Arbitrage international et corruption TORDEUR Noé… · Ainsi, par exemple, le Code judiciaire...
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Arbitrage international et corruption
Auteur : Tordeur, Noémie
Promoteur(s) : Caprasse, Olivier
Faculté : Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie
Diplôme : Master en droit à finalité spécialisée en droit pénal (aspects belges, européens et internationaux)
Année académique : 2018-2019
URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/8224
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Département de Droit
Arbitrage international et corruption
Noémie TORDEUR
Travail de fin d’études
Master en droit à finalité spécialisée en droit pénal
Année académique 2018-2019
Recherche menée sous la direction de :
Monsieur Olivier CAPRASSE
Professeur ordinaire
RESUME
Ce travail de fin d’études traitera de l’arbitrage commercial international et de la corruption. Il
s’agira d’analyser le pouvoir d’investigation des tribunaux arbitraux confrontés à des
allégations de corruption. Ensuite, il sera question d’étudier la charge de la preuve concernant
des faits de corruption. Enfin, il s’agira d’examiner l’incidence de corruption sur la sentence
rendue par un tribunal arbitral. L’objectif est donc clairement de voir l’effet de la corruption
dans l’arbitrage commercial international.
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REMERCIEMENTS
Je voudrais adresser mes sincères remerciements aux personnes qui m’ont aidée, de près
ou de loin, dans la réalisation de ce travail de fin d’études.
D’abord, je souhaite remercier le Professeur Olivier CAPRASSE, promoteur du présent
travail, pour m’avoir donné l’opportunité de travailler sur ce sujet.
Ensuite, je voudrais remercier Emilie LEMAIRE, étudiante en Faculté de Géologie mais
également colocataire, pour son soutien tout au long de cette dernière année.
Enfin, last but not least, je voudrais remercier du plus profond de mon cœur ma famille
et mes proches de m’avoir soutenue durant tout mon parcours universitaire, et particulièrement
pendant cette dernière année. Merci pour votre encouragement indéfectible et votre confiance.
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TABLE DES MATIERES
I.- INTRODUCTION .............................................................................................................. 7
II.- DEFINITION DES CONCEPTS FONDAMENTAUX ............................................... 9
A.- L’arbitrage commercial international ................................................................................ 9
1) Les sources de l’arbitrage commercial international ............................................................................ 9
2) L’arbitrage international ..................................................................................................................... 12
3) L’arbitrage commercial international.................................................................................................. 14
B.- La corruption en droit international ................................................................................ 16
III.- L’arbitrabilité d’une allegation de corruption ............................................................ 19
IV.- Le pouvoir d’investigation du tribunal arbitral sur des allégations de corruption ... 20
A.- ALLEGATION DE CORRUPTION SOULEVEE PAR UNE/DES PARTIE(S) ......... 21
B.- SOUPÇON DE CORRUPTION PAR LE TRIBUNAL ARBITRAL ............................ 22
V.- La charge de la preuve concernant des allégations de corruption ............................ 25
A.- LA CHARGE DE LA PREUVE ....................................................................................... 26
B.- LE STANDARD DE PREUVE ......................................................................................... 28
C.- LES MODES DE PREUVE ............................................................................................... 30
VI.- L’incidence de la corruption sur le contrôle de la sentence rendue par un tribunal
arbitral ...................................................................................................................................... 31
VII.- Conclusion.................................................................................................................... 34
VIII.- Bibliographie ................................................................................................................ 36
A.- Législation ........................................................................................................................... 36
B.- Jurisprudence ..................................................................................................................... 36
C.- Doctrine ............................................................................................................................... 37
D.- Sources internet .................................................................................................................. 39
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I.- INTRODUCTION
L’arbitrage est un mode alternatif de résolution des conflits qui joue un rôle considérable
dans trois domaines : l’arbitrage commercial, l’arbitrage interétatique et l’arbitrage
d’investissement1. Le présent travail se concentrera uniquement sur l’arbitrage commercial.
Jusqu’il y a peu, la plupart des pays considéraient que des actes de corruption commis
à l’étranger n’étaient pas du ressort de leurs propres tribunaux2. Toutefois, le commerce
international et l’augmentation des pratiques illégales au niveau international ont incité de
nombreuses initiatives internationales pour combattre ce fléau3. En effet, la corruption est
devenue un phénomène impactant gravement la vie du commerce international mais également
un des principaux obstacles au développement du commerce international4.
