin, que les deux derniers chapitres du premier volume autographe de La Medeleni, très travaillés,

présentent de nombreuses différences avec la version définitive, certaines particulièrement significatives. Comme

l’affirme à juste titre Nicolae Ciobanu, «nous avons affaire à deux étapes radicalement différentes de l’élaboration; le

texte définitif n’est plus, comme dans les autres parties du volume, une transcription révisée du premier

manuscrit.»28

Ces chapitres refondus deviendront, dans l'édition de 1925, Robinson Crusoe et Păpuşa Monicăi, en

passant par des variantes successives: Robinson Crusoe în podul cu vechituri pour le premier, Monica aime Dănuţ de tout son cœur..., Nu te supăra, Dănuţ puis Căsuţa păpuşelor pour le second.

29

2. Le second volume, mss rom. 4235.

Ce volume, très épais, totalise 266 feuillets non-lignés, toujours écrits au crayon noir. Il contient la première version du

deuxième volume de la trilogie La Medeleni, Drumuri, ainsi que quelques notes griffonnées, en rapport avec l'activité

d'avocat de Ionel Teodoreanu. Il est lui aussi précisément daté et localisé: «Techirghiol, 3 août 1925 _

Techirghiol, 3

septembre 1926».30

Le 27 août, Lily Teodoreanu écrit à Ibrăileanu: «Ionel vit comme un ermite entre quatre murs, en

pleine boulimie de travail.»31

Le nom du dédicataire apparaît entre la Ie et la IIe partie du manuscrit, dans la variante

suivante: «À Lily, le premier volume qui mérite de lui être dédié»; cette dédicace deviendra, en tête du

volume Drumuri: «À Lily, mon premier volume que j'estime digne de lui être dédié». Le manuscrit porte le titre La

Medeleni, fait compréhensible dans la mesure où à cette étape le premier volume a déjà été publié chez Cartea

Românească après avoir paru en extraits dans la revue de Iaşi Viaţa Românească.

L'examen de ce volume appelle deux séries de remarques.

a. Le redécoupage des chapitres.

Ce qui frappe d’abord, dans cette première version, c’est qu’elle est très proche de l'édition princeps, avec quelques

variantes qui représentent en réalité des amplifications de détails du texte manuscrit, et qui ont pour fonction une intensification du réseau des images.

Dès cette phase, la composition du volume en parties et en chapitres est acquise . Le travail opéré entre cette version et

l'édition princeps consiste surtout en un redécoupage des chapitres à l'intérieur des parties, pour des raisons d'équilibre

architectonique. Ainsi, dans le manuscrit, la première partie est presque entièrement occu pée par le premier

chapitre, Sfârşitul unui an şcolar: dans l'édition, la matière est divisée en trois chapitres: Sfârşitul unui an şcolar, «Il

était un petit pommier» et Escapada Olguţei.32

Ainsi, la seconde partie, intitulée O noapte, o zi, o

noapte (variante: Bucureşti-Medeleni. Două nopţi şi o zi)33

et monolithique dans la première version manuscrite,

devient trois chapitres dans l'édition princeps: respectivement I. O noapte, II. O zi, III. O noapte. Ainsi, dans la version

originale, les chapitres IV et V de la IIIe partie forment une unité, divisée en deux chapitres dans la version définitive,

respectivement IV. Titlul romanului et V. Tânărul romancier.34

Ce redécoupage de la masse romanesque est bienvenu: il isole mieux les grands moments du récit et les met ainsi en valeur; il crée l’ordre et accroît la lisibilité du texte.

b. Les métamorphoses des titres.

Page 11: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Quant aux titres, enfin, Teodoreanu a défini dès ce volume celui de l'ensemble de sa trilogie: Medeleni; il faut rappeler

qu'alors qu'il rédige le manuscrit du second volume, le premier a déjà paru dans Viaţa Românească et aux Éditions

Cartea Românească. Le manuscrit donne au volume II le titre Dacă vecinii îmi omoară hulubii35

, qui devient, dès la IIe

partie, Drumuri36

, comme dans la version définitive: ce titre exprime assez bien, aux yeux de l'auteur, la situation des

héros adolescents en chemin vers l'âge adulte _ chemins au pluriel, car leurs routes divergent ou sont suivies

parallèlement. Dans la version originale, les titres des chapitres, eux, subissent de nombreuses modifications,

notamment les deux premiers de la IIIe partie: pour le premier chapitre, Ioana Pallă,Castelana de la Sălcii, Caietul cu

foi albe; pour le second: Sunt fratele motanilor, Rodica37

; pour le troisième: Copilul care a sărutat un zarzăr38

. Cette

remarque sur la genèse du roman prend toute sa portée quand on la rapporte à la narration dans la IIIe partie du volume,

où Dănuţ, le personnage principal, racontant à Rodica son «roman vécu», propose pour celui-ci une série de titres

alternatifs («Adina Stephano ou Séduite au patinage ou La femme aux plus beaux seins ou La fillette au corps de

Salomée ou Le mari trompé ou Le don juan du Lycée Lazăr ou Méfiez-vous des hommes!»). On a ici un de ces

prodigieux jeux de miroirs qui font toute l'originalité de La Medeleni.

3. Le troisième volume, mss rom. 4236.

Le manuscrit mss rom. 4236, qui correspond à la première ébauche du dernier volume de la trilogie, comprend neuf

cahiers de papier réglé totalisant 94 feuillets.

a. L'écriture de la mer et de la montagne.

Il est possible de fixer à l'été 1927 l'époque où Teodoreanu termine cette première version manuscrite: en effet, une

page isolée du IXe cahier indique «1927, 18 juin, Techirghiol»39

; la première page du cahier VI, «1er septembre 1927,

Agapia [...]». De plus, dans une interview publiée en novembre 1927, l’auteur affirme lui-même avoir composé la

première version manuscrite de Între vânturidurant les dernières grandes vacances, à Techirghiol au bord de la Mer

noire, puis à Agapia en Moldavie, travaillant de 8 à 10 heures par jour, loin de la vie mondaine bucarestoise et des

visites, sans notes et sans fiches.40

• Techirghiol, Mer noire, juin-juillet 1927.

À Techirghiol Teodoreanu ne parvient à écrire que le premier chapitre de Între vânturi; le 2 juillet il note la lenteur avec

laquelle avance la rédaction: «Je n’ai écrit jusqu’à présent que 9 pages. Horrible! Pourtant je travaille d’arrache -pied,

avec une opiniâtre assiduité. [...] Il me semble que je perce un tunnel avec la seule force de mes bras, avec au fond des

yeux le pressentiment du ciel tragique de l’automne que me cache encore l’opacité du pesant relief de roche et de

terre.»41

Ses conditions de travail au bord de la mer, dans une demeure d’où le regard semble «contempler tout, comme

à travers des yeux de mouette»42

, sont en effet difficiles. D’abord, parce que le romancier «ressent encore les doutes et

les fièvres des fondations»43

, ensuite parce que l’atmosphère de la station balnéaire est moins propice à un labeur

soutenu et régulier que celle du monastère moldave: «J’ai d’ailleurs la conviction que les montagnes me donneront une

tout autre concentration que la mer pour écrire. Certes, j’ai travaillé ici, mais je n’ai pas eu cette année suffisamment de

calme et de répit. Presque toutes les pages ont été écrites entre deux portes, dans le braillement d’un

grammophone.»44

De même, la rencontre de Tudor Arghezi, en villégiature lui aussi à Techirghiol avec sa famille, les

interminables discussions entre ce romancier et ce poète rivalisant d’enthousiasme et d’originalité, ne laissent guère de

loisir à Teodoreanu, même si elles marquent profondément la genèse même du dernier volume de La Medeleni: «Son

être, écrit le romancier à propos de l’auteur des Cuvinte potrivite45

, m’a donné quelques suggestions utiles à mes écrits. Dans une certaine mesure, l’un des personnages de ce roman aura la fibre altière d’Arghezi.»

46

Bref, à la fin de juillet 1927 Teodoreanu ne part pas pour Agapia «les mains vides», mais avec seulement «quelque

cinquante ou soixante pages format V[iaţa] R[omânească]»47

et le désir d’accélérer son rythme d’écriture: «À Agapia je

changerai mon programme de travail. Je me lève de bonne heure, je travaille jusqu’au déjeuner, sieste, visite au Vatican

48, travail de nouveau.»

49

• Agapia, août-octobre 1927.

Le reste de Între vânturi, soit plus de 300 pages, est écrit près du célèbre monastère moldave, dans «une maison bien

assise sur le versant le plus ensoleillé d’Agapia»50

. Fin septembre51

, Teodoreanu expédie à Ibrăileanu, pour une

publication fragmentaire dansViaţa Românească, «le reste de cet énorme manuscrit, dont la transcription est héroïque,

purement et simplement, puisqu’elle a pris à Lily des fractions importantes des plus beaux jours d’Agapia»52

. Il s’agit

des IIe, IIIe et IVe parties du roman, jusqu’à la préparation du suicide d’Olguţa. Il pense avoir encore «une semaine de

travail intense» jusqu’à la fin du roman, et renvoie à Ibrăileanu une «nouvelle récolte de manuscrit» quelques jours plus

tard, après une excursion impressionnante dans les gorges du Bicaz en compagnie de Cezar Petrescu. Teodoreanu a

atteint désormais sa vitesse maximale d’écriture, mais s’interroge avec angoisse sur la vigueur de son style: «après

Page 12: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

l’effort pour faire mon nombre nécessaire de pages medelenistes, mon style est devenu comme une galoche abandonnée

depuis deux ans. Je sens pourtant que ces gorges sont restées imprimées en moi comme une allée menant à des volcans

spirituels. En elles est gravée comme la vision d’une procession d’animaux préhistoriques, avec le hurlement de l’effroi

devenu pierre mugie vers le ciel.»53

Quant au poignant chapitre III de la IVe partie et au final du roman, ils seront écrits vers le début d’octobre 1927, comme l’indique Teodoreanu dans une conférence tenue à Sibiu en 1937:

J'ai écrit le troisième volume de La Medeleni au Monastère d'Agapia. Je m'étais approché de la fin en octobre. Le

monde était parti. Les hirondelles s'étaient envolées depuis longtemps. Le ciel était désert. Le monastère désert. On

n'entendait que les cloches. Et seules apparaissaient, noires et mortuaires, les nonnes se rendant à l'office. Le ciel était

d'un bleu froid. Les forêts de sapins, sévères et sombres. Les montagnes étaient livides dans le crépuscule, exhalant c e

parfum grave, mortuaire, d'encens végétal des montagnes de sapins au coeur de l'automne.

Olguţa devait mourir. J'écrivais le matin 5-1, l'après-midi 2-5,me promenais dans les sapinières.

Jusque-là j'avais écrit rapidement. J'avais atteint la vitesse de fin d'un roman. Je savais la fin. Je l'avais en moi.

Pourtant je n'osais pas écrire. Je balançais devant la mort de cette jeune fille qui m'avait tenu compagnie quatre

années de ma vie.54

Ce troisième et dernier volume appelle trois remarques.

b. D'Olguţa à Între vânturi

On note d’abord que le romancier a longtemps hésité sur le titre à donner au dernier volume de sa trilogie: Olguţa55

,

puis Ultima vacanţă, Vânt, Între vânturi enfin56

. Olguţa allait de soi, dans la mesure où ce personnage, avec son drame

amoureux et sa mort tragique, occupe le centre de ce dernier volume. Mais le titre Între vânturi a été préféré parce qu'il

se trouve en continuité métaphorique avec les deux premiers volumes, Hotarul nestatornic et Drumuri; les destins des

personnages et de leur temps se trouvent balayés par la bourrasque du contingent: passion d’Ogulţa pour Vania, cancer

de la jeune fille, entrée en guerre de la Roumanie aux côtés de l’Entente, ruine de la famille Deleanu , qui doit se

résoudre à vendre Medeleni à Rodica Bercale.

c. Les efforts de structuration

Une seconde observation concerne la composition du roman à cette étape de la rédaction. Bien que la version définitive

du IIIe volume comporte trois parties sans chapitres et une IVe partie composée de quatre chapit res et suivie d'un

épilogue, il faut noter que la première version manuscrite n'est pas rigoureusement composée et que les parties ne sont

pas nettement indiquées. On remarque surtout que le romancier pensait un moment diviser son dernier volume en deux

parties, la première reprenant en chapitres les trois premières parties du texte définitif, la seconde reprenant la quatrième, toujours divisée en quatre chapitres. Un long passage de la Ie partie, depuis la phrase

Lângă Vania nu puteai concepe somnul...

(T. F.: Près de Vania le sommeil était inconcevable...)

jusqu'à

... ca o poartă închisă cu lacăt de veci, prin care trecuse Dumnezeu.57

(T. F.: ... comme un portail verrouillé pour l’éternité et par lequel Dieu est passé ,

devait constituer un chapitre distinct, intitulé Elegie et consacré à l'amour d'Olguţa pour Vania.

d. Vers une mise en relief du volume

Il faut signaler enfin un point important concernant la IIIe partie du volume dans la première version manuscrite.

Teodoreanu n'a dissocié cette partie en deux autres (III et IV) que dans la version finale, distinguant nettement deux

moments tragiques: d'une part, le suicide d'Olguţa -- chapitre III -- et d'autre part le voyage inutile de Monica, et sa

vaine et terrible attente près du phare de Constanţa (chapitre IV). Cette refonte est bienvenue, parce qu'elle rétablit un

certain équilibre dans les proportions (la IIIe partie était trop volumineuse) et qu'elle donne à tout le volume, en dissociant les deux scènes, un relief bien plus tragique.

__________

Page 13: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

1. Cf. infra.

2. Le cerf-volant de Dănuţ.

3. Variante: Copii Deleanu («Les enfants Deleanu»).

4. Cf. «Viaţa Românească», XVI, 1924(10), p. 5.

5. «Cum am scris Medelenii» («Comment j’ai écrit Medelenii»), conférence tenue le 5 décembre 1937 à Sibiu,

in: Ionel Teodoreanu, Cum am scris «Medelenii», ed. Nicolae Ciobanu, Iaşi: Junimea, 1978, p. 168.

6. Ibidem, p. 170.

7 . Si les voisins tuent mes pigeons.

8. Insemnări pentru noua nuvelă («Notes pour la future nouvelle»), mss rom. 4234, f° 143 et suivants.

9. Ionel Teodoreanu, Masa umbrelor («La table des ombres»), Iaşi: Junimea, 1983, p. 39.

10. I. Fr. Botez, C. Cerbu, «Cu d-l Ionel Teodoreanu despre Trilogia Medelenilor», Rampa, XII, 1927(2946), p. 2.

11. Mss rom. 4234, f° 35, couverture.

12. I. Fr. Botez, C. Cerbu, loc. cit.

13. Scrisori către Garabet Ibrăileanu («Lettres à Garabet Ibrăileanu»), ed. M. Bordeianu et alii, Bucarest: E.P.L.,

1966, p. 396.

14. Voir Ion I. Cantacuzino, «Ionel Teodoreanu», România literară, I, 1932(2), p. 1.

15. Les six vacances.

16. Mss rom. 4234, f° 1.

17 . Ibidem, f° 35, couverture.

18. Ibidem, f° 1, couverture.

19. «La mer», ibidem, f° 95 v°.

20. «Oncle Puiu», puis «Herr Direktor», mss rom. 4234, f° 33.

21 . Texte définitif: La Medeleni, I, p. 38.

22. La maisonnette blanche et la petire robe rouge.

23. Edition définitive: La Medeleni, I, p. 261.

24. «Les malheureux! Les pauvres enfants!»

25. La Medeleni, I, p. 95.

26. Ibidem, p. 280.

27 . Nicolae Ciobanu, La Medeleni, in Ionel Teodoreanu, Opere alese, III, ed. N. Ciobanu, Bucarest: E.P.L., 1968,

p. 387.

28. Ibidem, p. 388.

29. Robinson dans le grenier des vieilleries, Ne te fâche pas, Dănuţ, La maison des poupées.

30. Drumuri a été écrit entièrement à Techirghiol selon l’auteur lui-même. Cf. I. Fr. Botez, C. Cerbu, «Cu d-l

Ionel Teodoreanu despre Trilogia Medelenilor», Rampa, XII, 1927(2946), p. 2.

31 . Scrisori către Garabet Ibrăileanu, ed. cit., p. 396.

32. Respectivement: La fin d’une année scolaire, «Il était un petit pommier» et L’escapade d’Olguţa.

33. Respectivement: Une nuit, une journée, une nuit, et Bucarest-Medeleni. Deux nuits et une journée.

34. IV. Le titre du roman et V. Le jeune romancier.

35. Mss rom. 4235, f° 1.

36. Ibidem, f° 89.

37 . Ioana Palla - La châtelaine des Saules - Le cahier aux feuilles blanches; Je suis le frère des matous - Rodica.

38. «L’enfant qui a baisé un abricot», ibidem, f° 223.

39. Mss rom. 4236, f° 90 v°.

40. I. Fr. Botez, C. Cerbu, op. cit., p. 2.

41 . Scrisori către Garabet Ibrăileanu, ed. cit., p. 392.

42. Lily Teodoreanu à G. Ibrăileanu, 2 juillet 1927, ibidem, p. 397.

Page 14: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

43. Ibidem.

44. Ionel Teodoreanu à G. Ibrăileanu, 25 juillet 1927, ibidem, p. 393.

45. Mots assortis, poèmes, 1927.

46. Ibidem.

47 . Ibidem. Le premier chapitre de ¥ntre vânturi paraîtra dans Viaţa Românească, XIX, 1927(8-9), pp. 5-59.

48. Le Vatican désigne la demeure d’Ibrăileanu, chez la mère Tecla Zăvoianu à Agapia.

49. Scrisori către Garabet Ibrăileanu, ed. cit., p. 393.

50. Lily Teodoreanu à G. Ibrăileanu, ibidem, p. 397.

51. Peu après le 25, puisque le romancier fait allusion dans sa lettre à un article de Paul Zarifopol dans l’Adevărul

literar şi artistic du 25 septembre 1927.

52. Ionel Teodoreanu à G. Ibrăileanu, ibidem, p. 393.

53. Ibidem, pp. 394-395.

54. Ionel Teodoreanu, Cum am scris "Medelenii", ed. N. Ciobanu, Iaşi: Junimea, 1978, pp. 180-181. Le style est

télégraphique: il s’agit ici de notes destinées à la conférence.

55. Mss rom. 4236, f° 90 v°.

56. Ibidem, cahier 1, p. 1.

57 . Ibidem, cahier 2.

LE TEXTE ET SA RECEPTION

I. LE MOMENT 1925.

Publié de 1925 à 1927, La Medeleni paraît à une époque de l’histoire où la Roumanie connaît une renaissance historique

propice au développement économique et social du pays, et donc à un renouveau littéraire comparable à celui qui a précédé l’entrée de la Roumanie dans la première guerre mondiale aux côtés de l’Entente.

1. Le renouveau national et économique.

Les années de l’après-guerre sont marquées par l’unification nationale et territoriale de la Roumanie: au terme des

traités, le pays a récupéré la Bessarabie, puis la Bucovine et la Transylvanie, pour former la Grande Roumanie, qui est

entrée le 28 juin 1919 à la Ligue des Nations. En 1923 la Roumanie s’est dotée d’une nouvelle constitution largement

démocratique, sous Ferdinand de Hohenzollern Sigmaringen, roi jusqu’à sa mort en 1927, date à laquelle un conseil de régence sera constitué autour de son petit-fils Michel.

Du point de vue économique, les années 1920 sont marquées par la reconstruction du potentiel industriel de la Roumanie et par le développement d’une économie de marché, qui prospèrera jusqu’à la crise de 1929.

C’est dans ce contexte de renouveau national, matériel et spirituel, et qui voit l’éclosion du génie artistique sous toutes

ses formes, qu’il faut situer la genèse puis la publication d’une œuvre comme La Medeleni.

• La fin de la crise éditoriale.

Page 15: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Ce renouveau n’est pas sans conséquences sur un changement de la situation éditoriale en Roumanie. En 1927 Ion

Vinea, dans un «bilan littéraire» de l’année précédente, constate avec bonheur la fin d’une «crise de production et de lecteurs»[1], et d’une «crise éditoriale» que Lucian Blaga mentionnait dans un même bilan un an plus tôt.[2]

2. Le renouveau du roman.

C’est le roman qui, en littérature, bénéficie en premier lieu du renouveau artistique, au détriment de la nouvelle. Figure

de proue de ce retour en force du genre dans les lettres roumaines, Liviu Rebreanu salue avec enthousiasme à la même

époque «la ruée des écrivains roumains contemporains sur le roman», qui oblige ceux-ci à un effort de composition

vaste, et qui écarte du même coup un certain «dilettantisme» littéraire.[3] Dans une interview accordée à l’occasion de la

sortie de Răscoala [«La Révolte»] en 1926, il constate encore: «Avant guerre paraissait un piètre roman à quelques

années d’intervalle, maintenant on imprime des dizaines de romans par an, et même de bons parmi eux.» [4]

a. Une production romanesque abondante.

Hotarul nestatornic paraît en 1925, la même année que deux célèbres romans de Rebreanu, Adam şi Eva[«Adam et

Ève»] et Ciuleandra [«La ciuleandră], et qu’Omul descompus [«L’homme décomposé»] de Felix Aderca, roman où

transparaît l’obsession érotique dans une composition révolutionnant déjà le cadre du roman traditionnel. L’année 1926,

qui voit la publication très remarquée de Drumuri sur un fond de scandale littéraire dû à son caractère jugé

pornographique par une partie de la critique, est marquée par deux événements dans la prose: la parution du roman

d’Hortensia Papadat Bengescu, Fecioarele despletite [Les jeunes filles dénattées»], et surtout l’éblouissant récit de

Mateiuu Caragiale, Craii de Curtea-Veche [Les Ribauds du Vieux Castel»],dans la revue Gândirea. On note avec moins

d’intérêt la sortie d’autres romans comme Diplomatul, tăbăcarul şi actriţa [«Le diplomate, le tanneur et l’actrice»] de

Carol Ardeleanu, qui reprend le thème du déclassé, sous l’influence évidente de Dostoïevski, Casa cu nalbă [«La

maison des mauves»] d’Eugeniu Speranţia, Sub flamura roşie [«Sous l’oriflamme rouge»] de Dem. Theodorescu

ou Moş Belea [«Moş Belea»] de Gheorghe Brăescu. 1927, année où paraît Între vânturi, est beaucoup plus riche en

romans de qualité et où s’affirme un art toujours mieux maîtrisé, comme Fuga lui Şefki [«La fuite de Şefki»] d’Emanoil

Bucuţa – roman dont Mihail Sebastian dira qu’il passe scandaleusement inaperçu, avec Craii de Curtea-Veche de

Mateiuu Caragiale, en pleine ascension de La Medeleni[5] –, Concert de muzică de Bach [«Concert de Bach»]

d’Hortensia Papadat Bengescu, Cântecul lebedei [«Le chant du cygne»] de Rebreanu, Glasuri în surdină [«Voix en

sourdine»] de l’humanitariste Eugen Relgis, ou encore Femeia cu carnea albă [«La femme à la chaire blanche»] de

Felix Aderca.

b. L’âge adulte de la prose roumaine.

Ce qui appert de cette abondante production romanesque contemporaine de la trilogie La Medeleni, c’est, d’une part, et

à des degrés divers, la fermeté de son accomplissement, qui, pour reprendre l’analyse d’Alexandru Lascarov -Moldovan,

est le signe le plus sûr que la société de qui elle émane franchit «le seuil de sa maturité» [6], et, d’autre part et

conséquemment, la prise de conscience par le roman roumain que de Rebreanu à Teodoreanu il prend désormais sa

place «parmi les littératures traduisibles en toute langue européenne».[7]

c. Le renouveau des thèmes romanesques.

Ce qui caractérise aussi le roman roumain contemporain de La Medeleni, c’est son renouvellement dans les formes

comme dans les thèmes, tant qu’on peut parler d’un nouveau roman des années 1920. D’un point de vue thématique: la

guerre avec les horreurs du front et les drames de l’arrière, l’angoisse et la crise morale de l’intellectuel, la glorification

nationale, la recherche érotique effrénée, l’ennui ou l’exubérance des villes. D’un point de vue formel: l’aspiration vers

le roman de vastes proportions épiques, vers le roman-fleuve dans la lignée d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, dont la publication s’achève en 1927, année de parution de Între vânturi.

d. L’aspiration vers le roman de grandes dimensions.

La mode est en effet aux œuvres romanesques de grandes dimensions. Avant guerre, Romain Rolland a publié

son Jean-Christophe, histoire d’un jeune musicien prodige et roman monumental en dix volumes (1904-1912), conçu

dès le départ comme un poème musical[8] et qui connaît un grand succès en Roumanie comme ailleurs.[9] Toujours en

Page 16: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

France, Roger Martin du Gard a commencé en 1922 la publication de son vaste cycle romanesque Les Thibault, histoire

d’une famille de la grande bourgeoisie parisienne du début du siècle à 1914; trois volumes ont déjà paru en France

lorsque sort Hotarul nestatornic en 1925: Le Cahier gris, Le Pénitencieret La Belle Saison. D’autre part, Georges

Duhamel constitue en 1926 le cycle de Salavin, qui s’achèvera en 1929 avec Le Club des Lyonnais. La publication

de Drumuri en 1926 coïncide enfin avec celle du célèbre roman-fleuve de Margaret Mitchell aux États -Unis, Autant en

emporte le vent, qui connaît un énorme succès de public outre-Atlantique, et qui n’est pas sans faire penser, toutes

proportions gardées, à certains aspects structurels de La Medeleni.

En Roumanie même, Liviu Rebreanu a publié en 1920 son célèbre Ion [«Ion»], vaste roman de dimension épique

développé à partir d’une intrigue banale (un paysan pauvre, assoiffé de terre, épouse pour son bien une jeune fille

aisée), mais sur un fond de fresque sociale minutieus ement observée – le village transylvain – et dans une composition

en plans parallèles reliés par un subtil contrepoint symphonique. Récompensé par le Prix Năsturel, ce roman exerce un

phénomène d’émulation sur presque tous les prosateurs d’après -guerre: rares sont ceux qui ne donnent pas au moins un

grand roman en deux volumes, comme Purgatoriul [«Le Purgatoire»] de Corneliu Moldovan en 1922, cherchant à

égaler ou à surpasser Rebreanu dans l’effort de composition, d’invention et d’approfondissement psycholo gique des personnages.

C’est comme la «première réplique au roman de Rebreanu» – pour reprendre la formule très juste de Tudor Vianu [10] – que se présente donc la trilogie de Ionel Teodoreanu.

II. LA PUBLICATION DE LA MEDELENI.

Les trois volumes de La Medeleni ont été publiés de la même façon: d'abord en revue pour les abonnés et les habitués,

puis en volume pour le grand public. La majorité des textes ont paru dans le mensuel Viaţa Românească à Iaşi, mais

Teodoreanu a publié aussi des textes dans l'hebdomadaire bucarestois Adevărul literar şi artistic[11] juste avant la sortie

des volumes II et III en librairie. Outre son intérêt financier, cette façon de procéder présentait l'avantage d'être un essa i auprès des lecteurs.

1. Les extraits donnés aux revues.

Nous donnons plus bas, à titre indicatif, l'ensemble des extraits de La Medeleni publiés en périodiques, et qui présentent

quelques variantes par rapport au texte de l'édition princeps.

En examinant attentivement ces textes, on contaste que la rédaction de Viaţa Românească accorde une confiance totale

au jeune romancier, puisque par six fois elle le laisse ouvrir le sommaire de la revue, et, d’autre part, puisqu’elle fait

côtoyer ses œuvres avec celles d’écrivains roumains de notoriété incontestable. C’est ainsi que l’on voit des extraits

de La Medeleni voisiner avec des proses de Mihail Sadoveanu (Cealaltă Ancuţa,Fericita Cecilia, Sfintele

amintiri, Demonul tinereţii[12]...), Henriette Yvonne Stahl, Gala Galaction, Jean Bart, Panait Istrati, Gib Mihăescu,

Lucia Mantu, Tudor Arghezi, Alexandru O. Teodoreanu enfin, frère de notre romancier, et même avec de célèbres

écrivains étrangers, puisque Viaţa Românească publie, en même temps que La Medeleni, la traduction roumaine

d’Oblomov de Gontcharov.

• 1924

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVI, 1924(10), pp. 5-34: Potemkin şi Kami-Mura.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVI, 1924(11), pp. 196-217: idem.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVI, 1924(12), pp. 358-382: Căsuţa albă şi rochiţa roşie.

• 1925

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(1), pp. 5-40: Herr Direktor.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(2), pp. 179-200: Mediul moldovenesc.

Page 17: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(3), pp. 333-352: idem.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(4), pp. 10-30: Robinson Crusoe.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(5-6), pp. 175-209: Păpuşa Monicăi, soit Păpuşa Monicăi etMoş Gheorghe, nu tragi din lulea? dans Hotarul nestatornic.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(9), pp. 394-400: soit Sfârşitul unui an şcolar dans Drumuri, I, chapitre I.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(10), pp. 33-67: idem, soit «Il était un petit pommier» dansDrumuri, I.

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVII, 1925(11-12), pp. 188-222: idem, soit Escapada Olguţei dansDrumuri, I..

• 1926

«La Medeleni», Viaţa Românească, XVIII, 1926(1), pp. 5-26 : idem.

«Rodica», soit Drumuri, III, chapitre II, Viaţa Românească, XVIII, 1926(10), pp. 5-43.

«Ioana Pallă», soit Drumuri, III, chapitre I, Viaţa Românească, XVIII, 1926(11), pp. 185-208.

«Femeia roşie» extrait de Drumuri, II, chap. I, pp. 226-238 (depuis «Mircea adormise» jusqu’à «Zările se ridicară’n

aur.»)[13], Adevărul literar şi artistic, VII, 1926(308), p. 1.

«Printre caisele din vârfuri», extrait de Drumuri, II, chap. II, pp. 256-266 (Depuis «Caişii îl cunoşteau bine pe Puiu» jusqu’à «Şi’i trânti uşa’n nas.»)[14], Adevărul literar şi artistic, VII, 1926(310), pp. 1-2.

«Monica», extrait de Drumuri, III, chap. III, pp. 684-699 (du début jusqu’à «decât să nu’i poată răspunde la nici o minge.»[15]), Adevărul literar şi artistic, VII, 1926(313), pp. 1-2.

• 1927

«Între vânturi», extrait de Între vânturi, I, Viaţa Românească, XIX, 1927(8-9), pp. 5-59.

«Între vânturi (Ochii verzi)[16]», extrait de Între vânturi, III, Viaţa Românească, XIX, 1927(10-12), pp. 79-116.

«Procesul», extrait de Între vânturi, II, pp. 133-163 (depuis «Pledase întâiul proces» jusqu’à «efigia minciunii

lor»)[17], Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927(360), pp. 1-3.

«Cheful», extrait de Între vânturi, II, pp. 179-191 (depuis «Involuntar, Dănuţ se îndreptase spre Pavilion.» jusqu’à «avea un singur cântec pentru toţi.»)[18], Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927(367), pp. 1-2.

• 1928

«Între vânturi», extrait de Între vânturi, II, pp. 179-191, Adevărul literar şi artistic, IX, 1928(377), p. 7.

2. La publication en volume.

a. L’édition princeps de La Medeleni.

La Medeleni a été publié pour la première fois en trois volumes de juin 1925 à décembre 1927, de la façon suivante:

Page 18: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Ionel Teodoreanu, La Medeleni, Hotarul nestatornic, roman, Bucarest: Cartea Românească, 1925, 382 pages.

Ionel Teodoreanu, La Medeleni, vol. II, Drumuri, roman, Bucarest: Cartea Românească, 1926, 562 pages.

Ionel Teodoreanu, La Medeleni, vol. III, Între vânturi, roman, Bucarest: Cartea Românească, 1927, 421 pages.

La trilogie paraît aux Éditions Cartea Românească, successeur moral des Éditions Minerva qui, au début du XXe siècle,

ont été un des piliers littéraires du mouvement semănătoriste et ont joué un rôle important dans la renaissance culturelle

d’avant-guerre en Roumanie, comme en France Lemerre pour le Parnasse et le Mercure de France pour le symbolisme.

Cartea Românească renoue dans les années 1920 avec cette tradition assez récente, rééditant d’une part les œuvres

classiques de la littérature roumaine, et, d’autre part, d’une manière quelque peu comparable à celle de la

revue Adevărul literar şi artistic, la prose roumaine contemporaine de quelque tendance qu’elle émane. C’est ainsi que

Cartea Românească prend l’initiative en 1925 de lancer La Medelenide Teodoreanu, l’un de ses fleurons éditoriaux et l’un de ses plus grands succès de librairie.[19]

b. La présentation matérielle de l'édition.

Le premier volume de la trilogie sort en juin 1925. La parution imminente du roman est annoncée par «Nicanor & co»,

alias Garabet Ibrăileanu, dans la rubrique Miscelaneea du numéro double de Viaţa Românească où a été publié le

dernier chapitre de Hotarul nestatornic.[20] C'est un élégant volume broché, vendu 75 lei, dans la présentation propre

aux volumes publiés par «Cartea Românească»: couverture jaune, avec le titre de la trilogie en rouge et celui du volume en noir.

Le second volume, Drumuri, annoncé dès octobre par la revue de Iaşi[21], paraît en décembre 1926 pour les fêtes de fin

d'année[22], dans une présentation identique. C'est un volume de 562 pages, vendu 150 lei et imprimé dans un corps plus

petit que le premier. En troisième de couverture, l'éditeur précise que la première édition du premier volume a été un

«grand succès de librairie» et qu' «elle s'est vendue en quelques mois»; il donne du même auteur « Uliţa copilăriei –

Povestiri[23]» et «La Medeleni, volume II, 2e édition, 100 lei», avec trois extraits de presse élogieux. Il est à noter que

Cartea Românească s'attend au même succès pour le IIe volume de la trilogie, puisqu'il précise sur la couverture «Drumuri – IIe édition».

Le troisième et dernier volume, Între vânturi, sort en décembre 1927, toujours pour les fêtes de Noël. Le livre de 421

pages, d'une présentation identique au second, est vendu 130 lei. La deuxième de couverture précise que le volume I

(1925) en est déjà à sa troisième édition, et le volume II à sa deuxième.

(suite)

[1] Ion Vinea, «Bilanţ literar» [«Bilan littéraire»], Dimineaţa, XXII, 1927(7164), p. 18.

[2] Lucian Blaga, «Literatura anului» [«La littérature de l’année»], Banatul, I, 1926(1), p. 51 (rubrique «Chroniques»,

signée L. B.).

[3] Felix Aderca, Mărturia unei generaţii [«Le témoignage d’une génération»], Bucureşti: Editura Ciornei, 1929, p. 292.

[4] I. Valerian, «De vorbă cu d-l Liviu Rebreanu» [«Entretien avec M. Liviu Rebreanu»], Viaţa literară, I, 1926(1), p. 2 (Păreri despre literatura altora, «Opinions sur la littérature des autres»).

[5] Mihail Sebastian, «Cazul Ionel Teodoreanu» [«Le cas Ionel Teodoreanu»], Cuvântul, IV, 1928(1070), p. 1.

[6] I. Valerian, «De vorbă cu Alexandru Lascarov-Moldovanu» [«Entretien avec...»], Viaţa literară, I, 1926(16).

In Romanul românesc în interviuvuri [«Le roman roumain en interviews»], II, 1, ed. Aurel Sasu et Mariana Vartic,

Bucureşti: Editura Minerva, 1986, p. 284.

Page 19: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[7] N. Davidescu, Aspecte şi direcţii literare [«Aspects et directions littéraires»], ed. Margareta Feraru, Bucureşti: Editura Minerva, 1975, p. 433.

[8] Lettre de Romain Rolland à Malwida, 10 août 1890.

[9] L’œuvre de Romain Rolland est bien connue de Teodoreanu, et le nom du romancier français apparaît quatre fois

dans La Medeleni. En effet, Jean-Christophe est l’une des lectures préférées de Mircea (II, p. 422); le jeune professeur

écrit sur ce roman, dans Viaţa contimporană, une étude où il affirme que Jean-Christophe représente la lutte solaire de

Prométhée musicien contre les momies du symbolisme (II, pp. 525-528). Enfin, le narrateur évoque le refrain lyrique de

Jean-Christophe dans l’épisode de son amitié avec Otto Diener («J’ai un ami!») lorsque Dănuţ rencontre le rédacteur

de Viaţa contimporană (III, p. 209).

[10] Tudor Vianu, Arta prozatorilor români [«L’art des prosateurs roumains»], Bucureşti: Editura Contemporană, 1941, p. 368.

[11] Respectivement: La Vie Roumaine et La Vérité littéraire et artistique.

[12] L’autre Ancuţa, Cecilia la bienheureuse, Les saints souvenirs, Le démon de la jeunesse.

[13] La femme en rouge, depuis «Mircea s’était endormi» jusqu’à «Les lueurs d’or se levèrent.».

[14] Parmi les abricots des cimes, depuis «Les abricots connaissaient bien Puiu» jusqu’à «Et il lui claqua la porte au nez.».

[15] «plutôt que de ne pouvoir répondre à aucune de ses balles.».

[16] «Dans les vents» (Les yeux verts).

[17] Le procès, depuis «Il avait plaidé le premier procès» jusqu’à «l’effigie de leur mensonge.».

[18] Le festin, depuis «Involontairement, Dănut se dirigea vers le Pavillon.» jusqu’à «avait une seule chanson pour

tous.».

[19] Sur la situation éditoriale et l’histoire de Cartea Românească, voir Pentapolin, «Editurile în 1926. Cartea Românească» [«Les maisons d’édition en 1926...»], Universul literar, XLIII, 1927(2), pp. 31-32.

[20] Viaţa Românească, XVII, 1925(5-6), p. 345.

[21] Ibidem, n° 10, p. 5.

[22] Voir Pentapolin, op. cit., p. 31.

[23] La Ruelle de l’enfance – Récits.

LA MEDELENI -- RÉSUMÉ ANALYTIQUE

Volume I. Hotarul nestatornic [La marche mouvante]

Première partie

I. Potemkin şi Kami-Mura [Potemkine et Kami-Mura]

À la gare de Medeleni, les Deleanu, famille de grands propriétaires terriens, attendent pour les grandes vacances

l’arrivée de leur fille Olguţa et de Monica, une jeune orpheline recueillie. Le chapitre parodie avec humour les épisodes

de la guerre russo-japonaise entre les deux enfants de M. et Mme Deleanu, Dănuţ et Olguţa: les insultes d’Olguţa, la

giffle de Dănuţ, les représailles d’Olguţa, qui coupe la ficelle du cerf-volant de son frère, la paix des enfants autour d’un

pot de confiture...

Page 20: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

II. Căsuţa albă şi rochiţa roşie [La maisonnette blanche et la robe rouge]

Ayant revêtu leurs nouvelles robes, Olguţa et Monica rendent visite à moş Gheorghe, le plus vieux des domestiques du domaine, qui les accueille dans son verger et dans son humble maisonnette.

III. Herr Direktor

Avec l’arrivée de Grigore Deleanu, frère de M. Deleanu, ingénieur formé en Allemagne et surnommé Herr Direktor par

les enfants, s’installe à Medeleni une ambiance de fête frénétique: festin, distribution de cadeaux, jeux de mascarade et

mystérieuse chasse à la grenouille à l’Etang du Poulain, hanté par Fiţa Elencu Dumşa, grand-mère maternelle d’Olguţa changée en grenouille après sa mort.

Deuxième partie

I. «Mediul moldovenesc» [«Le milieu moldave»]

À Medeleni les grandes vacances s’achèvent. Après avoir critiqué sévèrement le milieu moldave où évolue Dănuţ,

nonchalant et passéiste, Herr Direktor propose pour son neveu une éducation virile et moderne dans un internat de

Bucarest. Dănuţ accepte douloureusement de quitter la maison.

II. Robinson Crusoe

Avant de quitter Medeleni, Dănuţ se réfugie au grenier dans la lecture de Robinson Crusoë, et goûte pour la dernière fois avec les siens le bonheur dans la cuisine, arche de Noé, île de chaleur sous les pluies d’automne.

III. Păpuşa Monicăi [La poupée de Monica]

Alors que dans une ambiance de fête les domestiques préparent les valises de Dănuţ, celui-ci, excédé par sa soeur

Olguţa, la blesse d’un coup de pierre et sacrifie les cheveux de la poupée de Monica, secrètement amoureuse de lui. À

l’aube il part en train pour Bucarest.

IV. «Moş Gheorghe, nu tragi din lulea?» [«Moş Gheorghe, tu ne fumes pas la pipe?»]

Alors que la famille Deleanu reçoit de Bucarest la première lettre de Dănuţ, qui s’adapte mal à sa nouvelle vie d’interne,

la servante Anica annonce que moş Gheorghe est mourant. Celui-ci lègue sa maison aux enfants et laisse à Olguţa en dot une robe de mariée. Abattue, la famille Deleanu part pour Iaşi.

Volume II -- Drumuri [Chemins]

Première partie

I. Sfîrşitul unui an şcolar [La fin d’une année scolaire]

Ce chapitre évoque en alternace les relations amoureuses de Dănuţ et de son ami Mircea Balmuş, tous deux élèves du

Lycée Lazăr à Bucarest. Installé par Herr Direktor dans un confortable studio, Dănuţ est initié par sa maîtresse Adina

Stephano à un amour où dominent souffrance et sensualité exacerbée, tandis que Mircea entretient avec Olguţa une

correspondance malicieuse depuis la maison bucarestoise où ses parents moldaves ont reconstitué l’ambiance

patriarcale de Iaşi.

II. «Il était un petit pommier»

Ce chapitre restitue l’ambiance de la maison Deleanu à Iaşi et la vie ordinaire de la famille: avocature de M. Deleanu,

escrime d’Olguţa au Jockey-Club... Les Deleanu ont recueilli un petit cousin de Dănuţ et d’Olguţa, Puiu. Olguţa fait une

escapade à Bucarest avec son père pour rendre visite à Dănuţ, qui a envoyé par erreur à Monica un livre dédicacé à

Adina.

III. Escapada Olguţei [L’escapade d’Olguţa]

Page 21: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Chapitre où Dănuţ et Olguţa se retrouvent à Bucarest, toujours sous le signe du défi et de la compétition, et où on suit

l’évolution sentimentale de Dănuţ et de Mircea, l’un oscillant entre sa maîtresse Adina qu’il fait souffrir et sa «soeur»

Monica, l’autre vivant sa «première insomnie de bonheur» après sa rencontre avec Olguţa, et signant son serment

existentiel.

Deuxième partie

I. O noapte [Une nuit]

Lors d’un voyage par train de nuit accompli par Dănuţ et Mircea de Bucarest à Medeleni, on découvre alternativement

les deux adolescents face au problème de l’amour: fine analyse des rapports maternels de Dănuţ avec Adina Stephano,

initiation érotique sordide de Mircea avec la «dame en rouge», torturé entre l’appel de la chair et l’appel de Medeleni

sublimé. Jusqu’alors roman d’une histoire, avec Mircea Medeleni devient dès ce chapitre histoire d’un roman: pour

Mircea Balmuş Medeleni n’est pas une réalité à laquelle il va participer, mais un livre qu’il imagine devant lui et dont il voudrait vainement voir la fin.

II. O zi [Une journée]

Une journée d’été à Medeleni, où Puiu découvre les corps d’Olguţa et de Rodica, une pensionnaire de l’école Humpel

de Iaşi, et où Dănuţ retrouve Monica comme soeur et comme lectrice de ses poèmes. Il veut par l’écriture exprimer par

notations les «vibrations du grand terrain volcanique» de l’âme. Monica lui parle de l’amour d’Olguţa pour Vania, un oncle revenu d’Amérique et parti pour la Russie l’année précédente.

III. O noapte [Une nuit]

Nuit à Medeleni, durant laquelle Dănuţ et Mircea trahissent une nouvelle fois, le premier avec Sevastiţa, la servante

d’Olguţa, l’autre avec la châtelaine des Saules, Ioana Pallă, qui l’initie dans un salon décadent, et à qui il révèle l’identité d’Adina Stephano.

Troisième partie

I. Ioana Pallă

Août 1914. Le peintre Alexandru Pallă, à Venise avec Adina Stephano, et sa belle-soeur Ioana Pallă, propriétaire du

domaine des Saules près de Medeleni, échangent par lettres des renseignements sur Dănuţ et Adina Stephano. Ioana

conseille à son beau-frère de venir aux Saules avec Adina, pour briser la distance et l’idéalisation qu’elle opère. Dănuţ

vit dans un état d’attente et d’immobilisme; il dévore des romans «sensationnels», éprouvant un sentiment d’incomplétude à la fin de chacun d’eux.

II. Rodica

Dănuţ éprouve à Medeleni en août un sentiment de dégoût et d’échec, malgré ses rendez-vous nocturnes avec Rodica.

Pourtant celle-ci lui donne la conscience du roman possible, en lui demandant une «chronique» de ses amours (Adina,

Ioana), dont la troisième partie (Rodica) est présentée comme «roman vécu». Puiu dénonce Dănuţ et Rodica à Olguţa, qui chasse Rodica de Medeleni. Monica pardonne à Dănuţ.

III. Monica

À Medeleni, toute la famille parle de la nouvelle qu’écrit Dănuţ. Celui-ci veut retrouver l’émotion première de l’enfant

devant l’abricotier en fleurs; la visite au grenier avec Monica doit déclencher ce mécanisme. La lettre de Mircea à Monica insiste sur la nécessité de convaincre Dănuţ d’écrire l’histoire de Medeleni.

IV. Titlul romanului [Le titre du roman]

Mircea devient professeur suppléant au Lycée Lazăr de Bucarest et collabore activement à la revue Viaţa

contimporană [«La vie contemporaine»]. Il a évolué vers l’anti-symbolisme, alors que Dănuţ soutient que la littérature

doit tourner le dos à la société, cultiver le moi. Retrouvant Iaşi, Dănuţ se déclare à Monica et reste dans la ville avec un faux certificat médical; il définit le titre de son roman: Medeleni.

Page 22: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

V. Tînărul romancier [Le jeune romancier]

De retour à Bucarest en automne, Dănuţ discute avec Mircea de son projet romanesque: il veut par «une fusion de vie et

de légende» montrer le côté éphémère de l’enfance, «ses dimensions exactes de petit village au pied d’un volcan». À

partir de la discussion se dessine le «paysage de Medeleni». Dănuţ retrouve Alexandru Pallă à un vernissage du peintre

à l’Athénée de Bucarest; l’artiste a épousé Adina.

Volume III -- Între vînturi [Aux vents]

Première partie

1922. Sur le bateau qui ramène Olguţa, Monica et Alexandru Pallă de Marseille à Constanţa, les personnages font des

retours en arrière. Olguţa repense à l’extraction de sa tumeur au sein, à son disparu, Vania, retrouvé à Iaşi en septembre

1916, aux adieux de son père à Constanţa trois ans plus tôt, quand Alexandru Pallă, après avoir divorcé d’Adina, a

décidé d’accompagner les filles à Paris, Olguţa pour des leçons de piano, Monica pour sa thèse de doctorat sur François Villon en Sorbonne. La nuit passe sur le bateau, qui se réveille dans l’aube du printemps puis entre dans Constanţa.

Deuxième partie

Iaşi, 1922. Pendant la guerre, Dănuţ est resté démobilisé, puis loin de la lumière de Monica partie en France. Depuis un

an il est avocat; c’est un gagne-pain qui lui permet d’écrire. Mais le milieu juridique, qu’il satirise, lui pèse

excessivement; la littérature lui semble «une solution à la vie». En relisant ses textes d’autrefois, il prend conscience de

sa maturation en tant que créateur après dix années de «gammes», et se sent «un homme planétaire seul dans l’harmonie

universelle». Convaincu que la génération nouvelle attend l’oeuvre de Dănuţ comme une nourriture spirituelle nouvelle,

pleine de «métaphore éruptive», Mircea présente son ami au directeur de la revue populiste Viaţa contimporană, «homme bâti en bibliothèque» à qui le jeune romancier remet son manuscrit intitulé «Medeleni»..

Troisième partie

Dans la maison Deleanu de Iaşi, on se prépare pour le retour de France d’Olguţa et de Monica; tous les gestes évoquent

l’enfance à Medeleni: la distribution des cadeaux par Olguţa, le dîner, les anecdotes. Dănuţ retrouve Monica; il voit en

elle «le passé élevé à l’amour» et en l’amour un «miroir méditatif», un lien à la maison ; pour Olguţa l’amour est une fenêtre sur le large.

Quatrième partie

I

27 juillet 1922: Olguţa reçoit à Medeleni une lettre de Vania, datée de Bălţi en Bessarabie; elle va le rejoindre en train,

avec de grandes difficultés, dans une espèce de fermette; leur rencontre a lieu sous le signe de la Musique: Olguţa joue du piano. Vania lui promet de l’emmener bientôt à Constantinople.

II

L’automne arrive à Medeleni, où chacun a remarqué l’évolution d’Olguţa: on dit qu’elle écrit un «roman» dans la

maisonnette de moş Gheorghe; en réalité elle écrit à Vania tous les jours. Leur départ est fixé au 14 septembre 1922 à

Constanţa, après des fiançailles au bord de la mer. Mais au cours d’une chasse au bord de l’Etang du Poulain, Olguţa

apprend d’Alexandru Pallă que sa grand-mère, Fiţa Elencu, est morte d’un cancer. Elle rentre seule et prostrée à Medeleni, où elle s’évanouit.

III

Dans la maison de Medeleni on fête les fiançailles de Dănuţ et de Monica. Quant à Mircea, il entretient une relation

purement sexuelle avec une jeune veuve de Iaşi. Réfugiée dans la maisonnette de moş Gheorghe, où elle a découvert la

dot du vieillard, Olguţa songe à son rendez-vous impossible avec Vania. Dans une lettre-testament à Monica, elle révèle

qu’elle est atteinte d’un cancer au sein et demande à Monica d’aller à son rendez-vous et de revenir avec sa bague de

fiançailles pour ses obsèques à Iaşi. Elle se tue d’un coup de révolver.

IV

Page 23: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Au bord de la mer, Monica attend en vain en lisant la dernière lettre de Vania à Olguţa: il annonce qu’il ne viendra pas et lui dit adieu.

Epilogue

Printemps 1924. Après avoir épousé sa jeune veuve, Mircea s’est installé dans une vie bourgeoise confortable et s’est

plié à l’hypocrisie sociale, brûlant son serment de jeunesse. Medeleni a été racheté par Rodica, remariée avec le

banquier arriviste Bercale. Dănuţ et Monica visitent une dernière fois au printemps la maison de leur enfance, vidée de

ses meubles. Medeleni est mort mais revivra dans le roman intitulé «Medeleni», que Dănuţ écrira, comme une

«revanche sur la vie».

C’était comme dans la vie de tous les jours, mais la terre était heureuse.

(La Medeleni, II, p. 217.)

LES PRÉLUDES D'UNE FICTION

Lors de la parution du premier volume de La Medeleni en juin 1925 (veille des grandes vacances, avec toutes les

connotations affectives de ce mot), une grande partie de la critique roumaine salue en Ionel Teodoreanu le chantre de

l'âge heureux, des vacances insouciantes dans un vieux conac1 de Moldavie auquel a rêvé tout un chacun. Dans le coeur

des lecteurs, le roman acquiert la même résonance affective que Le grand Meaulnesd'Alain-Fournier ou que Sylvie de

Nerval dans le domaine littéraire français. On rêve à ce conac, à cette vie riche et paisible, drôle, patriarcale,

périphérique, près de la nature et loin du cynisme du siècle, comme vingt ans plus tôt les lecteurs de Francis Jammes à

Clara d'Ellébeuse, à Almaïde d'Etremont et à toutes ces jeunes filles aux «noms rococos» 2. Le medelenisme est à la mode: à partir du volume publié on fabrique de toutes pièces une esthétique... et on oublie la poétique.

1. Les Jouets pour Lily, 1919.

L'auteur, un jeune avocat de 28 ans, n'en est certes pas à son coup d'essai. Il a publié en 1919, dans la revue de Mihail

Sadoveanu et de George Topârceanu Însemnări ieşene3, une suite de poèmes en prose et de notations métaphoriques

dont le style et la forme du poème en prose et de la miniature ne sont pas sans rappeler Din lumea celor care nu

cuvântă4 d'Emil Gârleanu ou, dans le domaine français, les Histoires naturelles de Jules Renard, Pensée des jardins et

le Roman du Lièvre de Francis Jammes5. Il s'agit de Jucării pentru Lili6, première réincursion de l'écrivain dans le

monde de l'enfance. Garabet Ibrăileanu, dans le compte rendu enthousiaste écrit à l'occasion de la sortie de Hotarul

nestatornic, dresse de la manière suivante le bilan littéraire de Teodoreanu avant La Medeleni, et le considère comme

une simple répétition avant le grand oeuvre: «De ces "jouets" (comme il les appelait lui-même), expression de la

première jeunesse, une sorte d'accord préliminaire de l'istrument de son art, il est passé à des saynètes et à des nouvelles

(dont certaines constituent le volumeUliţa copilăriei), possédant elles aussi un caractère prononcé de "jouets", mais

annonçant déjà le romancier d'aujourd'hui, par le souci du détail, par la variété des personnages et par l'évocation de

l'atmosphère de famille.Cel din urmă basm, Ş-atunci, Vacanţa cea mare, Căsuţa păpuşilor7 sont des préparations ou

plutôt des exercices de roman, comme les préludes à La Medeleni. Ces textes sont, en un certain sens, comme Les Gens

de Dublin de James Joyce face à Ulysse.»8

2. La Ruelle de l'enfance, 1922.

Le jeune avocat a récidivé en 1922 avec la publication d'un premier volume aux éditions «Cultura naţională» [«La

culture nationale»]: Uliţa copilăriei9. Le titre a son importance: l'Enfance est un pays, avec ses lieux, ses rues, ses

maisons, sa géographie; la carte est esquissée, elle prendra des contours plus précis dans la grande o euvre à venir,

préfigurée ici.

Tout ou presque est déjà là, en effet: les enfants (Dinu, Ioana, Sonia, Any, Nuni, Suzica), les parents, les grands -parents,

le printemps, les vacances, l’ambiance de fête frénétique, l’atmosphère confortable de la moşie10, les espiègleries des

petits sous le regard bon enfant des grands, les relations paternalistes des maîtres et des serviteurs, la sensualité émanant

de tout, bref: la «contopire de viaţă şi de basm»11. Certains personnages de La Medeleni se dessinent ici, comme

Puiuţu, disparu à la guerre, et qui préfigure Vania, Zoe Balş _ Madame Deleanu romantique et rêveuse, Pachiţa _ la

servante de même nom dans Hotarul nestatornic; Ştefănel annonce par certains côtés Dănuţ, Suzica et Nuni _ Olguţa et

Monica. Dans la partie intitulée Cel din urmă basm12, enfin, comme les notes de musique sur une portée, Medeleni lui-

Page 24: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

même naît d'entre les lignes, celles que Sonia, l'une des héroïnes, atteinte de typhus, adresse à Any depuis son lieu de convalescence:

Any, sunt la Medeleni...

Auzi tu ce plin şi ce învolt sună: Medeleni!

Te-ntrebi: E numele firesc al unui clopot florentin? Al unui şipot de munte? Al unei cantilene?

... În amurg, când se întorc cirezile de la păşune, tălăngile destramă un vaier plângător, prin care lămuresc, silabă cu

silabă: Medeleni... Medeleni... Medeleni...

Şi-mi pare că ascult în glasurile acestea clopotele deniilor păgâne, prin care ogoarele, pădurile şi apele jelesc pe

nimfa sau zeiţa Medeleni...»13 T. F.: Any, je suis à Medeleni...

Entends ce son plein et épanoui: Medeleni!

On se demande: Est-ce le nom naturel d’une cloche florentine? D’une source de montagne? D’une cantilène?

... Au crépuscule, quand les troupeaux rentrent des alpages, les sonnailles égrènent un gémissement plaintif, par qui

se dévoile, syllabe après syllabe: Medeleni... Medeleni... Medeleni...

Et je crois entendre dans ces voix les cloches des vêpres païennes, par qui les guérets, les forêts et les sources

lamentent la nymphe ou déesse Medeleni...

D’un point de vue technique, le procédé de composition en scènes ou moments, qui caractérise le premier volume de La

Medeleni, est déjà utilisé ici, ainsi que le procédé dialogal..

Lorsque paraît Hotarul nestatornic en 1925, Teodoreanu n'entre donc pas dans le royaume de l'enfance comme dans

une terra incognita: en effet, Jucării pentru Lili et Uliţa copilăriei ont été plus que des incursions dans l'espace et dans

le mythe: ces premiers accords ont servi de prélude à la grande orchestration en trois mouvements qu'est La Medeleni.

On passe, pour reprendre l’expression très juste de Nicolae Ciobanu, «de la saynète d’étude lyrico -narrative, élaborée à partir de la simple notation [...], à la composition minutieuse, ample et nuancée», du roman.14

3. Hotarul nestatornic (1925): la grande incursion.

Sans doute est-ce réduire notre trilogie romanesque que de la décomposer, d'un point de vue thématique et

architectonique, en trois composantes autonomes que seraient les volumes Hotarul nestatornic, roman de

l'enfance, Drumuri, roman de l'adolescence, et Între vânturi, roman de la maturité. Il n'en est pas moins vrai que

l'enfance est le sujet, sinon le héros principal, du premier volume de La Medeleni, et que si elle apparaît souvent dans

les second et troisième volumes de la trilogie, c'est en fait dans une autre perspective: celle non plus de l'enfance

montrée vivante sous nos yeux, à travers l'aventure existentielle des enfants Dănuţ, Olguţa et Monica, mais celle de

l'enfance retrouvée dans son essence par le jeu de l'écriture et le travail de l'écrivain Dan Deleanu à l'intérieur même du roman. Aussi bien le jeune auteur aspire-t-il à débuter dans la littérature

cu un roman al cărui personaj principal să fie copilăria15

T. F.: avec un roman dont le personnage principal soit l'enfance.

C'est peut-être réduire aussi La Medeleni que de le présenter, comme le fait Constantin Şăineanu en 1926, «comme un

livre intéressant, surtout pour les enfants, auxquels il est sûrement destiné»16, comme si notre roman n'était que la

«dernière légende» d'un écrivain épigone de Creangă. C'est en tout cas limiter considérablement le sens existentiel que

Teodoreanu donnait lui-même à cet âge de la vie, son importance fondamentale non seulement par rapport au

développement biologique et psychologique d'un être adulte en devenir, mais aussi par rapport à la situation, dans le

monde, de l'artiste et de l'homme accompli: c'est oublier, en effet, que pour l'auteur de La Medeleni, selon l'expression

de Paul Anghel, «le seul acte majeur de l'homme est d'être ou d'avoir été enfant»17. Acte majeur qui sous-tend la

construction de l'être tout entier, qui n'en est ni le début informel ni la forme inachevée, mais, pour reprendre la formule imagée de Marin Bucur, «l'âge d'une irradiation totale de la vie»18.

Projet.

La Medeleni est bien, d'une part, le récit de l'enfance heureuse, mis en oeuvre avec une sensibilité extrême qui peut

s'expliquer par son caractère profondément autobiographique _ vécu, dirions-nous _, et, d'autre part, la tentative

originale de donner forme mouvante à une expérience personnelle, gravée dans la mémoire de manière indélébile:

«Ionel Teodoreanu nous a donné une véritable monographie lyrique de l'enfance et de l'adolescence, et la réussite du

Page 25: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

livre est due justement à cette minitieuse et délicate rétrospective spirituelle, unique dans notre littérature par le point de vue qu'elle adopte et l'adéquation rare des moyens employés à la spécificité du territoire spirituel exploré.» 19

Explorer ce territoire de l'enfance tel que le représente le roman La Medeleni; découvrir la psychologie teodorenienne

de ses habitants à chaque instant différents d'eux-mêmes; étudier les actions qui s'y trament et s'y tressent, faire la part

de la volupté et de la mélancolie qui caractérisent cette enfance où la vie se définit essentiellement comme jeu: voilà l'objet de cette seconde partie.

__________

1. Manoir.

2. F. Jammes, «Elle va à la pension», dans De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir.

3. «Notes de Iaşi».

4. «Du monde de ceux qui ne parlent pas».

5. Les textes de Teodoreanu ne sont pas sans évoquer aussi les Chipuri de demult («Visages d’autrefois», 1910)

d’Emil Gârleanu, suite de réflexions, de médaillons, d’évocations d’objets simples.

6. «Jouets pour Lily».

7. Respectivement: «Le dernier conte», «Et alors», «Les grandes vacances», «La maison des poupées».

8. G. Ibrăileanu, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni» in: Scriitori români şi străini [«Écrivains roumains et

étrangers»], Iaşi: Editura Viaţa Românească, 1926, p. 177. Reproduit d'après G. Ibrăileanu, Studii

literare [«Études littéraires»], 1, Bucureş ti: Editura Minerva, 1979, p. 438.

9. «La Ruelle de l'enfance».

10. Terre ancestrale, domaine.

11. T. F.: fusion de vie et de légende - Drumuri, p. 549.

12. «La dernière légende».

13. În casa bunicilor, «Cel din urmă basm», I [«Chez les grands -parents», «Le dernier conte»].

14. Nicolae Ciobanu, Ionel Teodoreanu, viaţa şi opera , [«Ionel Teodoreanu, sa vie et son œuvre»], Bucureşti:

Editura Minerva, p. 137.

15. Drumuri, p. 548.

16. «La Medeleni, roman de Ionel Teodoreanu», Adevărul, XXXIX, 1926(13006), p. 2, rubrique «Bulletin des

livres».

17. «Amurgul toamnei sau Ionel Teodoreanu», [«Le crépuscule de l’automne ou...»] in Arhiva

sentimentală[«L’archive sentimentale»], Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1968, p. 300.

18. «Ionel Teodoreanu», Viaţa Românească, XVI, 1963(6-7). Apud I. Teodoreanu, Cum am scris «Medelenii»,

[«Comment j’ai écrit La Medeleni»], ed. N. Ciobanu, p. 413.

19. Nicolae Barbu, «Vârsta Medelenilor» ["L'âge de Medeleni"], in Sine ira..., Iaşi: Editura Junimea, 1971, p. 146.

LES RÉCITS D'ENFANCE ANTÉMEDELENISTES

Pour mesurer l'originalité de Teodoreanu dans la représentation romanesque de l'enfance, il convient d'examiner

brièvement comment ce thème universel est traité par la littérature roumaine qui précède l'auteur de La Medeleni, en se bornant bien sûr aux textes narratifs .

Cet aperçu permet de distinguer deux types de textes chez les prosateurs roumains ayant abordé notre thème: d'un côté,

les souvenirs d'enfance des auteurs eux-mêmes, retranscrits dans des pages à caractère autobiographique, de l'autre, les

"récits représentant des types d'enfants créés par l'observation, l'imagination ou les souvenirs personnels des écrivains",

pour reprendre la formule très juste de Ion Negoescu1. Nicolae Ciobanu opère une différentiation semblable,

distinguant, d’une part, les textes à visée mémorialistique (les «lettres» des écrivains quarante-huitards Alecsandri,

Costache Negruzzi et Ion Ghica, les Amintiri din copilărie («Souvenirs d’enfance») de Creangă, d’autre part les textes

visant «l’investigation sociale, particulièrement la critique de l’éducation déficitaire, à l’école et dans la famille, comme

il arrive chez Caragiale, Delavrancea ou Vlahuţă, dans beaucoup de leurs narrations courtes.» 2

I. Les récits autobiographiques.

Page 26: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Du côté des textes autobiographiques, ou à caractère fortement autobiographique, on trouve des souvenirs ou des récits -

portraits nettement ancrés dans le contexte historique, littéraire et social de leur époque, et présentant un caractère souvent mémorial.

Vasile Porojan, de Vasile Alecsandri, en est l'exemple parfait. C'est le portrait vivant du compagnon d'enfance du

célèbre écrivain de Moldavie: un petit Tzigane vif et espiègle, serf du domaine familial de la famille Alecsandri. Le

récit, présenté comme une longue lettre à un ami3, est occasionné par la mort récente de Porojan. Il donne au lecteur et

à l'auteur l'occasion de réfléchir au rôle que joue la différence de classes sur le destin de deux enfants indéfectiblement

amis malgré leur état d'origine: glorieux pour Alecsandri, qui partira étudier à la pension française Cuénin à Iaşi, puis à Paris; modeste pour Porojan, qui deviendra irrémédiablement pitar4.

Amintiri din copilărie5 de Ion Creangă, premier "roman" de l'enfance paysanne dans la littérature roumaine, narre

l'enfance de l'auteur avec simplicité, sincérité et humour. C'est un récit autobiographique écrit à la première personne,

dans un heureux mélange d'observation réaliste, sociale, et de fabuleux, certes, mais dans une vision unifocale et dans

une perspective mémoriale: tout y est vu de manière rétrospective par l'adulte, qui tire finalement de son expérience de l'enfance une leçon de sagesse.

Ioan Slavici lui aussi a mis beaucoup de lui-même dans Budulea taichii6: le destin de l'enfant pauvre Huţu, fils

de nenea Budulea; sa volonté de parvenir et son ambition qui le poussent à sortir de sa condition sociale par

l'instruction, évoquent sans conteste la vie de Slavici lui-même, fils de paysans transylvains devenu l'un des grands classiques de l'époque de la Junimea.

Les souvenirs de Ion Heliade Rădulescu, ceux de Costache Negruzzi (Cum am învăţat româneşte7, Amintiri de juneţe8)

appartiennent également à ces textes sur l'enfance à caractère fortement autobiographique, sans oublier le cas plus subtil

des Amintiri9 d'Alecu Russo. L'écrivain révolutionnaire valaque y évoque son enfance et les figures de Ionică et de

Măriucă de façon à la fois réaliste et lyrique; de ce récit transparaît l'image d'une enfance heureuse, véritable paradis

perdu, et d'un village idéalisé, presque légendaire, annonçant celui de Blaga (Elogiul satului10).

