Argent de la drogue: blanchiment et mondialisation financière

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E n mai 2010, une opération baptisée Shovel, réalisée avec Europol et Eurojust 1 , a fourni une illustration accomplie de la coopération policière eu- ropéenne en matière de détection des avoirs d’une organisation criminelle, mais surtout des proportions énormes, en termes financiers, que pouvait prendre le déploiement d’un groupe criminel orga- nisé impliqué dans les trafics de drogues (cannabis, cocaïne). Cette opération, lancée simultanément en Espagne, en Irlande et en Grande-Bretagne, a mobi- lisé près de sept cents enquêteurs et dé- bouché sur l’arrestation de trente-huit malfaiteurs chevronnés, la saisie de soixante propriétés de luxe sur la côte espagnole (Costa del Sol), ainsi que de vingt-cinq véhicules sans omettre les cent quatre-vingts comptes bancaires gelés. Ce groupe criminel, dont le noyau était com- posé d’une famille irlandaise, disposait de connexions nombreuses, dans une ving- taine de pays. Les enquêteurs espagnols ont mis au jour l’existence de près de deux cents sociétés d’import-export utilisées pour faire circuler l’argent provenant du business criminel. L’essentiel des fonds était investi dans le secteur de l’immobi- lier et de la construction sur la Costa del Sol et en d’autres lieux tels que le Brésil, où le réseau détenait six complexes tou- ristiques et des résidences de luxe. Cependant, d’autres secteurs étaient visés, à l’instar des énergies renouvelables, du recyclage, des télécommunications et des activités de loisirs. Seconde affaire, tout aussi significative bien que se situant sur une moindre échelle : l’opération réalisée en 2005 à Roubaix par les services de police français à la faveur de l’arrestation de deux indivi- dus porteurs de 69 000 en espèces, qui déclenche une procédure dite de « non justification de ressources 2 » et permet de mettre au jour un réseau de trafic de stupé- fiants dirigé par deux familles. Cinquante kilos de résine de cannabis et 10 000 sont saisis lors d’une perquisition, à l’issue de laquelle trois individus sont écroués. Cette enquête révélait une inadéquation entre les ressources déclarées des membres de ces familles et le patrimoine dont ils disposaient (biens immobiliers en Belgique, un compte bancaire doté de 90 000 et un autre de 35 000 ). EN PRÉAMBULE Vous avez été nombreux à prendre connaissance du premier numéro de Drogues, enjeux internationaux, puisque plus de 8 000 télé- chargements ont été comptabilisés sur notre site depuis le mois de mai 2011. Cet intérêt nous conforte dans l’idée qu’une telle publica- tion est bel et bien nécessaire à l’heure de la mondialisation du marché des drogues. Une mondialisation qui s’appuie, comme le montre cette deuxième livraison, sur les circuits financiers par lesquels passe une partie du blan- chiment de l’argent de la drogue. Au moment où en Europe, et selon les dernières données de l’ONUDC (Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime), le seul trafic de cocaïne engendre plus de trente milliards de dollars de chiffre d’affaires, l’affai- blissement du crime organisé investi dans le champ des drogues ne passe plus seulement par les saisies de stupéfiants et l’interpellation des trafiquants, mais aussi par la confiscation des avoirs financiers et patrimoniaux accumulés en particulier par les grossistes. Les États sem- blent l’avoir compris et se dotent d’instruments juridiques de plus en plus efficaces afin de cibler à la fois les sections du crime organisé qui ne possèdent pas les moyens de blanchiment sophistiqué et celles qui sont le plus en prise avec les flux de la mondialisation financière. En France, le fonds de concours, géré par la MILDT, destiné à recevoir l’argent issu de la vente des avoirs des trafiquants, a recueilli plu- sieurs millions d’euros depuis 2007 tandis que la création de l’Agence de gestion et de recou- vrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), en 2010, est une étape importante en matière pénale puisqu’elle facilite la saisie et la confiscation des biens criminels. Parallèlement, à l’échelle internationale, la France a intensifié ses coopérations afin d’identifier et de saisir, y compris à l’étranger, les biens immobiliers possédés par les grandes organisations crimi- nelles transnationales intervenant sur son sol. C’est dans ce contexte que l’OFDT, notamment via Drogues, enjeux internationaux, s’attache à faire progresser la connaissance des trafics, de même que l’évaluation des masses financières dégagées par le trafic de stupéfiants. Maud Pousset (directrice de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies) Drogues, enjeux internationaux ARGENT DE LA DROGUE : BLANCHIMENT ET MONDIALISATION FINANCIÈRE N° 2 Octobre 2011 Nacer Lalam Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) 1. Europol est une agence européenne d’applica- tion de la loi. Sa principale mission consiste à assister les vingt-sept États membres dans leur lutte contre le crime organisé et à faciliter les échanges de renseignements. Eurojust est une institution de coopération judiciaire destinée à l’amélioration de la lutte contre la criminalité organisée en permettant une meilleure coordination d’action dans le domaine des enquêtes lorsque au moins deux des États membres de l’UE sont concernés, dans le respect des libertés et droits fondamentaux. 2. Il s’agit d’une incrimination propre au droit français qui, compte tenu de la difficulté à mettre en œuvre l’infraction de blanchiment, revêt un caractère opératoire pour les services répressifs (article 321-6 du Code pénal). C’est l’infraction qui réprime l’in- dividu jouissant d’un train de vie supérieur à ses re- venus déclarés tout en étant en relation avec au moins un trafiquant.

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Les chiffres du blanchiment, le role des paradis fiscaux et l'action des pouvoirs publics pour contraster le phénomène.

