Aristote et la réforme monétaire de Solon

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Paul Noyen Aristote et la réforme monétaire de Solon In: L'antiquité classique, Tome 26, fasc. 1, 1957. pp. 136-141. Résumé Le chapitre X de la « Constitution d'Athènes » d'Aristote, traitant de la réforme monétaire de Solon, devient parfaitement intelligible à la lumière de quelques données numismatiques. Premièrement, la mine euboïco-attique, divisée en 100 drachmes, équivalait à 73,5 drachmes de la mine éginétique, qui comptait seulement 70 drachmes. Deuxièmement, la talent euboïco-attique correspondait à 63 mines éginétiques. Citer ce document / Cite this document : Noyen Paul. Aristote et la réforme monétaire de Solon. In: L'antiquité classique, Tome 26, fasc. 1, 1957. pp. 136-141. doi : 10.3406/antiq.1957.3313 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antiq_0770-2817_1957_num_26_1_3313

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Aristote et la réforme monétaire de Solon.

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  • Paul Noyen

    Aristote et la rforme montaire de SolonIn: L'antiquit classique, Tome 26, fasc. 1, 1957. pp. 136-141.

    RsumLe chapitre X de la Constitution d'Athnes d'Aristote, traitant de la rforme montaire de Solon, devient parfaitementintelligible la lumire de quelques donnes numismatiques. Premirement, la mine euboco-attique, divise en 100 drachmes,quivalait 73,5 drachmes de la mine gintique, qui comptait seulement 70 drachmes. Deuximement, la talent euboco-attiquecorrespondait 63 mines gintiques.

    Citer ce document / Cite this document :

    Noyen Paul. Aristote et la rforme montaire de Solon. In: L'antiquit classique, Tome 26, fasc. 1, 1957. pp. 136-141.

    doi : 10.3406/antiq.1957.3313

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antiq_0770-2817_1957_num_26_1_3313

  • MLANGES - VARIA

    ARISTOTE ET LA RFORME MONETAIRE DE SOLON

    par P. Noyen

    Le chapitre X de la Constitution d'Athnes , traitant de la montaire de Solon, reste encore toujours un des passages

    les plus obscurs et, partant, les plus discuts de l'ouvrage consacr par le philosophe de Stagire l'histoire constitutionnelle d'Athnes. En effet, pour les uns Q), l'aspect technique propre aux procds d'interchangibilit de numraires d'talon diffrent, rsultant de l'innovation du sage d'Athnes, innovation que nous voudrions

    de capitale eu gard l'expansion conomique subsquente, aurait compltement chapp aux investigations d'Aristote, qui se serait par consquent dbarrass par un expos vague d'un problme dont seuls les traits gnraux lui taient acquis (2). D'autres, diteurs et commentateurs (3), proposent de changer le texte et estiment mme que c'est l le seul moyen de rendre intelligible le chapitre en question. D'autres encore et ils sont les plus nombreux vitent de toucher au fond mme d'un problme considr comme insoluble (4).

    De la diversit de ces avis, dont nous n'avons retenu que les plus reprsentatifs et les plus autoriss, se dgage indiscutablement

    que le chapitre X de la Constitution d'Athnes , tel qu'il

    (1) F. E. Adcock, Cambridge Ancient History, vol. IV, p. 134. G. Busolt, Griechische Geschichte, 2, IL p. 263, . 1.

    (2) II est remarquer que ce jugement n'implique pas une dprciation de la valeur d'Aristote comme historien. En effet, on sait qu'au moment o Aris- tote rdigeait son Athenaion Politeia (fin du ive sicle), il ne pouvait plus

    les contenant les lois de Solon. Et mme, s'il avait pu le faire, il faut croire qu'il en serait rsult peu de profit pour son uvre. Un sicle plus tt, une commission spcialement dsigne pour tudier la patria con- stitutio de Solon d'aprs les textes des , n'tait pas parvenue

    honorablement de sa tche. Il faut en conclure que les ne donnaient qu'une ide fragmentaire de la nouvelle constitution de Solon.

    (3) F. G. Kenyon, qui en 1891 donna la premire dition de .. Cf. J. E. Sandys, Aristotle's Constitution of Athens, London 1912, p. 40.

    (4) Ch. Seltman, Greek Coins, London 1933, p. 44 et sv. ; G. Mathieu et . Haussoullier, Aristote, Constitution d'Athnes, Paris 1952, coll. G. Bud, p. 10.