Enfin, l'enfant peint par Panaït Istrati dans Trecut şi viitor10, c'est, ici encore, Istrati lui-même, laissé très tôt à lui-même

et obligé de travailler afin de ne pas être un poids pour sa mère. Le héros du récit qui quitte l'école à treize ans, malgré

l'instituteur qui l'encourage à poursuivre ses études au lycée, pour travailler chez un aubergiste grec de Brăila, Kir

Leonida.

II. Autres récits.

Une autre catégorie de récit d'enfance, la plus représentée dans la prose roumaine d'avant La Medeleni, est celui

d'oeuvres habituellement courtes (nouvelles, contes, croquis…) représentant des types d'enfants qui doivent moins à la

propre vie des écrivains qu'à l'observation et à l'imagination de ces derniers. Différents selon l'imag e qualitative qu'il

donnent de l'enfance, divers aussi par les moyens techniques mis en oeuvre, ces textes se ressemblent toutefois par les thèmes et les motifs traités.

1. L'enfance malheureuse.

Certains prosateurs prédécesseurs de Teodoreanu dans la pein ture de l'enfance s'attachent à montrer les souffrances et

les tourments des tout petits. Au "vert paradis des amours enfantines" vient s'opposer l'enfer des petits drames

quotidiens d'une enfance confrontée moins à la douleur de la vie qu'aux épreuves infligées par des adultes terribles et

cruels. Ces textes doivent beaucoup à Victor Hugo et surtout à Dickens, qui ont, le premier avec Les Misérables, le

second avec Nicholas Nickleby, Oliver Twist et les Christmas Carols, dénoncé l'enfance malheureuse du XIXe siècle

comme un mal social.

Ainsi, dans un récit très émouvant, Liviu Rebreanu11 a campé admirablement Bibi, qui vient de perdre sa mère, mais

qui n'a pas encore la conscience exacte de la situation. Sa mère commence à lui manquer cruellement, quand son père apporte à la maison une autre maman, qui finit par le battre.

Alexandru Vlahuţă, à la fin du XIXe siècle, ne développe pas le thème avec moins d'émotion et de pathétique dans În

ajunul Crăciunului12. Le narrateur rencontre pour la troisième fois, la veille de Noël, une vieille femme et deux petits

enfants. Il les suit et surprend Ionel et Lizica en extase devant une vitrine de jouets. "C'est pour les riches", leur dit la

vieille. Tous trois rentrent dans une cahute sous terre, froide et sale. A travers la souffrance digne de ces personnages, le

narrateur revoit sa propre enfance. Dans la nouvelle De-a baba oarba13, le thème est développé de façon plus

poignante encore, à la manière des contes de Dickens. Deux petits Italiens, Giustino et Rosalba, pauvres petits

Page 27: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

orphelins, mendient leur pain en jouant de l'orgue de Barbarie. La nuit tombe et ils s'endorment affamés. Le lendemain au réveil, ils jouent à colin-maillard avec d'autres enfants pareils à eux, oubliant ainsi leur misère.

C'est sans doute Ioan Slavici qui, parmi tous les prosateurs roumains jusqu'à Teodoreanu, développe le plus volontiers

le thème de l'enfance malheureuse. On l'a vu plus haut, dans la pure tradition populiste, peindre le petit Huţu, un pauvre

fils de paysans décidé à sortir de la misère par l'instruction. Dans une autre nouvelle, intitulée Gogu şi Goguşor14, il

peint l'éducation absurde donnée aux enfants des bonnes familles roumaines, et qui étouffe leur personnalité et leur

spontanéité naturelle pour en faire des êtres ternes et sans initiative. Une blanchisseuse travaille deux jours par semaine

chez cucoana Alina et emmène son fils Gogu avec elle. Eveillé et pétulant, l'enfant de l'humble ménagère étonne

Goguşor, le fils de la maîtresse de maison, sombre et triste. Le thème est traité de façon presque semblable dans la

nouvelle Sărăcuţa de ea15, histoire d'une autre enfant malheureuse, Lucica, qui vit chez son père boyard, avec sa

gouvernante. Heureuse en apparence, elle contemple avec envie de la fenêtre de sa chambre les enfants pauvres qui

jouent dans la cour à des jeux simples. Après une promenade en voiture, Lucica meurt de refroidisseme nt, "trop délicate pour le monde plein de tourments où nous passons notre vie".

Chez Brătescu-Voineşti le thème est traité à la Dickens dans la célèbre nouvelle intitulée Nicuşor16. Le boyardMişu

rencontre dans le parc le petit Nicuşor, âgé de 6 ans, qui s urveille son rossignol. L'homme et l'enfant se lient d'amitié.

Mais la veille de Noël, alors que Nicuşor s'insinue dans le manoir du boyard et tente de regarder le sapin garni de jouets,

il est mordu par les chiens. Brătescu-Voineşti peint avec un réalisme empreint d'émotion l'opposition du monde des

riches et de celui des pauvres; tout est vu par l'enfant dans la scène poignante où Nicuşor contemple les enfants heureux dans la musique des noëls.

2. Laudatio temporis acti.

A l'image de l'enfance malheureuse peinte par Brătescu-Voineşti, Istrati, Rebreanu et Slavici, s'oppose le thème assez

fréquent du laudatio temporis acti: comme on ne regrette d'habitude que les moments de bonheur, et qu'on veut taire les

souvenirs de peine et de souffrance, sur un ton élogieux les auteurs regrettent le temps de l'enfance heureuse, ces jours

de l'insouciance et de la candide innocence qui sont ceux de tous les paradis perdus. Des Amintiri din copilărie de

Creangă aux nouvelles de Brătescu-Voineşti, le thème du laudatiotemporis acti traverse toute la littérature roumaine de

l'enfance.

Ainsi În lumea dreptăţii contient une belle formule de Brătescu-Voineşti pour concrétiser l'enfance: "toute l'innocence,

toute l'absence de soucis, de ces jours qui s'éfilaient gentiment sur le fil du temps, comme les roses sur une

couronne"17. Ion Luca Caragiale, un fin observateur de la psychologie des enfants gâtés, regrette lui aussi

dans Duminica Tomii18 ce passé irrémédiablement perdu: «Où êtes -vous donc, âges bénis de l'enfance?» Evoquant

dans Pomul de Crăciun les saints Noëls de jadis, quand les sapins, apport occidental, n'existaient pas encore,

le crivăţ de décembre, les girouettes grinçant lugubrement sur les toits, le pope Cioacă récitant ses prières, ou encore les

victuailles amoncelées sur la table devant toute la famille réunie, Alexandru Macedonski plaint lui aussi le temps de son enfance: «O! temps si purs et si chastes! [...]»19

A la douceur exquise d'un passé généralement lié à l'image de la mère, notamment chez Creangă et Sad oveanu, à celle

du village et de la nature protectrice; à un univers paisible, patriarcal, et où l'être se fond dans l'harmonie d'un groupe,

vient s'opposer, désanchantée, celle de la vie aux dures et incontournables réalités, d'une existence solitaire et vaine.

Chez Alecsandri, par exemple, le départ du narrateur pour la pension Cuénim puis pour Paris, où l'attendent le travail, la

discipline et les embarras d'une vie citadine, lui fait regretter les jeux simples de Porojan, les parties de fronde ou de

cerf-volant.20 De même, chez Istrati, le dernier été de vacances insouciantes du narrateur à Baldovineşti chez ses oncles

Anghel, aubergiste, et Dumitru, qui l'emmène à la chasse aux sansonnets, prend l'allure d'un ultime retour aux sources, d'un dernier retour à une vie authentique, avant l'affrontement du monde et de Brăila.21

3. Sainte famille.

Un thème commun aux récits de l'âge heureux dans la littérature d'avant La Medeleni (les plus nombreux, on l'a vu), est

celui de la famille.

Elément central de cette famille, avec les enfants: les grands-parents, image de la continuité du clan et des traditions, degré ultime de cette échelle de la vie où s'engage l'enfance.

a. La grand-mère.

Page 28: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

La grand-mère seule est évoquée dans beaucoup de nos textes, à tel point qu'on peut affirmer qu'il n'est guère de récit

d'enfance, dans la littérature roumaine, où elle n'apparaisse. Dans la posture de conteuse, d'abord: elle est celle qui sait

raconter, et c'est pourquoi elle fait la joie des enfants; "Les enfants comme les grandes personnes, dit George Călinescu,

sont plus sensibles aux paroles qu'aux faits, et préfèrent aux faits accomplis les faits racontés" 22. Dans la célèbre

nouvelle intitulée Bunica, de Barbu Ştefănescu Delavrancea, la grand-mère raconte à son petit-fils l'histoire d'un

empereur sans enfants; le petit s'endort toujours dans ses jupes avant d'avoir entendu la fin du conte, au fond du jardin, à

l'ombre du mûrier, bercé par la magie de l'histoire et le bruit du fuseau.23 Inversement, chez Sadoveanu, c'est la grand-

mère qui n'achève jamais le conte Făt Frumos Măzărean(Beau Vaillant des Petits pois) qu'elle dit aux trois enfants, engourdie par le sommeil24.

La grand-mère est aussi celle par le truchement de qui s'opèrent les rites. Dans Bunica Iova de Ion Agârbiceanu, par

exemple, elle aide ses petits-fils à se déguiser pour aller chanter les Noëls dans le village. Dans une saynète

intituléeTatăl nostru, Caragiale nous la montre occupée à faire réciter le Notre-Père par sa petite-fille, avant de tomber à la renverse à l'Amen final.25

Elle est tout simplement une présence protectrice, qui veille au respect des traditions et sur le sommeil de ses petits -

enfants, comme dans Sâmbăta, célèbre nouvelle de Brătescu-Voineşti.26

b. Le grand-père.

Rarement représenté seul, le grand-père symbolise la force du chêne, le pilier solide des traditions. Delavrancea

emblématise le personnage dans une hypostase christique, assis sur la prispa27 traditionnelle des maisons paysannes,

répondant aux questions ingénues du petit-fils et de la petite-fille assis sur ses genoux. A la mère en colère, à une

femme qui passe, il lance: «Laissez les enfants venir à moi!»28. Il est leur complice, resté enfant lui-même: l'ingénuité des petits se joint à l'expérience du vieillard d'un bout à l'autre de la chaîne de la vie.

c. Les grands-parents.

En fait, le grand-père est rarement représenté seul. Il accompagne presque toujours la grand-mère, et représente avec

elle l'image du bonheur, d'un monde de l'équilibre et de la sérénité. La saynète de Ion A. Bassarabescu

intitulée Iertarea29 évoque cette image tendre et délicate du vieux couple. Chez Emil Gârleanu30, l'un des prosateurs

roumains du début du XXe à qui La Medeleni doit le plus, les grands-parents évoquent pour le petit Costică Pană les

vacances d'été passées à la moşie au milieu des confitures et des brioches. Le domaine de conuAlecu et de coana Frosa

possède la double caractéristique propre à beaucoup des récits d'enfance où ce topos apparaît: d'une part c'est un monde

paradisiaque, authentique, très proche de la nature, et où règnent l'insouciance et la liberté dans une atmosphère de

vacances, à l'ombre du cerdac31 ou dans les parfums du verger "bouillonnant de rossignols"; d'autre part c'est un monde

organisé, confortable, fruit d'un travail humain dans un univers social strictement hiérarchisé: en un mot,

une gospodărie32. A ces deux valeurs du domaine correspondent deux états d'esprit différents chez les vieux: la sévérité

de la grand-mère est tempérée par le caractère débonnaire de conu Alecu, toujours prêt à rire et à

plaisanter.33 Dans Dumbrava minunată34, drame d'une petite orpheline tyrannisée par sa marâtre, Mihail Sadoveanu

décrit la traversée de la clairière enchantée des Buciumeni et le bonheur de Lizuca lorsqu'elle se réveille dans la maison

de ses grands-parents. Image du bonheur encore une fois dans cet épisode final, liée à celle du refuge et de la protection

contre l'hostilité du monde, symbolisés par la maison des ancêtres.

III. La narration enfantine.

Une autre caractéristique des récits sur l'enfance d'avant La Medeleni est la récurrence d'éléments narratifs propres à

cette époque de la vie humaine. Il s'agit d'un ensemble limité de gestes, de situations, d'actions généralement simples, et

qui révèlent une psychologie originale. La part d'invention est faible dans ces éléments narratifs qui tiennent plus de la

convention et qui ne sont pas l'apanage des auteurs mais de toute vie humaine occidentale. Mais la combinaison de ces

"incidents de vie"35 est souvent habile au point de donner aux textes un souffle épique, une dimension romanesque voire mythique.

1. La vie comme Aventure.

L'enfant y vit une aventure à l'échelle de sa taille, de sa vision de l'univers et des moules culturels ancestraux.

L'aventure est épreuve, qui fortifie lorsque le narrateur l'évoque comme l'ayant vécue lui-même et réussie, récit d'un déboire, histoire de découverte d'une merveille ou d'un mystère à l'âge où l'être disponible s'étonne de tout.

a. L'errance.

Page 29: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Un premier motif fréquent dans les récits roumains sur l'enfance est l'épreuve de l'errance. Delavrancea et Sadoveanu

ont raconté ces scènes où l'espoir surgit au matin dans les yeux d'enfants surpris par le gel carpatique et accablés par les

rigueurs de l'hiver roumain. De azi şi de demult36 présente un mouvement narratif dans lequel Delavrancea développe

avec succès notre motif. A minuit, le narrateur, âgé de huit ans et chaussé de ses nouvelles bottes reçues à Noël, sort

dans l'hiver avec ses petits camarades, guidés par Bănică, 14 ans. Les enfants se perdent dans le brouillard, tombent

dans une crevasse, en sortent finalement au matin avec l'aide de Bănică. Ils trouvent réconfort chez un boyard père de

trois filles, conu Matei, qui leur sert deux tasses de salep et des friandises. Le motif est repris par Sadoveanu de façon à

peu près semblable dans La noi în Viişoara37. Deux petits enfants, Vasile et son frère Ioniţă, se perdent la veille de

Noël du côté du Siret et trouvent refuge chez un brave Roumain pieux, qui accueille les chanteurs de noëls avec s a

femme et son bambin. Le périple en forêt de Lizuca, dans Dumbrava minunată, n'est qu'un avatar printanier du même motif épique.

Il arrive que l'aventure enfantine soit plus un déboire qu'une errance, comme il arrive dans le récit de Delavrancea déjà

mentionné. Dans un autre passage, le narrateur, accompagné du petit Ionică, part donner le souhait de la sorcovă38. Un

chien mord Ionică et lui casse la sorcovă. Le narrateur repart alors avec deux roses sur sa baguette et s'étend plus loin dans une flaque de boue.

b. La découverte merveilleuse.

Si l'enfance est un parcours parsemé d'épreuves, elle est aussi l'occasion d'initiations, de découvertes mémorables à

l'échelle des héros. C'est le plus souvent la sensation qui est en jeu ici. Dans Îngheţata39 de Ion Dragoslav, le narrateur

se souvient d'une aventure de glaces quand il était enfant. Avec son ami Gheorghe Chiron il est entré dans une

pâtisserie; les petits ont commandé deux glaces, qu'ils ont mangées avec émerveillement et trouble, sous les regards

amusés des adultes. Vlahuţă a peint avec beaucoup de grâce et de sensibilité ce premier trouble de l'enfant découvrant

les goûts, les parfums, les couleurs. Mogâldea40 est un souvenir d'enfance du narrateur, pour qui Mogâldea, enfant

espiègle et diablotin, fils d'un relieur de cuir, réputé pour la petite boutique qu'il a aménagée au fond d'une cave,

représente l'énigme parfaite. Chargé par l'instituteur de surveiller et punir le mauvais élève après qu'il a récité avec

conviction la capture de Jésus dans les jardins de Ghetsemani, le narrateur se fait acheter par Mogâldea, qui le laisse

entrer dans sa boutique pleine de délices et lui offre quelques miettes de caviar. Il y a ici chez Vlahuţă observation

attentive de la psychologie et des rites enfantins, ainsi qu 'une excellente restitution de l'atmosphère de complot et

d'équipées dangereuses qui baigne les actions de l'enfance les plus anodines aux yeux de l'adulte.

2. La vie comme Jeu.

Un second motif épique fréquent dans la littérature sur l'enfance qui nous intéresse ici, est celui du jeu. On joue avec les

objets, pour manifester de façon jubilatoire le plaisir d'en être le maître, et avec les êtres, et surtout les adultes, pour

affirmer toujours son existence: nos récits d'enfance présentent alors toute une galerie d'enfants terribles, auteurs de

mille facéties et espiègleries racontées avec grâce et vivacité.

On ne saurait étudier de façon exhaustive ici le motif des jouets; contentons -nous de deux exemples revélateurs. La

luge, d'abord: chez Sadoveanu le narrateur est initié à ce jeu par le jeune Vasile, et, après quelques chutes, devient

excellent.41 Le cerf-volant, ensuite, apanage des garçons, et dont l'envol représente l'exploit d'une extraction aux lois

physiques et du hic et nunc. Dans Vasile Porojan, Alecsandri raconte ses jeux aériens avec les monstres de papier

fabriqués par le chantre de l'église et maculés de messages de menaces en cyrillique en cas de non -retour. Les jeux de

fronde, d'arc à flèches et d'osselets sont autant d'autres éléments du récit d'enfancechez l'auteur des Pastels. Dans la

nouvelle Stratagemă42 Ion Dongorozi raconte avec entrain les jeux de papier du petit Costel, fabriquant

malicieusement des cerfs-volants et des avions avec la dernière feuille de son père, et dans la nouvelle Sărăcuţa de ea, Ioan Slavici dresse la liste des jouets de la petite Lucica.43

Nos textes présentent surtout une série d'enfants particulièrement éveillés, et dont les auteurs s'attachent à peindre, en

mouvement, les différentes diableries. Creangă raconte dans Amintiri din copilărie les épisodes des tours et farces de

l'enfant qu'il était: les cerises défendues qu'il cueille dans l'arbre de tante Mărioara, les pierresjetées contre la bergerie

d'Irinuca, les espiègleries avec Smărăndiţa, la fille du pope, à l'école de Humuleşti... Caragiale peint dans ses croquis

d'autres enfants terribles et mal-élevés, ceux de la petite bourgeoisie roumaine de la fin du XIXe siècle et du début du

XXe. Dans Vizita44, où le célèbre satiriste critique la mauvaise éducation parentale donnée aux enfants d'alors, le

narrateur rend visite à Madame Popescu et assiste aux espiègleries de son petit Ionel, huit ans, déguisé en major

de roşiori45. L'enfant fume et tombe malade, puis met de la confiture dans les chaussons du narrateur, avant de casser

le lustre de cristal en jouant avec le ballon offert.Domnul Goe...46 raconte les facéties d'un autre petit diable, Goe, dans

le train qui l'emmène à Bucarest avec sa mère, sa tante et sa grand-mère médusées; l'enfant terrible perd son billet par la

fenêtre du compartiment, s'enferme dans les toilettes, tire le signal d'alarme... Chez Bassarabescu, l'un des maîtres de la

saynète dans la prose roumaine d'avant Teodoreanu, ce sont les domestiques qui paient les frais de la malice des

Page 30: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

enfants. Dans la nouvelle intitulée Mama Maria, le narrateur coupe les boutons de la mante de moş Stan; Maria le punit: il lui lie les pieds durant la sieste.

Jouer, ce n'est pas seulement être espiègle. C'est affirmer qu'on existe, et cette affirmation de soi se fait toujours par

rapport au modèle des adultes. Nos textes représentent l'enfant dans des actions parodiant les actes sérieux des grandes

personnes, ou dans des actions de confrontation avec celles -ci: c'est le motif épique de l'enfant faisant irruption dans le

monde de l'adulte pour le perturber. Ainsi D. D. Pătrăşcanu brosse dans une saynète célèbre, Timoteiu mucenicul47, le

portrait classique de l'enfant terrible et espiègle, Lică Mădârjan. Une scène représente le fils de boyard jouant au maître

d'école avec son frère Petruţă et sa soeur Mărioara. Lică joue le rôle du maître d'école sévère et intransigeant, Petruţă et

Mărioara celui des élèves soumis et qui subissent les épreuves de lecture et d'arithmétique. Dans un autre ordre d'idées,

le même récit contient une scène attendrissante où les trois diavoli vont déranger leur père, occupé à écrire sur la

terrasse, pour admirer les lunettes qu'il vient d'étrenner.48 Dans Stratagemă, Dongorozi analyse avec finesse la

psychologie de l'enfant qui ne démord pas d'obtenir un objet. Le narrateur, père du petit Costel, achève de copier une nouvelle. Il est sans cesse dérangé par son petit garçon, qui réclame sans cesse sa dernière feuille de papier.49

Conclusion

De cette brève étude, il apparaît clairement que Ionel Teodoreanu ne peut prétendre entrer sur une terre vierge quand il

aborde en 1925, dans Hotarul nestatornic, un thème abondamment exploité par la littérature roumaine avant lui, avec

une vision assez précise de l’enfance, des motifs nombreux et des développements narratifsstructurés généralement dans

des œuvres en prose assez courtes. Ce que va entreprendre le romancier roumain - et nous jugerons finalement s’il est

parvenu au but, c’est un renouvellement fondamental de la tradition dans un domaine p lus ouvert aux redites qu’aux

expérieces littéraires originales. Nous verrons dans le chapitre suivant, intitulé Le gai roman des âmes enfantines,

comment Teodoreanu opère une révolution dans l’appréhension d’une psychologie enfantine mouvante et insaisiss able,

émergeant difficilement de ses représentations; puis, dans un dernier chapitre, intitulé Le récit des années tendres,

comment l’écrivain roumain invente des structures romanesques aptes à représenter cette vision nouvelle du monde de l’enfance.

__________

1. Cartea copilăriei, Bucarest: Cartea Românească, 1938, p. 4.

2. Nicolae Ciobanu, Ionel Teodoreanu, viaţa şi opera , Bucarest: Minerva, 1970, p. 111.

3. «Mirceşti, 1880.»

4. Boulanger.

5. Souvenirs d'enfance, 1881-1892.

6. Dans Novele din popor (Nouvelles du peuple), 1881.

7 . Comment j'ai appris le roumain.

8. Souvenirs de jeunesse.

9. Souvenirs.

10. Eloge du village.

11. Passé et futur.

12. Dans Cântecul iubirii (Le Chant de l'amour).

13. Veille de Noël, dans le volume Clipe de linişte (Moments de silence).

14. A colin-maillard, dans le volume Durerile lumii (Les Douleurs du monde).

15. Gogu et Goguşor, dans Nuvele (Nouvelles), III.

16. La pauvrette, ibidem.

17 . Le petit Nicolas, dans Întuneric şi lumină (Ombre et lumière), 1912.

18. Dans la nouvelle Sâmbăta (Samedi), Convorbiri literare, mai 1892. En volume, În lumea dreptăţii(Dans le

monde de la justice), 1907.

19. Le dimanche de Toma, dans Nuvele şi schiţe (Nouvelles et saynètes), II.

20. Pomul de Crăciun (L'arbre de Noël).

21 . Vasile Porojan.

22. Trecut şi viitor.

Page 31: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

23. Cité par Ion Negoescu, op. cit., p. 5.

24. Între vis şi viaţă (Entre rêve et vie).

25. Dans Dumbrava minunată (La clairière enchantée).

26. Moftul român (La Sornette roumaine), 1901.

27 . În lumea dreptăţii (Dans le monde de la justice).

28. Terrasse.

29. Bunicul (Le Grand-père), dans Între vis şi viaţă.

30. Le pardon, dans le volume Moş Stan (Oncle Stan).

31 . Nouvelle De sărbători (Pour les fêtes), dans le volume Bătrânii (Les vieux).

32. «Petit pavillon en saillie, au-dessous duquel se trouve se trouve l'entrée de la cave. Les paysans dorment dans

le cerdac pendant l'été.» (Frédéric Damé, Nouveau dictionnaire roumain-français, Bucarest, 1893.)

33. La traduction française ménage ne nous semble privilégier qu'un seul des nombreux sens de ce vieux mot

roumain.

34. «La clairière enchantée».

35. Camil Petrescu, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni - Hotarul nestatornic», Cetatea literară, I, 1926(9-10), p. 6

(rubrique «Cărţi»)..

36. D'aujourd'hui et d'autrefois, dans le volume Hagi Tudose.

37 . Chez nous à Viişoara.

38. «Baguette ornée de papier de couleur, de dorures, de rubans et de fleurs artificielles, avec laquelle les enfants,

le matin de nouvel an, vont souhaiter à leurs parents ou à des amis, une heureuse année.» (Frédéric Damé, op.

cit.).

39. La glace, nouvelle parue dans Convorbiri critice.

40. Diablotin, dans le volume Clipe de linişte (Moments paisibles).

41 . La noi în Viişoara.

42. Stratagème, dans Monumentul eroilor (Le momument des héros).

43. Nuvele, III.

44. La visite, dans Nuvele şi schiţe (Nouvelles et sketches).

45. Régiment de hussards rouges.

46. Monsieur Goe, ibidem.

47 . Thimotée le martyre.

48. Ibidem.

49. Cf. supra.

LE GAI RO MAN DES ÂMES ENFANTINES

A. Bilan critique.

I. La critique roumaine et les faiblesses psychologiques de La Medeleni.

Dès la parution du premier volume de La Medeleni en 1925, une partie de la critique, parmi laquelle des personnalités

de valeur incontestable, met en doute la capacité de Teodoreanu à représenter dans l'épaisseur d'un ample roman de 382

pages la psychologie d'une enfance à la mouvance insaisissable.

1. Teodoreanu a créé des êtres superficiels, embryonnaires et indifférenciés.

Camil Petrescu le premier, en 1926, note les insuffisances de Teodoreanu dans l'analyse de la psychologie enfantine.

Selon lui, la psychologie générale de l'enfant n'est pas approfondie, et «toutes les constructions logiques des enfants

sont reconstituées de façon déductive et ont quelque chose de forcé.»1 Il reproche en somme à Teodoreanu de

représenter des enfants ayant "une vie simplifiée, belle, qui les rapproche de poupées", dépourvus à la fois de la

Page 32: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

"curiosité dévorante des enfants" (ils ne lisent que Robinson Crusoé) et de la libidinosité2. Selon Camil Petrescu, l'invraisemblance est frappante de certaines répliques d'Olguţa par rapport à son âge.3

Le reproche de peinture d'êtres à la psychologie embryonnaire est maintes fois adressé au jeune auteur deHotarul

nestatornic. D'abord par Pompiliu Constantinescu, qui passe pourtant pour un critique assez mesuré dans ses

appréciations sur Teodoreanu. «Car en définitive, écrit-il en 1926, que représentent Olguţa, Dănuţ et Monica, les héros

mineurs de ce monde du jeu, de la naïveté et de la pulvérisation en détails profondément éloignés du pouls grave de

l'existence? Ce sont des schémas de tempérament, des miniatures humaines, qui s'agitent sérieusement pour des idées et

des problèmes qui, ni sérieux ni humoristiques, ne sont que des élucubrations de l'inexpérience qui définit un caractère

en évolution.» Et il conclut à l'échec psychologique de Teodoreanu: «Par leur âge, Olguţa, Dănuţ et Monica ne sont que des germes de caractères humains.»4

Par Eugen Lovinescu, ensuite, qui déplore dans notre roman l'inexistence psychologique des personnages, dont les

dialogues sont «des riens filmés»5. Les caractères, écrit-il en 1928 dans son Histoire de la littérature roumaine contemporaine, «sont embryonnaires, les différences sont elles aussi microscopiques et dépourvues d'importance.»6

2. La prétendue impossibilité objective du roman d'enfants.

Toutes ces critiques visent ici plus le fond que la forme de notre roman. Elles partent de l'idée pré -freudienne selon

laquelle les actes de parole et les comportements infantiles sont banals parce qu'universellement répandus, et par

conséquent dépourvus de toute signification et de toute valeur expressive et artistique. Elles négligent l'acte et la parole

comme révélateurs de forces psychologiques plus profondes et que les mentalités de l'époque ne soupçonnent pas encore.

C'est ici le problème de la représentation romanesque d'une psychologie enfantine informe et vide de sens qui est posé.

Ainsi Lovinescu déplore le fait que Dănuţ, Olguţa et Monica «nous torturent pendant 382 pages avec leur vide spirituel,

comme jamais n'osèrent nos plus vieux ennemis. Le roman de l'écrivain part ainsi, en premier lieu, de la profonde erreur

psychologique qui consiste à croire en la possibilité d'un roman d'enfants et seulement entre enfants, et qui n'existe dans

aucune littérature au monde.»7

Ion Cantacuzino, de manière plus violente et destructrice, constate en 1932 le même échec de Teodoreanu dans la

peinture objective de la psychologie enfantine. Selon lui, Hotarul nestatornic est «l'essai téméraire de créer un roman

fondé sur la description objective de la psychologie des enfants. Rien de plus profondément erroné que l'idée d'une telle

tentative.»8 Et il conclut que la psychologie de l'enfant semble, chez Teodoreanu, «manquer de réalité objective et authentique, d'un intérêt substantiel et d'une capacité réelle d'émouvoir.»9

II. Réfutation des critiques de fond.

Il convient de réfuter ici toutes ces critiques concernant les faiblesses, voire l'incapacité de Teodoreanu à peindre

objectivement l'âme enfantine, et d'abord la thèse de Lovinescu et de Cantacuzino, qui lui reprochent d'esquisser de façon subjective des enfants demeurés à l'état embryonnaire.

1. Teodoreanu peint des caractères virtuels.

Dans une interview accordée en 1927 au journal bucarestois Rampa, Teodoreanu répond en quelque sorte à la critique

en assumant pleinement ce manque comme caractéristique de l'âge enfantin et comme ferment de développements

ultérieurs. Ainsi le premier roman n'est, du point de vue psychologique, qu'une source de traits virtuels, de possibilités

psychiques aptes à se réaliser ultérieurement selon les aléas du destin: «Vous souvenez-vous de Hotarul nestatornic et

de la première esquisse des trois enfants: Dănuţ, Olguţa, Monica? Il s'agissait des premières caractérisations dans la

phase embryonnaire. Le milieu bourgeois moldave devait évoluer avec toute son atmosphère particulière d'aspirations rêveuses, dessinées en lignes courbes et paisibles.»10

2. Teodoreanu peint les enfants vus par eux-mêmes.

Alexandru Philippide, traducteur de Hölderlin et ami de toujours de Teodoreanu, réfute admirablement quant à lui, dans

une étude sur le roman d'adolescence parue en 1931, le reproche de subjectivisme adressé par Ion Cantacuzino à l'auteur

de Hotarul nestatornic. Selon le poète, Teodoreanu a le mérite d'avoir écrit un roman d'enfants vus par eux-mêmes de

l'intérieur, et non pas tels que les voit l'adulte. Le génie de notre auteur relève donc de l'ob servation, attentive et tendre à

Page 33: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

la fois, des héros lilliputiens qu'il représente dans le roman: «En vérité nous sommes tentés d'attribuer à tous les enfants

notre propre sensibilité de l'époque où nous étions enfants. Erreur capitale. [...] Ionel Teodoreanu, dans le premier

volume de La Medeleni, a réussi à peindre avec beaucoup de tact et beaucoup de perspicacité la vie des enfants. Hotarul

nestatornic est d'ailleurs le meilleur des volumes de La Medeleni et, sans aucun doute, le meilleur livre qu'il a écrit jusqu'à maintenant.»11

3. La performance d'une individualisation des âmes par l'observation minutieuse.

C'est surtout Garabet Ibrăileanu qui réfute à l'avance en 1926 la thèse de Lovinescu sur le manque de différenciation

psychologique des enfants de notre triologie romanesque. Selon le mentor de ViaţaRomânească, Teodoreanu parvient à

individualiser des enfants qui, par définition, ont une psychologie de groupe. A l'âge enfantin de la vie humaine

correspond une enfance planétaire, une "humanité primitive"12marquée par une psychologie tribale et d'où ne ressortent

pas encore des caractères nettement définis. Teodoreanu a donc dû "individualiser des êtres difficilement

individualisables dans l'art, parce que déjà dans la nature ils ne sont pas encore ass ez bien individualisés"13. Selon

Ibrăileanu, la réussite est évidente: «Bien distinguer et rendre les petites différences présuppose une vison aiguë, et

l'individualisation si puissante des petits héros de M. Teodoreanu est un mérite plus grand que celui d 'individualisation

de héros matures.»14

Bien plus tard, en 1971, Dinu Pillat relèvera lui aussi, à la suite d'Ibrăileanu, «la performance sans précédent de la réalisation d'un roman avec des enfants seulement, d'une authenticité enchanteresse.» 15

III. Vers une définition des merites de Teodoreanu dans la représentation de l'âme enfantine.

En fait, bien des avis vont dans le sens d'une reconnaissance totale ou partielle du génie de Teodoreanu dans sa

représentation romanesque de l'âme enfantine. Ils émanent de toutes les écoles et de toutes les époques du XXe siècle.

1. L'originalité d'une recherche nouvelle dans l'histoire littéraire roumaine.

La critique roumaine reconnaît tout d'abord l'originalité de Teodoreanu dans l'exploration qu'il entreprend de ce

territoire spirituel. Ainsi Pompiliu Constantinescu en 1926, même s'il déplore "une formule d'un lyrisme luxuriant et

d'un statisme monotone", insiste sur le fait que Teodoreanu "a annexé à la littérature roumaine une couche de terrain

vierge, celle de la psychologie infantile"16 En 1928 Gabriel Drăgan voit en lui «un psychologue sans pareil de l'enfant

et, dans une certaine mesure, de l'adolescent. Cette psychologie de l'enfance qu'il esquisse de manière si nuancée et qu'il

promène avec une poésie si caractéristique dans le cadre de la nature, nous ne la rencontrons que chez quelques rares prosateurs roumains.»17

2. La représentation de la complexité vivante.

La critique roumaine salue aussi en l'auteur de La Medeleni un observateur très subtil de la psychologie très profonde de

l'enfant. Pour P. Constantinescu, «Ionel Teodoreanu lève largement le voile qui couvre cet empire de lilliputiens. Le

roman La Medeleni constitue la monographie psychique, assez prolixement détaillée, de l'enfance.»18 Selon Dinu

Pillat, la réussite est due au don rare de saisir «la complexité d'une vie intérieure miniaturale, qui émeut à sa

manière»19, et pour Perpessicius, le critique à qui l'on doit l'accueil le plus enthousiaste de notre roman, à l'art

teodorenien dans la peinture des «paysages spirituels ou naturels» de l'enfance ainsi que dans la représentation d'un

monde romanesque vivant, «avec ses variations spirituelles, avec ses précisions de milieu et de caractères», et d'une

«famille d'âmes qui grandit et fraternise dans la joie [...].»20 George Ştefănescu loue l'art de l'image avec lequel

Teodoreanu décrit le bouillonnement de ce monde de l'exubérance: «Doué du pouvoir de sonder les demeures

spirituelles des tout-petits, il sait rendre par la notation plastique des images tout le tourbillon, tout le bouillonnement

des premières années»21, et George Călinescu en 1941 la fraîcheur qui rejaillit de cette plongée dans la fontaine de

jouvence de l'humanité retrouvée: «Par l'incursion profonde dans l'âme enfantine, par l'atmosphère de bonheur et par la

fraîcheur de la réception, Uliţa copilăriei et le premier volume de La Medeleni sont des oeuvres de valeur durable et les véritables réalisations de l'écrivain.»22

3. La saisie proustienne des méandres de la vie psychique.

Plus original parce que jugeant dans un contexte européen moderniste l'apport de Ionel Teodoreanu à l'art du roman,

Camil Petrescu démontre dès 1926 la manière dont Teodoreanu surprend les subtilités de l'âme enfantine dans le même

sens que Proust. Le futur auteur de Patul lui Procust remarque l'allure de fleuve en méandres de ce qui, plus que la

Page 34: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

peinture de l'âme, est la poursuite du mouvement même de la vie psychique: «Dilluée et répandue en dizaines de pages

pleines d'incidents, la représentatiobn de certaines des plus subtiles nuances de l'affectivité enfantine n'en demeure pas

moins réelle.»23 Camil Petrescu retrouve une subtilité équivalente chez l'auteur d'À la recherche du temps perdu, mais

de façon analytique et non directe, dans le premier chapitre de Du côté de chez Swann, «lorsque Proust raconte ses

souffrances d'enfant quand Swann reste à dîner»24. Les techniques romanesques sont bien sûr différentes (d'un côté les

méandres du récit d'introspection analytique, de l'autre l'hallucination du discours), mais, conclut Camil Petrescu,

«l'impression de longueur, de répétition, de cheveu coupé en quatre, est la même chez les deux écrivains.» 25

4. L'adéquation problématique d'un style romanesque.

On a dit que la reconnaissance de la réussite de Teodoreanu était partielle. C'est la forme de la représentation

romanesque de l'âme enfantine par Teodoreanu dans La Medeleni qui est alors en jeu. En 1928 Gabriel Drăgan voit

dans Uliţa copilăriei et Hotarul nestatornic une harmonie parfaite de la forme expressive et du fond psychologique: «ils

signifient des réalisations d'une profonde pénétration spirituelle et d'un solide développement architectonique. Ionel

Teodoreanu possède la clé de la création, l'habileté rare et innée de greffer le fond sur une forme idoine.» 26 Gabriel

Drăgan voit dans le premier volume de La Medeleni «une oeuvre d'un équilibre parfait entre le fond spirituel des héros -

- entrelacements d'antithèses spontanées, mièvreries sentimentales, naïvetés d'un naturel ravissant -- et la forme

expressive du roman, avec un style d'une sculpture évolutive, couronné à chaque pas de métaphores vivantes,

étincelantes comme des joyaux de lumière.»27 Mais Victor George Dumitrescu déplore que Teodoreanu saisisse les

mouvements intimes de la vie enfantine dans une forme excessivement précieuse: «L'auteur, affirme-t-il en 1926, a su

surprendre, avec un souffle plus de poète lyrique que de créateur objectif, dans un style trop orné parfois d'images foisonnantes, tantôt admirables, tantôt précieuses, tous les mouvements intimes de la vie de l'enfant.»28

Conclusion.

De cette brève étude de la réception critique de La Medeleni par rapport à la psychologie de l'enfance, il ressort de façon

claire que les jugements roumains sont fort partagés. On répondra que c'est le propre des chefs-d'oeuvre de réunir autour

d'eux les avis les plus opposés et de susciter simultanément l'enthousiasme et la réticence voire la réprobation. Mais la

lecture de ces prises de position si divergentes ne manque pas de provoquer la perplexité d u lecteur d'aujourd'hui par

rapport à la valeur de l'entreprise romanesque de Teodoreanu dans La Medeleni. Aussi convient-il, après cette déroute,

de reprendre le chemin de l'oeuvre elle-même, en l'examinant du point de vue qui nous intéresse ici, celui de la représentation de la psychologie enfantine.

(suite: B. La représentation de la psychologie enfantine...)

__________

1. Camil Petrescu, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni - Hotarul nestatornic», Cetatea literară, I, 1926(9-10), p. 66.

Reproduit dans: Camil Petrescu, Opinii şi atitudini, ed. Marin Bucur, Bucarest: E. P. L., 1962, p. 186. 2. Ibidem. 3. Ibidem, p. 187. 4. P. Constantinescu, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni - Hotarul nestatornic», Sburătorul, VI, 1926(4), p. 51.

Reproduit dans: Pompiliu Constantinescu, Scrieri, 6, ed. Constanţa Constantinescu, Bucarest: Minerva, 1972,

p. 69 5. E. Lovinescu, Istoria literaturii române contemporane, IV, Evoluţia prozei literare, chap. XIII,

«Contribuţia Vieţii Româneşti», Bucarest: Editura Ancora, 1928, p. 148. 6. Ibidem, p. 149. 7. Ibidem, p. 145. 8. Ion I. Cantacuzino, «Ionel Teodoreanu», România literară, I, 1932(?), p. 3. 9. Ibidem. 10. I. Fr. Botez, C. Cerbu, «Cu dl Ionel Teodoreanu despre Trilogia Medelenilor», Rampa, XII, 1927(2946), p. 1. 11. A. Philippide, «Literatura adolescenţei», Adevărul literar şi artistic, X, nouvelle série, 1931(556), p. 3. 12. G. Ibrăileanu, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni», in: Scriitori români şi străini, Iaşi: Viaţa Românească, 1926.

Reproduit dans Studii literare, 1, Bucarest: Minerva, 1979, p. 445.

Page 35: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

13. Ibidem, p. 444. 14. Ibidem, p. 445. 15. Dinu Pillat, «Ionel Teodoreanu», in Mozaic istorico-literar, édition revue et augmentée, Bucarest: Eminescu,

1971, p. 273. 16. P. Constantinescu, Problema romanului românesc, 1926, in: Scrieri, 5, ed. Constanţa Constantinescu,

Bucarest: Minerva, 1971, p. 11. 17. G. Drăgan, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni, III, Între vânturi», Floarea soarelui, II, 1928(3-6), pp. 67-68,

rubrique «Cronică - cărţi». 18. P. Constantinescu, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni - Hotarul nestatornic», ed. cit., p. 68. 19. D. Pillat, «Ionel Teodoreanu», ed. cit., p. 273. 20. Reproduit dans Perpessicius, 12 prozatori interbelici, Bucarest: Eminescu, 1980, p. 286. 21. G. Ştefănescu, «Poetul copilăriei, Ionel Teodoreanu», in Însemnări filozofice şi literare, 1926, p. 129. 22. G. Călinescu, Istoria literaturii române de la origini pînă în prezent , seconde édition revue et augmentée par

Al. Piru, Bucarest: Minerva: 1982, p. 753. 23. Camil Petrescu, «Ionel Teodoreanu», ed. cit., p. 186. 24. Ibidem. 25. Ibidem. 26. G. Drăgan, «Ionel Teodoreanu», ed. cit., p. 68. 27. Ibidem. 28. V. G. Dumitrescu, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni, I», Ritmul vremii, II, 1926(6-7), p. 194, rubrique

«Cărţile».

LE RÉCIT DES ANNÉES TENDRES

Introduction.

Nous avons démontré que la réussite de Ionel Teodoreanu dans sa représentation romanesque de la psychologie

enfantine était incontestable, et réfuté les principaux arguments de la critique roumaine qui concluait à l’échec de La

Medeleni de ce point de vue. Mais il est un autre aspect auquel cette critique s’est arrêtée dès 1925, et sur lequel, une

fois encore, elle s’est divisée: c’est celui de la capacité ou de l’incapacité de Ionel Teodoreanu à réaliser dans son roman

une construction romanesque digne de ce nom à partir d’un thème banal parce qu’universel, et subjectif parce que lié à

l’expérience existentielle et intransmissible de l’homme: celui de l’enfance. Aussi convient -il, dans un premier temps,

de faire le point sur ces critiques partagées. Nous pourrons ensuite, après une relecture analytique de Hotarul

nestatornic, recenser les motifs narratifs de ce premier volume, montrer leur part de convention ou d’originalité dans

l’histoire de la prose roumaine de l’enfance. Dans un troisième temps, enfin, nous étudierons en détails les grands

moments romanesques du premier volume de La Medeleni et pourrons juger de façon synthétique l’art avec lequel Teodoreanu met en oeuvre dans son roman le récit des années tendres.

I. Point sur la critique.

1. Eugen Lovinescu et l’échec romanesque de Hotarul nestatornic.

Eugen Lovinescu, qui nie à Teodoreanu toute disposition romanesque dans Hotarul nestatornic et dansDrumuri, et aux

yeux duquel le romancier ne trouve finalement grâce qu’avec Între vânturi, dénonce en 1928, dans son Histoire de la

littérature roumaine contemporaine, la banalité du récit d'enfance dans Hotarul nestatornic. Il juge les actions de ces

êtres lilliputiens «privées de dynamisme», estime qu’ «elles ne peuvent s’insérer et s ’organiser en constructions

compactes du genre de La Medeleni»1 et qu’elles sont «intéressantes en elles -mêmes»2. Si elle peut, à la rigueur, servir

de sujet à des œuvres en prose courte (Lovinescu pense sans doute aux Amintiri din copilărie3 de Creangă, aux récits de

Delavrancea, aux croquis de Caragiale), la vie enfantine est incapable d’entrer dans une action épique s’étendant aux

dimensions du roman. Teodoreanu a voulu, affirme Eugen Lovinescu, «nous décrire dans son roman la vie objective des

Page 36: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

enfants, en les groupant en vue d’une action déterminée, tentative irréalisable, dans la mesure où, non différenciée ou

faiblement différenciée, la vie des enfants est susceptible d’analyse mais incapable pour autant d’entrer dans une

actionromanesque»4. Selon l’éminent critique, l’erreur de Teodoreanu est de croire à la possibilité de représentation

objective de cette vie, que Romain Rolland dans Jean-Christophe (L’Aube), puis Hortensia Papadat-Bengescu dans Fetiţa5 et dans Sânge6, ont analysée de façon subjective.

2. La contre-attaque de P. Constantinescu.

Cette opinion n’est pas universellement partagée, puisqu’à la même époque Pompiliu Constantinescu, autre éminent

critique, reconnaît à Teodoreanu le don d’actualiser l’enfance dans le genre romanesque: «En général l’enfance sert de

prétexte au lyrisme rétrospectif; M. Teodoreanu l’a actualisée dans le mouvement narratif. Ici réside l’originalité de son

effort, dans l’objectivisation qu’il réalise d’un thème essentiellement subjectif.»7

De même, Victor George Dumitrescu remarque en 1928 que l’esthétique de Ionel Teodoreanu produit une vie nouvelle

sous toutes ses formes: «Il est vrai que l’action languit dans Hotarul nestatornic. D’ailleurs quelle action exceptionnelle

pourrions-nous trouver dans la vie d’enfants dont l’existence généralement monotone manque de tout intérêt? Et

pourtant le talent de Ionel Teodoreanu a vaincu les obstacles. L’épreuve s’est changée en triomphe.» 8

3. La mise au point moderne de Marin Bucur.

En 1963, dans un article qui demeure la plus grande réplique aux critiques de Lovinescu, Marin Bucur tente d’expliquer

plus fondamentalement l’absence de construction romanesque vaste dans La Medeleni, par le fait que le psychisme de

l’enfant est discontinu et que «sa vie étant à chaque fois un commencement, des segments de chemins commencés et

inachevés ne peuvent assurer une continuité»9. Certes, explique Bucur, l’envol du cerf-volant, la chasse aux

grenouilles, la découverte des pots de confiture, la promenade en carriole, les disputes et les raccordailles des enfants

sont des narrèmes assez banals, mais ils sont éclairants psychologiquement, par rapport aux enfants eux-mêmes10. Et le

critique roumain repose le problème narratifen termes de valeurs et de représentation: «Ce n’est pas la

consistance narrative qu’il faut chercher là où l’on sait qu’elle ne peut exister, mais si le pittoresque psychique de l’enfance et de l’adolescence entre, à travers Teodoreanu, comme thème d’une création artistique.» 11

II. Consistance et signifiance narratives de Hotarul nestatornic.

De ce bref aperçu de la question de la construction romanesque de La Medeleni telle que la conçoit la critique roumaine,

il ressort clairement qu’elle pose problème et que ce problème se déplace sans cesse au fil du temps, dans deux

directions: celle de la consistance et celle de la signifiance du narratif. Nous voulons démontrer que l’œuvre de Ionel Teodoreanu répond de façon positive à ces deux exigences.

À la première lecture de Hotarul nestatornic, l’inconsistance peut paraître évidente de cette action romanesque irradiée

et diffuse, privée d’un centre de gravité qui lui ouvrirait une perspective. Quelle est en effet la matièrenarrative de ce

roman représentant, plus qu’il ne les relate, les diverses diableries d’enfants turbulents saisis dans leur univers bien

différent de celui des adultes et dans leurs préoccupations si loin des questions sérieuses qui agitent le monde des

grandes personnes ou celui de jeunes êtres confrontés aux difficultés monstrueuses de l’existence? Chez Slavici, la

persévérance et l’ardeur du pauvre Huţu animaient l’action épique de Budulea taichii, et, chez Brătescu-Voineşti, le

désir de Nicuşor de ressembler aux autres enfants celle de la nouvelle homonyme. Une lecture attentive du premier volume de La Medeleni dément pourtant cette première impression.

1. Le jeu des transactions.

Ce qui nous frappe d’abord dans Hotarul nestatornic, c’est le jeu constant des transactions. Ce narrème, propre aux

contes et aux récits d’enfance12, n’a certes rien d’original ici, mais sa prolixité n’est pas sans poser un problème qu’il

nous est difficile, voire impossible, de résoudre. La demande d’objet à l’adulte, qu’on trouvait volontiers chez

Dongorozi, et qu’Arghezi représentera plus tard dans Plicul du cycle Cartea cu jucării13, par exemple, apparaît peu

dans notre roman (Olguţa demandant ŕ ses parents du matériel pour écrire la punition 14, ou à M. Deleanu une pipe pour

moş Gheorghe15); de même, la négociation apparaît une seule fois, lorsqu’Olguta fait chanter son frère en lui

Page 37: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

demandant son nouveau fusil s’il veut rentrer dans la chambre16; le motif épique du serment apparaît seulement à

l’occasion de la scène du pot de confiture, quand Monica et Danuţ jurent ŕ Olguţa de garder le secret, et dans la scčne où

Monica promet à Olguţa d’ętre son alliée dans la guerre qui l’oppose à Danuţ.17 En revanche, les actes de don d’objet

sont nombreux dans le premier volume deLa Medeleni: pipe et verre de vin de Cotnari offerts par Olguţa ŕ moş

Gheorghe, punition nouée d’un ruban offerte par la fillette à sa mère, petite croix en or donnée par Monica à Mme

Deleanu; la paix signée entre les frères ennemis implique elle aussi les signes d’amitié que sont les caroubes et les

chaussettes longues. Quel sens donner à cette cons tatation? Faut-il simplement replacer ces actions, qui sont plutôt des

gestes, dans la tradition roumaine du don comme source de plaisir et manifestation d’omenie? Ou paradoxalement faut-

il supposer que ces actions catalytiques, qui ne font pas vraiment avancer l’histoire18, ont pour fonction d’exprimer le

mouvement et le dynamisme par la circulation même des objets?

2. Les actions du jeu.

La grande originalité de Teodoreanu éclate surtout lorsqu’on étudie de plus près la consistance narrative d’une action

romanesque liée au jeu. Mais dans La Medeleni l’action, dans son ensemble et dans ses détails, se caractérise moins par

le pittoresque et la saveur de Creangă, ou que par la visée satirique de Caragiale -- quoique Teodoreanu égale ou

dépasse ces deux illustres prédécesseurs dans l’entrain de la vie montré sous toutes ses formes -- , que par l’éclairage

révélateur de la psychologie enfantine. En effet, l’action de Hotarul nestatornic est signifiante, parce qu’à travers elle et dans le jeu, s’élabore du sens et se forme une conscience écartelée entre vie et mort, entre joie et souffrance.

a. Les diableries.

Les actions de diableries sont certes nombreuses dans notre roman. Prétendre qu’elles assument dans le texte une

fonction cardinale serait exagéré; c’est par leur foisonnement qu’elles opèrent, et par le climat d’éveil et de dynamisme

qu’elles instaurent. Néanmoins, les espiègleries de Iorgu et Grigore Deleanu racontées aux enfants, l’aventure des

premières cigarettes et de la viande donnée dans la gueule des lions du vieux fauteuil familial19, outre leur valeur

pittoresque, sont signifiantes: elles matérialisent une ligne de partage du roman, indécise et perméable, qui distingue

d’un côté les grands oisifs en apparence, de l’autre les petits entraînés dans un mouvement d’évidente et incessante

activité. La dissimulation d’Olguţa et de Monica dans la charrette de foin près de l’Étang du Poulain 20, ou d’Olguţa et

de Dănuţ dans la malle du futur interne21, sont certes desnarrèmes quelque peu usés, mais qui éclairent de façon

significative la domination d’Olguţa sur son frčre, éternelle victime. La scène où les trois enfants mangent en cachette

les pots de confiture ne fait que reprendre un élément narratif semblable, déjà présent chez Ion Dragoslav et Alexandru

Vlahută22; mais cette action révèle délicieusement l’ambiance de mystère et de complot qui enveloppe bien des actes

du rite enfantin. Enfin, les multiples facéties et espiègleries d’Olguta, pirouettant sur le divan et fumant du narguilé sous

les yeux outrés de Mme Deleanu23, se mouchant dans les nouveaux mouchoirs de son frère brodés spécialement par

Monica à ses initiales24, coupant méphistophéliquement la corde du cerf-volant de Dănuţ25, faussant effrontément le

nombre de lignes de la punition infligée par sa mère à cette occasion26, ou la ligne de départ de la course qui l’oppose

encore et toujours à Danuţ27, tentant de faire fuir Madame Blumm par les sons discordants du piano, ou le médecin

venu soigner moş Gheorghe par le cynisme de ses répliques 28 sont, plus que les actions sensées d’une enfant terrible

apparentée au Goe et au Ionel de Caragiale29, où à la Smarăndiţa de Creangă, ceux d’une incarnation du désordre

minant les certitudes mêmes de la narration traditionnelle. De la sorte, la diablerie d’Olguţa annonce directement celle

de l’héroďne de Raymond Queneau dans Zazie dans le métro, roman où domine aussi la fonction enfantine et positive

de l’irrévérence, qu’Alain Fournier présentait dans une de ses lettres comme manière d’expérimenter une

nouvelle modalité d’être: «L’irrévérence est la condition du développement de toute intelligence. En se refermant sur

eux-mêmes [...] les enfants se découvrent une force intense de personnalité, un désir de se grandir.» 30

b. Les rivalités.

Les actions d’émulation qui se trament tout au long des jeux de petits héros teodoreniens n’œuvrent plus au désordre de

la représentation mais à l’établissement d’un ordre plus stable dans l’échelle autoritaire des personnages. Ces séquences

narratives répètent d’un bout à l’autre l’échec de Danuţ. Si l’on excepte la poursuite de la carriole et de la voiture au

début du roman -- action au cours de laquelle s’affrontent deux moi, deux volontés de vaincre, et qui dynamise

visiblement l’intrigue -- , ou la concurrence de Dănuţ et de sa sśur dans les grades militaires -- action de surenchère

éclairant la psychologie d’Olguţa et son désir effréné d’ętre la meilleure -- , les actes d’émulation de Hotarul

nestatornic aboutissent irrémédiablement à la victoire d’Olguta sur Dănuţ, sous le regard amoureux et protecteur de

Monica, qu’il s’agisse, par exemple, de la course à pied qui mène les enfants jusqu’à la maison de mos Gheorghe 31, le

concours organisé par Herr Direktor à qui tuera le plus de grenouilles 32, ou la partie de football que perd Dănuţ contre

Olguţa qui le blesse33.

c. Les violences.

Page 38: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Les actions violentes de Hotarul nestatornic ont moins une valeur signifiante qu’une fonction de cohésion. Elles

forment en effet une ligne narrative facilement discernable dans le roman, suite de conflits ou plutôt de châmailleries

entre Dănuţ et Olguţa, entrecoupés de trèves éphémères. Le thème de la guerre enfantine, illustré dans le domaine

français par Louis Pergaud avec La guerre des boutons au début du XXe siècle, n’est certes pas nouveau en Europe

quand Teodoreanu écrit le premier volume de La Medeleni; mais le romancier lui donne des

dimensions narratives ignorées jusque-là dans le domaine roumain, qui le traite habituellement dans de brefs épisodes

de récits ou de nouvelles, ou très rarement dans le poème comme Eminescu le fait génialement dans un texte posthume

intitulé Copii eram noi amândoi...34 Souvent violentes, les scènes de jeu expriment ici, chez Ionel Teodoreanu, une

force destructrice qui aguérit l’être, alors qu’elles signifieront dans Drumuri, à l’âge adolescent des héros du roman, une

manière de guérir un corps frénétique par ce que Rodica Bercale, future propriétaire du domaine de Medeleni, nommera malicieusement des «jeux de vilain»35.

La bataille d’oreillers entre Olguţa et Monica36 n’illustre pas ce type d’actions violentes. D’ailleurs il s’agit plus d’un

cliché du roman d’enfants, relaté ici et non représenté, qu’un véritable narrème. En revanche, les continuelles disputes

entre Olguţa et son frčre, pour des vétilles qui sont pour ces enfants d’importantes questions de préséance (qui montera

dans la carriole avec M. Deleanu37, qui l’accompagnera dans la promenade en buggy38, quel sera le dessert39...), les

insultes répétées d’Olguţa ŕ Dănuţ, martčlent le rythme du roman et œuvrent à son dramatisme. L’intensité est variable

de ces actions d’intimidation ou de fanfaronnade qui ne sont pas sans évoquer les gasconnades

du D’Artagnan d’Alexandre Dumas, parodié par M. Deleanu devant les enfants dans le dernier chapitre de Hotarul

nestatornic. Si le fait que Dănuţ tire les cheveux de Monica, qui le mord40, relève plutôt de l’enfantillage sans

signification majeure, son coup de fusil à flèches sur la panoplie de Potemkine41, image militaire d’Olguţa, est une

action éclairant le caractčre indécis, primaire, d’un personnage qui se venge par procuration; le coup de pierre bien réel

qu’il assène à Olguta avant de quitter Medeleni pour l’internat de Bucarest, dernier épisode très violent de la guerre

fratricide42, marque la révolte de l’aîné contre une sœur oppressive. Mais qu’on ne s’y trompe pas: s’il est une

ligne épique créée par l’enchaînement de toutes ces actions violentes, c’est une ligne brisée où des moments de tension

alternent avec des actions de détente; le romancier actionne ces deux ressorts avec l’habileté et le plaisir que nécessitent

le jeu et la parodie de l’épopée originelle. À ce titre, on notera le caractère proprement épique du communiqué de guerre

de M. Deleanu, à la fin du conflit russo-japonais rejoué par un Dănuţ et une Olguţa métamorphosés en Potemkine et Kami-Mura, sous forme de ballade parodiant les vieux chants guerriers:

Potemkin şi Kami-Mura

Au pornit dârji la răzbel

Foc şi pară şi oţel.

Ura! Ura!

S’au luptat cât s’au luptat

- Umplând casa de dezastre --

Prin salon, sufragerie

Şi prin locuri mai sihastre.

Au mai stat ei şi la colţ

- Aveau şi părinţi duşmanii! -- Ripostând: colţ pentru colţ,

Cu toată cenzura mamii.43

T. F.: Potemkine et Kami-Mura

Vaillants sont partis en guerre

Tout feu tout flammes et acier.

Hourra! Hourra!

Ils ont lutté tant qu’ils ont pu

-- Et rempli la maison de désastres --

Dans le salon, la salle à manger

Et les lieux plus sauvages.

Les ennemis ont été mis au coin

-- Des parents, ils en avaient bien! --

Ont riposté dent pour dent,

Malgré la censure de maman.

Page 39: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

3. Le jeu de la conversation.

La consistance narrative du premier volume de La Medeleni pourrait sembler inexistante, si l’on tenait compte enfin de

l’abondance des dialogues qui caractérise le roman. Teodoreanu fait d’eux le matériau privilégié de sa création

romanesque, réussissant, grâce à ce que Balzac nommait «la dernière des formes littéraires, la moins estimée, la plus

facile»44, à dépasser la dimension anecdotique et événementielle du roman, pour créer finalement à partir de rien.45 En ce sens, le roman de l’enfance est bien un roman d’exploration de l’infinie possibilité des stratégies de parole.46

Le dialogue participe lui aussi à la stratégie du jeu chez les héros de la trilogie. Il donne au roman son profond caractère

d’ «authenticité»47 et contribue en grande partie à donner au style de La Medeleni sa dimension filmique,

cinématographique.48

Certes, la prose roumaine avant Teodoreanu offre bien des exemples de dialogues réussis et dotés des mêmes qualit és

de dynamisme et de vivacité: ceux de Slavici parfois, comme dans Gogu şi Goguşor49, ceux de Delavrancea dans ses

nouvelles, aussi, avec la fraîcheur des répliques de gamins moldaves, ponctuées de măi, dans De azi şi de demult50, par

exemple, ou de petits-enfants turbulents dans Bunicul et dans Bunica51; Caragiale, surtout, qui, avec ses Momente et

ses Schiţe52, proses courtes parfois entièrement dialoguées, demeure le maître du genre dans la littérature roumaine; enfin, plus récemment, Patrăşcanu et Dongorozi.

Mais l’art romanesque de Ionel Teodoreanu use du dialogue dans des formes si variées et si subtiles, que seul peut -être

Caragiale arrive à surpasser. Dans Hotarul nestatornic, domine la dialogue de scène, généralement sans incises, qui

permet la confrontation des héros, et qui prend presque toujours l’allure de la mimèse: comme dans l’écriture théâtrale,

le dialogue reproduit la conversation dans le temps de celui de son déroulement. Ce procédé donne au texte un rythme

endiablé, et à la conversation une allure naturelle et spontanée. Parmi les différentes formes employées par Teodoreanu, on distingue assez grossièrement trois catégories de dilaogue: procédurale, exploratoire, et ludique.

a. Dialogue phatique.

Hotarul nestatornic met en œuvre souvent un tel type de procédé particulièrement utilisé par les enfants et consistant en

une conversation sans référent: la parole meuble le silence et fonctionne à vide, comme elle le fait souvent chez

Caragiale, mais sans qu’il y ait de la part du romancier la moindre volonté de démasquer un automatisme qui trahit

l’homme; on est au contraire ici au cœur d’une anthropologie du quotidien orientée vers le jeu. Écoutons Olguta et sa sœur adoptive:

- Monica?

- Ce? - Nimic...53

Ecoutons maintenant Dănuţ et Olguţa, dans un type de dialogue voisin, qu’on pourrait appeler dialogue de sourds,

caractérisé par sa circularité, et où le locuteur parle par plaisir, sans apport informatif à l’allocutaire:

- Cine-i acolo?

- Eu. - Cine, eu? - Eu, fratele tău.

- Nu cred! - Dacă-ţi spun! - Şi ce vrei?

- Să-ţi spun ceva. - Spune. - Deschide uşa.

- Pentru ce. - Ca să-ţi spun.54

b. Dialogue dilatoire.

Ce type joue sur l’effet d’attente: le référent est présent mais repoussé par le locuteur; il fonctionne avec des expressions idiomatiques enfantines, comme le français «- Pourquoi? - Parce que!». Ainsi dans le dialogue entre Dănuţ et Monica:

- Dănuţ, ce-nseamnă asta?

Page 40: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

- Înseamnă!55

ou entre Monica et Olguţa:

- Bine, da’ ce are să se întâmple? - Ceva! se încruntă enigmatic Olguţa.56

c. Dialogue à bâtons rompus.

Dans la catégorie exploratoire, figure ce type de dialogue, où le topos varie sans cesse, n’ayant pas été délibérément

choisi ni posé par accord entre locuteur et allocutaire. C’est la stratégie dialogique adoptée dans la conversation entre

les deux fillettes pendant la sieste, au cours de laquelle Olguţa mčne le jeu à sa guise. La valeur artistique du procédé est

discutable: Lovinescu le situe dans le cadre prolixe de la «verbosité générale du roman dans son entier» 57; Izabela

Sadoveanu découvre des «étincelles» dans ce «dialogue en zigzag capricieux» 58... Dans Drumuri le dialogue sera

exploité de façon similaire entre Dănuţ et Rodica, au cours de longs échanges verbaux transcrits comme s’ils avaient été enregistrés, et qu’on pourrait nommer, selon la formule très plastique de Marian Popa, des «tâtonnements érotiques» 59.

d. Dialogue-portrait.

Ce type de dialogue exploratoire, propre à l’écriture précieuse du blason, consiste en une prosopographie dont les

éléments se composent par un jeu définitoire entre locuteur et allocutaire, et par rapport à un référent illusoire. La

stratégie dialogique présente alors certaines similitudes avec le procédé de certains types de devinettes. Un exemple tout

à fait réussi est donné dans Hotarul nestatornic, quand Olguţa et son pčre brossent le portrait imaginaire de tante Mélanie, tout en jouant du piano à quatre mains:

Olguţa pufni de râs.

- Vai, papa! Dac'ai şti tu cine-i tante Mélanie, n-ai spune una ca asta!

- Da' tu de unde-o cunoşti?

- Aşa!... Mi-o închipui eu... Ştii, papa, are ochelari pe vârful nasului şi se uită pe deasupra lor, o invocă Olguţa,

sculptând-o cu degetele în aer.

- Şi ce mai are?

- Aa! Un neg... un neg păros deasupra buzei! Şi-i slabă ca un ţâr...

- ... Cu ochelari, adaugă domnul Deleanu.

- Stai, papa! Mă jur! Când mănâncă ouă fierte, îi rămâne gălbenuş pe musteţi. Asta -i greţos! Vai,ce urâtă-i!... Papa, tante

Mélanie e nevasta lui oncle Léon, săracul de el.

- Ce-ţi spuneam eu! Vrea să divorţeze şi m-a angajat pe mine avocat.

- Nu primi, papa. Oncle Léon are dreptate. Tante Mélanie e o zgripţuroaiacă. Ea îl persecută.

- Ce-i de făcut?

- S-o persecutăm şi noi pe ea.

- Atunci hai să mai cântăm o dată.

- Hai!60

e. Dialogue ludique.

C’est le type de dialogue le plus fréquent dans le roman de l’enfance. Il est constitué soit d’échanges brefs entre les

frères ennemis, suite de répliques ou de rétorsions au cours desquelles Danuţ et sa soeur s’accusent l’un l’autre , soit de

segments anaphoriques à valeur humoristique, comme dans l’exemple suivant, pastiche du célèbre dialogue de Barbe-Bleue, quand Olguţa demande à Monica si Dănuţ rattrape leur voiture:

- S-aproprie?

- Parcă... şovăi răspunsul. - S-aproprie? - Parcă da, se teme Monica.

- S-aproprie? tună Olguţa.61

ou enfin d’éléments stichomythiques binaires, comme «- Vine? - Vine.», «- Ai adus? - Am adus!», «- Te muţi? -Mă

mut.», «- Spui drept? - Spun drept.», etc.62

Dans tous ces dialogues, le romancier porte son attention sur les intonations et sur les moindres nuances d e la parole des

personnages, usant des vastes possibilités offertes par la langue en matière de verbes d’incise - le roumain permet de

Page 41: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

façon naturelle l’utilisation des verbes d’action, et non pas seulement de diction comme c’est le cas en français. Le

recours à l’italique, aux régionalismes - principalement des vocables moldaves - , aux pérégrinismes, aux vices

d’élocutions et aux défauts de prononciation, aux onomatopées et aux calembours 63, même s’il perpétue des moyens

souvent utilisés avant Teodoreanu64 - par exemple chez Caragiale, Pătrăşcanu, Cazaban, Brăescu - contribue à donner au dialogue medeleniste une couleur et un relief qui lui sont propres.