Étant donné le fait que la corruption et l’arbitrage international sont de plus en plus
répandus dans les relations internationales, il ne faut pas s’étonner que des faits de corruption
apparaissent à l’occasion d’un arbitrage international5. Lorsqu’une allégation de corruption est
soulevée lors d’une procédure arbitrale, les arbitres doivent se positionner face à l’arbitrabilité,
la charge de la preuve, le pouvoir d’investiguer sua sponte sur ces questions6. Il faut directement
délimiter le rôle de l’arbitre international dans cette lutte contre la corruption. L’arbitre est un
juge privé et la corruption est une question d’intérêt public ; s’il ne veut pas se rendre complice,
il doit pouvoir réagir devant la gravité des faits et les conséquences que ces faits peuvent avoir7.
1 E. GAILLARD, L’arbitrage international, Commentaire 2017/2 (n°158), p. 333. 2 C. ALBANESI et E. JOLIVET, « Dealing with Corruption in Arbitration : a review of ICC Experience », in Special
Supplement 2013 : Tackling Corruption in Arbitration, 2013. 3 Idem ; T. SPRANGE, « Corruption in Arbitration Sua Sponte Investigations – Duty to report », in Dossier of the
ICC Institute of World Business law : Adressing Issues of Corruption in Commercial and Investment Arbitration,
2015. 4 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, New developments in International Commercial Arbitration 2016,
Zurich/Basel/Geneva, Schulthess Juristtische Medien AG, 2016, p. 1. ; R. KREINDLER, Competence-Competence
in the Face of Illegality in Contracts and Arbitration Agreements, The Hague, Pocketbooks of the Hague academy
of international law, 2013, p. 55. ; M. J. BONELL et O. MEYER, « The Impact of Corruption on International
Commercial Contracts – General Report », in The Impact of Corruption on International Commercial Contracts,
sous la direction de M.J. Bonell et O. Meyer, Springer International Publishing Switzerland, 2015, p.1. 5 T. SPRANGE, op cit., (voir note 3) ; D. GOLDENBAUM, « L’arbitre international face à la corruption », in Revue de
règlement des différends de MCGILL, Volume 2, 2015-2016, p. 84. 6 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 7 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 85.
8
Nous pouvons nous poser plusieurs questions : les arbitres ont-ils le droit ou devoir
d’investiguer sur des allégations de corruption ? Comment prouver des faits de corruption
devant un tribunal arbitral international ? Quelle est l’incidence de la corruption sur la sentence
rendue par un tribunal arbitral international ? Par ce travail, nous essayerons de répondre à
toutes ces questions.
Dans un premier temps, nous allons nous attacher à définir deux concepts
fondamentaux, qui sont l’arbitrage commercial international et la corruption. Dans un deuxième
temps, nous nous attacherons brièvement à l’arbitrabilité d’une allégation de corruption. Dans
un troisième temps, nous aborderons le pouvoir d’investigation du tribunal arbitral lorsqu’il se
trouve confronté à des allégations de corruption, que ces allégations soient soulevées par
une/des partie(s) ou lorsque celles-ci sont soupçonnées par le tribunal arbitral. Dans un
quatrième temps, nous nous intéresserons à la charge de la preuve concernant des allégations
de corruption : qui a la charge de la preuve, quel standard de preuve utiliser, quels modes de
preuve sont requis ? Enfin, dans un cinquième temps, nous nous pencherons sur l’incidence de
la corruption sur le contrôle de la sentence rendue par un tribunal arbitral.
9
II.- DEFINITION DES CONCEPTS FONDAMENTAUX
Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous allons d’abord nous attacher à définir les
concepts fondamentaux, c’est-à-dire l’arbitrage commercial international et la corruption.
A.- L’ARBITRAGE COMMERCIAL INTERNATIONAL
1) Les sources de l’arbitrage commercial international
Il n’existe pas, à proprement parler, d’instruments internationaux qui énonceraient des
règles uniformes recouvrant l’ensemble de la matière arbitrale internationale et qui lieraient un
grand nombre d’Etats8. Malgré cela, les sources de l’arbitrage commercial international sont
nombreuses et leur importance est variable9. Nous allons énoncer brièvement quatre sources ;
les droits nationaux, les conventions bilatérales, les traités multilatéraux et les sources d’origine
privée.
