Aref2007 Muriel Briancon 154

10
1 Actualité de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 Désir de savoir et altérité Ces élèves qui se disent d’abord curieux du maître…. Muriel Briançon Doctorante sous la direction de Christiane Peyron-Bonjan, professeur des Universités à l’Université de Provence (Aix-Marseille II) Université de Provence (Aix-Marseille 1) Département des Sciences de l’Education 1 Avenue de Verdun 13410 LAMBESC [email protected] RÉSUMÉ. Loin d’être « donné » à tous les élèves ou seulement « utilitaire » comme le pensent les enseignants, le désir de savoir à l’école est problématique et complexe. Or, le désir de savoir est une notion théoriquement éclatée. Au stade exploratoire de notre recherche, une démarche multiréférentielle et une méthodologie plurielle se sont avérées utiles pour mettre en évidence la potentialité d’un lien entre le niveau scolaire des élèves et leur objet de curiosité. Ainsi, certains élèves en difficulté scolaire se disent d’abord curieux du maître… Si le constat n’est pas nouveau, les recherches l’appréhendent généralement sous l’angle de l’affectivité dans la relation Maître-Elève. L’originalité de notre thèse est de tenter de relier cet intérêt déclaré de l’élève pour son enseignant avec la notion de désir de savoir en utilisant les apports de la psychanalyse et de la philosophie. MOTS-CLÉS : désir de savoir, altérité, relation pédagogique, Autre, inconnaissable.

description

oufou

Transcript of Aref2007 Muriel Briancon 154

1 Actualit de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 Dsir de savoir et altrit Ces lves qui se disent dabord curieux du matre. Muriel Brianon Doctorante sous la direction de Christiane Peyron-Bonjan, professeur des Universits lUniversit de Provence (Aix-Marseille II) Universit de Provence (Aix-Marseille 1) Dpartement des Sciences de lEducation 1 Avenue de Verdun 13410 LAMBESC [email protected] RSUM. Loin dtre donn tous les lves ou seulement utilitaire comme le pensent lesenseignants,ledsirdesavoirlcoleestproblmatiqueetcomplexe.Or,ledsirde savoirestunenotionthoriquementclate.Austadeexploratoiredenotrerecherche,une dmarchemultirfrentielleetunemthodologiepluriellesesontavresutilespourmettre envidencelapotentialitdunlienentreleniveauscolairedeslvesetleurobjetde curiosit. Ainsi, certains lves en difficult scolaire se disent dabord curieux du matre Si leconstatnestpasnouveau,lesrechercheslapprhendentgnralementsouslanglede laffectivit dans la relation Matre-Elve. Loriginalit de notre thse est detenter de relier cet intrt dclar de llve pour son enseignant avec la notion de dsir de savoir en utilisant les apports de la psychanalyse et de la philosophie.MOTS-CLS : dsir de savoir, altrit, relation pdagogique, Autre, inconnaissable.2 Actualit de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 21. Le dsir de savoir lcole primaire : approches exploratoires 1.1. Trois paradoxes pour une notion clate Alorsquelesystmeducatifreposesurlexistencedundsirdesavoirchez llve, la notion dsir de savoir nest pas problmatise par nos institutions. Or, nosrecherchesexploratoiresetqualitativesavectroislvesscolarissdansune ZEP des Quartiers Nord de Marseille, montrent que le dsir de savoir des lves est singulieretvacillant.Undeuximeparadoxesurgitlorsquenosobservationssurle terrain montrent un dcalage entre lexpression des lves et les reprsentations des enseignants :signedunemconnaissanceoudunenon-reconnaissanceparles enseignantsdudsirdesavoirmultiforme,complexeetdynamiquedellve,ce dcalagepourraittreloriginedun rapt didactiqueenclasse(Brianon, 2005).Untroisimeparadoxenatdelaconfrontationentrenosobservationsde