*

Après cette analyse détaillée des motifs caractéristiques de l’épos teodorenien, on est capable de ju ger leur valeur du

point de vue de la signifiance. Leur gratuité apparente cache en fait une profondeur psychologique finalement très

comparable à celle explorée par Romain Rolland ou Hortensia Papadat-Bengescu, avec d’autres moyens. Contrairement

à ce qu’affirmait Eugen Lovinescu cité plus haut, La Medeleni n’est donc pas une peinture de «la vie objective des

enfants»: chez Teodoreanu les actes parlent. Encore faut-il qu’ils puissent parler de façon organisée, dans une

construction romanesque ample et ferme, unitaire et cohérente. Aussi convient-il de poser maintenant le problème de l’unité et de la cohérence romanesques de Hotarul nestatornic.

III. Unité narrative et épique de Hotarul nestatornic.

Sommes-nous devant un roman de la discontinuité et de la dispersion des intrigues, foncièrement incapable de

s’organiser et de se construire? A première vue, on peut répondre par la négative à une telle question.

1. L’art de la scène.

Hotarul nestatornic se caractérise en effet par un art de la scène65 parfaitement maîtrisé. Drumuri sera marqué par le

jeu de l’entrelacement d’épisodes plus longs, où le narrateur suivra de manière plus linéaire les existences de ses

personnages en différents lieux et au cœur de différentes actions, et Între vânturi par un développement de séquences

narratives plus logiquement enchaînées, avec un usage généralisé de l’analepse et de l’ellipse, sur le mode de la

relation. Hotarul nestatornic fonctionne au contraire presque exclusivement sur le mode de la représentation, avec une

prédominance des actes de parole, avec des pauses descriptives ou explicatives assez rares, de très courtes ellipses

correspondant aux blancs interscéniques ou aux trois astérisques entre les séquences, et des résumés presque absents.

Ainsi le volume se signale par la mise en scène des personnages directement sous les yeux du lecteur, à travers le

discours. Le roman fait un usage abondant de la scène, composante définie à la fois par un critère formel - il s’agit d’un

fragment de texte généralement court (de quelques lignes66 à quelques pages), séparé d’un autre par un blanc - , et par

un critère fonctionnel - il est question d’une unité de récit brève. A leur tour, les scènes de Teodoreanu se groupent en

parties pour former des séquences, unies d’un point de vue narratif, thématique ou temporel. Il s’agit d’un

procédé épiqueexpérimenté déjà par le romancier dans Uliţa copilăriei [«La Ruelle de l’enfance»] et développé ici systématiquement.

Ainsi le chapitre Potemkin şi Kami-Mura [«Potemkine et Kami-Mura»] possède la structure d’un acte qui correspond à

une journée de la vie des enfants Deleanu à Medeleni, du matin de l’arrivée du train jusqu’à la soirée. Il se décompose

en unités narrative disjointes chronologiquement et regroupées en séquences elles -mêmes disjointes, selon le schéma suivant:

Séquences N° de scènes N° de pages

Trajet de la gare au domaine 17 32

Déjeuner 3 6

Guerre russo-japonaise (analepse

explicative)

1 4

Sieste des enfants 4 11

Réveil des enfants 5 9

Procès d’Olguţa 1 4

Préparation de la punition d’Olguţa 3 4

Page 42: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Dănuţ et Monica dans le verger 1 3

Dîner 8 18

Soirée 4 10

Le passage d’une cellule à l’autre du récit se fait de façon naturelle, grâce à des ruptures de tempo 67occasionnées par

l’intrusion de personnages qui parlent ou agissent, ou par le déclenchement de sons ou de bruits - par exemple un

hénissement de cheval, un klaxon d’automobile, une porte qui claque. L’effet est intensément dynamique, presque

cinématographique.68

L’art de la scène, chez Teodoreanu, comme chez Ion Luca Caragiale en Roumanie ou chez Jules Renard en France,

donne au lecteur l’impression de discontinuité, explicable par la commutabilité aisée des scènes du roman.69 En même

temps, cette technique narrative où la durée du récit paraît iden tique à celle de l’histoire, donne à Hotarul nestatornic un

caractère d’immédiateté à l’existence saisie sur le vif, à ces «incidents de vie» comme on l’a dit70. Ce faisant, elle

correspond parfaitement aux représentations de l’enfant, dont la structure mentale ne perçoit souvent que des fragments

de durée et d’espace, sans linéarité, à des moments d’être, d’expérimentation immédiate du monde. Ainsi, dans le

premier volume de La Medeleni, l’art compositionnel de Teodoreanu est en cohérence à la fois avec le sujet du roman et

avec le projet d’écriture de l’écrivain roumain. Dans cette perspective, André Maurois écrit à juste titre, dans Le cercle

de famille, que «les souvenirs de l’enfance ne sont pas, comme ceux de l’âge mûr, classés dans les cadres du temps. Ce

sont des images isolées, de tous côtés entourées d’oubli, et le personnage qui nous y représente est si différent de nous -

mêmes que beaucoup d’entre elles nous paraissent étrangères à notre vie.» Jules Renard, à propos des «moments»

dePoil de carotte, ne parlait-il pas d’une composition «décousue», rhapsodique du récit, et ne plaidait -il pas

indirectement en faveur de l’avocat-romancier quand il disait de son livre à lui: «Il est fait de moments. Ce n’est pas un être qui se compose: c’est un être qui existe.»71?

Certes, l’originalité de Teodoreanu ici n’est pas totale: Tudor Vianu fait remarquer à juste titre qu’il «compose ses

romans avec les vieux moyens des auteurs de croquis», notamment ceux de Caragiale dans

les Momente şiSchiţe [«Instantanés et croquis»]. Brătescu-Voineşti dynamise déjà sa prose par un découpage de la

matièrenarrative en séquences, comme dans Magheranul [«La marjolaine»] et dans Niculăiţă Minciună72, ainsi que Ion

A. Bassarabescu, l’un des maîtres de la saynète dans la littérature roumaine. Ce qui caractérise l’art romanesque de

Teodoreanu, c’est l’ampleur et la cohérence qu’il donne à ce procédé compositionnel, ainsi que l’adéquation manifeste entre ce trait stylistique et le monde de l’enfance représenté dans les pages du volume .

Pourtant, une lecture attentive du roman permet de constater que, malgré cette esthétique de l'évanescence à l'oeuvre

dans Hotarul nestatornic, le roman possède une unité narrative et épique bien réelle. Cette cohérence est mise en oeuvre par Ionel Teodoreanu de trois manières.

2. L’isolation d’un moment de crise.

D’abord, par le procédé romanesque qui consiste à isoler un moment critique. En effet, le premier volume de La

Medeleni ne se présente ni comme le roman d’une époque, ni comme celui d’une vie ou d’une «tranche de vie», mais,

pour reprendre la formule célèbre d’Albert Thibaudet, comme un «roman actif qui isole une crise» 73. Le moment choisi

est l’été 1908, à l’époque où Dan Deleanu, qui vient de terminer l’école primaire, s’apprête à entrer au lycée, à quitter

Medeleni pour Bucarest et à franchir, par conséquent, la mouvante marchequi sépare l’enfance insouciante d’une vie

nouvelle. L’action se déroule donc sur quelques «journées» qui marquent des temps forts des vacances à Medeleni après

le 14 juillet (première partie), suivies par la grande ellipse centrale qui nous mène au nœud du chapitre Herr Direktor, à

la fin du mois d’août, quand se pose le problème crucial de l’avenir de Dănuţ.

3. La mise en texte des chapitres.

Un second moyen d’assurer la cohérence narrative de Hotarul nestatornic réside dans l’organisation très rigoureuse des

chapitres, répartis en deux groupes ternaires symétriques (Potemkin şi Kami-Mura, Căsuţa albă şi rochiţa roşie, Herr

Direktor, d’une part, Robinson Crusoe, Păpuşa Monicăi et «Moş Gheorghe, nu tragi din lulea?» , d’autre part), séparés

par le nœud central constitué par le chapitre intitulé «Mediul moldovenesc». Ces grandes divisions du roman,

construites sur une action épique unitaire, sont, comme dans Dumbrava minunatăde Mihail Sadoveanu, chapeautées par

un titre résumatif et qui évoque le langage enfantin: Potemkine et Kami-Mura et La maisonnette blanche et la petite

robe rouge, par leur structure binaire propre à la fable et au conte,Herr Direktor par le jeu du sobriquet, Robinson

Crusoé et La poupée de Monica par leur référence aux jeux de l’enfance, et «Moş Gheorghe, tu ne fumes pas la

Page 43: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

pipe» par sa rhétorique particulière. Une exception significative à cette règle des titres est constituée par le chapitre du

nœud central, «Le milieu moldave», titre mis en relief par l’emploi des guillemets, à connotation théorique, et qui

évoque le langage d’adulte de l’oncle venu d’Allemagne pour arracher Danuţ aux sphères, selon lui rétrogrades et

passéistes, où évoluent ses parents.

4. L’encadrement analogique du roman.

Enfin, l’encadrement analogique du premier et du dernier chapitre de Hotarul nestatornic renforce la cohésion

d’ensemble du volume: la similitude des moyens mis en œuvre aux deux extrémités matérielles du roman est évidente.

Même effet de masse exubérante produit, d’un côté, par la représentation des enfants des paysans du domaine suivant Dănuţ et Gheorghiţă, munis du nouveau cerf-volant74, depuis la route jusqu’ŕ la cour en effervescence:

În frunte cu Dănuţ, alaiul mărunţilor călăuzi până la poarta ogrăzii pasul înalt al zmeului... Ograda se umplu de

zarvă: cânii hămăiau, slugile răsăreau din toate părţile.75 T. F.: Dănuţ en tęte, la ribambelle des petits guida jusqu’au portail de l’enclos la marche céleste du c erf-volant...

La basse-cour s’emplit de tintamarre: les chiens aboyaient, les serviteurs surgissaient de tous côtés.;

de l’autre, par celle du village envahi par les enfants, à la fin du roman, lors des obsèques de moş Gheorghe:

O amiază rece, cu cerul îmbătrânit de nouri suri.

Deasupra satului suna clopotul, amintind cerului depărtat întrarea în pământ a unui om. Pe uliţa cea mare şi prin faţa

ogrăzilor nu se vedea ţipenie de om în vrâstă; numai copii de cei mărunţi care vorbesc cu gâzele, se sfădesc cu vrăbiile

şi se supără oe copaci. Satul părea al copiilor.76

T. F.: Un après-midi froid, au ciel ridé de nuages grisonnants.

Au-dessus du village le son du glas annonçait au ciel lointain la mise en terre de quelqu’un. Sur la grand -rue et

devant les enclos on n’apercevait pas le moindre vieux; rien que de ces petits enfants qui parlent aux oies, se

châmaillent avec les moineaux et fulminent contre les arbres. Le village semblait appartenir aux enfants.

Des deux côtés, même effet de contrepoint aussi: à l’entrelacement des scènes montrant la course effrénée de la carriole

de Dănuţ et de la voiture des filles77, correspond l’alternance d’un épisode burlesque -- celui de la pantomime de M.

Deleanu racontant aux enfants Les Trois Mousquetaires -- et d’un autre, tragique, celui de l’agonie de moş Gheorghe dans sa maisonnette voisine78.

Aux deux extrémités du roman, même inversement de motif narratif, avec, d’un côté, l’arrivée du train d’Olguta et de

Monica en gare de Medeleni, puis le départ du train pour Iaşi avec toute la famille à l’approche de la rentrée; même

répétition des deux deuils de Monica, avec la disparition, cruelle pour la petite orpheline, de sa véritable grand -mère d’un côté, et du grand-père que représente pour elle moş Gheorghe, de l’autre.

Ces reprises et ces symétries n’ont rien d’arbitraire: l’art romanesque de Teodoreanu vise ici à la cohérence externe par

un encadrement discret, grâce à des fils sûrs mais transparents qui suggèrent au lecteur, au prix d’une lecture

téléscopique comme chez Proust, la fermeture d’une boucle. Cet art romanesque de la symétrie, qui n’est pas propre à

Teodoreanu, doit beaucoup à Rebreanu, maître dans ses jeux de parallélisme et de contrepoint. Déjà dans Pădurea

spânzuraţilor79, deux scènes de pendaison encadrent le célèbre roman: celle du déserteur tchèque Svoboda, au

crépuscule, dans le lugubre village de Zirin, sous les yeux d’Apostol Bologa; celle du déserteur transylvain Bologa lui-

même, à la fin du roman. La structure romanesque en boucle a ici une signification tragique: elle exprime l’angoisse

d’une boucle qui se referme et qui tue. La technique sera reprise par George Călinescu dans Enigma Otiliei80, avec la

répétition obsédante au début et à la fin du roman, par Costache Giurgiuveanu puis par Felix se souvenant de son

arrivée à Bucarest, de la phrase «Aici nu stanimeni!»81 Chez nos trois romanciers, à trois moments différents de

l’histoire du roman roumain moderne, l’effet de cohérence est assez semblable, avec une manifestation de la toute -

puissance du Destin, même si cet effet est sans doute plus théâtral chez Călinescu.

(suite)

__________

1. Istoria literaturii române contemporane, IV, «Evoluţia prozei literare», chap. XIII, «Contribuţia Vieţii

Româneşti», Bucarest: Editura Ancora, 1928, p. 146.

Page 44: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

2. Ibidem, p. 149.

3. Souvenirs d’enfance.

4. Ibidem, p. 146.

5. La fillette.

6. Sang.

7. «Ionel Teodoreanu: Uliţa copilăriei, La Medeleni, II, Drumuri, Zburătorul, VI, 1927(7). Cité d’aprèsScrieri, 6,

ed. Constanţa Constantinescu, Bucarest: Minerva, 1972, p. 71.

8. «La Medeleni de Ionel Teodoreanu», Foaia Tinerimii, XII, 1928(7-8), pp. 46-48.

9. «Ionel Teodoreanu», Viaţa Românească, XVI, 1963(6-7). Cité d’après Ionel Teodoreanu, Cum am scris

«Medelenii», ed. N. Ciobanu, p. 414.

10. Ibidem, pp. 414-415.

11. Ibidem, p. 414.

12. Fulvia Rosenberg a recensé 33 catégories de conduite dans ce genre d’ouvrage: affection, soin, demande de

don, menace, etc., parmi lesquelles les transactions occupent une grande place. Voir F. Rosenberg, La famille

dans les livres pour enfants, Paris: Magnard, 1976, coll. «Lecture en liberté».

13. L’enveloppe, dans Le livre aux jouets, 1931. De même, chez Otilia Cazimir, dans Strategie, la petite Nina

profite de la faiblesse de l’épicier Marcu, triste de ne pas avoir d’enfants, pour lui estorquer des bonbons sans

rien lui donner en échange (O. Cazimir, Grădina cu amintiri şi alte schiţe, «Le jardin aux souvenirs et autres

sketches», 1929).

14. La Medeleni, I, pp. 63-65.

15. Ibidem, p. 106.

16. Ibidem, p. 93.

17. Ibidem, respectivement pp. 47-49 et 94-95, et p. 54

18. Une exception importante, toutefois: le legs final de la robe de mariée à Olguta par moş Gheorghe, et de sa

maisonnette aux enfants Deleanu, est une action conclusive de Hottarul nestatornic, à fonction cardinale (pp.

380-381).

19. La Medeleni, I, pp. 163-164.

20. Ibidem, p. 198.

21. Ibidem, pp. 318 sq.

22. Cf. supra.

23. La Medeleni, I, pp. 160-161.

24. Ibidem, p. 311.

25. Ibidem, p. 42.

26. Ibidem, p. 73.

27. Ibidem, p. 321.

28. Ibidem, respectivement pp. 291 et 362.

29. Dans Vizita («La visite»), Caragiale nous fait assister aux espiègleries du petit Ionel, qui fume, se déguise en

major de roşii, place de la confiture dans les chaussures du narrateur (Nuvele şi schiţe,«Nouvelles et croquis»).

30. Alain-Fournier, Correspondance.

31. Ibidem, pp. 321 sq.

32. Ibidem, pp. 187-188.

33. Ibidem, pp. 228-229.

34. Enfants nous étions tous les deux..., 1871.

35. La Medeleni, II, p. 442.

36. La Medeleni, I, p. 86. Reprise dans le volume II, pp. 136-138, entre Dănuţ et Olguţa cette fois.

37. La Medeleni, I, pp. 13-14.

38. Ibidem, pp. 111-113.

39. Ibidem, p. 321.

40. Ibidem, p. 67.

41. Ibidem, p. 38.

42. Ibidem, pp. 338-340.

43. Ibidem, p. 36.

44. Revue parisienne, 1840; repris dans Balzac, Œuvres complètes, ed. Calman-Lévy, tome 23, p. 596. Les

opinions sur la question ont évolué; mais le problème du dialogue divise les milieux littéraires à l’époque

même de la publication de La Medeleni. Sans l’aborder de manière approfondie, notons qu’il est «la création

par excellence» pour Ibrăileanu (op. cit., p. 440) mais qu’il n’est doté d’aucune valeur artis tique selon Anton

Holban: «l’art est une synthèse et non une transposition» (A. Holban, «Despre dialog», «Sur le

dialogue», România literară, I, 1932, n° 32, p. 1).

45. Constatant le déclin du genre romanesque, Mihail Sebastian affirme en 1927 que le roman a é largi sa sphère

au-delà du narratif, optant «pour l’action serrée d’après les normes dramatiques élémentaires, pour le simple

enchaînement d’une dynamique intérieure». Voir M. Sebastian, article paru dansCuvântul du 6 octobre 1927;

cité d’après Eseuri, cronici, memorial [«Essais, chroniques, mémorial»], ed. Cornelia Ştefănescu, Bucureşti:

Editura Minerva, 1972, p. 33 («Considérations sur le roman moderne, Le déclin du genre»).

Page 45: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

46. Constantin Ciopraga fait remarquer, à ce propos, combien les enfants décrits par une grande analyste comme

Hortensia Papadat-Bengescu sont taciturnes, saisis uniquement par le dialogue intérieur: «Chez le créateur

des Hallipi, l’enfance est un sondage dans les dessous d’âmes obscures; chez le rhapsode deLa Medeleni,

l’enfance s’épanche au-dehors, prenant vie d’explosion d’étonnement, d’exubérance et d’auto -illusion.» Voir

C. Ciopraga, «Ionel Teodoreanu în retrospectivă» [«I. T. en rétrospective»], III,Cronica, VII, 1972 (5), p. 2.

47. Mircea Anghelescu, «Ionel Teodoreanu şi lumea copilăriei» [«I. T. et le monde de l’enfance»], Cronica, V,

1970 (20), p. 8.

48. Lovinescu note la prédominance de la «forme dialogique du film sans cadres fixes» (Istoria literaturii române

contemporane, 1900-1937, Bucureşti: Editura Minerva, 1989, coll. «Arcade», p . 167); Nicolae Iorga, quant à

lui, dénonce dans le dialogue teodorenien «toutes les longueurs auxquelles n’échappe pas le sténographe»

(Istoria literaturii româneşti contemporane, Bucureşti: Editura Adevărul, 1934, p. 313).

49. Gogu et Goguşor, dans les Nouvelles, III.

50. D’aujourd’hui et des temps anciens, dans Hagi Tudose.

51. Le grand-père, La grand-mère, dans Între vis şi viaţă [«Entre rêve et vie»].

52. Respectivement, «Instantanées» et «Croquis», publiés à la fin du siècle dernier.

53. T. F.: - Monica? / - Quoi? - Rien... - Hotarul nestatornic, p. 45. 54. T. F.: - Qui est là? - Moi. - Qui ça, moi? - Moi, ton frère. - Je ne crois pas! - Si je te le dis! - Et qu’est-ce que tu

veux? - Te dire quelque chose. - Dis. - Ouvre la porte. - Pourquoi faire? - Pour que je te le dise. -Ibidem, pp.

92-93. 55. T. F.: - Dănuţ, qu’est-ce que ça signifie? - Ça signifie! - Ibidem, p. 67. 56. T. F.: - Bien, mais qu’est-ce qui va se passer? - Quelque chose! répondit Olguţa en fronçant les sourcils

énigmatiquement. Ibidem, p. 54. 57. Eugen Lovinescu, Istoria literaturii române contemporane [«Histoire de la littérature roumaine

contemporaine»], IV, Bucureşti: Editura Ancora, 1928, p. 150.

58. Isabela Sadoveanu, «Ionel Teodoreanu: Uliţa copilăriei, La Medeleni - Hotarul nestatornic», Adevărul literar

şi artistic, VII, 1926 (311), p. 1. 59. M. Popa, «Medelenii sau starea de vacanţă», in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, 1, Hotarul nestatornic,

Bucureşti: Editura Albatros, 1970, avant-propos, pp. 26-27.

60. T. F.: Olguţa pouffa de rire. - Hélas, papa! Si tu connaissais toi aussi tante Mélanie, tu ne dirais pas une chose

pareille! - Mais toi, d’où la connais-tu? - Comme ça!... Je me l’imagines... Tu sais, papa, elle porte des lunettes

sur le bout de son nez et elle regarde par-dessus, fit Olguţa en l’invoquant et en la sculptant, les doigts en

l’air. - Et qu’est-ce qu’elle a encore? - Ah! Une verrue... une verrue poilue au-dessus de la lèvre! Et elle est

maigre comme un hareng... - ... A lunettes, ajouta monsieur Deleanu. - Attends, papa! Je le jure! Quand elle

mange des œufs durs, il lui reste du jaune sur sa moustache. C’est écœurant! Oh là là là, ce qu’elle est laide!...

Papa, tante Mélanie est la commère de l’oncle Léon, le pauvre homme! - Je te l’avais bien dit! Elle veut

divorcer et c’est moi qu’elle a engagé comme avocat. - Dis non, papa. Oncle Léon a raison. Tante Mélanie est

une mégère. C’est elle qui lui fait des misères. - Qu’y a-t-il à faire? -Lui en faire voir à elle aussi de toutes les

couleurs. - Alors chantons-lui encore une fois. - Hop là!Hotarul nestatornic, p. 357. 61 . T. F.: - Il se rapproche? - On dirait... hésita la réponse. - Il se rapproche? - On dirait que oui, fit Monica d’une

voix craintive. - Il se rapproche? tonna Olguţa. - Idem, p. 24. 62. T. F.: «- Il vient? - Il vient!», «- Tu l’as apporté? - Je l’ai apporté!», «- Tu déménages? - Je déménage.», «-

Franchement? - Franchement. » Ibidem, p. 10, p. 33, p. 60, p. 93.

63. Sur l’attention portée aux faits de langue par le romancier, lire les remarques pertinentes de Marian Popa, op.

cit., pp. 27-29.

64. A ce propos, voir Tudor Vianu, Arta prozatorilor români [«L’art des prosateurs roumains»], Bucureşti: Editura

contemporană, 1941, p. 369.

65. Garabet Ibrăileanu parle pour la première fois de moments; voir «Ionel Teodoreanu. La Medeleni», inStudii

literare [«Études littéraires»], 1, Bucureşti: Editura Minerva, 1979, p. 440. Pour Vianu, Hotarul nestatornic est

«une suite de saynètes»; voir T. Vianu, Arta prozatorilor români [«L’art des prosateurs roumains»], Bucureşti:

Editura contemporană, 1941, p. 370. Enfin, Teodoreanu lui-même signale que «les romans de La

Medeleni sont travaillés en raccourcis» (en français dans le texte); voir I. Fr. Botez et C. Cerbu, «Cu d-l Ionel

Teodoreanu despre Trilogia Medelenilor» [«Avec... sur la Trilogie La Medeleni»], Rampa, XII, 1927 (2946),

p. 2.

66. Hotarul nestatornic, p. 139, conclusion fulgurante du chapitre II, par un résumé.

67. Sur les différents tempos romanesque, voir Gérard Genette, Figures, III, Paris: Seuil, 1972.

68. Dinu Pillat remarque dans La Medeleni le «dialogue fulgurant, dans des séquences narratives d’une dynamique

proche de celle de la technique cinématographique.» Voir sa préface à Ionel Teodoreanu,Pagini cu copii şi

adolescenţi [«Pages avec des enfants et des adolescents»], Bucureşti: Editura Cartea Românească, 1973, p. VI.

69. Marian Popa met en évidence la structure «filiforme» du roman, où «les événements peuvent être commutés

sans que l’ensemble en souffre du point de vue du sens», comme dans les Amintiri din copilărie [«Souvenirs

d’enfance»] de Creangă, ou comme dans Poil de carotte de Renard. Voir M. Popa, «Medelenii sau starea de

vacanţă» [«La Medeleni ou l’état de vacance», in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, 1, Hotarul nestatornic,

préface, Bucureşti: Editura Albatros, 1970, p. 23.

Page 46: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

70. Camil Petrescu note que «la méthode littéraire de M. Teodoreanu est la méthode classique du roman français,

transplantée et confirmée par les écrivains russes. La création par des incidents de vie, par la présentation

directe des faits et des hommes; à la différence de la méthode analytique et in terprétative. Les événements

de La Medeleni sont ainsi une longue série de faits racontés directement.» Voir C. Petrescu, «Ionel

Teodoreanu: La Medeleni - Hotarul nestatornic», Cetatea literară, I, 1926 (9-10), p. 66. Cité d’après Opinii şi

atitudini [«Opinions et attitudes»], ed. Marin Bucur, Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1962, p. 185.

71. J. Renard, Journal, 27 septembre 1894.

72. Nicolas Mensonge. Sur cette question, lire Mircea Zaciu, «Ioan Alexandru Brătescu -Voineşti», inScriitori

români [«Écrivains roumains»], ouvrage collectif, Bucureşti: Editura ştiinţifică şi enciclopedică, 1978, p. 98.

73. Albert Thibaudet, Réflexions sur le roman, 4e édition, Paris: Galliamard, 1938, p. 18 («L’esthétique du

roman»).

74. On retrouve ce narrème perturbateur dans un roman hongrois contemporain de Hotarul

nestatornic:Aranysárkány (1924-1925) de Dezsö Kosztolány. Les élèves d'un lycée de Hongrie lancent un

cerf-volant dans le ciel, sous le regard sévère de leurs professeurs. Voir Le cerf-volant d'or, roman traduit du

hongrois par Eva Vingiano de Piña Martins, Paris: Viviane Hamy, 1993.

75. La Medeleni, I, p. 7.

76. Ibidem, p. 378.

77. Ibidem, pp. 14-25.

78. Ibidem, pp. 371-376.

79. La forêt des pendus, 1922.

80. L’énigme d’Otilia, 1938.

81. «Personne n'habite ici!»

Se scufundară în văzduh, departe, mai departe, până când se şterseră pe cer, ca o inscripţie măcinată de veacurile

clipei cereşti.

Elles plongèrent dans l’éther, loin, plus loin, jusqu’au moment où elles s’effacèrent sur le ciel, comme une inscription

estompée par les siècles de l’instant céleste.

(La Medeleni, III, p. 82.)

LE RO MAN DU PASSAGE

I. L’ancrage de Medeleni dans la réalité.

Bien que La Medeleni soit un roman visant fondamentalement à la représentation de lui-même, il ne constitue nullement

un système autonome: il essaie de s’inscrire dans l’espace et dans le temps, et l’espace et le temps s’inscrivent en lui,

dans les êtres et dans les choses.

1. L’enracinement spatial du roman.

Teodoreanu a essayé, dès le premier volume de sa trilogie, Hotarul nestatornic, d’ancrer le lieu mythique dans les

coordonnées du réel: une terre de Roumanie, septentrionale, évoquant par bien des aspects l’univers de sa propre

enfance[1], avec sa dénomination, sa géographie, son écho parmi les collines, son conac, ses maisons à l’entour, ses

paysans moldaves, sa vigne et son verger, sa gare et son passage à niveau; une vieille famille de boyards ayant sa

résidence et son «Club» à la ville de Iaşi; des lieux chargés d’une réelle valeur affective et sensuelle (la petite maison

blanche de moş Gheorghe à l’écart du village, le verger remplis des poires de Oţăleanca) ou présentant des signes

d’inquiétude et d’étrangeté (l’Étang du Poulain, le cimetière)... un ancrage spatial minimal, donc juste suffisant pour

rendre l’histoire plausible et qui se caractérise par la rareté et l’imprécision des détails par rapport aux topographies des romans de Liviu Rebreanu et, plus tard, de George Călinescu.[2]

Donnons quelques exemples. Le lecteur a la confirmation matérielle à la fin de Drumuri que Medeleni est situé à

proximité de Iaşi: Olguţa effectue l’aller-retour en voiture de façon fulgurante quand elle vient chercher au domaine

l’indigne Rodica pour la reconduire à Iaşi chez ses parents [3]. Un détail place Medeleni dans des coordonnées spatiales

plus précises: la gare, avec son chef légendaire, monsieur Şteflea, située à quelques kilomètres du conac, puisque les

Page 47: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

déplacements s’y font à cheval: mais il s’agit d’une «anonimă gară a vacanţelor» [4], et où le train, quand il s’arrête, le fait toujours avec une heure de retard.

2. L’enracinement temporel du roman.

L’ancrage temporel de La Medeleni n’est guère plus profond, et les informations que glane le lecteur ne parviennent pas

davantage à inscrire le paysage et les lieux dans un cadre chronologique vraiment solide.

a. Chronologie externe.

D’un point de vue externe, les événements historiques s’inscrivent certes dans le texte, mais de façon sporadique et plus

suggestive que précise, avec quelques grands repères jalonnant le récit. Ainsi la guerre d’indépendance de 1877-1878

est évoquée par la médaille que reçoit moş Gheorghe à la bataille de Pleven, la guerre russo-japonaise de 1904-1905 par

la ballade de Potemkine et Kami-Mura; le sujet des révoltes paysannes est abordé par Herr Direktor en été 1907, au

milieu de Hotarul nestatornic, comme un problème de l’actualité récente. La première guerre mondiale, quant à elle, est

évoquée de manière un peu plus précise, mais de loin, vue de l’arrière sans le relief qu’elle avait chez Liviu

Rebreanu[5] ou qu’elle prendra plus tard chez Camil Petrescu[6] , avec les articles de presse sur le début des hostilités en

1914 et la neutralité de la Roumanie, avec les discussions des personnages sur Verdun, avec les clairons de la

mobilisation dans une nuit d’août 1916, annonçant l’entrée en guerre des Roumains, puis avec l’allusion à l’après -

guerre et aux «vulgare oraşe ale României Mari» [7]. Enfin, la construction d’un court de tennis à l’occasion de la venue

à Medeleni du prince Charles, comme le révèle malicieusement Olguţa, est un détail historique qui place le domaine dans l’actualité réelle immédiate, mais par dérision.

b. Chronologie interne.

Le poids du temps s’inscrit surtout dans La Medeleni d’un point de vue interne, par les traces qu’il laisse sur les objets

et les lieux, et par les marques visibles qu’il grave dans les êtres. Ainsi le lecteur suit au fil des pages du roman le déclin

matériel du domaine: les temps d’opulence de Hotarul nestatornic, le fermage de l’administrateur Haralamb

Scrobohaci, «credincioasă ploşniţă a familiei Deleanu» [8], enfin le rachat par le banquier Bercale en avril 1924, alors

que monsieur Deleanu est criblé de dettes de baccarat [9]. De même, lorsqu’il revient à Medeleni qu’il n’a pas vu depuis

un an, Dănuţ est accablé par le sentiment de la fuite inexorable du temps qui détruit tout: « Să nu iei în seamă că zi cu zi

mucegaiul copleşeşte zidurile şi că păienjenii ţes pânza ursuză într-o odaie a casei tale?»[10] Le temps marque aussi les

visages et fait vieillir les personnages du roman: madame Deleanu, belle et coquette au début de La Medeleni, a les

cheveux gris et porte des lunettes dans Drumuri; dans Între vânturi, monsieur Şteflea est atteint d’une myopie qui

l’empêche de déchiffrer les adresses du courrier, et monsieur Deleanu, jadis si fringant, accueille Olguţa et Monica à leur retour de Paris, chenu et appuyé sur une canne.

II. Un «Bildungsroman»?

1. L’itinéraire d’une formation.

L’inscription, dans le texte romanesque, de cet aspect destructeur et modificateur du temps sur les êtres et les

consciences, pourrait donner à croire que La Medeleni se range dans la catégorie du roman de

formation ouBildungsroman.[11] Teodoreanu lui-même a, semble-t-il, voulu donner cette dimension à ce qu’il concevait

au départ comme «une trilogie de romans dédiés à l'évolution d'une génération de Moldaves dont l'enfance a commencé

au temps démodé de la valse et du foyer patriarcal, et dont la jeunesse, après avoir goûté à laGrande guerre, a

recommencé à vivre au rythme du jazz-band.»[12] En effet, le romancier suit le trajet de ses héros depuis Hotarul

nestatornic jusqu’à Între vânturi, avec notamment le parcours érotique de Dănuţ (les innocentes amours dans le verger

de Medeleni, puis l’initiation par Adina Stephano, Ioana Pallă et Rodica, qui lui apprennent la ja lousie, la souffrance et

le plaisir) et son chemin dans la vie jusqu’à la fondation d’une famille et la reconquête de soi par l’amour. L’itinéraire

social et professionnel du personnage principal est également montré, jusqu’à l’intégration forcée dans le milieu

judiciaire: études au Lycée Lazăr de la capitale, apprentissage de l’indépendance dans le studio bucarestois de la rue

Pitar-Moşu, loin de l’ambiance nocive du «milieu moldave». L’éducation artistique, enfin, n’est pas négligée, comme

dans Jean-Christophe ou dans laRecherche, avec le parcours d’écrivain de Dănuţ[13]... Bref, les buts visés par Dănuţ

correspondent bien à la typologie adlerienne des trois objectifs à atteindre par le héros de Bildungsroman équilibre sexuel, équilibre social, équilibre professionnel.[14]

D’autre part, bien des éléments narratifs de La Medeleni appartiennent au type de roman qui nous intéresse: comme le

motif de la cession des biens immobiliers aux Bercale, à la fin de Între vânturi, qui n’est pas sans évoquer la vente des

meubles de la famille Arnoux dans L’Éducation sentimentale de Flaubert; comme le thème récurrent de Robinson

Crusoë, si important par son illustration du principe d’utilité à l’œuvre dans les romans de formation [15], présent ici

comme dans Le Petit Chose d’Alphonse Daudet; comme le thème final de la «capitulation» [16], du renoncement à

Page 48: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

certains idéaux, ou de l’investissement dans des valeurs de substitution; comme enfin certains personnages initiateurs

assez caractéristiques, tel que Herr Direktor, à l’instar de l’oncle Gottfried dans le troisième volume de Jean-Christophe, dans le domaine social, tel que le directeur de Viaţa contimporană dans le domaine artistique.

2. Le «défaut de ligne droite».

La structure même de La Medeleni s’apparente à celle de nombreux romans de formation. D’abord, par la rhétorique

d’ouverture de la trilogie: la mise en texte de la trilogie[17] exploite en effet le topos du novice (face à une situation

inconnue de lui, Dănuţ fait appel à l’aide d’un paysan plus âgé qui l’initie à l’envo l du cerf-volant), ainsi que celui de la

rencontre (par la conjonction du héros -voïvode et du paysan, le romancier met en circulation une information propre à

éclairer le novice). Caractéristique sont aussi l’encadrement du roman par le projet éducatif de Herr Direktor[18] et le

bilan du parcours à la fin de Între vânturi, avec une construction en boucle reprenant la même problématique, les

mêmes personnages, les mêmes lieux et la même circonstance du conseil de famille restreint, ainsi que l’utilisation

d’une écriture dégressive et sinueuse, et qui érige le «défaut de ligne droite» flaubertien en véritable principe esthétique.

3. L’ébauche des cadres.

Toutefois, le projet romanesque initial de Teodoreanu évolue constamment vers le suivi de destins individuels la plupart

du temps en parallèle à l’histoire. La nécessité d’une société mouvante, condition indispensable du roman de formation,

fait souvent défaut dans La Medeleni, malgré le souffle de vie dont la trilogie respire d’un bout à l’autre du texte. Ainsi,

l’expérience de la guerre est vécue par la très vive conscience artistique et planétaire de Dănuţ, mais sans les

implications collectives qu’elle a chez Cezar Petrescu dans Întunecare[19], ou qu’elle connaîtra chez Camil Petrescu

dans Ultima noapte de dragoste, întaia noapte de război [20]. De même, l’expérience de Bucarest, ville cosmopolite,

corrompue, fébrile et mercantile, est vécue individuellement, par l’image et par l’antithèse avec le Iaşi assoupi et

languide, et n’a pas la force et la valeur qu’elle aura plus tard dans Calea Victoriei[21], au prix d’une étude approfondie de tous les milieux sociaux de la capitale économique, politique, mondain, judirique, estudiantin...[22]

III. L’ancrage symbolique de Medeleni.

1. Le jardin de Dieu.

Il apparaît donc clairement que la trilogie roumaine s’inscrit très superficiellement dans la réalité, et que le «passage»

des protagonistes à travers les pages d’un long roman s’effectue moins par une confrontation matérielle avec la vie que

par un échange continuel entre eux et le monde, dans une perspective heuristique. Par rapport à la propriété homonyme

du roman, et à la différence d’un Lacretelle quelques années plus tard [23], Teodoreanu se limite à marquer en filigrane

les aléas du domaine et d’un «rêve enraciné dans la terre». Les indices renforçant l’ancrage de Medeleni dans le réel

sont le plus souvent dépourvus de fonction déictique: c’est la fonction symbolique qui prévaut, avec l’image centrale du

jardin, résumé du monde, cloître des monastères et porte étroite. Medeleni est d’emblée montré comme la porte du paradis gardée par saint Pierre[24] et donnant sur des vergers envahis d’enfants.

2. Le puits de vie et de mort.

Associé au symbole du jardin, terre de germination, de fructification et de germination, et au mythe de l’Éden, Medeleni

se présente aussi comme un lieu de l’ambivalence, de vie et de mort. C’est la terre où se succèdent les saisons, le lieu de

germination des graines, de croissance mais aussi de putréfaction des fruits trop mûrs, avec le contrepoint printemps -automne développé d’un bout à l’autre du roman de Teodoreanu, et le passage de la fleur à l’ombre de la fleur.

a. La figure de la noyade.

Medeleni est bien la figure où vie et mort tracent une ligne de partage aussi imprécise que la «mouvante

marche»[25] séparant l’enfance de l’adolescence. À l’autre bout du village, derrière les arbres, sont le cimetière et

l’Étang du Poulain qui hante les rêves d’enfants d’Olguţa et de Dănuţ: symbole de l’inconscient et de la mère, lieu des

germinations invisibles, où pullulent les grenouilles et le passé étrange de la famille Dumşa, ses fautes et ses remords,

lieu où reposent des vestiges sordides du temps des cavernes et des jours de peste, où coulent les chevaux et les barques,

lieu de légende où mort et amour se fondent dans la légende de la grand-tante Fiţa Elencu[26], finalement figure du

destin puisque, de jeu de mort en chasse véritable, l’itinéraire d’Olguţa à travers le roman part de ce lieu maudit pour y atteindre inexorablement.[27]

b. Les dernières demeures.

Page 49: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Medeleni est aussi un refuge de l’amour et du désir, ceux de Dănuţ et de Rodica durant leurs "lectures" nocturnes [28],

durant des nuits où la volupté se dissout finalement dans la mort du domaine racheté par la cocotte mariée au banquier

Bercale. La maisonnette de moş Gheorghe est le lieu principal où s’incarne et disparaît cette ambivalence d’éros et

thanatos, dans un décor sombre et mystique, plein des parfums d’huiles et d’encens, à la lumière trouble des icônes. Le

vieillard a facilité en ce lieu les amours du jeune Iorgu Deleanu et d’Alice Dumşa, les parents de Dănuţ et d’Olguţa; il a

enfermé là dans un coffre la robe de mariée qu’il destine à la future dot d’Olguţa. C’est là même qu’il meurt et

qu’Olguţa se tire une balle en plein cœur après le départ impossible avec Vania pour l’Amérique.

Mais la moşie n’est pas seulement un bout de terre roumaine: lieu de vie et de mort, elle est surtout le paradis fictif où s’élabore l’œuvre d’art, le lieu sacré qui ne révèle son secret qu’au terme d’une initiation.

[1] Sur les éléments autobiographiques du roman, voir supra. La lecture beuvienne que fait presque exclusivement Nicolae Ciobanu de La Medeleni entre plus d’une fois en

contradiction avec les affirmations de Teodoreanu lui-même, qui n’a eu de cesse de mettre en valeur le caractère de

recréation fictionnelle du roman. Voir la conférence «Cum am scris Medelenii» et Aurel Leon, «Convorbiri cu Ionel Teodoreanu» [«Entretiens avec...»], Cronica, Iaşi, II, 1967 (32), p. 11.

[2] La romancière Georgeta Mircea Cancicov (1899-1984), auteur de Poeni. Din viaţa satului meu [«Poieni. De la vie

de mon village», 1938], révèle l’existence d’un petit village près de Poieni, en Bessarabie . Il s’agit selon elle d’une pure

coïncidence toponymique. Voir A. Sasu et M. Vartic, Romanul românesc în interviuri. O istorie autobiografică [«Le

roman roumain en interviews. Une histoire autobiographique»], Bucureşti: Editura Minerva, I, volume 2, p. 553. (Romanul românesc în interviuri [«Le roman roumain en interviews»], I, volume 2, p. 553.)

[3] Drumuri, pp. 482-488.

[4] T. F.: anonyme gare de vacances Hotarul nestatornic, p. 382.

[5] Pădurea spânzuraţilor ["La forêt des pendus"], roman, 1922.

[6] Ultima noapte de dragoste, întâia noapte de război [«La dernière nuit d’amour, la première nuit de guerre»],

roman, 1930.

[7] T. F.: vulgaires villes de la Grande Roumanie» Între vânturi, p. 194.

[8] T. F.: fidèle punaise de la famille Deleanu Între vânturi, p. 129.

[9] Ibidem, pp. 413-415.

[10] T. F.: Ne pas te rendre compte que jour après jour la moisissure dévaste les murs et que les araignées tissent leur toile maussade dans une pièce de ta maison? Drumuri, p. 281.

[11] Sur cette question, voir principalement F. Jost, «La tradition du Bildungsroman», Comparative literature, 1969

(21), pp. 97-105; S. Suleiman, «La structure d’apprentissage; Bildungsroman et roman à thèse»,Poétique, 1979 (37), pp.

24-42; M. Bakhtine, Le roman d’apprentissage..., in Esthétique de la création verbale, Paris: Gallimard, 1984, pp. 211-261.

[12] Viaţa Românească, XVI, 1924(10), p. 5.

[13] Le thème de l’artiste, et du romancier en particulier, suivi dans ses différentes hypostases est un thème courant chez les romanciers roumains de l’entre-deux-guerres.

Marian Popa remarque à juste titre que «le prosateur combine ainsi l’idée de Bildungsroman avec celle de

confession et de journal d’un roman, comme le feront entre autres André Gide et Aldous Huxley.» Voir M. Popa,

«Medelenii sau starea de vacanţă» [La Medeleni ou l’état de vacance», in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, 1, Hotarul nestatornic, Bucureşti: Editura Albatros, 1970, avant-propos, p. 18.

[14] Voir J. H. Bucley, Season of Youth: the Bildungsroman from Dickens to Golding , Cambridge: Harvard, 1974.

Page 50: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[15] Le livre de De Foe est le seul livre toléré par Jean-Jacques Rousseau pour l’amusement et l’instruction d’Émile (Émile ou de l’éducation, III).

[16] Cezar Petrescu, «Trilogia Medelenilor, Cartea a III-a: Romanul capitulărilor» [«La trilogie La Medeleni, Livre III:

Le Roman des capitulations»], Curentul, I, 1928 (6), pp. 1-2. Le grand romancier remarque intelligemment le caractère

non-rectiligne du récit.

[17] Sur le problème de la mise en texte du roman en général, voir Claude Duchet, «Idéologie de la mise en texte:

ouverture de Germinal», Dossiers pédagogiques de la radio et de la télévision scolaires, Français 2, premier et second

cycle, Paris: Ministère de l’Éducation Nationale - Ofrateme, 1973, pp. 104-107; «Pour une socio-critique ou variation

sur un incipit», Littérature, Paris, 1971 (1).

[18] Hotarul nestatornic, chap. «Mediul moldovenesc» [«Le milieu moldave»].

[19] Obscurcissement, roman, 1927-1928. Ion I. Cantacuzino regrette, à ce sujet, que «ce formidable élément de

confrontation et de révision, qui pouvait dévoiler merveilleusement tous les caractères, toutes les aspirations, tous les

dons, toutes les souffrances [soit] complètement négligé.» Voir I. I. Cantacuzino, «Ionel Teodoreanu», România

literară, I, 1932 (3), p. 3.

[20] La dernière nuit d’amour, la première nuit de guerre, roman, 1930.

[21] Avenue de la Victoire, roman Cezar Petrescu, 1930 pour la première version.

[22] Ce constat de réussité partielle de Teodoreanu dans la création d’un véritable Bildungsroman, n’est pas nouveau.

Selon Ovidiu Ş. Crohmălniceanu, Teodoreanu crée «les prémisses» de ce type de récit sans parvenir à l’exemplarité,

«parce que dans la formatrion de ses héros les problèmes matériels de l’existence ont toujours joué un rôle minime»

(Literatura română între cele două războaie mondiale , «La littérature roumaine entre les deux guerres mondiales», I,

Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1967, pp. 363-364.) Mais l’originalité et la réussite de Teodoreanu sont peut-être à trouver ailleurs, comme nous le montrerons plus loin.

[23] Dans la suite romanesque des Hauts-Ponts , chronique d’un domaine de Vendée (1932-1936).

[24] Hotarul nestatornic, p. 21.

[25] En roumain, "hotarul nestatornic»; c’est le titre du premier volume de La Medeleni.

[26] Teodoreanu emblématise l’étang d’une manière inégalée dans la géographie littéraire roumaine, lui donnant la

dimension initiatique et étrange qu’il possède chez George Sand dans La Mare au diable. Le thème est diabolique

jusque-là et fonctionne avec l’ampleur réduite du motif. Dans un récit intitulé Pomul de crăciun ["L’arbre de Noël"],

Alexandru Macedonski présente le marais comme un lieu infernal, domaine du diable et du passé mort: «les domaines

où nous mangions du boudin blanc et de la dinde comme les maisonscomme les vignes s’en sont allés depuis

longtemps, emportés par "celui du marais" [le diable par euphémisme].» Mihail Sadoveanu évoquera plus tard lui aussi,

en 1950, "Groapa Mânzului" ["la Fosse du Poulain"], «là où se noient ceux qui ne savent pas nager...»; voir M.

Sadoveanu, Nada florilor, in Anii de ucenicie..., Bucureşti: Editura Minerva, 1970, p. 470.

[27] Nicoale Ciobanu remarque à juste titre que l’Étang du Poulain est pour Olguţa «sa première tentative de

confrontation avec son propre destin» (préface à Ionel Teodoreanu, La Medeleni, I, Bucureşti: Editura Minerva, 1971, coll. "Biblioteca pentru toţi", p. XVI).

[28] Drumuri, IIIe partie, ch. 2.

LE RO MAN DU PASSAGE

(suite)

IV. Medeleni comme lieu sacré.

Page 51: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

1. Naissance du nom et de sa musique.

a. La nymphe ou déesse Medeleni.

Le lecteur de Ionel Teodoreanu a fait la connaissance de Medeleni pour la première fois en 1922 dans Uliţa

copilăriei [«La Ruelle de l’enfance»]. L’une des petites héroïnes, Sonia, écrit à Any depuis la propriété de Medeleni, où Zoe Balş, une amie de sa mère, l’a invitée à se remettre du typhus en compagnie d’enfants et de musique:

«Any, sunt la Medeleni...

Auzi tu ce plin şi ce învolt sună: Medeleni!

Te’ntrebi: E numele firesc al unui clopot florentin? Al unui şipot de munte? Al unei cantilene?

... În amurg, când se întorc cirezile de la păşune, tălăngile destramă un vaier plângător, prin care lămuresc, silabă cu

silabă: Medeleni... Medeleni... Medeleni...

Şi’mi pare că ascult în glasurile acestea clopotele deniilor păgâne, prin care ogoarele, pădurile şi apele jelesc pe nimfa sau zeiţa Medeleni...»[29]

b. La figure du syncrétisme.

On voit que Medeleni apparaît d’abord dans l’œuvre du romancier roumain non comme une simple propriété terrienne

mais comme un nom et une musique, non comme une réalité mais comme un mythe sacralisé: «la nymphe ou la déesse

Medeleni». Dans le roman homonyme, ce mythe se concrétise de manière visuelle et sonore, dans le registre païen et

chrétien. D’abord par la clochette d’argent de Fiţa Elencu annonçant l’entrée des visiteurs dans le conac, même si

madame Deleanu se garde bien d’accorder à cet objet toute valeur de symbole [30]; puis par la très belle personnification

du domaine en nymphe blessée, à la fin du roman, quand le domaine est vendu à l’ignoble Rodica Bercale dans la

section commerciale du tribunal de Iaşi, affectée dans une ancienne école primaire de la ville: «Când pe coridoarele cu

miros de mahorcă şi urină, ale secţiunii a treia, auzise răsunând ultima strigare a Medelenilor, simţise în inima lui

ţăndările vasului în care era trecutul familiei Dumşa şi al copiilor Deleanu.» [31]; enfin par l’image monastique et

religieuse du domaine vu par les yeux neufs de Monica dans les premières pages du roman: «Risipa albă a caselor

ogrăzii, cu cea din mijloc largă şi adâncă şi stăpână peste toate, răsări ca o luminoas ă mănăstire fără turle şi călugări în

ochii Monicăi.»[32]

2. Le logis des Muses.

Medeleni est d’abord le lieu où l’art a sa demeure. Pour Dănuţ exilé à Bucarest, le domaine lointain est vie infinie,

lumière et rythme poétique, incarnation de la poésie même: «Dori Medelenii cu ochii, cu nările, cu urechile... Medelenii

vacanţelor si ai copilăriei. Deşteptările cu zvonirea livezii la căpătâi şi zorii la ferestre, ca tufe de pomuşoară coaptă în

livadă. Înălţimea de zbor a cerului spre care-i vine să fluturi batista. Salturile lungi ale dealurilor gonite de vânătoarea

cerească a soarelui...»[33] Le manoir vit au rythme de Schumann et de Debussy, des fugues et des sonatines; la chambre

de Monica accueille pour Dănuţ Verlaine et Heine en été, Albert Samain en toutes saisons, comme dans l’ "oasis" où

Jean-Christophe découvre avec madame de Kerich et Minna «ce monde enchanté qu’évoquait la lecture des divins

poètes, Goethe, Schiller, Shakespeare, torrents de force, de douleur et d’amour!...» [34]. Dans la propriété voisine des

Saules, Ioana Pallă a sa bibliothèque ouverte pour Dănuţ, où le symbolisme voisine avec la littérature décadente ou

sensationnelle: Baudelaire, Rimbaud, Walt Whitman, Oscar Wilde, Pierre Louÿs, Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Alexandre Dumas, Eugène Sue...[35]

3. L’atelier.

Medeleni est aussi le lieu de la création: c’est dans la petite maison blanche de moş Gheorghe qu’Olguţa écrit à Vania

ses lettres presque quotidiennes, à Monica sa dernière lettre-testament; Mircea compose au domaine ses études

pour Viaţa contimporană [«La Vie contemporaine»], Dănuţ y reprend sers «cahiers». Teodoreanu illustre ici une idée

qui lui est chère: celle de l’écriture comme remède à la futilité de la vie, celle de la nécessité de reconstruire la vie en lui

donnant un sens et une forme qui la transcendent. Il écrira plus tard, en 1947: «Car je n’eusse cédé la littérature à

Page 52: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

personne. Dès cette époque je m’étais rendu compte que la littérature, pour celui qui l’a dans le sang, n’est rien d’autre

qu’une manière de vivre. Renoncer à la littérature eût signifié pour moi renoncer à la forme la plus substantielle et

véridique de ma vie. (Je me souviens combien le professeur Ibrăileanu s’était amusé un jour d’une de mes réponses à la

question: "Que faites-vous cet été? Je vais à Medeleni. Où est-ce, Medeleni?" m’a demandé le professeur, persuadé

qu’il s’agissait d’un lieu de villégiature assez modeste. Je lui ai répondu en souriant, le doigt sur le front où était né le projet de roman.)»[36]

4. Le temple.

C’est parce qu’il est le lieu de l’art et de la création que Medeleni est sacré. Ce que veut sauvegarder Mircea Balmuş

comme les vestales le feu divin, lorsqu’il écrit sa longue lettre à Monica [37], ce n’est pas seulement le lieu magique de

l’enfance et de la récréation: c’est l’image littéraire de Medeleni qui s’élabore au fil des pages, au fil de la lect ure que

tous les protagonistes et lui-même construisent en même temps que le lecteur de Teodoreanu. À partir de cette lettre -clé

se développe un mouvement paradoxal du livre: plus le roman fait son chemin, plus Medeleni perd de sa matérialité et devient fictif, jusqu’à disparaître comme domaine et à devenir roman avec le mot "fin".

a. Les épreuves.

• La chute et l’écriture du parcours.

L’entrée dans le temple suppose une préparation, un itinéraire qui est un chemin parsemé d’épreuves. Il faut que Dănuţ

accomplisse plusieurs voyages à Medeleni pour prendre conscience de son projet romanesque, d’abord confus (poème?

nouvelle?). Il incombe à Mircea, qui s’y rend pour la première fois, d’accomplir lui aussi un voyage, d’être «initié à

Medeleni» par Gheorghiţă[38], au terme d’arrêts fréquents du train porteur de lettres, de nouvelles, après la tentation de

la «Dame en rouge», le dégoût et le désir de mort qui la suivent. Durant ce trajet nocturne, Medeleni n’apparaît pas à

Mircea comme une réalité à laquelle il va participer, mais comme un livre qu’il imagine ouvert devant lui et dont il

voudrait vainement voir la fin[39]. Dans les dernières pages du roman («Épilogue»), quand il aura sombré dans

l’horrible routine du foyer domestique et dans la compromission morale et politique, quand il aura abjuré son serment

existentiel bref, quand il sera devenu "philistin" (comme dirait Hegel) et qu’il aura été chassé du temple, le narrateur

dira de lui: «Nici ochii, nici mânile, nu mai întâlneau nimic. Era singur ca după o lectură tragică. În viaţă! Exilat din trecut, din tinereţă, ca dintr-o carte cetită, după cuvântul: fine.»[40]

• L’écriture du feu lyrique.

À Dănuţ incombe une série d’épreuves plus nombreuses et formant un itinéraire initiatique plus nettement marqué. Les

étapes de sa marche dans les ténèbres, lisible à travers tout le roman, avec des envies frénétiques de brûler son corps par

l’exacerbation des sens, de puiser dans tous les livres avant de les brûler et de s e dissoudre[41], alternent avec des

moments fulgurants de révélation, exprimés par des analepses lyriques qui le plongent dans le passé de son enfance,

vers des moments de bonheur liés à la sérénité musicale, à des visions éblouis du printemps; à des courses effrénés

d’enfants blonds dans la lumière des vergers, à des chants de nounous oubliés; ainsi le roman abonde en petits poèmes

en prose qui composent une lancinante musique de fond et une lumière vive brûlant au fond des ténèbres de la vie

comme de brefs éclairs de vita nova.

• L’épreuve du sang.

La véritable «descente aux Enfers» est constituée par le procès pour inceste dans lequel Dănuţ plaide pour la première

fois, où se dissout une famille et où l’enfance sort irrémédiablement souillée [42]. Le jeune avocat surmonte cette

épreuve par l’ermitage, passant une semaine à Durău parmi les moines, attendant l’oubli aux pieds du Mont Ceahlău,

«ca o iarbă deasă, grasă şi înaltă»[43], dans une communion presque physique avec la nature.

• La descente aux Enfers et l’écriture hermétique.

Une autre épreuve que doit subir Dănuţ est celle du «Pavilion», une boîte de nuit de Iaşi où le vice se cache et se terre

dans l’obscurité, et où Puiu passe ses soirées et ses nuits avec des clients et des clientes douteux[44]. C’est un lieu de

passage obligé pour Dănuţ dans son itinéraire initiatique vers le Roman et la Vraie vie, guidé par son compagnon

Mircea: avant de recevoir la lumière dans la «maison aux fenêtres d’or» du directeur deViaţa contimporană, ne doit-il

pas se libérer des entraves des ténèbres? L’épisode est riche en signes participant à une stratégie d’écriture hermétique:

figure labyrinthique d’un cabaret formé de salons particuliers comme de "cellules" presque monacales, près d’un

lugubre pénitencier; jeu d’antithèses expressives, avec la présence contrastée des éléments lumineux et ténébreux, du

novice en posture de «mineur» et faisant corps statuaire avec ses outils (Puiu se moque de Dănuţ en affirmant qu’il est

Page 53: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

«mariée avec sa serviette»[45]), face aux clients-initiés du local nocturne, de la pureté et de la luxure, du lieu clos et de

la fenêtre ouverte par le chant d’Huduba, le vieux Tzigane de Medeleni. Perpessicius note à tort selon nous le "caractère

parasitaire" de l’épisode du tribunal, de la scène du "Pavilion" et des débuts de Dănuţ à Viaţa contimporană; il parle de

"curiosité de construction» et dénonce la «stridence des scènes nocturnes chez le directeur de Viaţa contimporană, qui

ne nous semblent même pas plastiques en elles -mêmes, et qui sont inutiles à la délimitation spirituelle de

Dănuţ.»[46] Pompiliu Constantinescu critique lui aussi l’épisode du "Pavilion" et parle avec une légèreté inexplicable

d’une «visite au cabaret, avec des descriptions inutiles à l’économie du roman» [47]. De tels jugements expéditifs

témoignent d’une profonde méconnaissance de la portée esthétique du dernier volume de la trilogie roumaine et d’une

inexplicable carence herméneutique. Une lecture attentive du texte romanesque montre à l’évidence que Teodoreanu a

voulu consciemment placer l’épisode injustement incriminé dans une perspective orphique[48], et lui donner valeur

d’expérience existentielle préparatoire; à preuve cette courte phrase placée au début du récit: «Dănuţ mergea, mergea,

ca cel din poveste, care nu trebuia să privească în urmă.» [49] Notre analyse argumentée va dans le sens d’une

interprétation initiatique de ce passage de La Medeleni, qui évoque pour nous à plus d’un titre les fantoches de la

Matinée Guermantes à la fin d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, quand le retour de tous les survivants de l’histoire, vieillis, porte le narrateur à méditer sur la mort inexorable.[50]

b. La révélation et le don de lire.

la dernière épreuve subie par le héros de La Medeleni est la visite que Dănuţ rend, accompagné de Mircea, au directeur

de la revue Viaţa contimporană. À l’issue de ce rituel, il connaîtra la révélation par la parole du Sage, sous la forme non

résumable et incessible de l’image (l’Enfer est «o foaie de hârtie plană, cât planeta Venus, pe care scriito rii au devenit

instrumente de scris»[51]), et se libèrera en lui remettant sa part d’ombre, de feu et mort: le manuscrit de La Medeleni.

Cette épreuve finale suit immédiatement un passage préparatoire dans lequel le narrateur évoque le ridicule parc

municipal de Iaşi, auquel touche un jardin merveilleux où l’on entre par une petite porte secrète. [52] Mis en relief par un

parallèle bouleversant avec une scène de peur de l’enfance, dont Dănu¡ se souvient (la traversée nocturne du verger de

Medeleni avec Olguţa et Monica), et par le «reflet» fantastique qu’en donne la lettre de Dănut à sa sœur adoptive,

l’épisode est construit selon les procédés de l’écriture orphique: opposition sémantique de l’ombre et de la lumière, à

travers la nuit noire et les «fenêtres d’or» de la demeure du directeur; éléments du parcours initiatique que sont la porte

hermétiquement close, la clé ouvrant la serrure à la lueur pâle d’une bougie tenue par le guide qu’est Mircea, le long

couloir sombre; enfin éléments évoquant le rite des alchimistes, que sont les tourbillons d’épaisse fumée e t la figure

souterraine et érémitique (l’Hermite des tarots) d’un vieil homme s’exprimant par métaphores et paraboles, comme

surpris dans un athanor:

Şi din această odaie am păşit brusc în viscolul incandescent al odăii cu ferestre luminate. Eram ca într-un fulger de magneziu.[53]

Conclusion

Ainsi l’on voit que La Medeleni, loin d’être le roman d’individus qui se forment, est plutôt, selon la formule de

Constantin Ciopraga, celui de personnages qui s’essaient[54], à travers une série d’épreuves fondamentales, et grâce au

passage par une suite de rencontres symboliques qui nous font classer ce grand roman plus parmi les romans initiatiques

que parmi les Bildungsromans auxquels il emprunte ses traits extérieurs. Mais, avec un héros qui s’essaie par la

littérature, nous irions plus loin en soutenant que le roman de Teodoreanu, au fil de l’histoire qu’il raconte, est rattrapé

dans son projet initial de fresque d’une famille, par celui de récit passionné de sa propre histoire: au propre, Medeleni est peut-être un domaine terrien mesurable en ares et hectares; au figuré, il devient le champ illimité de l’imaginaire.

(Début de chapitre)

(c) Michel Wattremez, 1995

[29] T. F.: «Any, je suis à Medeleni... / Entends ce son plein et épanoui: Medeleni! / On se demande: Est -ce le nom

naturel d’une cloche florentine? D’une source de montagne? D’une cantilène? / ... Au crépuscule, quand les troupeaux

rentrent des alpages, les sonnailles égrènent un gémissement plaintif, par qui se dévoile, syllabe après syllabe:

Medeleni... Medeleni... Medeleni... / Et je crois entendre dans ces voix les cloches des vêpres païennes, par qui les

guérets, les forêts et les sources lamentent la nymphe ou déesse Medeleni... (În casa bunicilor, «Cel din urmă basm», I.)

[30] Drumuri, p. 276.

Page 54: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[31] T. F.: Quand, dans les couloirs aux relents de mauvais tabac et d’urine de la troisième section, il [Dănuţ] avait

entendu résonner le dernier cri de Medeleni, il avait senti dans son cœur voler en éclats le vase où dormait le passé de la famille Dumşa et des enfants Deleanu. Între vânturi, p. 412.

[32] T. F.: La profusion blanche des maisons de la basse-cour, avec celle du milieu large et profonde et dominant toutes

les autres, surgit comme un monastère sans tours ni moines aux yeux de Monica. Hotarul nestatornic, p. 27.

[33] T. F.: Il désira Medeleni des yeux, des narines et des oreilles... Le Medeleni des vacances et de l’enfance. Les

réveils au bruit du verger au chevet, et de l’aube aux fenêtres, comme des buissons de cassis mûr dans le verger.

L’élévation du vol du ciel, vers lequel il te prend d’agiter ton mouchoir. Les longs sautillements des collines,

pourchassés par la meute céleste du soleil... Drumuri, p. 116.

[34] Romain Rolland, Jean-Christophe, II, Le Matin.

[35] Ibidem, pp. 359 sq., p. 388, etc.

[36] I. Teodoreanu, Masa umbrelor, ed. cit., p. 33.

[37] Drumuri, avant-dernier chapitre.

[38] Ibidem, pp. 239-241.

[39] Ibidem, pp. 215-217.

[40] T. F.: Ni ses yeux ni ses mains ne rencontraient plus rien. Il était seul comme après une lecture tragique. En vie! Exilé du passé, de la jeunesse, comme d’un livre lu, après le mot: fin. Între vânturi, p. 404.

[41] Il s’agit ici d’un motif qu’on rencontre assez souvent dans le roman d’adolescence, apparenté en amont au «La

chair est triste, hélas...» mallarméen. Jean-Christophe, le héros de Romain Rolland, passe aussi par cette épreuve à 16

ans, après sa discussion avec Leonhard Euler: désespoir, sensation de mort, envie de métamorphose, fuite dans la

lecture qui laisse une «tristesse mortelle», puis révélation sous forme d’un «éblouissement», comme dans l’ivresse des grands mystiques. (Jean-Christophe, Livre III, L’Adolescent.)

[42] Între vânturi, pp. 133-163.

[43] T. F.: comme une herbe épaisse, grasse et haute Ibidem, pp. 163-164.

[44] Între vânturi, pp. 179-191.

[45] Ibidem, p. 182.

[46] Perpessicus, 12 prozatori interbelici [«12 prosateurs roumains»], Bucureşti: Editura Eminescu, 1980, p. 282.

[47] P. Constantinescu, Opere şi autori ["Œuvres et auteurs"], Bucureşti: Editura Ancora, 1928, p. 96

[48] Sur cette question, voir Marcel Detienne, L’écriture d’Orphée, Paris: Gallimard, 1989.

[49] T. F.: Dănuţ marchait, marchait, comme celui de la légende qui ne devait pas regarder derrière lui. Între vânturi, p.

175.

[50] Sur la Recherche comme roman initiatique, voir Léon Cellier, Parcours initiatiques, Presse Universitaires de

Grenoble, 1977, pp. 118-137, et surtout Chantal Robin, L’imaginaire du "Temps retrouvé". Hermétisme et écriture chez

Proust., Paris: Les Lettres modernes, 1977, coll. "Circé", n° 7. Selon l’auteur, la Recherche possède une structure

orphique; c’est une aventure spirituelle, avec ses différentes étapes mort, descente aux Enfers, résurrection; volonté du narrateur de déchiffrer le «livre intérieur» (Le temps retrouvé, p. 238.).

[51] T. F.: une feuille de papier plane, de la taille de Vénus, sur laquelle les écrivains sont devenus des instruments

d’écriture Între vânturi, p. 219.

