Art Et Révolution - NEVEUX

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ARTS ET RÉVOLUTION. Sur quelques éléments théoriques et pratiques Jean-Marc Lachaud, Olivier Neveux Presses Universitaires de France | « Actuel Marx » 2009/1 n° 45 | pages 12 à 23 ISSN 0994-4524 ISBN 9782130572442 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2009-1-page-12.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Marc Lachaud et Olivier Neveux, « Arts et révolution. Sur quelques éléments théoriques et pratiques », Actuel Marx 2009/1 (n° 45), p. 12-23. DOI 10.3917/amx.045.0012 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 09/05/2015 14h14. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 09/05/2015 14h14. © Presses Universitaires de France

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Olivier Neveux "Art et révolution" - Université Lyon 2 - Lumière

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  • ARTS ET RVOLUTION. Sur quelques lments thoriques et pratiquesJean-Marc Lachaud, Olivier Neveux

    Presses Universitaires de France | Actuel Marx

    2009/1 n 45 | pages 12 23 ISSN 0994-4524ISBN 9782130572442

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2009-1-page-12.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Marc Lachaud et Olivier Neveux, Arts et rvolution. Sur quelques lments thoriques etpratiques , Actuel Marx 2009/1 (n 45), p. 12-23.DOI 10.3917/amx.045.0012--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Actuel Marx / no45 / 2009 / Arts et politiques

    J.-M. LachauD et o. neveuX, Arts et rvolution. Sur quelques lments thoriques et pratiques

    arts et rvolution. sur quelques lMents thoriques et Pratiquespar Jean-Marc LaChaUd et Olivier NEVEUX

    il serait abusif denvisager, la lecture des rares pages consacres par Karl Marx la cration artistique et littraire, une thorie esthtique constitue. dans LIdologie allemande, contre une approche idaliste, Marx affirme quune uvre dart doit tre analyse au regard du contexte dans lequel elle a t conue ou est reue. nanmoins, dans les Grundrisse, refusant une simpliste thorie du reflet, il insiste sur le caractre singulier des productions artistiques et littraires. observant que ses contemporains peuvent encore tre interpells par les chefs-duvre de lart grec antique, il admet donc que se manifestent dvidentes ingalits entre lvolution de lart en g-nral et celle de la socit 1.

    de son ct, Friedrich engels ne propose pas une thorie normative de la littrature2. Certes, avec Marx, il critique vigoureusement, dans La Sainte famille, le contenu idologique du roman deugne sue Les Mystres de Paris et analyse avec svrit, dans un change de lettres sans conces-sions avec lauteur, lambigut politique de la tragdie historique de Ferdinand lassalle, Franz von Sickingen. Mais, lorsquil voque ces uvres, ou encore les tragdies de shakespeare et les drames de ibsen, la Comdie humaine de Balzac et le parti pris romanesque de Zola, voire lorsquil mani-feste son profond ddain pour la musique wagnrienne, engels nenvisage pas que les uvres artistiques et littraires puissent tre soumises une quelconque exigence militante. si, dans sa correspondance avec la roman-cire socialisante Margaret harkness, il se positionne sur les questions de la vracit raliste des uvres et sur lindispensable recours au typique (caractre des personnages, circonstances dans lesquelles ils agissent), bref

    1. il faut signaler, en outre, un autre versant, riche, de la rflexion marxiste sur lart, centr sur lart en tant quactivit sociale spciali-se. Voir ce sujet, entre autres, la contribution disabelle Garo, Art, activit, travail (1re partie). Marx et la critique de lesthtique (ce texte peut tre consult sur le site semimarx : http://semimarx.free.fr/iMG/pdf/iG_Marx_critique-esthetique. pdf).2. Voir Georg Lukcs, Marx et Engels historiens de la littrature (les deux textes rassembls dans cet ouvrage : Le dbat sur Sickingen et Friedrich Engels, thoricien de la littrature et critique littraire , ont t rdigs, pour le premier, en 1931 et, pour le second, en 1935), trad. G. Badia, Paris, LArche ditions, 1975.

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    sur leur tendance , engels ne formule aucun dcret quant aux modalits formelles de lcriture.

    en fait, dans les propos de Marx et de engels3, rien nautorise une r-flexion esthtique mcaniste et dogmatique, limage de celle dveloppe au dbut du xxe sicle par georges v. Plkhanov dans Lart et la vie sociale 4, et ne justifie linstauration, par un pouvoir rvolutionnaire, dun modle esthtique rigide et contraignant, comme cela sera le cas avec les canons du ralisme socialiste imposs (mais le fait que certains artistes et crivains adhrrent deux-mmes ces principes ne peut tre ni) par le stalinien andre a. Jdanov lore des annes 19305.