Premièrement, les droits nationaux « ordonnent le déroulement de l’arbitrage
international soit que les parties s’y soient expressément référées, soit qu’ils trouvent à
s’appliquer à la suite du choix par les arbitres d’une règle de conflit »10. Ils n’organisent que
très rarement l’arbitrage international, sauf en ce qui concerne l’exécution des sentences
arbitrales étrangères11. Ainsi, par exemple, le Code judiciaire belge, organise la procédure
concernant la marche à suivre pour l’obtention de l’exequatur d’une sentence arbitrale rendue
à l’étranger (article 1719 du Code judiciaire) et énonce les cas dans lesquels cet exequatur doit
être refusé par le juge belge (article 1723 du Code judiciaire)12.
8 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien – Lextenso
éditions, 2013, p. 63. 9 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, L’arbitrage en droit belge et international – Tome II, Bruxelles, Bruylant, 2012, p.
675. 10 Ibidem, p. 677. 11 Idem. 12 Idem.
10
Deuxièmement, les conventions bilatérales ne traitent que rarement de l’arbitrage
international comme tel et se contentent la plupart du temps à fixer les conditions de
reconnaissance et/ou d’exécution des sentences arbitrales dans des Etats contractants13.
Troisièmement, les conventions multilatérales reflètent particulièrement le
développement de l’arbitrage commercial international14. Parmi ces conventions, nous pouvons
citer la Convention de New York du 10 juin 1058 des Nations Unies pour la reconnaissance et
l’exécution des sentences arbitrales étrangères15. Cette convention a réellement permis l’essor
de l’arbitrage international16. Elle est un élément essentiel dans la circulation internationale des
sentences arbitrales car elle permet d’obtenir plus facilement l’exécution dans un pays d’une
sentence rendue dans un autre pays17. Grâce à la Convention de New York, la reconnaissance
et/ou l’exécution d’une sentence arbitrale est soumise à un contrôle allégé qui ne porte que sur
quelques points précis18. Malgré son caractère multilocalisé, une sentence bénéficie donc de
plus grandes chances de reconnaissance internationale19. Il y a également la Convention
européenne sur l’arbitrage commercial international de Genève du 21 avril 1961 qui est une
convention propre au seul arbitrage commercial20.
En outre, parmi les accords multilatéraux, nous pouvons également citer les travaux de
la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (ci-après CNUDCI)
qui ont un impact certain sur la pratique de l’arbitrage international21, bien que ne répondant
pas strictement à la qualification d’accords bilatéraux22. Nous pouvons nous attacher à deux
textes élaborés par la CNUDCI. Le premier texte est le Règlement d’arbitrage de la CNUDCI
du 28 avril 1976, recommandé « pour le règlement des litiges nés des relations commerciales
internationales » par une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies du 15
décembre 1976 et révisée le 6 décembre 201023. Ce règlement propose des balises concernant
les différentes phases de la procédure arbitrale24. Le second texte est la Loi type sur l’arbitrage
13 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 682. 14 Ibidem, p. 684. 15 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 64. 16 Idem. 17 Ibidem, p. 65. 18 Idem. 19 Ibidem, pp. 65-66. 20 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 684. 21 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 72. 22 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 685. 23 Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International, version
révisée de 2010, p. 2 ; C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 73. 24 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), pp. 686-687.
11
commercial international du 21 juin 1985 de la CNUDCI, amendée en 200625. Il s’agit d’un
ensemble de règles relatives à la procédure arbitrale qui constituent un modèle de législation
proposé aux Etats voulant moderniser leur droit de l’arbitrage, elle n’a donc aucune valeur
contraignante26. Elle a vocation à régir seulement les arbitrages internationaux, mais chaque
Etat a été libre en s’y inspirant, de réserver l’emprunt à l’arbitrage international ou de l’étendre
à l’arbitrage interne27.