Page 55: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[52] Ce passage de Între vânturi évoque Les deux jardins d’Amandine de Michel Tournier, image métaphysique de

l’enfance, et plus particulièrement celui de derrière le mur. Voir le même motif dans Neajlov de Mihail Sadoveanu

(dans Vechime, «D’autrefois», 1938], miraculeux jardin dont l’enfant ne trouve plus l’entrée, et dansLe Grand

Meaulnes d’Alain-Fournier («Le sentier perdu»).

[53] T. F.: Et de cette pièce nous avons passé brusquement dans la tempête incandescente de la pièce aux fenêtres éclairées. Nous étions comme dans un éclair de magnésium. Între vânturi, pp. 212-213.

[54] C. Ciopraga, «Ionel Teodoreanu în retrospectivă» [«I. T. en rétrospective»], in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, 2, ed. N. Ciobanu, Bucureşti: Editura Minerva, 1978, p. 435.

INTRODUCTION

À ce point de notre thèse sur l’art romanesque de Ionel Teodoreanu dans La Medeleni, il convient d’établir un bilan.

Nous avons d’abord montré qu’à l'origine le texte de l’auteur «était écrit en [lui]»1, amplification d’une nouvelle

intitulée Dacă vecinii îmi omoară hulubii [«Si les voisins tuent mes pigeons»]; que la composition et la publication

de La Medeleni avaient eu lieu dans un contexte littéraire roumain favorable au roman de grandes dimensions, mais que

la trilogie avait reçu de la critique surprise et déroutée un accueil généralement hostile. Nous avons vu aussi que la part

d’autobiographie était grande dans ce texte où le romancier parvient habilement à dépasser son expérience historique

personnelle, à jouer avec l’artifice du temps littéraire pour tenter d’évoquer une expérience d’outre -vie, sensorielle et

ineffable -- celle de l’instant primal de l’abricotier en fleurs --, le roman devenant pour Teodoreanu une tentative

d’exorciser sa propre mort. Nous avons démontré enfin que, dans la mise en roman d’un imaginaire très empreint

d’expériences historiques et sensitives , et qui empêchent sa fossilisation, il y avait volonté évidente chez l’écrivain

roumain de mêler harmonieusement ces deux types d’approche du monde, dans une «contopire de viaţă şi de basm» 2.

Ainsi on a vu que l’art romanesque de Teodoreanu visait à explorer une double dimension de l’enfance: d’une part, sa

psychologie mouvante, à travers ses jeux, ses actes, ses rites déroutants -- bref, sa figuration; d’autre part, son

expérience orphique, son lien religieux à la matière, aux choses et aux mots -- en somme, son pouvoir illimité

de transfiguration. On a enfin défini cet art, caractérisé par le mouvement, le contrepoint, la variété à la fois de

construction, de motifs narratifs , de modes de liaison, ainsi que par la capacité originale d’individualiser des caractères

naissants.

Question de l’imagisme medeleniste.

Mais s’il est un aspect formel et fondamental de la trilogie medeleniste qui a suscité les plus sérieuses réserves et

engendré les plus vives critiques en Roumanie depuis 1925, date de la parution de Hotarul nestatornic, c’est bien celui

de l’image. À ce titre, il faut signaler que l’arrivée de Ionel Teodoreanu dans le champ littéraire roumain est perçue par

ses contemporains sous le signe de la prolixité. Un cortège de surnoms plus ou moins exotiq ues naît de la plume des

critiques: "millionnaire d’images" selon Caton, auteur de plusieurs interviews de notre romancier3, "nabab des images"

selon Ion I. Cantacuzino4, "maharadjah incontesté de la métaphore roumaine" d’après Alexandru Philippide5, "imagier

virtuose" évoluant «dans un univers de métaphores, qu’il invente avec plus ou moins de nécessité à propos de tout et de

rien», d’après Basile Munteano6. Reprenant l’expression de Taine, Tudor Vianu voit en Teodoreanu "un polypier d’images"7, et Eugen Lovinescu un "poète lyrique, habile imagiste, et métaphoriste incorrigible" 8.

L’imagisme romanesque des années 1920.

Seul parmi les contemporains de Ionel Teodoreanu, Alexandru Philippide a le mérite de replacer le problème du

métaphorisme medeleniste dans le contexte de l’histoire littéraire. Selon l’auteur de Aur şterp ["Or stérile"], la "tempête

imagistique" est un phénomène culturel propre aux années 19209, présent déjà, certes, chez certains romantiques

français, mais peu marquant chez les classiques roumains de la fin du XIXe siècle, rarement enclins, comme Eminescu

et Caragiale, à l’excès métaphorique.10 Et Philippide conclut sur l’époque contemporaine: «Chez nous l’imagisme

apparaît comme une véritable obsession. Modéré et nécessaire dans les romans poétiques de Mihail Sadoveanu,

équilibré mais présent sans cesse, chez Rebreanu, sous forme d’éruptions, et témoignant toujours d’un étiolement de

l’invention chez Cezar Petrescu, faisant s’enliser parfois les monologues intérieurs des héros de Gib Mih ăescu, le métaphorisme inonde et accable l’œuvre de Ionel Teodoreanu [...]».11

Page 56: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Le métaphorisme teodorenien fustigé.

Les nombreux reproches adressés à l’auteur de La Medeleni visent essentiellement l’excès de métaphores. Ainsi Ion I.

Cantacuzino reproche à Ionel Teodoreanu «son verbiage métaphorique [...] étincelant, stupéfiant, merveilleux» 12, un

métaphorisme outrancier et qui vise, par un équivalent grammatical, à rendre perceptible la sensation, mais qui,

employé «comme méthode d’expression analytique», creuse toujours plus le gouffre sans fond en accumulant à l’infini

les comparaisons ineffables et redondantes13. Şerban Cioculescu dénonce lui aussi «un excès métaphorique qui force

l’admiration mais aussi le découragement»14, et George Călinescu un total manque de maîtrise dans l’emploi du trope:

«Il est ampoulé, truculent, pathétique, absurde, verbeux, métaphorique et pléthorique. Tout comme un train qui continue

à glisser sur ses rails en vertu de la force d’inertie, après que les moteurs ont été coupés, l’écrivain voyage longtemps

au-delà de l’idée, sur le vide des mots.»15 Enfin, et plus récemment, Silvia Tomuş juge sévèrement l’imagisme

medelenien et effleure plutôt le problème de la métaphore jubilatoire.16

La critique roumaine fustige également les défauts corollaires de cet excès métaphorique. Ainsi Anton Holban oppose

«le style enrubanné de Ionel Teodoreanu» à la sobriété de Gide et de Pascal17, tandis que Cioculescu voit dans l’abus

de métaphores «une manière essentiellement anti-romanesque».18 Mihail Dragomirescu va jusqu’à parler de

gongorisme19. Constantin ªăineanu fustige «l’abus de préciosité voulue et d’images et comparaisons artificielles» 20.

Gheorghe Bogdan-Duică, enfin, dénonce dans Hotarul nestatornicl’incongruité et le maniérisme de maintes

comparaisons et métaphores21, et Nicolae Davidescu, dans le troisième volume de la trilogie, le «cancer du

surpolissage des images dissociées»22.

Apologie relative.

Par rapport au problème de l’imagisme de La Medeleni, d’autres voix s’élèvent dans les années 1920, un peu plus

favorables à Teodoreanu. Romulus Dianu, le plus réticent, lui reconnaît une imagination authentique mais languide;

notre romancier, selon lui, est «Un poète imagiste, minutieux dans l’écriture de sa poésie, une sensibilité vive et

impressionnable, une intelligence qui a recueilli et emmagasiné une foule d’icônes d’une vie vécue, mais en aucun cas une imagination puissante. À peine peut-être une fantaisie décorative.»23.

Selon le célèbre stylisticien Tudor Vianu, originalité, vigueur mais aussi excès, caractérisent l’art de l’image

teodorenienne: l’originalité des images est incontestable chez l’auteur de La Medeleni, mais, pléthoriques, elles

s’affaiblissent et perdent ainsi leur vertu libératrice: Teodoreanu tombe souvent dans le travers de l’imagisme; son esprit lasse celui du lecteur malgré un «bouillonnement de vie» incontestable et enthousiasmant.24.

Enfin, plus récemment, Marian Popa reprend la thèse de Vianu sur la richesse de l’imagisme teodorenien, qui lasse par

saturation du procédé. Mais il insiste de façon nouvelle sur la fonction humoristique et comique de la métaphore, par

effet d’accumulation, et sur son développement dans le système de la rhétorique baroque et précieuse 25.

Défense de Suchianu.

Un seul critique abonde entièrement dans le sens que Teodoreanu entend peut-être donner à son système d’images.

Dans cette perspective d’éclaircissement et de réhabilitation, la thèse de Suchianu est fondamentale.26 Dans ce texte

très intelligent et stimulant pour l’esprit, l’essayiste roumain tente d’appréhender de façon nouvelle le problème de la

métaphore teodorenienne, ses fonctions narrative et gnostique, dans une perspective bergsonienne. Suchianu voit en

Teodoreanu un illustrateur du surréalisme littéraire - en ceci que chez le romancier roumain le moi ne s’imprime plus

dans l’objet mais dans le moi lui-même -- ainsi qu’un précurseur de la Lanterne tchèque des années 1960, par

l’utilisation du polyimagisme pour attaquer la réalité sous tous ses angles.

Problématique.

À partir de cet examen critique, on voit clairement se répéter, tout au long de la réception critique de La Medeleni en

Roumanie, le reproche d’excès métaphorique, même si certains dénoncent ce travers en même temps qu’ils notent

l’originalité, l’humour, la vivacité et l’arborescence de l’image teodorenienne. Même les plus enthousiastes défenseurs

de notre écrivain, comme Garabet Ibrăileanu et Perpessicius, ne lassent pas de lui demander «un décantage de la métaphore»27.

Afin d’émettre un jugement le plus objectif possible, nous nous proposons donc, dans cette quatrième partie, d’étudier

de façon synthétique et complète les images du roman La Medeleni.28 Un relevé en a été établi, et leur nombre s’élève

à 752 pour l’ensemble de la trilogie. Évidemment, on s’es t limité aux images littéraires29, c’est-à-dire aux tropes

expressifs, chargés par l’écrivain d’une valeur intentionnelle, en négligeant les images lexicalisées, les catachrèses,

Page 57: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

certains clichés, certains tropes répétés, dans la mesure où ces figures ne caractérisent pas l’écriture de La

Medeleni. Néanmoins, notre inventaire est très largement représentatif; il donne une idée claire de l’image littéraire

teodorenienne dans la trilogie, et permet d’identifier sans risque d’erreur les grandes tendances stylistiques de l’écrivain

roumain.

Avant tout, ce qui surprend à l’examen de la grille de répartition des images dans les trois volumes de La

Medeleni (Tableau I), c’est le nombre global élevé des tropes: 752 pour 1365 pages, soit en moyenne une image toutes

les 1,8 pages. Les statistiques sembleraient confirmer le grief unanime d’imagisme lancé par la critique roumaine à

l’encontre de la trilogie. La densité d’images est maximale dans Drumuri, moyenne dansHotarul nestatornic, et plutôt

basse dans Între vânturi; mais ce volume contient des scories: clichés, redites, images banales, usées, et non retenues.

Quantitativement, donc, la proportion d’images n’est guère différente d’un volume à l’autre de La Medeleni; s’il est une

évolution à relever à ce propos, elle ne peut être que qualitative.

I -- Répartition des images dans La

Medeleni.

Total Volume 1 Volume 2 Volume 3

N. de pages 1365 382 562 421

N. d’images 752 233 226 293

Rapport 1/1,81 1/1,64 1/1,249 1/1,44

Ce que révèlent aussi les statistiques concernant les images de la trilogie roumaine, d’un point de vue taxinomique, c’est

la prédominance de la comparaison, avec 525 cas sur 752 (soit 70 %), largement devant la métaphore (161 cas, soit 21

%) et les autres tropes. Ces chiffres du tableau II confirment l’opinion de Garabet Ibrăileanu, qui remarquait dès la

sortie de La Medeleni: «Dans l’expression de M. Ionel Teodoreanu se cache presque toujours un "comme", réalisé soit

par simple comparaison, entière ou abrégée en métaphore, soit par l’épithète métaphorique, ou par la comparaison radicale dite transposition de sensations.»30

II -- Types d’images dans les trois

volumes.

TYPE Total Volume 1 Volume 2 Volume 3

Comparaison 527 146 162 219

Métaphore 161 55 49 57

Métonymie 6 1 4 1

Périphrase 22 9 4 9

Allégorie 2 0 1 1

Personnification 34 20 5 9

Page 58: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

La proportion de comparaisons et de métaphores ne varie guère d’un volume à l’autre de la trilogie. En revanche,

chaque roman est caractérisé par un type particulier d’image: personnification dans Hotarul nestatornic, métonymie pour Drumuri et comparaison pour Între vânturi.

Ce qu’indiquent enfin les données statistiques de notre étude, c’est la grande variété des champs iconiques de La

Medeleni (graphique III), avec toutefois des domaines caractéristiques: l’importance majeure du champ de l’étrange (si

l’on cumule les images insolites, mystérieuses et mystiques) et de l’élémentaire (au sens ancien du terme), puis l’importance relative du domaine végétal et plastique.

III -- Principaux champs iconiques de La Medeleni.

Page 59: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Mais la visée de cette étude n’est pas quantitative: il s’agit pour nous, plus que d’analyser la répartition des images du

roman et de mettre en évidence des proportions statistiques, de mesurer avec précision, d’un point de vue qualitatif, l’expressivité de l’image medeleniste.

Dans un premier chapitre, il sera intéressant d’étudier les tropes de La Medeleni d’abord d’un point de vueconfiguratif,

en s’attachant à leur position dans le texte romanesque, afin de mettre en évidence les effets stylistiques obtenus; puis, dans un second chapitre, d’un point de vue volumique, depuis les images en raccourci jusqu’à la constellation iconique.

Dans un troisième chapitre, nous étudierons les fonctions de l’imagisme teodorenien, pour mettre en évidence de façon

précise les rapports entre sensation et image, et pour dégager les significations majeures du roman à partir des

principaux champs iconiques présents dans l’œuvre: humoristique, végétal, élémentaire...

Une telle analyse, jamais entreprise à ce jour, nous permettra de juger le système des images de Ionel Teodoreanu dans

son ensemble, et d’appréhender leur fonction cohésive à l’intérieur du texte, au lieu de les épingler de façon séparée et arbitraire comme ont pu s’y risquer certains..

Nous espérons ainsi pouvoir répondre, au terme de la recherche, à la question centrale que pose l’art romanesque de

Ionel Teodoreanu dans La Medeleni: qu’est-ce qui finalement caractérise son imagisme tant décrié et le rend original dans l’histoire de la prose roumaine?

Ionel Teodoreanu -- Petit dictionnaire précieux

A. Images définitoires

Noms communs

banda (la bande du télégraphe):

tainicul funicular cu care urcă şi coboară cuvintele de prin văzduh...

le mystérieux funiculaire par où montent et descendent les mots à travers l’air

La Medeleni, 1, p. 9.

bătrâneţa (la vieillesse):

un permanent de viaţă în ziua expirării

un abonnement à vie le jour de son expiration

La Medeleni , 3, p. 216.

bihunca (la carriole):

sicriu cu patru roţi

cercueil à quatre roues

La Medeleni , 2, p. 342.

contemplaţia mistică (la contemplation mystique):

acea divină sugătoare de suflete, preparată de religii

ce divin buvard des âmes, confectionné par les religions

La Medeleni, 3, p. 172.

Page 60: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

dinte [un singur dinte] (dent [une seule dent]):

semn alb de exclamaţie pe întunericul gurii

signe d’exclamation blanc dans l’obscurité de la bouche

La Medeleni, 2, p. 73.

fecioară (vierge):

în limbaj bancar, nouă emisiune

en langage bancaire, nouvelle émission

La Medeleni, 3, p. 182.

infernul (l’enfer):

o foaie de hârtie plană, cât planeta Venus, pe care scriitorii au devenit instrumente de scris

une feuille de papier plane, de la taille de Vénus, sur laquelle les écrivains sont devenus des instruments d’écriture

La Medeleni, 3, p. 219.

locomotiva (la locomotive):

peşteră de iad

caverne d’enfer

La Medeleni, 3, p. 32.

muscali[lor]31 (les cochers):

eunuci cu hăţuri ai haremului cu roţi de cauciuc

eunuques à rennes du harem à roues de caoutchouc

La Medeleni, 2, p. 182.

norii (les nuages):

ultimii nomazi

les derniers nomades

La Medeleni, 3, p. 329.

scrisoarea (la lettre):

această simplă portiţă de hârtie, familiară tuturor degetelor

ce simple portillon de papier, familier à tous les doigts

La Medeleni, 3, p. 294.

septembre (septembre):

cheiul soarelui, când se îmbarcă toamna

le quai du soleil, quand l’automne est en partance

La Medeleni, 3, p. 328.

somnul vântului, freamătul plopilor,

dulceaţa teiului (le sommeil du vent, le frissonnement des peupliers, la douceur du tilleul):

delicaţii oaspeţi cari niciodată nu vin pe uşă

les hôtes délicats qui n’entrent jamais par la porte

Page 61: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

La Medeleni, 2, p. 104.

toamna (l’automne):

corabie de aur plutind cu pânzele de nouri în depărtările albastre

bateau d’or flottant de ses voiles de nues dans le lointain bleuté

La Medeleni, 2, p. 522

tramvaiul ieşan (le tramway de Iaşi):

celalalt vierme cu roţi

l’autre ver à roues

La Medeleni, 3, p. 297.

ţăranii (les paysans):

clienţi în perioada de incubaţie

clients en période d’incubation

La Medeleni, 3, p. 119.

vrăbiile (les moineaux):

aceşti veşnici creditori înaripaţi ai cailor

ces éternels créditeurs ailés des chevaux

La Medeleni, 3, p. 359.

Noms propres

America (l’Amérique):

un fel de epilepsie a libertăţii

une sorte d’épilepsie de la liberté

La Medeleni, 3, p. 54.

Eminescu:

omul acela care avea o bucată de cer în loc de frunte

cet être qui avait un bout de ciel en lieu de front

La Medeleni, 3, p. 207.

Eminescu, Alecsandri, Creangă, Panu:

aceşti stejari ieşeni, aceşti plopi ieşeni, aceşti brazi ieşeni, spre care ţara să se’ndrepte în procesiuni evlavioase

ces chênes de Iaşi, ces peupliers de Iaşi, ces sapins de Iaşi, que le pays puisse rejoindre en pieuses processions.

La Medeleni, 3, pp. 194-195.

Haralamb Scrobohaci:

credincioasă ploşniţă a familiei Deleanu

fidèle punaise de la famille Deleanu

La Medeleni, 3, p. 129.

B. Périphrases

Page 62: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Noms communs:

abeilles: steluţe aromate, petites étoiles parfumées, La Medeleni, 1, p. 26.

abricots: aromatele mărgăritare leneşe ale frunzişurilor verzi, les moelleuses perles parfumées des vertes frondaisons,

La Medeleni, 2, p. 257.

automne: porţile prin care se duc vacanţele copilăriei, les portes par où s’en vont les vacances de l’enfance

La Medeleni, 2, p. 491.

bordels: acele lugubre încăperi, adevărate closete publice ale sexualităţii urbane, ces lugubres loges, véritables toilettes

publiques de la sexualité urbaine. La Medeleni, 3, p. 372.

café: bruna furtună din farfurioară, la brune tempête de la soucoupe, La Medeleni, 1, p. 211.

clair de lune: braţul de marmură al lunii, rupt din umăr, le bras de marbre de la lune, arrachée à son épaule

La Medeleni, 3, p. 21.

crépuscule: clipa când nimeni nu îndrăzneşte să aprindă lumânările sub t ochii zilei care vede încă, l’instant où nul n’ose

allumer les chandelles sous les yeux du jour qui voit encore, La Medeleni, 1, p. 74.

grenouilles: noroadele mucegăite, la gent moisie, La Medeleni, 1, p. 186.

œillet: roşul luceafăr al dedeochiului, le luceafăr32 rouge du mauvais œil, La Medeleni, 1, p. 18.

sieste: molohul după-amiezelor copilăreşti, le Moloch des après-midis enfantins, La Medeleni, 1, p. 32.

voiture automobile: molohul kilometrilor, le Moloch des kilomètres, La Medeleni, 1, pp. 144-145. nelegiuirea-cu-roţi

la mécréante à roues, La Medeleni, 1, p. 144. căruţa dracului, la charrette du diable, La Medeleni, 1, p. 202.

Noms propres

Iorga (Nicolae): «kilovatorul istoriei», «le kilowattheure de l’histoire», La Medeleni, 2, p. 71.

Nelson (amiral): aceluia care primi spada înfrântului Napoleon, [de] celui qui reçut l’épée de Napoléon vaincu,La

Medeleni, 1, p. 27.

Roumains: sugacii Lupoaicei, les nourrissons de la Louve, La Medeleni, 1, p. 222.

Villon (François): un păcătos trup de om, mânat de vânturi, un pauvre pécheur emporté par le vent, La Medeleni, 3, p.

73.

__________

1. I. Teodoreanu, Masa umbrelor ["La Table des ombres"], Iaşi: Editura Junimea, 1983, p. 39.

2. T. F.: fusion de vie et de légende - Între vânturi, p. 549.

Page 63: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

3. Caton, "O confesiune a romancierului Ionel Teodoreanu. Cum a devenit scriitor; cum şi de ce scrie" ["Une

confession du romancier Ionel Teodoreanu. Comment il est devenu écrivain; comment et pourquoi il écrit"],

Bucureşti, Adevărul, XLIX, 1935 (15932), p. 9.

4. Ion I. Cantacuzino, "Ionel Teodoreanu", Bucureşti, România literară, I, 1932 (8), p. 3.

5. A. Philippide, "Metaforismul, boala modernă" ["Le métaphorisme, maladie moderne"], in Scrieri, 3,Studii şi

eseuri ["Écrits", 3, "Études et essais"], Bucureşti: Editura Minerva, 1978, p. 297.

6. B. Munteano, Panorama de la littérature roumaine contemporaine , Paris: Éditions du Sagittaire, 1938, p. 252.

7 . T. Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Contemporană,

1941, p. 371.

8. E. Lovinescu, Istoria literaturii române contemporane ["Histoire de la littérature roumaine contemporaine"],

IV, Bucureşti: Editura Ancora, 1928, p. 149.

9. Giono, Giraudoux, Morand en France; Minulescu en Roumanie. Voir Perpessicius, 12 prozatori

interbelici ["12 prosateurs de l’entre-deux-guerres"], Bucureşti: Editura Eminescu, 1980, p. 284.

10. A. Philippide, op. cit., pp. 296-297.

11. Ibidem, p. 297.

12. I. I. Cantacuzino, loc. cit.

13. Loc. cit.

14. Ş. Cioculescu, "Romanul românesc 1933" ["Le roman roumain 1933"], Revista Fundaţiilor Regale, I, 1934

(2), p. 458.

15. G. Călinescu, "Ionel Teodoreanu", Gândirea, VIII, 1928 (1), p. 34. .

16. S. Tomuş, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei ["Ionel Teodoreanu ou la Joie de la métaphore"], Cluj:

Editura Dacia, 1980.

17 . "Dl Anton Holban despre sine însuşi" ["M. Anton Holban à propos de lui-même", interview de Zaharia

Stancu], Bucureşti, Naţionalul nou, I, 1934 (127), p. 2.

18. Loc. cit.

19. M. Dragomirescu, "Mişcarea literară actuală" ["Le mouvement littéraire actuel"], Falanga, 1929 (56-57), p. 1.

20. C. Şăineanu, "La Medeleni, roman de Ionel Teodoreanu", Adevărul, XXXIX, 1926 (13006), p. 2, ("Le bulletin

du livre").

21 . G. Bogdan-Duică, "Ionel Teodoreanu, La Medeleni, I", Cluj, Naţiunea, I, 1927 (190), p. 2.

22. N. Davidescu, "Între coeficient şi număr _ Ionel Teodoreanu: Între vânturi" ["Entre coefficient et

nombre..."], Universul literar, XLIV, 1928 (1), p. 10 ("Chronique littéraire").

23. R. Dianu, "Ionel Teodoreanu, La Medeleni, Hotarul nestatornic", Rampa, XI, 1926 (2556), p. 1 ("La vitrine

du livre roumain").

24. T. Vianu, op. cit., p. 370.

25. M. Popa, "Medelenii sau starea de vacanţă" ["Medeleni ou l’état de vacance"], in Ionel Teodoreanu, La

Medeleni, 1, Hotarul nestatornic, Bucureşti: Editura Albatros, 1970, pp. 29-32. Voir aussi la monographie de

Nicolae Ciobanu, Ionel Teodoreanu, viaţa şi opera ["Ionel Teodoreanu, sa vie et son œuvre"], Bucureşti:

Editura Minerva, 1970, 267 pages, qui se termine par une étude intéressante mais peu approfondie de la

métaphore teodorenienne ("Incursions dans les structures du style medeleniste").

26. D. I. Suchianu, "Dulce prietenul meu, Ionel Teodoreanu" ["Mon doux ami, Ionel Teodoreanu"], Viaţa

Românească, 1974 (3), pp. 24-32.

27 . Perpessicius, 12 prozatori interbelici ["12 prosateurs d’entre-deux-guerres"], Bucureşti: Editura Eminescu,

1980, p. 284.

28. Perpessicius relevait déjà en 1928 «l’intérêt qu’aurait -- et certainement cela adviendra un jour -- un registre

de toutes les métaphores de la trilogie de M. Ionel Teodoreanu.» (loc. cit.). Nous avons esquissé ce travail en

donnant ci-après un bref répertoire intitulé Ionel Teodoreanu -- Petit dictionnaire précieux; il donne à titre

indicatif la liste des images définitoires (métaphores in præsentia) contenues dans La Medeleni. Voir infra.

29. Nous donnons à ce syntagme le sens de Bernard Dupriez: «procédé qui consiste à remplacer ou à prolonger un

terme -- appelé thème ou comparé et désignant ce dont il s’agit ‘au propre’ -- en se servant d’un autre terme,

qui n’entretient avec le premier qu’un rapport d’analogie laissé à la sensibilité de l’auteur et du lecteur».

(Gradus. Les procédés littéraires, Paris: Union générale d’Éditions, 1984, coll. "18-18" 1370, p. 242.)

Page 64: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

30. G. Ibrăileanu, "Ionel Teodoreanu, La Medeleni", Viaţa Românească, XVIII, 1926 (9). Cité d’aprèsStudii

literare ["Études littéraires", 1, Bucureşti: Editura Minerva, 1979, p. 450.

31 . Muscal: Moscovite, nom donné autrefois au cocher d’un fiacre de grande remise.

32. Nom populaire de Vénus et de diverses étoiles du soir et du matin.

L’ART DE LA POINTE

Introduction.

L’étude topographique des images de La Medeleni donne des résultats très significatifs. On a établi un classement des

tropes selon leur position dans le texte du roman roumain: au niveau du paragraphe d’abord (début, milieu, fin), puis au niveau de la partie (début ou fin de chapitre ou d’une partie de chapitre).

Le tableau IV laisse d’abord apparaître une proportion importante de tropes situés en milieu de paragraphe (291 au total,

soit 39% des images); mais il s’agit d’une position neutre dans la topographie textuelle, d’une espèce de position zéro

de l’image, sans valeur marquée: c’est pourquoi l’étude négligera ces tropes.

Les autres positions, ensuite, sont faiblement représentées (début et fin de partie, respectivement 1% et 5%, début de

paragraphe 2%); mais ce nombre restreint est relativisé, pour les deux premières positions, par le fait que l’unité narrative de la partie est beaucoup moins fréquente que celle du paragraphe.

Le tableau IV permet enfin un constat sans équivoque: 399 images sur les 752 de La Medeleni se situent en fin de

paragraphe, cette position étant privilégiée dans Drumuri (132 tropes sur 226, soit 53%). Si l’on cumule ces images

avec les tropes situés en fin de partie, donc aux "points stratégiques du texte" 1, on obtient 58% d’images en position de

clausule pour l’ensemble de La Medeleni, avec un maximum dans Drumuri (63%), 59% pour Hotarul nestatornic et 54% pour Între vânturi.

IV -- Position des images dans les trois volumes.

Total Volume 1 Volume 2 Volume 3

Début de paragraphe 14 10 2 2

Milieu de paragraphe 291 78 80 133

Fin de paragraphe 399 123 132 144

Début de partie 8 7 1 0

Fin de partie 40 15 11 14

Page 65: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

I. Images en position initiale.

Le tableau ci-dessus montre qu’il s’agit là, pour les tropes du roman La Medeleni, d’une position assez rare, tonique, et

qui correspondrait, au niveau du paragraphe, à ce qu’est la mesure trochaïque au niveau du vers.

1. En début de partie.

Cette position des images à l’incipit caractérise Hotarul nestatornic. Dans le premier volume de la trilogie, en effet, se

révèle la volonté manifeste de Ionel Teodoreanu d’ouvrir de façon surprenante les séquences ou les épisodes de la

matière romanesque, en attirant, par une manière de coup de cymbale, l’attention du lecteur sur les moments forts de la

trame narrative. En même temps se manifeste, dans ce livre sur l’aurore d’une vie qu’est l’enfance des trois héros

medelenistes et sur "le matin de la génération qui avait vingt ans" avant la Grande guerre2, le désir d’éblouir et de

séduire ce même lecteur en introduisant les grandes unités narratives du roman, chaque fois que c’est possible, par un

élément lumineux et fascinant.

Ainsi, l’épisode de la visite de Monica et d’Olguţa à moş Gheorghe débute par une personnification très colorée, où

domine le rouge: «Rochiţa albastră şi rochiţa roşie înfloriră drumul alb de-a lungul, când iată că rochiţa roşie se

opri.»3 L’épisode de la mort du vieil homme, à la fin de Hotarul nestatornic, comprend une séquence crépusculaire,

marquée par la même couleur, et qui commence par une comparaison mystique et sonore: «Ca un "Hristos a înviat"

rostit de preot şi apoi de mii de guri, roşeaţa soarelui -- din nor în nor, din zare în zare -- iluminase cerul.»4 Toujours

dans le registre lumineux, le premier chapitre de la seconde partie du volume débute en forme de sonate automnale par

une image solaire très plastique: «Ca dintr-un cantalup ţinut la gheaţă, delaoltă cu lumina soarelui, intra răcoarea prin

ferestrele deschise: venise toamna.»5, à laquelle répond, à la fin du chapitre, comme deuxième élément de cadre,

l’image nocturne de la lune, dans une métaphore de lumière mouvante: «Cu foşnetele toamnei şi ţârâitul greierilor, balul

alb al lunii ondula pe la fereşti.»6

2. En début de paragraphe.

Ici encore, c’est principalement dans Hotarul nestatornic qu’apparaissent les rares images en début de paragraphe. Il

s’agit d’une position d’attaque, et qui surprend le lecteur par le tempo allegro, dominant dans le premier volume de La Medeleni. Les images gagnent alors en mouvement et en intensité.

a. Fonction intensive du trope.

Page 66: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

En effet, la fonction du trope en position initiale, associé à l’imparfait duratif du reste de la phrase, est d’abord

intensive. L’image sonne dès l’entrée du segment narratif minimal qu’est le paragraphe, puis résonne profondément

jusqu’à sa fin; elle sert en quelque sorte de note dominante à l’ensemble du segment. Deux exemples illustrent cette

fonction intensive de l’image à l’initiale de paragraphe: d’une part la comparaison méd iévale de Dănuţ surpris par sa

mère dans son sommeil, «Ca un copil de casă adormit la picioarele unei albe castelane al cărei evantai de pene albe îi

lumina somnul.»7, d’autre part, dans Între vânturi, l’image très vibrante d’Adina Stephano telle qu’elle paraît aux yeux

de Monica déçue: «-- Adina. Ca un vânt aspru prin vitralii sparte. Şi sufletul se umplu de umed amar.»8

b. Valeur dynamique de l’image.

La seconde fonction de l’image en début de paragraphe est surtout dynamique. Associé à une action brève, instantané,

du reste de la phrase, le trope permet une avancée narrative plus nettement marquée. Il en est ainsi pour le cerf-volant de

Dănuţ: «Ca un delfin pe valul mării, zmeul se dăduse peste cap...»9, pour la carriole où se trouve celui-ci dans la scène

de la course: «Cu trupul lung şi zvelt de libelulă, bihunca răsări în rând cu trăsura, gata s -o întreacă.»10, pour le café sur

la soucoupe d’Olguţa dans Hotarul nestatornic: «Bruna furtună din fărfurioară azvârli un val şi pe faţa de masă.»11 ou

pour le camion qui emporte les meubles du domaine vendu aux Bercale à la fin de Între vânturi: «Arătare antideluviană,

imensificată de colb, camionul porni, ducând rămăşiţele gospodăriei de la Medeleni.» 12

II. Images en position finale.

1. Tropes en fin de partie.

L’étude exhaustive des tropes de La Medeleni montre l’attrait que représentent pour Teodoreanu les images situées dans

cette position en clausule.13 S’il faut apporter une preuve de ce goût de l’image qui fait mouche, on sait par exemple

que l’image finale du premier chapitre de la trilogie est, de toute évidence, déjà trouvée par l’écrivain avant que le texte

soit entièrement rédigé, puisqu’il la griffonne très tôt dans son manuscrit.14Notre romancier travaille donc d’une

manière assez proche de celle de Flaubert dans Madame Bovary.15Parmi les 40 occurrences de tropes occupant cette

position privilégiée, ce sont les comparaisons qui dominent, harmonieusement réparties entre les trois volumes.

a. Fonction narrative et rythmique des clausules imagées.

Naturellement, ces images ont d’abord une valeur de conclusion narrative par rapport à l’action de la séquence où elles

se situent. Olguţa a reconduit Rodica chez ses parents à Iaşi, après qu’elle a appris ses frasques avec Dănuţ; l’épisode se

clôt par une comparaison à valeur conclusive fermement marquée: «Automobilul porni brusc, ca un pumn.» 16 Dănuţ

vient de descendre à l’aube en gare de Medeleni, après une nuit d’amour avec Adina dans le train de Bucarest: «Şedea locului, dezorientat, străin, ca un bagaj fără de stăpân, debarcat din greşală într-o gară necunoscută...»17

C’est donc ici la fonction rythmique de l’image en clausule qui est en jeu: comme l’écrit Elisabeth Cardonne -Arlycke à

propos de l’œuvre romanesque de Julien Gracq, le trope dans cette pos ition marque l’alternance des temps forts du récit,

d’une part, et, d’autre part, des temps faibles ou "eaux basses de l’information"18.

b. Les pointes poétiques.

À l’excipit, l’image fonctionne aussi comme une pointe poétique, soit par périphrase esthétique (l’œillet

quemoş Gheorghe enfonce dans la chevelure d’Olguţa est «l’étoile rouge contre le mauvais œil» 19, la sieste «le Moloch

des après-midi enfantines»20, le crépuscule «l’instant où nul n’ose allumer les cierges sous les yeux du jour qui voit

encore»21), soit par allégorie22, ou le plus souvent par comparaison. Ainsi les corps amoureux de Dănuţ et d’Adina se

débattent «comme les deux grandes ailes du même vol millénaire»23, Olguţa et Vania «s’illuminent dans l’étreinte du

premier baiser, comme dans le rêve d’un jeune dieu»24, tandis que Mircea, platoniquement amoureux d’Olguţa, «se

penche ardemment au-dessus du futur, comme un arc-en-ciel en sa plénitude au-dessus de la mer»25, et que Dănuţ

s’endort au petit matin sur une belle comparaison finale en cadence majeure, très recherchée, à la limite du concetto: «Şi

încet-încet, treptat-treptat -- cum se topesc în viteza neagră rândurile unei scrisori de dragoste, arsă în mână -- sufletul

lui Dănuţ se-ntunecă de somn, până când trupul, cu o delicată destindere, se despărţi de suflet, rămânând singur, ca mâna din care a picat în flăcări o cenuşă.»26

c. Valeur intensive et résumative des clausules imagées.

En fin de partie, les images de La Medeleni ont aussi parfois une valeur intensive, soit qu’elles évoquent la quintessence

d’un moment très fort, par exemple celui du déjeuner de Herr Direktor, quand Dănuţ accompagne son oncle paternel:

«Aroma cantalupului plutea răcoroasă deasupra arşiţei de varză ardeiată, ca un curcubeu al fericiţilor.» 27, soit qu’elles

Page 67: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

résument une ambiance, une atmosphère, comme le calme religieux régnant dans la maisonnette de Vania à Bălţi:

«Spinarea neclintită ca un scut înfipt, ascundea orice mişcare. Dar tăcerea era atât de mare, încât se auzea, ca un ţârâit

de greier depărtat, vârful peniţei alunecând pe hârtie.»28, comme la tristesse de Herr Direktor et des enfants après le

retour de la chasse à la grenouille à l’Étang du Poulain: «Aburii borşului pictară nostalgii pe feţele înfometaţilor.» 29, le

silence rituel du dîner à la fin du même épisode et du chapitre, avec une personnification réussie: «În tăcerea deplină,

vorbiră numai lingurile, greierii şi ochii cânilor.»30, ou encore, dans une identification originale et très plastique,

l’irrisation mélancolique de la pluie printanière, quand Dănuţ conduit Monica en voiture à la maison de Iaşi, après son retour de Paris: «Şi-n lumina farurilor, până departe, ploaia era un joc de iele argintii.»31

d. Les clausules révélatrices de boucles.

Une autre fonction des images en fin de partie est de révéler de façon très marquée les phénomènes de boucle. Le

marquage est d’autant plus fort que le trope constitue habituellement une mise en relief des termes propres, et que la fin

de partie représente un moment crucial de la trame narrative . Il en résulte un effet de point d’orgue très puissant. Ainsi

une personnification audacieuse boucle le premier segment du chapitre Robinson Crusoepar récurrence de l’ondée,

donnant au paysage automnale de Medeleni un aspect névrotique et obsessionnel: «Ploaia vorbea singură ca o

cerşetoare nebună.»32; ainsi, dans la scène du dernier petit déjeuner de Dănuţ à Medeleni, avant le départ pour le

pensionnat de Bucarest, la comparaison antithétique en clausule renvoie à la présence royale de la bouilloire en dé but de scène: «În tăcerea deplină, samovarul bufnea şi şuiera ca o ironică locomotivă.»33

e. Valeur dramatique des tropes à l’excipit de partie.

Une dernière fonction de l’image medeleniste en fin de partie est de renforcer le côté dramatique des situation s

narratives. Le trope est utilisé alors par Teodoreanu comme moyen de prolonger et de sublimer un lent tressaillement où

viennent se mêler douleur et volupté. Ainsi le second chapitre de Drumuri se clôt par une comparaison cruelle, celle où

Olguţa fond en larmes au-dessus de la lettre qu’elle écrit au professeur Mass, «comme saignent les chevreuils atteints

d’une balle à la tête, au-dessus de la source»34; la séquence où la jeune fille se rend sous la pluie chez moş Gheorghe

mourant, par une autre comparaison au dramatisme intense: «Parcă mâna o minge de fier cu paşi de piatră în fundul

unei mări împăienjenită de meduze.»35, ainsi que celle où Dănuţ découvre avec accablement qu’Olguţa s’est vengée en

coupant la ficelle de son cerf-volant: «Se împiedică de scară, orb şi zguduit de suspine, ca de pragul unei temniţe.»36

On voit donc se profiler nettement ici le rôle de l’image en fin de partie dans La Medeleni: à la fonction rythmique et

narrative (mise en relief des effets de boucle, de la valeur intensive et dramatique du récit), vient s’ajouter celle de la pointe, allant parfois jusqu’à la forme subtile et recherchée du concetto, et propre au baroquisme.

2. Tropes en fin de paragraphe.

Mais l’importance des images en clausule de partie dans La Medeleni en général, et dans Hotarul nestatornicen

particulier, ne doit pas faire oublier que la majorité des tropes, 53% d’entre eux, c’est -à-dire 399 exactement, se situe en fin de paragraphe. Il s’agit en effet du principal trait stylistique de notre roman, comme le montre le graphique V:

V. -- Répartition topographique des images de La Medeleni.

Page 68: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

L’habitude qu’a Teodoreanu de placer les images prioritairement en fin de paragraphe a pour effet de mettre celles -ci en

relief fortement marqué. Dans cette position, le trope teodorenien joue ainsi un rôle musical et architectonique.

a. Fonction structurante du trope.

La fonction structurante de l’image dans la trilogie roumaine est évidente, en effet. Le trope joue le rôle de ciment dans

l’agencement des paragraphes du texte, dont il marque le "bornage"37. Dans cette opération de délimitation des

segments syntagmatiques du récit, il n’y a pas redondance par rapport à l’alinéa: à la marque structurelle et formelle du

saut à la ligne, s’ajoute une marque d’ouverture38, qui influence la lecture et qui joue donc sur le sens.

b. Fonction rythmique de l’image.

La fonction rythmique des tropes dans La Medeleni, ensuite, n’échappe pas à l’attention du lecteur. La récurrence des

images en fin de paragraphe leur donne valeur de rime, et confère au texte romanesque son tempo caractéristique. D.

Suchianu l’a déjà fait remarquer: «Dans l’écriture de Ionel Teodoreanu, ces images empruntées à des lieux différents

produisent ce qu’on peut nommer des rimes, car la rime n’existe pas seulement dans les vers mais aussi dans le

récit.»39 En milieu de paragraphe, la position des images n’était pas marquée: elle caractérisait ce qu’on pourrait

appeler un mode mineur du récit; à l’incipit de partie ou de paragraphe, on a dit qu’elle était toniq ue, ouvrant presque

toujours, dans Hotarul nestatornic, un mouvement allegro ou largo. Ici la position de l’image sur l’axe de la syntagmatisation du récit confère à celui-ci le mode majeur.

• Caractère obsessionnel de l’image rimée.

D’un point de vue rythmique toujours, le caractère de rime de l’image en clausule de paragraphe se combine à son degré

élevé de prévisibilité40. Ce trait entretient le désir du lecteur, qui attend et espère le trope comme ce qui revient

régulièrement. C’est pourquoi nous soutenons qu’il convient de donner à la pléthore imagière du roman roumain plus

une valeur obsessionnelle et motivante, qu’un effet soporifique et lassant comme l’ont tant déploré Cantacuzino,

Cioculescu, Vianu et Călinescu. Cette récurrence d’ «étincelles» (au sens d’André Breton41) mourant ici dans un

éblouissement de joie pour ressusciter là dans un tressaillement multiplié, donne à La Medeleni cette pulsation de vie

fondamentale qui n’est pas sans évoquer l’effet orgasmatique de l’image excipitale chez Julien Gracq, tel que l’évoque

Elisabeth Cardonne-Arlycke quand elle définit l’écriture obsessionnelle de l’auteur du Rivage des Syrtes: «Dans cette

sorte de résolution ultime qu’elle apporte à l’acte figuratif, elle peut se comparer à la petite mort dont parle Gracq à propos des fins de phrase de Breton, et Bataille de l’acte sexuel.»42

• Pôle mioritique de la clausule teodorenienne.

Page 69: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Mais sans doute peut-on définir l’originalité de La Medeleni sans pour autant comparer Teodoreanu à un modèle

romanesque occidental -- procédé toujours dangereux et criticable --, mais en replaçant le moule rythmique de notre

roman dans le cadre du mythe fondateur de la culture roumaine, celui de la ballade populaire

roumaine Mioriţa [«L’Agnellette»], versifiée en trochées. Un riche berger transylvain, que ses compères veulent tuer

pour le voler, est alerté par une agnellette fée de son troupeau. Devant le gouffre du néant existentiel, le pâtre se délecte

dans la volupté du chant où il annonce sa volonté de se marier à sa fiancée la Mort. À partir de l’interprétation de la

légende de Mioriţa, répandue dans toutes les régions de Roumanie sous plusieurs variantes, le poète et philosophe

Lucian Blaga a défini en 1944, à partir de l’espace du plai, la matrice culturelle et stylistique de l’horizon roumain, qu’il

a nommé «espace mioritique», succession infinie et mouvante de collines et de vallons à l’intérieur desquels l’âme

dérive d’enchantement en désenchantement, aspirant, «dans un rythme répété, monotone et sans fin», à une complétude

qui sans cesse lui échappe, et à une volupté qui se dissout chaque fois dans le désir de mort -- dor en roumain.43 Nous

soutenons que le moule rythmique de La Medeleni s’inscrit parfaitement dans l’espace mioritique blagien. La

récurrence des tropes en clausule de paragraphe provoque, avec le phénomène de la rime, un double effet simultané:

d’une part, celui de jubilation et de plaisir, que donnent au lecteur l’assurance de la validité de sa quête du sens et à

l’écrivain la certitude ontologique de la permanence de son être -- ce que Prévert nommera la «petite seconde

d’éternité»; d’autre part, celui d’angoisse provoquée par la chute (au sens propre) en clausule et par le caractère évanescent, éphémère, de la flamme jaillie du trope.

c. Fonction de pointe baroque de l’image medeleniste.

À la fonction rythmique et architectonique de l’image en clausule de paragraphe, s’ajoute, dans la stratégie d’écriture

romanesque propre à notre écrivain, la fonction de pointe. En effet, Teodoreanu se plaît à termine r irrésistiblement les

paragraphes de La Medeleni par un trope généralement assez court mais très suggestif. Comme Olguţa tirant contre son

maître d’armes au Jockey-Club de Iaşi, l’écrivain aime à donner un coup de pointe qui parachève les différentes pass es

du segment et finalise l’action offensive avec brio. Cette volonté visible de pointer les paragraphes du récit se manifeste

par des images ostentatoires, lumineuses et éblouissantes, mettant en jeu les éléments non seulement visuels mais aussi

sonores. Le tableau VI et le graphique ci-dessous montrent qu’il s’agit souvent de métaphores (24% des cas),

harmonieusement réparties dans les trois volumes, rarement d’une personnification, encore moins d’une allégorie ou

d’une métonymie. La plupart du temps (66% des images), Teodoreanu préfère clore ses paragraphes par une pointe

comparative, notamment lorsqu’il s’agit de passages descriptifs, de topographies ou de prosopographies, dans ce cas il

use d’un procédé traditionnel de l’art oratoire et judiciaire.44 Il s’agit d’un trait qui s’amplifie au fil du roman (74 cas

dans Hotarul nestatornic, 87 dans Drumuri), pour devenir caractéristique dans Între vânturi, avec 106 occurrences. Ces

clausules comparatives rythment le roman et prennent valeur de rime; leur masse révèle un aspect obsessionnel de l’écriture medeleniste et contribue à son apparence baroque.

VI -- Types d’images en clausule de paragraphe.

Tous types d’images confondus, la pointe teodorenienne est particulièrement apte à exprimer les effets reposant en

grande partie sur la brièveté, l’effet de surprise, le paradoxe. C’est donc à l’excipit de paragraphe que s’élaborent les

Page 70: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

tropes de l’humour, de la poésie liée aux aspects insolites et mystérieux des choses, et surtout les images marquées du plus haut degré d’originalité.

• Pointes satiriques.

L’humour et la satire sont le premier domaine où Teodoreanu laisse voir le plus clairement l’aspect acéré de ses pointes

en fin de paragraphe. La critique acerbe du monde judiciaire dans Între vânturi, lorsque Dănuţ entre dans la carrière

d’avocat au barreau de Iaşi, use de ces flèches aiguisées de l’ironie ou de la satire, décochées respectivement contre les

hommes de loi ou contre l’institution judiciaire elle-même. L‘image décapante devient une arme redoutable aux mains

d’une ironie masquée et démasquant implacablement l’hypocrisie. La trivialité surprise renchérit sur la gesticulation

ostentatoire de l’avocat: «Dar e teribil apărătorul! Întrerupt de procuror, îl sfarmă ca un automobil în plină viteză pe o

biată zburătoare.»45, le prosaïsme incongru sur sa grandiloquence afffectée: «Acuzatul e condamnat. Finalul

rechizitorului cu silueta braţelor avântate în lături, e ca o cruce neagră de corbi pe un mormânt. Dar se ridică suav şi

insidios apărătorul. Inimile publicului sunt suspendate ca legumele în coşurile olteanului.» 46, et, par antithèse, le

comparant scabreux et scatologique sur la magnifiscence du comparé, en l’occurrence les avocats, «dont les agendas, le

jour respectif, blancs le matins se sont couverts de noms comme un mur nocturne de punaises» 47 : «Trec, nu se opresc,

nu văd, nu ştiu nimic; se duc direct spre intrarea Palatului, cu pasul solemn al celui care merge spre altarul catedralei, şi direcţia imperios orientată a celui care se duce la closet pe coridorul hotelului.»48

• Pointes humoristiques.

La pointe humoristique est percutante dès qu’il s’agit pour Teodoreanu de relever un aspect inso lite et amusant des

choses. L’image invente alors une relation inédite entre le phore et l’objet comparé, et elle s’affiche en clausule de

paragraphe non sans une certaine épate. Ainsi, dans l’épisode du Pavilion, la serviette d’avocat de Dănuţ devient, sous

les yeux des habitués du bistrot et de Puiu, «visible comme un balcon électoral» 49; sur la porte d’Olguţa, les bas, gants

et chapeaux de la jeune fille s’accrochent «comme les bien-aimées à la poitrine des combattants partant à la guerre»50;

de façon plus insolite encore, dans Hotarul nestatornic, au moment où la famille Deleanu s’apprête à fêter au

champagne le prochain départ de Dănuţ pour le pensionnat, la comparaison redéfinit la fonction même des objets: «Într -

un raft de sus al bufetului, alături de tradiţionalul paneraş cu struguri de Malaga şi migdale, bişcoturile se înălţau în vraf

pudrat, ca nişte galbene vâsle ale veseliei.»51

Parfois la clausule malicieuse voit son effet comique renforcé par le double sens d’un élément du système comparatif

(dans le cas suivant, călcat au propre et au figuré): «Clasa VII-a modernă analiza poeziaMelancolie [...] cu o viteză păgubitoare în primul rând ortografiei, călcate la toate virajurile, ca o vulgară găină sau gâscă pe şosea.» 52

Enfin la pointe humoristique peut-être aiguisée par le caractère extra-diégétique53 de la comparaison finale; par effet

centrifuge, le trope fait basculer le récit hors de lui-même, créant une certaine distance propice à l’humour insolite:

«Nici glumeţ nu era între oameni, căci zâmbetul isteţ al glumei numai singurătatea i-l stârnea uneori, ca o seminţă explozivă, întâmplător adusă de vânt.»54

• Pointes poétiques.

Cependant, la pointe n’a pas dans La Medeleni qu’une valeur ironique ou humoristique, qu’expliquent sa place dans le

texte et sa brièveté. La position forte en clausule de paragraphe la rend propre à ménager certains effets esthétiques;

aussi n’est-il pas étonnant de constater que parmi les 207 images poétiques du roman, 75 (soit plus du tiers) se situent

en fin de paragraphe avec le rôle de pointe. Teodoreanu prend donc le parti d’utiliser l’image non plus afin de

pourfendre, mais simplement pour émouvoir. Le romancier apprécie particulièrement certains tropes: ceux dont la

plasticité doit beaucoup à leur caractère insolite, c’est-à-dire au fait que «les rapports des deux réalités rapprochées»

sont «lointains et justes», comme le notait Pierre Reverdy, remarquant que de tels tropes ont d’autant plus «de puissance

émotive et de réalité poétique»55. Notre trilogie compte de nombreux exemples de ce type de pointe: métonymique,

avec monsieur Deleanu à table essuyant «de sa serviette un sourire constellé de soupe» 56, métaphorique, avec Vania

fébrile ressentant dans son âme «le mouvement désordonné des pattes de hanneton retourné sur le dos»57, et surtout

comparative... Ainsi en est-il de l’antithèse des bottes, chaussures et pantoufles jetées pêle-mêle sous le lit d’Olguţa,

«insolites apparitions en cet endroit, comme des cigognes dans des catacombes» 58, de l’arôme enivrant des pommes

flottant «comme s’élève au ciel l’âme des martyres brûlées sur le bûcher»59, ou de Dănuţ au tribunal, «dormant parmi

les paroles comme parmi des mouches dans une cuisine loquace»60.

D’autre part, Teodoreanu se plaît à pointer les paragraphes de son roman par des images qui doivent leur plasticité à la

dimension mystérieuse du trope, créant une attente chez le lecteur, comme un point suspensif. Ainsi, dans Drumuri, le

sommeil tourmente Dănuţ «ca o memorie mai vastă decât cealaltă, în care amintirile aveau relieful zidurilor de arşiţă şi

mister de umbră opacă.»61, et dans Între vânturi la vieille pendule du salon reste dans la nuit de la mobilisation

Page 71: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

«muette, sans tic-tac, les aiguilles droites, comme si la mort avait levé son doigt devant la vie»62. Lors de la chasse à

l’Étang du Poulain, Olguţa guette l’eau luisante entourant le saule où s’est réfugiée l’horrible grenouille «comme une

porte derrière laquelle une main appuie sur le loquet»63. Enfin, la rencontre mémorable de la fillette et de sa grand-tante

Fiţa Elencu, toujours dans Hotarul nestatornic, donne lieu à la comparaison suivante en queue de paragraphe, d’une

grande force esthétique: «Fiţa o privise din cale-afară de lung -- cu toată puterea ochilor şi a minţii -- făcând-o pe Olguţa să crească mare în viitor, cum germinează o sămânţă în mâna unui fachir.»64

• Concetti.

L’excipit de paragraphe est aussi une position favorable aux images les plus audacieuses, savamment placées là par

Teodoreanu comme des pointes subtiles. Aussi bien toutes les images originales de La Medelenioccupent-elles cette

place privilégiée. Par exemple, la plaidoirie de l’avocat de la partie civile, dans le procès d’inceste auquel participe

Dănuţ dans Între vânturi, est entrecoupée par une identification souvent décriée par la critique roumaine65, phrase

simple, courte, et formant à elle seule l’alinéa: «Degetul procurorului fu ţeavă de revolver.» 66 Il y a ici volonté de la

part du romancier de joindre le geste à la parole (en l’occurrence celle du procureur), d’appuyer le trait et de dramatiser le récit par une image très forte et détonnante. Cette recherche de l’effet n’est pas, il est vrai, sans défaut.

Une autre pointe originale concerne Mircea, à l’arrivée d’Olguţa dans la maison de la rue Popa Nan; extra -diégétique,

elle laisse poindre le clin d’œil moqueur du narrateur à l’égard de ce personnage amoureux mais empreint de quelque

raideur: «Inima-i bătea în piept bubuind, cu străşnicia cu care se bat covoarele la grijitura năprasnică din vinerea Floriilor.»67

Une autre comparaison extra-diégétique, toujours dans Drumuri, établit la même distance entre Dănuţ et le narrateur, et

surprend par la modernité du thème médical: «Toate activităţile străine lecturilor, îl scoteau din fire, ca pe morfinomani tot ce-i împiedică de a-şi injecta doza.»68

Un dernier exemple, sans doute le plus significatif, de pointe imagée, se situe dans Între vânturi et concerne l’épisode

où Olguţa reçoit le télégramme et la lettre envoyés par Vania de Bălţi. Ce trope en clausule rassemble les divers

éléments du concetto baroque: jeu d’antithèse, travail soigné de la période, finement polie, en cadence mineure: «Se sfia

atât de mult să scrie aceste vorbe, cel în sufletul căruia răsunau enorm, încât aşezarea lor pe hârtie arăta deopotrivă

panica şi eroismul, contopite în acelaşi gest, ca un soldat care, strângând în braţe granata căzută, s -ar prăbuşi la pământ

cu ea, de teama exploziei, cu ea la piept...»69

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1. Pierre-Marc De Biasi, "Les points stratégiques du texte", Le Grand Atlas de littérature, Paris: Encyclopédie

Universalis, 1990.

2. G. Ibrăileanu, "Ionel Teodoreanu: La Medeleni", Viaţa Românească, XVIII, 1926 (9), p. 354.

3. T. F.: La petite robe bleue et la petite robe rouge parsemèrent de fleurs le chemin blanc, quand soudain la

petite robe rouge s’arrêta. Hotarul nestatornic, p. 117.

4. T. F.: Comme un "Christ est ressuscité" prononcé par le prêtre puis par des milliers de bouches, le

rougeoiement du soleil -- de nuage en nuage, d’horizon en horizon -- avait illuminé le ciel. Ibidem, p. 374.

5. T. F.: Comme d’un cantaloup tenu sur la glace, avec la lumière du soleil, la fraîcheur pénétrait par les fenêtres

ouvertes: l’automne était venu. Ibidem, p. 207.

6. T. F.: Dans le bruissement de l’automne et la stridulation des cigales, le bal blanc de la lune ondulait à travers

les fenêtres. Ibidem, p. 279.

7 . T. F.: Comme un page endormi aux pieds d’une blanche châtelaine dont l’évantail de plumes blanches

éclairait son sommeil. Ibidem, p. 280.

8. T. F.: -- Adina. Comme un vent âpre à travers des vitraux brisés. Et son âme s’emplit d’amertude

humide. Drumuri, p. 89.

9. T. F.: Comme un dauphin sur les flots de la mer, le cerf-volant avait fait la culbute..., Hotarul nestatornic,

p. 5.

10. T. F.: De son corps long et svelte de libellule, la carriole surgit à côté de la voiture, prête à la dépasser.Ibidem,

p. 24.

11. T. F.: La tempête brune de la soucoupe déversa une lame sur la nappe. Ibidem, p. 211.

12. T. F.: Monstre antédiluvien, immensifié par la poussière, le camion démarra, emportant les reliques de la

propriété de Medeleni. Între vânturi, p. 419. Ce barbarisme (imensificat en roumain) ne doit pas choquer sous

Page 72: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

la plume de Teodoreanu. Des inventions verbales de ce type étaient très prisées des symbolistes français et

roumains: ainsi André Gide a employé imbécilifier. Voir Remy de Gourmont,Esthétique de la langue

française. Études et note bibliographique de Maurice Saillet et R.-L. Wagner, Paris: Mercure de France, 1955,

p. VIII.

13. Gérard-Denis Farcy mentionne les termes d’excipit ou de desinit pour le terme final de la phrase, par

opposition à l’incipit étudié jusqu’à présent (Lexique de la critique, Paris: Presses Universitaires de France,

1991, pp. 57 et 31). Voir aussi Tudor Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"],

Bucureşti: Editura Albatros, 1977, coll. "Sinteze Lyceum", pp. 236-237 et p. 338, sur les créations lexicales

originales chez Alexandru Macedonski et Adrian Maniu.

14. Mss rom. 4234.

15. Tudor Vianu parle des "chutes de phrases" que Flaubert, en composant son roman, se félicitait d’avoir

trouvées avant d’avoir décidé les détails du récit. Voir T. Vianu, op. cit., p. 35.

16. T. F.: L’automobile démarra en trombe, comme un poing. Drumuri, p. 488.

17 . T. F.: Il restait sur place, désorienté, étrangé, comme un bagage sans propriétaire, débarqué par erreur dans

une gare inconnue... Ibidem, p. 244.

18. E. Cardonne-Arlycke, La métaphore raconte. Pratique de Julien Gracq , Paris: Klincksieck, 1984, p. 49.

19. Hotarul nestatornic, p. 18.

20. Ibidem, p. 32.

21 . Ibidem, p. 74.

22. Par exemple dans Hotarul nestatornic, p. 84: « căci de pe zări desprinsă, se apropria încet, cu amfora răcoarei

pe umărul ei gol de lună plină, adevarata noapte.» (1, 84).

23. Drumuri, p. 122.

24. Între vânturi, p. 322.

25. Drumuri, p. 193.

26. T. F.: Et tout doucement, au fur et à mesure -- comme fondent dans la vitesse noire les lignes d’une lettre

d’amour, brûlant dans une main -- l’âme de Dănuţ sombra dans le sommeil, jusqu’à ce que son corps, dans une

détente délicate, se séparât de l’âme, pour rester seul, comme la main d’où la cendre s’est égouttée en

flammes. Ibidem, p. 126.

27 . T. F.: L’arôme du cantaloup flottait fraîche au-dessus de la fournaise du chou pimenté, comme un arc-en-ciel

des bienheureux. Hotarul nestatornic, p. 158.

28. T. F.: Le dos inébranlable comme un bouclier planté dissimulait tout mouvement. Mais le silence était si grand

qu’on entendait, comme un craquètement de cigale éloigné, la pointe de la plume sur le papier. Între vânturi,

p. 318.

29. T. F.: Les vapeurs du bortsch peignirent des nostalgies sur le visage des affamés. Hotarul nestatornic, p. 204.

30. T. F.: Dans le silence absolu parlèrent seulement les cuillers, les cigales et les yeux des chiens. Ibidem.

31 . T. F.: Et sous le feu des phares, jusqu’au lointain, la pluie était une danse de méchantes fées argentées .Între

vânturi, p. 253.

32. T. F.: La pluie parlait seule comme une mendiante folle. Hotarul nestatornic, p. 282.

33. T. F.: Dans le silence absolu, le samovar pouffait et sifflait comme une locomotive ironique. Ibidem, p. 349.

34. Între vânturi, p. 368.

35. T. F.: On eût dit qu’elle poussait une boule de fer de ses pas de pierre au fond d’une mer étoilée de

méduses. Ibidem, p. 297.

36. T. F.: Il trébucha contre la marche, aveugle et ébranlé par les sanglots, comme contre le seuil d’un

cachot. Ibidem, p. 57.

37 . E. Cardonne-Arlycke, op. cit., p. 49.

38. Sur ce problème, voir Philippe Hamon, "Clausules", Poétique, 1975 (24), p. 509..

39. "Destănuiri: «acele chiote permanente care de multe ori se numesc metafore»" ["Aveux: «ces cris permanents

qui maintes fois s’appellent métaphores»"], Manuscriptum, VI, 1975 (3), p. 102.

40. P. Hamon, art. cit.

41 . A. Breton, Manifestes du Surréalisme. .

42. Op. cit., p. 49.

Page 73: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

43. Voir L. Blaga, "Spaţiul mioritic" ["L’espace mioritique"], in Trilogia culturii ["La trilogie de la culture"],

Bucureşti: Editura pentru Literatură Universală, 1969, p. 125.

44. Ainsi Tudor Vianu signale, dans les portraits de l’orateur I. Petrovici, «la comparaison ou la métaphore qui

conclut de façon évoquante». Voir T. Vianu, op. cit., p. 291.

45. T. F.: Mais il est terrible, le défenseur! Interrompu par le procureur, il le broie comme une automobile en

pleine vitesse une pauvre volaille. Între vânturi, p. 117.

46. T. F.: L’accusé est condamné. Le final du réquisitoire, avec la silhouette des bras élancés de côté, est comme

une croix noire de corbeaux sur une tombe. Mais voici que se lève, suave et insidieux, le défenseur. Les cœurs

du public sont suspendus comme les légumes dans les paniers du maraîcher.Ibidem, p. 116.

47 . Ibidem, p. 122.

48. T. F.: Ils passent, sans s’arrêter, ne voient rien, ne savent rien; s’en vont directement vers l’entrée du Palais,

avec le pas solennel de celui qui s’avance vers l’autel de la cathédrale, et la direction impérieusement orientée

de celui qui va aux toilettes par le couloir de l’hôtel. Ibidem, p. 119.

49. Ibidem, p. 182.

50. Drumuri, p. 275.

51. T. F.: Sur un rayon en haut du buffet, à côté du traditionnel petit panier de raisins de Malaga et d’amandes, les

biscuits à champagne s’élevaient en monceau poudreux, comme des rames jaunes de la gaieté. Hotarul

nestatornic, p. 247.

52. T. F.: La VIIe moderne analysait la poésie Mélancolie [...] avec une vitesse dommageable en premier lieu à

l’orthographe, foulée aux pieds à tous les virages, comme une vulgaire poule ou une oie sur la grand -

route. Drumuri, p. 8.

53. Sur la distinction entre comparaison diégétique et hétérogène au milieu narratif, voir Gérard Genette,

"Métonymie chez Proust", in Figures III, Paris: Seuil, 1972, p. 48.

54. T. F.: [Dănuţ] Il n’était même plus drôle parmi les gens, car seule la solitude déclenchait encore parfois chez

lui le sourire rusé de la plaisanterie, comme une graine explosive apportée par hasard par le vent.Între vânturi,

p. 103.

55. P. Reverdy, Le Gant de crin, p. 32. Cité par Michel Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la

métonymie, Paris: Larousse, 1973, p. 99.

56. Hotarul nestatornic, p. 78.

57 . Între vânturi, p. 56.

58. Drumuri, p. 275.

59. Hotarul nestatornic, p. 315.

60. Între vânturi, p. 165.

61 . T. F.: comme une mémoire plus vaste que l’autre, et où les souvenirs avaient le relief des murs de canicule et

le mystère d’ombre opaque. Drumuri, p. 194.

62. Între vânturi, p. 20.

63. Hotarul nestatornic, p. 186.

64. T. F.: Fiţa l’avait regardée de façon interminable -- avec toute la force de ses yeux et de son esprit -- faisant

grandir Olguţa en taille dans l’avenir, comme germe une graine dans la main d’un fakir. Ibidem, p. 183.

65. Voir notamment Anton Holban, "Despre dialog" ["Sur le dialogue"], România literară, I, 1932 (32), p. 1.

66. T. F.: Le doigt du procureur fut un canon de revolver. Între vânturi, p. 143.

67 . T. F.: Son cœur battait sourdement dans sa poitrine, avec la force avec laquelle on bat les tapis lors du grand

nettoyage du Vendredi des Rameaux. Drumuri, p. 129.

68. T. F.: Toutes les activités étrangères aux lectures l’exaspéraient, comme les morphinomanes tout ce qui les

empêche de s’injecter leur dose. Ibidem, p. 420.

69. T. F.: Il craignait tant d’écrire ces paroles, celui dans l’âme duquel elles résonnaient énormément, que leur

fixation sur le papier indiquait à la fois la panique et l’héroïsme, fusionnés dans le même geste, comme un

soldat qui, serrant dans ses bras la grenade tombée, s’effondrerait par terre avec elle, de peur de l’explosion,

avec elle contre sa poitrine... Între vânturi, p. 94.