classeetlathoriedidactique :ledsirdesavoir,quinousparattreunenotion clairantepourcomprendrelesinteractionsMatre-Elveetquiestparailleursune hypothsefondamentaledelathoriedidactique,disparatpourtantderrirele concept de dvolution de problme. Souvent confondu avec des expressions proches, essentielpourcomprendrelesinteractionsMatre-Elveensituationdeclasse,le dsir de savoir prsente ainsi un enjeu majeur : quest-ce que le dsir de savoir ?Touteslesconceptionsthoriquessedisputentledsirdesavoir.Rapportau monde, le dsir desavoirestconditionn par les institutions et se caractrise par sa perspectiveutilitaireambivalente.Lapsychanalyseamisaucontraireenvidence avecFreudlesoriginespulsionnelles,inconscientes,sexuellesdela pulsionde savoir,avantdenvisagerlobjetdudsirdesavoircommeunarchtypeavecJung ouunmanquehallucinavecLacan.Mais,ledsirdesavoirnenat-ilpasausein dunerelationinterindividuelle ?Unsavoirnigmatiqueseraitlenjeudela rencontre pdagogique,car letransfert est fondamentalement un appel desavoir en relationavecunsujet-suppos-savoir.QuiestdonccetAutrequidtiendraitle savoir ?Sareconnaissanceconduitunprocessusdaltrationdusujet(Ardoino, 2000). Phnomne hybride, mi-cheminentre le rapportaux autreset soi-mme, linconscient et le conscient, le dsir de savoir deviendrait un vritable processus de pense (Peyron-Bonjan, 1994). Cette nouvelle rflexivit, non dnue de rsistances etdangoissespistmologiques,pourraitparadoxalementdevenirunoutilde recherche puissant producteur de nouvelles connaissances.1.2.Tentative dapproche multirfrentielle dun phnomne complexe Commentlespraticiensdelducationpeuvent-ilssappropriercette notion clate?Chaquechampdisciplinaireaeneffetdveloppunevision parcellaire et rductrice du dsir de savoir. La pense complexe nous permet alors de rendrecomptedecephnomnepolymorphe,rvlateurdenotreprofonde ignoranceetdelacomplexithumaine(Morin,1994),nousconduisantproposer Dsir de savoir et altrit 3 3uneapprochemultirfrentielle(Ardoino,2000)etcinqprofilspourapprhender lobjet du dsir de savoir des lves de CM1/CM2 : ProfilSocial :objectifsutilitairestelsquelarussitescolaire,socialeou professionnelle. ProfilPulsion :fantasmepulsionnel,inconscient,nostalgique,decomblement dun manque hallucin, de fusion avec la mre ou damour dipien. ProfilAltrit :rencontremystrieuseaveclAutre,sourcedesavoir,de confrontation avec laltrit et moteur dun processus daltration. ProfilProcessus :recherchedesens,derationalit,dintelligibilit,de connaissance, questionnement pistmologique, rflexivit. ProfilNon-Dsir :misedistancedusavoir,absencededsirdesavoir,dsir dune absence de savoir ou dsir dautre chose excluant le savoir. Ce modle multirfrentiel de comprhension du dsir de savoir survivra-t-il sa mise en uvre pratique ? Les recherches sur le dsir de savoir sintgrent en gnral dans le cadre de recherches sur le rapport au savoir, dont la mthodologie dominante estlamthodeclinique(Blanchard-Laville,2005).Or,nouspensonsqueles recherchesenenvironnementcomplexenepeuventsaccompagnerquedune mthodologie plurielle.Un questionnaire (155 lves deCM1/CM2interrogs dans lesBouches-du-Rhne)constitueainsiunpremieroutilderecueildes reprsentationsdelenfant,quelesapportsdunentretiendegroupe(25lvesde CM1) viennent enrichir et complter.Auniveauglobal,lesrsultatsdenotreenquteparquestionnairemontrentque le dsir desavoir chappetoute caricature :les lves dclarent ressentir un dsir de savoir globalement intense, mais expriment aussi leur absence de dsir. De plus, contrairement lopinion des enseignants, les lves ne sont pas uniquement anims pardesmotivationsfonctionnelles,puisqueleprofilProcessusetleprofilSocial sont dgale importance. Enfin, les lves ont exprim un dsir de