    tout au long du xxe sicle, des intellectuels, des artistes et des crivains se rclamant de la pense de Marx (ainsi que des dirigeants politiques rvo-lutionnaires, tels lnine6, trotsky7, gramsci8 et Mao ts-toung9) intervien-nent sur le terrain esthtique et participent de conflictuels dbats mettant en tension les liens complexes qui unissent et diffrencient les champs esthtique et politique10 autour de questions concernant lhritage culturel, la culture populaire, lart et la littrature de parti, lmergence dun art et dune littrature proltariens, la dialectique de la forme et du contenu puis, plus tard, la reproductibilit de luvre dart, les menaces que le d-veloppement des industries culturelles fait peser sur lautonomie relative de la sphre artistique et littraire, lmergence et la domination de la socit du spectacle, la querelle modernit/post-modernit Ces discus-sions sont par ailleurs invitablement lies aux soubresauts de lhistoire (par exemple, lorsque face au triomphe du nazisme, walter Benjamin en appelle une politisation de lart) et, plus particulirement, la situation concrte de lart et de la littrature (de la fonction des artistes et des cri-vains) en union sovitique (et dans les dmocraties populaires de leurope de lest, en Chine ou Cuba).

    dans le cadre limit de cet article introductif, nous naborderons, vi-demment trop brivement, que quelques situations et thmes, au travers desquels peuvent tre repres les contradictions qui marqurent les appro-ches marxistes de la production artistique et littraire.

    3. Voir Marx et Engels, Sur la littrature et lart, textes traduits et prsents par Jean Frville, Paris, ditions Sociales internationales, 1936.4. Georges Plkhanov, Lart et la vie sociale, trad. G. Batault-Plkhanov, A. Guillain et J. Frville, Paris, ditions Sociales, 1950.5. Voir ltude documente de Franois Champarnaud, Rvolution et contre-rvolution culturelles en URSS. Paris, ditions Anthropos, 1975.6. Le lecteur peut se rfrer aux trois volumes intituls Sur lart et la littrature textes choisis et prsents par J.-M. Palmier, trois volumes, Paris, Union Gnrale dditions, 1975.7. Les interventions de trotsky sont rassembles sous le titre Littrature et Rvolution, Paris, Union Gnrale dditions, 1974.8. Voir le texte de Slaw Krzemie-ojak, Gramsci sur lart , publi dans la revue polonaise Studia Estetyczne (no 18, 1981, pp. 265-284).9. Mao ts-toung, Sur lart et la littrature, Pkin, ditions en langues trangres, 1965.10. Voir les essais de Jean-Marc Lachaud, Marxisme et philosophie de lart, Paris, ditions Anthropos, 1985, et de Michel Lequenne, Marxisme et esthtique, Paris, ditions La Brche, 1984. Le lecteur peut galement consulter Esthtique et Marxisme, ouvrage collectif, Paris, Union Gnrale dditions, 1974.

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    avant-gardes artistiques et avant-garde Politiquede nombreux artistes et crivains avant-gardistes, rejetant la socit

    bourgeoise, senthousiasment pour la rvolution doctobre 1917. Pour eux, le temps est dsormais venu, comme lindique clairement le mot dor-dre surraliste, de transformer le monde (Marx) et de changer la vie (arthur rimbaud).

    une vive squence de cration, de dbats, daffrontements et de pro-positions thoriques souvre : les annes 1920 sont, artistiquement, riches et foisonnantes. la cration de spectacles de masses, lirruption dune multitude de formes dagit-prop, lmergence de mouvements artistiques nouveaux (comme le Constructivisme), lexprimentation de formes esth-tiques originales (on pense au cin-il de dziga vertov et la bio-mca-nique de vsevolod e. Meyerhold) apparaissent au cours de ces trs denses et htrognes annes. lapport de celles-ci la cration contemporaine fut immense : erwin Piscator, Bertolt Brecht ou le groupe octobre en France, pour lequel crivait Jacques Prvert, par exemple, ont t influencs par le travail de troupes comme celle de la Blouse bleue en urss11. Ces mou-vements, travers le communisme international, irriguent le champ de la cration (ce qui est observable, pour ne citer quune rfrence, dans le cas de la ligue du thtre proltarien japonais12).

    limportance quantitative dun mouvement comme le Proletkult, cr avant octobre et anim par alexander Bogdanov, tmoigne de cette ef-fervescence. envisag comme une organisation culturelle de masse [] il [a pour objet] doccuper tous les fronts de lactivit sociale pour ne pas laisser lennemi bourgeois des possibilits de pervertir ou de freiner llan rvolutionnaire de la classe ouvrire 13. les riches dbats qui lentourent attestent lexistence dune approche renouvele de lart et de la cration lchelle des masses. le Proletkult, toutefois, se caractrise par sa forte mfiance vis--vis dune rvolution des formes et soppose bien vite, par exemple, au Futurisme, lun des plus importants parmi les nombreux mouvements davant-garde. Ceux-ci se sont regroups en 1923 au sein du leF (Front gauche de lart) linitiative entre autres de vladimir v. Maakovski, de sergue M. tretiakov et dossip Brik, puis du nouveau lef 14. il ne sagit pas pour eux de reprsenter ou de connatre la vie mais de la construire 15, souligne Franois Champarnaud. des manifestes, des pices, des pomes, des photographies, des tableaux, des objets du quo-

    11. Voir Le Thtre dagit-prop de 1917 1932 (ouvrage collectif issu des travaux de lquipe thtre moderne du GR 27 du CNRS sous la responsabilit de Denis Bablet), 4 vol., Lausanne (Suisse), La Cit-Lge dHomme, 1977-1978.12. Voir J.-J. tschudin, La Ligue du thtre proltarien japonais, Paris, ditions LHarmattan, 1989.13. F. Champarnaud, Rvolution et contre-rvolution culturelles en URSS, op. cit., pp. 185-186.14. Malgr limmense dispersion des quelques traductions franaises du Lef, citons les importants ouvrages de G. Conio, Le Cons-tructivisme russe, 2 tomes, Lausanne, ditions Lge dHomme, 1987.15. F. Champarnaud, Rvolution et contre-rvolution culturelles en URSS, op. cit., p. 164.