70. VIVANTE FORÊT D’IMAGES 71.

Page 74: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

72. Bilan et projet.

73. Le premier chapitre, intitulé L’art de la pointe, a considéré les images de La Medeleni d’un point de vue

topographique; on a ainsi mis en évidence leurs fonctions selon leur position dans le texte romanesque -

intensive et dynamique, rythmique et narrative, structurante; on a aussi dégagé la valeur majeure du trope à

partir de quelques exemples révélateurs - celle de pointe baroque à caractère obsessionnel. 74. Cette perspective a permis de situer clairement l’image littéraire dans un cadre assez large, par rapport aux

points des différents segments de la matière narrative (début et fin de partie ou de paragraphe), mais elle donne

à l’image teodorenienne une caractère à la fois statique, par la mise à l’écart du lien entre la figure et le récit, et

périphérique, par la relégation de la figure aux bornes matérielles du texte. Aussi convient-il maintenant

d’orienter l’étude dans une direction dynamique, en s’intéressant à la période de l’image dans La Medeleni,

c’est-à-dire à l’organisation des tropes dans l’espace textuel. D’un point de vue interne, d’abord, nous

examinerons l’amplitude des figures, depuis le raccourci jusqu’à l’image complexe, en passant par la

comparaison expansive; d’un point de vue externe, ensuite, nous identifierons l’effet centripète des figures et

leur angle par rapport au champ diégétique du roman.

75.

76. A. Point de vue interne. 77. Le tableau IV et son graphique présentent les résultats d’un classement volumique des images de notre trilogie.

Les tropes ont été considérés d’un point de vue interne comme des figures diégétiques, c’est-à-dire comme des

tropes dont le phore appartient au cadre spatio-temporel du récit»1. C’est ce déploiement dans l’espace de

l’écriture et cet «effet centripète du ramassement du champ métaphorique sur le narratif» 2 qui a ont été

mesurés matériellement et étudiés selon les règles de la prosodie, depuis les configurations les plus réduites

(images en raccourci, images pointillistes), jusqu’aux comparaisons expansives et images complexes, telles

que les constellations métaphoriques, comparaisons continuées et métaphores filées, métonymies en plusieurs

points, allégories. 78. VII - Classement volumique des images de La Medeleni.

Images en raccourci 189

Images pointillistes 12

Images-récits 25

Images complexes 72

Comparaisons expansives 39

Images inclassables 415

Page 75: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

79. 80. Perpessicius remarquait déjà en 1928 le caractère élastique de l’image chez l’auteur de La Medeleni et ses

modulations d’amplitude: «Ce qui frappe dans l’écriture de M. Ionel Teodoreanu, c’est bien sûr la métaphore,

depuis le simple germe adjectival jusqu’au poème interstitiel.»3 Le tableau IV met en évidence ces variations

d’amplitude, sans qu’on puisse distinguer la prédominance d’une formule pour l’ensemble du roman: en effet,

les images en raccourci sont en nombre élevé (189 en tout, soit 56% des images classées), mais on sait par

ailleurs que 141 images s’étendent sur un ou plusieurs paragraphes, respectivement pour les trois volumes 48,

55 et 38. En revanche, certaines configurations caractérisent les différentes compos antes de La Medeleni. 81. I. Images en raccourci.

82. Ainsi, avec 102 occurrences sur 189, Hotarul nestatornic se singularise par une forte domination d’images

courtes, situées très souvent en clausule de paragraphe; c’est plus que l’ensemble des images en raccourci de

l’ensemble des deux autres volumes (voir graphique ci-dessous).

83. 84. 1. Images-fusées.

85. La brièveté de certaines d’entre elles surprend le lecteur. À cette concision de ce que Pompiliu Constantinescu

nommait négativement et par référence à Baudelaire «les fusées métaphoriques du premier volume»4,

s’ajoutent en effet l’éclat de la pointe et la densité extrême de l’expression obtenue grâce à l’image. La

synecdoque et la métonymie concourent particulièrement à ce resserrement de la masse du trope et à

l’accélération du rythme narratif si primesautier dans le volume consacré à une enfance qui se joue sous les

yeux du lecteur. Par exemple, Danuţ sort de la maison avec le désir fébrile de retrouver son cerf-volant laissé

au pied d’un chęne: «Îi erau mânile flămânde»5 note brièvement Teodoreanu (personnification par

synecdoque); Monica rit aux larmes en voyant le chien Patapum happer la viande d’Olguta: «Îi căzură lacrimi

pe friptura surprinsă»6 - personnification par métonymie, plus hypallage.

Page 76: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

86. 2. Images versifiées.

87. Un autre procédé du resserrement des images utilisé par Teodoreanu dans Hotarul nestatornic et parfois

dansÎntre vânturi, est celui de la fusion du trope dans le moule prosodique du vers. Dans ce cas, la figure

occupe un paragraphe qui possède d’abord la marque principale de la forme versifiée - la structure de l’alinéa -

, par exemple «Lumina soarelui adânc se dăruia pământului.»7 - allégorie plus hypallage une nouvelle fois, ou

encore la métaphore «Şi Dănuţ singur în faţa oceanului de bănci şcolare...»8, et qui possède éventuellement

une marque secondaire du vers, comme la césure dans la personnification suivante «Romaniţele râdeau în

soare, şi ele în vacanţă.»9, ou dans un parallélisme très plastique, caractérisé par une traduction métaphorique

avec hypallage de nouveau: «"Monica îl iubeşte pe Danuţ din toată inima"... Opt vechi cuvinte pe o hârtiuţă:

opt ceruri tropicale imens înstelate.»10 88. Certaines images courtes de ce type versifié trahissent la volonté claire du romancier à la fois de marque r un

point d’arrêt suspensif et résumatif dans la narration, par une sorte de respiration profonde, et d’autonomiser

l’image en lui donnant un caractère statuaire, comme dans la métaphore humoristique suivante (la fillette

inspecte la valise de son frère): «Olguta avea ochi de vameş socialist.»11, ou même dans la comparaison

deÎntre vânturi dans l’épisode du procès d’inceste, à propos du public: «Tacerea veni ca o paloare.» 12

89. 3. Images ternaires.

90. Un dernier procédé de resserrement de l’image dans La Medeleni consiste en une concentration extrême du

comparant en apodose de période à cadence mineure, avec des segments courts de trois termes (comparaisons

ternaires, 24 dans l’ensemble du roman), en trois syllabes éventuellement - ce que Henri Morier appelle

nombre expressif13: «Automobilul porni ca un pumn.»14, ou plus souvent sept, en clausule de paragraphe;

ainsi, l’odeur de térébentine pénètre dans la chambre des filles «ca o indiferenţă»15; après la disparition

d’Olguta, Medeleni devient silence, «ca numele morţilor»16. 91 .

92. II. Images pointillistes. 93. D’un point de vue volumique, d’autres images de La Medeleni, essentiellement celles de Drumuri et de Între

vânturi, se caractérisent par leur écriture pointilliste, qui doit beaucoup au «style télégraphique» de Marinetti et

à la technique des «mots en liberté» du futurisme, issue de Rimbaud et de Mallarmé17. Ici la figure se ramasse

par nominalisation du comparant toujours, et du comparé très souvent. À cette transformation par réduction,

s’ajoute l’utilisation de l’apposition, qui établit une différence de niveau entre le thème et le phore, par

l’utilisation des points (point simple, double, suspensif, exclamatif). Cette écriture pointilliste provoque encore

une fois une mise en relief de l’image, par la focalisation qu’elle opère sur ses éléments constitutifs; d’un point

de vue rythmique, elle accélère le récit par effet de martèlement. 94. 95. VIII - Répartition des images pointillistes.

Hotarul nestatornic 1

Drumuri 7

Între vânturi 4

Page 77: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

96. 97. 1. Traduction métaphorique explicative.

98. L’image pointilliste permet d’abord une mise en évidence structurale de la traduction métaphorique

explicative. Dans ce cas, la construction pointilliste (thème point phore) est suivie d’une courte explication de

l’analogie, juxtaposée elle aussi à l’image. Ainsi, dans Drumuri, Dănuţ écrivain attend «o metaforă sau o

înlănţuire de imagini care deschid perspectivă asupra unei emoţii: barcă, plecând cu pânzele desfăşurate; o

urmăreşti în tine cu ochii deschişi.»18 Il s’agit ici d’une figuralité très analytique, qui vise à la transparence par

un dévoilement intégral du lien de similitude entre le comparé et le comparant, et qui provoque parfois la perte

d’une certaine charge mystérieuse de l’image: «Adina... Răspântie de zâmbet dureros între două stele

căzătoare: ea spre Bucureşti, el spre Medeleni.»19

99. 2. Traduction métaphorique simple.

100. L’écriture pointilliste permet aussi la mise en relief de la traduction métaphorique simple de

type a point b(thème point phore), sans développement du point de comparaison, comme dans toute

métaphore. Un seul cas concerne la comparaison, mais il est intéressant dans la mesure où l’effet pointilliste y

est dense - le phore est rejeté à l’alinéa selon un procédé d’enjambement dynamique et relevant, le thème

extrêmement concis (un seul mot de trois syllabes) étant ainsi mis fortement en relief: «Adina. / Ca un vânt

aspru prin vitralii sparte.»20 101. · Images télégraphiques. 102. La plupart du temps, les images se resserrent par métaphorisation: le phore s’esquisse dans une

proposition courte juxtaposée au thème sans copule grammaticale. L’écriture gagne ainsi en nervosité et en

concision, et acquiert un caractère télégraphique très moderne, propre à la poésie récitative, ainsi dans l’image

très plastique de Între vânturi: «Zorii lunii se ridicau pe mare de pretudindeni, ca şi cum luna n'ar fi fost

izvorul, ci numai semnul deşteptărei lor. Albe denii în miez de noapte.»21 103. La traduction métaphorique court-circuite la figure et met le thème en avant par un effet de fuite du

phore, cartactéristique de l’esthétique baroque; multipliée, elle donne l’impression artificielle de l’exercice de

style par la dichotomie de l’analyse qu’elle implique. Mais la valeur de l’ «étincelle», pour reprendre

l’expression de Breton, est incontestable; par exemple dans l’épisode où Olguţa revit de maničre rétrospective

les années parisiennes, couchée sur le pont du bateau Marseille-Constantinople: «Acum şedea întinsă în chaise-

longue, trează, cu ochii deschişi. Înfrângere de corabie cu pânzele întinse, răsturnată pe ape.»22, dans

l’idéalisation amoureuse qui s’opère dans l’esprit de Mircea Balmuş: «Olguta... Zvâcnea în el numele ei ca un

nod de vânturi tinere. Frăgezime de picioare copilăreşti dănţuind prin iarbă în zori de zi.» 23, ou de la jeune

fille pleurant l’errance de Vania: «Dragostea ei! Dragostea ei! Rândunică aruncată în convoiuri de

gheţari!»24 -avec, dans ce dernier exemple, une double nominalisation des propositions exclamatives et une

répétition renforçant le resserrement de la figure.

104. 3. Traduction métaphorique sérielle.

105. L’écriture pointilliste permet enfin une mise en relief de la traduction métaphorique sérielle ou

harmonique, évidente dans Drumuri. La métaphore est alors utilisée par Teodoreanu comme un procédé

poétique de développement thématique, déjà mis en évidence par Albert Henry à propos de Neiges de Saint-

John Perse.25L’image se resserre violemment dans sa première partie, constituée par le thème sous sa forme

Page 78: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

nominale courte, puis s’épanche dans une seconde partie, où le phore se développe autour d’une isotopie

connotative, en une série rythmée de groupes nominaux brefs, par exemple: «Mingea: pântec alb de rândunică,

salt de spumă, bulgăr de omăt elastic, aşchii de lumină...»26 Il s’agit ici d’un développement, dans le cadre

romanesque, de la formule de la notation, initiée dans le premier volume publié par Teodoreanu, Jucării pentru

Lili [«Jouets pour Lili»], et qui doit beaucoup, dans une égale mesure, à la manière du Français Jules Renard et

des Roumains Dimitrie Anghel27 et Adrian Maniu dans Figurile de ceară [«Les figures de cire»] de 1912.. Le

procédé de développement métaphorique à thème produit un resserrement extrême de la pensée, par

effacement de toutes les expansions nominales, adjectivales notamment, et par construction paratactique; à ce

titre, un très bel exemple d’écriture pointilliste condensée, et d’une évidente modernité romanesque, est offert

encore une fois par le volume Drumuri: «Vânt nu era; nici adieri. Tăcerea numai - lanuri de tăcere, plopi de

tăcere, cer de tăcere - ca reculegera unei dureri: lespede pe suflet, umbră îngheţată.»28 106. • Poème en prose

107. Comme dans la première œuvre en prose de Teodoreanu, Uliţa copilăriei [«La Ruelle de l’enfance»] -

à une époque où l’esthétique du symbolisme était en déclin en Roumanie29 - , dans La Medeleni le procédé de

la notation métaphorique s’épanouit pleinement et de manière autonome dans des poèmes en prose

généralement descriptifs, qui se développent à l’intérieur de la diégèse, dans la lignée de ceux de

Delavrancea30 en Roumanie, et sous l’influence française probable du roman ou poème musical tel que le

définit Romain Rolland, quand il préconise l’application au roman du principe du poème en prose et

l’épanouissement du sentiment à côté de la logique narrative factuelle31. 108. La Medeleni développe un grand nombre de passages caractérisés par une forte densité de figures

pointillistes sous forme de séries métaphoriques généralement nominales, donnant au texte l’allure du poème

récitatif tel qu’il sera illustré par Saint-John Perse en France, ou par une poétesse roumaine contemporaine

comme Victoria Ana Tăuşan en Roumanie32. Ainsi en est-il dans Drumuri, avec l’image archétypale du

printemps et des abricotiers en fleurs:

109. 110. Alb pur, stranele trunchiurilor. Candoare luminoasă. Lumini de lună şi de zori, roind în clar

tumult. Mărgean palid cu vinişoare roze. Bluze de vară cu dantelă, în care tinereţa unui trup e

undă vag purpurie.

111. Încântare pufoasă în faţa cerului albastru. Pomi îngereşti. Parfum prea copil ca să fie parfum.

Zâmbet în petale, zâmbet în miresme. Zarzării. Nume plin de albine. Petale care cad, plutind,

zbor întors spre pamânt. Suspin naiv al primăverii.33

112. 113. Les «poèmes interstitiels»34 de La Medeleni sont marqués aussi par un emploi abondant du verset comme

marque de respiration du texte, et par une autonomie structurelle qui n’est pas incompatible avec leur insertion

naturelle dans le récit et dans le faufil sémique du roman. Un exemple de poème en prose de ce typ e figure à la

fin d’un chapitre de Drumuri, dans la position liminaire caractéristique de la trilogie - avant un blanc suivi d’un

astérisque - , et fonctionne comme une topographie déchargée de ses éléments référentiels, concrets, par des

jeux chromatiques et polyperceptuels qui évoquent plus d’une fois l’esthétique symboliste: Alexandru

Philippide a raison d’affirmer que, dans la description de la nature, Teodoreanu saisit volontiers le paysage à

peindre pour en faire une «beauté en soi»35. C’est une évocation lunaire, irréelle et presque fantomatique, de

Iaşi. L’emploi de nombreuses pointes comparatives et de séries métaphoriques en fin de verset en cadence

majeure, de multiples anaphores et énumérations ayant pour but d’appréhender de manière insistante le halo de

la réalité; la richesse des nuances lexicales, la fusion des registres végétal et architectural et l’opposition

sémantique de l’ombre et de la lumière, enfin cet art de peintre la nature par «représentations

arbitraires»36 dégagées du contingent... tout concourt ici au resserrement et à l’unité du passage, à l’expression

d’une harmonie tellurique et cosmique, presque mystique, de l’univers, et à une érotisation très eminescienne

du paysage saisi comme un reflet tremblant: 114. Revărsarea lunii împodobise cu fildeş vechi o coastă a cerului.

115. Iaşul durat din tăceri de biserici, intrase în noapte deplin. Nu auzeai nici glas de om, nici

huruit de roţi, nici, răcoroasă, copita calului bătând asfaltul. Uneori, în depărtarea

Tataraşului, hămăiau cânii, ca la ţară.

116. Turlele bisericilor de pretutindeni şi plopii arătau cerul.

117. Luna se înălţa, urcuş de abur pe scări fără trepte, suiş lin, avânt neted ca în somn.

118. Parfumul teilor nu mai ştiai: coboară din stele? adie spre stele?

119. Luna se înălţa. Tot cerul era o vibraţie necontenită, ca aburit de-un tremur diafan de aripi de

libelulă.

120. Luna se înălţa înclinând argintiu zările, dezvăluindu-se tot mai albă, paloare din paloare, pe

deasupra turlelor, pe deasupra plopilor, peste faldul dealurilor...

121. Se înălţa şi s-aduna o albă şi albastră sihăstrie în jurul ei, ca în preajma gândului ş -a piscului

înalt.

122. Se înălţa ca parfumul crinilor, ca o răcoare pe tâmple, ca un nimb pe creştet, ca o iluminare a

frunţii, ca o deşteptare a vederii...

Page 79: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

123. Se înalţa şi se umplea cerul de înger limpezi, de fum de tămâie - albe şi albastre

plutiri în tăria nopţii... 124. ... Până când, în contopirea de alb si albastru, de vânăt şi vioriu, de cenuşiu si violet,

de verzui şi sur, de lumină, şi umbră, şi penumbră - noaptea fu ritm de văluri pe respiraţia

unui trup, şi luna - chipul acelui trup, chip atât de alb, de pur şi de iluminat, că în acea clipă,

în marea singurătate a înălţimilor şi în limpezimea cerului, chipul lui Dumnezu se arătă

răsfrângându-şi splendoarea în adorarea lunii. 125.*

126. 127. T. F.: Le débordement des rayons de lune avaient orné de vieil ivoire un versant du ciel.

128. Iaşi, bâti de silences d’églises, était entré dans la nuit pleine. On n’entendait nulle voix

humaine, ni roulement de roues, ni même, rafraîchi, le sabot du cheval battant l’asphalt e.

Parfois, vers le Tataraş au lointain, des chiens jappaient, comme à la campagne.

129. Les tours des églises de partout et les peupliers indiquaient le ciel.

130. La lune s’élevait, montée de vapeur sur des escaliers sans marches, ascension lente, élan

lisse comme dans le sommeil.

131. Le parfum des tilleuls, on ne savait plus: descente des étoiles? brise vers les étoiles?

132. La lune s’élevait. Tout le ciel était une vibration continue, comme embué d’un frisson

diaphane d’ailes de libellule.

133. La lune s’élevait, inclinant l’horizon argenté, se dévoilant de plus en plus blanche, de pâleur

en pâleur, au-dessus des tours, au-dessus des peupliers, par-delà le fronce des collines...

134. Elle s’élevait, et autour d’elle un ermitage blanc et bleu, comme à l’entour de la pensée et de

la haute cime.

135. Elle s’élevait comme le parfum des lys, comme une fraîcheur sur les temples, comme un

nimbe sur un sommet de tête, comme une illumination du front, comme un éveil du regard...

136. Elle s’élevait et le ciel s’emplissait d’anges clairs, de fumée d’encens -exhalaisons

blanches et bleues dans le firmament de la nuit... 137. ... Jusqu’à ce que dans la fusion de blanc et de bleu, de violet et de violacé, de cendré et de

violet, de verdâtre et de gris, de lumière, et d’ombre, et de pénombre - la nuit devînt rythme

de vagues sur la respiration d’un corps, et la lune - le visage de ce corps, visage si blanc, si

pur et illuminé, qu’en cet instant, dans l’absolue solitude des hauteurs et dans la limpidité du

ciel, le visage de Dieu apparut, réfléchissant sa splendeur dans l’adoration de la lune.37 138. III. Comparaisons expansives.

139. On a vu que l’image en raccourci caractérisait Hotarul nestatornic, que le resserrement figuratif s’y obtient par

concentration du phore excipital, par versification, et par l’emploi habile de la métonymie et de la synecdoque,

accroissant la densité de l’expression et accélérant le rythme narratif du premier volume de La Medeleni. On a

montré que ce même resserrement s’obtient, dans Între vânturi, et surtout dans Drumuri, par la traduction

métaphorique simple ou sérielle, sous forme de notations brèves à caractère récitatif et télégraphique, d’une

nerveuse concision, développées souvent en véritables poèmes en prose. Cependant, le tableau VI et son

graphique montrent qu’une autre tendance stylist ique se fait jour dans notre trilogie, par rapport à

l’organisation spatiale de la figuralité; elle concerne peu Hotarul nestatornic (4 occurrences), mais vise

essentiellement les deux autres volumes de Ionel Teodoreanu (ceux de l’adolescence et de l’âge adulte,

respectivement 12 et 23 cas rencontrés); antagoniste à la première tendance relevée dans le roman de l’enfance

placé sous le signe de l’instant et de l’éternité, elle est marquée par la dilation des figures en volume, et

notamment par la présence significative de comparaisons expansives en clausule de paragraphe. Celles -ci se

développent dans l’espace textuel avec une ampleur plus ou moins grande, mais ce qu’il est intéressant de

constater, c’est la relation de proportionalité entre la croissance de ces comparaisons expansives et le

développement narratif de La Medeleni. Il en résulte, d’une part, un renforcement de la complexité narrative et

de la diversification des thèmes et motifs de l’histoire, et, d’autre part, un effet rythmique de ralentissement et

d’attente, marquant nettement l’inscription indélébile de l’histoire dans le temps.

140. IX - Répartition des comparaisons expansives.

Page 80: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

141. 142.

La Medeleni 1 4

La Medeleni 2 12

La Medeleni 3 23

143. 1. Segmentées.

144. La comparaison s’élabore parfois en une proposition constituant un seul bloc, en cadence mineure, par

exemple: «Ceasul mitropoliei bătuse de douăsprezece ori, solemn şi familiar, ca o pendulă într'un mare salon

cu luminile stinse.»38, avec, dans le cas présent, une expansion comparative en ligne continue, qui dramatise le

récit et qui le ralentit par son effet suspensif, mais qui est trop limitée pour constituer à proprement parler une

«image-récit». Le plus souvent, Teodoreanu fragmente la comparaison qu’il développe, selon le modèle de la

ligne brisée. Ainsi une proposition segmentée en cinq tronçons rend de façon mimétique et suggestive

l’écoulement inexorable de la durée: «Secundele se risipeau ca siruri de mărgăritare, mereu rupte, mereu

sfărâmate cu picioarele, pe coridoarele lungi, printre oameni indiferenţi...»39 145.Un tel procédé, par atermoiement prolongé du segment final d’une proposition qui ralentit sa progression,

provoque chez le lecteur un effet de réceptivité et d’attente comblée, par exemple dans l’identification et la

comparaison suivantes: «- Monica, tu ai fost o icoană zugrăvită într'un schit de munte, într'un schit foarte mic,

alb, la poalele unui munte pietros şi sever ca un ascet în aerul limpede...»40, ou dans une autre image

deDrumuri, construite sur une période ternaire, avec apodose en trois segments, en cadence mineure

suspensive: «Vorbele lui Dănuţ pluteau în jurul ei, o împrejmuiau, o cuprindeau ca fumul înalţat din acele căţui

vrăjitoreşti ale orientalilor, fum dătător de visuri, şi de fericire, şi de somn.»41 Le schéma de la période peut être représenté de la manière suivante:

Vorbele lui Dănuţ pluteau în jurul ei, 12

o împrejmuiau, 5

o cuprindeau 4

ca fumul înălţat 6

din acele căţui vrăjitoreşti 10

ale orientalilor 8

fum dătător de visuri, 7

şi de fericire, 6

şi de somn. 3

Page 81: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

146.

147. 2. En verset.

148. Mais dans la majorité des cas (19 sur 39), Teodoreanu se plaît à développer ses comparaisons

expansives en deux propositions ou plus, dans la structure du verset. Ce modèle présente l’avantage de

combiner la rigidité du vers et la liberté de la prose, par exemple lorsque le romancier compare la rose de

Danuţ, en une période en cadence mineure se développant en chapelet de deux propositions, avec un groupe

compact et central de cinq adverbes: «Tot sufletul lui era o mână crispată pe un trandafir. Un trandafir roşu ca

o sărutare în întuneric, când trupurile-s lipite - dens, adânc, elastic, aromat şi cărnos, cuprins în pumnii Adinei

şi sărutat în miezul petalelor ca o gură.»42 149. Un autre cas de comparaison expansive en verset, toujours dans Drumuri, mérite qu’on s’y attarde.

Elle se situe au moment où Danuţ écrit à Monica une lettre bucolique. Constituée de deux propositions en six

segments, elle est rythmée par la répétition de teluric et limpezi, deux adjectifs ou adjectifs adverbiaux

proparoxytoniques et mis en apposition. Ces deux mots récurrents et toniques prennent valeur de rime et

permettent le découpage rythmique du verset en quatre vers de type croisé, abba: «De ce spaime stranii îi

îngreuiau sufletul ca si cum, teluric, munţi crunţi s-ar fi înălţat acolo unde, limpezi, pluteau zările, munţi cu vastă suflare îngheţată?43 Ce qui donne schématiquement la période suivante:

De ce spaime stranii îi îngreuiau sufletul a

ca si cum, teluric, b

munţi crunţi s-ar fi înălţat acolo unde, limpezi, b

pluteau zările, munţi cu vastă suflare îngheţată? a

150.

151. Le déploiement du phore en verset est parfois plus ample encore. Dans l’exemple suivant (il y est

question de Vania), le comparant se développe en trois propositions constituant une gradation ascendante

brusquement rompue, ou bathos, avec ellipse verbale dans la clausule brève; par cette période très charpentée,

Teodoreanu obtient un effet mimétique d’arborescence jusqu’à la feuille: «Îşi pierdu echilibrul firii lui, ca un

om educat de presiunea atmosferică a pământului, deşteptându -se într'o planetă nouă, în care pasul devine salt,

braţul - aripă.»44 152. IV. Images complexes.

153. Drumuri et Între vânturi présentent un grand nombre d’images complexes, ce qui n’est pas le cas de Hotarul

nestatornic, volume caractérisé, on l’a vu, par des images de dimension réduite.

154. X - Répartition des images complexes.

155.

Page 82: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

156. Les images se développent en volume, jusqu’à occuper un ou parfois même plusieurs paragraphes, selon le

procédé précieux de l’accumulation (28 cas), ou surtout celui de la continuation (44 cas).

157. 1. Accumulation.

158. a. Images diverses.

159. Dans La Medeleni, Teodoreanu se plaît à accumuler les images diverses (3 cas sur 28, essentiellement

comparaisons et métaphores), donnant au texte romanesque une haute densité figurative.

160. • Emblème, séries métaphoriques.

161. À ce désir d’épuiser le comparé en lui adjoignant une quantité importante de phores, il faut relier d’abord un

goût prononcé pour l’emblème - ainsi Vania, avec une série de cinq attributs de plus en plus figuratifs,

constituant encore une fois un bathos, apparaît dans Între vânturi comme une figure emblématique du danger:

«El era tulburătorul de linişte, străinul pe care căminul nu'l acceptă, de care oraşele se leapăd ă; drumul care

trece pe lângă cimitirul cu stafii; umbra uraganului prin paşnice grădini; crivăţul din Rusia...» 45, puis une

tendance au développement du thème en séries métaphoriques à la Jules Renard, par exemple dans ces

paragraphes du roman où Ioana Palla ironise le monde naturel déformé par les yeux de l’artiste Dănuţ: 162. 163. Tocmai atunci scăpase în grădină un curcan care, văzându -mă, s-a burzuluit.

164. Tânărul Deleanu exclamă către mine:

165.- Uite la el: parcă-i o apoteoză de fluturi albi! 166. Am tăcut.

167. Altă dată. Răsărise o lună roză. Tânărul inspector al grădinei mele exclamă:

168. - Noaptea aceasta e ca plăcile de gramofon cu Carusso: e însemnată cu cerc roz la

mijloc.

169. Altă dată, despre un muşuroi de furnici: 170. - Parcă-i icre negre în delir! 171. Despre coarnele unui bou:

172. - Îşi poartă musteţile pe cap.46 173. 174. T. F.: Il venait justement de s’échapper du jardin un dindon qui, en me voyant, s’est dressé

sur ses ergots. Le jeune Deleanu s’exclame vers moi: 175. - Regardez-le: on dirait une apothéose de papillons blancs! 176. Je suis restée coite.

177. Une autre fois. Une lune rose s’était levée. Le jeune inspecteur de mon jardin s’exclame:

178.- Cette nuit est comme les plaques de grammophone avec Carusso: elle est marquée d’un

cercle rose au milieu.

179. Une autre fois, sur une fourmilière: 180. - On dirait du caviar en délire! 181. Sur les cornes d’un bœuf:

182. - Il porte ses moustaches sur la tête. 183. • Blason

184. Enfin, au procédé de l’accumulation particulièrement illustré dans les deux derniers volumes de La

Medeleni, on peut relier celui du blason, dont l’esthétique relève elle aussi de la préciosité, et qui faisait

l’admiration de George Călinescu: «Dis -moi, écrivait le célèbre historien de la littérature roumaine dans un

pastiche de dialogue socratique, si l’apparition des deux jeunes filles [Olguţa et Monica] n’a pas quelques

chose de la grâce somptueuse de la pudeur aristocratique et fičre des toiles de Vélasquez, ou de la suavité

exubérante des fresques de Melozzo da Forli...»47. Ainsi en est-il de cette prosopopée comparée d’Olguţa et de

Rodica, où domine la sensation visuelle: «Trupul Rodicăi părea hărăzit liniei orizontale, pe care ar fi

înfrumuseţat-o cu belşug de rotunjimi, cum înfrumuseţează dealurile curbe, valurile pline, ronda legănare a

grânelor şi prelunga plutire aplecată a zborurilor întinsurile plane ale pământului. / Trupul Olguţei purta

avântul şi vigoarea ascuţită a verticalei: plop vibrând spre cer, din lenea priveliştelor toropite. / Trupul Rodicăi

chema mânile, ca viile culesul; trupul Olguţei, săgeată, puterea braţelor de arcaş.»48 185. b. Comparaisons

186. Cependant l’accumulation de tropes dans La Medeleni concerne surtout la comparaison (25 cas sur

28). Comme chez Proust dans À la recherche du temps perdu, elle est un instrument favori de Teodoreanu49.

Elle est parfois redondante, donnant au lecteur l’impression du clou enfoncé plusieurs fois inutilement, ou de la

banalité - laissant s’insinuer des clichés, des motifs judéo-chrétiens éculés. La critique roumaine s’est trop

attardée sur de telles scories pour qu’on l’imite ici; on relèvera donc trois exemples seulement, dans lesquels

l’accumulation de comparaisons apporte peu au texte, en sens comme en expressivité; le premier, quand Dănuţ

regarde Adina dormir: «Şi totuşi, somnul ei îl întristase ca o nepăsare, ca o părăsire. Plecase de lângă ea, ca un

vânt, lăsându-i trupul ei ca un voal abia însufleţit. [...] / Uneori [Adina] tresărea ca o coardă subt arcuş: de

ce?»50, avec un jeu de reprises et de variations gratuites, une banalité des phores que ne sauve pas la

paronomase un peu artificielle nepăsare-părăsire; le second, quand Vania rencontre le sourire d’Olguţa: «Faţă

în faţă cu zâmbetul Olguţei, Vania întoarse capul, încet de tot, ca o enormă lacată cu cheia de mult pierdută,

deschisă de o floare, ca o lacată dată în lături cu poarta de fier pe care o cetluise până atunci.»51; le troisième,

Page 83: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

quand Adina est à douze pages de distance «lumineuse et tremblante» (ou «tremblante et lumineuse») «comme

une étoile de septembre»52 187.Mais l’accumulation de comparaisons53 dans La Medeleni est le plus souvent expressive. Teodoreanu réussit

par ce procédé à donner au thème une dimension concrète. Les comparaisons sont tantôt extra -sensorielles,

c’est-à-dire n’impliquant aucun des cinq sens humains, mais mettant en jeu un ou plusieurs sèmes conc rets

voires solides du phore (Monica attendant dans sa chambre le paquet de Dănuţ54, Vania comme présence

tangible dans la vie d’Olguţa55, la boue s’agglutinant autour des voitures de Bălţi56), tantôt sensorielles,

impliquant principalement l’ouïe et la vue. 188. • Comparaisons visuelles.

189. À la manière de Delavrancea, habile à noter, dans Trubadurul ["Le troubadour"] par exemple, les plus

subtils effets de lumière d’une nature mouvante et frissonnante, Teodoreanu aime à accumuler des

comparaisons visuelles qui font tableau ou qui suscitent l’intérêt du lecteur par leur éclat, comme dans le

passage consacré aux études de signatures de Dănuţ57 ou à la description du quartier de Sarărie à Iaşi58. Dans

le fragment descriptif consacré au paysage lugubre de Bălţi en Bessarabie, l’accumulation de phores visuels,

concrets, matériels, confčre au passage une grande intensité réaliste et une dimension d’outre -tombe: «Ca nişte

pelerini ai ploilor, stâlpii de telegraf răsăriră, lungi, de o ascetică slăbiciune, înclinaţi în mers. Câmpiile, ca

nişte foaste bălţi, din zare în zare, îşi înşirau tipsiile de glod şi ploaie sură. Apărură gări pământii, ca scoase din

etuvă.»59

190. • Comparaisons auditives.

191. Teodoreanu excelle aussi à accumuler pour un même thème une série de phores auditifs explosant en saccade.

L’effet est comique dans le cas du ronflement des passagers bessarabiens du train de Bãlþi, avec volonté

d’obtenir une harmonie imitative assez plaisante, en usant de néologismes humoristiques comme

Dimitrie Anghel et George Topârceanu, mais il n’est pas vraiment nouveau dans la prose roumaine, puisqu’on

le rencontre déjà chez D. D. Patrăşcanu dans Simfonia wagneriană ["La symphonie wagnérienne"]60:

«Partizan al sincerităţii, acest sforăit e franc şi superb sonor ca zbârnitoarea unu i zmeu înălţat. Adversar al

monotoniei, acest sforăit încetează, tresaltă în cascade nazalizate, bolboroseşte agonii respiratorii, fâsâie

spărgând o gheaţă, izbucneşte'n imn ca o sută de cucoşi, fârnâie ca ferestraiele betege, şuieră ca locomotivele

în ceaţă, mârâie surd, hârâie înăbuşit, oftează gargarizant, geme bas, face o pauză mortuară şi râde diabolic în

fiu-fiuuri soprane.»61. L’effet provoqué par l’accumulation de comparaisons auditives peut être aussi ironique,

dans le cas de la locomotive poussive qui conduit le train de Balţi: «Între timp, trenul merge la trap. Maşina

trage, dar suferă îngrozitor. Îi auzi respiraţia grea, şi ţi se face milă. O compătimeşti ca pe un cal prea

împovărat, bătut cu coada biciului. Vagoanele sunt mătăhăloase, grele şi dezarticulate. Scândurile tremură ca

ale şandramalelor când trec pe străzi camioane grele, fierăriile se zbat si sună, ca lanţurile unui siberian convoi

de condamnaţi politici, geamurile dârdâie şi cad singure ca portretele din cuie şubrede.» 62 192. • Comparaisons synesthésiques.

193. Mais le trait qui caractérise l’accumulation comparative dans La Medeleni, dans les deux derniers

volumes exclusivement, est sa visée synesthésique: le système comparatif teodorenien met très souvent en jeu

plusieurs sensations différentes qui se développent dans le texte et se contaminent les unes les autres; l’effet né

de cette fusion est une synesthésie, telle que la définit Julia Kristeva: «une condensation des infra -signes, des

indices sémiotiques qui ont un sens sans pour autant avoir une signification. Répartis sur les divers registres

perceptuels (ouïe, vision, odorat, goût, toucher), les uns empruntent aux autres leur jouissance pour faire

exister l’expression et/ou la sensation propre»63. C’est ce phénomène qui est mis en évidence dans le passage

descriptif consacré aux mets délicieux de la baba, empreints de sensualité gastronomique64, dans le blason du

corps d’Adina65, ou encore dans un moment lyrique consacré aux sons de la mer, et où les phores se

développent à partir de perceptions multisensorielles, selon l’esthétique symboliste de Baudelaire et de

Rimbaud, dont le romancier roumain est largement imprégné66: «Fffff... E lenea moale a mării. E spuma plină

ca o guşă de hulub. E zborul onctuos, ca al buhnelor albe în lumina de lună. [...] Ş. Fierbe spuma în clocote

mari, şuierând. Şşşş. E ca o gară din care toate locomotivele lumii, în aburi şi în fum, ar porni, clătinând

temeliile pământului, cu uraganul lor de fier înspumat.»67 194. Dans Între vânturi, un thème matériel et spirituel, connotant habituellement la sécheresse érudite - les

ouvrages de la biblio-thèque du directeur de Viaţa contimporană - , s’épuise délicieu-sement par des phores

polysensoriels exprimant la sensualité du livre-objet: «Scările se umpluseră de cărţi, răspândind mirosul acela

de hârtie tipărită, încă netăiată, bun ca mirosul scândurii albe şi ca aroma pânii calde, pentru nara pasionatului

lector. Cărţi proaspete pe care mâna le alintă, le deschide, culegând în treacăt parfumul unui cuvânt din

misterul frazei necitite, pe coperta cărora ochii recunosc acele nume de azur, care au cuiburi în inima noastră,

ca rândunelele subt streşina caselor.»68 195.On voit ainsi se manifester dans l’écriture romanesque de Teodoreanu la volonté d’aborder la réalité des objets

par la mise en jeu d’une perception globale, plurisensorielle, et exprimée par la multiplicité des images, telle

qu’elle apparaîtra quelques années après la publication de La Medeleni, chez Ion Vinea, dans Paradisul

suspinelor ["Le paradis des soupirs"]69. Il s’agit donc ici d’une stratégie cognitive qu’on s’attendrait à voir

adopter par un poète habile à explorer les gouffres sémantiques et ontologiques , et moins d’un procédé narratif

d’approche du réel par angles perspectifs, tel que l’adopteront plus tard les nouveaux romanciers roumains des

années 1970 et 1980.70

Page 84: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

196. Constellations comparatives.

197. Toujours dans une perspective volumique, l’image medeleniste atteint son extension maximale dans une

structure imagistique complexe, caractérisée par l’accumulation d’un grand nombre de comparaisons formant

de véritables constellations. Nous traiterons à part ce type d’accumulation, et nous nous attarderons sur un seul

cas parmi d’autres, particulièrement travaillé par Teodoreanu, dans Drumuri, au moment où Dănuţ réfléchit sur

sa jeune expérience d’artiste et sur sa perception des métaphores:

198. Răsăreau involuntar din funduri opace, uneori străvezii, fragil închegate,

împaienjenite de somn şi tăcere, ca înserarea înflorită a stânjeneilor; altele izbucneau

zvâcnind, grele, ca jocul delfinilor în val şi soare; altele îl făceau să clipească zâmbind, ca

bulgărul de lumină pe care un copil ţi'l aruncă în ochi cu oglinjoara de buzunar; altele,

nesimţite, vesteau parcă printr'o respiratie prezenţa lor, ca blândele fete ale adolescenţei când

îşi apleacă barbia şi genele pe umărul tău, să vadă dacă nu-i prea trist versul pe care'l ceteşti;

altele răspândeau triste nostalgii de tinereţă, ca boschetele de lilieci cu parfum de colb şi

ploaie; altele tropăiau, drăcoase si irevenţioase, ca un copil desculţ pe lespezile unei

catedrale; altele tremurau ca lacrima pe capăt de geană; altele iradiau, ca zâmbetul în

curcubeiele clăbucilor de săpun; alte înfricoşau, ca fâlfâirea unei sutane preoteşti în noapte;

altele îmbărbătau, ca senzaţia muşchilor tari; altele răspândeau soare şi frăgezime, ca o fată

între cernite maici; altele, gest viu şi izvoare, luminau o fugă; altele, gest vag de fluvii,

profetizau o tăcere.71 199. T. F.: Elles surgissaient involontairement de fonds opaques, parfois translucides, cristaux

fragiles, voilés de sommeil et de silence, comme le crépuscule fleuri de certains iris; tantôt

elles jaillissaient dans un bond pesant, comme le jeu des dauphins dans les vagues et le

soleil; tantôt elles le faisaient cligner en souriant, comme ces halos de lumière qu’un enfant

vous lance aux yeux avec un petit miroir de poche; tantôt, sans qu’on les sente, elles

annonçaient presque par un souffle leur présence, comme les tendres filles de l’adolescence

quand elles baissent le menton et les cils sur votre épaule, pour voir si n’est pas trop triste le

vers que vous lisez; tantôt elles répandaient de tristes nostalgies de jeunesse, comme les

bosquets de lilas au parfum de poudre et de pluie; tantôt elles trépignaient, espiègles et

irrévérencieuses, comme un enfant pieds-nus sur les dalles d’une cathédrale; tantôt elles

tremblaient comme une larme sur le bord d’un cil; tantôt elles s’irisaient, comme un sourire

dans les arcs-en-ciel des bulles de savon; tantôt elles effrayaient, comme l’ondoiement d’une

soutane de prêtre dans la nuit; tantôt elles réconfortaient, comme la sensation de muscles

fermes; tantôt elles répandaient soleil et fragilité, comme une fille parmi des nonnes portant

le deuil; tantôt, geste vif et sources, elles éclairaient une fugue; tantôt, geste vague de

fleuves, elles prophétisaient un silence.

200. Ici le texte se développe selon le procédé du tohu-bohu, en un ensemble de pas moins onze comparaisons

parca ["comme"] suivi d’un groupe nominal, en une longue période énumérative et distributive, dont chaque

proposition introduite par le pronom indéfini alte ("d’autres", traduit ici par "tantôt"), compte un nombre

extensible de syllabes:

201. Răsăreau involuntar [...]

202. 1. ca înserarea 14 syllabes

203. altele [...] 2. ca jocul [...] 12

204. 3. ca bulgărul [...] 29 (14+15)

205. 4. ca blândele fete [...] 45 (13+17+15)

206. 5. ca boschetele [...] 16

207. 6. ca un copil [...] 17

208. 7. ca lacrima [...] 10

209. 8. ca zâmbetul [...] 17

210. 9. ca fâlfâirea [...] 16

211. 10. ca senzaţia [...] 8

212. 11. ca o fată [...] 10

213. Par contamination sémantique, les phores extensibles s’y enchaînent par groupes de deux ou trois, formant

réseaux: champ de la lumière pour les propositions 1 à 3 (opaques, transparents, crépuscule; soleil; cligner,

boule de lumière, yeux, miroir), de la jeunesse pour les propositions 4 à 6 (adolescence, jeunesse, enfant), de la

fragilité et du liquide pour les propositions 7 et 8 (larme, bulles de savon), avec un signe de jonction entre les

trois réseaux sémantiques, représenté par le noyau constellaire «enfant» dans la troisième proposition, qui

annonce le deuxième champ, et dans la sixième, qui anticipe sur le troisième, selon le schéma su ivant:

214. 215. 1. opaques, transparents, crépuscule

216. Champ 1 2. soleil

217. 3. cligner, boule de lumière, yeux, miroir

218. ENFANT

219.

Page 85: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

220. 4. adolescence

221. Champ 2 5. jeunesse

222. 6. enfant

223. 224. ENFANT

225. 226. Champ 3 7. larme

227. 8 bulles de savon

228. Esthétique par l’harmonie des principaux réseaux sémantiques qui la structurent, la constellation

comparative renforce son unité par les anaphores pronominales (altele... altele) et verbales

(răsăreau / izbucneau,înfricoşau / îmbărbătau). L’effet obtenu par les deux procédés est celui d’irrisation

sémantique, l’ensemble des figures et des signes mis en jeu collaborant à l’emblème de l’arc-en-ciel.

Teodoreanu reprend finalement ici la méthode littéraire des symbolistes, dite «accumulation d’images

hétérogènes»72, abondamment développée par Adrian Maniu dans Orfeu sau Povestirea multelor motive

muzicale ["Orphée ou l’Histoire de maints motifs musicaux"]. La Medeleni s’inscrit de la sorte dans la lignée

romanesque de Sadoveanu en Roumanie et de la Trilogie de Pan de Jean Giono en France73, où les images là

aussi s’engendrent les unes les autres par contamination phonique et sémantique, pour former de véritables

constellations.74 229. 2. Continuation.

230. On a vu jusqu’ici que les figures de La Medeleni s’organisaient en systèmes de plus en plus complexes par le

procédé de l’accumulation, propre à la préciosité, et qu’elles s’étendaient, dans un cas extrême, en véritables

constellations d’images. Cependant elles se développent surtout dans l’espace textuel selon le procédé de la

continuation (44 cas sur 72 images complexes), mettant en jeu principalement les comparaisons (15) et les

métaphores (23).

231. a. Comparaisons filées.

232. Le romancier roumain aime en effet à développer les comparaisons et les métonymies en plusieurs points, dans

les deux derniers volumes de La Medeleni, selon des registres nombreux et variés.

233. · Registre humoristique.

234. Dans le registre humoristique, d’abord, le tribunal de Iaşi fait figure d’arène de corrida75, les amies

parisiennes d’Olguţa et de Monica devant Paşa - de craintifs pigeons vénitiens devant des statues célèbres 76. 235. · Registre intellectuel.

236. Dans le registre intellectuel, par ailleurs, l’âme humaine est comparée à une maison; Teodoreanu

utilise en fait une métonymie en plusieurs points, par application du concret à l’abstrait. On sait que George

Călinescu a ironisé sur cette figure77; la critique vise sans doute l’aspect quelque peu plaqué de ce

développement, qui ne fait que reprendre, non sans une certaine poésie, différents éléments de l’imagisme

philosophique, tels qu’ils apparaissent, par exemple, chez Eminescu dans Sărmanul Dionis ["Le pauvre

Dionis"]78: «Sufletul ne e ca o casă cu multe încăperi, fie chiar nemăsurat de multe. Sufletul e ca un mal la

care poposesc corăbii. Aceste corăbii, fiecare din ele aducând alceva - unele rodii şi curmale, altele molime,

altele cântece, altele sicrie -sunt pribegile încăperi ale acelei case vast inexistente care se numeşte suflet. Unele

se îneacă şi dispar - deşi "sunt" pe fund - altele, răzleţite, apar o dată numai, în fum de ceaţă şi geamăt de

sirene. Şi mereu e altceva. Alte suflete, dar ceea ce e îngrozitor e ca toate însufleţesc acelaşi trup...»79 237. · Registre esthétique. 238. D’autres tropes se développent dans le registre esthétique, de manière inclusive, souvent par insertion

de la métaphore dans la comparaison, ou de la comparaison dans la comparaison comme chez Proust80,

mettant en jeu de savants contrastes d’ombre et de lumière, comme dans ce passage de Drumuri, où la folle

allégresse régnant dans le studio bucarestois de Dănuţ ŕ l’arrivée de ses sœurs est longuement comparée à une

torche: «Bucuria, aprinsa întru întâmpinarea Monicăi, se stinse, şi, ca pe o torţă stinsă, gândurile o trecură din

mână în mână până în fundurile unde e noaptea şi unde fumegă înnăduşit melancolia.» 81, comme dans cet

extrait de Între vânturi, où la nocturne d’Olguta, par synesthésie visuelle et sonore, évoque en un long

développement, d’une manière rappelant les Nocturnes d’Adrian Maniu, les demeures sépulcrales: «De câte ori

nu ascultase Paşa în salonul de la Paris această nocturnă, deznădăjduită, scrisă cu gemetele sufletului, ca un

pământ fără cer, sumbru pământ de morminte, din care coralul înalţă o bucurie stranie şi suavă ca un răsărit de

lună nu din cer, ci spre cer, din pământul mormintelor.»82, ou comme dans cette comparaison personnifiante

presque surréaliste: «O zi de august, aromată si toropită ca o femeie goală întinsă pe plajă la soare, cu ochii

negri ai umbrelelor subt părul întunecat al livezilor.»83 239. · Registre végétal.

240. Comme dans la prose de Tudor Arghezi, notre trilogie développe enfin un nombre important de

comparaisons du registre végétal. Ainsi les cheveux de Dănuţ ressemblent ŕ des tulipes endormies 84; les yeux

d’Adina sont comparés à des cristaux de sève85, les années passées par Alexandru Pallă auprčs d’elle - à une

armée en marche épargnant les fleurs86. La boue de Bălţi happant le soulier d’Olguţa s’anime en plante

carnivore, dans une comparaison filée trčs concrète: «Glodul acesta era viu. Respira ca acele fioroase flori

carnivore, care-şi închid grasele petale în clipa când insecta a intrat; glodul Bălţilor îşi închidea buzele negre

asupra pantofului desprins.»87 Dans un autre passage du troisième volume, le constructeur de villes conquises

Page 86: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

sur la terre est comparé au navigateur en plusieurs points; thème et phore se mêlent (furtuna vegetală, valul de

frunze) dans un trope très travaillé, évoquant les premières lignes de Terre des Hommes de Saint-Exupéry,

mais surtout, par l’opposition sémantique de la nature et de la civilisation, l’imagisme indien de Rudyard

Kipling: «Fiecare oraş e monumentul unei victorii asupra solului, al cărui belşug e virulent ca ura. Dar braţul

omului zidar al clădirii care'l va adăposti şi împodobi, trebuie să vegheze ca al pilotului pornit pe mare cu

corabia, căci în pământul biruit, cu încordări de rădăcini adânci, pândeşte furtuna v egetală, gata să-şi arunce

valul de frunze, înecând fapta omului temerar.»88 Ailleurs, par application à l’abstrait du concret végétal et

lumineux, l’âme d’Olguţa évoque un arbre solitaire en une métonymie en plusieurs points développée sur deux

paragraphes; l’orientation lévogyre du trope (du phore au thčme) confère à l’image somptueuse et ample une

grande force expressive due à l’effet de surprise: «Uneori toamna are nevoie de o pădure întreagă ca să -şi

desfăşure şalul persan cu arabesc de crengi, colorit de frunze, căderi de franjuri. Dar sunt copaci solitari, cedrii

de pildă, pe ale căror trunchi nu cresc coroanele de crengi ale copacilor în turmă, ci păduri. Umbra lor e un cer

aşternut la picioare. Toamna e toamna lor, păunul de aur hrănit, crescut şi desfăcut în palma imensităţii lor.

Prin crengile lor, nici luna, nici soarele nu trec _ popas fugar pe o bancă _ ci călătoresc. / Sufletul lui

Alexandru Pallă cunoştea îmbelşugarea acestor singurătăţi, tumultul acestor tăceri. Înainte de a cunoaşte

sufletul Olguţei, îi bănuise dimensiunile.»89 Un même type de métonymie mettant en jeu les éléments

végétaux et lumineux est développé par Teodoreanu dans Drumuri; l’emploi de l’apostrophe sensibilise le

trope et renforce son aspect plastique: «Cunoscuse Dănuţ până atunci ce înseamnă bucuria de-a aştepta o

metaforă. O aştepţi: va veni din cer sau din pământ? Îţi bate inima. O auzi apropriindu -se în batăile inimii. Şi

deodată este. O vezi, nouă ca o altă planetă în care trăieşti, a ta totuşi. Era lângă tine, dar vin e străfulgerând

prin cosmice spaţii. Luceafăr desprins din cerul care eşti tu însuţi, oprit şi cules ca un fruct scuturat de mâna

ta.»90 241. b. Comparaisons homériques.

242. Teodoreanu use aussi de la comparaison homérique, long système développé en une ou plusieurs

propositions «assez étendues pour constituer la protase d’une période»91 et propre encore au baroquisme. Le

roman La Medeleni présente deux cas d’une ampleur importante. La première comparaison de ce type se

constitue d’un phore étendu sur un long paragraphe d’une vingtaine de lignes _ le printemps comme

événement miraculeux devenu un simple fait divers _ suivi du thème «Ainsi en est -il des femmes...»92. Un tel

système, qui veut jouer sur l’effet d’attente et de surprise du lecteur, dérive rapidement dans la généralité

théorétisante et édifiante, et n’est pas sans présenter un défaut de maniérisme lassant et quelque peu gratuit. Il

faut à l’art de Teodoreanu user de ses nombreuses ressources dans le domaine de l’expression dynamique pour

redonner à des systèmes comparatifs aussi volumineux l’essor et la légèreté des images plus courtes. Ainsi,

dans Drumuri, la joie d’Olguţa est comparée ŕ une armée en marche: le procédé de l’énumération et de la

détermination topique par clichés confère à la période un rythme plus soutenu: «Când trece o armata în marş

pe străzile oraşului, încetul cu'ncetul, ritmurile disparate care animează paşii feluriţilor trecători se contopesc

într'unul singur: al armatei care trece. Şi ai priveliştea desfătătoare a preotului bu rtos, a doamnei încorsetate, a

şolticului cască-gură, a modistei ţinând subt braţ balonata cutie de pălării, a pensionarului cu gazeta deschisă,

unificaţi de acelaşi pas, impus tuturora de cadenţa netă a pasului milităresc. / Aşa era veselia Olguţei: toate

fizionomiile, vrând-nevrând, o urmau antrenate.»93

243. c. Métaphores filées.

244. Drumuri et Între vânturi, caractérisés par l’ampleur des images, développent un nombre relativement

élevé de métaphores filées, séries de tropes exploitant des éléments d’un même champ notionnel94. Ce

procédé participe au caractère ornemental du roman, mais Teodoreanu parvient la plupart du temps à en limiter

l’effet d’effilochement et d’évanescence des images. 245. Un cas extrême concerne un passage de Drumuri, étendu sur une dizaine de lignes, et où Dănuţ est

présenté comme un mur opaque aux yeux de Ioana Pallă95; le phore s’y développe autour de signes concrets

(zid, a ciocni, comoară, mister, palat), en correspondance avec les différents éléments du thème (Danuţ; le

secret de Dănuţ; la scčne, inexplicable pour Ioana Pallă, de la rencontre nocturne de Dănuţ et d’Adina

Stephano entre deux gares de campagne). Le męme volume développe la métaphore filée de la littérature

symboliste conçue par Dănuţ comme mer en mouvement, avec des éléments p lastiques concrets, lumineux,

fortement marqués par l’esthétique de Baudelaire, un emploi très moderne de l’hyperbole et des mots

scientifiques jouxtant des termes autochtones, comme chez Gala Galaction96 (penumbră, crepuscular,

formidabil, pulsaţie, onctuos..., face à vietăţi, a ademeni, nedesluşit), un usage original de l’épithète rare

comme dans la prose de Tudor Arghezi97 (pulsaţie lentă, onctuoasă, aiurită), et surtout avec un procédé

d’accumulation déterminative et de retardement de la chute _ en l’occurrence un pérégrinisme français _, qui

crée un effet de surprise et redynamise la figure: «Penumbra muzicală a tehnicei simboliste îl ademenea.

Recunoştea o mare originalitate acestei literaturi. O socotea, faţă de celelalte curente literare, ca un fund de

mare cu straniu ritm şi stranii vietăţi în lumină crepusculară, legănate şi apăsate de aceeaşi masă formidabilă de

apă, creatoare a unei noi pulsaţii _ mai lentă, mai onctuoasă, mai aiurită _ şi a unei temeri nedesluşite, definită

numai de cuvântul francez: angoisse.»98

246. · Registre antique et médiéval. 247. Parmi les sens mis en valeur par Teodoreanu dans la métaphore filée, le registre de l’héroïsme antique

et médiéval est bien représenté. Le phore des pèlerins bivouaquant (pelerini, căi, a poposi), par rapport au

Page 87: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

thème des enfants (copii, covoare, gavanos de dulceaţă), occupe un paragraphe à la fin du premier chapitre

deHotarul nestatornic. Le romancier a soigneusement travaillé cette longue image, griffonnée déjà dans le

manuscrit99, et dont l’incipit forme dans une variante du roman le titre du premier chapitre de ce qui

deviendra Hotarul nestatornic100. L’effet est poétique, l’humour minimise la portée solennelle et religieuse du

phore, ici encore la métaphore filée se clôt par la présence surprenante d’un objet inattendu: «... Albi pelerini ai

căilor de lună pe covoare, trei copii desculţi, în lungi cămeşi de noapte - unul cu cozi blonde, doi cu plete

brune - poposiră în jurul unui gavanos cu dulceaţă.»101 Dans le même registre, les élèves du lycée Lazar

durant l’examen annuel sont comparés à des croisés; par rapport au thème scolaire (penite, teze, corigenţa,

repetenţa, vacanţa) le phore guerrier est filé avec luxe de détails (cruciadă, teroare, fanatism, a cuceri): «Mai

bine de cinci sute de peniţi porniseră cruciada ultimelor teze ale anului, alungate de aceeaşi teroare _ corigenţa

sau repetenţa _ calăuzite de acelaşi fanatism: cucerirea vacanţei fără de griji.»102 Dans le registre héroïque

toujours, les salles d’examens du lycée bucarestois évoquent la scène d’une tragédie antique; la métaphore est

filée sur une dizaine de lignes (thème scolaire: catedre, clasă, coridor, uniformă, fiţuică, caiet, carte, repetent ;

phore théâtral: zei, enigmatic, patetic, Oedip, cor antic) avec un jeu d’antithèses forçant la monotonie et un

refrain en chute de période redynamisant la figure une nouvelle fois: «De pe catedre, dominând şirurile

spinărilor aplecate, zeii didactici _ îndeobşte sluţi, neraşi, cu ochelari călări pe triste nasuri _ aveau expresia

enigmatică a zeilor autentici. [...] Când şi când, uşa vreunei clase se deschidea cu o încetineală leşinată şi se

închidea patetic, izgonând pe coridor un mic Oedip în uniformă, prins cu fiţuica în caiet, cu cartea pe genunchi

sau aplecat famelic pe caietul vecinului. Şi corul antic al tăcerii murmura'n urechile urechite în prezent şi

viitor: “Repetent... repetent... repetent...“».103 248. d. Allégories.

249. Dans quelques cas plus rares, les tropes de La Medeleni se développent en allégories personnifiantes;

c’est pour Teodoreanu une manière de rendre «le thème visible et de le faire agir»104 Ainsi l’été arrivant dans

la sinistre ville bessarabienne de Bălţi est comparé à un passant anonyme chargé de fleurs; la personnification

de la saison par attributs vestimentaires, l’antonomase symboliste (Vara avec majuscule) et l’opposition

sémantique qui s’élabore au fil du texte entre les signes de vie et les signes de mort, concourent à dynamiser le

trope et modèrent l’artifice du procédé développé sur une partie de texte entre deux blancs: «În rândurile

trecătorilor vasali ai glodului şi-ai ploilor, pe străzi mocirloase ca lagunele secate, printre case triste ca nişte

mari cufere de viaţă uitate nedespachetate pe umedul chei al ploilor şi-al bălţilor, cu galoşi grei, cu garoafele,

macii şi soarele subt pardesiu, şi rândunelele subt gene, trecea Vara. Dar nici un trecător n -o

recunoscu.»105Ailleurs, ce sont les mots de la langue française, employée par Dănuţ dans ses počmes

d’adolescent, que Teodoreanu compare à Cendrillon, dans une longue allégorie s’étendant sur une quinzaine de

lignes. L’éloignement extrême du thème par rapport au phore rend le trope original et surprenant; le

déploiement d’un lexique propre au registre du conte de fées (éléments cosmiques et naturels) et choisi dans le

champ sémantique de l’ombre et de la lumière, le développement de nombreux éléments narratifs traditionnels,

les jeux d’anaphore et d’énumération, enfin, caractérisent une nouvelle fois l’allégorie: «Nu ştia încă Dănuţ că

fiecare cuvânt e o Cenuşăreasă care s -a întors de la bal - de la un bal cu lună, soare, fluturi, rouă şi păduri -

pierzându-şi condurul. Şi dacă stă acoperită de cenuşă, într-un bordei, la vatra stânsă - în schimb un făt-frumos

îndrăgostit o căută prin toată lumea cu condurul în mână. Şi această umilinţă, această aşteptare, şi această

căutare, e enigma fiecărui cuvânt. / Nu ştia încă Dănuţ că în limba franceză Cenuşăresele sunt venerabile şi că

fiecare dintre ele locuieşte într-un palat străveziu de cleştar - cu conduri de toate formele şi culorile, aşezaţi pe

calapoade - amintându-şi vremurile basmului din tinereţă când piciorul era mai mic decât condurul, şi când

condurul era pierdut...»106 250. Conclusion

251.L’examen approfondi, d’un point de vue interne, des nombreuses images diégétiques de La Medeleni, met en

évidence leur rôle cohésif dans l’ensemble du texte. Elles permettent à un récit de discontinuité et de

fragmentation, de se resserrer sur lui-même et de maintenir sa cohérence107, le procédé teodorenien de

développement d’images par comparaison continuée, métaphore filée, métonymie en plusieurs points et

allégorie tissant à travers toute l’œuvre un faufil sémique entrelacé à la trame narrative du roman. 252.

253. B. Point de vue externe 254. Sur cette toile unidimensionnelle de la trilogie roumaine, où les images tissent continuellement des

motifs décoratifs récurrents, les tropes hétérogènes au milieu narratif apportent relief et profondeur, ainsdi

qu’un mouvement rompant ce qui pourrait devenir monotonie. Par la distance qu’elles établissent entre le

phore et les coordonnées spatio-temporelles du récit, ces images, caractéristiques de l’écriture romanesque de

Ionel Teodoreanu, individualisent le thème de façon originale et surprennent le lecteur en faisant basculer le

récit dans l’au-delà d’une autre dimens ion. D. I. Suchianu remarquait avec sagacité que les images du

romancier roumain «déclenchaient des moments de conte. Elles ne généraient pas des tableaux, elles

généraient des contes.»108 L’essayiste met en évidence un aspect fondamental de l’imagisme teodorenien - la

fonctionnarrative de sa métaphore, la figuralité dynamique et non statique de La Medeleni, qu’en moderniste il

oppose à la conception ornementale que la critique, traditionnellement109, a du trope.

255. I. Images diverses.

Page 88: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

256. L’image extra-diétégique permet précisément au romancier roumain, grâce aux embrayeurs temporels, par

exemple, à la mise en scène rapide de la séquence narrative développée dans le phore, à l’intensité dramatique

ou au mouvement qui y naissent, de pallier à ce défaut de "tableau" des tropes décoratifs.

257. 1. Utilisation des embrayeurs temporels.

258. 2. Mise en scène brève.

259. Ailleurs, l’image hétérogène au milieu narratif se développe dans le phore selon une mise en scène

brève, relevant du croquis, et où intervient un seul personnage. Ainsi en est-il dans le même passage célèbre

deHotarul nestatornic, quand Olguţa se révolte aprčs la punition infligée par madame Deleanu: «Eu!? sui

glasul Olguţei treptele eşafodului, împlântând pe ultima roşul răzvrătirii.»111, ou dans Între vânturi, quand

Vania domine le bureau et la pièce de la maison de Balţi «ca trupul unei statui de piatră meditând cu fruntea în

palmă, în declinul toamnei şi al înserării amare a unui parc părăginit.»112 - avec, dans ce dernier cas, un

décrochage spatial "ouvrant" en quelque sorte le récit sur une perspective mystérieuse.

260. 3. Intensivité dramatique.

261. Ailleurs l’image extra-diégétique opère le décrochage par une dramatisation intensive et par une fuite

plus spectaculaire, voire terrifiante. Dănuţ vient d’accepter la proposition de suivre son oncle paternel à

Bucarest; madame Deleanu le console «strângându-l în braţe aşa cum l-ar fi strâns pe peronul unei gări

lugubre, subt ţipătul locomotivei care l-ar fi dus la măcel.»113 Toujours dans le registre ferroviaire, et relevant

d’une vision anthropomorphique très puissante de l’enfance, le compliment de «grand garçon» que lui adresse

son père le plonge dans l’angoisse, «ca un tren negru care-l duce de-acasa între străini.»114 262. 4. Mise en mouvement.

263. Ailleurs le décrochage se produit par l’accélération à l’intérieur du phore, évoquant une fuite au sens

propre. Étreinte par les bras de Vania, Olguta reste «cu ochii închişi, în întuneric, lipită de viaţa unui piept vast,

ca o pasăre care-ar simţi că stejarul în crengile căruia şi-a făcut cuibul, în loc să se năruie cu ea, în clipa

trăsnetului, şi-ar strânge crengile ca s-o ocrotească.»115 Ici l’image se développe comme une séquence

narrative tangentielle à la diégèse et emmenant le lecteur vers un "ailleurs" du récit, selon un mode déjà mis en

évidence par D. I. Suchianu: «Les métaphores de Ionel Teodoreanu, écrit le critique, sont de petites histoires

bis, semblables au fait réel d’où elles proviennent. Il ne s’agit pas seulement d’analogies de formes, mais aussi,

comme dirait Pavlov, de "stéréotypes dramatiques" identiques, ou, comme dirait le physiologue Minkowski, de

"mélodies cynétiques" apparentées.»116 264. Parfois le phore de l’image extra-diégétique anime celle-ci d’un mouvement rapide et tournoyant vers

un point de fuite irréel, provoquant un effet fantastique et délirant de danse macabre: «Ploaia, noaptea şi frigul

umed te izgoneau într-o eternitate dincolo de anotimpuri, prin care mişcarea trenului părea ceva subpământean,

un fel de exod de sicrie, legate cu lanţuri, pornite în sabat dement prin miezul pământului.»117 ou de

merveilleux bucolique et musical par démultiplication des sensations et des perspectives; ainsi Mircea

amoureux d’Olguţa voit en elle «un plop impertinent plin de glumele vrăbiilor, răsărit din zidurile nalte ale

unei case necunoscute.»118, et le narrateur dans le champagne une «Veselie pură ca zurgălăii unei sănii,

sunând în voioşia unui amplu trap robust, pe întinderi albe de zăpadă sclipitoare.» 119 265. II. Images théâtrales, à effet dramatique soutenu.

266. Dans le roman de Ionel Teodoreanu, la figure met en branle le récit également par le développement

des éléments de mise en scène à l’intérieur du phore, par une attention particulière portée aux détails gestuels

et à la distribution actantielle au sein de l’ "histo ire bis". Tantôt, avec le vieux perroquet Coco par exemple,

l’obser-vation minutieuse du romancier aboutit à une mimique révélée dans une personnification surprenante et

qui fissure l’unité spatio-temporelle de la diégèse: «Coco se legăna uşor în cuşca lui, şi legănarea lui era de

bătrân când îşi aminteşte un vals din vremea tinereţii şi adoarme dând din cap, ridicol şi-nduioşător.»120.