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    nous a t transmis et tel qu'il a t expliqu jusqu'ici, pose un irritant auquel l'historien n'est pas parvenu donner une

    solution plausible. C'est pour cette raison que nous allons l'aborder ici avec l'aide de la numismatique. En effet, il nous semble que l'on peut interprter le passage discut de telle faon qu'il constitue un ensemble bien ordonn et logiquement conu dont les moindres

    techniques trouvent leur justification mathmatique. Exposer cette interprtation et tcher de convaincre le lecteur de son bien- fond, sera le sujet de la prsente tude.

    Voici d'abord le texte et la traduction du chapitre X de . P. (x) :

    , . 2 ' , , , . * ' . , .

    Voil donc, semble-t-il, quelles sont les mesures dans les lois de Solon. L'abolition des dettes avait

    la lgislation ; l'augmentation des mesures, poids et la suivit. Car c'est sous Solon que les mesures furent

    rendues plus grandes que celles de Phidon et que la mine, qui comptait auparavant soixante-dix drachmes, fut porte cent. L'ancien type de monnaie tait la pice de deux drachmes. Solon tablit aussi des poids en rapport avec la monnaie,

    mines pesant un talent : les trois mines furent entre les statres et les autres units divisionnaires .

    Nous croyons que dans ses grandes lignes, l'ordre des ides et secondaires, exprimes dans le chapitre X de A. P., se

    laisse prciser comme suit. Tout d'abord, Aristote tient nous qu'aprs sa lgislation, Solon a introduit en Attique une

    rforme des mesures, des poids et de la monnaie (2), cette rforme en l'occurrence, une plus-value au systme mtrologique

    existant.

    (1) G. Matthieu et B. Haussoullier, o. c. (2) D'une faon gnrale, toute rforme montaire entrane automatiquement

    un changement dans le systme des poids et des mesures, vu la relation naturelle et trs troite existant entre la monnaie, le poids et la mesure antiques. Le mot signifiait l'origine une poigne de mtal ou d'une autre

    quelconque, le mot rappelle l'arrt () de la balance. latine pour payer est pender (peser). Les termes uncia, mine, talent,

    shekel, dsignant des monnaies ou des valeurs montaires, taient galement employs comme dnominations pondrales.

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    Cet nonc gnral au sujet de la rforme montaire, Aristote maintenant par deux mesures concrtes prises par Solon.

    En premier lieu, l'augmentation des mesures par rapport celles de Phidon, la mine tant porte de soixante-dix cent drachmes. En second lieu l'adaptation des poids la monnaie, soixante-trois mines pesant un talent.

    Avant d'aborder l'tude de ces textes, exposons brivement la signification fondamentale et la porte pratique des rformes

    soloniennes. Grce l'tude de Th. Mommsen (*), il ne fait plus de doute pour personne que Solon a substitu, en Attique, l'talon montaire gintique l'talon euboco-attique. On se

    qu'avant Solon, aussi bien en Attique que dans la presque totalit du Ploponnse, circulait exclusivement un numraire bas sur l'talon gintique, l'exemple des tortues d'gine, qui

    t les premires pices grecques frappes vers 700 av. J. C. par Phidon d' Argos. Confirmation nous en est donne par les

    numismatiques prouvant que la premire frappe de monnaie athnienne date du temps de Solon et que cette mission relve du systme euboco-attique. Il est clair aussi que le but, assign par Solon sa rforme montaire, visait avant tout l'affranchissement conomique de sa patrie vis--vis du commerce d'gine et

    des relations commerciales d'Athnes avec l'Eube, Corinthe et Samos. L'panouissement conomique d'Athnes qui alla en s'am- plifiant au cours du vie sicle, est d en grande partie la politique raliste de l'homme d'affaires que fut avant tout Solon. Mais ces considrations gnrales dpasseraient le cadre de cette tude. Nous voulons seulement attirer l'attention sur le fait que les deux talons montaires dont nous avons parl plus haut, existaient encore au temps d'Aristote et que par consquent ce dernier savait parfaitement bien de quoi il s'agissait.

    Examinons maintenant la premire mesure montaire nonce dans le texte. Quand Aristote parle d'une mine, qui auparavant comptait 70 drachmes, il ne peut s'agir que de la mine gintique qui, avant la rforme de Solon, tait la seule connue sur les marchs at- tiques. Mais ce serait une erreur grave que de penser, comme on ferait volontiers aprs une premire lecture, que dans ce mme texte Aristote veut nous faire accroire que 70 drachmes gintiques

    100 drachmes nouvelles, c.--d. euboco-attiques, alors que nous savons, grce aux recherches numismatiques, corrobores par le tmoignage d'Androtion (2), que le change tait en ralit d'environ

    (1) Rmisches Mnzwesen, p. 43 et sv. (2) Chez Plutarque, Solon, 15. Androtion ou Plutarque parat avoir laiss

    tomber le chiffre dcimal.

