Archaismes et modernismes dans l'architecture provencale du quatorzieme au vingtieme siecle

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Himyof European Idenr. Vol. 3, No. 3. pp. 281-287.1982 Rimedin Great Britain. OlYl-6599/82/0302R1-07M3.O0/00 Pergamon Press Ltd. ARCHAISMES ET MODERNISMES DANS L’ARCHITECTURE PROVENCALE DU QUATORZIEME AU VINGTIEME SIECLE FRANCOB FRAY et ELISABETH SAUZE Aprb douze ans seulement d’activite en Provence, 1’Inventaire’ ne peut encore pretendre donner de l’architecture regionale une anafyse compkte. D’ores et deja pourtant les recherches achevees dans trois cantons vauclu- siens (Cadenet, Pertuis, Valreas) et les observations faites au tours de plu- sieurs campagnes de preinventaire et operations d’urgence dans les autres d~pa~ements ont permis d’esquisser une typologie Cvolutive de l’habitat et de mettre en lumiere certains caracteres generaux, remarquables et neanmoins peu remarquts jusqu’a present, de l’architecture provencale. L’un de ces caracteres - d’ailleurs non specifique a notre region mais present Ztdes degr6 et scion des modalitb diverses partout - est la coexis- tence d’archdismes et de modernismes, l’emploi simultane en un meme lieu de formes qui paraissent depassbes, demodees ou au contraire normales, voire avancees, par rapport a celles qu’invente et promeut l’elite crcatrice de chaque generation. Le fait a &C neglige, sinon ignore, des historiens de l’art attaches exclusivement a l’ctude de l’architecture savante, de I’architecture de luxe soumise a l’evolution constante de la mode et du progres technique, et a Cchappe iussi bien aux geographes et aux ethnologues preoccupb par l’idee - non point fausse, mais trompeuse - d’une architecture ‘populaire’ et ‘traditionnelle’. 11 appartenait a Unventaire, moins limite dans son champ d’investigation et dote de moyens materiels et methodologiques plus effi- caces, de decouvrir et de retracer dans toutes ses nuances de detail l’evolution hesitante, complexe et diffuse de l’architecture dite ‘mineure’, oeuvre de macons de quartier ou de village destinee a de simples bourgeois, artisans ou paysans. Archakmes, modernismes, qu’est-ce 5 dire? Parmi les Clements divers d’une construction, il en est qui ont Cvolue sans cesse, plus ou moins rapide- ment, et d’autres qui sont demeures inchanges au tours des siecles - du moins jusqu’a une date recente. Par exemple les materiaux de gros-oeuvre: la Pierre, toujours prise sur place ou a proximite du chantier; le mortier de chaux et de sable, dont les textes montrent la composition invariable (en theorie; mais les fraudes elles-mtmes n’ont pas change); la tuile ronde fabri- quee par des artisans itinerants dans les tuilieres communales ou privees. En ce qui concerne la mise en oeuvre, les proctdes se retrouvent identiques du quatorzieme (on ne sait presque rien auparavant) au debut du vingtieme siecle. On constate seulement. i partir du dix-septieme siecle, le recours de plus en plus frequent aux formules rapides et peu couteuses - blocage enduit et badigeonne de chaux pour les murs. charpente et tuile pour les couvertures - et l-abandon progressif. meme pour des edifices de prestige, de l’appareil 281

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Himyof European Idenr. Vol. 3, No. 3. pp. 281-287.1982

Rimedin Great Britain.

OlYl-6599/82/0302R1-07M3.O0/00

Pergamon Press Ltd.

ARCHAISMES ET MODERNISMES DANS L’ARCHITECTURE PROVENCALE DU QUATORZIEME AU

VINGTIEME SIECLE

FRANCOB FRAY et ELISABETH SAUZE

Aprb douze ans seulement d’activite en Provence, 1’Inventaire’ ne peut encore pretendre donner de l’architecture regionale une anafyse compkte. D’ores et deja pourtant les recherches achevees dans trois cantons vauclu- siens (Cadenet, Pertuis, Valreas) et les observations faites au tours de plu- sieurs campagnes de preinventaire et operations d’urgence dans les autres d~pa~ements ont permis d’esquisser une typologie Cvolutive de l’habitat et de mettre en lumiere certains caracteres generaux, remarquables et neanmoins peu remarquts jusqu’a present, de l’architecture provencale.