Quatrièmement, parmi les sources d’origine privée, nous pouvons trouver des
organismes permanents d’arbitrage28. Les conventions-types de ces organismes ont une grande
importance en pratique car elles favorisent une meilleure rédaction des clauses d’arbitrage
insérées dans des contrats mais elles favorisent également une meilleure efficacité de ces
clauses29. La Chambre de commerce internationale (ci-après CCI) y joue un rôle très important.
D’un côté, la CCI est importante en raison de l’apport jurisprudentiel provenant des sentences
rendues dans le cadre de son règlement d’arbitrage30. D’un autre côté, la CCI élabore des
instruments juridiques pour faciliter la solution des litiges par la voie de l’arbitrage31. Au niveau
international, nous pouvons mentionner l’œuvre d’organisations professionnelles ou
d’associations de juristes qui diffusent des règles touchant à l’arbitrage dans le but de favoriser
une harmonisation des pratiques32. Certaines d’entre elles, comme par exemple les règles
élaborées par l’Union internationale des avocats et l’International Bar Association (ci-après
IBA), revêtent une grande importance33. Au plan national, nous avons le Centre belge
d’arbitrage et de médiation qui est à l’origine de la réflexion en matière d’arbitrage national et
international en Belgique34.
25 Loi type de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International sur l’arbitrage commercial
international, 1985. 26 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 73 ; G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9),
pp. 685-686. 27 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 73 ; G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9),
p. 686. 28 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 688 ; C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8),
p. 73. 29 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 73. 30 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 688. 31 Idem. 32 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 74. 33 Idem.; G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), pp. 689-690. 34 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 691.
12
2) L’arbitrage international
En réponse à l’intensification des échanges au plan mondial à la suite de la globalisation
de l’économie, il y a eu un développement important de l’arbitrage. Actuellement, il est devenu
le mode habituel de règlement des conflits au niveau international.35 Malgré sa popularité, le
concept d’arbitrage international n’est pas défini uniformément36.
Les critères de distinction entre l’arbitrage national et l’arbitrage international sont
multiples37. Par exemple, en droit français, c’est « l’objet du contrat ou de l’opération qui donne
lieu à l’arbitrage qui en détermine le caractère national ou international, sans considération pour
la nationalité, le domicile ou le siège des parties »38. Certaines conventions font appel à des
critères objectifs et subjectifs. C’est le cas par exemple de la Loi type de la CNUDCI qui, en
son article 1er, 3), a), b) et c), dispose qu’« un arbitrage est international si :
- Les parties à une convention d’arbitrage ont, au moment de la conclusion de ladite
convention, leur établissement dans des Etats différents ; ou
- Un des lieux ci-après est situé hors de l’Etat dans lequel les parties ont leur
établissement : i) le lieu de l’arbitrage, s’il est stipulé dans la convention d’arbitrage ou
déterminé en vertu de cette convention ; ii) tout lieu où doit être exécutée une partie
substantielle des obligations issues de la relation commerciale ou le lieu avec lequel
l’objet du différend a le lien le plus étroit ; ou
- Les parties sont convenues expressément que l’objet de la convention d’arbitrage a des
liens avec plus d’un pays »39.
Il convient de noter que les critères distinctifs entre un arbitrage national et un arbitrage
international ne sont pas épargnés par les critiques, contestations et discussions40. Cependant,
ceci ne sera pas développé dans le cadre de ce travail.
35 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 671. 36 Ibidem, p. 697. 37 Idem. 38 Ibidem, p. 698. 39 Article 1er de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, 1985 ; G. KEUTGEN et G.-A.
DAL, op. cit., (voir note 9), pp. 699-670. 40 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 701.
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L’arbitrage est une justice privée mise en place par la volonté des parties et qui tente de
se substituer à la justice publique étatique41. Par l’arbitrage, les parties conviennent de
soumettre leur litige au jugement de particuliers qu’elles choisissent elles-mêmes42. L’arbitrage
est une institution conventionnelle car l’accord des parties est un élément central43.
Contrairement à l’arbitrage interne qui peut être forcé, en matière d’arbitrage international,
l’absence de convention entre les parties fait qu’il ne sera pas question d’arbitrage forcé44.