    Nous tenons remercier ici M. Hombert d'avoir attir notre attention sur un article de Th. Reinach (Zu Androtion Fr. 40, Hermes LXIII, 1928, pp. 238-

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    73,5 drachmes gintiques pour 100 drachmes euboco-attiques. Il sera montr plus loin que ce change tait connu d'Aristote. Nous sommes convaincu qu'il faut entendre ici que Solon a simplement remplac l'ancienne mine gintique, qui comptait 70 drachmes, par la nouvelle mine euboco-attique de 100 drachmes. Seulement cette assertion se heurte de front aux donnes lmentaires de la

    ancienne, nous enseignant que la mine de n'importe quel talon montaire grec est compose invariablement de 100 drachmes. Et pourtant, un aperu des articles ce sujet dans la Real-Encyclopdie nous prouve quel point nos connaissances dans ce domaine sont encore sujettes caution (x). C'est pourquoi nous avons adopt la thse de Beloch qui, aprs De Sanctis (2), a suggr l'appui

    fonds (3), que la mine gintique aurait compt, non 100

    240) qui, de faon aussi ingnieuse que sduisante, a fait disparatre la existant entre le tmoignage d'Aristote concernant la mine pr-solo-

    nienne et celui d'Androtion. Grce une correction parfaitement justifiable, mais qui n'en reste pas moins une correction, Th. Reinach est parvenu faire dire Androtion que la mine gintique comptait 70 drachmes (' ), comme il nous est rapport par Aristote. Mais, est-ce bien l ce que veut dire l'attidographe ?

    Existe-t-il rellement une contradiction entre les deux textes? A premire vue, sans le moindre doute. Mais il s'agit ici, comme nous l'avons dj fait remarquer, de deux apprciations d'un ordre diffrent, de deux valuations de la mine pr-solonienne, l'une par rapport sa propre division en drachmes gintiques (70), l'autre par rapport la nouvelle drachme solonienne(73). Ainsi, Aristote nous apprend que l'ancienne mine gintique, divise en 70 drachmes fut remplace par la nouvelle mine, divise en 100 drachmes. Androtion de son ct, nous fait connatre la valeur de ces deux mines, l'une par rapport l'autre (73 drachmes gintiques = 100 drachmes euboco-attiques). Ce taux de change tait naturellement connu d'Aristote aussi, comme il sera dmontr plus loin. Par consquent, les tmoignages d'Aristote et d'Androtion se compltent au lieu de se contredire et il n'existe aucune raison pour adopter la correction de Th. Reinach.

    (1) Art. Mv R.E. XV, 2, col. 2245. Die metrologischen Artikel der R.E., sich auf vier Jahrzehnte verteilend, und von Hultsch, Lehmann-Haupt, Viede- bannt u.a. verfaszt, zeigen wie grosz auf diesem Gebiete noch die Unsicherheit unserer Erkenntnis ist.

    (2) K. J. Beloch, Griechische Geschichte, 1, 2, p. 335 et sv. ; G. De Sanctis, Atthis, p. 222 et sv.

    (3) Vu leur importance pour la prsente tude, nous faisons suivre ici les documents l'appui de la thse de Beloch.

    a) Des comptes de Delphes datant du milieu du ive sicle av. J.-C, nous font connatre une mine, correspondant approximativement la mine euboco- attique et divise en 35 statres ou 70 drachmes (Bull. Corr. hell. XX, 1896, p. 197).

    b) Dans un acte d'affranchissement de Delphes, datant de la seconde moiti

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    drachmes, comme la mine euboco-attique, mais 70 drachmes. Ce de 70 drachmes nous semble d'autant plus exact qu'il rend

    significatif et cohrent le texte d'Aristote et qu'il se trouve corrobor par quelques simples calculs montaires. Ainsi donc,

    mine (gintique) fut remplace par Solon par la nouvelle mine (euboco-attique). Autrement dit, 70 drachmes gintiques

    remplaces par 100 drachmes euboco-attiques. Substituons maintenant ces drachmes leur poids respectif, afin de connatre la relation exacte existant entre ces deux valeurs. Pour ce faire, nous prenons comme poids de la drachme gintique 5,97 gr. et comme poids de la drachme euboco-attique 4,37 gr, ces chiffres nous tant indiqus par les dcouvertes numismatiques i1).