L’un de ces caracteres - d’ailleurs non specifique a notre region mais present Zt des degr6 et scion des modalitb diverses partout - est la coexis- tence d’archdismes et de modernismes, l’emploi simultane en un meme lieu de formes qui paraissent depassbes, demodees ou au contraire normales, voire avancees, par rapport a celles qu’invente et promeut l’elite crcatrice de chaque generation. Le fait a &C neglige, sinon ignore, des historiens de l’art attaches exclusivement a l’ctude de l’architecture savante, de I’architecture de luxe soumise a l’evolution constante de la mode et du progres technique, et a Cchappe iussi bien aux geographes et aux ethnologues preoccupb par l’idee - non point fausse, mais trompeuse - d’une architecture ‘populaire’ et ‘traditionnelle’. 11 appartenait a Unventaire, moins limite dans son champ d’investigation et dote de moyens materiels et methodologiques plus effi- caces, de decouvrir et de retracer dans toutes ses nuances de detail l’evolution hesitante, complexe et diffuse de l’architecture dite ‘mineure’, oeuvre de macons de quartier ou de village destinee a de simples bourgeois, artisans ou paysans.

Archakmes, modernismes, qu’est-ce 5 dire? Parmi les Clements divers d’une construction, il en est qui ont Cvolue sans cesse, plus ou moins rapide- ment, et d’autres qui sont demeures inchanges au tours des siecles - du moins jusqu’a une date recente. Par exemple les materiaux de gros-oeuvre: la Pierre, toujours prise sur place ou a proximite du chantier; le mortier de chaux et de sable, dont les textes montrent la composition invariable (en theorie; mais les fraudes elles-mtmes n’ont pas change); la tuile ronde fabri- quee par des artisans itinerants dans les tuilieres communales ou privees. En ce qui concerne la mise en oeuvre, les proctdes se retrouvent identiques du quatorzieme (on ne sait presque rien auparavant) au debut du vingtieme siecle. On constate seulement. i partir du dix-septieme siecle, le recours de plus en plus frequent aux formules rapides et peu couteuses - blocage enduit et badigeonne de chaux pour les murs. charpente et tuile pour les couvertures - et l-abandon progressif. meme pour des edifices de prestige, de l’appareil

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en Pierre de taille. Les materiaux de finition ont evolue en sens inverse: objets de luxe au seizieme siecle, les carrelages de terre cuite et les enduits de plltre sont au dix-huitieme siecle devenus communs. Mais au debut du vingtieme siecle encore, certaines maisons paysannes n’avaient que des enduits et des sols de mortier et des plafonds a charpente apparente. De m&me, le vitrage des fenetres ne s’est vraiment generalise qu’au dix-huitieme siecle. Pourtant les vitres et les malons Ctaient connus et employ& depuis le Moyen-age, les plafonds de platre depuis le seizieme siecle. L’archaisme. en ce domaine. relevait moins du niveau culture1 que du niveau de fortune des utilisateurs. I1 convient cependant de ne pas sousestimer l’influence de la mode dans la diffusion du malonnage des sols et du platrage des plafonds. revetements devenus beaucoup moins onereux a partir du jour ou l’on a bien voulu les employer sans decor.

Une observation identique peut-&tre faite B propos des plans de demeures urbaines, tributaires d’un parcellaire peu varie et t&s rigide. I1 fallait disposer de moyens financiers importants pour rompre ce veritable carcan par l’acqui- sition soit de grandes parcelles - rares au centre ville, plus nombreuses mais moins attractives dans les faubourgs - soit de petites parcelles jointives. Un logement de plus de quarante metres car& supposait une certaine aisance, celui de plus de quatre vingts metres car&s representait un veritable luxe. 11 n’est, pour s’en convaincre, que de parcourir les cadastres communaux du seizieme au dix-neuvieme siecle, que de voir la fac;on dont furent lotis, au dix-neuvieme sibcle, l’ancien couvent des Dominicains de Cadenet et la Fabrique (ancienne sucrerie) de Villelaure. Construite sur le modele de la maison villageoise, l’habitation rurale isolee presente la meme exiguite et une tendance & la verticalite et B la mitoyenned qu’on ne peut expliquer par la seule contrainte du co3 de la construction. 11 faut bien ici incriminer la force des habitudes et des gouts, qui a conduit a utiliser un type d’habitat adapte a des circonstances tout a fait differentes. La ressemblance des parcelles - presque toutes carrees ou rectangulaires et accessibles par un petit tote - a entraine celle des plans de maisons: sur une surface Ctroite et profonde, les possibilitds d’agencement n’abondent pas. Les grandes parcelles, parcelles d’angle, parcelles irrkgulieres au centre des ilots, parcelles larges obtenues par fusion de plusieurs petites, auraient pu donner naissance a un nombre eleve de solutions. Or les plans utilises se reduisent a trois types seulement, represent& chacun par peu d’exemplaires alors que les deux types de petites maisons forment plus des deux tiers du bati d’une agglomeration. Les plans- types les plus courants sont aussi les plus anciens. Les autres apparaissent a des Cpoques diverses (seizieme et dix-septieme siecles). Tous se sont perpe- tues, moyennant quelques legers amenagements jusqu’au dkbut du vingtieme siecle.