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    tidien : les crateurs du lef se saisissent de tous les supports, tout autant quils mnent une rflexion serre et vitale sur lhritage et le pass, sur les fonctions sociales de lart sous la domination capitaliste (tretiakov y dcle un narcotique social [] un moyen pour les gens de dserter la ralit (avec toutes ses asprits et ses difficults) dans un mirage exotique [] une cole des murs 16), mais aussi en priode transitoire. Car, de par sa nouveaut mme, le pouvoir, en 1917, adresse des interrogations indites aux artistes. quoi servent-ils ? Comment peuvent-ils devenir cette petite vis dans le grand mcanisme de la rvolution , pour reprendre la dfinition de lnine propos de la littrature de parti ? il sagit de rflchir nouveaux frais, de discuter lautonomie de lart et de sattacher contester son culte et sa sparation de lexistence (critique qui, sous des formes dissem-blables et avec des arguments singuliers, rapparat chez les surralistes puis, plus tard, dans le situationnisme). les dbats sont francs, tendus mais rels et productifs avec les dirigeants bolcheviks. Jamais peut-tre les discussions navaient aussi profondment nou esthtique et politique et navaient eu dimplications aussi directement concrtes.

    Cependant, trs rapidement, lexaltation rvolutionnaire politique et esthtique des avant-gardes artistiques et littraires sera progressivement, aprs la mort de lnine, mise au pas, comme le parti bolchevik lui-mme, rduite au silence en union sovitique et dsavoue par la direction des partis communistes dans les pays capitalistes.

    en union sovitique, aprs de courtes annes o, selon Jean-Michel Palmier, l intense exprimentation formelle, mme si elle ne rencontra pas lapprobation gnrale du gouvernement sovitique, mme si lnine se montrait sceptique lgard de lart nouveau et ne cachait pas ses sympa-thies pour les uvres ralistes plus classiques, ne se heurta aucune rpres-sion 17, le rgime stalinien exige avec brutalit des artistes et des crivains quils assujettissent leurs pratiques aux directives du Parti. dans La Punaise (1929), par exemple, comdie ferique18 mise en scne par vsevolod e. Meyerhold (qui sera arrt et excut en 1940), vladimir v. Maakovski (qui, cinq ans aprs le pote sergue a. essnine, se suicide en 1930) accuse violemment les bureaucrates du Parti et les petits-bourgeois maquills de rouge de trahir les promesses de la rvolution doctobre. aux dsillusions prouves par ceux qui avaient mis leur nergie cratrice au service de lidal rvolutionnaire (sans pour autant renier leur volont de crer un art nouveau et leur capacit critique lgard de la construction du socialisme), ds lors considrs comme des ennemis, rpondra limplacable et froce

    16. M. tretiakov, Le bon ton (1927), dans S. M. tretiakov, Hurle, Chine ! et autres pices, Lausanne, ditions Lge dHomme, 1982, p. 255.17. Jean-Michel Palmier, Lnine, lart et la rvolution, Paris, ditions Payot, 1975, p. 12.18. Rhtorique, dialectique, manie du raisonnement, tout ce qui dessche une uvre, tout ce qui la place sur le mme plan quun journal abaisse une uvre artistique , affirme Meyerhold en 1929.

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    rpression organise par la bureaucratie stalinienne.en France, la liaison entre les surralistes et lorganisation communiste

    est phmre et devient vite houleuse. nanmoins, le groupe surraliste a t, cas exceptionnel, section franaise de linternationale communiste , pendant quelque temps, au mme titre que le PCF ! andr Breton, contre les positions dfendues alors par louis aragon, exprime son dsaccord face aux orientations adoptes lors du Congrs international des crivains rvo-lutionnaires de Kharkov en 1930 (modlisant les partis pris artistiques et littraires, rejetant lapport du freudisme) et la rupture est consomme en 1935 loccasion du Congrs international des crivains pour la dfense de la culture organis Paris (a. Breton sopposant violemment la ligne sou-tenue par le reprsentant sovitique, ilya ehrenbourg19). alors que walter Benjamin senthousiasme pour Le paysan de Paris daragon et crit que les surralistes ont compris la perspective de l autodpassement quappelle le Manifeste communiste20 , que ernst Bloch considre que le surralisme ravive la flamme de lavant-garde en dfrichant les possibles qui sesquissent en pointills au cur du monde en dessous, [du] monde oblique et [du] monde au-dessus 21, les dirigeants du PCF savrent incapables de saisir les potentialits subversives du romantisme rvolutionnaire surraliste22. Chacun a galement en mmoire laffaire du portrait de staline ralis par Pablo Picasso en 1953, lors de la mort du dirigeant sovitique et publi par Les Lettres franaises, revue dirige par aragon. la violente raction de la direction communiste claire, selon dominique Berthet, la ralit des relations entre le PCF et ses intellectuels et ses artistes et la volont du Parti de diriger et de juger le travail des artistes, distribuant loges ou blmes 23.

