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267 A 266 Axel Simon ARCHITECTURE Le stade se dresse comme un signe visible de loin, là où Munich se dilue en un paysage moins idyllique que la ville elle-même : le nouveau stade Allianz Arena que l’on doit au cabinet d’architectes suisse Herzog & de Meuron, entouré de champs, de terrains d’exercices militaires, de nœuds autoroutiers, quelques friches désertes et une colline surmontée d’une éolienne. C’est dans ce décor que bientôt des foules d’amateurs de football se déplaceront vers cet objet géant qu’ils surnomment déjà le «bateau pneumatique» – un nom beaucoup trop anodin pour ce lieu de culte vigoureux, car c’est bien de religion qu’il s’agit. Son architecte Jacques Herzog compare le chemin piétonnier qui va de la station de métro à l’Arena à une « procession religieuse ». En fait, quand on écrit sur l’actuel boom des stades de football ou polyfonctionnels, on ne peut échapper à une comparaison : le stade est devenu la cathédrale de notre époque. Pour beaucoup de gens, le sport est une sorte de religion de remplacement. Régulièrement, ils se rendent en pèlerinage vers les enceintes sportives, s’y rassemblent pour y accomplir leurs rites extatiques. Les stades américains s’appellent en conséquence des Superdômes, et les vieux stades anglais comme ceux de Highbury pour Arsenal et d’Anfield Road pour Liverpool, sont comme des églises au milieu d’une mer de maisons ouvrières. Le chemin qui mène à l’esplanade légèrement courbe de l’Allianz Arena ressemble en fait à une expérience métaphysique : au bout de ce paysage artificiel, qui est à vrai dire le toit d’un énorme parking, Les nouvelles arènes sportives : des cathédrales bouillonnantes

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Axel Simon

ARCHITECTURE

� Le stade se dresse comme un signe visible de loin, là où Munich se dilue en un paysage moinsidyllique que la ville elle-même : le nouveau stade Allianz Arena que l’on doit au cabinet d’architectes suisse Herzog & de Meuron, entouré de champs, de terrains d’exercices militaires, de nœuds autoroutiers, quelques friches désertes et une colline surmontée d’une éolienne. C’est dans ce décor que bientôtdes foules d’amateurs de football se déplacerontvers cet objet géant qu’ils surnomment déjà le«bateau pneumatique» – un nom beaucouptrop anodin pour ce lieu de culte vigoureux, car c’est bien de religion qu’il s’agit. Son architecte Jacques Herzog compare le chemin piétonnier qui va de la station de métro à l’Arena à une « procession religieuse ». En fait, quand on écrit sur l’actuel boom des stades de football ou polyfonctionnels, on ne peut échapper à une comparaison : le stadeest devenu la cathédrale de notre époque. Pour beaucoup de gens, le sport est une sorte de religion de remplacement. Régulièrement, ils se rendent en pèlerinage vers les enceintessportives, s’y rassemblent pour y accomplir leurs rites extatiques. Les stades américains s’appellent en conséquence des Superdômes, etles vieux stades anglais comme ceux de Highburypour Arsenal et d’Anfield Road pour Liverpool,sont comme des églises au milieu d’une mer de maisons ouvrières. Le chemin qui mène à l’esplanade légèrement courbe de l’AllianzArena ressemble en fait à une expériencemétaphysique : au bout de ce paysage artificiel,qui est à vrai dire le toit d’un énorme parking,

Les nouvelles arènes sportives :des cathédralesbouillonnantes

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Les gradins ne sont pas aussi abrupts que ceuxdes stades d’Anfield Road, de San Siro (Milan) ou du Maracana (Rio de Janeiro), le plus grandstade du monde avec 200 000 places, car les loisallemandes sur la construction ne le permettentpas. Pour Jacques Herzog, la proximité des supporters avec ce qui se passe sur la pelouse est importante, car « le football est un sportmoins convivial que l’athlétisme ». À l’autreextrémité de la ville se trouve l’ancien stadeolympique, construit pour ceux de 1972 quandl’Allemagne avait présenté le visage pacifique de son après-guerre : un toit en toile transparents’élance au-dessus du paysage et les siègess’ouvrent vers le ciel. Il ne ressemble pas à un amphithéâtre aux airs martiaux mais plutôtà son inoffensif prédécesseur : le théâtre grec.

Mais le temps où les spectateurs peuvent regarder le ciel et le paysage en même tempsqu’un match est révolu. Il y a deux cent ans déjà,Goethe, après avoir vu les antiques arènes deVérone, avait déclaré « qu’un amphithéâtre estainsi fait qu’il doit s’imposer au peuple». Cettephrase colle au stade de l’Arena AufSchalke :depuis 2001, des foules se précipitent dans ce stade polyvalent construit au milieu de la Ruhrpour assister à divers spectacles : football, biathlon, opéras, supercross, football américain,saut d’obstacles, Madonna ou le pape. Trois deces manifestations ont duré 96 heures. L’Arenan’est pas une grande réussite architecturale,mais c’est pourtant le stade le plus moderned’Europe. Environ 50000 places assises, dont un certain nombre recouvertes de cuir dans les

L’Arena AufSchalke à Gelsenkirchen s’appelle dorénavantla Veltins Arena(2001, HPP, Düsseldorf).