Tantôt l’image réussit à exprimer une atmosphère ineffable en développant dans le phore un moment de

tournoiement et de fuite ddésorientée: «Era, în toate peisagiile lui Alexandru Pallă, ca un gest de orb uriaş

care-ar fi strâns mereu alte privelişti în braţe să găsească apariţia pe care o caută, negăsind -o nicăieri.»121.

Sinon la figure multiplie les rôles dans une personnification amusante, transmutant en scène alerte un décor

prosaïque et statique: «Pe marginea plitei, trei mere domneşti se coceau, priveghiate de baba, ca o trin itate

bosumflată de repetente, strunită de ochii profesoarei şi zeflemisită de colegele mărunte.» 122. 267 . III. Mini-récits iconiques.

268. Enfin l’image teodorenienne exerce son effet centrifuge et «attire le récit hors de lui-même»123 part

la constitution de mini-récits développés dans un cadre spatio-culturel tangent, avec des personnages et des

actions plus détaillés. La figuralité mise en œuvre chez le romancier roumain rejoint alors celle de Julien

Gracq, telle que l’analyse avec justesse Elisabeth Cardonne-Arlycke. La figure, selon l’auteur français qui

rejoint ainsi Suchianu, «fabrique, dans le même mouvement, le temps du récit - le récit même. Toute figure

développée, par sa seule présence, fait marcher le récit, puisqu’elle se développe dans le temps» 124. Le

nouveau cadre ainsi créé permet, dans La Medeleni, un décrochage temporel de la diégèse par le

développement de mini-récits doublant la narration centrale par la tangente, et lui offrant autant de lignes de

fuite. L’image ainsi générée par le texte fonctionne alors comme mythos, séquence narrative développée autour

de trois registres. 269. 1. Registre héroïque.

Page 89: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

270. Un premier procédé de dédoublement du récit par l’image consiste à développer le phore autour d’un

motif généralement héroïque, guerrier. Ainsi, dans le passage de Între vânturi où la fille accuse devant le

tribunal son père de l’avoir violée, le comparant se dévide brusquement sur un narrème primitif: «Şi deodata,

fără legătură narativă, imprecaţia izbucni, însoţită de mână, ca nechezatul calului de vârful suliţei în plin

atac.»125; le lyrisme du poète Tudor Arghezi conquiert le cosmos en une métaphore filée épique, «ca platoşa

de brazi a munţilor Carpaţi, vâjâia înalt deasupra vieţii, chemând -o la luptă dreaptă subt luceferi.»126;

l’abattement qui, sur le bateau Marseille-Constanţa, s’empare d’Olguţa repensant ŕ son opération au sein subie

en France, est rendu par le romancier roumain au moyen d’une métaphore-tangente où la mort d’un guerrier se

trame sous nos yeux de façon inéluctable: «Sufletul ostenit de trup avea descurajarea luptatorului călit în lupte

glorioase, când îşi dă seama că lama lungă, tăioasa prelungire a braţului, care-l purtase până atunci ca o

firească aripă bărbată, i-a devenit deodată grea în mână şi străină, biruindu-l şi pe el.»127. 271. 2. Registre médiéval.

272. Un autre procédé de figuration extra-diégétique consiste en un développement du phore sous une

forme plus historiquement marquée (boieri, surugii, jupâniţe, castelane, paji ...), dans le registre du conte ou de

la chronique médiévaux. Ainsi la course entre la voiture de Dănuţ et la carriole d’Olguţa, au début de Hotarul

nestatornic, génère une comparaison-tangente aux allures de chanson de geste: «Totuşi, întrecerea începu

vioaie, ca odinioara, când boierii erau năprasnici la mânie şi la veselie, şi când surugii învârteau harapnice

intrând cu oiştea-naintaşilor în porţi, ca să zâmbească inima boierilor de ţipetele jupâniţelor.»128, et la

cueillette des abricots par Puiu un curieux micro-récit à même connotation archaïque, non dépourvu de

quelque érotisme: «Caişii îl cunoşteau bine pe Puiu şi-l rasfăţau, cum odinioară frumoasele castelane coapte în

aşteptarea vitejilor războinici îşi răsfăţau pajii, purtătorii trenelor şi-ai micului pumnal, lăsându-i să se joace cu

cerceii, cu inelele, cu zulufii şi uneori chiar şi cu sânii: preţioşi şi ei în brocarturi, dantele şi catifele.»129 273. 3. Registre folklorique.

274. Enfin certaines images extra-diégétiques recourent au registre des ballades populaires roumaines,

reprenant le motif des haïdoucks et des vierges enlevées. Elles font basculer le récit dans un au -delà de

légende, atemporel, ouvrant une brèche au désir du lecteur. Ainsi un livre d’Octave Mirbeau, vendu par Vania

installé libraire à Genève, évoque d’opulents festins «în care fadul Bourget se topea ca un elegant borcan de

briliantina la dogoarea unui foc haiducesc, la care se pârjolesc în frigare berbeci întregi.»130; les battements du

cœur de Danuţ - «un galop haiducesc ducând de-a curmezişul şeii creanga îndoită de belşug a unui trup de fată

mare.»131; ses remords d’avoir trompé Monica avec Adina Stephano - un «Miros de ars în suflet şi gândurile

strâmbe şi strivite ca lanuri peste care au trecut năvălitori călări cu o mireasă răpită.»132

275. Se rappelant que c’est sa mère elle-même qui lui a donné les

ciseaux lui ayant permis de couper la ficelle du cerf-volant de Dănuţ,

Olguţa éprouve «fericirea vinovaţilor care-şi găsesc din senin un

complice la răspundere, după ce-au desăvârşit singuri fapta»110 - ici

la métaphore s’anime par deux narrèmes développés dans le phore et

nettement disjoints par la conjonction temporelle după ce ["après que"], en même temps qu’elle fait basculer le récit hors de lui-même.

FONCTIONS ET VALEURS DE L’IMAGE CHEZ TEODOREANU

Bilan et projet

Nous avons montré jusqu’ici l’existence, dans le roman La Medeleni, d’une dense forêt d’images intra-diégétiques

d’ampleur variable, et analysé quelques formes de développement des tropes dans l’espace textuel: modèle pointilliste,

caractérisé d’une part par l’abondance des figures -fusées et des comparaisons versifiées, et, d’autre part, par le

resserrement de l’image par métaphorisation, parfois en séries développées sous la forme du poème en prose; modèle

expansif, de plus en plus représenté au fil du roman, avec développement du trope en ligne brisée ou en verset; modèle

complexe, enfin, caractérisé par une haute densité figurative, une accumulation de comparaisons visuelles et auditives

mais surtout synesthésiques, annonçant la prose de Ion Vinea, un nombre élevé de métaphores filées empruntant leur

phore au registre héroïque, et de comparaisons et métonymies continuées, surtout végétales. D’un point de vue externe,

enfin, nous nous sommes attardés sur les tropes hétérogènes au milieu narratif, qui individualisent le thème et font

basculer le récit dans l’au-delà de la figure, et nous avons analysé la fonction narrative de la métaphore teodorenienne,

sa manière de dynamiser le récit, de créer un mouvement de fuite centrifuge par création de mini-récits doublant la

narration centrale, et mettant en jeu les motifs épiques de la guerre, de l’histoire et de la ballade populaire. Cette

recherche très formelle a mis clairement en évidence le caractère spécifiquement baroque de l’image chez Ionel

Page 90: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Teodoreanu: forte accumulation des éléments figuratifs et surdéveloppement du phore par rapport au thème dans de s systèmes arborescents et en tangente par rapport au récit.

Mais cette étude a pu donner l’impression d’artifice et d’absence de perspectives d’un système figuratif ayant pour but

son propre développement dans l’espace du texte. Il faut maintenant envisager le problème de l’image teodorenienne

non plus dans l’orientation de son auteur mais dans la perspective du lecteur, d’un point de vue des effets, donc, de

l’originalité, et, finalement, de la valeur. L’étude raisonnée du système des images de La Medeleni a permis d’identifier deux principales fonctions1 de l’image- humoristique et perceptive2 - , qui feront l’objet de ce chapitre.

A. Fonction humoristique de l’image

L’image de La Medeleni a une première fonction, humoristique, en ceci qu’elle implique le soulignement par le

narrateur d’une distance entre ce que devrait être le monde et ce qu’il est réellement3, ouvrant ainsi à l’esprit une sorte

d’issue. Dans un compte rendu de la monographie de Nicolae Ciobanu sur notre romancier roumain, Nico lae Manolescu

note que l’historiographe n’insiste pas assez sur l’humour de l’auteur de La Medeleni, et remarque avec justesse que le

procédé indique la perspective de l’extérieur sur le monde romanesque.4

I. Humour insolite, scabreux, grivois.

Dans la trilogie roumaine, l’humour naît d’abord de la tendance qu’a le narrateur à se distancer des êtres et des choses

en relevant par l’image leur aspect insolite, scabreux ou grivois.

1. Humour insolite.

La Medeleni abonde, en effet, en tropes où l’étrangeté du comparant métamorphose le thème objet et projette sur lui une

lumière irréelle éclairant des aspects insoupçonnés. Le doigt du procureur de justice transformé en canon de revolver, la

serviette de Dănuţ en balcon électoral5, les biscuits à champagne en «nişte galbene vâsle ale veseliei»6 et le

capharnaüm de la chambre d’Olguţa en portraits de bien-aimées sur le vaillant torse des poilus7, illustrent le rôle de

transfiguration de certains tropes particulièrement travaillés par le romancier roumain, dans le style néologistique de

Dimitrie Anghel dans Arca lui Noe ["L’arche de Noé"]8, et surtout dans le sillage des métaphores étincelantes de Paul

Morand9. Aussi bien Teodoreanu n’hésite-t-il pas à l’occasion à arborer lui aussi la "métaphore-monocle"10 et à

emprunter le phore de ses images à la modernité immédiate de son contemporain français.11 Ainsi en va-t-il, dans une

surprenante antithèse, pour les dialogues entre le père de Dănuţ et le chef de gare de Medeleni: «Domnul Deleanu cerea

de la clienţii săi, când se întâmpla să-i asculte, celeritate şi preciziune, însuşiri care lipseau cu desăvârşire domnului

Şteflea. Dialogurile dintre ei erau o necontenită ciocnire între un expres şi-un tren de marfă.»12, pour la rapidité

épistolaire d’Olguţa écrivant «trei scrisori cu viteza unui dejun într-un restaurant de gară unde trenul se opreşte cinci

minute.»13, ou pour la "pression psychologique" augmentant dans la malle où elle se cache avec son frère, «ca într-un submarin naufragiat pe masură ce se scufundă»14.

2. Humour scabreux.

Ailleurs apparaissent, dans des images liées aux aspects scabreux ou morbides de l’existence, tantôt la trivialité surprise,

avec l’odeur de bouse escortée des moineaux, «aceşti veşnici creditori înaripaţi ai cailor» 15, ou bien Venise,

qu’Alexandru Pallă retrouve en 1916 «fezandată ca un venerabil roquefort»16, tantôt l’humour noir, avec le balcon

branlant du Jockey-Club de Iaşi ayant sous la pluie d’automne «aerul nehotărât al sinucigaşilor în clipa când privesc

prăpastia»17.

3. Humour grivois.

Certains tropes dévoilent enfin le caractère licencieux de certains personnages ou l’aspect grivois d’une situation. Ainsi

en va-t-il du frère adoptif de Danuţ, Puiu: «Poreclit "Expres" de către colegi, nu -şi dezminţea porecla profesională nici

printre femeile nocturne, la care - primit ca un expres într'o gară - ajungea înaintea trenurilor de marfă şi persoane

mature.»18. Cynique et fortement influencé par le langage bancaire, le jeune avocat de Iaşi affiche une conception très

originale de la virginité, considérant Lizica comme une "nouvelle émission" et se réservant sur le corps de Rodica une

"créance hypothécaire"19. Abordant le même sujet sous forme de métaphore filée, une autre image concerne cette fois -

ci Vania avant son initiation amoureuse par Ioana Palla: «Era întâia femeie a acestui padişah al haremurilor verbale.

Trupul Ioanei, ca întâiul steag înfipt în Polul Nord, fâlfâia pe o împărăţie de zăpezi intacte, fără urme de galoşi, în bătaia

unor vânturi nealterate de nici un iz omenesc.»20, tandis que le malheur conjugal du peintre Paşa, trompé par Adina

avec maints officiers durant la guerre, provoque le rire par une image très leste, lorsque le narrateur évoque férocement «candoarea unui mare pictor ale carui coarne aveau dimensiunile şi pa leta unui curcubeu interaliat.»21.

Page 91: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

II. Humour critique et ironique.

L’humour s’exprime aussi dans La Medeleni au travers d’images où le narrateur porte un regard critique, amusé ou

acerbe, sur l’ensemble de la création, épiant les paroles, gestes et mimiques des hommes et accessoirement des

animaux, ironisant ou vilipendant des lieux, des individus ou des groupes. Il ressortit donc au portrait physique et à l’éthopée.

1. Paroles, gestes, mimiques.

Chez le romancier roumain, la figure est au service d’une observation anthropologique au quotidien menée avec l’acuité

et l’espièglerie propres à l’enfance22.

• Voix.

C’est parfois la voix qui fait l’objet de l’attention pénétrante du narrateur, comme celle de Kulek, le chauffeur berlinois

de Grigore Deleanu, s’adressant à la servante roumaine Anica «ca unei surdomute din acelaşi neam» 23, comme celle du

chef de gare myope Şteflea, épelant les adresses du courrier «cu gura apropiată de ele, ca un râmător grafolog» 24, ou

comme enfin celle des deux boxeurs noirs sur le bateau Marseille-Constanţa, qui déclenche une comparaison

humoristique mettant en jeu certains aspects insolites de la création: «Sam bolborosea ca o broască devenită tobă mare,

mâlos si fleşcăit de duioşii subite; Jimmy horcăia nazal şi bas ca un trombon devenit contrabas prin răguşeală şi mugetul

tâmpeniei prin metempsicoză.»25.

• Gestes.

Mais le plus souvent dans La Medeleni, roman où «les personnages sont tout en gestes»26, comme dans ces premiers

films muets de l’histoire du cinéma, l’humour est obtenu par une image saisissant sur le vif soit une attitude insolite ou

curieuse, celle du chien Patapum se cachant «ca o tragediană răscoaptă de lumina soarelui» 27, celle du pointer Ali

dormant incognito dans la chambre de Dănuţ, «incolăcit pe covor ca un continent de purici»28 et ouvrant, surpris par

madame Deleanu, «ochi de călugăr descoperit de stareţă la maici»29, ou celle de Sam et Jimmy jouant aux cartes sur le

pont du navire, étalés «ca nişte malaci miopi cu botul într-o cutie de bomboane colorate»30, soit un geste précis de la

main; ainsi de brèves images croquent en un éclair des signes corporels à côté desquels passe la plupart des romanciers,

et que Ionel Teodoreanu appréhende avec un bonheur malicieux, presque filmique: monsieur Deleanu descendant de

wagon, «frecându-şi mânile ca pentru săpunire»31, gesticulant «ca un şef de orhestră cu baston în loc de baghetă»32;

Herr Direktor écartant tous les amis venus féliciter Dănuţ et Monica pour leurs fiançailles, «cu gestul alarmat al unui

director de muzeu, care-şi vede periclitată o statuie, din pricina năvalei vizitatorilor»33; son chauffeur et mécanicien

allemand tenant une torche en main «ca pe o halbă»34; Olguţa réclamant une autre plume ŕ madame Deleanu et

«întinzând mâna mai departe, cu o atitudine de picolo nemulţumit cu bacşişul căpătat»35; ou Mircea attendant

déséspérément Dănuţ et lui faisant un signe de la main, comme «un armator la ivirea corabiei scăpate din naufragiu»36...

Ailleurs l’image au phore surprenant - généralement une comparaison, plus rarement une métaphore - étonne le lecteur

par le mouvement rapide d’une démarche vue sous son aspect amusant, par antithèse, avec Olguta et Monica remettant

une punition à madame Deleanu et marchant, la première «ca un erou, înainte; Monica dupa ea, ca o mucenică»37, ou

par oxymore, avec le basset Patapum «cu mers legănat şi chilos de atlet în frac»38. Olguţa rentre ŕ la maison avec un

paquet de Dănuţ, arborant un sourire de joie «ca un poet care şi-ar găsi editor»39; la chambrière de Ioana Palla traverse

la demeure «despletită ca văduva unui înecat»40, et la cuisinière de Medeleni la basse-cour comme «un ghetar plutitor

cu papuci»41; la bonne femme apparaît à la porte de la salle à manger pour voir le sort que les invités réservent à

ses sarmale42, «ca şi acei regi care se duceau singuri pe câmpul luptelor importante»43.

· Mimique.

L’humour de Ionel Teodoreanu ne s’exprime pas seulement par l’observation attentive des paroles et des gestes

humains, mais aussi par des images relevant les aspects rares, particuliers, insolites, de la mimique - ces gestes du

visage. Ainsi de nombreux phores de la trilogie roumaine renvoient au thème, par définition mouvant et susceptible de

toutes les variations possibles, du regard. Dans le registre classique, madame Deleanu lance sur son époux un "regard de

Neptune"44 et attend les invités retardataires à table «severa ca o alegorie a Justiţiei casnice pentru acei care întârzie la

mese»45. Un événement historique contemporain, comme la révolution russe de 1917, engendre une métaphore

malicieuse concernant la curiosité d’Olguţa, qui ouvre la valise de son frère: «Olguţa avea ochi de vameş socialist».46

Page 92: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Ailleurs l’image saisit avec un humour savoureux l’étonnement, la curiosité, la crainte ou l’effroi marqués sur un

visage. Ainsi, la bataille d’oreillers entre Olguţa et son frère, dans le studio bucarestois de la rue Pitar-Moşu, provoque

la perplexité du domestique Nae, qui regarde «mai întâi cerul, apoi perna, ca pe un copil din flori depus la el în

braţe»47; le garçon qui sert à Danuţ une tasse de café-double-spécial-sucré-brûlant dans le restaurant de la gare de Iaşi,

regarde son client «ca pe un cobai de laborator»48, et les deux garnements Olguţa «ca doi tăuraşi în faţa muletei

toreadorului»49; enfin le propriétaire de l’appartement d’Adina Stephano, rossé par Dănuţ, le considère comme «mâna

dentistului după ce ţi-a scos măseaua»50.

Toujours dans le domaine de la mimique, l’image à effet humoristique procède dans La Medeleni par l’observation

déformante du sourire humain, usant abondamment de l’hyperbole. À son arrivée à Medeleni, au début du roman, Herr

Direktor s’incline devant l’escalier «cu aerul unui amiral englez aclamat într-un mic port dunarean»51. D’autres

personnages du roman sont affublés d’un sourire pour lequel le trope développé se connote de façon simplement

plastique ou franchement rabelaisienne. Ainsi le serveur duPavilion arbore un sourire «ca o farfurie de cartofi paille»52,

Costea Babic, l’opportun takiste53 qui harcèle oncle Michel, «ca un buchet de trandafiri în cărţile poştale ilustrate»54;

le violoneux tzigane Huduba montre «pe-o faţă de gorilă tuberculoasă un zâmbet ca o reclamă luminoasă pentru o pastă

dentifrice»55, tandis que les passagers du train bessarabien de Bălţi, gavés de boulettes de viande, sourient grassement

«ca bălţile în soarele de april şi ca bucătăresele mame în a opta lună.»56. Ionel Teodoreanu rejoint, dans cette manière

de présenter les choses sous leur «aspect ridicule ou trivial», la «fantaisie bouffonne» de Ion Minulescu dans le roman Roşu, galben, albastru ["Rouge, jaune, bleu"] paru en 1924.57

2. Lieux, individus, groupes.

L’humour ne s’exprime pas, à travers les images de La Medeleni, uniquement de cette façon souriante et drôle. Un

nombre important de figures du roman ironise ou vilipende certains aspects du monde, dans une perspective plus

morale.58 L’ironie du narrateur s’insinue dans le texte, à travers elles, au moyen de différents procédés, mais toujours par une certaine connivence avec le lecteur et une certaine distanciation par rapport aux objets59.

• Lieux.

L’ironie du narrateur porte d’abord sur les lieux, et fonctionne, comme chez Flaubert ou Dickens, par notation de la

distance entre sublime et trivial; c’est le cas pour le jardin Copou de Iaşi, symbole du mauvais goût et de l’incongruité:

«Ea indispune ochiul ca un salon de mahala pregatit pentru recepţia deputatului, ca o romanţă a lunii dedicată primarului, ca o poezie epică închinată cutărui general de brigadă.»60.

• Individus.

Mais l’ironie vise surtout des caractères individuels, et peut user encore de l’opposition flaubertienne du poétique et du

prosaïque, comme dans le cas de la vulgaire Rodica: «Se simtea la acelaşi nivel cu Rodica. Replicele scurte săreau ca

broaştele de pe şosea în gigantica flacără delicată a luminii de lună.»61, de la comparaison hyperbolique, dans celui de

Mircea: «În concepţia lui Mircea, călcatul pantalonilor era ceva asemănător cu săparea unui tunel prin munţi de granit,

cu îmblânzirea unui cal sălbatec, cu duelul a doi adversari crânceni.»62, ou de la parodie - du récit des vies de saints

dans l’exemple suivant, lorsque Dănuţ s’adresse en ces termes ŕ son ami collectionneur de crayons: « - Când te vei

retrage în Thebaida, scârbit de cele lumeşti, îi proorocea Dănuţ, Dumnezeu va trebui să deschidă o librărie în deşert

pentru alimentarea anahoretului Creion.»63. Le procédé devient parfois moquerie, comme dans ce passage où l’attitude

amoureuse de l’incontournable Rodica est ironisée dans une comparaison continuée, par référence à la diplomatie

occidentale: «Ca şi politica statelor europene, alta faţă de marile puteri, alta faţă de cele mărunte, politica Rodicăi varia

în raport cu vârsta protagonistului: agresivă faţa de Puiu, devenea defensivă faţă de Dănuţ.» 64, ou raillerie quand le

narrateur vise les habitudes ou les tics de certains personnages, comme le directeur de la revue Viaţa

contimporană vivant «noaptea cu huhurezii»65, ou les jeux de mots vulgaires du docteur Prahu, ce docteur Cottard

moldave66: «Calamburile erau în inteligenţa acestui junimist ca o mahala în jurul unui oraş cu tainice grădini şi discrete

palate. Ca să-l cunoşti, trebuia să treci mai întăi prin mahala.»67.

• Groupes.

Quand l’ironie teodorenienne concerne, à travers l’image, tout un groupe de la vie publique, comme les Juifs68 au début

deHotarul nestatornic, quand les fenêtres du train se remplissent «de capete semite, ca ferestrele unei cafenele de pe

ªtefan cel Mare»69, ou comme le monde judiciaire dans la seconde partie de Între vânturi, l’ironie vire rapidement au

sarcasme et prend la forme du croquis caricatural.70

Le procédé figural fait appel à deux principaux registres dans le phore. On peut mentionner le culinaire, d’abord, avec

tout un vocabulaire péjoratif emprunté au champ prosaïque de la bouche. La satire ad hominem, en la personne du père

Page 93: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Ştefanache, doyen des avocats, s’étend à toute la profession: «Inima tăranului interpelat e ca o măslină în scobitoarea

privirii lui cuconu Ştefanache.»71. Le défenseur interrompu par le président se radoucit «ca un cazan cu smoală

fierbinte devenit revărsare de sirop de fragi»72, s’éponge le front d’un revers de main «ca rândaşii după ce-au frământat

aluatul cozonacilor»73. La satire de la justice puise enfin dans le second registre du spectacle74, usant volontiers de

l’hyperbole: le public s’engouffre dans le tribunal «ca la foc, ca la bătaie, ca la luptele cu tauri» 75 (l’exagération est

renforcée ici par la gradation ascendante), le prélude de l’avocat «moaie ochii, îndulceşte inimile, ca orchestre le care te

fac a oftezi sentimental în restaurante, pe când îţi tai bucata de friptură în sânge şi-ţi aduni cartofii rumeori.»76 (ici les

deux registres se fondent au niveau du phore), le procès dans son ensemble est assimilé à une corrida, en une longue

comparaison continuée: «Avocatul, deci, în această atmosferă, e ca un taur intrat într-un bal, ale cărui dansatoare,

văzându-l, dezbracă hainele roşii, arborând cele mai albe danturi, cele mai intime steaguri albe, cele mai benigne fizionomii, cele mai calmante atitudini.»77

III. Vision des âges.

On a vu que l’humour figuratif était l’effet, dans La Medeleni, d’une distanciation opérée par le narrateur entre les

différents aspects de la création et mettant en lumière, par l’élasticité sémantique du phore par rapport au thème, tantôt

leur valeur étrange, saugrenue, morbide ou leste, tantôt leur vulgarité, leur hypocrisie et leur contradiction. Mais il est

une dernière source de l’humour teodorenien, tel qu’il se manifeste à travers les nombreuses figures de la trilogie

roumaine: c’est le regard adulte porté par l’enfant sur le monde de la réalité immédiate, et la vision enfantine d’un

univers prosaïque revigoré d’une poésie nouvelle.

1. L’âge adulte.

• Le sourire de Medeleni.

L’humour de notre roman naît d’abord du regard étrange et sagace porté par l’enfant sur la vie qui palpite autour de lui,

et dont la perspective n’est en correspondance ni avec sa situation sur la pyramide des âges, ni avec son statut social et

anthropologique. De telles images malicieuses et tendres, d’où se dégage une sorte de sourire radieux de Medeleni,

abondent dans Hotarul nestatornic, volume de l’âge heureux, et foisonnent par miracle jusqu’à la fin de la trilogie,

comme si ni les vicissitudes de la vie ni les épreuves de l’histoire n’avaient prise sur ce don presque orphique de

métamorphose. Quelle vision du couple, de la hiérarchie, de l’histoire, de la religion, transparaît au fil du texte à travers

les yeux sérieux de Dănuţ, Olguţa et Monica! et qu’on est loin ici de l’ «imag isme lubrique» dont parle Pompiliu Constantinescu ŕ propos du premier volume!78

• Vision du couple.

Fâché avec sa sœur adoptive, le "futur maître du domaine" la tire par le poignet en entrant dans le verger «cum îşi

aduce-acasă un bărbat mohorât soţia descoperită necredincioasă.»79; la machine à coudre qui prépare son trousseau de

lycéen «îşi învalmăşea zornăitul metalic într'un galopant crescendo, brusc amuţea, şi iar începea, ca o soţie care -şi ceartă soţul în rate pasionate.»80.

• Vision de la hiérarchie.

Olguţa imite son avocat de père et fonde des rapports d’autorité avec les objets et les êtres qui l’entourent; elle accorde

aux pots de confiture «o scurta audientă»81, regarde avec pitié, «ca pe un plenipotenţiar mut»82, la pauvre Monica qui

vient de lui copier sa punition, et prend une attitude digne de la cour d’assises en allant vérifier les bruits de voiture au -dehors: «Olguţa se ridică solemn în picioare, cu şervetul în mână, ca un prim-jurat cu verdictul.»83.

• Vision de l’histoire.

L’histoire locale et universelle, maintenant: quelle esprit dans les allusions du phore contiennent ces savoureuses

répliques d’enfants ou ces visions du monde à travers les yeux de jeunes adolescents! Dans le verger familial, Puiu

choisit les plus beaux abricots, «cum alegeau trimişii de la Poarta otomanei împărăţii, pentru harem, numai frumoasele

între frumoase.»84; Dănuţ sent son ętre dominé par différentes âmes successives, à des intervalles plus ou moins longs,

«ca perindarea domnitorilor la tronul principatelor româneşti»85; éclairée d’une inspiration subite, Olguţa apostrophe

Monica «cu intonaţia prezumată a lui Cristofor Columb în faţa Americii»86.

• Vision de la religion.

Page 94: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Et la religion: que de naïvetés feintes, que d’images assoupies réveillées par une allusion insolite et surprenante, avec la

vieille cuisinière réintégrant sa place et faisant irruption dans ses quartiers «ca un cruciat pentru liberarea Sfântului

Mormânt»87, monsieur Deleanu racontant Les Trois Mousquetaires et battant l’ennemi en brèche «ca Isus pe valurile

marii»88, ou les voitures assiégeant la gare de Iaşi à l’arrivée de ses filles, «ca o intrare într-un Ierusalim al birjarilor»89!

2. L’âge enfantin.

Mais la trilogie romanesque de Ionel Teodoreanu génère surtout ses effets humoristiques par images en représentant un

univers d’objets et d’êtres quotidiennement banals où elle insuffle une vie et un esprit nouveaux: dans La

Medeleni l’enfance remet sans cesse le monde à sa place, le fait rire et chanter dans un écho de cascades.

• Monde animal.

Le monde animal est le premier univers métamorphosé par son regard: la petite gare de Medeleni, au début du roman,

bourdonne «ca un 10 Mai al muştelor»90; le chien Ali précède en courant Danuţ «cu coada ţanţos răsucită în sus ca o

musteaţă rurală»91; le petit Costică, fils illégitime de Kulek et d’Anica, règne en amiral de la flotte sur «un imens cârd

de gâşte, raţe şi gânsaci»92, le tramway de Iaşi déambule comme «un vierme cu roţi»93.

• Monde des objets.

Puis viennent les objets, miniaturisés parfois, transfigurés par des images insolites, drôles, et empruntant leur thème ou

leur phore aux domaines les plus divers, technique notamment. Ainsi le trottoir de la rue Charles Ier à Iaşi ressemble à

un «funicular urcând spre Copou»94, le remorqueur du port de Constanţa tractant un navire devient «o ţigaretă

serviabilă de la care o havană cu proporţii de castravete solicită focul.»95, l’appareil photographique immortalisant la

scène des déguisements de la famille Deleanu «o sugatoare uriaşă»96, le soulignement du titre de la punition d’Olguţa

par un trait de plume appuyé - «două şine subţiri, ca şi cum expresul care le umpluse ar fi deraiat.»97, enfin la

locomotive aperçue au lointain par Dănuţ en gare de Medeleni «un punct negru, duşmănos ca o gaură de revolver încărcat»98.

• Monde des humains.

Enfin les humains dans leurs parties et dans leur tout subissent grâce aux images toute une série de manipulations par

des collages souvent réussis et d’une valeur plastique indéniable. Par une antithèse assez comique, des passagers assis

près d’un pope ventru dans le fameux train de Balţi génèrent une comparaison audacieuse impliquant la flotte de la Mer

noire: «Se nemeriseră trei rusnaci zdraveni, pe aceeaşi banchetă cu ecleziastul, dar, alături de el, deveneau pigmei, ca

vapoarele româneşti alături de un transatlantic.»99; le greffier du tribunal de Iaşi est sombre «ca un pian închis într-o

sală de concert goală»100; la tête ronde et tondue à zéro de Herr Direktor est cendrée «ca un bulgare de sare»101, celle

d’Olguţa ressemble à «o enormă boabă de cafea Ceylon prăjită din cale-afară»102, et celle de Dănuţ affublé du panama

de son père - à «un cuier ocupat»103. L’étrangeté du phore accroît l’effet humoristique de certaines images

particulièrement travaillées par le romancier roumain, mais dont l’allure naturelle donne l’impression au lecteur qu’elles

jaillissent d’une imagination débordante, impétueuse «comme les chevaux sauvages fuyant les croix de feu des

orages»104: la moustache du domestique Neculai ondoie au vent «ca un fular de borangic»105; la seule dent qui lui

reste brille dans son palais comme «un semn de exclamaţie pe întunericul gurii»106; un passant insulté par Mircea toise celui-ci avec «o faţă cu ochii de revolver şi musteţi explozive»107.

Fonction perceptive de l'image

_________

1. Henri Morier identifie 5 fonctions de la métaphore en particulier - explicative, descriptive et pittoresque,

esthétique et sensuelle, éclairante et profonde, énigmatique et porteuse de charme - , en précisant qu’il ne s’agit

pas de catagories imperméables. (H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris: Presses

Universitaires de France, 1981, article "Métaphore", pp. 670-742.) Cette taxinomie fine doit sans doute être

complétée dans le cadre d’une étude générale des tropes. La fonction cognitive de l’image, notamment, qui

pourtrait englober au moins les deux derniers rôles assignés par Morier à la métaphore, nous semble

incontournable. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet de travaux aussi bien en France qu’en Roumanie; voir

notamment Tudor Vianu, «Problemele metaforei şi alte studii de stilistică» ["Les problèmes de la métaphore et

autres études de stylistique"], in Opere ["Œuvres"], Bucureşti: Editura Minerva, 1975, pp. 199-284; voir plus

Page 95: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

récemment Daniela Roventa-Frumuşani, "Cognitif et expressif dans l’étude de la métaphore", Revue roumaine

de linguistique, XXXIV, 1989 (6), pp. 523-529, ainsi que notre conclusion, infra.

2. À titre indicatif, voici la répartition des images selon les deux fonctions, sur un total de 752:

Fonction Total Volume 1 Volume 2 Volume 3

Humoristique 125 43 28 54

Perceptive 91 30 31 30

3. Jean Emelina définit l’humour comme "dénégation du réel". (Le comique. Essai d’interprétation générale,

Paris: S.E.D.E.S., 1991, coll. "Présences critiques", p. 130.)

4. N. Manolescu, "N. Ciobanu, Ionel Teodoreanu", Contemporanul, 1970 (32), 7 août, p. 3.

5. Între vânturi, respectivement p. 142 et p. 182.

6. T. F.: de jaunes avirons de la joie - Hotarul nestatornic, p. 247.

7 . Drumuri, p. 275.

8. D’après Tudor Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura

Albatros, 1977, coll. "Sinteze Lyceum", pp. 244-245 (chap. "Ironistes et humoristes"). Les principaux

domaines concernés sont la philosophie, la biologie, le journalisme.

9. Sur cette question, voir P. Igiroşanu, "Paul Morand", Viaţa universitară, 1926 (3), pp. 95-98.

10. I. Teodoreanu, "Lămurire preliminară pe marginea romanului Game de Stejar Ionescu" ["Éclaircissement

préliminaire en marge du roman Games..."], in Cum am scris "Medelenii" ["Comment j’ai écrit La Medeleni"],

ed. N. Ciobanu, Iaşi: Editura Junimea, 1978, p. 70.

11. Eugen Lovinescu remarque avec justesse, pour le volume Între vânturi tout au moins, que l’écriture "esthète"

de Teodoreanu est «pleine d’images fraîches, imprégnée de modernisme et donc en progrès évident par rapport

au vieux semănătorisme». Voir E. Lovinescu, Istoria literaturii române contemporane ["Histoire de la

littérature roumaine contemporaine"], Bucureşti: Editura Minerva, 1989, p. 168.

12. T. F.: Monsieur Deleanu exigeait de ses clients, quand il lui arrivait de les écouter, célérité et précision, deux

qualités spirituelles qui faisaient parfaitement défaut à monsieur Şteflea. Les dialogues entre eux étaient un

continuel tamponnage entre un express et un train de marchandises. Hotarul nestatornic, p. 351.

13. T. F.: trois lettres avec la vitesse d’un déjeuner dans un restaurant de gare où le train s’arrête cinq

minutes. Drumuri, p. 104.

14. T. F.: comme dans un sous-marin naufragé à mesure qu’il sombre - Hotarul nestatornic, p. 319.

15. T. F.: ces éternels créditeurs ailés des chevaux - Între vânturi, p. 359.

16. T. F.: faisandée comme un vénérable roquefort - Drumuri, p. 374.

17 . T. F.: l’air indécis des suicidés à l’instant où ils regardent le précipice - Ibidem, p. 538.

18. T. F.: Surnommé "Express" par ses collègues, il ne démentait pas ce sobriquet professionnel même parmi les

femmes nocturnes, chez qui - reçu comme un express dans une gare - il arrivait avant les trains de

marchandises et les personnes d’âge mûr. Între vânturi, p. 178.

19. Ibidem, respectivement p. 182 et p. 178.

20. T. F.: Elle était la première femme de ce padischah des harems verbaux. Le corps de Ioana, comme le premier

drapeau planté sur le Pôle Nord, ondoyait sur un royaume de neiges immaculées, sans traces de caoutchouc,

sous le souffle de vents altérés par nul relent humain. Ibidem, p. 53.

21 . T. F.: la candeur d’un grand peintre dont les cornes avaient les dimensions et la palette d’un arc-en-ciel

interallié. Ibidem, p. 62.

22. Sur les rapports entre humour et enfance, voir Nelly Feuerhahn, "Le rire et l’enfance dans l’enfance du rire. Le

sourire, le rire et l’humanisation du monde", L’humour européen, 2, Lublin-Sèvres: Université Marie Curie-

Sklodowska, Centre International d’Études Pédagogiques, 1993, pp. 287-296.

23. T. F.: comme à une sourde-muette de la même famille - Hotarul nestatornic, p. 202.

24. T. F.: la bouche collée contre elles, comme un verrat graphologue. Între vânturi, p. 289.

25. T. F.: Sam bredouillait comme une grenouille devenue tambour énorme, fangeux et amolli de langueurs

subites; Jimmy râlait d’une voix nasale et grave comme un trombone changé en contrebasse par enrouement et

en beuglement de la bêtise par métempsycose. Ibidem, p. 45.

Page 96: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

26. Izabela Sadoveanu, "Ionel Teodoreanu: Uliţa copilăriei, La Medeleni - Hotarul nestatornic", Adevărul literar

şi artistic, VII, 1926 (311), p. 1.

27 . T. F.: comme une tragédienne blette de la lumière du soleil - Hotarul nestatornic, p. 79.

28. T. F.: lové sur le tapis comme un continent de puces - ibidem, p. 86.

29. T. F.: des yeux de moine pieux découvert par la supérieure chez les nonnes - ibidem, p. 90.

30. T. F.: comme des buffletins myopes, le museau dans une boîte de bonbons de couleurs. Între vânturi, p. 45.

31 . T. F.: en se frottant les mains comme pour se savonner - ibidem, p. 250.

32. T. F.: comme un chef d’orchestre avec une canne en guise de baguette - ibidem, p. 251.

33. T. F.: avec le geste alarmé ;d’un directeur de musée qui voit une de ses statues péricliter sous l’assaut des

visiteurs - ibidem, p. 378.

34. T. F.: comme une chope - Hotarul nestatornic, p. 202.

35. T. F.: tendant la main plus avant, avec une attitude de garçon de salle mécontent du pourboire reçu. Ibidem, p.

63.

36. T. F.: un armateur à l’apparition du bateau échappé au naufrage - Drumuri, p. 57.

37 . T. F.: comme un héros en tête; Monica derrière elle, comme une martyre - Hotarul nestatornic, p. 57.

38. T. F.: à la démarche balancée et puissante d’athlète en frac - ibidem, p. 78.

39. T. F.: comme un poète qui se trouverait un éditeur - Drumuri, p. 73.

40. T. F.: échevelée comme la veuve d’un noyé - ibidem, p. 358.

41 . T. F.: comme une glacière flottant en pantoufles. Ibidem, p. 269.

42. Boulettes de viande épicée, roulées dans des feuilles de vigne ou de chou.

43. T. F.: comme ces rois qui se rendaient seuls sur les grands champs de bataille - Între vânturi, p. 264.

44. Hotarul nestatornic, p. 210.

45. T. F.: sévère comme une allégorie de la Justice domestique pour ceux qui arrivent en retard à table - ibidem, p.

203.

46. T. F.: Olguţa avait des yeux de douanier socialiste - ibidem, p. 332.

47 . T. F.: d’abord le ciel, puis l’oreiller, comme un enfant de l’amour déposé dans ses bras - Drumuri, p. 137.

48. T. F.: comme un cobaye de laboratoire - Între vânturi, p. 244.

49. T. F.: comme deux taurillons devant la muleta du torero - Hotarul nestatornic, p. 131.

50. T. F.: comme la main du dentiste après qu’il vous a arraché une dent - Drumuri, p. 18.

51. T. F.: avec l’air d’un amiral anglais acclamé dans un petit port danubien - Hotarul nestatornic, p. 145.

52. T. F.: comme une assiette de pommes paille - Între vânturi, p.180.

53. Partisan de Take Ionescu (1858-1922), chef du parti conservateur-démocrate, puis ministre et premier ministre

après la première guerre mondiale.

54. T. F.: comme un bouquet de roses dans les cartes postales illustrées - Drumuri, p. 95.

55. T. F.: sur une figure de gorille tuberculeux un sourire comme une réclame lumineuse pour une pâte

dentifrice - Între vânturi, p. 187.

56. T. F.: comme les marécages sous le soleil d’avril ou comme les cuisinières enceintes de huit mois. Ibidem, p.

303.

57 . Tudor Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Albatros, 1977,

coll. "Sinteze Lyceum", p. 343.

58. Sur la différence d’abjet entre humour et satire, voir W. Schmidt-Hidding, Humour und Witz, München, 1963,

pp. 47-48.

59. Voir V. Jankélévitch, L’ironie, Paris: Flammarion, 1964.

60. T. F.: Il indispose l’œil comme un salon de faubourg préparé pour la réception du député, comme une

romance à la lune en hommage au maire, comme une poésie épique dédiée à tel général de brigade. Între

vânturi, p. 204.

61 . T. F.: Il [Dănuţ] se sentait au męme niveau que Rodica. Les courtes répliques sautillaient comme les

grenouilles sur la route dans la gigantesque flamme délicate du clair de lune. Drumuri, p. 447.

Page 97: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

62. T. F.: Dans la conception de Mircea, le repassage des pantalons avait quelque chose de ressemblant au

creusement d’un tunnel à travers des montagnes de granit, au domptage d’un cheval sauvage, au duel entre

deux adversaires acharnés.Ibidem, p. 164.

63. T. F.: - Quand tu te retirereras en Thébaïde, dégoûté du siècle, lui prophétisait Dănuţ, Dieu devra faire ouvrir

une librairie dans le désert pour alimenter Creion l’anachorète. Ibidem, p. 30. 64. T. F.: Comme la politique des états européens, autre devant les grandes puissances que devant les petites, la

politique de Rodica variait en fonction de l’âge du protagoniste: agressive face à Puiu, elle devenait défensive

face à Danuţ. Ibidem, p. 442.

65. T. F.: la nuit avec les hulottes - Între vânturi, p. 203.

66. M. Proust, Un amour de Swann, I, Paris: Gallimard, coll. "Folio", pp. 298-317.

67 . T. F.: Les calembours étaient dans l’intelligence de ce junimiste comme un faubourg aux approches d’une

ville de jardins paisibles et de palais discrets. Pour le connaître, il fallait d’abord traverser le

faubourg. Drumuri, p. 99. Le pittoresque docteur est favorable aux idées du cercle littéraire de Iaşi, Junimea

["La Jeunesse"].

68. Sur ce sujet, voir Geri Spina, Evreii în opera d-lui Ionel Teodoreanu ["Les Juifs dans l’œuvre de M. Ionel

Teodoreanu"], Bucarest: Editura Adam, 1934, coll. "Biblioteca sociala" 11-12. L’auteur y relève de nombreux

exemples de dérision traditionnelle des Juifs dans La Medeleni, en en exagérant toutefois la portée.

69. T. F.: de têtes sémites, comme les fenêtres d’un café sur la rue Étienne le Grand - Hotarul nestatornic, p. 13.

70. Marian Popa écrit à juste titre que cette caricature est chargée d’un «impresionnisme qui choisit d’après un

critère secret les traits et les absolutise, la plupart du temps, par des déformations hyperboliques»; voir M.

Popa, "Medelenii sau starea de vacanţă" [«Medeleni ou l’état de vacance»], in: Ionel Teodoreanu, La

Medeleni, 1, Hotarul nestatornic, Bucureşti: Editura Albatros, 1970, pp. 24-25.

71. T. F.: Le cœur du paysan interpellé est comme une olive au bout d’un cure-dents, sous le regard du père

Ştefanache. Între vânturi, p. 120.

72. T. F.: comme un chaudron de goudron bouillant transformé en inondation de sirop de fraises des bois -

Ibidem, p. 117.

73. T. F.: comme les garçons boulangers après qu’ils ont pétri la pâte des brioches - Loc. cit.

74. Les images de ce registre n’ont rien d’original ici et font partie du fonds littéraire européen, reprenant le topos

ancien dutheatrum mundi. Voir sur ce point E. R. Curtius, La littérature européenne et le moyen âge latin ,

Paris: Presses Universitaires de France, 1956. Sur les images théâtrales particulièrement développées chez

Balzac, voir Lucienne Frappier-Mazurier, L’expression métaphorique dans La Comédie humaine, Domaine

social et physiologique, Paris: Klincksieck, 1976, pp. 102-129 ("La métaphore théâtrale").

75. T. F.: comme à l’incendie, à la bagarre, aux combats de taureaux - Ibidem, p. 116.

76. T. F.: mouille les yeux, adoucit les cœurs, comme les orchestres qui vous font pousser un soupir sentimental

dans les restaurants, alors que vous coupez votre rôti saignant et glanez vos pommes rissolées. Ibidem, pp. 116-

117.

77 . T. F.: L’avocat, donc, dans cette atmosphère, est comme un taureau entré dans un bal dont les danseuses, en le

voyant, dévêtent leurs habits rouges, arborant les plus blanches dentures, les plus intimes bannières blanches,

les plus bénignes physionomies, les plus calmantes attitudes. Ibidem, p. 144.

78. P. Constantinescu, "Ionel Teodoreanu: Uliţa copilăriei, La Medeleni, II, Drumuri", Sburătorul, VI, 1927 (7),

p. 94.

79. T. F.: comme un mari courroucé ramène à la maison son épouse surprise en adultère. Hotarul nestatornic, p.

65.

80. T. F.: déployait en tous sens son cliquetis métallique dans un galopant crescendo, devenait brusquement

muette, et repartait de plus belle, comme une épouse qui querelle son mari en mensualités passionnées. Ibidem,

p. 289.

81. T. F.: une courte audience - Ibidem, p. 72.

82. T. F.: comme un plénipotentiaire muet - Ibidem, p. 69.

83. T. F.: Olguţa se mit debout solennelement, la serviette en main, comme un premier juré avec le

verdict. Ibidem, p. 141.

84. T. F.: comme les émissaires de la Sublime Porte choisissaient, pour le harem, rien que les plus belles parmi les

belles.Drumuri, p. 257.

85. T. F.: comme le défilé des princes régnants sur le trône des principautés roumaines - Ibidem, p. 280.

86. T. F.: avec l’intonation présumée de Christophe Colomb découvrant l’Amérique - Hotarul nestatornic, p. 47.

Page 98: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

87. T. F.: comme un croisé pour la délivrance des Saints Lieux - Între vânturi, p. 237.

88. T. F.: comme Jésus sur les flots de la mer - Hotarul nestatornic, p. 375.

89. T. F.: comme une entrée dans Jérusalem des cochers - Între vânturi, p. 252.

90. T. F.: comme un 10 Mai des mouches - Hotarul nestatornic, p. 9. Jusqu’à la fin de la monarchie, le 10 Mai

était la fête nationale de la Roumanie; on célébrait la venue sur le trône du roi Charles Ier, le 10 mai 1881.

91 . T. F.: avec sa queue fièrement retroussée en l’air comme une moustache rurale - Ibidem, p. 180.

92. T. F.: une immense volée d’oies, de canards et de jars - Drumuri, p. 253.

93. T. F.: un ver à roues - Între vânturi, p. 297.

94. T. F.: funiculaire grimpant vers le jardin du Copou - Drumuri, p. 99.

95. T. F.: une cigarette serviable à laquelle un havane aux proportions de concombre demande du feu. Între

vânturi, p. 85.

96. T. F.: un buvard géant - Hotarul nestatornic, p. 177.

97 . T. F.: deux rails ténus, comme si l’express qui les remplissait avait déraillé. Ibidem, p. 68.

98. T. F.: un point noir, haineux comme une gueule de révolver chargé - Ibidem, p. 10.

99. T. F.: Il se trouvait là par hasard trois solides gaillards russes, sur la même banquette que l’ecclesiastique,

mais, à côté de lui, ils devenaient des pygmées, comme les bateaux à vapeur roumains à côt é d’un

transatlantique. Între vânturi, p. 304.

100. T. F.: comme un piano enfermé dans une salle de concert vide - Ibidem, p. 115.

101. T. F.: comme une boule de sel - Hotarul nestatornic, p. 149.

102. T. F.: un énorme grain de café Ceylon trop grillé - Ibidem, p. 53.

103. T. F.: un portemanteau occupé - Ibidem, p. 20.

104. Drumuri, p. 282.

105. T. F.: comme un foulard de soie grège - Ibidem, p. 73.

106. T. F.: un point d’exclamation dans l’obscurité de la bouche - Loc. cit.

107 . T. F.: un visage aux yeux de revolver et aux moustaches explosives - Ibidem, p. 168.

CONCLUSION

Je crois que la métaphore seule peut donner une porte d’éternité au style.

Marcel Proust

Au terme de cette partie centrale de la thèse, consacrée aux images du roman La Medeleni, le moment est venu de

dresser un bilan de notre recherche, de définir ce qui caractérise l’image chez Teodoreanu, et d’entrouvrir des perspectives.

Le "nabab des images"1 affectionne particulièrement la comparaison comme procédé figuratif, avec un goût prononcé

de l’image qui fait mouche: la pointe baroque que constitue le trope en position finale vise, chez le romancier roumain,

à exprimer la brièveté, à provoquer l’effet de surprise, à souligner des paradoxes. Dans une telle position, l’image

teodorenienne joue un rôle musical et architectonique: en effet le trope s ert de ciment dans l’agencement des paragraphes de La Medeleni et présente le caractère obsessionnel de la rime.

Fidèle en cela à la tradition romanesque européenne de l’entre-deux-guerres, mais avec une ferveur qui le distingue,

Ionel Teodoreanu développe un imagisme d’amplitude dévorante en un dense réseau figuratif, depuis la notation rapide

de métaphores sérielles encadrées souvent dans le moule du poème en prose - dans la lignée des récits de Dimitrie

Anghel en amont et d’Adrian Maniu en aval - et de métaphores-fusées, jusqu’à de plus amples séquences en verset et de

vastes constellations d’images souvent synesthésiques, le romancier roumain étant doté, comme son contemporain français Jean Giono, d’un véritable pouvoir démiurgique dans ce domaine.

Certes, Teodoreanu s’encadre dans la famille stylistique de Ştefan Barbu Delavrancea, initiateur dans la prose roumaine

d’un «style coloré, riche en mots pittoresques, en métaphores et en images, en tout ce qui peut faire ressortir le relief

sensible de l’expression»2, mais l’image medeleniste ne se limite en aucun cas à un rôle ornemental, comme le

Page 99: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

prétendent à tort Garabet Ibraileanu3 et plus récemment Marian Popa4 - celui de la figure traditionnelle «qui agrémente

de ses prestiges chatoyants le cours d’une prose»5, pour reprendre les mots de Jean Ricardou, préoccupée exclusivement «d’assurer les brillants d’une écriture spectaculaire»6.

Si l’image joue un rôle dans l’art romanesque de Ionel Teodoreanu, ce n’est pas celui-là. L’acte figuratif dansLa

Medeleni a d’abord une fonction cohésive: il permet à un récit de discontinuité et de ruptures de se resserrer sur lui-

même par effet centripète, et de maintenir sa cohérence interne par le tissage d’un faufil sémique entrelacé à la trame

narrative du roman. En même temps, l’image chez Teodoreanu dynamise le récit en lui ouvrant des tangentes, grâce à

des mini-récits extra-diégétiques qu’elle inaugure et qui sont autant de possibles narratifs offerts au lecteur. Ainsi, par le tissu métaphorique et comparatif, l’histoire de La Medeleni s’invente et réinvente à chaque instant.

L’image marque aussi la distance entre ce que devrait être le monde et ce qu’il est en réalité: par l’humour, elle

transfigure les êtres et les choses, qu’elles révèle, épie, dénonce. Elle souligne le regard de l’enfance sur l’univers

adulte, fait chanter le monde dans un écho de cascades et rend, comme chez Alain -Fournier, le mirage de la "féerie intérieure"7.

Par ailleurs, l’image se distingue, chez Teodoreanu comme chez Tudor Arghezi8, par son aspect sensible. Elle est le

moyen stylistique par lequel le romancier transcrit en littérature, de manière phénoménologique, les structures

transcendantes de l’imaginaire. Elle rend avec précision, comme chez Hortensia Papadat -Bengescu dans ses premières

proses, comme chez Colette en France dans le roman, ou chez la comtesse Anna de Noailles en poésie, le tressaillement

et le frissonnement de la vie.9 Par la "notification médiate" de l’image10, Teodoreanu est, parmi les prosateurs

roumains, l’un des plus aptes à exprimer la sensation ineffable, les aspects visuels, auditifs, gustatifs et polysensoriels

de l’existence. La nature et l’univers mêmes s’érotisent à travers un dense réseau d’images végétales, comme dans la

prose d’Eminescu ou d’Arghezi. Aussi le reproche de "fornication universelle" adressé autrefois par Eugen Lovinescu à

Teodoreanu doit-il est être interprété aujourd’hui comme une incongruité.11

Mais, parce qu’elle cherche à creuser toujours plus avant pour atteindre l’ineffable des sensations, l’image

teodorenienne n’engendre que l’errance labyrinthique: elle est une fuite en avant vertigineuse, une errance d’un

caractère tout à fait baroque12, et qui mène au bout du compte au néant des mots. Aussi doit -on apporter un rectificatif

à une thèse de la critique littéraire roumaine récente, qui met la joie au centre de la création métaphorique du romancier

roumain13. L’étude de ses images permet d’affirmer au contraire que l’acte figuratif chez Teodoreanu sème, en même

temps que la joie, les germes fécondants de la douleur, et que la démultiplication des tropes irrisés en éléments ténus

entraîne bien souvent une véritable souffrance esthétique du texte romanesque, qui est sa signature ou sa marque stylistique inimitable.14

Par cette souffrance sublimée, Teodoreanu se situe ainsi aux antipodes de l’ «écrivain aux exultations lyrico -

sentimentales et à l’imagisme luxuriant» dont parle Nicolae Ciobanu par aberration15, et ne tombe en rien dans le

«lyrisme dissolu» dont le taxe à tort Lovinescu16. Convergente en ce qu’elle exprime une disponibilité spirituelle

orientée vers un univers atomisé, son écriture s’encadre dans l’esthétique du roman lyrique, telle que Mihail Sebastian

la définissait à propos de Proust, visant «le dépassement de l’objet et la création au-delà de l’immédiat des rapports

anecdotiques»17. Par cette tension de l’écriture, Teodoreanu apparaît comme l’un des romanciers les plus doués pour

exprimer la sensation d’étouffement, de menace existentielle des objets appréhendés, la combustion alchimique et la

dissolution lente de l’âme, le passage de l’être au néant, la sensation d’engourdissement du temps et de la matière,

rejoignant ainsi, dans une figuralité extrêmement plus développée, l’écriture d’un Dostoïevski.18

Dans La Medeleni, l’image se caractérise également par sa fonction innovante et son rôle cognitif. L’examen détaillé

des tropes du roman a montré combien Teodoreanu sait jouer de l’élasticité maximale de l’écart entre phore et thème

pour réveiller l’image littéraire19, pour «signifier autre chose et faire rêver autrement» - aurait dit Gaston Bachelard20,

et combien il était habile à «découvrir des relations inédites entre les choses, autrement dit à faire des métaphores» 21.

Chez le romancier roumain, en effet, l’image devient un instrument d’investigation et d’exploration par caractérisation

interne des données profondes de la conscience humaine, doté d’un fort pouvoir heuristique, et la métaphore, dans la

tradition d’Aristote, «une disposition naturelle de l’esprit qui perçoit les rapports entre les objets»22. Plus précisément,

Teodoreanu, comme l’affirme D. I. Suchianu, se situe par rapport aux images dans une perspective bergsonnienne et

proustienne, la manière pour lui de saisir le monde spirituel et sensoriel étant de l’exprimer par les métaphores les plus

disparates.23

Enfin l’image teodorenienne dans La Medeleni permet d’exprimer les métamorphoses du monde et constitue un point

de basculement du récit vers d’autres univers fictionnels, dans l’espace labyrinthique du baroquisme, annon çant par là

l’écriture d’un Hubert Aquin ou d’un Julien Gracq. Elle attire en permanence le récit hors de lui-même par la

constitution de mini-récits tangents à la diégèse, et ouvre sans cesse à la lecture des points de fuite possibles, constituant

Page 100: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

à la limite une image spéculaire du récit. C’est en ce sens que La Medeleni peut être considéré, dans l’histoire de la prose roumaine du XXe siècle, comme le roman des images.

__________

1. Ion I. Cantacuzino, "Ionel Teodoreanu", Bucureşti, România literară, I, 1932 (8), p. 3.

2. Tudor Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Albatros, 1977,

coll. "Sinteze Lyceum", p. 166.

3. Le mentor de Viaţa Românească ["La Vie roumaine"] dénonce dans les comparaisons de Ionel Teodoreanu

«l’abus de poésie dans le second terme [...], dans le prétendu "terme impropre". Car chez lui ce terme n’a plus

le rôle de "faire image", c’est-à-dire d’expliquer, de colorer, de frapper l’attention, mais celui de produire un

effet poétique, même lorsque que ce qu’il a à dire n’exige pas la poésie. Je veux dire que parfois la poésie du

terme impropre "n’est pas en question".» Voir G. Ibrăileanu, "Ionel Teodoreanu, La Medeleni", Viaţa

Românească, XVIII, 1926 (9), p. 355.

4. L’imagisme de notre romancier est fondamentalement critiqué parce qu’il «ne révèle pas, n’apporte pas de

sens nouveaux aux objets, mais les accompagne, se situe parallèlement à eux et double l’observation de façon

euphémistique, périphrastique, pléonastique. [...] Les comparaisons, qui cou lent habituellement de façon

parallèle, non pas le rôle d’imposer l’objet, mais de s’imposer elles -mêmes.» Voir M. Popa, "Medelenii sau

starea de vacanţă" ["Medeleni ou l’état de vacance"], in: Ionel Teodoreanu, La Medeleni, 1, Hotarul

nestatornic, Bucureşti: Editura Albatros, 1970, pp. 29, 30.

5. J. Ricardou, Pour une Théorie du Nouveau Roman , Paris: Seuil, 1971, p. 16.

6. Idem, Problèmes du Nouveau Roman , Paris: Seuil, 1967, p. 188.

7 . Nicolae Ion Popa, Conversiunea d-lui I. Teodoreanu la romanul realist ["La conversion de M. I. Teodoreanu

au roman réaliste"], Iaşi: Institutul de arte grafice Brawo, 1937, p. 4.

8. Tudor Vianu a esquissé une «psychologie de l’image dans notre littérature» [roumaine], qui nous semble assez

pertinente: «après les images sensibles d’Arghezi et de Teodoreanu, après les images allégoriques de

Galaction, après les images d’un réalisme cru de Rebreanu, après les images à fonction de caractérisation

interne chez I. Vinea etc., voici les images intellectuelles de Camil Petrescu.» Voir T. Vianu, op. cit., pp. 373-

374.

9. Mircea Eliade écrit à propos de notre romancier cette pensée profonde sous son aspect provocant: «C’est un

mélange curieux de Proust et de Sadoveanu, de Samain et de Topârceanu; par endroit Neculce, et partout

beaucoup, énormément de Ionel Teodoreanu.» (Revista universitară, 1926, n° 2, p. 53.)

10. Dans l’écriture romanesque, Teodoreanu distingue, d’une part, la "notification immédiate" des données, sans

intermédiaire, comme chez Tolstoï - le style est alors "l’explosion des faits" - , et, d’autre part, la

"notification médiate", par l’intermédiaire de la sensibilité de l’auteur, comme chez Proust. Voir l’entrevue

accordée à S. Vlad, "Indiscreţii despre Fata din Zlataust, noul roman al d-lui I. Teodoreanu" ["Indiscrétions

sur La fille de Zlataust, le nouveau roman de..."], Opinia, XXVII, 1931 (7319), p. 1.

11. E. Lovinescu, Istoria literaturii române contemporane, IV, Evoluţia prozei literare ["Histoire de la littérature

roumaine contemporaine, IV, L’évolution de la prose littéraire"], p . 153.

12. Le philosophe et poète Lucian Blaga définit notre romancier comme un «écrivain baroque chargé de beautés».

Voir L. Blaga, "Literatura anului" ["La littérature de l’année"], Banatul, I, 1926 (1), p. 51 (rubrique

"Chroniques", signée L. B.).

13. Silvia Tomuş, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei "Ionel Teodoreanu ou la Joie de la métaphore"], Cluj:

Editura Dacia, 1980.

14. Un critique roumain a toutefois assez bien saisi la portée originale du phénomène de scissiparité de l’images

teodorenienne. À propos de La Medeleni, Constantin Ciopraga parle d’une «technique fragmentariste, qui fait

naître de milliers de petits cubes de mozaïque, avec chaque idée, une figuration inédite». Voir C. Ciopraga,

"Ionel Teodoreanu în retrospectivă" (II, III) ["Ionel Teodoreanu en rétrospective..."], Cronica, VII, 1972 (4-5),

p. 2.

15. N. Ciobanu, Ionel Teodoreanu. Viaţa şi opera ["Ionel Teodoreanu. Sa vie et son œuvre"], Bucureşti: Editura

Minerva, 1970, p. 11.

16. Istoria literaturii române contemporane ["Histoire de la littérature roumaine contemporaine"], Bucureşti:

Editura Minerva, 1989, coll. "Arcade", p. 166.

17 . M. Sebastian, Cuvântul, 30 octobre 1927, reproduit d’après Eseuri, cronici, memorial ["Essais, chroniques,

mémorial], ed. Cornelia Ştefănescu, Bucureşti: Editura Minerva, 1972, p. 52. ("Considérations sur le roman

roumain".)

Page 101: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

18. Il faut noter en passant que dans une étude magistrale sur la réception de Dostoïevski en Roumanie, Dinu

Pillat signale que notre romancier roumain possède Dostoïevski à côté de Rudyard Kipling comme livre de

chevet. «Qui plus est, ajoute le comparatiste, à peine croyable, c’est lui que dans une interview l’écrivain

indique comme étant aussi le romancier du patrimoine littéraire universel avec lequel il se sent "le plus

apparenté".» Voir D. Pillat, Dostoievski în conştiinţa literară românească["Dostoïevski dans la conscience

littéraire roumaine"], Bucureşti: Editura Cartea Românească, 1976, pp. 75-76.

19. Le romancier lui-même déclarait lors d’une conférence en 1937: «Quand on appelle la lune lune, on dit une

vérité [...]. Quand on l’appelle tambourin, on dit un mensonge, mais par ce mensonge on rénove de manière

esthétique, plastique, une vérité élimée, en lui donnant vie.» Voir I. Teodoreanu, Cum am scris «Medelenii»,

ed. cit., p. 167.

20. G. Bachelard, "L’image littéraire", Messages, 1943 (1), p. 248.

21 . Alexandru Piru, Istoria literaturii române de la început până azi ["Histoire de la littérature roumaine du début

jusqu’à aujourd’hui"], Bucureşti: Editura Univers, 1981, p. 311.

22. Sur ce point, voir Daniela Rovenţa-Frumuşanu, "Cognitif et expressif dans l’étude de la métaphore",Revue

roumaine de linguistique, XXXIV, 1989 (6), p. 524. Alexandru Philippide a fort bien cerné la fonction

gnostique de la métaphore chez notre romancier: «Ionel Teodoreanu a prouvé, par sa manière de penser en

images, que la fonction de la métaphore n’est pas seulement ornementale, et que, bien au contraire, lorsque son

mécanisme se confond avec le mécanisme de la pensée, elle est un instrument d’investigation et de

connaissance spirituelle et, maintes fois, de détermination tout aussi précis que celles de la pensée abstraite.».

Voir sur ce point «... acele chiote permanente care de multe ori se numesc metafore» [«... ces cris permanents

qui bien des fois s’appellent métaphores»]. Ionel Teodoreanu évoqué par Virgil Carianopol, Şerban

Cioculescu, Em. Serghie, D. I. Suchianu, Al. Philippide, Radu Tudoran, Bucarest, Manuscriptum, VI, 1975(3),

p. 100. De même Mihaïl Sebastian écrit en 1927: l’image «prend aujourd’hui la valeur personnelle d’un arc

fendant les contours fixes de l’objet pour l’approcher et le saisir. Elle établit, de la seule façon possible, des

relations d’art entre le lyrisme et l’anecdote, poursuit le jeu d’une instabilité spirituelle, qu’elle exprime en

nuances minutieuses. (Cuvântul, 20 octobre 1927, reproduit d’après Eseuri, cronici, memorial, ed. cit., p. 41.)

23. D. I. Suchianu, op. cit., p. 55. Le critique voit en Teodoreanu «une révolution dans la théorie de l’esthétique

classique de l’Einfühlung. Au lieu de l’Einfühlung des Ich in das Objekt, Ionel Teodoreanu introduit

l’Einfühlung des Ich in dans Ich selbst», et il découvre dans sa méthode de l’image une préfiguration du

surréalisme, rejoignant ainsi Lucian Blaga, qui établit dès 1925 - donc à partir des écrits d’avant La Medeleni -

un rapprochement entre Teodoreanu et les peintres récents cherchant à saisir la chose en soi. Voir L.

Blaga, op. cit., p. 456.

(c) Michel Wattremez, 1995

LE RO MAN DU PASSAGE

I. L’ancrage de Medeleni dans la réalité.

Bien que La Medeleni soit un roman visant fondamentalement à la représentation de lui-même, il ne constitue nullement

un système autonome: il essaie de s’inscrire dans l’espace et dans le temps, et l’espace et le temps s’inscrivent en lui, dans les êtres et dans les choses.