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En mai 2010, une opération baptiséeShovel, réalisée avec Europol etEurojust1, a fourni une illustration

accomplie de la coopération policière eu-ropéenne en matière de détection desavoirs d’une organisation criminelle, maissurtout des proportions énormes, entermes financiers, que pouvait prendre ledéploiement d’un groupe criminel orga-nisé impliqué dans les trafics de drogues(cannabis, cocaïne). Cette opération,lancée simultanément en Espagne, enIrlande et en Grande-Bretagne, a mobi-lisé près de sept cents enquêteurs et dé-bouché sur l’arrestation de trente-huitmalfaiteurs chevronnés, la saisie desoixante propriétés de luxe sur la côte espagnole (Costa del Sol), ainsi que devingt-cinq véhicules sans omettre les centquatre-vingts comptes bancaires gelés. Cegroupe criminel, dont le noyau était com-posé d’une famille irlandaise, disposait deconnexions nombreuses, dans une ving-taine de pays. Les enquêteurs espagnolsont mis au jour l’existence de près de deuxcents sociétés d’import-export utiliséespour faire circuler l’argent provenant dubusiness criminel. L’essentiel des fondsétait investi dans le secteur de l’immobi-lier et de la construction sur la Costa delSol et en d’autres lieux tels que le Brésil,où le réseau détenait six complexes tou-ristiques et des résidences de luxe.Cependant, d’autres secteurs étaient visés,à l’instar des énergies renouvelables, durecyclage, des télécommunications et desactivités de loisirs.

Seconde affaire, tout aussi significativebien que se situant sur une moindreéchelle : l’opération réalisée en 2005 àRoubaix par les services de police françaisà la faveur de l’arrestation de deux indivi-dus porteurs de 69 000 € en espèces, quidéclenche une procédure dite de « non justification de ressources2 » et permet demettre au jour un réseau de trafic de stupé-fiants dirigé par deux familles. Cinquantekilos de résine de cannabis et 10 000 €sont saisis lors d’une perquisition, à l’issuede laquelle trois individus sont écroués.Cette enquête révélait une inadéquationentre les ressources déclarées des membresde ces familles et le patrimoine dont ilsdisposaient (biens immobiliers enBelgique, un compte bancaire doté de90 000 € et un autre de 35 000 €).

EN PRÉAMBULE

Vous avez été nombreux à prendreconnaissance du premier numéro de Drogues,enjeux internationaux, puisque plus de 8 000 télé-chargements ont été comptabilisés sur notresite depuis le mois de mai 2011. Cet intérêtnous conforte dans l’idée qu’une telle publica-tion est bel et bien nécessaire à l’heure de lamondialisation du marché des drogues. Unemondialisation qui s’appuie, comme le montrecette deuxième livraison, sur les circuits financiers par lesquels passe une partie du blan-chiment de l’argent de la drogue.

Au moment où en Europe, et selon lesdernières données de l’ONUDC (Organisationdes Nations unies contre la drogue et le crime),le seul trafic de cocaïne engendre plus de trentemilliards de dollars de chiffre d’affaires, l’affai-blissement du crime organisé investi dans lechamp des drogues ne passe plus seulementpar les saisies de stupéfiants et l’interpellationdes trafiquants, mais aussi par la confiscationdes avoirs financiers et patrimoniaux accumulésen particulier par les grossistes. Les États sem-blent l’avoir compris et se dotent d’instruments juridiques de plus en plus efficaces afin de ciblerà la fois les sections du crime organisé qui nepossèdent pas les moyens de blanchiment sophistiqué et celles qui sont le plus en priseavec les flux de la mondialisation financière.

En France, le fonds de concours, géré par laMILDT, destiné à recevoir l’argent issu de lavente des avoirs des trafiquants, a recueilli plu-sieurs millions d’euros depuis 2007 tandis quela création de l’Agence de gestion et de recou-vrement des avoirs saisis et confisqués(AGRASC), en 2010, est une étape importanteen matière pénale puisqu’elle facilite la saisie etla confiscation des biens criminels. Parallèlement,à l’échelle internationale, la France a intensifiéses coopérations afin d’identifier et de saisir, ycompris à l’étranger, les biens immobilierspossédés par les grandes organisations crimi-nelles transnationales intervenant sur son sol.

C’est dans ce contexte que l’OFDT, notamment via Drogues, enjeux internationaux,s’attache à faire progresser la connaissance destrafics, de même que l’évaluation des massesfinancières dégagées par le trafic de stupéfiants.

Maud Pousset (directrice de l’Observatoirefrançais des drogues et des toxicomanies)

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ARGENT DE LA DROGUE : BLANCHIMENT ET MONDIALISATION FINANCIÈRE

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Nacer Lalam Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ)

1. Europol est une agence européenne d’applica-tion de la loi. Sa principale mission consiste à assister lesvingt-sept États membres dans leur lutte contre le crimeorganisé et à faciliter les échanges de renseignements.Eurojust est une institution de coopération judiciairedestinée à l’amélioration de la lutte contre la criminalitéorganisée en permettant une meilleure coordination d’action dans le domaine des enquêtes lorsque au moinsdeux des États membres de l’UE sont concernés, dansle respect des libertés et droits fondamentaux.

2. Il s’agit d’une incrimination propre au droitfrançais qui, compte tenu de la difficulté à mettre enœuvre l’infraction de blanchiment, revêt un caractèreopératoire pour les services répressifs (article 321-6du Code pénal). C’est l’infraction qui réprime l’in-dividu jouissant d’un train de vie supérieur à ses re-venus déclarés tout en étant en relation avec au moinsun trafiquant.

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Ces deux exemples traduisent les diffé-rences de niveau d’intégration dans l’économie engendrées par le trafic dedrogues illicites. Avec, d’un côté, une organisation criminelle transnationale largement insérée dans les circuits de lafinance internationale, et, de l’autre, une« PME » inscrite dans une dynamiqued’intégration économique locale passant,notamment, par l’accès à la propriété et lerapatriement physique des fonds vers despays tiers. Ils illustrent aussi le fait que,comme l’économie légale, l’économie dela drogue n’est que l’envers, la face obscure, d’une mondialisation qui fait coexister toute une série d’acteurs très disparates.