La force des habitudes et des modeles connus doit Ctre invoquee aussi a propos des enceintes fortifiees construites au se&me siecle. La conception d’ensemble et Ie detail des ouvrages font de I’enceinte de Cucuron, edifice entre 1540 et 1545, une parfaite imitation des fortifications urbaines du sei- &me siecle (celle d’Ansouis, entre autres); la seule concession au modernisme consista a adapter les meurtrieres aux armes a feu.

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Des qu’on examine le detail des structures architecturales, le rythme d’evolution devient a la fois plus rapide et plus complexe. La chronologie d’emploi des systemes de vofitement, par exemple, presente en pays d’Aigues de fortes discordances avec le cadre general trace par les historiens de part. La primaute dune forme, longue a s’etablir, se maintient generalement bien au-deli du moment ou une nouvelle forme pourrait et devrait la remplacer. Comparons les deux principaux systemes connus au Moyen-age: la voute en berceau et la croisee d’ogives. Le berceau apareille, en plein cintre ou plus souvent brise, fut jusqu’au treizieme siecle seul employe et garda la preference encore au quatorzieme siecle pour les ouvrages de grand developpement, alors que la croisee d’ogives commencait a Ctre utilisee pour des edifices ou parties d’edifices de dimensions reduites. Ainsi voit-on couvrir d’un berceau la nef de l’eglise de Cadenet en chantier en 1343 et la quatrieme travee de celle de Grambois entreprise peu apres cette date; mais simultanement ou presque, le choeur et les chapelles laterales de ces memes Cglises recurent des votites d’ogives. En fait, l’utilisation de I’ogive avait fait l’objet de tentatives d&s le treizibme siecle: la serie de nervures toriques retombant sur des colonnes engagees qui orne l’abside en cul-de-four de l’eglise de La Tour-d’Aigues, les croisees de la plus ancienne chapelle laterale de la meme Cglise et du choeur de Saint-Jean de Roubians (Cabrieres-d’Aigues) rappellent par leur lourdeur les ouvrages similaires realises au debut’ du treizieme siecle a Montmajour, la Major de Marseille et Simiane (rotonde). Mais il faut attendre le milieu du quatorzieme sibcle pour voir apparaitre les formes allbgees du gothique septen- trional, les hautes ogives Cpaulees par des contreforts (et non plus des murs aussi epais que ceux qui soutiennent des berceaux) et les parois amincies et per&es de grandes fenttres a remplage. Encore cette formule ne connut-elle en pays d’Aigues son plein Cpanouissement qu’a la fin du quinzibme et dans la premiere moitie du seizieme siecle - Cglise des observantins du Tourel (La Tour-d’Aigues, apres 1478)) Cglise des carmes de Pertuis (X21-35), choeur et collateral de Saint-Nicolas de Pertuis (1535-45). choeur de l’eglise de Cadenet (1537). Du milieu du seizieme au debut du dix-huitieme siecle, il n’y eut plus de grand chantier. Mais on continua a votiter d’ogives - avec des voutains non plus appareilles mais en blocage enduit - de nombreuses chapelles laterales (la derniere, a Cadenet. en 1716) et a reconstruire sous cette forme des voutes plus anciennes (par exemple celles de la nef de Saint-Nicolas de Pertuis refaites en 1685).

11 ne faudrait pas croire que la votite en berceau ait ete completement delaissee durant ce temps. On en trouve de nombreux exemples dans l’archi- tecture civile (caves, rez-de-chausde d’habitations et de batiments agricoles). concurremment avec la voute d’aretes qui pro&de de la meme technique (penetration de deux berceaux perpendiculaires), jusqu’au dix-neuvieme siecle. Execute en blocage coffre. le berceau fut encore employe pour couvrir deux chapelles laterales de l’eglise de La Tour-d’Aigues achevees en 1620 et les nouvelles eglises - de bien mediocre facture, il est vrai - de Peypin-d' Aigues et de Saint-Martin-de-la-Brasque eleves entre 1626 et 1630.