savoir pulsionnel et un rapport laltrit non ngligeables. Leslvesconsidrenten majorit quils viennent lcole pour apprendre, connatre et rflchir. Si les lves de CM1/CM2 ont les cls pour entrer dans un vritable processus de connaissance, ils expriment en mme temps des motivations pragmatiques face aux enjeux scolaires et sociaux. Une tentativedemodlisationsystmiquedelobjetdudsirdesavoirmontreensuite quelobjetdecuriositesttrsfortementcorrlauxoriginesdelacuriosit,aux reprsentationsliesausavoir,aumodedapprentissageetauxloisirs extrascolairesdellve.Danscetentrelacsdecorrlations,lobjetdudsirde savoir pourrait alors sanalyser comme le cur dun systme complexe.Assumant notre subjectivit, nous essayons de rendre compte, travers un dbat collectifmenenCM1,detoutelarichessedudsirdesavoirexprimparles enfants.Leslvessedclarenttrscurieuxdetout.Puis,leurdsirdesavoirse porteverslesgensquilsconnaissent,lesanimaux,etlemondeengnral(profil Social).Ensuite,leurcuriositseposegalementexplicitementsurlapersonnequi interroge (profil Altrit). Pourtant, trs vite, les lvesexpriment aussi une pulsion 4 Actualit de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 4de savoir inconsciente lie au lien maternel, aux secrets parentaux et aux sentiments amoureux(profilPulsion).Quelquesgarons,exprimentcependantundsintrt (profilNon-Dsir)quictoieparadoxalementunetrsfortecuriositcible.Les lves se posent ensuite des questions sur les origines du monde et de la vie, le futur et la mort (profil Processus).Quantlobjet prcis du dsir de savoir, lclatement des rponsesmasque une corrlation trs significative des profils avec le niveau scolaire de llve : les lves endifficultscolaireseraientplusquelamoyenneintrigusparlapersonnemme delenseignant.NosrecherchesexploratoiresauprsdedeuxfillettesdeCM1 confirmentqueleurdsirdesavoirsedistinguenotammentparleurintrttrs prononcpourleurmatresse.Leconstatnestpasnouveau,maislesrecherches traitent traditionnellement ce point sous langle de limportance de laffectivit dans la relation Matre-Elve (Espinosa, 2003). Loriginalit de notre thse rside dans le faitdereliercetintrtdellvepourlematreaveclanotiondedsirdesavoir. Quelstatutceslves,minoritairescertes,maissurreprsentsstatistiquement, donnent-ilslenseignant?Quelleestlanaturedusavoirrecherch traversle matre ? 2. Dsir de savoir et altrit : ces lves qui sont dabord curieux du Matre 2.1. Le matre, objet damour ? Lintrtdclardellvepoursonmatreest-ilsimplecuriosit,demande daffectivitoudemandedunsavoir ?Ecartantrapidementlapremirehypothse, nousenvisageonsdansunpremiertempslenseignantcommeobjetdedsiret damour. Dans le Banquet (Platon), lloge quAlcibiade fait de Socrate illustre bien lapassionquepeutressentirunlvepoursonmatre.Peudechosesontchang depuis : la sduction esttoujours au cur de la relation pdagogique (Cifali, 1994). Enconsquence,llverisquedesonctlaconfusiondessentiments.Certaines approchespsychanalytiquesenducationdcriventcesphnomnescommeune dynamique transfrentielle rotise qui ne manque pas de susciter le dsir de savoir chezcertainslves (Blanchard-Laville,1996,p232-233).Cestaussilepointde vuedelaPdagogieInstitutionnelle,pourquilasituationpdagogiquecaractrise par des phnomnes affectifs, de transferts et de contre-transferts, est un acclrateur dinconscient. Dans ce cadre, lenseignant devient lobjet potentiel dun amour de transfert qui seraitla fois ouvertureet fermeture,appelau savoir et rsistance ce savoir (Imbert, 1996, p39).Eneffet,querecouvrecetamour delapprenantpourlapersonnequilui enseigne si ce nest un dsir de savoir qui signore ? Alcibiade rvle que sa passion pourSocratesaccompagnedunpuissantdsirdesavoir.Lediscoursdudisciple