Ce numéro de Drogues, enjeux inter-nationaux s’attachera à la description deces deux réalités différentes mais complé-mentaires en revenant dans un premiertemps sur les estimations des sommes enjeu à l’échelle mondiale, avant de s’inté-resser à la situation qui prévaut en Franceen la matière. La deuxième partie préciserale rôle primordial des paradis fiscaux etdes centres offshore, tandis que la troi-sième décrira les dispositifs mis en placepar les pouvoirs publics afin de luttercontre le blanchiment et les effets écono-miques et sociaux préjudiciables engen-drés par cette réalité.

L’argent mondial de la drogue : deschiffres peu fondés

Depuis près d’une vingtaine d’années,un certain nombre de chiffres afférents àl’économie mondiale de la drogue circu-lent et sont abondamment relayés.Pourtant, ces données chiffrées sontfondées sur des approximations très gros-sières. Il semble qu’elles soient apparues

au moment de la signature de la conven-tion de Vienne (1988)3 et du sommet del’Arche en 1989 un an plus tard4, avec l’émergence d’un chiffre rond, à savoir cinqcents milliards de dollars, qui depuis faitoffice de vérité révélée, sans que l’on sachela méthodologie qui a présidé à son calculni ce qu’il recouvre exactement, à savoirle seul trafic de stupéfiants ou l’ensemblede l’activité criminelle mondiale [1].

Compte tenu de l’incertitude quirègne sur cette estimation, le Fondsmonétaire international (FMI) préfèrequant à lui évaluer l’argent engendré parle crime dans une fourchette compriseentre 500 et 1 500 milliards de dollars,soit entre 2 et 5 % du PIB mondial [2].La part attribuable au trafic de stupé-fiants est bien sûr inférieure, mais laconfusion demeure fréquente et nombrede références font allusion à ce montantde 500 milliards de dollars qui semblefaire consensus5 [3].

Aujourd’hui, l’ONUDC (Office desNations unies contre la drogue et lecrime) estime, dans son rapport 2011 [4],la valeur des seuls marchés mondiaux dela cocaïne et de l’héroïne a plus de 150milliards de dollars6. Là aussi, l’approxi-mation des données produites7 semble demise et il convient donc de faire un usagemesuré des estimations des sommes enjeu. Cependant, ces données permettentde se faire une idée des masses qui circu-lent et de la puissance des organisationscriminelles susceptible d’être acquise viale commerce illicite mondial des stupé-fiants. Ainsi, si les manifestations specta-culaires de ces groupes se produisent sur-tout dans les pays en développement(Mexique, Colombie, Afghanistan), lesprofits sont, principalement, réalisés dansles pays occidentaux. L’exemple du traficde cocaïne sur le continent américainmontre que la part majeure du profit estréalisée aux États-Unis (voir le schéma 1ci-contre).

Quid de la France ?

En France, le chiffre d’affaires annueldes drogues est estimé par l’OCRTIS(Office central de répression du trafic illi-cite des stupéfiants) entre 3 et 4 milliardsd’euros. À titre de comparaison, c’est unpeu plus d’un mois de la facture pétro-lière française ou encore le chiffre d’af-faires annuel de l’industrie du poisson, en2009. Le mieux connu de ce marché estcelui de la résine de cannabis, qui s’est lar-gement « professionnalisé » depuis unevingtaine d’années. L’étude de l’OFDTde 2007 portant sur les gains des dealersde cannabis dans l’Hexagone permet de sefaire une idée de l’ampleur réelle des pro-blématiques afférentes au blanchiment del’argent de la drogue à partir d’une esti-mation du chiffre d’affaires, évalué à 832millions d’euros [5]. Il distingue au sein

3. Convention des Nations unies contre le tra-fic illicite de stupéfiants et de substances psycho-tropes. Vienne, 1988.

4. Sommet du G7, Paris, juillet 1989 : créationdu Groupe d’action financière sur le blanchiment decapitaux (GAFI – FATF). www.fatf-gafi.org/

5. Ces chiffres présentent toutefois de nombreuxbiais. Indiquons que la méthode type des organes decontrôle consiste à appliquer un coefficient multi-plicateur, d’ailleurs peu explicité, aux données de saisies (multiplication par un facteur 10 des saisieseffectuées sur une année). Indiquons que le gonfle-ment des chiffres peut nourrir la menace et son corollaire, la justification d’un effort budgétaire supé-rieur (Cartier-Bresson, 2002).

6. Le marché européen de la cocaïne est estiméautour de 33 milliards de dollars, à comparer aux 37 milliards de dollars aux Etats-Unis.

7. À propos de ces controverses chiffrées, cf. l’article de Sandro Donati portant sur la Colombie.Dossier Colombia. Production and smuggling o f cocaine. Flare communication and information department, February 2009.

Cultivateurs des pays andins

Trafiquants des pays andins

Trafiquants internationaux de Colombie

Grossistes aux États-Unis

Dealers intermédiaires aux États-Unis

70 %

15 %

13 %

1 % 1,5 %

Schéma 1 - Trafic de cocaïne en Amérique : répartition des profitsbruts en 2008 (%)

d’un réseau de distribution quatre diffé-rentes strates d’intervenants : le semi-grossiste en amont du réseau, un inter-médiaire A, un intermédiaire B et le dealer de rue.