    rappelons que, contre tout assujettissement de la cration artistique et littraire aux diktats du pouvoir politique, trotsky, qui, ds 1924, af-

    19. i. Ehrenbourg, crivain, alors correspondant des Izvestia Paris, se querelle durement avec Breton et demande lexclusion des surralistes. Aprs le suicide de Ren Crevel, crivain surraliste et communiste, membre de lAssociation des crivains et Artistes Rvolutionnaires, dans la nuit du 17 au 18 juin, le discours de Breton est lu la tribune du Congrs par Paul Eluard. Breton remet en cause le platonisme et la confusion du mot dordre du Congrs et critique la politique internationale de lUnion sovitique, tout comme il fustige la ligne du PCF dans Du temps que les surralistes avaient raison, texte rdig et sign collectivement par les surralistes en aot 1935 est dsormais publi dans louvrage de Breton intitul Position politique du surralisme (Paris, ditions Denol-Gonthier, 1972, pp. 97-117). Le Congrs, rpondant un besoin frntique dorthodoxie , est considr comme une tenta-tive dtouffer les problmes culturels vritables et les voix non reconnues . Dans ses Entretiens (1913-1952) raliss en 1952 (Paris, ditions Gallimard, 1969, p. 176), A. Breton voque lcroulement des espoirs quenvers et contre tout, durant des annes, nous avions mis dans la conciliation des ides surralistes et de laction pratique sur le plan rvolutionnaire . Le lecteur peut aussi se rfrer aux discours de ce Congrs, rassembls par Sandra teroni et par Wolfgang Klein sous le titre Pour la dfense de la culture. Les textes du Congrs International des crivains, Paris, juin 1935, Dijon, ditions universitaires, 2005.20. Walter Benjamin, Le surralisme. Le dernier instantan de lintelligentsia europenne (1929), dans W. Benjamin, uvres II, trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Paris, ditions Gallimard, 2000, p. 134. Dans Walter Benjamin et le surralisme. Histoire dun enchantement rvolutionnaire (in Walter Benjamin, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marc Lachaud, Paris, Europe, n 804, avril 1996, pp. 79-90), Michal Lwy propose un trs pertinent commentaire de ce texte.21. Ernst Bloch, Hritage de ce temps (1935), trad. J. Lacoste, Paris, ditions Payot, 1978, p. 208.22. Au contraire, par exemple, du leader pruvien Jos Carlos Mariategui : voir Michal Lwy, Jos Carlos Mariategui et le Surra-lisme , dans Changer lart / Transformer la socit. Art et politique 2, textes rassembls par Jean-Marc Lachaud et olivier Neveux, Paris, ditions LHarmattan, paratre en 2009.23. Dominique Berthet, Le PCF, la culture et lart, Paris, La table Ronde diteur, 1990, p. 233.

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    firmait que lart relve dun domaine particulier, spcifique, de lactivit humaine 24, signe en 1938, aux cts de Breton et de diego rivera, un important manifeste, Pour un art rvolutionnaire indpendant 25, exigeant simultanment lindpendance de lart pour la rvolution et la rvo-lution pour la libration dfinitive de lart !

    le ralisMe en questiondans les annes 1930, au sein de lmigration allemande26, une dis-

    pute se dveloppe propos de lexpressionnisme27. dans grandeur et dcadence de lexpressionnisme 28, georg lukcs considre que ce mou-vement, qui porte les marques de la dcadence capitaliste (alors quil est qualifi de bolchevisme culturel par les nazis29 !), par sa rvolte irration-nelle, a facilit la victoire du national-socialisme. Publis aprs la seconde guerre mondiale, les arguments dvelopps par Bertolt Brecht sopposent lanalyse lukcsienne30. tout en se dmarquant de la rhtorique pathti-que de lexpressionnisme (la vision du monde expressionniste influena ses premires pices), B. Brecht a immdiatement saisi lenjeu concret de la querelle ; dans au dossier du dbat sur lexpressionnisme : rflexions pratiques (1938)31, il note que, dans cette bataille , [] on se jette la face les cris de guerre : expressionnisme !, ralisme ! . en effet, la question pour g. lukcs est bien celle du ralisme. la mme anne, dans il y va du ralisme , il affirme clairement quil est ncessaire de rpondre linterrogation suivante : [] quels crivains, quelles tendances littrai-res, reprsentent dans la littrature actuelle le progrs ? 32. en se rfrant de manire formaliste un modle dcriture raliste (celui pratiqu par Balzac et maintenu par Thomas Mann), lukcs est dans lincapacit, contraire-