sachvesurlareconnaissancedurledumatredanslmergencedesondsirde savoir.Plusprochesdenous,leshistoiresdlvesfascinsparleurenseignant, montrentquunamourdetransfertpeutprendrecorpsdediffrentesfaonset Dsir de savoir et altrit 5 5soutenirledsirdapprendre.Mais,attentionleffetdunamourdetransfert hypnotiqueet enkystsurlafigure dumatrequiferaitobstaclelaccessionaux savoirs (Imbert, 1996) ! La demande de llve dborde du simple cadre que certains qualifientd affectif pourrejoindremaintenantlesproblmatiquesliesaudsir de savoir.2.2. Le matre mdiateur ? Lenseignant est lemblme du savoir. Sans lui, point dapprentissage. Les lves qui se disent curieux dumatreessaieraient-ils de remonterla source,cest--dire aumatremdiateur ?Laccrochageausavoirsefaiteneffetparunenigmecre parlenseignant(Meirieu,1987).Leparadoxedumatreignorantincarnpar Socrate-la-torpille (Platon) ou encore Joseph Jacotot (Rancire, 1987) tmoigne que la cration de lnigme nest pas lapanage des experts. Ainsi, le matre provoque le questionnementquicrelappeldesavoir.Lnigmenersidepasdansunsavoir maisdansladistancerelationnelletoujoursincertaineetvariableentrelematreet llve. Lenseignant doit tre peru comme la fois proche et lointain. La curiosit exprimeparllveenverslematrepourraitalorstrelesignedunedifficult trouverlabonnedistance,refltantdelapartdelapprenantundsirdemdiation relationnelle.Lesenfantsquiontpeurdapprendreseraientgalementporteurs dune demande de mdiationculturelle (Boimare, 1999) voire didactique (Sensevy, 1998).Lebesoindemdiationadresslenseignantseraitunetapedansla formation dun dsir de savoir social, institutionnel et fonctionnel. 2.3. Le matre-suppos-savoir ? Etsi,pourtant,lacuriositdellvesadressaitmoinsauxsavoirsqula personnedelenseignantetlnigmedelarelation?Lesapproches psychanalytiquesenducationrappellenteneffetquunmmeappeldesavoir motivelanalysantetlepetitenfant :celui-ciperoitladulteengnral,et lenseignantenparticulier,commeunsujet-suppos-savoir,dtenteurdunsavoir dontilestsupposdtenirlacletpouvoirdlivrerlesens(Imbert,1996).La demandedesavoirsadresseraitalorsenralitauxpremiersobjetsdamourdu sujet.PourFreud,llveadresseraitaumatreundsirdesavoirpulsionnelsurla sexualit,ladiffrencedessexesousanaissance.MlanieKleinfaitremonter lapparition dela pulsion pistmophilique au moment dela position dpressive o laMreestressentiecommeunobjettotal.PourJung,ledsirdesavoirdetout humain, est la qute dun savoir total, un savoir archtypique, un secret collectif, li auxoriginesdelhumanitetirrationnel.Lacuriositdellvepourlematre pourraitainsitrelersultatdunprocessushallucinatoireetdelordrede limaginaire,exprimantunespoirirrationnel :quelenseignantseraitcetAutrequi saurarpondrelaquestionexistentielleetcomblerlemanque.Mais,quiestcet Autre dress en face de llve ? Et en quoi laltrit intresse-t-elle lducation et lenseignement ?6 Actualit de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 62.4. Le matre, absolument Autre ? Apprendre,cesteneffettreconfrontlAutre.Or,lAutrenousrenvoiela notiondaltrit.Sidanslaconceptionoccidentaledelaltrit,lautreesttoujours relatif,Lvinasopreunrenversementradical :autruiestlabsolumentAutre (Lamarre,2006) : autruientantquautruinestpasseulementunalterego ;ilest cequemoijenesuispas (Lvinas,1983,p75).PourSartregalement, entre autruietmoi-mme,ilyaunnantdesparation ,une absencepremirede relation (Sartre,1943,p269).Or,pourLvinas,justement seulelaltrit enseigne et labsolumenttrangerseulpeutnousinstruire (Lamarre,2006, p71).Laltritenseignanteestpourtantunealtritabsoluequinerevientjamais au Mme, car lenseignement est une transmission impossible, un traumatisme de ce qui ne peut-tre reu. Silaltrit dborde ma capacit recevoir, quen est-il de la