Le trafic de cannabis serait peu lucra-tif au niveau des dernières strates de dis-tribution (voir tableau 1 page 3). En effet,les « petits » dealers de rue, les plus nom-breux, gagneraient des sommes d’argenttrès limitées, tandis que les intermédiairessitués dans la chaîne du trafic juste aprèsles semi-grossistes seraient plutôt dans deslogiques de consommation ostentatoire àfaible impact en termes de pratiques deblanchiment. Ainsi, dans bon nombre decas, l’argent de la drogue répond à une logique de promotion sociale individuelleassise sur un besoin de reconnaissance sociale. La plupart des dealers ne se pro-jettent pas dans une logique d’accumula-tion mais « flambent » les revenus de leuractivité illicite, le plus souvent en produitsde marque, voire de luxe. Ils suivent unelogique de court terme, sacrifiant au pas-sage leurs perspectives d’insertion légale.On peut dire qu’il s’agit là de la modalitéla plus basique, la plus primitive de blan-chiment par dilution des sommes gagnéesdans l’économie légale. Ces trafiquants nemanient, en général, que des espèces.

A contrario, les semi-grossistes réali-seraient, quant à eux, suffisamment deprofits pour envisager de faire appel àl’ingénierie financière dans le but de dissimuler l’origine des gains tirés de larevente de cannabis.

Une étude non publiée [6] confirmeque les trafiquants qui font appel au blan-chiment sont en réalité peu nombreux auregard de la masse des petits revendeurset des intermédiaires. Au sein de cette population qui s’enrichit réellement dutrafic de drogues, la majorité a plutôt recours à des méthodes que l’on peut qualifier d’artisanales. On y trouve une

Source : EMCDDA 2010 et UNODC 2010Cartographie : ONDRP

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chines atteint près de 85 %. Ainsi, cettetechnique rudimentaire permet de dis-poser d’un chèque de casino pour justi-fier de l’origine de ses gains. Le mode opé-ratoire utilisé par le délinquant, consiste,soit seul, soit à l’aide de complices, à jouersuffisamment longtemps sur la même ma-chine, jusqu’à l’obtention d’un jack pot. ■ L’expatriation des fonds à l’étranger.Cette méthode rudimentaire trouve unregain d’intérêt étant donné le contrôlecroissant exercé par le système bancairelors des dépôts. Ces fonds, une fois par-venus dans le pays de destination, ali-mentent divers investissements (petitscommerces, immobilier) ; ils peuvent aussiêtre placés dans les banques locales puisêtre rapatriés en France par virement of-ficiel et ainsi justifier des crédits bancaires. ■ L’achat d’or peut être un refuge comptetenu de sa valeur actuelle sur les marchés.Il n’est pas rare que, avec la complicitéd’un courtier en métaux précieux, un tra-fiquant puisse échanger des espèces contredes lingots d’or ; ici, c’est le courtier quiprend le risque au moment du changepuisqu’il ne respecte aucune des obliga-tions légales que sa profession lui impose. ■ L’acquisition de fonds de commercequi génèrent beaucoup de mouvementsen espèces comme les bars, sandwicheries,points phone, salons de coiffure, laveriesautomatiques… L’argent du trafic est ensuite intégré dans le chiffre d’affairesqui est ainsi maximisé. Cela peut aussipermettre au trafiquant de se verser un salaire déclaré. Les cessions de parts defonds de commerce sont très peucontrôlées, elles ne nécessitent pas le re-cours à un officier ministériel.

Cette catégorie de trafiquants tend àse constituer ainsi une épargne de pré-caution. En revanche, pour la minoritédes trafiquants qui brassent des centainesde milliers, voire des millions d’euros, lestechniques de blanchiment sont beaucoupplus sophistiquées et les champs d’inves-tissement privilégiés sont l’immobilier etl’assurance.■ L’acquisition de biens immobiliers enFrance ou à l’étranger est une pratiqueprivilégiée. Pour les investissements dansdes pays tiers, les transferts de fonds s’opè-rent par porteur de valise. Ayant aujour-d’hui bien appréhendé les risques qu’ilscourent en utilisant le système bancaire,les trafiquants préfèrent ce type de trans-fert. L’investissement immobilier dans cer-

tains pays du Sud (Maroc, Sénégal…) estdepuis quelques années une opérationparticulièrement attractive : non seule-ment l’acquisition de biens est difficile-ment détectable (absence de cadastre, pasde fichier centralisé), mais le marché y esten progression continue. En France, l’ac-quisition de biens immobiliers est uneconstante chez les trafiquants profession-nels. Celle-ci se fait soit en nom propre,soit sous forme de SCI (société civile im-mobilière), qui permet d’utiliser des prête-noms, ainsi le trafiquant n’apparait pasdans les statuts juridiques de la société.De plus, l’achat de locaux en mauvais étatest préféré afin de pouvoir blanchir unmaximum d’argent dans la rénovation(souvent non déclarée et payée en espèces).Ces biens sont ensuite loués afin de ga-rantir des revenus licites aux trafiquants. ■ Le placement en produits d’assurance,notamment en assurances-vie, constitueune méthode discrète eu égard à la fai-blesse du contrôle prudentiel. Certainscourtiers indélicats peuvent faciliter cetype d’opération moyennant rémunéra-tion. En outre, ce type de placement apour spécificité de ne pas apparaître lorsdes recherches effectuées par les enquê-teurs (absence d’un fichier centralisé, aucontraire des banques – fichier descomptes bancaires – Ficoba).

D’autres encore sont même directe-ment insérés dans les circuits de la mon-dialisation financière via les paradis fis-caux. Pour ce faire, et grâce au capitalaccumulé, ils peuvent compter sur undense réseau de relations interpersonnelles,en capacité de mobiliser des compétencesfinancières, bancaires et juridiques ren-dant peu détectables les fonds acquis parle trafic. Beaucoup d’entre eux n’opèrentplus directement de France mais sont ins-tallés à l’étranger, notamment dans le sudde l’Espagne, lequel est devenu un pointnévralgique du trafic de drogues enEurope en devenant un centre de stoc-kage de la cocaïne et de la résine de can-nabis qui arrivent sur le Vieux Continent.Ainsi, les autorités espagnoles insistent surl’importance des capitaux européens pro-venant du commerce de la drogue dansle secteur immobilier du sud de l’Espagne.L’investissement immobilier aurait contri-bué à son essor économique à hauteur de6 % selon certaines estimations [7].