Autre exemple significatif d’une structure dont les diverses formes se che- vauchent au lieu de se succeder dans le temps: l’escalier. La formule la plus

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simple et la pius ancienne, simple volee droite appuyte contre un mur maitre. a l’interieur ou a l’exterieur de [‘edifice, ne cessa jamais d’etre preferee pour les maisons pauvres et les batiments agricoles qui ne comportaient qu’un seul &age au-dessus du rez-de-chaussee. L’escalier en vis sur noyau fut d’emploi frequent, mais synonyme d’un certain luxe, au bas Moyen-age. En pays d’Ai- gues, il en existe encore quelques exemples du quinzieme et du debut du seizieme siecle, loges dans des tours polygonales hors-oeuvre ou demi hors- oeuvre. Vers ie milieu du seizieme siecle, on passa du plan polygona au plan carre avec des trompes pour soutenir les marches dans les angles: ainsi conc;u, l’escalier du ‘chateau neuf’ de Lourmarin acheve en 1542 apparait comme une oeuvre experimentale - non sans quelque maladresse - et en meme temps, savante par sa vis a noyau helicoidal. La vis de plan carrk eut un grand succes et suscita d’innombrables imitations jusqu’au dix-huitieme siecle sous une forme simplifiee, integree dans oeuvre et de dimensions reduites. On l’employa encore au debut du dix-neuvieme siecle a Tarascon lorsque l’ancien couvent des Ursulines fut divid en Iots dotes chacun d’un escaher en vis hors-oeuvre de plan carre. Notons que dans les escaliers de ce type construits au dix-huitieme siecle, on trouve des trompes completement inutiles maintenues par simple respect de la tradition et par souci decoratif.

L’escalier rampe sur rampe a mur-noyau fut importe en pays d’Aigues par Jean-Louis-Nicolas de Bouliers dans la seconde moitie du seizieme siecle. Le grand escalier du chateau de La Tour-d’Aigues, imite dans tous ses details de celui d’Ecouen, servit de modele d’abord a ceux des chsteaux de Villelaure (1579-87), d’Ansouis et de Sannes (premiere moitie du dix-septieme siecle) avant d’inspirer, a partir du milieu du dix-septikme siecle, des realisations plus nombreuses et plus modestes dans les demeures bourgeoises des environs. L’apparition d’un nouveau type - escalier tournant suspendu - a la fin du dix-septibme siecle n’empecha pas l’utilisation de l’escalier rampe sur rampe jusqu’8 la fin du dix-huitieme siecle (dernier exemple date 1777 a Lourmarin).

On observe des retards identiques dans l’evolution de la structure des fenetres. L’habitude seuie maintient a la fin du seizieme et durant une partie du dix-septieme siecle l’emploi de la croisee en Pierre pourtant devenue inutile depuis l’adoption des linteaux claves. Quant aux cheminees, on n’en releve que deux modeles differents, dont le premier, a hotte droite, foyer a l’aplornb du mur, eut tours jusqu’g la fin du dix-septieme siecle tandis que le second, inaugure au debut du dix-huitieme siecle pour les appartements de type moderne (cheminees plus petites, a manteau saillant, un foyer creuse dans le mur), a dure jusqu’au vingtibme siecle.

Si Ies matkriaux sont rest& inchanges, si les structures ont Cvolue peu et ientement, le decor en revanche s’est modifie sans cesse et c’est lui seul, le plus souvent, qui a traduit l’influence de la mode et constitue l’apport du modernisme. Les exemples abondent d’ornements tout a fait au gout du jour conjugues a des elements d’architecture plus anciens ou archdisants. Citons Ie donjon et les corps de logis medievaux du chateau de La Tour d’Aigues harmonises par un rhabillage complet des facades en Pierre de taille sculptee avec les parties neuves construites entre 1550 et 1570. Les voutes flam- boyantes de Saint-Nicolas de Pertuis (1535-35), I’escalier en vis du ‘chateau