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le bâtiment surgit telle une apparition. Un cercleaux formes douces fait de 2800 caisses gonflablesentoure une construction puissante, rouge, bleuclair ou blanc brillant à volonté. Un stade commeun corps rond lumineux – cela n’a semble-t’ilrien à voir avec l’architecture au sens le plus simple du terme. Pourtant celui qui pénètre sousla façade illuminée se retrouve dans une boîtearchaïque qui rappelle un Colisée romain. Les

buvettes sont situées dans les coursives sous les tribunes, où l’on se rencontre et où l’on se plie en dévotion vers les loges des VIP. Lesombres des bannières pendent des tribunes,tout comme autrefois dans le plus important stade de l’Antiquité. Distribuées en trois niveaux,les tribunes dessinent grâce à leurs lignes hardies un espace pur turgescent d’une grandepuissance et d’une grande beauté. Elles semblent tirées du modèle antique. Aucunepiste d’athlétisme ne sépare les spectateurs del’événement qui ne consiste plus aujourd’hui à voir des êtres humains dévorés par des bêtessauvages, mais vingt-deux gladiateurs courantderrière un ballon. 66 000 personnes seront assises dans le chaudron munichois lors dumatch inaugural de la Coupe du monde 2006.

De l’extérieur,l’Allianz Arena

de Munich (2004,Herzog &

de Meuron), apparaît comme uncanot de sauvetage

et, de l’intérieur, comme

un amphithéâtre bouillonnant.

D’un point de vue architectural, la Veltins Arena n’a gagné aucun prix,bien qu’elle fasse partie des arènes les plus modernes. La pelouse peut êtresortie comme ungâteau d’un four.

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de saucisses lors des mi-temps. Dans l’ArenaAufSchalke, 60 km de tuyaux garantissentl’approvisionnement de bière lors des matchs. En conséquence, le bâtiment a été renommérécemment Veltins Arena du nom d’une célèbrebière allemande, le sponsor le plus important du lieu. Les modèles de ce type d’arène sportive, qui se rendent autonomes des conditions climatiques et qui sont transformés en temple de la consommation, se trouvent aux États-Unis.Il y a quarante ans déjà l’Astrodome de Houstonavait été recouvert d’un toit et équipé d’unepelouse synthétique. En 1989, le Skydome deToronto a été recouvert d’un toit mobile, lapelouse restant naturelle. En Europe, le principed’un stade remplissant plusieurs fonctionnalités

Les Japonais surnomment l’élégant stade d’Oita le « Grand œil »(2001, Kisho Kurokawa).Le toit peut s’ouvrir et se fermer commeles paupières.

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loges des VIP que des entreprises très solvablespeuvent louer pour y organiser des fêtes privées– un à-côté indispensable à la gestion modernede tout stade contemporain. La pelouse peutêtre enlevée comme un gâteau d’un four. Au-dessus de la pelouse, on a suspendu le plusgrand écran vidéo et, en cas de pluie, le toit se ferme automatiquement. Ces stades sont desmachines à divertissements multifonctionnelles,nées du besoin de raccourcir les périodes derelâche qui sont longues et coûteuses et enmême temps de tirer le plus d’argent possibledes spectateurs. La sécurité des personnes est assurée par le contrôle fluide des vagues de supporters ainsi que par l’organisation d’une consommation importante de bière et

Récemment restauré,le stade olympique deBerlin attend la finale

de la Coupe du monde de football2006 (2005, gmp.

Hambourg) avec un nouveau toit

et des trésors de technologies

modernes invisibles.

Le stade olympiquede Berlin a été construit dans

le cadre d’une grandemanœuvre de

propagande orchestrée par Hitler :

les jeux Olympiquesde 1936.

Le Dome de Sapporo,édifié à l’occasion dela Coupe du monde2002 au Japon, a démontré que des enceintes polyvalentes pouvaient être belles(2001, Hiroshi Hara).