Le blanchiment : un processus en trois étapes

Ce processus peut être décomposé en troisétapes : le placement, l’empilement etl’intégration. Le placement de l’argent correspond à l’entrée initiale des fondsdans le circuit financier. On y distingue enparticulier le saupoudrage, c’est-à-dire ledépôt des fonds à un niveau inférieur auseuil d’alerte (ce seuil se situe à 10 000 €)dans plusieurs banques et agences par unou plusieurs individus. L’empilementconsiste en une série de transactionsconçues pour occulter l’origine des capi-taux. Il s’agit de scinder les produits illi-cites de leur origine en créant un systèmecomplexe d’empilement de transactionsfinancières destinées à travestir la tracecomptable des profits d’origine illégale.Enfin, au dernier stade, les fonds revien-nent dûment intégrés dans l’économie licite. L’intégration confère une apparencede légalité en réintroduisant dans le circuit commercial des profits illégaux. LaFrance est davantage concernée par latroisième étape que par la première dansla mesure où les dispositifs de contrôle misen place dans le système bancaire semblent efficaces.

poignée de trafiquants plus âgés et plusaguerris, qui ont su développer des mé-canismes sommaires tels que : ■ le commerce de véhicules. Le procédéconsiste à acquérir un véhicule en lepayant tout ou partie en espèces, puis àle revendre rapidement en échange d’unchèque. L’opération est renouvelée afin decapitaliser un maximum d’argent, qui seraréinvesti dans d’autres activités. ■ Le rachat de tickets de loterie ou dePMU. Il s’agit d’un procédé bien connudans les milieux du banditisme qui permetde s’assurer des revenus déclarés et in-contestables. Le trafiquant rachète un tic-ket gagnant à un joueur. La transactionse fait par paiement en espèces, à un prixsupérieur au montant du gain réel. Le dé-linquant peut ainsi échanger le ticketcontre un chèque du PMU ou de la lote-rie qu’il dépose ensuite sur son compte. ■ Les machines à sous dans les casinospeuvent servir à convertir les avoirs illi-cites : le taux de redistribution des ma-

Tableau 1 - Les chiffres d’affaires des dealers de cannabisEffectif Volume annuel distribué Nombre de clients Chiffre d'affaires annuel en €

Semi-grossiste De 689 à 1 504 De 132 kg à 308 kg Une dizaine De 253 000 à 552 000 Blanchiment

Intermédiaire A De 6 000 à 13 000 De 16 kg à 35 kg Une dizaine De 35 000 à 76 000 Blanchiment

Intermédiaire B De 58 000 à 127 000 Autour de 3,5 kg Entre 3 et 8 De 4 500 à 10 000et dealer final

Source : d'après C. Ben Lakhdar. Le trafic de cannabis en France, OFDT, 2007

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Les centres offshore :un rouage qui profiteaux trafiquants internationaux

Toutes les méthodes de blanchimentsusmentionnées, surtout quand elles sontles plus techniques, sont susceptibles des’avérer très onéreuses pour les trafiquantset d’engendrer une grande variabilité descoûts de transaction [8]. Le blanchimentpeut alors représenter une stratégie coû-teuse. Les marges prélevées par les inter-médiaires et les coûts de transaction (miseen œuvre de la stratégie et coût engendrépar le risque) sont susceptibles de dissua-der l’acte de blanchiment. Compte tenudes dispositifs de contrôle mis en placedans les systèmes bancaires, les trafiquantspeuvent alors revenir à des méthodes pri-mitives dont la plus connue est l’Hawala[9]. Ce réseau financier s’inscrit dans despratiques ancestrales d’entraide en l’absence ou en cas de difficultés d’accèsau système bancaire formel, notammenten Asie du Sud. L’envoi d’argent d’un tra-vailleur migrant à sa famille est un exempleéclairant de cette technique. Il s’agit d’unsystème de transfert informel de fonds uti-lisé dans diverses régions du monde pourdisposer de capitaux d’un pays à un autre.Il est fondé sur un « contrat de confiance »(appartenance ethnique, même village…),peu onéreux, rapide et moins bureaucra-tique que le système financier formel. Cedispositif légitime peut être détourné deson usage premier ; en effet, compte tenudes formalités réduites et du relatif ano-nymat, il est facile de l’utiliser à des finsde blanchiment et de financement d’acti-vités illicites.

Cependant, un certain nombre d’af-faires emblématiques démontrent que lerecours à la technicité des zones grises dusystème financier mondial va croissant.Elle peut se réaliser via le transfert de fonds

dans des pays tiers et en particulier letransport d’espèces jusqu’au Luxembourg,l’Andorre ou le Liechtenstein, des lieuxoù les conditions de dépôt sont assezsouples, et plus généralement dans lescentres offshore, plates-formes se prêtantnotamment parfaitement aux activités deblanchiment attachés au commerce trans-national de drogues8.

Le Fonds monétaire international(FMI) considère comme quasi-équiva-lents les centres offshore et les paradis fis-caux (juridictions à faible fiscalité qui ac-cueillent des opportunités d’affaires etindividuelles dans un but d’évasion fis-cale). La liste des paradis fiscaux et descentres offshore est d’ailleurs confondueentre le GAFI (Groupe d’action finan-cière sur le blanchiment de capitaux / voletjudiciaire) et le forum de stabilité finan-cière (volet régulation financière) [10](voir la carte ci-dessous).