1. L’enracinement spatial du roman.

Teodoreanu a essayé, dès le premier volume de sa trilogie, Hotarul nestatornic, d’ancrer le lieu mythique dans les

coordonnées du réel: une terre de Roumanie, septentrionale, évoquant par bien des aspects l’univers de sa propre

enfance[1], avec sa dénomination, sa géographie, son écho parmi les collines, son conac, ses maisons à l’entour, ses

paysans moldaves, sa vigne et son verger, sa gare et son passage à niveau; une vieille famille de boyards ayant sa

résidence et son «Club» à la ville de Iaşi; des lieux chargés d’une réelle valeur affective et sensuelle (la petite maison

blanche de moş Gheorghe à l’écart du village, le verger remplis des poires de Oţăleanca) ou présentant des signes

d’inquiétude et d’étrangeté (l’Étang du Poulain, le cimetière)... un ancrage spatial minimal, donc juste suffisant pour

rendre l’histoire plausible et qui se caractérise par la rareté et l’imprécision des détails par rapport aux topographies des

romans de Liviu Rebreanu et, plus tard, de George Călinescu.[2]

Donnons quelques exemples. Le lecteur a la confirmation matérielle à la fin de Drumuri que Medeleni est situé à

proximité de Iaşi: Olguţa effectue l’aller-retour en voiture de façon fulgurante quand elle vient chercher au domaine

Page 102: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

l’indigne Rodica pour la reconduire à Iaşi chez ses parents [3]. Un détail place Medeleni dans des coordonnées spatiales

plus précises: la gare, avec son chef légendaire, monsieur Şteflea, située à quelques kilomètres du conac, puisque les

déplacements s’y font à cheval: mais il s’agit d’une «anonimă gară a vacanţelor» [4], et où le train, quand il s’arrête, le

fait toujours avec une heure de retard.

2. L’enracinement temporel du roman.

L’ancrage temporel de La Medeleni n’est guère plus profond, et les informations que glane le lecteur ne parviennent pas

davantage à inscrire le paysage et les lieux dans un cadre chronologique vraiment solide.

a. Chronologie externe.

D’un point de vue externe, les événements historiques s’inscrivent certes dans le texte, mais de façon sporadique et plus

suggestive que précise, avec quelques grands repères jalonnant le récit. Ainsi la guerre d’indépendance de 1877-1878

est évoquée par la médaille que reçoit moş Gheorghe à la bataille de Pleven, la guerre russo-japonaise de 1904-1905 par

la ballade de Potemkine et Kami-Mura; le sujet des révoltes paysannes est abordé par Herr Direktor en été 1907, au

milieu de Hotarul nestatornic, comme un problème de l’actualité récente. La première guerre mondiale, quant à elle, est

évoquée de manière un peu plus précise, mais de loin, vue de l’arrière sans le relief qu’elle avait chez Liviu

Rebreanu[5] ou qu’elle prendra plus tard chez Camil Petrescu [6] , avec les articles de presse sur le début des hostilités en

1914 et la neutralité de la Roumanie, avec les discussions des personnages sur Verdun, avec les clairons de la

mobilisation dans une nuit d’août 1916, annonçant l’entrée en guerre des Roumains, puis avec l’allusion à l’après -

guerre et aux «vulgare oraşe ale României Mari» [7]. Enfin, la construction d’un court de tennis à l’occasion de la venue

à Medeleni du prince Charles, comme le révèle malicieusement Olguţa, est un détail historique qui place le domaine

dans l’actualité réelle immédiate, mais par dérision.

b. Chronologie interne.

Le poids du temps s’inscrit surtout dans La Medeleni d’un point de vue interne, par les traces qu’il laisse sur les objets

et les lieux, et par les marques visibles qu’il grave dans les êtres. Ainsi le lecteur suit au fil des pages du roman le déclin

matériel du domaine: les temps d’opulence de Hotarul nestatornic, le fermage de l’administrateur Haralamb

Scrobohaci, «credincioasă ploşniţă a familiei Deleanu» [8], enfin le rachat par le banquier Bercale en avril 1924, alors

que monsieur Deleanu est criblé de dettes de baccarat [9]. De même, lorsqu’il revient à Medeleni qu’il n’a pas vu depuis

un an, Dănuţ est accablé par le sentiment de la fuite inexorable du temps qui détruit tout: «Să nu iei în seamă că zi cu zi

mucegaiul copleşeşte zidurile şi că păienjenii ţes pânza ursuză într-o odaie a casei tale?»[10] Le temps marque aussi les

visages et fait vieillir les personnages du roman: madame Deleanu, belle et coquette au début de La Medeleni, a les

cheveux gris et porte des lunettes dans Drumuri; dans Între vânturi, monsieur Şteflea est atteint d’une myopie qui

l’empêche de déchiffrer les adresses du courrier, et monsieur Deleanu, jadis si fringant, accueille Olguţa et Monica à leur retour de Paris, chenu et appuyé sur une canne.

II. Un «Bildungsroman»?

1. L’itinéraire d’une formation.

L’inscription, dans le texte romanesque, de cet aspect destructeur et modificateur du temps sur les êtres et les

consciences, pourrait donner à croire que La Medeleni se range dans la catégorie du roman de

formation ouBildungsroman.[11] Teodoreanu lui-même a, semble-t-il, voulu donner cette dimension à ce qu’il concevait

au départ comme «une trilogie de romans dédiés à l'évolution d'une génération de Moldaves dont l'enfance a commencé

au temps démodé de la valse et du foyer patriarcal, et dont la jeunesse, après avoir goûté à la Grande guerre, a

recommencé à vivre au rythme du jazz-band.»[12] En effet, le romancier suit le trajet de ses héros depuis Hotarul

nestatornic jusqu’à Între vânturi, avec notamment le parcours érotique de Dănuţ (les innocentes amours dans le verger

de Medeleni, puis l’initiation par Adina Stephano, Ioana Pallă et Rodica, qui lui apprennent la jalousie, la souffrance et

le plaisir) et son chemin dans la vie jusqu’à la fondation d’une famille et la reconquête de soi par l’amour. L’itinéraire

social et professionnel du personnage principal est également montré, jusqu’à l’intégration forcée dans le milieu

judiciaire: études au Lycée Lazăr de la capitale, apprentissage de l’indépendance dans le studio bucarestois de la rue

Pitar-Moşu, loin de l’ambiance nocive du «milieu moldave». L’éducation artistique, enfin, n’est pas négligée, comme

dans Jean-Christophe ou dans laRecherche, avec le parcours d’écrivain de Dănuţ[13]... Bref, les buts visés par Dănuţ

correspondent bien à la typologie adlerienne des trois objectifs à atteindre par le héros de Bildungsroman équilibre sexuel, équilibre social, équilibre professionnel.[14]

D’autre part, bien des éléments narratifs de La Medeleni appartiennent au type de roman qui nous intéress e: comme le

motif de la cession des biens immobiliers aux Bercale, à la fin de Între vânturi, qui n’est pas sans évoquer la vente des

meubles de la famille Arnoux dans L’Éducation sentimentale de Flaubert; comme le thème récurrent de Robinson

Page 103: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Crusoë, si important par son illustration du principe d’utilité à l’œuvre dans les romans de formation [15], présent ici

comme dans Le Petit Chose d’Alphonse Daudet; comme le thème final de la «capitulation»[16], du renoncement à

certains idéaux, ou de l’investissement dans des valeurs de substitution; comme enfin certains personnages initiateurs

assez caractéristiques, tel que Herr Direktor, à l’instar de l’oncle Gottfried dans le troisième volume de Jean-Christophe, dans le domaine social, tel que le directeur de Viaţa contimporană dans le domaine artistique.

2. Le «défaut de ligne droite».

La structure même de La Medeleni s’apparente à celle de nombreux romans de formation. D’abord, par la rhétorique

d’ouverture de la trilogie: la mise en texte de la trilogie[17] exploite en effet le topos du novice (face à une situation

inconnue de lui, Dănuţ fait appel à l’aide d’un paysan plus âgé qui l’initie à l’envol du cerf-volant), ainsi que celui de la

rencontre (par la conjonction du héros -voïvode et du paysan, le romancier met en circulation une information propre à

éclairer le novice). Caractéristique sont aussi l’encadrement du roman par le projet éducatif de Herr Direktor[18] et le

bilan du parcours à la fin de Între vânturi, avec une construction en boucle reprenant la même problématique, les

mêmes personnages, les mêmes lieux et la même circonstance du conseil de famille restreint, ainsi que l’utilisation d’une écriture dégressive et sinueuse, et qui érige le «défaut de ligne droite» flaubertien en véritable principe esthétique.

3. L’ébauche des cadres.

Toutefois, le projet romanesque initial de Teodoreanu évolue constamment vers le suivi de destins individuels la plupart

du temps en parallèle à l’histoire. La nécessité d’une société mouvante, condition indispensable du roman de formation,

fait souvent défaut dans La Medeleni, malgré le souffle de vie dont la trilogie respire d’un bout à l’autre du texte. Ainsi,

l’expérience de la guerre est vécue par la très vive conscience artistique et planétaire de Dănuţ, mais sans les

implications collectives qu’elle a chez Cezar Petrescu dans Întunecare[19], ou qu’elle connaîtra chez Camil Petrescu

dans Ultima noapte de dragoste, întaia noapte de război [20]. De même, l’expérience de Bucarest, ville cosmopolite,

corrompue, fébrile et mercantile, est vécue individuellement, par l’image et par l’antithèse avec le Iaşi assoupi et

languide, et n’a pas la force et la valeur qu’elle aura plus tard dans Calea Victoriei[21], au prix d’une étude approfondie de tous les milieux sociaux de la capitale économique, politique, mondain, judirique, estudiantin...[22]

III. L’ancrage symbolique de Medeleni.

1. Le jardin de Dieu.

Il apparaît donc clairement que la trilogie roumaine s’inscrit très superficiellement dans la réalité, et que le «passage»

des protagonistes à travers les pages d’un long roman s’effectue moins par une confrontation matérielle avec la vie que

par un échange continuel entre eux et le monde, dans une perspective heuristique. Par rapport à la propriété homonyme

du roman, et à la différence d’un Lacretelle quelques années plus tard [23], Teodoreanu se limite à marquer en filigrane

les aléas du domaine et d’un «rêve enraciné dans la terre». Les indices renforçant l’ancrage de Medeleni dans le réel

sont le plus souvent dépourvus de fonction déictique: c’est la fonction symbolique qui prévaut, avec l’image centrale du

jardin, résumé du monde, cloître des monastères et porte étroite. Medeleni est d’emblée montré comme la porte du

paradis gardée par saint Pierre[24] et donnant sur des vergers envahis d’enfants.

2. Le puits de vie et de mort.

Associé au symbole du jardin, terre de germination, de fructification et de germination, et au mythe de l’Éden, Medeleni

se présente aussi comme un lieu de l’ambivalence, de vie et de mort. C’est la terre où se succèdent les saisons, le lieu de

germination des graines, de croissance mais aussi de putréfaction des fruits trop mûrs, avec le contrepoint printemps -

automne développé d’un bout à l’autre du roman de Teodoreanu, et le passage de la fleur à l’ombre de la fleur.

a. La figure de la noyade.

Medeleni est bien la figure où vie et mort tracent une ligne de partage aussi imprécise que la «mouvante

marche»[25] séparant l’enfance de l’adolescence. À l’autre bout du village, derrière les arbres, sont le cimetière et

l’Étang du Poulain qui hante les rêves d’enfants d’Olguţa et de Dănuţ: symbole de l’inconscient et de la mère, lieu des

germinations invisibles, où pullulent les grenouilles et le passé étrange de la famille Dumşa, ses fautes et ses remords,

lieu où reposent des vestiges sordides du temps des cavernes et des jours de peste, où coulent les chevaux et les barques,

lieu de légende où mort et amour se fondent dans la légende de la grand-tante Fiţa Elencu[26], finalement figure du

destin puisque, de jeu de mort en chasse véritab le, l’itinéraire d’Olguţa à travers le roman part de ce lieu maudit pour y atteindre inexorablement.[27]

Page 104: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

b. Les dernières demeures.

Medeleni est aussi un refuge de l’amour et du désir, ceux de Dănuţ et de Rodica durant leurs "lectures" nocturnes [28],

durant des nuits où la volupté se dissout finalement dans la mort du domaine racheté par la cocotte mariée au banquier

Bercale. La maisonnette de moş Gheorghe est le lieu principal où s’incarne et disparaît cette ambivalence d’éros et

thanatos, dans un décor sombre et mystique, plein des parfums d’huiles et d’encens, à la lumière trouble des icônes. Le

vieillard a facilité en ce lieu les amours du jeune Iorgu Deleanu et d’Alice Dumşa, les parents de Dănuţ et d’Olguţa; il a

enfermé là dans un coffre la robe de mariée qu’il destine à la future dot d’Olguţa. C’est là même qu’il meurt et

qu’Olguţa se tire une balle en plein cœur après le départ impossible avec Vania pour l’Amérique.

Mais la moşie n’est pas seulement un bout de terre roumaine: lieu de vie et de mort, elle est surtout le paradis fictif où s’élabore l’œuvre d’art, le lieu sacré qui ne révèle son secret qu’au terme d’une initiation.

(suite)

(c) Michel Wattremez, 1995

[1] Sur les éléments autobiographiques du roman, voir supra. La lecture beuvienne que fait presque exclus ivement Nicolae Ciobanu de La Medeleni entre plus d’une fois en

contradiction avec les affirmations de Teodoreanu lui-même, qui n’a eu de cesse de mettre en valeur le caractère de

recréation fictionnelle du roman. Voir la conférence «Cum am scris Medelenii» et Aurel Leon, «Convorbiri cu Ionel Teodoreanu» [«Entretiens avec...»], Cronica, Iaşi, II, 1967 (32), p. 11.

[2] La romancière Georgeta Mircea Cancicov (1899-1984), auteur de Poeni. Din viaţa satului meu [«Poieni. De la vie

de mon village», 1938], révèle l’existence d’un petit village près de Poieni, en Bessarabie. Il s’agit selon elle d’une pure

coïncidence toponymique. Voir A. Sasu et M. Vartic, Romanul românesc în interviuri. O istorie autobiografică [«Le

roman roumain en interviews. Une histoire autobiographique»], Bucureşti: Editura Minerva, I, volume 2, p. 553.

(Romanul românesc în interviuri [«Le roman roumain en interviews»], I, volume 2, p. 553.)

[3] Drumuri, pp. 482-488.

[4] T. F.: anonyme gare de vacances Hotarul nestatornic, p. 382.

[5] Pădurea spânzuraţilor ["La forêt des pendus"], roman, 1922.

[6] Ultima noapte de dragoste, întâia noapte de război [«La dernière nuit d’amour, la première nuit de guerre»], roman, 1930.

[7] T. F.: vulgaires villes de la Grande Roumanie» Între vânturi, p. 194.

[8] T. F.: fidèle punaise de la famille Deleanu Între vânturi, p. 129.

[9] Ibidem, pp. 413-415.

[10] T. F.: Ne pas te rendre compte que jour après jour la moisissure dévaste les murs et que les araignées tissent leur toile maussade dans une pièce de ta maison? Drumuri, p. 281.

[11] Sur cette question, voir principalement F. Jost, «La tradition du Bildungsroman», Comparative literature, 1969

(21), pp. 97-105; S. Suleiman, «La structure d’apprentissage; Bildungsroman et roman à thèse»,Poétique, 1979 (37), pp.

24-42; M. Bakhtine, Le roman d’apprentissage..., in Esthétique de la création verbale, Paris: Gallimard, 1984, pp. 211-261.

[12] Viaţa Românească, XVI, 1924(10), p. 5.

[13] Le thème de l’artiste, et du romancier en particulier, suivi dans ses différentes hypostases est un thème courant

chez les romanciers roumains de l’entre-deux-guerres.

Page 105: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Marian Popa remarque à juste titre que «le prosateur combine ainsi l’idée de Bildungsroman avec celle de

confession et de journal d’un roman, comme le feront entre autres André Gide et Aldous Huxley.» Voir M. Popa,

«Medelenii sau starea de vacanţă» [La Medeleni ou l’état de vacance», in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, 1, Hotarul

nestatornic, Bucureşti: Editura Albatros, 1970, avant-propos, p. 18.

[14] Voir J. H. Bucley, Season of Youth: the Bildungsroman from Dickens to Golding , Cambridge: Harvard, 1974.

[15] Le livre de De Foe est le seul livre toléré par Jean-Jacques Rousseau pour l’amusement et l’instruction d’Émile (Émile ou de l’éducation, III).

[16] Cezar Petrescu, «Trilogia Medelenilor, Cartea a III-a: Romanul capitulărilor» [«La trilogie La Medeleni, Livre III:

Le Roman des capitulations»], Curentul, I, 1928 (6), pp. 1-2. Le grand romancier remarque intelligemment le caractère

non-rectiligne du récit.

[17] Sur le problème de la mise en texte du roman en général, voir Claude Duchet, «Idéologie de la mise en texte:

ouverture de Germinal», Dossiers pédagogiques de la radio et de la télévision scolaires, Français 2, premier et second

cycle, Paris: Ministère de l’Éducation Nationale - Ofrateme, 1973, pp. 104-107; «Pour une socio-critique ou variation

sur un incipit», Littérature, Paris, 1971 (1).

[18] Hotarul nestatornic, chap. «Mediul moldovenesc» [«Le milieu moldave»].

[19] Obscurcissement, roman, 1927-1928. Ion I. Cantacuzino regrette, à ce sujet, que «ce formidable élément de

confrontation et de révision, qui pouvait dévoiler merveilleusement tous les caractères, toutes les aspirations, tous les

dons, toutes les souffrances [soit] complètement négligé.» Voir I. I. Cantacuzino, «Ionel Teodoreanu», România

literară, I, 1932 (3), p. 3.

[20] La dernière nuit d’amour, la première nuit de guerre, roman, 1930.

[21] Avenue de la Victoire, roman Cezar Petrescu, 1930 pour la première version.

[22] Ce constat de réussité partielle de Teodoreanu dans la création d’un véritable Bildungs roman, n’est pas nouveau.

Selon Ovidiu Ş. Crohmălniceanu, Teodoreanu crée «les prémisses» de ce type de récit sans parvenir à l’exemplarité,

«parce que dans la formatrion de ses héros les problèmes matériels de l’existence ont toujours joué un rôle minime»

(Literatura română între cele două războaie mondiale , «La littérature roumaine entre les deux guerres mondiales», I,

Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1967, pp. 363-364.) Mais l’originalité et la réussite de Teodoreanu sont peut-être à trouver ailleurs, comme nous le montrerons plus loin.

[23] Dans la suite romanesque des Hauts-Ponts , chronique d’un domaine de Vendée (1932-1936).

[24] Hotarul nestatornic, p. 21.

[25] En roumain, "hotarul nestatornic»; c’est le titre du premier volume de La Medeleni.

[26] Teodoreanu emblématise l’étang d’une manière inégalée dans la géographie littéraire roumaine, lui do nnant la

dimension initiatique et étrange qu’il possède chez George Sand dans La Mare au diable. Le thème est diabolique

jusque-là et fonctionne avec l’ampleur réduite du motif. Dans un récit intitulé Pomul de crăciun ["L’arbre de Noël"],

Alexandru Macedonski présente le marais comme un lieu infernal, domaine du diable et du passé mort: «les domaines

où nous mangions du boudin blanc et de la dinde comme les maisonscomme les vignes s’en sont allés depuis

longtemps, emportés par "celui du marais" [le diable par euphémisme].» Mihail Sadoveanu évoquera plus tard lui aussi,

en 1950, "Groapa Mânzului" ["la Fosse du Poulain"], «là où se noient ceux qui ne savent pas nager...»; voir M.

Sadoveanu, Nada florilor, in Anii de ucenicie..., Bucureşti: Editura Minerva, 1970, p. 470.

[27] Nicoale Ciobanu remarque à juste titre que l’Étang du Poulain est pour Olguţa «sa première tentative de

confrontation avec son propre destin» (préface à Ionel Teodoreanu, La Medeleni, I, Bucureşti: Editura Minerva, 1971, coll. "Biblioteca pentru toţi", p. XVI).

[28] Drumuri, IIIe partie, ch. 2.

CONCLUSION GENERALE

Page 106: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Scriu cu doua vârfuri: unul în real, celălalt în poem. Cânt cu două sunete ale

aceluiaşi arcuş: unul e geamătul vieţii, celălalt melodia artei. Surâd si plâng în acelaşi timp, cu săgeata în mine şi ochii în cer.

J'écris de deux plumes: l'une dans le réel, l'autre dans le poème. Je joue de deux

sons du même archer: l'un est le cri de la vie, l'autre la mélodie de l'art. Je souris et

pleure en même temps, la flèche en moi et les yeux au ciel.

(lonel Teodoreanu,

« Lettre à un mort »)

Le moment est venu d'établir un bilan, au terme de cette thèse consacrée à l'art romanesque de lonel Teodoreanu

dans La Medeleni, de résumer nos positions, et de replacer l'écrivain dans l'histoire du roman roumain en révélant son originalité.

La trilogie paraît en Roumanie de 1925 à 1927, dans un contexte de renaissance nationale et économique, favorable à

une reprise de l'activité éditoriale dont bénéficie d'abord le roman. La Medeleni voit le jour à une époque caractérisée

par un renouveau des thèmes romanesques et par leur développement dans des oeuvres de grandes proportions, dans le

moule du «roman-fleuve» occidental, mais il se particularise, dans le champ culturel roumain de l'après-guerre, en ce

qu'il symbolise le seuil d'une nouvelle ère sociologique où l'écrivain accompagne le roman et le porte au monde en y dilatant à plaisir le paratexte. S'il est une originalité de La Medeleni, c'est d'abord dans cette perspective qu'elle se situe.

Reçu presque exclusivement comme le romancier de l'enfance, lonel Teodoreanu renouvelle fondamentalement la

tradition dans ce domaine. Il innove d'abord par une révolution dans la manière d'appréhender la psychologie d'un âge

situé sur une « marche mouvante »1 de l'existence humaine, par l'approfondissement de la réalité subjective au moyen

d'un entrelacement subtil du discours indirect libre et d'une parole vivante donnant l'impression d'une véritable

«hallucination de la vie»2 et d'une « fusion de vie et de légende »3, par la mise en relief du lien animiste entre l'enfance

et le monde, et de son expérience orphique par rapport aux mots et aux choses, par l'invention de structures

romanesques en harmonie parfaite avec le sujet traité. Certes, Teodoreanu doit beaucoup à des auteurs comme

Delavrancea, Brătescu-Voineşti ou Emil Gârleanu, auxquels le lient le thème lyrique du laudatio temporis acti et bien

des motifs narratifs propres au récit d'enfance. Mais l'originalité de l'écrivain éclate lorsqu'on remarque l'ampleur de la

structure qu'il adopte -- le roman vaste, doté de personnages nombreux et variés, aux caractères différenciés, exploitant

l'infinie possibilité des actes de parole, dans des dialogues de scène à allure mimétique où sont saisies les plus subtiles

nuances de la voix. Comme forme du jeu, le dialogue constitue ainsi chez Teodoreanu un mode de l'irrévérence qui n'est finalement, comme le disait Alain-Fournier, qu'une manière d'exister.

Maître dans l'art du dialogue, matériau subjectif à partir duquel sa création s'opère, Teodoreanu l'est aussi dans celui de

l'instantané, de l'esquisse ou du croquis. Si Drumuri suit de manière linéaire les destins des personnages en différents

lieux et actions, par un jeu d'entrelacement d'épisodes assez touffus; si Între vânturidéveloppe des séquences narratives

plus logiquement enchaînées, avec un usage abondant de l'analepse et de l'ellipse, et sur le mode presque exclusif de la

relation, -- Hotarul nestatomic fonctionne sur le mode de la représentation comme une suite de « moments » ou d'

«incidents de vie»4 , dans le sillage de ceux de Caragiale, très brefs et entrecoupés de dialogues sans incises et de

courtes descriptions en esquisse. L'art de Teodoreanu, dans une oeuvre venue, comme chez Jules Renard, « par bouffées

», se trouve ainsi en totale harmonie à la fois avec le tumulte mouvant et profond de la vie enfantine, et avec le système

de représentation du premier âge de l'existence humaine.

D'autres procédés romanesques caractérisent l'écriture «sur le vif» de La Medeleni: l'énumération, la technique du

contrepoint temporel et modal, la fusion des plans de la représentation et de la relation, l'entrée in media res des

séquences narratives, dans les deux premiers volumes; dans Între vânturi, au contraire, le recours à la généralisation

pour l'introduction du particulier, qui ralentit le récit et contribue à l'engourdissement de l'écriture. Teodoreanu innove

parfois -- avec des procédés modernes comme le compte à rebours, les formules anaphoriques du récitatif ou les

dialogues vides entre les personnages (suite de tirets et de points de suspension) --, usant de techniques dont seront

friands les romanciers des années 1930, comme le document authentique qu'est la lettre, ou la présentatio n d'événements hétérogènes...

L'écriture romanesque de La Medeleni doit aussi son originalité à la figuralité mise en oeuvre avec un art très sûr du

début à la fin de la trilogie. La thèse a démontré le manque de fondements de la critique antimedeleniste fustigeant le

métaphorisme de Teodoreanu, et tenté de donner une perspective et un sens à ce développement démiurgique des

tropes. Mis en oeuvre assez souvent avec la fonction de pointe, l'acte figuratif offre sa cohésion à un récit de

discontinuité et de ruptures; il permet son resserrement sur lui-même et le maintien d'une cohérence interne par le

tissage d'un faufil sémique entrelacé à la trame narrative du roman, tout en ouvrant au récit des points de fuite grâce à de

«petites histoires-bis » tangentes à la diégèse, et qui sont autant de possibles narratifs offerts au désir du lecteur. La

Page 107: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

figuralité joue aussi un rôle heuristique à l'intérieur du roman de Teodoreanu: développée en cercles concentriques, elle

vise à atteindre avec délices l'ineffable de la sensation, dans une fuite en avant vertigineuse qui conduit lêtre au néant

des mots et à la dissolution de l'être. Elle caractérise ainsi, autant que les aspects formels vus jusqu'ici, une écriture

romanesque sans cesse tiraillée entre souffrance et volupté, et qui n'est pas sans évoquer l'esthétique baroque.

L'écriture du passage caractérise également la trilogie roumaine, et participe comme l'image à sa dimension spéculative.

Teodoreanu ne décrit pas; à la limite, il évoque ou fait participer, préférant toutefois semer dans le récit un réseau de

signes que lecteur et personnages découvrent progressivement sur le parcours. L'inscription du temps et des lieux y est

superficielle, et empêche, par l'absence d'une société décrite dans sa mouvance et sa complexité, de voir en

La Medeleni un véritable Bildungsroman, même si la structure du livre rappelle certains romans de formation, par sa

rhétorique d'ouverture, sa problématique éducative en boucle, ou sa stratégie d'écriture digressive et sinueuse. Mais

Teodoreanu n'échoue pas là où il n'a que le faible désir de réussir. Son art romanesque se veut au service d'un dessein

heuristique, que seule une lecture herméneutique peut saisir. Il s'agit pour l'écrivain de baliser un chemin qu'il remonte

ou redescend vers l'enfance, le passé, la mort, le marécage, l'effroi, en mettant en oeuvre une écriture orphique et

hermétique du dévoilement progressif: passage des héros par toute une série de lieux de mort et de renaissance qui sont

plutôt desstations, de difficultés existentielles qui sont plutôt des épreuves, mise en roman d'un rite de passage qui

conduit finalement à la révélation et à la découverte d'une vita nova - l'enfance retrouvée par l'Art et la Métaphore. À ce

projet de roman initiatique participe une écriture marquée par l'emblème (l'Étang, le Destin, le Labyrinthe ... ),

l'antithèse de l'ombre et de la lumière discernables dans maints éléments du récit, dans les deux premiers titres mais

surtout dans Între vânturi, enfin le réseau lexical de l'alchimie, particulièrement développé dans ce dernier volume.

Voilà bien l'aspect le plus profond de La Medeleni et - si toutes les grandes oeuvres sont « descentes aux Enfers »5 -- ce qui contribue à faire du roman de Teodoreanu l'un des plus grands de la littérature roumaine.

L'examen de toutes ces composantes stylistiques de La Medeleni permet en effet d'accorder à la trilogie les qualités de

grand roman que certains lui ont à tort déniées: individualisation des âmes par l'observation minutieuse et le travail sur

le matériau objectif du dialogue, consistance et signifiance de l'événementiel, unité narrative et cohérence de l'intrigue,

ampleur architecturale... En même temps, il incite le lecteur de Teodoreanu à redéfinir substantiellement la place du

romancier dans le cadre de l'histoire de la littérature roumaine, et plus précisément de la modernité. Cette révision ne va

pas sans une remise en cause de quelques préjugés sur l'auteur de La Medeleni, assez largement répandus dans son pays.

Ainsi, depuis Eugen Lovinescu, la trilogie est habituellement placée dans la continuité du semănătorisme.6Optant pour

une littérature roumaine en synchronie à la fois avec la littérature occidentale, qui a évolué inexorablement, dans ses

formes narratives, du rural vers l'urbain, et avec la phase d'évolution historique de la civilisation roumaine des anné es

1920, Eugen Lovinescu a fermement plaidé pour une littérature de la ville, et blâmé les écrivains semănătoristes,

notamment Brătescu-Voineşti et Duiliu Zamfirescu.7 Il accuse le mouvement d'être une résurgence du vieux

conservatisme boyard et une entrave à la marche révolutionnaire du Progrès. Selon Lovinescu, l'oeuvre de Teodoreanu

n'est, du point de vue idéologique, que le dernier avatar de l'esprit semănătoriste: le populisme de la revue

Viaţa Românească [« La Vie roumaine »]. Il s'agit ici d'une littérature « patriarcale et lyrique, dans le style d'un

semănătorisme accommodé au processus plus avancé d'une bourgeoisie nationale »; le mouvement incriminé est

lyrique, régionaliste, incapable de s'inscrire dans le « processus d'unification de l'esprit nat ional ».

Si le critique esquisse la notion de modernité roumaine, on peut s'interroger sur la pertinence de son propos par rapport

à La Medeleni, et regretter une confusion tendancieuse entre le système de valeurs du roman et son originalité artistique.

D'abord, le lyrisme n'est pas incompatible avec la modernité du roman -- à preuve Teodoreanu en Roumanie, Giono et

Colette en France, qui mettent en oeuvre ce qu'avec Proust nous appellerions la poésie du roman. On peut remarquer

ensuite, d'un point de vue « synchronique », que La Medeleni développe aussi, dans Drumuri surtout, une image de la

ville moderne dans ses multiples facettes, vue par les yeux tantôt critiques, tantôt cyniques de Danuţ, par les yeux

surpris et moqueurs d'Olguţa; que le procédé, cher au roman « moderniste », de prolonger par divers artifices de

construction les aventures des protagonistes jusqu'au moment où s'écrit et se publie le roman (l'axe diégétique recoupant

l'axe historique réel) est déjà exploité par Teodoreanu à la fin de son roman, pour ancrer la fiction dans la réalité non

pour des raisons programmatiques mais stylistiques, afin de créer chez le lecteur, à la fin du roman, une impression

d'abîme entre l'Histoire et son miroir dans la diégèse du récit; que La Medeleni, loin de se cantonner dans des

formes narratives révolues, préfigure brillamment la modernité romanesque des années 1930 et même au -delà, par son

caractère auto-référentiel et sa dimension spéculaire, par sa composition digressive comme recherche de composition,

par sa structure discontinue offrant un parfait modèle d'éclatement des genres et de désagrégation du narratif8 dans le panlyrisme.9

Enfin, on peut douter que La Medeleni s'inscrive dans la perspective purement régionaliste d'un « spécifique moldave »

qui le tiendrait du même coup à la périphérie de la littérature roumaine. Loin de se maintenir dans un terroir de

Moldavie, la construction romanesque de Teodoreanu évolue d'un cadre national (Iaşi, Bucarest) vers un univers

international (Venise, Paris, l'Amérique, la Russie); d'une part, parce que toute enfance heureuse s'attache à un lieu

(Combray chez Proust, Yarmouth chez Dickens, Humuleşti chez Creangă, Mortefontaine chez Nerval), et que toute

Page 108: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

existence humaine se développe par élargissements successifs de l'espace et de la conscience (ce qui fait que plus nous

découvrons le monde en vieillissant, plus nous semble se rétrécir l'espace du passé); d'autre part, parce que se dessine,

au fil de l'écriture et peut-être même de la publication de La Medeleni, le projet dont Teodoreanu prend conscience:

celui de reconstruire l'Arche perdue, cette « arche résurnative » qu'on ne peut interpréter qu'a posteriori, une fois

l'oeuvre achevée par la lecture du mot « fin », et à différents niveaux: comme ce trésor à redécouvrir qu'est l'enfance,

avec ses jeux, ses sensations oubliées, son monde aux dimensions particulières (c'est au fond le mythe du paradis

perdu), comme une part périphérique de la Roumanie (éloignée spatialement du centre qu'est Bucarest, et temporellement par son bovarysme culturel), surtout comme l'espace sacré où s'élabore l'oeuvre d'art.

A ce titre, Medeleni n'est plus une région périphérique, mais se situe au centre même du phénomène littéraire et culturel

roumain, là où se crée la littérature: parce que Medeleni est un lieu et qu'il existe une géographie du roman; parce que

La Medeleni est un roman, mais aussi -- et surtout -- l'histoire d'un roman.

__________

1. Titre du premier volume, Hotarul nestatornic.

2. G. Ibrăileanu, Studii literare, Bucarest: Minerva, 1979, vol. 1, p. 442.

3. Contopire de viaţă şi de basm -- Drumuri, p. 549.

4. Camil Petrescu, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni – Hotarul nestatornic», Cetatea literară, I, 1926(9-10), p.

66.

5. Daniel Oster, préface à Véronique Boyer, L'image du corps dans À la recherche du temps perdu, Paris, 1984,

p. XXI.

6. Le mouvement doit son nom au titre de la publication hebdomadaire où ses tenants ont développé leur projet et

publié leurs oeuvres, Semănătorul [« Le Semeur »], parue à Bucarest du 2 décembre 1901 au 27 juin 1910,

sous la direction successive d'Alexandru Vlahuţă, George Coşbuc, Ilarie Chendi, Şt. O. losif, Nicolae Iorga,

Mihail Sadoveanu, notamment, et A. C. Popovici. Le semănătorisme prône une littérature d'inspiration rurale

et historique, liée à la tradition. La paysannerie étant le pilier sur lequel doit s'appuyer toute la société

roumaine, c'est vers elle que doit se tourner l'écrivain, pour la peindre en la sublimant, pour l'éclairer en la

guidant. D'inspiration rousseauiste, ce programme relève d'une conception romantique du phénomène rural

roumain, et diffère du projet populiste en ceci qu'il a peu d'implications sociales. Esthétiquement, la littérature

du mouvement développe les thèmes de la vie à la campagne, de la vie idyllique du village opposée à celle de

la ville pervertie, du déracinement et de l'inadaptation sociale. Éloge est fait du passé illustre, des vertus

historiques et ancestrales; les boyards drapés dans leurs manteaux de gloire sont opposés aux fermiers et

gérants cupides et métèques.

7. lstoria literaturii române contemporane [« Histoire de la littérature roumaine contemporaine »], IV, Bucureşti:

Editura Ancora, 1928.

8. Sur cette question, nous renvoyons aux observations très pénétrantes d'un autre moderniste, Mihail Sebastian,

dans son étude consacrée au roman: «Consideraţiuni asupra romanului românesc», «Tot despre descompunerea

romanului» [«Considérations sur le roman roumain», «Toujours sur la décomposition du roman», Eseuri,

cronici, memorial, ed. Cornelia Ştefănescu, Bucureşti: Editura Minerva, 1972, pp. 31-59 et surtout pp. 76-81.

9. Lovinescu simplifie le problème en opposant une tradition surannée et déphasée, dans laquelle s'inscriraient

Teodoreanu et avec lui Sadoveanu, Zamfirescu, Brătescu-Voineşti, Agârbiceanu, etc., et une modernité en

phase avec le stade d'évolution de la société roumaine de l'entre-deux-guerres, où s'encadreraient Camil

Petrescu, Hortensia Papadat-Bengescu, Anton Holban, Gib Mihăescu... Il nous semble plus juste de situer

Teodoreanu, comme Arghezi, dans le cadre d'une « modernisation de la tradition », comme le fait Alexandru

Piru (Istoria literaturii române de la început până azi, Bucureşti: Editura Minerva, 1981), ou dans celui d'une

synthèse des valeurs authentiquement roumaines et des techniques modernistes comme le suggère Mircea

Eliade (« lonel Teodoreanu », Revista universitară, 1, 1926, n" 2, p. 53).

LE ROMAN D’UNE ÉCRITURE

Curând, o generaţie întreagă va mânca poamele necunoscute pe care i le aduci.

Page 109: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

«Bientôt, toute une génération mangera les fruits inconnus que tu lui apportes.»

Între vânturi, p. 170.

Introduction.

On se souvient de la première référence que donnait Gide en 1893 du procédé de la mise en abyme :

J'aime assez qu'en une oeuvre d'art on retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages , le sujet même de cette

oeuvre. Rien ne l'éclaire mieux et n'établit plus sûrement toutes les proportions de l'ensemble. Ainsi, dans tels tableaux

de Memling ou de Quentin Metzys , un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l'intérieur de la pièce ou se

joue la scène peinte. Ainsi, dans le tableau des Méninesde Velasquez (mais un peu différemment). Enfin, en littérature,

dans Hamlet , la scène de la comédie; et ailleurs dans bien d'autres pièces. Dans Wilhelm Meister , les scènes de

marionnettes ou de fête au château. Dans la Chute de la maison Usher , la lecture que l'on fait à Roderick, etc. Aucun

de ces exemples n'est absolument juste. Ce qui le serait beaucoup plus, ce qui dirait mieux ce que j'ai voulu dans

mes Cahiers, dans mon Narcisse et dans la Tentative, c'est la comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans

le premier, à en mettre un second "en abyme".[1]

Rappelons qu'est spéculaire le récit recourant au procédé de la mise en abyme par réduplication simple, à l'infini, ou

aporistique, et que dans une étude de synthèse consacrée au "récit se réfléchissan t" Lucien Dällenbach donne du

procédé la définition générale suivante: "est mise en abyme tout miroir interne réfléchissant l'ensemble du récit par

réduplication simple, répétée ou spécieuse."[2]

On pourrait se demander dans quelle mesure La Medeleni recourt à ce procédé, quand on sait que Teodoreanu est un

admirateur de Gide [3] e t que le premier volume de la trilogie paraît en 1925, année de publication des Faux

Monnayeurs . La diffusion de ce livre n'a-t-elle pas poussé l'écrivain à modifier son récit d'une aventure dans le sens de

l'aventure d'un récit (Jean Ricardou ), d'un "livre écrit à la face du monde"[4] ?

I. La réduplication des séquences narratives.

1. À visée de clôture.

Un premier procédé romanesque fréquent dans La Medeleni consiste en la réduplication de séquences narratives.

Pratiqué aux points-limite du découpage de la matière romanesque (chapitre, partie, volume), elle marque une clôture ,

une fermeture du cercle , perceptible seulement dans une lecture "télescopique" du roman. Il met ainsi en évidence des

effets d’harmonie, de reprises et de parallèles, comme l’ont fait Romain Rolland avec la mise en correspondance du

motif de l’aube à la fin de Jean-Christophe et le titre du premier volume du roman-fleuve, et Marcel Proust par la

répétition du motif du sommeil au début et à la fin de Du côté de chez Swann.[5] Prenons quelques exemples. L'arrivée

du train des vacances à Medeleni[6] et le départ de la petite gare de campagne de la famille

Deleanu[7] bouclent Hotarul nestatornic ; les examens du Lycée Lazăr[8] et la rencontre par Dănuţ du directeur du

même établissement à la fin de Drumuri [9], ferment la deuxième partie de la trilogie par la réduplication d'une

séquence en analogie de lieux; la scène inaugurale du cerf-volant[10]trouve sa réplique dans les dernières lignes de La

Medeleni, par répétition de l'élément aérien: "Olguţa era un vânt de larguri..."[11]

2. À visée palingénétique.

Quand il est employé entre deux points éloignés à l'intérieur même de la diégèse , le procédé de réduplication joue un

double rôle: il marque le passage du temps entre deux instants ou deux geste s répétés, et, paradoxalement, il les

place sur le plan de l'éternité . Ainsi, la réduplication multiple du thème de l'automne , tout au long du roman,

accompagne le déclin de Medeleni mais encadre la moşie dans l'éternel automne d'une enfance perdue; Il en va de

même pour la fête du départ de Dănuţ pour l'internat de Bucarest[12], reflétée dans celle des fiançailles de Dănuţ et de

Monica[13], pour la scène des cadeaux offerts par Herr Direktor à la famille Deleanu[14], reflétée dans celle où Olguţa

distribue les siens à son retour de France [15], pour l'épisode où le petit Gheorghiţă garde le cerf-volant de Dănuţ [16],

reflétée dans celui où, gardien du domaine, il laisse entrer pour la dernière fois Dănuţ et Monica dans la maison de leur

enfance, munis d'une procuration du banquier Bercale [17]. Ces savants jeux de reflet s, qui font songer plus d'une fois

Page 110: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

à ceux de la Recherche de Proust , saisissent l'usure du monde métamorphosé par le Temps et régénéré par l'Art , la

Métaphore .

3. À visée dramatique.

Parfois le procédé a pour fonction de dramatiser le récit, par une espèce de retour du destin au moment où on ne

l'attendait plus. Ainsi, l'épisode de la chasse à la grenouille par les enfants et Herr Direktor à l'Etang du Poulain[18] est

reflété dans la chasse au canard de Între vâturi [19], quinze ans plus tard dans la diégèse , et le coup de carabine

d'Olgu¡a sur la grenouille dans le coup de revolver qu'elle tire sur elle-même et qui la tue[20].

II. L’emboîtement des signes et la réfraction des personnages doubles.

1. Les réseaux d’inclusion.

Un second procédé romanesque, assez souvent employé dans La Medeleni, consiste à emboîte r des signes entretenant

des rapports d'analogie spatiale, formelle ou sémantique: par exemple, le grenier de la maison Deleanu, incluant le

coffre aux jouet s de Dănuţ , incluant le Robinson Crusoé , incluant l'île de Robinson[21]; le bateau qui ramène les

filles en Roumanie et la barque où dort Vania, le même bateau et l'Ile de la Cité à Paris [22].

2. Les fenêtres.

Un cas particulier est celui des fenêtre s, motif récurrent dans notre roman, à la fois cadre et tableau : fenêtres d'or du

directeur de Viaţa contimporană , fenêtre de la maison de Vania à Bălţi , miroir de l'attente[23], fenêtre de la maison de

Medeleni dans la scène finale[24] .

3. Les personnages doubles.

Le procédé de réfraction des personnage s joue le même rôle de fragmentation des perspectives: il s'agit de variations

sur le motif des frère s et des jumeaux les Pallă , par exemple (le sénateur et le peintre[25], ou Dănuţet Olguţ dans leurs

luttes enfantines, ou Dănuţ et Mircea aux prises avec l'écriture , ou encore les boxe urs noirs Sam et Jimmy sur le

bateau Marseille -Constanţa [26]; les jeu x d'homonymie ou de paronymie (Adina , Adelina , Adia [27]; Dan Deleanu,

Deleanu Dan...[28] remplissent la même fonction.

III. La mise à nu du jeu romanesque.

Mais le plus important procédé narratif employé par Teodoreanu dans La Medeleni, et en rapport direct avec le jeu

spéculaire qui nous intéresse ici, consiste à donner à voir au lecteur du livre les différents acteur s du jeu roman esque:

le texte , l'auteur , le lecteur .

1. Le texte montré.

a. L’artifice typographique.

Une caractéristique de La Medeleni est que ce roman montre les textes, leur relief, leur matérialité. Cette démonstration

concourt à donner au roman une profonde dimension iconique.[29] L’opération se fait par le jeu de la

typographie (corps, graisse, etc.) et des blancs: carte de visite du capitaine Michel Stephano [30], titres de la

presse roumaine sur l'entrée en guerre de la Roumanie en 1916[31], lettre s et télégramme s d'Olguţa à Mircea alias

"Hardtmuth n° 6"[32] et surtout à Grigore Deleanu avec la mention "urgent" en diagonale[33], poème-objet de la jeune

fille (Olguţa sum[34], anagramme de Dănuţ [35]), signatures, inscriptions et enseignes diverses.[36] La matérialité de

l'écriture , des mots, du papier, est vue et montrée[37], quand on ne s'approche pas directement de l'analyse

graphologi que et documentaire.

Teodoreanu innove totalement ici dans le roman roumain, par cette attention portée au «spectacle de l’imprimé»[38],

pourtant assez fréquente chez les prosateurs français de l’époque.[39] Il ouvre en cela la voie aux jeux iconiques auxquels se délectera plus tard George Călinescu dans Enigma Otiliei[40] et dans Scrinul negru[41].

Page 111: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

III. Fac-similé de La Medeleni, volume 2, ed. princeps, 1926.

b. La couverture et le cahier.

Lorsque l'oeuvre montrée est celle-là même qui se crée sous les yeux du lecteur , dans le moule du livre , alors on

obtient le phénomène de mise en abyme au sens gid ien du terme: couverture de Medeleni imaginée par Mircea Balmuş

dans le train le conduisant à Medeleni[42], couverture de son volume de vers imaginée par Dănuţ dans la

biblio thèque symboliste de Ioana Pallă aux Saules[43], couverture du cahier de Dănuţ intituléAlunele veveriţei[44],

avec probablement l'influence des Cahiers d'André Walter de Gide , cahier de Note de istorie enfin, sur lequel le jeune

écrivain dessine les lettres du titre "Medeleni * Roman "[45].

Page 112: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

IV. Jeux iconiques dans l’édition princeps de La Medeleni.

Page 113: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

2. Le texte réfléchi.

a. Réflexions interne et externe.

L'écriture vient se reflét er dans le texte, qu'elle soit un reflet éloigné d'un segment interne (l'interrogatoire de Dănuţ par

Ioana Pallă[46], reflété dans l'enquête mené par Paşa au café Havel à Venise [47] ou externe (Jean-Christoph e dans la

lettre de Dănuţ à Monica après sa rencontre avec le directeur de Viaţa contimporană [48]; Le portrait de Dorian

Gray d'Oscar Wilde dans celle du peintre Paşa à sa belle-soeur Ioana Pallă[49]).

b. Mise en perspective par les lettres.

Les nombreuses lettre s de La Medeleni sont un reflet de la diégèse , à fonction résum ative: elles permettent une

concentration d'événements qui prendraient sinon plusieurs pages, sous la focal e d'un personnage . Un épisode narré au

degré zéro , comme la rencontre de Dănuţ et du directeur de Viaţa contimporană [50], peut être repris dans une lettre en

perspective , comme "reflet immédiat" déformant et structurant[51].

c. Réflexion extratextuelle.

Un narrème ou un personnage d'un extratexte peuvent se réfléchir dans la diégèse du texte. Quelques exemples

intéressants: le peintre peignant Dorian Gray se réfléchit dans la séquence narrative montrant Paşa occupé à peindre

Adina à Venise [52], Robinson et son perroquet sur l'île se réflètent dans la séquence où Dănuţ entre dans le

grenier[53]; Thaïs , personnage de la Ballade des Dames du temps jadis de François Villon , auteur de Monica , prise

de la cocaïne au "Pavillon" de Iaş i[54]; Sherlock Holmes se réfléchit dans monsieur Şteflea sur le quai de la gare,

affublé de sa pipe et de son browning[55]. Ces jeu x spéculaire s, d'une originalité absolue dans l'histoire du

roman roumain, annoncent l'écriture contemporaine d'un Italo Calvino (Si una notte d'inverno un viaggiatore )[56] ou

d'un Borges .

d. Le kaléidoscope.

A un degré de complexité supérieur (le miroir du miroir), un élément textuel de La Medeleni peut même se réfléchir de

manière kaléidoscop ique d'un fragment de texte à l'autre. Ainsi, dans une lettre à Ioana Pallădepuis Venise ,

Paşa réfléchit les haïkaï d'Adina , en fait des reflet s de Dănuţ [57]. L'un des haïkaï de Alunele veveriţei [Les Noisettes

de l'écureuil!], texte enchâss é et en reflet des Nourritures terrestres de Gide , multiplie à l'infini les jeu x de miroir s

pour rendre l'image mouv ante et insaississable de l'âme enfan tine aux multiples facettes:

O uă de lemn Oul misterios de lemnărie albă. Un ou roşu, în el altu albastru, altul violet, altul galben, altul verde, altul, altul, altul... Oul de lemn: perspectiva infinitului, jucărie într-o mână de copil! Inimi câte am?[58] T.F.: Œufs de bois L'oeuf mystérieux, aux senteurs de boiseries blanches Un oeuf rouge, à l'intérieur un autre bleu, un autre violet, un autre jaune, un autre, un autre, un autre... L'oeuf de bois: la perspective de l'infin i, jouet dans une main d'enfant! Des coeurs? J'en ai combien?

3. La représentation du lecteur et du scripteur.

a. L’instance du scripteur.

Plusieurs personnage s de La Medeleni sont montrés dans la posture de scripteur .

Olguţa tout d'abord, hantée par la manie du billet , du télégramme et du post-scriptum , écrivant dans la maisonnette de

moş Gheorghe ce que ses proches croient être un "roman " et qui n'est en fait que sa vie transfigurée par l'amour de

Vania , qui lui répond en miroir depuis la fenêtre de Bălţi .

Page 114: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Mircea ensuite, qui, entretenant la flamme de l'écriture chez Dănuţ et tout entier à la vie, aboutit à l'échec , à la

publication dans Viaţa contimporană de deux études sociales dont, par son comportement, il ne respecte pas les

conséquences morales. Echec devant l'écriture aussi; à la différence d'Olguţa , chez qui le phénomène a des allures de

torrent verbal, il écrit difficilement: après avoir essayé à plusieurs reprises de narrer dans une lettre à sa mère le voyage

à Medeleni et l'ambiance de la moşie, Mircea se contente finalement d'un télégrammelaconique[59].

Dănuţ enfin. C'est avec ce personnage, instance et double de l'auteur , que La Medeleni s'inscrit dans la

modernité roman esque; c'est avec lui, surtout à partir de la fin du second volume mais déjà avec la "musette" d'Yvan et

la réflexion sur l'imaginaire dans Hotarul nestatornic , que le roman devient l'histoire d'un roman. Dănuţ élabore dans

la diégèse un véritable travail de génèse textuelle: il "fait pulser son corps" dans un poèmesur les chats [60], projette un

cycle de poèmes intitulé Gol [Nu/Vide][61] et qu'il réduit à un texte offert à Ioana Pallă , avatar du poème sur les

chats[62]; portant un regard neuf et critique sur Incantaţiune [Incantation], une prose lyri que écrite avant la guerre , il

en modifie le titre dans un sens ironi que: Hocus pocus dans Peştera lui Ali Baba [La Caverne d'Ali Baba],

puis Game [Gammes]; il reprend Ceasul cucuvaielor [L'heure des hiboux], poème en prose en écho des Nourritures

terrestres de Gide , et conçu sur le front trois ans plus tôt[63]. Son "roman " s'élabore à vue et à "nu", avec ses

différentes étapes: la nouvelle Un copil a sărutat un zarzăr [Un enfant a embrassé un abricot], Troiţa [Les

Trois], Alunele veveriţei [Les Noisettes de l'écureuil], le fragment de roman (Medeleni, Note de istorie) , etc. Le travail

de génèse du jeune écrivain est observé attentivement: naissance des métaphore s, passage de la sensation aux

mo ts...[64], dans une perspective qui doit probablement beaucoup à À rebours de Huysmans, et qui figure par là le

«ressassement» du texte[65]

Ce procédé d’insertion de fragments littéraires antérieurs appartenant à l’auteur lui-même, critiqué par Eugen

Lovinescu[66], et qui est finalement la tentation de presque tout écrivain, n’est que la manifestation de la volonté de

Teodoreanu de donner au texte romanesque des points de fuite qui le rendent insaisissable.[67] Il relève donc de la stratégie digressive à l’œuvre dans les lettres de Drumuri.[68]

b. L’instance du lecteur.

Un procédé spéculaire particulièrement prisé par Ionel Teodoreanu est la réfraction multiple de l'instance du

lecteur dans la diégèse du roman , occasion pour le romancier d’offrir au lecteur réel le grisant spectacle de l’intertexte.

• Lecteurs secondaires.

En effet, une multitude de personnage s secondaires sont saisis dans leur activité de lecture. Le chef de gare Şteflea lit

Sherlock Holmes et s'identifie à son héros dans la tenue vestimentaire et le comportement déductif[69]; avec un clin

d'oeil à son lecteur , Teodoreanu nous le montre évoluant au cours du roman vers une myo pie qui l'oblige à porter des

lunettes[70]! Nae , le domestique de Herr Direktor , lit les épisode s en fascicules de Contesa fără nume [La Comtess e

sans nom], toujours interr ompu[71]. La lecture que fait Ioana Pallă des lettre s de son beau-frère[72] est plus qu'une

violence au texte : elle est un acte créatif et positif, consistant à s'introduire dans le moindre segment de récit pour s'y

abîmer jusqu'en son tréfonds:

«... degetele cu fosete făcând dâră în apa veneţiană...»[73],

quand elle ne confine pas au "délire interprétatif " (le "J'aime D. Deleanu" d'Adina Stephano[74]).

Ainsi le roman devient inventaire d’œuvres les plus disparates, dans une esthétique appliquée du bric-à-brac, saturée de

livresque, et souvent décriée par la critique même favorable à Teodoreanu[75]: fragments en prose de contes

traditionnels, de Robinson Crusoë ou de la Bible; vers roumains et français (Villon, Racine, surtout les symbolistes

Baudelaire, Verlaine, Samain, Mallarmé), couplets de chansons populaires roumaines, françaises, italiennes, serbes,

turques; enfin proverbes, dictons, adages, maximes, devises, préceptes et proverbes de tous les horizons de la culture.

Teodoreanu use ici d’un procédé d’ostentation des codes déjà mis en œuvre avant La Medeleni par le maître de

l’intertexte qu’est Alexandru Odobescu, dans les récits de chasse de Pseudocynegeticos (1874), et qui atteint sans doute

son apogée à l’époque de l’art décadent, antérieure à celle de notre trilogie, mais dont le roman respire les relents avec la Sixtine de Remy de Gourmont par exemple.[76]

• Lecteurs principaux.

Page 115: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

La lecture qu'élaborent les personnage s principaux est plus complexe. Monica est la lectrice de deux auteur s: Villon ,

sujet de la thèse qu'elle écrit[77], mais aussi Dănuţ , près duquel elle est présente comme soeur et comme lectrice[78]:

quand elle lit avec l'auteur Alunele veveriţei [Les Noisettes de l'écureuil], on assite à un va-et-vient constant entre

texte et lecteur [79], décelable également dans la lecture de Robinson Crusoé par Dănuţ dans le grenier, avec une fusion

du cadre et du tableau . Quant à Rodica , elle joue un rôle fondamental et original dans la perspective spéculaire , parce

qu'elle intervient à la fois dans l'histoire (n'oublions pas qu'elle est la maîtresse de Dănuţ puis celle qui rachète le

domaine à la fin du roman) et dans l'élaboration de l'histoire: elle est lectrice agissante et protagoniste de l'histoire,

comme Ludmilla dans le roman d'Italo Calvinodéjà cité. Rodica a donné à Dănuţ la conscience du roman possible, en

lui demandant une "chronique " de ses amours[80]. Dănuţ lui résum e chaque histoire avec chacune de ses maîtresses

(Adina Stephano, Ioana Pallă ) par une série de titre s sensationnel s alternati fs:

Atât de tânăr ş- atât de precoce sau Un singur băiat şi atâtea femei sau El atât de crud, ele atât de lejere sau Două dintr-o dată sau ... chiar trei sau Cine le mai ştie sau Nu vă încredeţi în bărbaţi![81]

On trouve déjà présent ici un procédé qui sera développé plus tard par l'Oulipo et la littérature générativ e. L'aventure

avec la troisième maîtresse, Rodica, est présentée comme un "roman vécu".

• L’œuvre dont tout le monde parle.

Dans le même ordre d'idées, un procédé particulièrement développé dans Drumuri consiste à faire intervenir les

lecteur s de la diégèse sur le sujet même du roman qui "s'écrit" (par Dănuţ en l'occurrence). Toute la famille Deleanu à

Medeleni s'interroge sur la nouvelle qu'écrit Dănuţ dans sa chambre, sur le "roman " auquel travaille Olguţa dans la

maison de moş Gheorghe . Olguţa se moque de son frère, qui, selon elle, "couve un oeufd'autruche"[82]; l'oeuvre , ou

ce qu'on y projette, est parodi ée comme poncif du roman sentimental ou comme chronique médiévale[83] ;

Monica explique à tous que Dănuţ écrit , alors qu'il lit[84]. Quant à Mircea , il joue un rôle semblable à celui de

Rodica au masculin: il infléchit le déroulement des événements en même temps que la transposition romanesque qu'en

fait Dănuţ, commentant le choix des lieu x, les décors et le rôle des personnage s, dessinant avec l’auteur le «paysage de

Medeleni»[85] .

Ce procédé tout à fait original dans l'histoire du roman roumain, et en phase avec les recherches de Gide en France à la

même époque dans Les Faux Monnayeurs [86], n'est pas sans répondre à l'attente de Ludmilla , la lectrice d'Italo

Calvino : "un roman qui simplement te ferait assister à sa propre croissance, comme une plante, avec son

enchevêtrement de branches et de feuilles..."[87] Il annonce directement le Nouveau Roman français des années 1950,

et plus particulièrement Les Fruits d'or de Nathalie Sarraute , où la matière romanesque naît de la lecture que font

une suite de lecteurs d'un roman fictif: le roman, c'est en fait l'histoire d'une lecture et d'une écriture , d'"un récit qui, en

se faisant, s'efforce de définir le fait qu'il y a récit", pour reprendre la formule de Jean Ricardou [88]. Aussi bien l'image

du texte comme fruit , présente chez André Gide (Les Nourritures terrestres) et chez Nathalie Sarraute (Les Fruits

d'or) se retrouve-t-elle dans La Medeleni. En effet, le but de l'écriture chez Dănuţ est de retrouver l'émotion primale de

l'émerveillement et de la désillusion de l'enfantdevant l'abricotier tour à tour en fleur s, chargé de fruit s, vieilli[89]; le

cahier né de la collaboration de Dănuţet de Monica en tant qu'auteur et que lect rice s'intitule Alunele veveriţei [Les

Noisettes de l'écureuil] , et l'un des chapitres de Drumuri "Il était un petit pommier "; Mircea promet le succès littéraire

à Dănuţ en ces termes:

Page 116: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Curând, o generaţie întreagă va mânca poamele necunoscute pe care i le aduci[90] ,

une nourriture spirituelle nouvelle par sa métaphore éruptive; et dans les dernières pages du roman, lorsque Dănuţ a

pris c onscience que Medeleni, chu désormais au "royaume des ombre s" (dirait Proust ), ne pourra plus vivre

désormais que métamorphos é et sublim é par l'Art , son illumination est comparée à

o veste a livezii despre fructele viitoare[91] ,

Conclusion

Le plaisir du texte.

Ces fruits sont à rapprocher du mythe de l'Eden , et de la notion de plaisir . Dans notre roman, en effet, la lecture est

toujours associée au jeu et au plaisir physique et intellectuel. Plusieurs passages insistent sur la sensualité du livre [92].

Ici le texte est associé à l'idée d'une conquête, d'une lutte âpre et tendre, comme celle que mènent Rodica et

Dănuţ durant leurs rendez-vous nocturnes à Medeleni[93]. Prétexte de ces rencontres qui se terminent dans l'alcôve:

Rodica vient emprunter des livres chez le jeune romancier. Il y a manifestement volonté chez Teodoreanu de montrer

que la relation auteur -lecteur a son prolongement dans la relation amoureuse Dănuţ-Rodica. Même connotation

éroti que de la lecture avec le personnage de Ioana Pallă , qui, animée par la curiosité et la jalousie féminines, "lit" dans

la main de Dănuţ en espérant découvrir sa rivale[94].

On conçoit que sortir de l'espace du texte signifie renoncer au plaisir et équivaut à une souffrance : en lisant les romans

"sensationnels ", Dănuţ éprouve un sentiment d'incomplétude à la fin de chacun,

simţimdu-se ca izgonit din paradis la ultimele foi[95].

Le plaisir est peut-être tout simplement celui de l'auteur de La Medeleni lui-même, car la fonction de tous les jeu x de

miroir s étudiés ici est essensiellement jubilat oire. Prenant presque toujours Teodoreanu au pied de la lettre, et faute

d'avoir approfondi la dimension spéculaire du roman, la critique roumaine a parfois négligé l'humour et la joie créatrice

qui traversent La Medeleni. Elle est surtout demeurée peu sensible jusqu'à nos jours à la modernité roman esque de

l'oeuvre maîtresse de Teodoreanu, tant attaquée par les "modernis tes" de l'époque. Car s'il est un écrivain aux antipodes

du "peintre de scène s gracieuses", pour reprendre la formule impropre de Tudor Vianu [96], c'est bien Ionel

Teodoreanu. La Medeleni n'est pas l'histoire d'une famille moldav e "dont l'enfance a commencé au temps démodé de la

valse et du foyer patriarcal, et dont la jeunesse, après avoir goûté à la Grande guerr e, a recommencé à vivre au rythme

du jazz- band"[97]; La Medeleni, c'est l'histoire d'un roman , ou comment l'on devient écrivain , à l'instar d'À la

recherche du temps perdu de Proustqui, plus que l'histoire d'une époque et d'un milieu social, conte l'histoire d'une

vo cation , d'un itinérairespirituel, ceux de Proust lui-même; à l'instar des Faux Monnayeurs de Gide , dont le génie est

d'"avoir su innover une forme en repoussant le centre du roman jusqu'à illimiter son horizon..."[98] De même que ses

devanciers français, Teodoreanu est comme il se nommait lui-même un romancier-aventurier "aiguillonné par

la nostalgie de l'inconnu"[99] qui cherche une écriture au fil d'un récit qui métaphoris e son histoire [100](c'est

pourquoi le reproche général du manque de composition de La Medeleni est invalide, puisque le romanest

une recherche de composition). Il ouvre ainsi la voie, presque en même temps que Mircea Eliade avec le Roman de

l'adolescent myope (1924)[101], aux recherches audacieuses de Camil Petrescu dans Patul lui Procust ["Le lit de

Procu ste"] en 19 33. Q uand Perpessicius reprochera à Teodoreanu en 1927[102] d'avoir mélangé à la fin du deuxième

volume de sa trilogie le roman et l'atelier du roman, et jugera comme "une faiblesse d'auteur" le fait que Teodoreanu n'a

pas donné en annexe un Journal de Medeleni comme Gide l'avait fait pour Les Faux Monnayeurs, il parachèvera le

contresens absolu commis par la critique[103] à propos de La Medeleni, involontairement sans doute. Erreur de

jugement à laquelle le grand romancier roumain aurait pu répliquer comme Gide dans son Journal la même année:

Ils s'obstinent à voir dans les Faux Monnayeurs un livre manqué. Avant vingt ans, on reconnaîtra que ce que l'on

reproche à mon livre, ce sont précisément ses qualités.[104]

Page 117: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

(c) Michel Wattremez, 1995

[1] Journal,1889-1939, Paris: Gallimard, coll. "Pléiade", 1948, p. 41.

[2] Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris: Seuil, coll. "Poétique", 1977, p. 52.

[3] Gide est cité trois fois dans notre roman. Précisons que son Dostoïevski (publié en 1923) est pour Teodoreanu

"l'occasion d'un choc révelateur" (Dinu Pillat, Dostoievski în conştiinţa literară românească[«Dostoïevski dans la

conscience littéraire roumaine»], Bucureşti: Cartea Românească, 1976), et que Gide est très discuté dans le cercle de

Teodoreanu à Viaţa românească [«La Vie roumaine»], revue qui, à l'époque de la parution de La Medeleni, lui consacre

de nombreux articles, notamment ceux de Mihai Ralea (1920, 1926, 1927), Demostene Botez (1929) et même G.

Ibrăileanu (1926); voir l'importante étude de Mircea Popa, qui ne mentionne malheureusement pas Teodoreanu: "André

Gide şi literatura română" [«André Gide et la littérature roumaine»], in: Probleme de literatură comparată şi sociologie

literară, Bucureşti: Académie de la R. S. de Roumanie, 1976, pp. 307-321; voir aussi Alexandru Paléologue, Souvenirs

merveilleux d'un ambassadeur des Golans, Paris: Balland, 1990, p. 116, pour l'influence de Gide sur les milieux intellectuels roumains du début des années 1930.

[4] Drumuri, p. 361.

[5] Sur ce sujet, voir F. Letoublon, «Le miroir et la boucle», Poétique, 1983 (53), pp. 19-36.

[6] Hotarul nestatornic, p. 9.

[7] Ibidem, p. 382.

[8] Drumuri, p. 7.

[9] Ibidem, p. 562.

[10] Hotarul nestatornic, p. 5.

[11] T. F.: Olguţa était un vent du large... Între vânturi, p. 421.

[12] Hotarul nestatornic, pp. 246 sq.

[13] Între vânturi, p. 378.

[14] Hotarul nestatornic, 165 sq.

[15] Între vânturi, pp. 254 sq.

[16] Hotarul nestatornic, p. 8.

[17] Între vânturi, p. 419.

[18] Hotarul nestatornic, pp. 184 sq.

[19] Între vânturi, pp. 356 sq.

[20] Ibidem, p. 387.

[21] Hotarul nestatornic, pp. 508 sq.

[22] Între vânturi, p. 68. Les exemples peuvent être multipliés.

Page 118: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[23] Ibidem, p. 318.

[24] Ibidem, p. 420.

[25] Drumuri, p. 316.

[26] Între vânturi, pp. 45 sq.

[27] Drumuri, p.377.

[28] Ibidem, p. 459.

[29] Sur cette question, voir notamment M. Bal, «Mise en abyme et iconicité», Littérature, 1978 (29), pp. 116-128.

[30] Ibidem, p. 13, p. 59.

[31] Ibidem, pp. 416-417.

[32] Ibidem, pp. 30 sq.

[33] Ibidem, p. 541.

[34] Ibidem, p. 277.

[35] Ibidem, p. 459.

[36] Ce procédé de mise en relief du texte comme emblème, développé ici en 1926, sera repris par Cezar Petrescu

dans Floarea de agave [«Fleur d’agave»] en 1933, avec force annonces, affiches, illustrations, coupures de presse, télégrammes, autographes, emplois du temps et autres cartes de visite.

[37] Drumuri, p. 503; Între vânturi, p. 350.