    24. Jean-Marie Brohm ( Les marxismes et les arts , Prtentaine, n 6, 1996, pp. 171-185) rappelle que, lors dune runion du bureau de presse du Comit central du parti communiste russe, le 9 mai 1924 , trotsky critiqua tous les boutiquiers de lart prol-tarien, tous les petits chefs des petites fabriques artistiques qui nont aucune notion de lart en tant quart, cest--dire en tant que domaine particulier, spcifique, de lactivit humaine (p. 183).25. Andr Breton et Diego Rivera, Pour un art rvolutionnaire indpendant (25 juillet 1938), in L. trotsky, Littrature et rvolution, op. cit., p. 500.26. Sur lengagement politique et culturel des migrs, voir Jean-Michel Palmier, Weimar en exil, volume i, Exil en Europe, Paris, ditions Payot, 1987, pp. 409-52827. Sur lExpressionnisme, nous renvoyons aux ouvrages de Jean-Michel Palmier, LExpressionnisme comme rvolte, Paris, ditions Payot, 1978 et LExpressionnisme et les arts (deux volumes, Paris, ditions Payot, 1979 et 1980), ainsi qu ltude de Lionel Richard, Dune apocalypse lautre, Paris, Union Gnrale dditions, 1976.28. Georg Lukcs, Grandeur et dcadence de lexpressionnisme (1934), in G. Lukcs, Problmes du ralisme, trad. Cl. Prvost et J. Gugan, Paris, LArche ditions, 1975, pp. 41-83.29. Sur ce dbat, voir Jean-Marc Lachaud, Bertolt Brecht, Georg Lukcs, questions sur le ralisme, Paris, ditions Anthropos, 1981 (1989 pour la seconde dition).30. Ceux-ci sont rassembls sous le titre Sur le ralisme (B. Brecht, crits sur la littrature et lart, vol. ii, trad. A. Gisselbrecht, Paris, LArche ditions, 1970).31. Ibid., pp. 82-86.32. Georg Lukcs, Problmes du ralisme, op. cit., pp. 243-273.

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    ment walter Benjamin33, ernst Bloch34 ou anna seghers35 danalyser la porte critique de formes nouvelles (celle du thtre pique brechtien, des photomontages de John heartfield ou des romans de James Joyce et de John dos Passos, par exemple). Face Brecht, qui en appelle sans a priori formels lapplication des mthodes du matrialisme dialectique la reprsentation de la ralit et lefficacit esthtique et politique de lart (en fait au caractre opratoire de lart), lukcs, combattant dans le champ littraire les tendances naturalistes (celles de gustave Flaubert et dmile Zola) et modernistes (celles de Kafka et de Beckett), sans cepen-dant accepter les rgles du ralisme socialiste sovitique, dveloppe dans de nombreux textes les fondements de sa thorie du grand ralisme . Pour lukcs, toute uvre doit prendre sens dans le dploiement extrme des possibilits qui sy cachent, dans cette reprsentation extrme des extrmes qui concrtise en mme temps le sommet et les limites de la totalit de lhomme et de la priode 36. lukcs ne nie pas la particularit du fait es-thtique et ne propose pas une simplificatrice thorie du reflet. le grand ralisme relve dune esthtique du dvoilement de lessence de la ralit. dans Le Roman historique, il crit ainsi que lart doit rvler la totalit dune phase de lvolution historique de la socit humaine 37. Contre la rigidit des analyses lukcsiennes centres sur un mode dcriture histo-riquement dtermin, Brecht rpond sans ambigut et avec justesse que chaque uvre doit tre juge selon le degr de ralit quelle arrive saisir dans chaque cas concret, et non selon son degr de conformit un modle historique prtabli !

    un art Militant ?luvre de ce mme Brecht illustre, de manire exemplaire, une voie

    singulire au cur des enjeux de linscription des pratiques artistiques dans le marxisme (et non plus de la ou des lecture(s) marxiste(s) de lart). ses pices tmoignent toutes dun projet ouvertement militant. Cette participation directe de luvre aux luttes du prsent semble sopposer laffirmation dengels dans une lettre fameuse Mina Kautsky, propos de son roman Les Vieux et les nouveaux : la tendance, crivait-il, doit ressortir de la situation et de laction elles-mmes, sans quelle soit explicitement formule 38. Cette recommandation parat refuser linscription frontale et

    33. Voir, par exemple, ses textes sur Le Surralisme (op. cit.) et sur le thtre brechtien (W. Benjamin, Essais sur Brecht, trad. Ph. ivernel, La Fabrique ditions, 2003).34. Ernst Bloch, Hritage de ce temps, op. cit.35. Des extraits de la correspondance entre A. Seghers et Lukcs sont publis dans G. Lukcs, Problmes du ralisme, op. cit., pp. 274-306.36. Georg Lukcs, Prface , in G. Lukcs, Balzac et le ralisme franais (textes crits en 1934-1935 et runis en 1951), trad. P. Lavau, Paris, ditions Maspro, 1973, p. 9.37. Georg Lukcs, Le Roman historique (1937), trad. R. Sailley, Paris, ditions Payot, 1965, pp. 100-101.38. F. Engels, Lettre Mina Kautsky du 26 novembre 1885 , repris dans K. Marx, F. Engels, Sur la littrature et lart, op. cit., p. 145.