    Nous obtenons ainsi : 100 dr. ou 1 mine eub.-att. : 4,37 gr. 100 = 437 gr. 70 dr. ou 1 mine g. : 5,97 gr. 70 = 417,9 gr.

    19,1 gr. (2) Comme on le voit, la diffrence est de 19,1 gr. soit environ 3,5

    gintiques. Il s'en suit donc que 100 dr. eub.-att. = 73,5 dr. gin., quivalence qui est rapporte par Androtion et qui sera

    atteste, comme nous le verrons, par Aristote mme dans le texte suivant.

    La seconde mesure montaire de Solon (3) soulve de plus grandes difficults et le texte d'Aristote ce sujet a mme paru d'aucuns

    du ne sicle av. J.C., il est galement question d'une mine compose de 70 (Bull. Corr. hell. ibid. p. 385).

    c) Dans une inscription de Delphes de la fin du ve sicle av. J.-C. nous lisons que les sommes consacres la toilette des morts et l'embellissement de la tombe, ne peuvent pas dpasser 35 drachmes (Ditt. Syll. 2, 438). Ce chiffre peut s'expliquer comme tant le montant d'une demi-mine.

    d) Un acte d'affranchissement d'Orchomne, en Arcadie, nous apprend que la taxe est porte de 1/2 mine 8 3/4 statres. Ce dernier montant correspond exactement 1/4 mine (la mine tant de 70 drachmes, 8 3/4 statres = 17,5

    ou 1/4 mine). L'talon gintique ayant cours dans presque tout le Ploponnse, nous

    pouvons en conclure que dans les documents cits il est question de la mine gintique comptant 70 drachmes.

    (1) Ces poids sont bass, d'une part sur un poids montaire de 59,7 gr. gine et ayant servi contrler le poids exact des dcadrachmes g.,

    d'autre part sur une des plus anciennes drachmes athniennes, conserve au British Museum et datant de l'poque du premier monnayage athnien.

    (2) On ne peut pas s'attendre trouver des chiffres rigoureusement exacts, les mmes pices anciennes n'ayant, pour ainsi dire, jamais exactement le mme poids.

    (3) Pour le texte, voir p. 137.

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    dnu de tout sens. En effet, il y est question d'un talent valant 63 mines, alors que tout talent est invariablement compos de 60 mines. L'explication qu'il faut donner la rforme des poids nous semble tre la suivante. Solon, ayant introduit en Attique une nouvelle mine contenant, ainsi que nous venons de le voir, plus de mtal

    que l'ancienne, devait ncessairement adapter les poids sa nouvelle monnaie, s'il ne voulait pas dvaluer cette En effet, une augmentation d'argent contenue dans la

    mine, auraient correspondu des poids inchangs, et les auraient eu payer plus cher une mme marchandise. Or, il

    ne faut pas croire qu'Aristote tait ignorant au point de prtendre que le nouveau talent contenait 63 mines. Il ajoute d'ailleurs que l'excdent de 3 mines fut rparti entre le statre et les autres poids. Ce qu'Aristote veut dire, c'est que le nouveau talent, bas sur la nouvelle mine, quivalait 63 anciennes mines gintiques.

    ainsi, les mots d'Aristote deviennent parfaitement clairs et sont justifis par le calcul suivant.

    1 nouveau talent = 60 mines eub.-att. = 63 mines gin. ou : 1 nouveau talent = 6.000 dr. eub.-att. = 4410 dr. gin.

    Il s'en suit que 100 dr. eub.-att. = 73,5 dr. gin., ce qui prouve qu'Aristote connaissait, comme nous l'avons dit plus haut, le taux de convertibilit des drachmes euboco-attiques et gintiques.

    Si nous exprimons maintenant la valeur des talents euboco-attique et gintique en drachmes gintiques, nous obtenons l'ingalit

    : 1 talent eub.-att. = 70 dr. 63 = 4410 dr. gin 1 talent gin. = 70 dr. X 60 = 4200 dr. gin.

    210 dr. g. ou 3 mines g. La diffrence est donc exactement de 3 mines, comme nous l'a

    appris Aristote. Ces rsultats sont confirms par la preuve numismatique. 1 talent eub.-att. = = 4,37 gr. 6.000 = 26.220 gr. 1 talent gin. = 5,97 gr. 4.200 = 25.074 gr.

    1.146 gr. c.--d. 3 mines gintiques.

    Qu'il nous soit permis de tirer de ces calculs et considrations une conclusion caractre plus gnral. Ce sera la suivante.

    Le philologue, quand il se trouvera devant un texte obscur devra, avant de se hasarder changer la tradition crite, puiser

    toutes les ressources de l'interprtation.

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