[38] Jean Rousset, «Un espace visible: les jeux de l’image et du texte», in Espaces du texte, Recueil d’hommages pour

Jacques Geninasca, ed. Peter Fröhlicher et alii, Neuchâtel: A la Baconnière, 1990, p. 336.

[39] Notamment chez Roger Martin du Gard, dans Les Thibault, II, 1922, chap. II, avec le nom du pensionnat où monsieur Thibault a placé Jacques près de Compiègne, gravé dans la pierre à l’or:

FO NDATIO N OSCAR THIBAULT.

[40] L’énigme d’Otilia, roman, 1938. Un cas presque parfait (centrage, croix, cadre noir, emploi des graisses) concerne

le faire-part du décès de l’enfant de Stănică Ra¡iu, que Pascalopol montre à Otilia et à Felix; seul

l’expression etc. indique qu’il s’agit d’une reproduction indirecte, tronquée. Voir aussi la scène où Felix lit le cahier de

comptes de Costache Giurgiuveanu. G. Călinescu, Enigma Otiliei, Bucureşti: Editura Minerva, 1984, p. 90, pp. 347-348.

[41] La commode noire, roman, 1960, édition en 2 volumes, Bucureşti: Editura Minerva, 1982 (série «Patrimoniu»),

avec l’inscription latine sur le bois d’un pilier, montrée par Bonifaciu Hagienuş à Ioanide:

MEDUSA GO RGO NUM GENTIS REGINA

(I, p. 189), l’autographe de Gaittany à Anny (II, p. 148), et Ioanide lisant le «fantastique mémoire» de Hagienuş, reproduit in extenso dans le chapitre XXIX.

[42] Drumuri, pp. 215-216.

[43] Ibidem, p. 359.

Page 119: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[44] Ibidem, pp. 302 sq.

[45] Ibidem, p. 545.

[46] Ibidem, p. 365.

[47] Ibidem, pp. 374-375.

[48] Între vânturi, p. 209.

[49] Drumuri, pp. 273 sq.

[50] Între vânturi, pp. 214 sq.

[51] Ibidem, p. 209.

[52] Drumuri, p. 378.

[53] Hotarul nestatornic, p. 285.

[54] Între vânturi, p. 184.

[55] Drumuri, p. 347.

[56] Torino: Giulio Einaudi, 1979.

[57] Drumuri, p. 378.

[58] Ibidem, p. 317.

[59] Ibidem, pp. 337-340.

[60] Ibidem, pp. 466-467.

[61] Ibidem, p. 468.

[62] Ibidem, p. 472.

[63] Între vânturi, pp. 95-107.

[64] Ce travail n'est pas sans évoquer la genèse même de La Medeleni, excroissance d'une nouvelle intituléeDacă

vecinii îmi omoară hulubii... [«Si les voisins tuent mes pigeons»] et dans le prolongement des Jucării pentru Lili [«Jouets pour Lili»]: nouveaux reflets...

[65] Sur le caractère auto-référentiel du roman de Huysmans, voir GREGES, «Les romans de la décadence»,Europe,

LXIX, 1991 (751-752), p. 77: «le roman se fait inventaire d’œuvres [...] et inventeur d’artifices. Le texte est en quelque

sorte saturé de lui même, emporté par la redondance thématique et par la spécularité de sa forme, tendu entre

l’impossibilité d’écrire sans se regarder écrire et la nécessité d’ouvrir au narcissisme poétique de nouvelles voies

discursives.»

[66] Le critique écrit ironiquement à propos de Drumuri: «surtout que le jeune Dănuţ, le futur romancier, pousse

l’indiscrétion jusqu’à dévaster les archives de Medeleni, et à publier tous les cahiers de litté rature du sieur Teodoreanu

première manière, celui des jouets, des petits poèmes, des notations impressionnistes, mélange de fraîcheur et de

maniérisme.» Voir E. Lovinescu, Istoria literaturii române contemporane [«Histoire de la littérature roumaine contemporaine»], IV, Bucureşti: Editura Ancora, 1928, p. 154.

[67] De vieux manuscrits de notre romancier, retrouvés au Musée mémorial «Cezar Petrescu» de Buşteni, contiennent

les brouillons de plusieurs textes insérés dans La Medeleni tels quels ou modifiés: Oul de lemn[«L’Œuf de bois», cité

Page 120: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

plus haut], Coco, Zmeul [«Le cerf-volant»]. Voir Mircea Zaciu, «Ionel Teodoreanu, poetul mărturisit şi nemărturisit»

[«I. T., le poète avoué et inavoué], Steaua, XVI, 1965 (11), pp. 56-61. Cité d’après Masca geniului [«Le masque du génie»], Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1967, p. 223.

[68] Sur cette question générale, voir Randa Sabry, Stratégies discursives: digression, transition, suspens, Paris:

Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1992, pp. 103-107 et pp. 236-253.

[69] Drumuri, p. 349.

[70] Între vânturi, p. 290.

[71] Drumuri, p. 20 etc.

[72] Ibidem, p. 376.

[73] T. F.: : «... les doigts à fossettes laissant un sillon sur l'eau vénitienne...» Ibidem, pp. 375-376.

[74] Ibidem, pp. 393 sq.

[75] Voir notamment Mihail Ralea, «Ionel Teodoreanu», Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927 (336), p. 2.

[76] On peut relever le même procédé chez Minulescu, dans le roman contemporain de La Medeleni, Roşu, galben, albastru [«Rouge, jaune, bleu»], 1924.

[77] Între vânturi, p. 72.

[78] Drumuri, p. 289.

[79] Ibidem, pp. 302 sq.

[80] Ibidem, p. 460.

[81] T. F.: Si jeune et si précoce ou Un seul garçon et tant de femmes ou Lui si cruel, elles si légères ou Deux à la fois ou ... même trois... ou Qui les connaît toutes ou Méfiez-vous des hommes! Ibidem, pp. 460-462.

[82] Ibidem, p. 494.

[83] Ibidem, p. 545.

[84] Ibidem, p. 421.

[85] Ibidem, pp. 550-551.

[86] A noter que dans le roman de Gide l'écrivain Edouard (cf. Journal d'Edouard) réunit des matériaux pour un roman

qui doit s'intituler les Faux Monnayeurs, comme Dănuţ le fait dans La Medeleni pour Medeleni. Toutefois, La

Medeleni est différent du récit gidien, en ceci que le roman roumain se boucle finalement au lieu de s’éparpiller: Teodoreanu emprunte maints procédés spéculaires, sans les systématiser.

[87] Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur, traduit de l'italien par D. Sallenave et F. Wahl, Paris: Seuil, coll.

"Points Roman" 81, 1981, pp.100-101.

[88] J. Ricardou, Problèmes du nouveau roman , Paris: Seuil, 1967, p. 182.

[89] Drumuri, pp. 504-505.

[90] T. F.: Bientôt, toute une génération mangera les fruit s inconnus que tu lui apportes Între vânturi, p. 170.

[91] T. F.: une nouvelle du verger annonçant les frui ts à venir Ibidem, p. 420.

Page 121: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

[92] Ibidem, p. 262, par exemple.

[93] Drumuri, pp. 452-453.

[94] Ibidem, p. 366.

[95] T.F.: se sentant presque chassé du paradis aux dernières feuilles Ibidem, p. 418.

[96] Tudor Vianu, Arta prozatorilor români [«L’art des prosateurs roumains»], Bucureşti: Editura Contemporană, 1941, p. 368.

[97] Ionel Teodoreanu, mss rom. 5984, f° 2.

[98] André Julien, "Les Faux Monnayeurs et l'art du roman", Nouvelle Revue Française, Paris, novembre 1951, p. 123 (Hommage à André Gide).

[99] Ionel Teodoreanu, Cum am scris "Medelenii" [«Comment j’ai écrit La Medeleni»], ed. N. Ciobanu, Iaşi: Editura

Junimei, 1978, p. 169.

[100] Lucien Dällenbach appelle auto-référentiel le récit qui métaphorise ses principes de fonctionnement (op. cit., p. 67).

[101] Mircea Eliade, Le roman de l'adolescent myope, traduit du roumain par Irina Mavrodin, Arles: Actes -Sud, 1992. Récit spéculaire: le roman s'écrit sous nos yeux à travers le "Journal du narrateur":

Moi, je vais écrire le Roman de l'adolescent myope. Mais je l'écrirai comme si j'écrivais le Journal de

l'auteur. Mon livre ne sera pas un roman, mais un fouillis de commentaires, de notes, d'ébauches en vue d'un

roman. C'est le seul moyen de surprendre la réalité: naturel et dramatique à la fois. (p. 246)

[102] Universul literar, 7/14 août 1927. Reproduit in: Perpessicius, 12 prozatori interbelici [«12 prosateurs roumains de l’entre-deux-guerres»], Bucureşti: Editura Eminescu, 1980, pp. 276-277.

[103] A l’exception toutefois de Silvia Tomuş qui commente ainsi la remarque de Perpessicius concernant le mélange

du roman et de son atelier: «Aujourd’hui, nous ne jugeons plus du tout le procédé déplacé, mais nous le comptons au

contraire pour l’une des très intéressantes expériences compositionnelles accomplies par le roman roumain, au seuil de

sa pleine maturité.» Voir S. Tomuş, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei [«I. T. ou la Joie de la métaphore»],

Cluj: Editura Dacia, 1980, p. 84.

Sur les aspects spéculaires du roman roumain de l’entre-deux-guerres, et notamment chez un Anton Holban, qui

les valorise, voir Nicolae Manolescu, Arca lui Noe [«L’Arche de Noé»], II, Bucureşti: Editura Minerva, 1981, pp. 161-187. Repris dans les Romane d’Anton Holban, 2, Minerva, 1982, pp. 274 sq.

[104] A noter, toutefois, qu’un critique anti-medeleniste semble avoir saisi la portée de la révolution romanesque de

Teodoreanu. Ion Jitaru écrit en effet: «Le journal autobiographique parallèle à l’action du roman, réalise une bêtise de

grandes proportions et révèle une vanité d’intellectuel occidentalisé, son orgueil et l’inanité de son cœur.» («Note literare», Vlăsia, III, 1928 (33), p. 617.

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SOURCES CONSULTEES

I. Sur La Medeleni de Ionel Teodoreanu. 1. ADERCA Felix, Contribuţi critice, 2, Articole, cronici, eseuri (1927-1947) [«Contributions critiques, 2, Articles,

chroniques, essais, 1927-1947»], ed. Margareta Feraru, Bucarest: Editura Minerva, 1988.

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2. ADERCA Felix, Mărturia unei generaţii [«Le témoignage d’une génération»], Bucarest: Editura Ciornei, 1929. 3. ANGHEL Paul, «Amurgul toamnei sau Ionel Teodoreanu» [«Le crépuscule de l’automne ou Ionel Teodoreanu»],

in Arhiva sentimentală [«Archive sentimentale], Bucarest: Editura pentru Literatură, 1968, pp. 296-304.

4. ANGHELESCU Mircea, «Ionel Teodoreanu şi lumea copilăriei» [«I. T. et le monde de l’enfance»], Iaşi,Cronica, V,

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5. BAICULESCU G. [B.], «Cărţi, reviste, ziare» [«Livres, revues, journaux»], Bucarest: Viaţa literară, I, 1926(4), p. 4. 6. BARBU N., «Vârsta Medelenilor» [«L’âge de Medeleni»], in Sine ira..., Iaşi: Editura Junimei, 1971, pp. 145-150.

7. BERG, I., «Ionel Teodoreanu despre literatura adolescenţei. Etichetele scriitorilor. Semnificaţia numelor în opere.

¥ntre versuri şi proză. Roman şi autobiografie» [«Ionel Teodoreanu à propos de la littérature d’adolescence. Les

étiquettes des écrivains. La signification des noms dans les œuvres. Entre vers et prose. Roman et autobiographie»],

Bucarest, Complex artistic literar, I, 1927(1), p. 1, p. 4.

8. BLAGA Lucian, «Literatura anului» [«La littérature de l’année»], Banatul, I, 1926(1), pp. 50-51 (rubrique

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9. BLAGA Lucian, «Rumänische Prosa nach dem Krieg» [«Prose roumaine d’après -guerre»], Kronstadt,Klingsor, II,

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23. CIOBANU Nicolae, «Glosse la un portret moral şi intelectual» [«Glosses pour un portrait moral et intellectuel»], in:

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24. CIOBANU Nicolae, «Ionel Teodoreanu», Bucarest, România literară, VII, 1974(6), pp. 16-17. 25. CIOPRAGA Constantin, «Ionel Teodoreanu în retrospectivă» ((II, III) [«Ionel Teodoreanu en

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37. DAVIDESCU N., Aspecte şi direcţii literare [«Aspects et directions littéraires»], ed. Margareta Feraru, Bucarest:

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38. DONEA Valer [Profira Sadoveanu], «Ionel Teodoreanu», Bucarest, Adevărul literar şi artistic, XIV, 1935(785), p.

9. Apud Ionel Teodoreanu, Cum am scris «Medelenii», ed. cit., pp. 123-132.

39. DRAGOMIRESCU M., «Mişcarea literară actuală» [«Le mouvement littéraire actuel»], Bucarest, Falanga,

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40. DRĂGAICA G., «Ionel Teodoreanu: La Medeleni, II, Drumuri», Bucarest, Foaia Tinerimii, XI, 1927(5-6), pp. 48-

49, rubrique «Livres».

41. DRĂGAN Gabriel, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni, III, Între vînturi», Bucarest, Floarea soarelui, II, 1928(3-6),

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42. DUMITRESCU George, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni, I», Bucarest, Ritmul vremii, II, 1926(6-7), p. 194,

rubrique «Les livres».

Page 124: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

43. DUMITRESCU Victor George, «La Medeleni de Ionel Teodoreanu», Bucarest, Foaia Tinerimii, XII, 1928(7-8), pp.

46-48.

44. ELIADE Mircea, «Ionel Teodoreanu», Bucarest, Revista universitară, I, 1926(2), pp. 50-53.

44b. ELIADE Mircea, «Poetul adolescenţei: Ionel Teodoreanu», Bucarest, Universul literar, XL, 1924(44), pp. 7-8. 45. ELIADE Mircea, «Medelenii şi medelenismul» [«La Medeleni et le medelenisme»], Bucarest, Cuvântul, III,

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46. FLORIAN Mircea, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni, Hotarul nestatornic, roman», Iaşi, Convorbiri literare, LVIII,

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47. GEORGE Ştefan [George Ştefănescu], «Poetul copilăriei, Ionel Teodoreanu» [«Le poète de l’enfance, Ionel

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la Ligue culturelle»].

53. IROAIE Petru, Din estetica lui Ionel Teodoreanu [«De l’esthétique de Ionel Teodoreanu»], Cernăuţi: Tiparul Glasul

Bucovinei, 1939.

54. JITARU Ion, «Note literare» [«Notes littéraires»], Bucarest, Vlăsia, III, 1928(33), pp. 616-617.

55. LASCAROV-MOLDOVEANU Alexandru, «De vorbă cu I. Valerian» [«Entretien avec I. Valerian»],

Bucarest, Viaţa literară, I, 1926(16), pp. 1-2. Reproduit in Romanul românesc în interviuvuri, II, 1, ed. cit., pp. 282-

288.

56. LOVINESCU Eugen, Istoria literaturii române contemporane, IV, Evoluţia prozei literare [«Histoire de la

littérature roumaine contemporaine, IV, L’évolution de la prose littéraire»], pp. 143-157, chap. XIII,Contribuţia Vieţii

Româneşti [«La contribution de Viaţa Românească»].

57. LOVINESCU Eugen, Istoria literaturii române contemporane [«Histoire de la littérature roumaine

contemporaine»], Bucureşti: Editura Minerva, 1989, coll. «Arcade», pp. 165-169, «Ionel Teodoreanu».

58. MACARIE Gheorghe, Geografie literară. Orizonturi spirituale în proza românească [«Géographie littéraire.

Horizons spirituels dans la prose roumaine»], Bucureşti: Editura Albatros, 1980, coll. «Sinteze Lyceum». 59. MANU Emil, «Drumurile lui Ionel Teodoreanu prin adolescenţa noastră» [«Les chemins de Ionel Teodoreanu à

travers notre adolescence»], Cluj, Tribuna, XVII, 1973(16), p. 9.

60. MANU Emil, «Ionel Teodoreanu, lectura a doua» [«Ionel Teodoreanu, relcture»], Orizont, XIV, 1973 (11), p. 3.

61. MANU Emil, «Cuvânt înainte» [«Préface»], in: Ionel Teodoreanu, Hotarul nestatornic, 2e édition, Bucarest:

Editura Ion Creangă, 1986, col. «Biblioteca pentru toţi copiii» 27, pp. 5-7.

Page 125: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

62. MARTINESCU Pericle, Entretien avec «D. P.» à propos de Adolescenţii de la Braşov [«Les adolescents de

Braşov»], Bucarest, Rampa, XIX, 1936(5457), pp. 1, 3. Reproduit in Romanul românesc în interviuvuri, II, 1, pp. 451-

456.

63. MIHĂILESCU D., «Dl. Ionel Teodoreanu despre literatura noastră» [«M. Ionel Teodoreanu à propos de notre

littérature»], Bucarest, Opinia, XXVII, 1931(7388), p. 2, rubrique «Lettres de Bacău».

64. MUNTEANO Basile, Panorama de la littérature roumaine contemporaine, Paris: Éditions du Sagittaire, 1938, pp.

248-252.

65. NEGOIŢESCU Ion, Istoria literaturii române [«Histoire de la littérature roumaine»], I, 1800-1945, Bucarest:

Editura Minerva, 1991, pp. 205-206.

66. NICANOR P. & co [Garabet Ibrăileanu], «Romanele noastre» [«Nos romans»], Iaşi, Viaţa Românească, XVII,

1925(5-6), pp. 345-346.

67. NICANOR P. & co [Garabet Ibrăileanu], «D-l Ionel Teodoreanu şi recenzenţii modernişti» [«M. Ionel Teodoreanu

et les critiques modernistes»], Iaşi, Viaţa Românească, XX, 1928(2), pp. 307-308, rubrique «Miscellanea».

68. OPREA Alexandru, «Ionel Teodoreanu poet», Bucarest, Manuscriptum, I, 1970(1), pp. 11-15.

69. OPRESCU Horia, Scriitorii în lumina documentelor [«Les écrivains à la lumière des documents»] , Bucarest:

Editura Tineretului, 1968, pp. 231-242, Autorul «Medelenilor» [«L’auteur de La Medeleni»].

70. PAPADIMA Ovidiu, «Ionel Teodoreanu sau despre agonia unei lumi sufleteşti» [«Ionel Teodoreanu ou de l’agonie

d’un monde spirituel»], in: O. Papadima, Creatorii şi lumea lor, schiţe de critică literară [«Les créateurs et leur monde,

esquisses de critique littéraire»], Bucarest: Editura Fundaţiilor Regale, 1943, pp. 277-295. 71. PAPADOPOL Paul I., «Despre limitele limbii literare» [«Sur les limites de la langue littéraire»], Bucarest,Universul

literar, XLIII, 1927(41), p. 654, rubrique «Objections».

72. PÂRVU N., «Greta Garbo, roman de Cezar Petrescu» [Entretien avec Cezar Petrescu], Bucarest, Curentul, IV,

1931(1406), pp. 7-8. Reproduit dans Romanul românesc în interviuvuri, II, 2, ed. cit., pp. 882-892.

73. PENTAPOLIN, «Editurile în 1926. Cartea Românească» [«Les éditions en 1926. Cartea Românească»],

Bucarest, Universul literar, XLIII, 1927(2), pp. 31-32.

74. PERPESSICIUS, 12 prozatori interbelici [«12 prosateurs roumains»], Bucarest: Editura Eminescu, 1980, pp. 265-

285.

75. PETRAŞINCU Dan, «Monstrul e un roman realist» [«Le Monstre est un roman réaliste», entretien avec George

Demetru Dan], Bucarest, Lumea românească, I, 1937(141), p. 2. Reproduit in Romanul românesc în interviuvuri, II, 2,

ed. cit., p. 766.

76. PETRESCU Camil, «Ionel Teodoreanu: La Medeleni _ Hotarul nestatornic», Bucarest, Cetatea literară, I, 1926(9-

10), p. 66, rubrique «Livres». Reproduit in: Camil Petrescu, Opinii şi atitudini [«Opinions et attitudes»], ed. Marin

Bucur, Bucarest: Editura pentru Literatură, 1962, pp. 185-187.

77. PETRESCU Cezar, «Ionel Teodoreanu şi romanul copilăriei (pe marginea romanului La Medeleni)» [«Ionel

Teodoreanu et le roman de l’enfance (en marge du roman La Medeleni»], Bucarest, Cuvântul, III, 1926(469), pp. 1-2.

Reproduit in: Cezar Petrescu, Evocări şi aspecte literare [«Évocations et aspects littéraires»], ed. Mircea Popa,

Timişoara: Facla, 1974, pp. 225-231. 78. PETRESCU Cezar, «Trilogia Medelenilor, Cartea a III-a: Romanul capitulărilor» «La trilogie de La Medeleni, Livre

III: Le roman des capitulations»], Bucarest, Curentul, I, 1928(6), pp. 1-2. Reproduit in: Cezar Petrescu, Evocări şi

aspecte literare, ed. cit., pp. 232-237. 79. PHILIPPIDE Alexandru, Scrieri, 3, Studii şi eseuri [«Écrits, 3, Études et essais»], Bucarest: Editura Minerva, 1978,

pp. 41-47. 80. PILLAT Dinu, «Ionel Teodoreanu», in: D. Pillat, Mozaic istorico-literar, édition revue et augmentée, Bucarest:

Editura Eminescu, 1971, pp. 265-284.

Page 126: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

81. PILLAT Dinu, «Prefaţă», in: Ionel Teodoreanu, Pagini cu copii şi adolescenţi [«Pages avec des enfants et des

adolescents»], Bucarest: Editura Cartea Românească, 1973, pp. V-VIII. 82. PILLAT Dinu, Dostoievski în conştiinţa literară românească [«Dostoïevski dans la conscience littéraire

roumaine»], Bucarest: Editura Cartea Românească, 1976, pp. 75-76. 83. POPA Marian, «Medelenii sau starea de vacanţă» [«Medeleni ou l’état de vacance»], in: Ionel Teodoreanu,La

Medeleni, 1, Hotarul nestatornic, Bucarest: Editura Albatros, 1970, pp. 5-35.

84. POPA Nicola Ion, Fiziologia ieşanului [«La physiologie des gens de Iaşi»] , Iaşi: Tipografia Brawo, 1936, extrait

de Însemnări ieşene, Iaşi, I, 1936(3).

85. POPA Nicolae Ion, «Conversiunea d-lui I. Teodoreanu la romanul realist» [«La conversion de M. I. Teodoreanu au

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86. RALEA Mihai, «I. Teodoreanu», in: M. Ralea, Portrete, cărţi, idei [«Portraits, livres, idées»], Bucarest: Editura

pentru Literatura universală, 1966, pp. 58-70. Reproduit Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927(336), pp. 1-2. 87. RANTA Adrian, «Mic atlas de geografie literară. Provincia natală aşa cum o văd scriitorii: Mihail Sadoveanu, Liviu

Rebreanu, Gala Galaction, Tudor Arghezi, Eugen Lovinescu, Ion Minulescu, Ionel Teodoreanu, Ion Barbu, Alexandru

Philippide, Ion Marin Sadoveanu» [«Petit atlas de géographie littéraire. La provin ce natale telle que la voient les

écrivains...»], Bucarest, Lupta, XV, 1935(4254), pp. 3-4.

88. SADOVEANU Izabela, «Ionel Teodoreanu: Uliţa copilăriei, La Medeleni - Hotarul nestatornic», Adevărul literar şi

artistic, VII, 1926 (311), p. 1.

89. SAMSON A. P., «Cu d-l Ionel Teodoreanu despre el şi despre alţii» «Avec M. Ionel Teodoreanu à propos de lui-

même et des autres»], Bucarest, Rampa, XV, 1930(3599), pp. 1, 3. Reproduit in: Ionel Teodoreanu, Cum am scris

«Medelenii», ed. cit., pp. 99-110.

90. SEBASTIAN Mihail, «Cazul Ionel Teodoreanu» [«Le cas Ionel Teodoreanu»], Bucarest, Cuvântul, IV, 1928(1070),

pp. 1-2.

91. SEBASTIAN Mihail, Opere alse, 2, Proză, publicistică [«Œuvres choisies, 2, Prose, publications périodiques»], ed.

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92. SEVASTOS Mihai, Amintiri de la «Viaţa Românească» [«Souvenirs de Viaţa Românească»], édition entièrement

refondue, Bucarest: Editura pentru Literatură, 1966. 93. SPINA Geri, Evreii în opera d-lui Ionel Teodoreanu [«Les Juifs dans l’œuvre de M. Ionel Teodoreanu»], Bucarest:

Editura Adam, 1934, coll. «Biblioteca socială» 11-12.

94. STOLNICU Simion, Printre scriitori şi artişti [«Parmi les écrivains et les artistes»], ed. Simion Bărbulescu,

Bucarest: Editura Minerva, 1988. 95. SUCHIANU D. I., «Medelenii lui Ionel Teodoreanu», Bucarest, Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927(327), p. 2. 96. SUCHIANU D. I., «Dulce prietenul meu, Ionel Teodoreanu» [«Mon doux ami, Ionel Teodoreanu»], Bucarest, Viaţa

Românească, 1974. Reproduit in: D. I. Suchianu, Alte foste adevăruri viitoare [«Autres feu vérités d’avenir»], Bucarest:

Editura Minerva, 1983, pp. 47-57.

97. ŞĂINEANU Const., «La Medeleni, roman de Ionel Teodoreanu», Bucarest, Adevărul, XXXIX, 1926(13006), pp. 1-

2, rubrique «Bulletin des livres». 98. ŞĂINEANU Const., «La Medeleni, II, Drumuri, roman de Ionel Teodoreanu», Bucarest, Adevărul, XL,

1927(13225), pp. 1-2, rubrique «Bulletin des livres». 99. ŞERBAN Mihail, «Ionel Teodoreanu» in: M. Şerban, Amintiri [«Souvenirs»], Bucarest: Editura pentru Literatură,

1969, pp. 268-283.

100. TEODOREANU Ionel, Cum am scris «La Medeleni», conferinţă ţinută în ziua de 5 decembrie 1937 la

Sibiu [«Comment j’ai écrit La Medeleni, conférence tenue le 5 décembre 1937 à Sibiu»], ed. Nicolae Ciobanu, Iaşi:

Editura Junimei, 1978, pp. 163-182.

Page 127: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

101. TOMUŞ Silvia, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei «Ionel Teodoreanu ou la Joie de la métaphore»], Cluj:

Editura Dacia, 1980.

102. VALERIAN I., «De vorbă cu d-l Ionel Teodoreanu» [«Entretien avec M. Ionel Teodoreanu»],

Bucarest,Viaţa literară, I, 1926(31). Reproduit in: Ionel Teodoreanu, Cum am scris «La Medeleni», ed. cit., pp. 93 sq. 103. VALERIAN I., «De vorbă cu d-l Liviu Rebreanu» [«Entretien avec M. Liviu Rebreanu»], Bucarest, Viaţaliterară,

I, 1926(1), pp. 1-2. 104. VIANU Tudor, Arta prozatorilor români [«L’art des prosateurs roumains»], Bucarest: Editura Contemporană,

1941, chap. XII, Romancierii. Al treilea realism [«Les romanciers. Le troisième réalisme»], pp. 366-372, Ionel

Teodoreanu.

105. VINEA Ion, «Bilanţ literar», Bucarest, Dimineaţa, XXII, 1927(7164), p. 18.

106. WATTREMEZ Michel, «Jeux de miroirs dans La Medeleni», Académie roumaine, Revista de istorie şi teorie

literară, XL, 1992(3-4), pp. 335-342. 107. ZACIU Mircea, «Ionel Teodoreanu, poetul mărturisit şi nemărturisit» [«Ionel Teodoreanu, le poète avoué et

inavoué»], Cluj, Steaua, XVI, 1965(11), pp. 56-61. Repris in: M. Zaciu, Masca geniului [«Le masque du génie»] ,

Bucarest: Editura pentru Literatură, 1967, pp. 221-231.

108. «... acele chiote permanente care de multe ori se numesc metafore» [«... ces éclats permanents qui bien des fois

s’appellent métaphores»]. Ionel Teodoreanu évoqué par Virgil Carianopol, Şerban Cioculescu, Em. Serghie, D. I.

Suchianu, Al. Philippide, Radu Tudoran, Bucarest, Manuscriptum, VI, 1975(3), pp. 93-113.

II. Sur le roman roumain.

109. CĂLINESCU George, Istoria literaturii române de la origini până în prezent [«Histoire de la littérature roumaine

des origines jusqu’à présent»], ed. Al. Piru, 2e édition, Bucureşti: Editura Minerva, 1988, chapitre «Les romanciers»,

pp. 731-798.

110. CONSTANTINESCU Pompiliu, «Problema romanului românesc», «Consideraţiuni asupra romanului românesc»

[«Le problème du roman roumain», «Considérations sur le roman roumain»], Scrieri [«Écrits»], 5, ed. Constanţa

Constantinescu, Bucarest: Editura Minerva, 1971, pp. 7-11, pp. 12-22.

111. CONSTANTINESCU Pompiliu, Romanul românesc interbelic [«Le roman roumain de l’entre-deux-guerres»],

Bucarest: Editura Minerva, 1977.

112. CROHMĂLNICEANU Ov. Ş., Literatura română între cele două războaie mondiale [«La littérature roumaine de

l’entre-deux-guerres»], I, Bucarest: Editura pentru Literatură, 1967.

113. DUMITRESCU Ana, Metodologia structurelor narative [«Méthodologie des structures narratives»], Bucarest:

Editura didactică şi pedagogică, s. d.

114. IONESCU RUXĂNDOIU Liliana, Naraţiune şi dialog în proza românească [«Narration et dialogue dans la prose

roumaine»], Bucarest: Editura Academiei Române, 1991. 115. LOVINESCU Eugen, Istoria literaturii române contemporane, IV, Evoluţia prozei literare [«Histoire de la

littérature roumaine contemporaine, IV, L’évolution de la prose littéraire»] 116. MANOLESCU Nicolae, Arca lui Noe. Eseu despre romanul românesc. [«L’Arche de Noé. Essai sur le roman

roumain»], vol. 1, Bucarest: Editura Eminescu, 1980; vol. 2, Bucarest: Editura Minerva, 1981.

117. MUNTEANU Romul, «Le roman roumain de l’entre-deux-guerres et le roman européen», Bucarest,Cahiers

roumains d’études littéraires, 1974(3), pp. 77-83.

118. NEGOIŢESCU Ion, Istoria literaturii române [«Histoire de la littérature roumaine»], I, 1800-1945, Bucarest:

Editura Minerva, 1991, chapitre XII.

Page 128: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

119. PAMFIL Alina, Spaţialitate şi temporalitate. Eseuri despre romanul românesc interbelic [«Spatialité et

temporalité. Essais sur le roumain roumain de l’entre-deux-guerres»], Cluj: Editura Dacopress, 1993. 120. PECIE Ion, Romancierul în faţa oglinzii [«Le romancier devant le miroir»], Bucarest: Cartea Românească, 1989.

121. POPA Mircea, «André Gide şi literatura română» [«André Gide et la littérature roumaine»], Probleme de

literatură comparată şi sociologie literară [«Problèmes de littérature comparée et de sociologie de la littérature»],

Bucarest: Editura Academiei R. S. România, 1976 («Institutul de istorie şi teorie literară George Călinescu»), pp. 307-

321. 122. SASU Aurel, VARTIC Mariana, Romanul românesc în interviuri. O istorie autobiografică [«Le roman roumain en

interviews. Une histoire autobiographique»], Bucarest: Editura Minerva, 6 volumes, 1985-1991. 123. STOIAN Stanciu, Copilul în literatură în paralelă cu evoluţia psiholgiei [«L’enfant dans la littérature en parallèle

avec l’évolution de la psychologie»], Bucarest: Cartea Românească, 1934.

124. TUCHILĂ Costin, Privirea şi cadrul, Bucarest: Cartea Românească, 1988. 125. VIANU Tudor, Arta prozatorilor români [«L’art des prosateurs roumains»], Bucarest: Editura Contemporană,

1941.

III. Sur le roman en général. 126. ADAM Jean-Michel, Le récit, Paris: Presses Universitaires de France, 1984.

127. BREMOND Claude, Logique du récit, Paris: Seuil.

128. CALVET (Abbé J.), L’enfant dans la littérature française, Paris: Larousse, 1932, 2 vol.

129. CHARLES Michel, Rhétorique de la lecture, Paris: Seuil.

130. DÄLLENBACH Lucien, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris: Seuil, 1977.

131. GENETTE Gérard, Figures, I, II, III, Paris: Seuil.

132. LEJEUNE Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris: Seuil.

133. PHILIPPIDE Alexandru, «Însemnări despre roman» [«Notes sur le roman», Scrieri, 3, Studii şi eseuri[«Écrits, 3,

Études et essais»], Bucarest: Editura Minerva, 1978. 134. RAIMOND Michel, Le Roman, Paris: Armand Colin, 1989.

135. REUTER Yves, Introduction à l’analyse du Roman , Paris: Bordas, 1991.

136. RICARDOU Jean, Problèmes du nouveau roman, Paris: Seuil, 1967.

137. SEBASTIAN Mihail, «Consideraţiuni asupra romanului românesc», «Tot despre descompunerea romanului»

,[«Considérations sur le roman roumain», «Toujours sur la décomposition du roman»], Eseuri, cronici,

memorial [««Essais, chroniques, mémorial»], ed. Cornelia Ştefănescu, Bucarest: Editura Minerva, 1972, pp. 31-59, pp.

76-81.

138. TODOROV Tzetan, Mikhaïl Bakhtine et le principe dialoguique, Paris: Seuil.

BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE ET ANALYTIQUE

Nous donnons ici en annexe un ensemble d’ouvrages fondamentaux, et qui ont nourri notre réflexion au cours de

l’élaboration de la thèse. Chaque document, consultable à la Bibliothèque de l’Académie roumaine de Bucarest, est

repéré puis analysé, et accompagné, quand c’est possible, d’un point de vue critique. On trouvera plus haut un ensemble

exhaustif des sources consultées.

Page 129: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

¨ CANTACUZINO Ion I., «Ionel Teodoreanu», România literară, I, 1932(2-9).

Dans cette série de 8 articles parue en 1932 dans România literară de Liviu Rebreanu, Ion I. Cantacuzino établit le plus

important bilan critique jamais consacré à l’œuvre romanesque de Ionel Teodoreanu. Il s’agit pour lui d’étudier le «cas»

Ionel Teodoreanu et d’offrir au public et à la critique désorientés «un ensemble de critères pour l’établissement d’un

jugement de valeur sur notre littérature d’aujourd’hui». Cantacuzino fait montre d’objectivité, mais on sent transpara ître

une certaine hostilité envers Teodoreanu, qui se manifeste dans une série de critiques souvent violentes. Trois reproches sont adressés à l’auteur de La Medeleni.

D’abord, le reproche de facticité. Le cadre romanesque de Teodoreanu est mondain, superficiel et racolleur, peuplé des

mêmes types limités de personnages toujours exceptionnellement beaux, intelligents. Une conception dualiste se fait

jour, d’un monde déchiré entre la réalité et l’apparence, d’un pirandellisme dilué dans le livresque et l’ane cdotique, avec des personnages tellement englués dans leurs idéaux qu’ils n’aboutissent qu’aux capitulations et aux concessions.

Cantacuzino dénonce aussi le manque d’objectivité romanesque de notre écrivain, privé de «l’aptitude tempéramentale

à créer des personnages différents de lui-même», et le caractère autobiographique outré de La Medeleni. Teodoreanu,

incapable de s’abstraire à ses créatures, de se dégager de son propre lyrisme, sinon par l’ironie ou par le didactisme, se

comporte dans le roman comme un deus ex machina. Cantacuzino admet la prégnance des personnages teodoreniens,

mais refuse d’y voir une dimension romanesque: il la considère alors à la fois comme une prégnance de poète,

caractérisée par l’intensité de la «ligne d’expression», avec des héros exceptionnels, aux traits outranciers, et comme une prégnance de dramaturge, par la mise en relief et la schématisation caricaturale des caractères.

Un troisième reproche concerne la technique romanesque proprement dite: l’absence du sens de l’équilibre chez

Teodoreanu, qui le fait développer certaines scènes jusqu’à saturation; la tendance maniaque à la digression et

l’incapacité à dominer un sujet, qui l’empêchent de réaliser le projet initial de La Medeleni _ celui d’une fresque sociale

et d’un roman d’une génération - , et qui transforme le «roman de l’adolescence» que devait être Drumuri en

«aphrodisiaque pour pensionnats»; le métaphorisme outrancier, enfin, qui vise, par un équivalent grammatical, à rendre

perceptible la sensation, mais qui, employé «comme méthode d’expression analytique», creuse toujours plus le gouffre sans fond en accumulant à l’infini les comparaisons ineffables et redondantes.

Voilà huit textes fondamentaux par rapport à la problématique qui nous intéresse, une démonstration précise, raisonnée

et argumentée, conduisant sans aucun doute à une remise en question totale de l’art romanesque de Teodoreanu, et

fournissant, par conséquent, comme les thèses d’Eugen Lovinescu, la matière à de nombreux et nouveaux arguments de réplique.

¨ CĂLINESCU George, «Ionel Teodoreanu», Gândirea, VIII, 1928(1), pp. 32-35, rubrique «Idei, oameni şi

fapte»; Istoria literaturii române de la origini până în prezent [Histoire de la littérature roumaine des origines

jusqu’à présent], ed. Al. Piru, Bucarest: Minerva, 1982, p. 750-757.

George Călinescu reconnaît les qualités du romancier Teodoreanu, qui réalise avec Uliţa copilăriei et Hotarul

nestatornic une «incursion profonde dans l’âme enfantine», mais lui reproche son verbalisme et sa pléthore

métaphorique: «Il est ampoulé, truculent, pathétique, absurde, verbeux, métaphorique et pléthorique. Tout comme un

train qui continue à glisser sur ses rails en vertu de la force d’inertie, après que les moteurs ont été coupés, l’écrivain

voyage longtemps au-delà de l’idée, sur le vide des mots.» Călinescu pense même que «l’écrivain est incapable de

narrer».

Quant aux personnages du roman, le critique les juge «superficiels et sans couleur locale comme les enseignes des

compagnies de navigation», «cosmopolites»; Teodoreanu lui semble gratuitement «obsédé par les perspectives géographiques».

Certes, dans ces deux textes classiques et non privés de remarques et de traits pertinents, le grand historiographe

roumain ne peut réfréner son admiration pour les figures et portraits féminins de Monica et d’Olguţa; son dialogue

socratique et sa présentation d’ensemble du romancier Teodoreanu n’en restent pas moins partisans et partiellement injustes. La lecture de Călinescu escamote intégralement la modernité romanesque d e La Medeleni.

¨ CIOBANU Nicolae, Ionel Teodoreanu, viaţa şi opera [Ionel Teodoreanu, la vie et l’œuvre], Bucarest: Minerva,

1970, 267 p., 24 planches hors-texte, bibliographie.

Cet ouvrage fondamental de la bibliographie teodorenienne est, dans sa première partie, une excellente biographie,

précise, bien informée, étudiant les temps forts de la vie de Ionel Teodoreanu. Nicolae Ciobanu relève les nombreux

Page 130: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

éléments autobiographiques de l’œuvre, comme projection de la personnalité de l’écrivain dans la fictio n romanesque; ainsi, selon le critique, Teodoreanu reprend dans La Medeleni beaucoup de membres de son entourage.

Dans la seconde partie, le chapitre intitulé «La trilogie de Medeleni» est moins bien une étude de l’art romanesque de

notre auteur, qu’un essai de définition du medelenisme comme existentialisme, d’un point de vue esthétique et socio -

idéologique: en ce sens, Nicolae Ciobanu dénonce dans la trilogie une tentative de mystifier le Temps et l’Histoire, à

travers un genre idyllique propre non seulement à Teodoreanu mais aussi aux postjunimistes et aux semănătoristes.

Cette critique marxiste paraît aujourd’hui bien dépassée, tout comme, dans un domaine plus technique, la thèse du

caractère digressif et du dilettantisme de ce que nous considérons à notre époque comme l’un des premiers récits

spéculaires roumains. En revanche, ce chapitre contient de bons passages sur la fusion des plans réel et mythique dans

le roman, ainsi que de très fines remarques sur l’observation psychologique des personnages. Ciobanu insiste sur les

particularités de notre roman: dimension narrative de l’œuvre, maîtrise de l’art du portrait, importance de la veine

mémorialiste (poursuivie dans În casa bunicilor et surtout dans Masa umbrelor). Le critique reprend les remarques

d’Eugen Lovinescu sur le «moldovénisme» de La Medeleni: comme chez Sadoveanu, Eminescu, Creangă et C.

Negruzzi, il retrouve chez Teodoreanu le mélange de jubilation et de nostalgie du souvenir, et surtout la vénération pour le passé, les ancêtres, la tradition.

L’ouvrage de Nicolae Ciobanu se termine par une bonne étude générale mais peu approfondie de la métaphore

teodorenienne («Incursions dans les structures du style medeleniste») et par une bibliographie assez détaillée jusqu’à

1968, mais incomparablement moins riche que celle de S. Tomuş.

Il s’agit néanmoins d’une monographie très utile et d’une indispensable synthèse sur Teodoreanu romancier.

¨ CIOBANU Nicolae, La Medeleni, in: Ionel Teodoreanu, Opere alese [Œuvres choisies], ed. N. Ciobanu,

Bucarest: E. P. L., 1968, volume III, pp. 382-405.

Ces notes et commentaires à l’édition de La Medeleni éclairent particulièrement l’étude de l’avant-texte du roman de

Teodoreanu. L’examen des différents manuscrits et des états de texte y est entrepris par Nicolae Ciobanu avec rigueur et

précision. Néanmoins, l’accent est insuffisamment mis sur la signification des modifications et refontes du texte.

Il s’agit d’une bonne étude génétique, descriptive et complète, mais qui manque de dynamisme.

¨ CIOPRAGA Constantin, «Ionel Teodoreanu în retrospectivă, II, III» [Ionel Teodoreanu en rétrospective], Cronica, VII, 1972 (4-5), p.3.

D’un point de vue structural, C. Ciopraga voit dans La Medeleni un «roman de réalisme discontinu, de coupures

lyriques, unique non seulement dans la littérature roumaine, mais aussi sur le plan européen». Il insiste sur la technique

fragmentariste de l’œuvre, véritable «roman de dislocations psychologiques et sociales», et relève, dans Hotarul

nestatornic, «les nombreuses scènes de genre, dans une succession d’ébauches comprenant de multiples études de portrait».

Cette courte étude d’un critique roumain contemporain qui a parfaitement saisi la portée de notre roman, est un texte

cardinal et d’importance capitale par rapport au sujet qui nous intéresse ici.

¨ CONSTANTINESCU Pompiliu, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni _ Hotarul nestatornic», Sburătorul, IV,

1926(4), p. 51.

Dans cet article important, l’auteur étudie particulièrement le statisme et le dynamisme de l’œuvre qui nous intéresse.

Selon lui, et malgré l’utilisation de techniques cinématographiques, l’art romanesque de Teodoreanu n’est pas assez au

service d’une fuite insaisissable, celle de la jeunesse qui passe.

Constantinescu reproche à l’auteur de La Medeleni le manque de composition romanesque, la multiplication des

situations non-caractéristiques, l’insuffisance des moyens psychologiques et surtout le verbalisme lyrique et l’abus de

scènes sensuelles dansDrumuri. À propos de Între vânturi, il dénonce l’inaptitude congénitale de l’auteur à l’analyse et

juge les personnages vides de contenu spirituel.

Il s’agit d’un article brillant et qui nous a été très utile, en ceci qu’il nous a fourni un grand nombre des contre -arguments de cette thèse.

Page 131: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

¨ CROHMĂLNICEANU Ovidiu, Literatura română între cele două războaie mondiale [La littérature roumaine de

l’entre-deux-guerres], I, édition revue, Bucarest: Minerva, 1972, pp. 334-336.

L’auteur de cette synthèse réputée sur la littérature roumaine de l’entre-deux-guerres montre qu’avec La

Medeleni Teodoreanu a voulu, tout comme Alain-Fournier dans Le grand Meaulnes, retrouver «l’aura mythique du

temps des candeurs non-répétables».

La thèse du critique est que Teodoreanu pose avec La Medeleni les prémisses du Bildungsroman dans la littérature

roumaine, sans toutefois parvenir à réaliser un véritable roman de formation: Teodoreanu accorde en effet trop peu d’importance aux problèmes matériels de l’existence dans le parcours de ses héros.

Ces pages d’Ovidiu Crohmălniceanu consacrées à Teodoreanu ne se veulent pas une relecture absolument originale de

notre roman, mais elles l’éclairent plus d’une fois par la pertinence de leurs remarques .

¨ ELIADE Mircea, «Ionel Teodoreanu», Revista universitară, I,1926(2), pp. 50-53.

Dans cette étude qui dit relever du dilettantisme littéraire, Mircea Eliade entreprend de définir la forme et la portée

de La Medeleni, «vaste recueil de poèmes en prose, de saynètes dialoguées, de lettres en parler et en orthographe

moldaves, d’analyses subtiles et d’observations ironiques». Selon le jeune étudiant en philosophie, Teodoreanu a dû

créer un nouveau langage adapté à son sujet d’étude _ la sensibilité d’âmes aux confins de l’enfance, et dont il a

l’intuition géniale et originale. Teodoreanu n’est donc plus un conteur, mais un poète en prose promouvant une nouvelle

esthétique dans le roman roumain des années 1920. Eliade dénonce l’invraisemblance de certains caractères de La

Medeleni, mais relève la réussite du personnage d’Olguţa et de dialogues saisis avec naturel et spontané ité. Le style de

Teodoreanu est défini comme «un mélange curieux de Proust et de Sadoveanu, de Samain et de Topârceanu», de

moldovénisme et de modernité exacerbée: «un amalgame d’adjectifs [...], cueillis à la pincette, de pastels teintés de

nostalgie, de crayonnages délicats comme les ombres japonaises, de mots à l’arôme patriarcal ou à la frivolité

mondaine»; ce style se caractérise enfin par «une chasse effrénée à l’épithète rare, à l’observation inédite, à l’alliance de mots suggestifs».

Selon Eliade, Teodoreanu allie donc la tradition roumaine à la modernité occidentale: «le milieu patriarcal de Medeleni

est considéré à travers l’expérience des modernistes français», celle de Proust et des symbolistes. En ce sens, son œuvre participe à l’universalisation de la littérature roumaine.

Voici un texte important, écrit par le futur grand historien des religions, et qui éclaire de façon originale la portée esthétique deLa Medeleni.

¨ HOLBAN Anton, «Despre dialog» [Sur le dialogue], România literară, I, 1932(32), p. 1.

Dans cet important article, l’auteur de Romanul lui Mirel met en doute la valeur littéraire du dialogue et mentionne son

emploi chez Maupassant, Proust, Huxley et Hortensia Papadat-Bengescu.

La moitié de l’étude est consacrée à Ionel Teodoreanu, sévèrement critiqué avec une reprise des reproches adressés par

Eugen Lovinescu et Ion I. Cantacuzino sur l’art romanesque de La Medeleni: illisibilité du roman due à l’excès de

dialogue et d’images, caractère conventionnel de personnages manquant d’une expérience réelle de vie, abus de «scènes

piquantes» et qui cèdent trop facilement à la mode.

L’article d’Anton Holban est intéressant pour la question qui nous occupe, parce qu’il émane d’un des principaux tenants du roman moderniste roumain, et qu’il synthétise les principales critiques adressées à Teodoreanu.

¨ IBRĂILEANU Garabet, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni», in Scriitori români şi străini [Écrivains roumains et

étrangers], Iaşi: Viaţa Românească, 1926, pp. 177-179.

Paru dans Viaţa Românească en 1926 et portant donc sur Hotarul nestatornic et Drumuri, cette première pièce du

dossier de la réception de Teodoreanu en Roumanie est une lecture de La Medeleni dont l’enthousiasme est tempéré par quelques réserves.

Selon Ibrăileanu, l’écriture romanesque de Teodoreanu se caractérise par une grande «puissance de création objective»

et par un souci d’observation réaliste. L’originalité de notre auteur est de créer de nouvelles structures capables de

représenter la discontinuité de l’âme enfantine, dont il possède par ailleurs l’intuition et «l’hallucination»: ainsi Hotarul

nestatornic se constitue en «scènes» et «tableaux», ou en «moments» comme chez Caragiale; l’action des personnages

Page 132: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

est représentée et non racontée, à travers des dialogues spontanés jouant une fonction dramatique. Avec la maturation des principaux personnages,Drumuri marque le passage du moment à l’intrigue.

Les personnages de La Medeleni sont une création objective: le lyrisme de l’œuvre n’est que leur «retentissement» dans

l’âme de l’auteur. Selon Ibrăileanu, ils s’imposent à l’imagination «par leurs actes, leurs gestes, leurs paroles». Le talent

de Teodoreanu réside d’abord dans l’individualisation des caractères enfantins, généralement indifférenciés dans la

nature, et dans la mise en relief de leur génie commun, puis dans la variété des types représentés, qui «tend toujours

plus à épuiser la psychologie humaine». Ibrăileanu note en particulier le génie de Teodoreanu dans la création de types

de femmes et de jeunes filles. En ce sens, Olguţa est considérée comme la plus belle réussite de la littérature roumaine.

Les réserves d’Ibrăileanu concernent seulement la peinture du paysan (moş Gheorghe est selon lui «une sorte de paysan

de carnaval») et l’imagisme outrancier. Du reste, Teodoreanu est pour lui «le plus authentique et le plus enchanteur

poète en prose de la nature, depuis Hogaş, Sadoveanu et Galaction». Sa peinture de l’univers est à la fois celle d’un

traditionnaliste et celle d’un moderniste. Ibrăileanu résume de la façon suivante l’originalité romanesque de Teodoreanu

dans La Medeleni: «Impressionniste quand il décrit et souvent quand il expose, il est tolstoïen dans la création de la vie

humaine par la richesse et la minutie du détail réaliste, et par la puissante évocation de l’atmosphère où évoluent ses

personnages.»

Ces pages capitales de celui qui a lancé Ionel Teodoreanu et qui a promu Marcel Proust en Roumanie, valent par leur discernement et par la primauté de leurs analyses.

¨ LOVINESCU Eugen, Istoria literaturii române contemporane [Histoire de la littérature roumaine

contemporaine], IV, Bucarest: Editura Ancora, 1928, chapitre XIII, pp. 143-157; Editura Minerva, Bucarest,

1981, vol. III, pp. 100-109.

Le critique entreprend une démolition en règle de La Medeleni, avec toutefois une certaine bienveillance pour le dernier

volume de la trilogie. Le discours de Lovinescu résume à lui seul tous les reproches adressés à Ionel Teodoreanu par la

critique de l’époque. Selon le mentor de Zburătorul, La Medeleni n’est qu’une rénovation tardive du semănătorisme par

l’apport d’éléments modernistes, avec finalement les mêmes ancêtres «qui soufflent bruyamment la fumée de leur

chibouque depuis la terrasse de leurs maisons de boyards, ou qui n’en finissent pas de siroter leur café». Tro is reproches sont adressés au jeune romancier.

D’abord, l’erreur psychologique qui consiste à croire en «la possibilité d’un roman d’enfants et seulement entre

enfants», sans épaisseur narrative ou psychologique, sans dynamisme. Ensuite, l’insuffisance architectonique, le

manque d’organisation du roman. La Medeleni est, selon Lovinescu, un roman d’atmosphère, de milieu, et donc

«fatelement pulvérisé en différents héros et dans des actions centrifuges». Enfin, un lyrisme dissolu, non maîtrisé,

propre, selon Lovinescu, à tous les écrivains moldaves, ainsi qu’un pansensualisme outrancier dans le second volume, où s’affiche une «véritable fornication universelle».

Toutefois, Eugen Lovinescu juge le troisième volume, Între vânturi, plus organisé; il reconnaît à Teodoreanu «le talent

de créer dans la lave de l’enthousiasme la vie dans toutes ses dimensions, des types individualisés, organiques», mais

malheureusement «noyés dans une végétation inextricable de détails et de films épisodiques».

Ce chapitre fondamental de la réception critique de notre roman est certes tendancieux, puisqu’il émane du chef de

l’école moderniste roumaine; sa lecture n’en demeure pas moins féconde, par la sagacité des remarques et par

l’adéquation étroite au sujet traité ici. Cette thèse est fort redevable à Lovinescu, dans la mesure où le grand critique

roumain lui fournit un grand nombre de contre-arguments au centre de son débat.

¨ PETRESCU Camil, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni», Cetatea literară, I, 1926(9-10), p. 66.

L’auteur de Patul lui Procust, disciple roumain de Marcel Proust, relève chez Teodoreanu deux traits caractéristiques:

une incomparable habileté aritistique et un amour chaleureux des belles choses. Selon Camil Petrescu, l’auteur de La

Medeleniréutilise la méthode classique du roman français, en l’enrichissant des apports des écrivains russes: la création

romanesque s’élabore par des «incidents de vie», par la représentation directe des faits et des hommes. L’écrivain roumain développe des dialogues d’une virtuosité rare, ainsi qu’un art très sûr de la description.

Ce texte d’un des plus grands romanciers roumains du XXe siècle éclaire de façon originale l’art romanesque de Teodoreanu dans La Medeleni.

Page 133: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

¨ POPA Marian, Medelenii sau starea de vacanţă [Medeleni ou l’état de vacances], in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, vol. I,Hotarul nestatornic, Bucarest: Albatros, 1970, pp. 5-35.

Cette introduction à l’édition de La Medeleni dans une collection destinée aux lycées passe en revue les aspects majeurs de notre trilogie, dans une démarche claire et convaincante.

La partie intitulée «L’univers du medelenisme» donne une définition existentielle du medelenisme, considéré comme

l’état de vacances, de l’enfance biologique ou psychologique, dans un monde de liberté et de disponibilité. M arian Popa

fait une brève allusion au Bildungsroman, et au roman du roman élaboré dans l’esprit de Gide et d’Aldous Huxley; il

insiste davantage sur le système des personnages et sur les mutations compositionnelles des romans de la trilogie, des

instantanés de Hotarul nestatornicà l’éclectisme fantaisiste de Drumuri, et déplore dans Între vânturi une certaine «incongruité du baroque organisé maladroitement».

La partie consacrée aux «Traits spécifiques de l’art du roman» est suggestive et particulièrement in téressante. Deux

traits caractérisent, selon Marian Popa, la structure narrative de La Medeleni: «l’observation réaliste et le filon poétique,

de transformation de la réalité», bref: «la fusion de vie et de légende» dont parlait Teodoreanu. Dans sa définit ion des

procédés du réalisme romanesque chez notre écrivain, Marian Popa reprend les thèses d’Ibrăileanu et de Vianu, en les

étayant largement. L’unité narrative de La Medeleni, dans le premier volume surtout, est l’instantané, ou moment, ou

saynète, qui illustre une esthétique de la discontinuité, de la fragmentation et de l’immédiateté, préférant la

représentation à la relation. La description, impressionniste, reprend les procédés de l’observation distributive et crée

souvent l’impression du cliché. Le dialogue est d’une virtuosité rare, et qui place Teodoreanu immédiatement après

Caragiale; il accroît l’authenticité et la véridicité des situations, et fonctionne par particularisation (moldovénismes, faits

de langue). Bref, Teodoreanu emploie, selon Marian Popa, les procédés traditionnels de la méthode réaliste appliquée

au roman, mais il innove par l’oralité du style, l’accumulation des parties de propositions de même type, l’emploi de

néologismes et de barbarismes à connotation mondaine, et le rendu fidèle de la vivacité de la conversation familière surprise dans ses plus subtiles modulations..

Selon le critique, Teodoreanu est plus original dans le traitement «artistique» de la matière romanesque. Popa reprend la

thèse de Vianu sur la richesse de l’imagisme teodorenien, qui lasse par saturation du procédé. Mais il insiste de façon

nouvelle sur la fonction humoristique et comique de la métaphore, par effet d’accumulation, et sur son développement dans le système de la rhétorique baroque et précieuse.

On peut regretter parfois que l’accent soit insuffisamment mis sur la portée des remarques; il n’en demeure pas moins

que l’introduction de Marian Popa est du plus haut intérêt pour la question qui nous concerne, et qu’elle ouvre plus

d’une fois des pistes de recherches dans bien des domaines.

¨ RALEA Mihail, «Ionel Teodoreanu», Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927(336), pp. 1-2. Reproduit dans Portrete, cărţi, idei, Bucarest: E.P.L.U., 1966, pp. 58-70.

Dans cet article remarquable, le sociologue et psychologue Mihail Ralea analyse de façon magistrale les principaux

traits de la «génération Medeleni»: génération mixte, d’avant et d’après -guerre, nourrie de symbolisme et de

mysticisme, mais aussi de réflexions existentielles. Il définit également l’originalité de la peinture sociale de

Teodoreanu, celle de la bourgeoisie moldave en pleine décadence, esthète et raffinée, insouciante et joviale, dans la

lignée de l’esprit boyard d’autrefois, et note chez l’artiste un sens profond de la psychologie, notamment adolescente,

qui «varie entre deux notes extrêmes: rêve et sensualité».

Mais les remarques les plus intéressantes de Ralea concernent la composition et le style de La Medeleni. Selon le

critique, une construction narrative classique, avec un découpage de la matière romanesque en moments forts et

caractéristiques, aurait correspondu à une vision d’adulte, linéaire et atone: pour l’être immature il n’y a pas de moment

culminant, tout est événement et tout est important. Les choix architectoniques et stylistiques originaux sont ainsi en

harmonie avec le sujet même de l’œuvre. «La composition du roman de Ionel Teodoreanu, conclut Mihail Ralea, rappelle les procédés d’évolution de l’élan vital lui-même.»

Malheureusement, cette vie représentée, excessivement riche, donne à La Medeleni la dimension et la densité d’une

«forêt tropicale» où l’on se perd; Ralea émet donc certaines réserves sur le style chargé, ornemental du roman,

notamment dansDrumuri et dans Între vânturi, équivalent littéraire du rococo architectural. À cet effet baroque

participent aussi la pléthore des citations, des lettres et du hors -texte en général, et l’immixtion dans le monde fictif des

réminiscences personnelles de l’auteur, qui font perdre au roman sa spontanéité et donnent au style un caractère parfois artificiel et ennuyant.

Page 134: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

Voici un texte stimulant pour la réflexion et mesuré dans son argumentation, et qui, notamment en ce qui concerne la composition du roman La Medeleni, nous a ouvert bien des pistes de recherche.

¨ SUCHIANU D. I., «Dulce meu prietenul meu, Ionel Teodoreanu» [Mon doux ami, Ionel Teodoreanu], Viaţa

Românească, 1974(3), pp. 24-32. Reproduit dans Alte foste adevăruri viitoare [Autres feu vérités à venir],

Bucarest: Minerva, 1983, pp. 47-57.

Malgré son titre, cet article est très peu biographique. Suchianu, ancien collègue de lycée de Teodoreanu puis ami

indéfectible de Ionel, connu comme historien du cinéma en Roumanie, démontre que l’auteur de La Medeleni opère une véritable révolution esthétique dans le roman roumain des années 1920.

Ce texte très intelligent et stimulant pour l’esprit permet d’appréhender de façon nouvelle le problème de la métaphore

teodorenienne, ses fonctions narrative et gnostique, dans une perspective bergsonienne. Suchianu voit en Teodoreanu un

illustrateur du surréalisme littéraire, en ceci que chez le romancier roumain le moi ne s’imprime plus dans l’objet mais

dans le moi lui-même, ainsi qu’un précurseur de la Lanterne tchèque des années 1960, par l’utilisation du polyimagisme

pour attaquer la réalité sous tous ses angles.

Texte court mais fondamental pour qui veut réfléchir sur la valeur esthétique de la métaphore teodorenienne dans l’art du roman.

¨ TEODOREANU Ionel, Cum am scris Medelenii, conferinţă ţinută în ziua de 5 decembrie 1937 la

Sibiu [Comment j’ai écritLa Medeleni, conférence tenue le 5 décembre 1937 à Sibiu], ed. Al.

Oprea, Manuscriptum, II, 1971(2), pp. 119-133; ed. N. Ciobanu, Iaşi: Junimea, 1978, pp. 163-182.

Dans cette conférence tenue dans plusieurs villes de Roumanie avant la Seconde guerre mondiale, Teodoreanu essaie à la fois de démentir le caractère autobiographique de La Medeleni et de préciser sa conception du roman.

Hotarul nestatornic n’est pas une «biographie» romancée de son auteur, mais la première étape de la vie des trois héros

du roman. Certes, l’œuvre doit beaucoup à la vie, mais à une vie sublimée par le mensonge esthétique, à visée

déformante. Selon Teodoreanu, le personnage littéraire est protéiforme, en ceci qu’il résulte d’une combinaison de traits

extérieurs propres à plusieurs personnages réels. Olguţa, Dănuţ et Monica ne sont en fait que des «virtualités incarnées» de son âme.

Teodoreanu définit ensuite ce qu’il appelle les deux catégories de romanciers. Le romancier touriste, avide de culture,

féru de psychologie et de sociologie, aspire à démonter le mécanisme de la vie spirituelle; la composition romanesque

chez lui est parfaite, claire, graduée, avec un sujet et un plan préétablis, comme chez Paul Bourget par exemple. Le

romancier aventurier ignore qu’il va écrire; il improvise sans cesse, crée des personnages qu’il laisse vivre dans la

fiction; le sujet n’est pas préétabli mais naît du choc entre les personnages: la composition est «anarchique, touffue,

vitaliste», comme chez Tolstoï, Dostoïevski, Gorki, Istrati. Teodoreanu se définit comme un romancier aventurier,

«animé par la nostalgie de l’inconnu», et pour qui le roman constitue une aventure existentielle, une découverte de ce

qui n’est que virtuel. Il affirme la spontanéité de l’écriture de La Medeleni, transcription de moments rêvés, sublimée par une «ivresse créatrice».

Ces pages du paratexte medelenien contiennent beaucoup de remarques obvies aujourd’hui mais qui éclairent

singulièrement le processus de la création romanesque chez Ionel Teodoreanu dans La Medeleni, et qui suggèrent

l’étendue de ses lectures classiques et modernes.

¨ TOMUŞ Silvia, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei [Ionel Teodoreanu ou la Joie de la métaphore], Cluj:

Dacia, 1980, 221 p.

Voici un volume riche en informations de tous ordres, à la fois sur la vie et l’œuvre de Teodoreanu et surtout sur ses

idées littéraires. Silvia Tomuş redonne, comme l’a fait Nicolae Ciobanu, mais dans une perspective éclairante et dans

une construction très musicale («Les premiers accords», «Préludes», «Recherches, variations»...), les principaux

matériaux où s’élabore la réflexion esthético-littéraire de Teodoreanu, centrée sur le rapport entre la création artistique et l’existence: interviews, conférences, préfaces, souvenirs, publications diverses.

Certes, l’auteur de cette monographie attribue à Teodoreanu un Prix Fémina parisien imaginaire, juge sévèrement

l’imagisme medeleniste et effleure plutôt le problème de la métaphore jubilatoire; mais, parmi les critiques roumains

contemporains, Silvia Tomuş est l’un des rares, sinon le seul, à avoir entr'aperçu la modernité d’une écriture

Page 135: Art Romanesque Ionel Teodoreanu

romanesque qui fait se confondre de façon tout à fait originale le roman et son atelier. Comme Ovidiu Crohmălniceanu, elle voit dans La Medeleni «un Bildungsroman unilatéralement et partiellement réalisé».

Cet ouvrage appareillé d’une riche et excellente bibliographie est un petit livre précieux.

¨ VIANU Tudor, Arta prozatorilor români [L’art des prosateurs roumains], Bucarest: Editura contemporană,

1941, pp. 366-372.

Voici une étude entièrement consacrée à l’art romanesque de Teodoreanu, par le plus grand stylisticien roumain du XXe

siècle, dans une synthèse célèbre sur les techniques de la prose.

Tudor Vianu situe La Medeleni dans le courant du nouveau roman roumain des années 1920, dans la lignée de Ion de

Liviu Rebreanu, qui exerce une émulation chez les jeunes prosateurs de l’époque. La tendance est alors vers le roman -

fleuve, et l’effort des auteurs porte sur la composition, l’invention et l’approfondissement psychologique. En ce sens, La

Medeleni constitue, selon le stylisticien, «la plus grande réplique au roman de Rebreanu».

Vianu place également notre roman dans le cadre d’un «nouveau réalisme» (le troisième, chronologiquement, dans

l’histoire de la littérature roumaine), orienté, chez Teodoreanu par exemple, vers le roman à préoccupations

«artistiques», dans le prolongement de Delavrancea et de Zamfirescu, et non vers le roman à préoccupations

«analytiques», comme chez Rebreanu ou Hortensia Papadat Bengescu, qui travaillent sur le vif et tentent de miner les procédés artistiques.

Vianu définit l’ensuite l’originalité de notre romancier, promoteur d’un «véritable rococo moldave», et, dans son

approche du monde de l’enfance, «peintre de scènes gracieuses». Un autre élément de l’art romanesque de Teodoreanu,

et qui n’apporte rien de nouveau, est la tendance à narrer très rarement et à mettre en scène les personnages au moyen

de dialogues particulièrement expressifs et révélateurs. De même, la composition romanesque «en une suite de

saynètes» n’a rien d’original, puisque, toujours selon Vianu, «Teodoreanu compose ses romans avec les plus vieux trucs

des auteurs de croquis».

Certes, l’originalité des images est incontestable chez l’auteur de La Medeleni, mais, pléthoriques, elles s’affaiblissent

et perdent ainsi leur vertu libératrice: Teodoreanu tombe souvent dans le travers de l’imagisme; son esprit devient,

comme dit Taine, «un polypier d’images», qui lasse celui du lecteur malgré un «bouillement de vie» inco ntestable et

enthousiasmant.

De très bonnes pages introductives, en rapport direct avec notre question, mais qui restent malheureusement trop

générales.