L’arbitrage international trouve donc sa source dans une convention d’arbitrage qui est
le plus souvent insérée dans un contrat45. La convention d’arbitrage manifeste la volonté des
parties de soumettre leur litige à ce mode alternatif, elle fonde donc littéralement la compétence
de l’arbitre46 et fait en sorte que les parties renoncent effectivement à la compétence d’une
juridiction étatique47.
Le paragraphe premier de l’article 7 de la Loi-type de la CNUDCI définit la convention
d’arbitrage comme « une convention par laquelle les parties décident de soumettre à l’arbitrage
tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s’élever entre elles
au sujet d’un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel »48. Le fait que la
convention soit écrite ou pas n’est plus une condition de validité de la convention d’arbitrage,
mais en termes de preuve, il est préférable de la rédiger par écrit49. Lorsque les parties ont
recours à une institution d’arbitrage, une clause type d’arbitrage est insérée dans les contrats
commerciaux et cela implique que les parties acceptent le règlement d’arbitrage de l’institution
concernée50.
Dans la convention d’arbitrage, chaque partie va alors nommer un arbitre, elles vont se
mettre d’accord en ce qui concerne la nomination du président, ou elles vont déléguer cette
41 E. LOQUIN, L’arbitrage du commerce international, Issy-les-Moulineaux, Lextenso éditions, 2015, p.1 ; Ibidem,
p. 25. 42 Ibidem, p. 25. 43 Ibidem, p. 11. 44 Idem. 45 M. HUYS et G. KEUTGEN, L’arbitrage en droit belge et international, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 447 ; G.
KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 727. 46 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 479. 47 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p.10 ; E. SCHÄFER, H. VERBIST et C. IMHOOS, L’arbitrage de la Chambre de
Commerce Internationale (CCI) en pratique, Berne, Stæmpfli Editions SA Berne, 2002, p.1. 48 Article 7 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, 1985 ; E. SCHÄFER, H. VERBIST
et C. IMHOOS, op. cit., (voir note 47), p. 211 ; G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 731. 49 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 731. 50 Ibidem, p. 733 ; article 19 du Règlement d’arbitrage de la Chambre Commerciale Internationale, 2012.
14
tâche à une institution.51 Les parties vont également faire le choix d’un lieu du siège de
l’arbitrage, le plus souvent, celui-ci sera un lieu neutre pour chacune des parties.52 Une fois
cette étape clôturée, l’affaire sera plaidée dans une langue commune aux parties ou dans une
langue neutre de leur choix.53 Tout comme une juridiction étatique, l’arbitrage a comme objectif
de parvenir à une décision définitive et obligatoire concernant le litige en question.54 Une
caractéristique de l’arbitrage international est son côté « anational ». En effet, la nationalité et
le domicile des arbitres sont indifférents au lieu de l’arbitrage, à moins que les parties n’en aient
expressément convenu.55
3) L’arbitrage commercial international
Le recours à l’arbitrage est une constante dans les relations commerciales
internationales56, il s’agit même d’un mode central et normal de règlement des différends
internationaux57. En effet, une clause d’arbitrage est une pratique usuelle dans les contrats
commerciaux internationaux et l’arbitrage commercial international est reconnu comme un
instrument nécessaire au développement du commerce international58.
Mais qu’entend-on par « commercial » ? Suivant divers instruments internationaux
utilisant l’expression d’« d’arbitrage commercial international », il faut retenir une acceptation
relativement souple du terme « commercial »59. Deux exemples prouvent cela.
La Loi type sur l’arbitrage commercial international du 21 juin 1985 de la CNUDCI ne
donne pas de définition stricte du terme « commercial » mais plutôt une définition large60. Une
note accompagnant le premier paragraphe de l’article premier de la loi énonce que le « terme
commercial devrait être interprété au sens large, afin de désigner les questions issues de toute
51 E. GAILLARD, op. cit., (voir note 1), p. 335. 52 E. SCHÄFER, H. VERBIST et C. IMHOOS, op. cit., (voir note 47), p. 2. 53 E. GAILLARD, op. cit., (voir note 1), p. 335. 54 E. SCHÄFER, H. VERBIST et C. IMHOOS, op. cit., (voir note 47), p. 1. 55 Ibidem, p. 2. 56 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 25. 57 J. N. MOORE., « Preface », in International Arbitration – Contemporary Issues and Innovations, Leiden,
Martinus Nijhoff publishers, 2013, p. viii. ; Ibidem, p. vii ; E. GAILLARD, op. cit., (voir note 1), p. 336. 58 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 25. 59 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 35. 60 Loi type de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International sur l’arbitrage commercial
international, 1985, p. 28 ; G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 715.