communicationavecautrui ?LAutreest un Visage (Lvinas, 1983), ilestcelui qui meregarde,mejugeetmerenvoielimagedemontre-pour-autrui(Sartre,1943). Echappant ma volont de matrise, lAutre est une limite mon dsir et une libert quisopposemoi(Sartre,1996).LAutresedrobemondsirdecontactetde communicationdanslaccomplissementmmedutemps, cetoujoursdelanon-concidence,maisaussicetoujoursdelarelationdelaspirationetdelattente (Lvinas,1983,p10).LacommunicationaveclAutresavrantimpossible,mme dans lros lvinassien de la caresse, quen est-il de la possibilit dune relation avec autrui ? La relation autrui apparat toujours conflictuelle, conflit que Sartre met en scnedansunHuisclosinfernal(Sartre,1947).Conflit,maisaussiviolenceet perscutionchezLvinas: autruinestpasseulementmonmatre,ilestmon perscuteur (Lamarre,2006,p74).Lamourlui-mmeapparatcommeune entreprise de sduction et de mauvaise foi chez Sartre. La rencontre avec autrui est-ellealorsdfinitivementimpossible ?PourBuber,ellerelvedunidal dstabilisant,rare,phmre,conditionnparlapossibilitdedireTuautrui car lemotfondamentalJe-Tufondelemondedelarelation (Buber,1969,p23). Mais, la plupart du temps, lhomme vit sur le mode du Je-Cela, se fermant les portes dunespiritualitcontemplative.Enfin,au-deldunerencontre,autruiest-ilmme connaissable ? Non,car autrui est par principelinsaisissable :ilme fuit quand je le chercheet me possde quandje le fuis (Sartre, 1943, p449). Le dsir daltrit mne ainsi une aporie de la connaissance. 3. Linconnaissable de la relation, relation linconnaissable 3.1. Linconnaissable ou laltrit pistmologique Laltritnousramnelpistmologie :relationintersubjectiveetstatutdela connaissancesonteneffetlis(Mallet,1998).Ilsagitdoncdepenserledsirde savoir du sujet dans sa relation lAutre lorsquil atteint sa limite. Linconnaissable a djt nomm, mme si ces noms ne sont que des trompe-lil,lalimitenepouvanttreatteinte.Unepremireperspectivepsychanalytique Dsir de savoir et altrit 7 7faitrsiderlinconnaissabledanslarelation :letransfertestlenon-thorisablede lanalyse (Imbert,1996).Unedeuximeperspective,plusphilosophique,serait quautruiporteenluiunetranscendance(Sartre,1943).Enfin,unetroisime perspectiveseraitquelesujetporteraitenlui-mmelinconnaissable :audsirde savoirsursoiquelesujetadresselautre,ilnyapasderponse.Lacanappelle objeta,lillusiondecesavoirtotalquinerefltequelinconnaissable : nous marquonsavecunenotationcriteunesimplelettreletrouopaquedenotre ignorance,nousmettonsunelettrelaplacedunerponsenondonne.Lobjeta dsigne donc une impossibilit, un point de rsistance au dveloppement thorique (Nasio,1992,p116).UnrapprochemententreSartreetLacannousparat intressant :penseparSartredansunerelationdextrioritlaconscience, laltritseraitenrevancheposeparLacanlintrieurdusujetdanslordredu signifiant et du symbolique (Vassalo, 2003) : le sujet lui-mme est Autre.LarelationlautrerenvoielesujetlAutreensoi.Ceretoursursoi,dont autruiestlemdiateur,confirmelesujet danssonipsitensurgissantcomme ngationduneautreipsit (Sartre,1943).Deplus,laprisedeconsciencedesoi saccompagne dune transformation du sujet, conduisant un processus daltration qui est connaissance de soi et autorisation (Ardoino, 2000). Ce processus qui pose la questiondelidentitnesefaitpassansdouleur : cestuncheminement dexplorateur ;cestunbilletsansretourversunedestinationinconnue,olamort estquotidienne,mortnosvisionsdumondesuccessives,etparl-mmenos identitssuccessives,nos moi successifs,etnosconceptionssuccessivesdu moi (Mallet,1998,p44).Commentapprhenderlinconnaissableensoi ?Pour LacanquifaitrfrenceKierkegaard,linconnaissableprovientduntroudu langage,lobjetdelangoissetantcequelelangagelui-mmenarrivepas