On dénombre près de soixante-douzecentres offshore dans le monde. Ils sont,certes, peu nombreux comparativementaux centres financiers traditionnels commeLondres, New York, Tokyo ou Singapour[11], mais les sommes déposées y sontconsidérables et croissantes afin de facili-ter notamment l’intermédiation financièreet d’accélérer la circulation mondiale descapitaux. On y trouve des succursales desgrandes banques et des organisations cri-minelles, qui n’hésitent pas à exploiter lespossibilités offertes par ces centres.

Ces centres offshore se font concur-rence en proposant des services et des mé-canismes financiers toujours plus inno-vants dans le but d’attirer la clientèle touten réduisant les contraintes [12]. Or, pourcertains d’entre eux, le risque de s’exposerà de l’argent sale est réel et sérieux, celui-ci pouvant alors ternir leur réputation etfaire fuir les clients dont les activités sontlégales. Dans ce climat de concurrenceexacerbée, tout ce qui vient entraver cejeu, notamment l’accroissement des

La lutte contre le blanchiment de capitaux

Source :Questions internationalesn° 34

8. Cependant, les fonds qui proviennent du tra-fic de drogues et qui circulent via ces centres offshoresont minoritaires par rapport à la masse financièrequi y transite quotidiennement.

procédures de contrôle et des formalités,est vu comme un obstacle.

Pour les trafiquants, l’enjeu consiste àtrouver les intermédiaires compétents, cré-dibles et dignes de confiance. Ces dernierspeuvent agir pour le compte de plusieursacteurs soit dans le domaine de l’évasionfiscale, soit dans celui d’activités illégitimes,comme le financement illégal des partis etle détournement de fonds publics.

Les défis lancés aux autorités dans la lutte contre l’argent de la drogue

Face au blanchiment, l’enjeu pour lesÉtats consiste à orienter l’action des pou-voirs publics en direction d’une plusgrande régulation des flux financiers. Ils’agit d’intervenir dans les rouages de l’économie et de la finance pour éviter quele système ne fonctionne en roue libre.

Cependant, les moyens déployés,qu’ils soient de nature préventive ou ré-pressive, seront différents suivant qu’ilsagissent en amont ou en aval de la filière.L’infraction de blanchiment est en effetdifficile à établir étant donné la nécessitéde mettre à jour l’infraction sous-jacente, du moins en France. À défaut, lamobilisation de l’infraction de « non- justification de ressources » facilite la pour-suite de l’entourage du trafiquant qui tireprofit de l’activité de ce dernier.

Depuis quelques années, face à l’essoufflement de la lutte contre le traficde drogues, le dépistage et la confiscationdes avoirs illégaux des trafiquants appa-

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raît comme une orientation productivepour les services de police et de justice.La mise en place, depuis peu, par les au-torités répressives de plusieurs États d’unréseau informel d’experts, Carin (CamdenAssets Recovery Inter-Agency Network),destiné à favoriser la coopération entrecinquante-cinq États quant à la détection,la saisie et la confiscation du patrimoinedes criminels est une approche innovante.

Ainsi, axer la lutte contre le trafic dedrogues sur son volet patrimonial consti-tue une doctrine (ré)activée par la police etla justice. Le caractère dissuasif de cettemodalité répressive montre une certaineefficacité. De plus, le retour sur investis-sement pour les services répressifs n’est pasnégligeable puisqu’ils bénéficient, en par-tie, à l’État, voire directement aux servicesenquêteurs. Ainsi en 2010, le fonds deconcours, géré par la MILDT, créé en1995 (décret n°95-322), destiné à recevoirl’argent issu de la vente des avoirs des tra-fiquants, a recueilli près de 21 millionsd’euros, contre 1,2 million en 2007.Cependant, l’expérience des États-Unisdevrait tempérer quelque peu l’engoue-ment pour cette méthode de lutte dans lamesure où un tel dispositif y a montré seslimites en produisant des effets pervers,dont le plus significatif est la focalisation presque exclusive sur les avoirsaccumulés, en laissant les opérations detrafic se dérouler [13].

En France, le paysage institutionnelen matière de lutte contre le blanchimentlié à la criminalité s’est vu enrichi d’unenouvelle structure créée par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 – l’Agence de ges-tion et de recouvrement des avoirs saisiset confisqués – destinée à faciliter la sai-sie et la confiscation en matière pénale.Néanmoins, des écueils subsistent, obé-rant la réponse de l’État.

L’entraide judiciaire, par exemple, de-meure parfois problématique et tout par-ticulièrement lorsque des pays ne dispo-sent pas eux-mêmes de législation antiblanchiment à jour. L’enquête patrimo-niale nécessite des moyens humainsformés, des délais relativement longs et

des moyens financiers adéquats. La for-mation des magistrats aux enjeux patri-moniaux constitue, en outre, l’un despoints clés de l’amélioration du dispositif.

Un acteur international se distingue,le GAFI, dont le rôle s’articule autour del’édiction de normes globales en matièrede blanchiment. Pour ce faire, il a recoursprincipalement à de la soft law (namingand shaming)9 pour inciter les États àadopter les principes et règles prudentiellesdans le champ du blanchiment. La pu-blication d’une liste noire, sous-entendudes pays non coopératifs, est soumise àdiscussion et largement perméable aux di-vergences politiques. Si les acteurs de larépression demeurent perplexes quant aupouvoir prescripteur de cette organisa-tion, il n’en reste, pas moins qu’il agit surles cultures professionnelles des acteursprivés. Il appelle à la vigilance des insti-tutions privées chargées de détecter lestransactions et les clients suspects et detransmettre les informations pertinentesaux services de renseignements compé-tents.

Conclusion

La montée en puissance progressive,depuis les années 1980, de la dérégulationde la finance mondiale a concouru etconcourt à la facilité du blanchiment et infine à la mondialisation de la criminalité.Ce phénomène est venu renforcer la puis-sance des organisations criminelles trans-nationales les plus liées au commerce dela drogue, lui-même en plein essor avecnotamment la forte expansion de l’usagede cocaïne.