15
relation à caractère commercial, contractuelle ou non contractuelle »61. La note poursuit en
affirmant que « les relations de nature commerciale comprennent, sans y être limitées, les
transactions suivantes : toute transaction commerciale portant sur la fourniture ou l’échange de
marchandises ou de services ; accord de distribution ; représentation commerciale ;
affacturage ; crédit-bail ; construction d’usines ; services consultatifs ; ingénierie ; licences ;
investissements ; financement ; transactions bancaires ; assurance ; accords d’exploitation ou
concessions ; coentreprises et autres formes de coopération industrielle ou commerciale ;
transport de marchandises ou de passagers par voie aérienne, maritime, ferroviaire ou
routière »62. Donc pour la Loi-type, toute opération économique ou tout échange de valeurs
économiques doit être compris comme étant une opération à caractère commercial, peu importe
leur affectation ultérieure (consommation, services publics, etc.)63 et par conséquent, tout
arbitrage ayant comme objet une telle opération sera considéré comme étant un arbitrage
commercial64. Cette liste est bien entendu indicative et non-exhaustive65.
De son côté, la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et
l’exécution des sentences arbitrales étrangères des Nations Unies ne donne pas non plus une
définition du terme « commercial ». Par ailleurs, cet instrument fondamental dans la matière de
l’arbitrage international n’est pas limité par principe aux litiges commerciaux66, elle ne fait pas
de distinction selon la nature civile ou commerciale de l’arbitrage67. En son article premier,
paragraphe 3, elle dispose qu’« au moment de signer ou de ratifier la présente Convention, d’y
adhérer ou de faire la notification d’extension prévue à l’article X, tout Etat pourra, sur la base
de la réciprocité, déclarer qu’il appliquera la Convention à la reconnaissance et à l’exécution
des seules sentences rendues sur le territoire d’un autre Etat contractant. Il pourra également
déclarer qu’il appliquera la Convention uniquement aux différends issus de rapports de droit,
contractuels ou non contractuels, qui sont considérés comme commerciaux par sa loi
nationale »68. La Convention donne la possibilité aux Etats contractants d’émettre une réserve
61 Loi type de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International sur l’arbitrage commercial
international, 1985, p. 1. 62 Loi type de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International sur l’arbitrage commercial
international, 1985, p. 1. 63 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 35. 64 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 17. 65 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 716. 66 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 35. 67 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 17. 68 Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New-York, 1958, p. 8.
16
limitant le champ d’application aux litiges entendus comme commerciaux selon le droit
national de l’Etat concerné. Par cette réserve donc, la convention permet à l’Etat d’établir une
distinction selon les arbitrages commerciaux et les arbitrages non commerciaux69.
La Convention prévoit donc qu’en application de sa propre loi, chaque Etat détermine
les cas où un litige présente ou pas un caractère commercial. Par contre, si les Etats maintiennent
leurs définitions nationales de la commercialité, ils doivent avoir fait usage de la réserve prévue
à cet effet70.
L’avantage essentiel du recours à l’arbitrage commercial international est d’exclure la
compétence de différentes juridictions nationales en donnant compétence à une seule
juridiction, la juridiction arbitrale71. La place importante de l’arbitrage dans les relations
commerciales internationales s’est traduite par l’établissement d’organismes permanents
d’arbitrage et de juridictions propres ainsi que par la conclusion de différentes conventions
d’arbitrage entre Etats72.
B.- LA CORRUPTION EN DROIT INTERNATIONAL
Les textes nationaux et internationaux définissent la corruption sans pour autant en
donner une définition uniformisée73. La notion de corruption telle qu’elle est appliquée à
l’arbitrage international englobe des comportements divers74.