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qui, vu de l’extérieur, ressemblait au Colisée deRome et Leni Riefenstahl œuvra à la fascinationde ces Jeux. Restauré récemment et modernisé,le stade olympique de Berlin accueillera la finalede la Coupe du monde en 2006.Pour les grands événements, un nouveau stadeest rarement seul au programme. De manièrecyclique, des armadas entières d’arènes aspirentà une reconnaissance médiatique et contribuentà dessiner de nouveaux lieux dans le paysagearchitectural. C’est ainsi que, lors de la Coupe du monde de football 2002, le Japon a présentéune série de nouveaux stades élégants, parexemple à Toyota ou à Oita. Le Dome de Sapporo confirme qu’un stade multifonctionnelpossède des qualités architecturales réelles. Lors

de l’Euro 2004 au Portugal, un stade fit parler de lui, à côté du mythique Estadio de la Luz, legrand stade de Lisbonne, celui de Braga quin’accueille que 30 000 spectateurs. Dans cetteville du nord du pays, l’architecte Eduardo SoutoMoura a blotti une tribune contre une paroirocheuse. Les deux tribunes en béton sontreliées par des filins en acier, qui tendent lesdeux toits au-dessus des deux tribunes. Dans un langage architectural tout à fait autre, il s’estpassé la même chose en 1972 avec celui deMunich : le stade et le paysage forment uneunité. C’est ce qui arrive à Braga, même si c’està la grande désolation du supporter de football. Leurs places préférées, à savoir les sièges derrière les buts, sont absentes à Braga.

Le stade de Braga, au nord du Portugalest relativement petit,mais il impressionnepar la fusion de l’architecture avec le paysage minéralqui l’entoure (2003, Eduardo Souto Moura).

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a été introduit pour la première fois avec laconstruction en 1996 de l’Arena, le stade de l’Ajax d’Amsterdam. Ce stade est un veau d’orpour le club : 50 000 places assises, 60 logespour les VIP et 1 000 sièges pour les entreprises,750 toilettes, 80 buvettes, une station de métroqui dessert directement le stade et un parking de2600 places. «La construction est révolutionnaire,c’est le prototype du stade de footballmoderne », déclara le président du club lors del’inauguration, sans insister sur l’architecture très moyenne du bâtiment. Le standard des stades européens s’est nettement amélioré ces dernières dizaines d’années, que ce soit entermes de rentabilité, de confort, de sécurité etde médiatisation. Pourtant, à l’image des arènes

technologiquement très modernes que sont l’Arena d’Amsterdam ou le stade de Schalke-Gelsenkirchen, la plupart des stades d’aujourd’huine sont pas des chefs-d’œuvre d’architecture. Or ce critère gagne en importance pour la renommée des cités. Des villes, voire des paysentiers ont découvert que les stades sont desédifices de prestige. Elles utilisent les grandes occasions retransmises dans le monde entier parles médias, comme les championnats du mondede football ou les jeux Olympiques ainsi qued’autres événements sportifs spectaculaires.Déjà Adolf Hitler, en 1936, lors des jeux Olympiques de Berlin, avait reconnu le potentielde ces manifestations. Il impressionna le mondeen faisant construire un stade de 100 000 places,

L’Estadio da Luz, le stade de la

Lumière, est le nomdonné au

stade de Lisbonnequi a accueilli entre

autres la finale del’Euro 2004 (2003,

HOK, Chicago).

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Pour les jeux Olympiques de 2008,la Chine a fait appelaux plus grands architectes occidentaux. Ainsi le stade olympique de Pékin a été conçupar le cabinet Herzog & de Meuron.

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Pour les jeux Olympiques 2004, Athènes s’est adressé à un spécialiste mondialement connu de l’architecture sportive, l’Espagnol Santiago Calatrava qui travaille à Zurich. Non seulement il a soumis un stade olympiquetrès ancien, dont la construction remonte auxannées 1980, à une cure de rajeunissement en lui adjoignant un toit mobile formant une toile de filins qui le fait ressembler à une tortueet à un papillon, mais il a également édifié d’autres bâtiments non moins élégants commele Vélodrome. Bientôt d’autres stades marqueront de leur forme l’évolution del’architecture contemporaine : Pékin, en vue des Jeux de 2008, a fait appel à des architecteseuropéens pour assurer la construction de

nombreux sites, ainsi le stade olympique seral’œuvre de Herzog & de Meuron. Le futur stadedéjà dénommé le « Nid d’oiseau » à cause de saconstruction spectaculaire accueillera 100 000visiteurs et sert déjà de symbole des Jeux enExtrême-Orient. À Londres, le nouveau NationalStadium remplit le même rôle. Norman Foster aconstruit le nouvel édifice à la place de Wembleyqui datait de 1923 pour une somme d’environ 1 milliard d’euros et en a fait le plus grand et leplus moderne des stades polyvalents du monde.Le National Stadium aura une capacité de90 000 places et son toit coulissant se dresse en un arc de cercle à 133 m de hauteur. À partirde 2006, il deviendra à côté de Saint-Paul la nouvelle cathédrale de Londres. �

Le stade olympiqued’Athènes est issud’une rénovation

d’un stade plus ancien

(2004, Calatrava). Le toit en écailles

de Plexiglas peut êtrefermé pour protéger

les spectateurs et les athlètes des

rayons du soleil.

Avec son arc d’acierde 133 m de hauteur,le nouveau stade de Wembley va devenir un desbâtiments symbolesde Londres (2006,Foster & Partners).