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    explicite de lart dans la politique, soit un art au service dune orientation. de nombreuses uvres, dans toute la diversit de leurs formes, ont pour-tant revendiqu la possible fonction de lart dans les luttes. dterminer cette fonction, ses limites, son efficace sera dailleurs lenjeu de dbats permanents tout autant que la possibilit dappeler art ces formes qui se refusent lart pur , lart pour lart . trois griefs rcurrents leur sont adresss. adorno, dans un article consacr la notion dengagement popularise par sartre en 1948 dans Quest-ce que la littrature ? soutient que [l]art ne consiste pas mettre en avant des alternatives, mais rsister, par la forme et rien dautre, contre le cours du monde qui continue de menacer les hommes comme un pistolet appuy contre leur poitrine 39. Cette affirmation trace les perspectives politiques de lart, rsistantes (non programmatiques) et formelles. il sera en effet reproch ces uvres de sacrifier la forme au profit du seul contenu , voire de se rduire, pour reprendre lexpression parlante et dprciative de Mikel dufrenne, ntre qu une esthtique du contenu 40. affirmations qui tendent cliver arti-ficiellement forme/contenu (l o les avant-gardes sovitiques proposeront une triade bien plus productive : matriau/technique/fonction ) et dnier lart militant toute valeur et tout intrt artistique. un deuxime axe se mfie dun possible embrigadement de lart . et, effectivement, cet art militant est envisager diffremment suivant quil ressort dune injonction tatique ou dun choix dlibr des crateurs, do limportance de la proclamation de trotsky, rivera et Breton, en 1938, en rsistance au stalinisme : le libre choix de ces thmes et la non-restriction absolue en ce qui concerne le champ de son exploration constituent pour lartiste un bien quil est en droit de revendiquer comme inalinable. en matire de cration artistique, il importe essentiellement que limagination chappe toute contrainte, ne se laisse sous aucun prtexte imposer de filire 41. on trouvera dans le texte polmique du pote rvolutionnaire surraliste Benjamin Pret, Le dshonneur des potes, en 1943, une semblable dfense de la libert du pome, radicalise. il sagit de le soustraire la politique, conditions de sa posie, conditions de son apport lmancipation : [] de tout pome authentique schappe un souffle de libert entire et agis-sante, mme si cette libert nest pas voque sous son aspect politique ou social et, par l, contribue la libration effective de lhomme 42. on retrouve l le troisime grand reproche fait luvre militante : son inutilit en regard de la perspective rvolutionnaire, son incapacit produire quel-que effet politique. Ce reproche, un peu outr, sappuie juste titre sur une

    39. theodor W. Adorno, Notes sur la littrature, trad. S. Muller, Paris, ditions Flammarion, 1984, p. 289.40. Mikel Dufrenne, Art et politique, UGE, collection 10-18 , Paris, 1974, p. 163.41. L. trotsky, Pour un art rvolutionnaire indpendant , op. cit., p. 496.42. Benjamin Pret, le Dshonneur des potes, Paris, ditions Mille et une nuits, 1996, p. 19.

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    observation : lart le plus explicite nest pas ncessairement le plus radical, le plus productif. de grandes uvres dun abord apparemment apolitique ont peut-tre plus contribu lmancipation que dautres ouvertement militantes. Bien souvent, les rflexions sur lesthtique menes par les auteurs classiques du marxisme portent sur des grandes uvres rtives lexpression trop explicite dun parti pris politique. Ces trois reproches sont, en partie, fonds. ils passent outre cependant la richesse des propo-sitions artistiques se rclamant dun art directement intervenant. Celui-ci interroge au premier chef la fonction de lart. qui sert-il ? les rflexions et les affirmations qui sensuivent sont toutes historiciser. les dbats in-tenses qui animaient le Front gauche de lart (leF) dans la jeune union sovitique sont invitablement diffrents de ceux qui, dans les annes 1970, se mnent en France, notamment dans le sillage de la rvolution culturelle chinoise. quoi sert lart et qui ? et comment peut-on trans-former sa fonction sociale actuelle ? telle sera lune des questions cruciales poses par des artistes qui deviennent les thoriciens de leurs pratiques : sergue M. eisenstein, dziga vertov, J. heartfield, georg grosz, B. Brecht, Cinthique, Jean-luc godard, andr Benedetto, etc. lart militant ne se laisse pas saisir de manire homogne : il est divers dans ses orientations, ses fonctions, ses formes.

    art et utoPieil serait absurde de prtendre que lart puisse lui seul bouleverser

    lordre tabli. Cependant, en dnonant linsupportable et en traant les contours alatoires dautres horizons, en plongeant lindividu au cur dune exprience au sein de laquelle peuvent tre rveills ou activs din-souponnables aspirations et dsirs, certaines uvres ont incontestablement le pouvoir, comme le soutient herbert Marcuse, de changer la conscience et les pulsions des hommes et des femmes , lesquel(le)s pourraient changer le monde.

    en correspondance avec les luttes mancipatrices du xxe sicle, les thoriciens sinspirant des crits de Marx insistent sur les potentialits critiques et utopiques des productions artistiques et littraires. Pour ernst Bloch, lart est un laboratoire au sein duquel, partir de quelques frag-ments de la ralit empirique, sont esquisss les contours hypothtiques du non-encore-l. ny a-t-il pas encore, comme il lcrit, une plnitude de rves non encore raliss ? Pour lauteur du Principe Esprance, thori-cien dune esthtique de lanticipation, les images-souhaits de lart et de la littrature, dposes au cur de lici et du maintenant, videmment dans lattente dtre ventuellement concrtises, sont autant de traces fcondes