La plupart des Etats considèrent que la corruption s’étend à toutes les personnes qui
corrompent dans l’exercice de leurs fonctions, que ces personnes soient des personnes
publiques ou privées. De ce fait, on parle de corruption lorsqu’une personne privée corrompt
une personne publique, lorsqu’une personne publique corrompt une personne privée,
lorsqu’une personne publique corrompt une personne publique et finalement, lorsqu’une
personne privée corrompt une personne privée.75
69 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 35. 70 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 17. 71 G. KEUTGEN et G.-A. DAL, op. cit., (voir note 9), p. 721. 72 Ibidem, p. 723. 73 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 83. 74 Idem. 75 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 74.
17
La Transparency International (ci-après TI) ne donne pas une définition stricte de la
corruption. La TI est une organisation non-gouvernementale internationale présente dans plus
de 100 pays luttant contre la corruption76. Elle travaille main dans la main avec les
gouvernements, les entreprises et les citoyens pour stopper les abus de pouvoirs ainsi que la
corruption, et elle promeut la transparence, la responsabilité et l’intégrité à tous les niveaux et
dans tous les secteurs de la société77. En règle générale, la TI définit la corruption comme étant
« un abus de confiance à des fins privées lucratives »78. Elle peut être qualifiée de grande ou
petite selon les sommes perçues et selon le secteur dans lequel elle agit.
La Convention civile sur la corruption du 4 novembre 2011 du Conseil de l’Europe
définit, au niveau international, des règles communes dans le domaine du droit civil et de la
corruption79. En son article 2, la Convention définit la corruption comme étant « le fait de
solliciter, d’offrir, de donner ou d’accepter, directement ou indirectement, une commission
illicite, ou un autre avantage indu ou la promesse d’un tel avantage indu qui affecte l’exercice
normal d’une fonction ou le comportement requis du bénéficiaire de la commission illicite, ou
de l’avantage indu ou de la promesse d’un tel avantage indu »80. Quant à elle, la Convention
pénale sur la corruption du 1er juillet 2002 du Conseil de l’Europe incrimine une panoplie de
formes spécifiques de corruption81.
La Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003 envisage
également la définition de la corruption. Tout d’abord, l’article 15 de la Convention s’applique
uniquement aux agents publics nationaux. Cet article dispose que sont considérés comme de la
corruption les actes qui « ont été commis intentionnellement : a) au fait de promettre, d’offrir
ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même
ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte
dans l’exercice de ses fonctions officielles ; b) au fait pour un agent public de solliciter ou
d’accepter, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre
personne ou entité, afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte dans l’exercice de ses
76 https://www.transparency.org consulté le 15 juillet 2019. 77 https://www.transparency.org consulté le 15 juillet 2019. 78 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), pp. 73-74 ; Transparency International FAQs on Corruption, available at
https://www.transparency.org/whoweare/organisation/faqs_on_corruption 79 https://www.coe.int/en/web/conventions/full-list/-
/conventions/treaty/174?_coeconventions_WAR_coeconventionsportlet_languageId=fr_FR 80 Article 2 de la Convention civile sur la corruption du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1er novembre 2013. 81 https://www.coe.int/en/web/conventions/full-list/-
/conventions/treaty/173?_coeconventions_WAR_coeconventionsportlet_languageId=fr_FR
18
fonctions officielles ». Ensuite, l’article 21 de la Convention traite de la corruption dans le
secteur privé et dispose que sont considérés comme de la corruption les actes qui « ont été
commis intentionnellement dans le cadre d’activités économiques, financières ou
commerciales : a) au fait de promettre, d’offrir ou d’accorder, directement ou indirectement, un
avantage indu à toute personne qui dirige une entité du secteur privé ou travaille pour une telle
entité, en quelque qualité que ce soit, pour elle-même ou pour une autre personne, afin que, en
violation de ses devoirs, elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte ; b) au fait, pour
toute personne qui dirige une entité du secteur privé ou travaille pour une telle entité, en quelque
qualité que ce soit, de solliciter ou d’accepter, directement ou indirectement, un avantage indu,
pour elle-même ou pour une autre personne, afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un
acte en violation de ses devoirs ».