nommer.PourSartre,linconnaissablesesituedanslapossibilitmmedela connaissance (Joannis, 1996).3.2. Lessence du dsir de savoir Linconnaissable est une cration et une limite de la pense rationnelle. En effet, laraisonservleinsuffisanteexpliquerleprincipederaisonlui-mme,laissant toujoursquelquechosedinexpliqu(Schopenhauer,1966).Sartreneditpasautre chose : linconnaissable est cr par la nature de notre regard sur lobjet. Les apories delaraisonobjectivantesontunthmecentraldeluvresartrienne : Mnon, Sartrepourraitrpondrequelanon-connaissanceestunfauxproblmepuisque prcisment il ny a rien chercher : lessence est au bout de lexistence (Joannis, 1996,p37).Cependant,dsquoncherchelenommer,linconnaissablesortdu nant : le dsir de savoir cre linconnaissable. Pour Schopenhauer, ce sur quoi bute laconnaissancerationnelle,cestlaVolont,lachoseensoi,lessencedetoute nergie. Le dsir de savoir, manifestation particulire de la Volont, est ainsi promis unterneltatdinsatisfactionetdemanque,allantdillusionenillusionetde ralisation en ralisation. Linconnaissable attise sans fin le dsir. Dsir de savoir et 8 Actualit de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 8inconnaissableformentdoncuncoupleinsparable,lemblmedelchecdela connaissance objective et rationnelle.Ledpassementdecetchecest-ilpossible grcelapenserflexive ?Cette interrogationrejointlambitionsartriennedefonderunedialectiquedela conscience. Or, la pense en tant quelle est en train de se penser, se chosifie, ce qui annoncedavancelchecpistmologiquedetouteconnaissancerflexive : cet effort,pourtresoi-mmesonproprefondement,pourreprendreetdominersa proprefuiteenintriorit,pourtreenfincettefuite,aulieudelatemporaliser commefuitequisefuit,doitaboutirunchec,etcestprcismentcetchecqui est la rflexion (Sartre, 1943, p189). Le dsir de savoir rflexif ne permet donc pas non plus daccder linconnaissable.Quereste-t-ilausujetdsirantpourapprhenderlinconnaissable ? SchopenhaueretSartreserejoignentpourpromouvoirlaconnaissanceintuitive. Lorsquelaconnaissancesaffranchitdelavolontetdetoutedpendance,lesujet peutaccderlacontemplationdelobjetquisoffrelui(Schopenhauer,1966). Ilnestdautreconnaissancequintuitive.Ladductionetlediscours, improprementappelsconnaissance,nesontquedesinstrumentsquiconduisent lintuition(Sartre,1943,p208-209).LaVolontschopenhauriennesaffirmepuis senie : lhommearriveltatdabngationvolontaire,dersignation,decalme vritableetdarrtabsoluduvouloir (Schopenhauer,1966,p477).ChezSartre, cest dans et par lchec de la connaissance rflexive que la conscience saffirme en oubliant quelle estconscience. Autrement dit, le dsir de savoir qui parvient une claireconsciencedelui-mmesvanouitenseralisant.Ainsi,apprhender linconnaissable ne se peut quen vivant la renonciation son dsir de savoir.Cesmomentso,aveclaVolontledsirdesavoirsvanouit, sappellent prsence(Sartre),rencontre(Buber),bienabsolu(Schopenhauer)ouencore vacuit (Krishnamurti). Silest difficile de ne plus avoir de but, pour ltre humain quisecaractriseparsaquteinsatiabledesavoir,ilestencoreplusincertainde rsister la tentation de mettre en mots sa pense. Or, sur ce chemin de vrit o il nyapasdeguide,lolepenseurfusionneavecsapense,lobservateuravec lobjet observ, cest de manire indicible que le contact se fait avec ce qui est. Tout discoursdexplicitationdevientimpropre.Celcherprisetotalconduitune rvolution complte de la conscience (Krishnamurti, 1997).Conclusion et perspectives Le dsir de savoir de llve envers lenseignant mne un questionnement sur leslimitesdelaconnaissancequirenvoientlesujetlui-mme,sonregardsur lautreetsondsirdesavoir.Silarationalitetlarflexivit,dufaitmmedun dsirdesavoirquelInconnaissablealimentesansrpit,chouentdonnerdes