Aujourd’hui, les techniques d’ingé-nierie financière ont atteint un point desophistication tel qu’elles facilitent la dis-simulation des profits de la drogue – énormes compte tenu des taux de margeexorbitants – et favorise son recyclage dansl’économie légale au prix de dysfonction-nements majeurs, comme on l’a vu parexemple récemment en Espagne avec le

rôle de l’argent sale dans l’aggravation dela bulle immobilière. En France, si la frac-tion des trafiquants la plus connectée auxflux financiers mondiaux reste extrême-ment minoritaire, il n’en demeure pasmoins que, compte tenu des sommes en-gendrées par le trafic de drogues, la luttecontre le blanchiment est un enjeu pri-mordial.

D’ores et déjà, on peut affirmer qu’àl’avenir cette problématique risque de sefaire de plus en plus prégnante avec l’aug-mentation significative des gains suscitéspar la pénétration des trafiquants de can-nabis français sur le marché de gros de lacocaïne, laquelle aura des répercussionssur toute la chaîne de distribution, desgros marchands aux petits revendeurs. Siseul l’argent des premiers possède po-tentiellement une dimension stratégiqueau sens où il a un effet perturbateur etdonc de déstabilisation de l’économie lé-gale, les sommes engendrées par les tra-fics des individus situés en bout de chaîneont aussi, à leur échelle, des retombéessociales néfastes sur les pans de territoireoù ils s’exercent.

La lutte contre le blanchiment n’estdonc pas antinomique avec les enjeux actuels liés à la réforme de la régulation financière. En effet, réintroduire ducontrôle et réduire la profusion de pro-duits financiers serait de nature à entra-ver singulièrement une partie des modesde blanchiment. Du reste, les scandalesfinanciers de ces dernières années tendentà confirmer l’usage par les acteurs dumonde bancaire et financier de méthodescriminelles, alors que de leur côté les tra-fiquants investissent dans des entrepriseslégales. Aujourd’hui, les frontières entreles sphères licite et illicite s’estompent deplus en plus.

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[1] Convention des Nations unies contrele trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. ONU, Vienne,1988.

[2] International Monetary Fund, Macro-economic implications of money laundering,Working paper n° 96/66, Washington,1996.

[3] CARTIER-BRESSON (J.), « Compteset mécomptes de la mondialisation ducrime », in L’économie politique, n°15, 3e trimestre 2002.

[4] UNODC, World drug report, 2011.

[5] BEN LAKHDAR (C.), Le trafic de cannabis en France : estimation des gains desdealers afin d´apprécier le potentiel de blanchiment, OFDT, octobre 2007.

[6] Institut national des hautes études dela sécurité, « Le blanchiment d’argent enlien avec le trafic de cannabis, étude pourla Mission interministérielle de lutte contrela drogue et les toxicomanies », Paris, 2008.

[7] DIEZ RIPOLLES (J.-L.), GOMEZ-CESPEDES (A.), « La corrupción urbanís-tica: estrategias de análisis », Revista es-pañola de investigación criminología, articulo5, n° 6, 2008.

[8] KOPP (P.), Les délinquances économiqueset financières transnationales, IHESI, Paris,2001.

[9] EL-QORCHI (M.), « Hawala, commentfonctionne ce système informel de transfert de fonds et faut-il le réglementer ? », Finances et développement,IMF, Washington, décembre 2002.

[10] IMF, Offshore financial centers, IMFbackground paper, Washington D.C.,2000.

[11] ZUCMAN (G.), The missing wealth ofnations: are Europe and the U.S. net debtors or net creditors?, Paris School ofEconomics, july 2011.

[12] PALAN (R.), « Paradis fiscaux et com-mercialisation de la souveraineté del’Etat », in L’Economie politique, n°15, 3e tri-mestre 2002.

[13] NAYLOR (R.T.), Wages of crime: blackmarkets, illegal finance, and the underworldeconomy, chap. VI, Cornell University,2002.

9. Règles de droit non obligatoires, à l’instar dela pratique de la dénonciation ou de l’opprobre (désigner haut et fort les comportements déviants).

Page 6: Argent de la drogue: blanchiment et mondialisation financière

À signalerDrogues, enjeux internationaux signalequelques rapports et publications récentes sur la question de l’offre dedrogues.

Ouvrages

BRIZAY (B.), Le sac du palais d’été :Seconde guerre de l’opium, l’expéditionanglo-française en Chine en 1860, Éditions du Rocher, 2011. Octobre 1860 : la France et l’Angleterre, alliéespour la circonstance, investissent Pékin afin deforcer la Chine impériale à s’ouvrir à leurs mar-chandises, dont l’opium, produit alors par l’Indesous tutelle anglaise.

MINASSIAN (G.), Zones grises, quand lesÉtats perdent le contrôle, Autrement,2011.Une investigation portant sur les territoires dumonde échappant au monopole étatique dela violence légitime. L’auteur étudie notam-ment le rôle que jouent les trafics de droguesillicites dans la constitution des zones grises àtravers les exemples des FARC en Colombie,des cartels mexicains et des maras (bandesjuvéniles) en Amérique centrale et des gangsdans les banlieues françaises.

PAULES (X.), L’opium, une passion chinoise (1750-1950), Payot, 2011.Une histoire de l’usage d’opium en Chine, deson introduction forcée par le narco-empirebritannique à son éradication par la Chinemaoïste.

QUÉRÉ (S.), Planète Mafias, les nouveauxparrains à l'assaut du monde, LaManufacture de livres, 2011.

Articles

CHAUPRADE (A.), « La géopolitique afghane sous l’influence de l’héroïne », inChronique du choc des civilisations,Chronique, 2011.