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neuf de Lourmarin (1542) recurent un decor d’esprit renaissant. L’examen archeologique et de nombreux prix-faits des dix-septieme et dix-huitieme siecles montrent que des particuliers n’hesiterent pas a faire remanier en totalite ou en partie la facade de leur maison pour la conformer a une esthetique nouvelle, sans modifier la disposition interieure. Innovation limi- tee parfois: ainsi pour cette demeure de la fin du seizieme siecle sise dans la rue Saint-Pierre a Pertuis, dont la Porte d’entree - Clement noble et enseigne du statut social - a seule tte traitee de facon moderne (inscrite dans une travee toscane) alors que les autres baies, peu ornees, ont CtC disposees irregulierement a la man&e des facades medievales. Le remplacement de nombre de croisees en Pierre par des baies segmentaires au dix-huitieme siecle pro&de au meme souci de modernisation partielle, qui Cpargna simul- tanement des portes et des structures interieures plus anciennes. La juxtapo- sition de partis differents et le melange des genres ne choquaient pas.

Quoique dans l’ensemble plus Cvolue, le decor n’etait pas toujours exempt d’archa’ismes. Certains motifs ont conserve longtemps une faveur inexplicable autrement que par l’influence de modeles locaux prestigieux et/au l’inapti- tude de certains artisans a modifier leurs habitudes. L’accolade, figure deri- vee du larmier ornant les linteaux de portes et de fenetres, connut une vogue universelle au quinzieme et au debut du seizieme siecle; on en rencontre encore, dans des villages varois et alpins Ccartes, des exemples dates du dix-septieme siecle. Une pratique courante aux seizieme et dix-septieme siecles a consist6 a souligner les voutes d’aretes des couloirs, galeries, vesti- bules et paliers d’escaliers de nervures et de clefs peridantes en stuc ou en platre imitant des ogives (hotel de Mazon a Riez, date 1523, mais aussi de nombreuses maisons bourgeoises d’Aix, Cuers, Saint-Tropez, etc.) Le main- tien de structures pastiches (en materiaux legers et sans ntcessite fonction- nelle), telles que les creneaux sur les edifices seigneuriaux ou les trompes d’angle dans les escaliers en vis de plan carre, parait Ctre d’ordre purement symbolique et decoratif,

Les quelques constatations qui precedent prouvent combien il est aleatoire de fonder la datation d’un edifice sur l’analyse stylistique et la comparaison avec d’autres oeuvres plus ou moins Cloignees dans l’espace. Seul le docu- ment Ccrit peut fournir un rep&e chronologique stir et precis. En revelant l’existence de courants variables, en vitesse et en intensite, dans l’evolution des techniques et des gouts en mat&e d’architecture, il ne s’agit pas seule- ment d’observer un phenomene de resistance des mentalites a l’innovation. Encore faut-il s’efforcer de comprendre pourquoi certaines nouveautes ont CtC adoptees d’emblte et d’autres avec tant de retard, pourquoi certaines formes ont perdure si longuement et d’autres pas. L’explication n’est pas simple, parce qu’elle fait intervenir des faits que nous connaissons peu et mal: les circuits et les delais de diffusion des modes et les connaissances; le niveau de qualification des artistes et des artisans batisseurs; la culture et les motivations des commanditaires. Nous essaierons pourtant d’apporter quel- ques elements de reponse a ce probleme.

Archdismes. modernismes, ces mots viennent.de nous, de notre jugement d’hommes d’aujourd’hui. En ce domaine comme en tant d’autres, la relativite

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existe et il convient de distinguer trois plans ou points de vue successifs qui donnent 2 la mCme notion une valeur bien diffkrente.

Le plan mat&k1 et technique d’abord. L’adoption ou le rejet de certaines formes parait kvidemment Ii6 B I’emploi de matkriaux dkterminks. Les hautes toitures d’ardoise - ou de tuile plate imitant l’ardoise - des chsteaux de La Tour-d’Aigues et de Villelaure ne peuvent &tre considkrkes comme une vCri- table innovation; copiees sur celles des palais d’Ile-de-France, rkaliskes h grands frais par des ouvriers &rangers avec des matkriaux import& ou fabri- q&s spkcialement, elles constituent une expkrience unique, insolite, inimitke parce qu’inimitable. D’une man&e g&&ale en Provence, I’abondance de la Pierre et la raretC du bois ont conduit les constructeurs B user plus largement qu’ailleurs des voQtes, ?I rkduire autant que possible les charpentes. Les constructions B pans de bois (un exemple 2 La Bastide-des-Jourdans) et les parquets (signal& au dix-huiti$me siitcle B La Tour-d’Aigues) reprksentent des exceptions manifestement apportkes d’ailleurs. En revanche la terre battue (tapi), le mortier, la tuile ronde appartiennent 2. toutes les Cpoques. Le pktre et les malons de terre cuite, g partir du moment oti ils purent Ctre fabriquks sur place, devinrent les supports d’une mode durable.