rponsessatisfaisantes,lapenseintuitivequisaffranchitdudsirdesavoiretde touteverbalisationapportelaperspectivedunau-deldusavoirsurlaRelationet lAutre en soi, trouvant son panouissement ultime dans le renoncement au dsir de Dsir de savoir et altrit 9 9savoir,cest--diredansunegratuitdobjectifabsolue :lessenceparadoxaledu dsirdesavoirestdoncdeconduiresaproprerenonciationpouraccderce qui est, exprience intuitive et indicible. Quelles sont alors les implications pratiques de notre rflexion pour llve ? Le dsir daltrit, exprim par llve et rvl par notre approche par questionnaire, se rvlethoriquement multipleet paradoxal :il pourrait tout aussi bien tre un dsir demdiation(relationnelle,culturelleoudidactique),undsirdapprhenderle mystre delaltrit, une porte ouvrant sur un processus deconnaissance de soi,en mme temps quune limite de la pense rationnelle et rflexive, et le triomphe de la penseintuitiveetdunondsirdesavoir.Ilnousfaudradoncentirerles consquencesoprationnellesentermesderussitescolaireetinterrogerla pertinence dun lien entre ce dsir de savoir si particulier que nous avons cherch ici dfinir et le niveau scolaire de llve. Remerciements LauteurtientremercierlU.M.RA.D.E.F(Apprentissage-Didactique-Evaluation-Formation),MadameChristianePeyron-BonjanetMadameJeanne Mallet, pour leur soutien. Bibliographie Ardoino J. (2000). Les avatars de lducation. Paris : PUF. Blanchard-LavilleC.,ChevallardY.,Schubauer-LeoniM.-L.(1996).Regardscroisssurle didactique. Un colloque pistolaire. Paris : La Pense sauvage. Blanchard-Laville C. (2001). Les enseignants entre plaisir et souffrance. Paris : PUF. Blanchard-LavilleC.,ChaussecourteP.,HatchuelF.,PechbertyB.(2005).Recherches cliniquesdorientationpsychanalytiquedanslechampdelducationetdelaformation. Revue Franaise de Pdagogie, n151, 111-162.Boimare S. (1999). Lenfant et la peur dapprendre. Paris : Dunod. Brianon M. (2005). A lorigine dun rapt didactique du dsir de savoir. Rencontre avec le dsirdesavoirdetroislvesdeCM2scolarissdansuneZEPdesQuartiersNordde Marseille. Psychologie & Education, n4, 53-70. Buber M. (1969). Je et Tu. Paris : Aubier. Cifali M. (1994). Le lien ducatif. Contre-jour psychanalytique. Paris : PUF. Espinosa G. (2003). L'affectivit de l'cole. Paris : PUF. Imbert F. (1996). Linconscient dans la classe. Paris : ESF. Joannis D. G. (1996). Sartre et le problme de la connaissance. Universit de Laval. Krishnamurti (1997). Le Livre de la Mditation et de la Vie. Paris : Editions Stock (vf). 10 Actualit de la Recherche en Education et en Formation, Strasbourg 2007 10Lamarre J.-M. (2006). Seule l'altrit enseigne. Le Tlmaque, n29, 69-78. Lvinas E. (1983). Le temps et lautre. Paris : PUF. MalletJ.(1998).Lessujetsenformation :illusionetncessit ?UniversitdeProvence : Revue En question, Mmoire n2. Meirieu P. (1987). Apprendre.oui, mais comment ? Paris : ESF. Morin E. (1994). La complexit humaine. Paris : Flammarion. Nasio J. D. (1992). Cinq leons sur la thorie de Jacques Lacan. Paris : Rivages. Peyron-Bonjan C. (1994). Pour lart dinventer en ducation. Paris : LHarmattan. Platon (1979). Le Banquet. Lausanne : Editions de lAire, Le Livre de Poche. Rancire J. (1987). Le matre ignorant. Paris : Librairie Arthme Fayard. Sartre J.-P. (1943). L'tre et le nant. Paris : Gallimard. Sartre J.-P. (1947). Huis clos. Paris : Gallimard. Sartre J.-P. (1946). Lexistentialisme est un humanisme. Paris : Gallimard. Schopenhauer A. (1966). Le monde comme volont et comme reprsentation. Paris : PUF. Sensevy G. (1998). Institutions didactiques. Etude et autonomie l'cole lmentaire. Paris : PUF. VassaloS.(2003).SartreetLacan.Leverbetre:entreconceptetfantasme.Paris: L'Harmattan.