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    et dclats fulgurants constituant une utopie concrte43. les uvres, au sein desquelles se manifeste le pr-apparatre dun monde accompli , relvent ainsi dune illusion fonde 44. des uvres telles que le roman de Joyce, Ulysse, les collages surralistes ou les pices de Brecht (ce lniniste du thtre ), forment de nouveaux passages travers les choses et exposent quelque chose de trs lointain jusqu maintenant 45. dans sa Thorie esthtique46, Theodor w. adorno (qui rejette par ailleurs violemment lide dun art infod au politique47) insiste sur la puissance ngative de lart48. tout en tant un fait social , par son autonomie et par le dploiement de sa forme irrductible, luvre chappe lemprise du monde adminis-tr. lart, ds lors asocial , incarne la ngation dtermine de la socit dtermine . il sagit donc dinterprter le contenu de vrit de luvre et darracher la promesse enfouie du bonheur qui sy loge (parfois de ma-nire paradoxale, puisquadorno, propos des uvres de Paul Celan et de Beckett, constate que lespoir ne peut plus tre cherch que dans les figures de la mort ou dans celles du nant 49).

    de son ct, par sa pratique du thtre documentaire50 et dans sa re-marquable Esthtique de la rsistance51, Peter weiss soutient que lart nous arrache le sol sous les pieds et, ainsi, creuse de librateurs passages au sein du monde rel. quant herbert Marcuse, dans La dimension esthtique 52, il dnonce avec vigueur les approches marxistes orthodoxes des questions esthtiques (les propositions de ernst Fischer53, faisant lloge de limagi-nation, dveloppant lide de contraste, dfendant les uvres de Kafka, de vclav havel et dalexandre i. soljenitsyne, vont dans le mme sens) et crit que cest dans la forme esthtique en tant que telle que doit tre repr le potentiel politique de lart 54. Pour lui, lart a donc la facult de dcliner, sous de multiples formes, une promesse de libration . analysant la force ngative-affirmative qui sexprime au cur de la sphre esthtico-rotique, attentif par exemple aux productions de la contre-culture (la posie de la

    43. Ernst Bloch, Le Principe Esprance, volume ii, trad. Fr. Wuilmart, Paris, ditions Gallimard, 1982, pp. 417-469. Sur la vie et luvre de Bloch, voir louvrage dArno Mnster, Lutopie concrte dErnst Bloch, Paris, ditions Kim, 2001.44. Ernst Bloch, Le Principe Esprance, volume i, trad. Fr. Wuilmart, Paris, ditions Gallimard, 1976, p. 261.45. Ernst Bloch, Hritage de ce temps, op. cit., p. 210.46. theodor W. Adorno, Thorie esthtique, trad. M. Jimenez, Paris, ditions Klincksieck, 1974.47. theodor W. Adorno, Engagement , op. cit., pp. 285-306.48. Voir Marc Jimenez, Vers une esthtique ngative. Adorno et la modernit, Paris, ditions du Sycomore, 1983. Si la question de lutopie est aborde par Adorno, la position de celui-ci se dmarque nanmoins de la philosophie de l utopie concrte de Ernst Bloch et de la posture messianique adopte par Walter Benjamin.49. theodor W. Adorno, Notes sur Beckett, trad. Chr. David, Caen, ditions NoUS, 2008, pp. 152-153.50. Voir Jean-Marc Lachaud, Peter Weiss : thtre documentaire et esthtique de la rsistance , in Art, culture et politique, ouvrage collectif sous la direction de J.-M. Lachaud, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, pp. 121-138.51. Peter Weiss, Esthtique de la rsistance, trois volumes, trad. E. Kaufkolz-Messmer, Paris, ditions Klincksieck, 1989-1992/1993.52. Herbert Marcuse, La Dimension esthtique, trad. D. Coste, Paris, ditions du Seuil, 1979.53. Ernst Fischer, la recherche de la ralit (contribution une esthtique marxiste moderne), trad. J.-P. Lebrave et J.-P. Lefbvre, Paris, ditions Denol-Dossiers Lettres Nouvelles, 1970.54. Herbert Marcuse, La Dimension esthtique, op. cit., p. 9.

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    Beat Generation, la pratique du Living Theatre), Marcuse affirme quune esthtique du grand refus peut encore, malgr tout, se manifester au sein des socits rpressives.

    Mais quen est-il aujourdhui de la puissance critique et utopique de lart ? lart, happ par un processus de marchandisation-spectacularisation gnralis et intgr dans un consensuel tout culturel peut-il encore dployer un langage polmique et esquisser les possibles-impossibles chers henri lefebvre ? en rfrence au questionnement politique de stathis Kouvlakis, citant Bloch et Fredric Jameson et se demandant sil y a une vie aprs le capitalisme , nous devons en effet, dans une conjoncture anti-utopienne , questionner la capacit de lart montrer ce quil y a dintolrable [] dans notre prsent et ouvrir une exprience, un sens du futur 55.

    art et ManCiPationavec leffondrement suppos des grands rcits , le triomphe actuel du

    nolibralisme lchelle plantaire et les hsitations thoriques et pratiques quant la formulation de pistes nouvelles pour une perspective alternative, le temps des utopies politiques et esthtiques semble suspendu. ds lors, demande Jacques rancire, voquant les prtentions de lart de la modernit, quarrive-t-il lart critique lorsque [l]horizon dissensuel a perdu son vi-dence ? que lui arrive-t-il dans le contexte contemporain du consensus ? 56