La culture et la compktence des artisans a sans aucun doute jouk un r6le important dans la diffusion ou la conservation des modttles. Tout 2 fait symptomatique 21 cet kgard apparait ~‘utilisation de la croiske d’ogives, d’abord limitke & des volumes de petites dimensions et entourke de prkcau- tions (murs trks Cpais, hauteur rkduite); devenue de plus en plus aisCe B partir du milieu du quatorzikme sibcle jusqu’8 atteindre la virtuositk au seizitime sikle; maintenue bien au-de18 de l’av&ement de la Renaissance, et m@me de 1’Bge classique, dans la pratique. Le savoir-faire des magons, transmis dans Ie cadre 6troit de la famille et du chantier, a sa part de responsabilitk dans une telle Cvolution. Les techniques nouvelles, pendant longtemps, n’ont pCnCtrC une rCgion qu’avec les hommes capables de les mettre en oeuvre et de les enseigner: encore fallait-il que ces hommes fussent appelCs sur place par des commanditaires suffisamment cultivks et riches pour recourir B leurs services. Tous les grands chantiers - kgiises, chkeaux - ont laissk dans la vie artistique locale une empreinte durable. Quant au d&or, sa diffusion n’ktait pas IiCe B celle d’une technique mais B celle du godt et fut assurCe, assez rapidement semble-t-il, par le moyen de dessins et de gravures Cmanant d’artistes cCkbres. C’est pourquoi les structures architecturales ont toujours mis plus de temps 3 6voluer que I’ornementation.

Le second plan peut Ctre dCfini comme celui des rCsistances involontaires et inconscientes. Les notables de Cucuron qui confibrent en 1540 la construction de l’enceinte fortifiCe de leur ville SI un entrepreneur venu de ChAteaurenard n’avaient pas B leur disposition d’autre modkle que les vieilles fortifications du quatorzikme si&le encore visibles B Pertuis et Ansouis. La conservation d’ClC- ments symboliques (comme les crkneaux) ou simplement attach& par tradition 3 une structure particulikre (comme les trompes des escaliers en vis de plan carrk ) relsve du mCme respect de la tradition Ctablie. En utilisant une forme ancienne, on ne cherchait pas g faire de 1’ ‘ancien’, mais 21 tirer parti d’une possibilitk offerte parmi d’autres. Tant qu’elle restait adaptke aux besoins

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communs, tant qu’elle conservait, par sa qualite ou son decor, un certain prestige aupres de ceux qui la cotoyaient, une architecture ne pouvait se demoder et continuait a servir de reference.

Les veritables innovations, les veritables archaismes se situent sur le troi- sieme plan, celui des actes conscients et volontaires. Qu’il s’agisse d’une ‘restauration’ - comme la reconstruction des croisees d’ogives de la nef de Saint-Nicolas de Pertuis en 1685 - ou d’un pastiche, par example, a Cadenet, la fleche du clocher de l’eglise ou le petit beffroi du chateau tous deux du dix-neuvibme siecle, l’imitation a pour but cette fois de renouer avec une tradition interrompue, de recreer un d&or du passe. Toutes les grandes crea- tions, importees de l’exterieur, n’apparaissent comme des nouveautes qu’au plan local: le chateau de La Tour-d’Aigues n’etait qu’une rtplique de celui d’Ecouen et il est difficile de parler d’innovation a propos de l’eglise des Carmes de Pertuis (1521-35) qui fut la premiere (et la seule) Cglise du pays d’Aigues dotee des l’origine de collateraux et d’arcs-boutants. 11 ne faut pas trop s’etonner que de telles realisations aient peu (ou pas du tout) set-vi de modeles - sinon par quelque detail - directs: leur ampleur exceptionnelle, mais aussi leur trop grand Ccart par rapport a la tradition locale en faisaient des cas uniques, inimitables.

Conservateurs de l’lnventaire Francois Fray et Elisabeth Sauze

NOTES

1. Minist&re de la Culture et de la Communication, ‘Inventaire gCnCra1 des monu- ments et des richesses artistiques de la France’. Commission RCgionale de Pro- vence, Alpes-C6te d’Azur, ‘Pays d’Aigues’ (Inventaire des Cantons de Cadenet et de Pertuis) (Paris: Imprimerie Nationale, 1981).