JULIEN (S.), « Le Sahel comme espacede transit des stupéfiants. Acteurs etconséquences politiques », in Hérodoten° 112, Géopolitique du Sahara, 3e

trimestre 2011, La Découverte.

ROUDAULT (M.), « Géopolitique de l’illi-cite, la nouvelle main invisible », inDiplomatie n° 50, mai-juin 2011.

Rapports internationaux

UNODC (United Nations Office on Drugsand Crime), World Drug Report 2011,New York, 2011.

UNODC, The Transatlantic CocaineMarket, Research Paper, New York, 2011.

OEDT (Observatoire européen desdrogues et des toxicomanies), Rapportannuel 2011, État du phénomène de la drogue en Europe, à paraître le 15 novembre 2011.

Sous la direction de : Alain Bauer / Maud Pousset

Directrice de la publication : Maud Pousset

Coordination éditioriale : Michel Gandilhon, Julie-Émilie Adès

Comité de rédaction : Lucas Philippe (OCRTIS), Stéphane Quéré(DRMCC/Paris II), Bertrand Redonnet (OFDT), David Weinberger (INHESJ)

Documentation : Isabelle Michot, Anne de l'Eprevier

Infographiste : Frédérique Million

Dans l’abondante production éditoriale suscitée parla crise financière mondiale de 2008, l’ouvrage de Jean-François Gayraud, commissaire divisionnaire de la policenationale, en poste au Conseil supérieur de la formationet de la recherche stratégique (CSFRS), se distingue parson originalité. Alors que l’immense majorité des cher-cheurs et des économistes s’attache en général à la des-cription des mécanismes intrinsèques à la formation desbulles financières liées au mode de fonctionnement « im-manent » du système, l’auteur a choisi de s’intéresser auxaspects criminels de la crise. Cette note de lecture se fo-calisera particulièrement sur ceux liés à la criminalité or-ganisée et à l’argent de la drogue.

Comme le souligne Jean-François Gayraud, cette criseest le couronnement de tout un processus de dérégulationqui, depuis une trentaine d’années, a déconstruit obstiné-ment tous les garde-fous mis en place au moment du NewDeal pendant la crise économique mondiale des années1930. Or, la dérégulation est criminogène ont oublié lespouvoirs publics, en permettant notamment, au-delà desphénomènes classiques de trucage, de malversation et dedétournement des réglementations subsistantes – àl’œuvre de manière caricaturale avec les crédits subprimes – à toute une masse decapitaux issus de l’économie illicite de trouver de nouveaux champs d’investisse-ment. On sait aujourd’hui que les milliards de dollars engendrés par le trafic mon-dial de drogues ont joué leur rôle dans l’aggravation de la spéculation immobilièredans des pays comme l’Espagne, l’Italie ou les États-Unis en alimentant les flux deliquidités déferlant sur ce secteur. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que lacrise représente une véritable « effet d’aubaine » pour la criminalité transnationaleet offre des opportunités nouvelles de blanchiment de leurs liquidités par le biaisdes prêts usuraires et des prises de participations dans certaines institutions finan-cières affaiblies. À cet égard, l’auteur cite Antonio Mario Costa, le directeur del’ONUDC, qui mettait en évidence en 2008 les risques attachés au renforcementdes organisations liées au trafic de drogues : « De nombreuses banques ont été sauvéesde la crise financière grâce à l’argent provenant du narcotrafic. L’Office des Nations uniescontre la drogue et le crime (ONUDC) dispose d’éléments en ce sens. Des renseignementsfont penser que des crédits interbancaires ont été financés grâce à des fonds issus du tra-fic de drogues et d’autres activités illégales. Durant la seconde moitié de 2008, le manquede liquidités a été le principal problème du système bancaire, et le capital disponible estdevenu un facteur fondamental. Dans de nombreux cas, l’argent de la drogue est le seulcapital d’investissement disponible. » Cependant, Jean-François Gayraud montre bienque l’apport d’argent frais ne se limite pas aux banques. À l’époque où AntonioMario Costa exprimait ses inquiétudes, le patronat italien, par l’intermédiaire de laConfindustria (équivalent du MEDEF), s’alarmait de l’explosion des prêts usurairesproposés par certaines organisations mafieuses à des entreprises étranglées par lacrise du crédit (credit crunch). Fortes d’un chiffre d’affaires estimé à 130 milliardsd’euros, principales importatrices de la cocaïne consommée en Europe, la Camorraet la ‘NDrangheta, notamment, ont su profiter de l’opportunité de la crise pour ren-forcer leur emprise sur des pans entiers de l’économie transalpine. L’auteur met enévidence également le rôle que jouent les marchés publics, les mafias sachant pro-fiter des politiques de grands travaux impulsés par l’Etat pour pallier la dépressionéconomique en répondant via leurs sociétés aux appels d’offre destinés à relancerl’activité. Mais ces phénomènes n’affectent pas seulement l’Italie et les mafias. Dansle sud des États-Unis, les cartels mexicains ont su eux aussi profiter des opportu-nités offertes par la crise en blanchissant les centaines de millions de dollars gagnésdans les trafics de drogues et d’êtres humains en rachetant à bas prix des biens im-mobiliers dévalorisés, dont certains sont utilisés comme bases opérationnelles pourleurs différentes activités. Il apparaît donc que le crime organisé sortira plus que jamais renforcé de la crise mondiale dans un contexte où les leçons de la grande déré-gulation des années 1980 ne semblent pas avoir été tirées.

Michel Gandilhon (OFDT)

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Crédits photos - © Fred Goldstein, Samuel Maissonnier, Orlando Bellini (fotolia) et Frédérique Million (OFDT)

Jean-FrançoisGayraud, La Grande fraude,Crime, Subprimes et crises financières,Éditions Odile Jacob,2011