    Certes, certaines postures actuelles adoptent, bien souvent sous couvert de subversion, les valeurs dominantes de lair du temps (narcissisme, divertis-sement, March)57, tandis que dautres, en mettant par exemple en scne les exclus et les victimes58 et en voulant recrer du lien social, participent au tournant thique de lesthtique repr par J. rancire59. Ces pratiques artis-tiques ont valeur de symptme. tout autant que lidalisme qui rgne en matre dans la sphre esthtique et les approches critiques.

    au regard de ltat du monde, la question de lmancipation reste cepen-dant, dans lurgence, pose. Mais le milieu des arts et de la littrature (plus que jamais administr et soumis limpratif de la rentabilit) est-il ou peut-il tre encore aujourdhui concern par une telle problmatique ? les artistes et les crivains souhaitent-ils ou peuvent-ils encore proposer une esthtique

    55. Stathis Kouvlakis, Aprs le capitalisme, la vie ! , in Y a-t-il une vie aprs le capitalisme ?, textes rassembls par Stathis Kouvlakis, Pantin, Le temps des Cerises ditions, 2008, pp. 20-21.56. Jacques Rancire, Le spectateur mancip, Paris, La Fabrique ditions, 2008, p. 75.57. Ce que montre, propos des arts plastiques, lessai de Dominique Baqu, Pour un nouvel art politique, Paris, ditions Flamma-rion, 2004.58. Voir, par exemple, larticle critique dolivier Neveux, Ltat de victime. Quelques corps dans la scne thtrale contemporaine , Actuel Marx, n 41, 2007.59. Jacques Rancire, Malaise dans lesthtique, Paris, ditons Galile, 2004. Dans cet ouvrage, lauteur voque un tournant thique de lesthtique.

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    du choc et de la dissonance, de la confrontation et de la division60, comme certains le revendiquent pourtant nouveau (en proposant des formes et des stratgies performances mettant en jeu le corps, usage des nouvelles technologies et confrontation lunivers de la science, cration de rseaux, infiltration du systme et recours linvisibilit qui mritent dtre soumises une srieuse et lucide valuation) ? et au-del, les organisations marxistes ou progressistes, les penses mancipatrices contemporaines qui se reconstruisent intgreront-elles les questions esthtiques, artistiques et cultu-relles leurs rflexions et perspectives programmatiques ?

    Malgr tout, lide que lart, directement ou non, puisse, sa manire, singulire, tre un instrument de lmancipation redevient une ide neuve. le renouveau visible des luttes dans le sillage, notamment, de laltermondia-lisme, a ractiv nombre dinterrogations sur la puissance et la capacit de la cration (et les possibilits offertes par internet redistribuent les possibilits dagit-prop). Comme souvent dans le sicle prcdent, sinventent ainsi, dans lignorance de ce qui a prcd, des formes bien souvent similaires celles dj proposes dans dautres conjonctures. limportance vrifie du Thtre de lopprim, propos et conceptualis par le metteur en scne brsilien augusto Boal61 dans les annes 1970 en est, par exemple, lun des plus forts tmoigna-ges. Ce thtre, issu des luttes des peuples sud-amricains et de la Pdagogie des opprims de Paulo Freire, qui refuse la sparation acteur/spectateur et qui inscrit explicitement son existence dans la ncessaire transformation du monde, resurgit et l, en inde, au Brsil, au Burkina, en europe, sous des formes et des noms divers. Pour autant, cette forme de thtre critique du thtre, instrument des opprims, nest pas un bgaiement de lhistoire. elle est rinvente, utilise par des mouvements nouveaux aux structures et aux projets plus ou moins neufs, et, ce titre, en partie indite.

    Contrairement, donc, ce qui fut assn, depuis les annes 1980, lart nest sans doute pas inluctablement vou produire de la beaut pure et dcorative et se complaire de manire dsintresse dans linsouciance du divertissement. les luttes venir prciseront ce que pourront tre, dans un autre contexte, sa fonction et sa valeur. il est encore trop tt pour en fixer les principales lignes. seule certitude : l idologie esthtique marque le pas et, dans la confusion, la diversit, lopacit, mergent des formes et des rflexions qui sinscrivent dans lhistoire dj longue et riche des articulations entre les arts et lmancipation politique. n

    60. De nombreux ouvrages rcents abordent nanmoins la question des relations entre art et politique, notamment : Art et politique (ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marc Lachaud, Paris, ditions LHarmattan, 2006), Esthtique et politique (dossier dirig par Christian Ruby, Raison prsente, n 156, 2006), Arts et pouvoir (ouvrage collectif sous la direction de Marc Jimenez, Paris, ditions Klincksieck/LUniversit des arts, 2007), De lart contextuel aux nouvelles pratiques documentaires : les formes contempo-raines de lart engag (ouvrage collectif sous la direction dric Van Essche, Bruxelles, La Lettre vole diteur, 2007), La fonction critique de lart (ouvrage collectif sous la direction de Evelyne toussaint, Bruxelles, La Lettre vole diteur, paratre) et Changer lart/Transformer la socit. Art et politique 2, op. cit.61. A. Boal, Thtre de lopprim, Paris, Librairie Franois Maspero, Petite Collection Maspero , 1977.

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