La Commission de la Chambre de commerce international a rédigé des Règles pour
combattre la corruption. Selon la CCI, il faut lutter pour plus d’intégrité dans les transactions
commerciales « car seul un système exempt de corruption permet une pleine concurrence de
tous les acteurs, à conditions égales »82. Il s’agit de la première organisation à avoir édicté des
règles d’anti-corruption83. Ces Règles sont de nature générale et sont considérées comme des
bonnes pratiques commerciales84. Le point a) de l’article premier (« pratiques interdites ») des
Règles définit la corruption de manière large85. En effet, on entend par « corruption, l’offre, la
promesse, l’octroi, l’autorisation ou l’acceptation de tout avantage indu, pécuniaire ou autre, à
l’intention, par ou pour toute personne visée ci-dessus (un agent public, un parti politique, un
dirigeant, cadre ou employé d’une entreprise) ou toute autre personne en vue d’obtenir ou de
conserver un marché ou tout autre avantage impropre se rapportant par exemple à la passation
de marchés publics ou privés, à des autorisations règlementaires, à la fiscalité, aux douanes ou
à des procédures judiciaires ou législatives. La corruption inclut souvent (i) l’octroi d’une rétro
commission d’une partie du prix contractuel à des agents publics ou à des responsables de parti
politique ou à des employés du cocontractant ou à leur famille ou amis proches ou Partenaires
Commerciaux, ou (ii) le recours à des intermédiaires tels qu’agents, sous-traitants, consultants
82 Règles d’ICC pour combattre la corruption, rédigé par la Commission d’ICC sur la responsabilité sociale de
l’entreprise et la lutte contre la corruption, édition 2011, p. 3. 83 Règles d’ICC pour combattre la corruption, rédigé par la Commission d’ICC sur la responsabilité sociale de
l’entreprise et la lutte contre la corruption, édition 2011, p. 3. 84 Règles d’ICC pour combattre la corruption, rédigé par la Commission d’ICC sur la responsabilité sociale de
l’entreprise et la lutte contre la corruption, édition 2011, p. 5. 85 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 83.
19
ou autres Tierces Parties afin d’effectuer des paiements à des agents publics ou à des
responsables de partis politiques ou à des employés du cocontractant ou à leur famille ou, amis
proches ou Partenaires Commerciaux »86.
Dans le cadre de ce travail de fin d’études, nous allons retenir une vision large de la
notion de corruption, c’est-à-dire tout versement sous forme monétaire ou en nature à des
personnes de droit public ou privé, directement ou indirectement, en vue d’obtenir tout avantage
dans le cadre d’échanges commerciaux87.
III.- L’ARBITRABILITÉ D’UNE ALLEGATION DE CORRUPTION
L’arbitrabilité vise « la qualité qui s’applique à une matière, à une question ou un litige,
d’être soumis au pouvoir juridictionnel des arbitres »88.
Pendant longtemps, au niveau de l’arbitrabilité, des litiges impliquant des allégations de
corruption ou une illégalité comparable ont posé problème. Les tribunaux arbitraux étaient très
réticents lorsqu’il s’agissait d’arbitrer des allégations de corruption89. G. LAGERGREN, dans sa
sentence arbitrale de 1963, avait décliné sa compétence dans le cadre d’une affaire de corruption
de représentants de gouvernements90. Il se fondait sur des principes généraux qui refusaient aux
arbitres de pouvoir connaitre des différends de cette nature91. Des décisions arbitrales récentes
ont rejeté l’interprétation de G. LAGERGREN et ont reconnu la compétence des arbitres pour
connaitre les allégations de corruption92. Désormais, des allégations de corruption peuvent faire
l’objet d’une procédure arbitrale dans presque tous les systèmes juridiques développés93.
86 Article 1er, a) des Règles d’ICC pour combattre la corruption, rédigé par la Commission d’ICC sur la
responsabilité sociale de l’entreprise et la lutte contre la corruption, édition 2011, p. 3. 87 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 84. 88 O. CAPRASSE, « Arbitrage et ordre public européen », in L’ordre public et l’arbitrage/actes du colloque du 15
et 16 mars 2013, sous la direction de E. LOQUIN et S. MANCIAUX, Paris, Editions LexisNexis, 2014, p. 117. 89 G.B. BORN, International Commercial Arbitration, Volume I, The Netherlands, Wolters Kluwer, 2009, p.804. 90 Idem. 91 Sentence CCI n°1110, 1963, Lagergren, https://www.trans-lex.org/201110/mark_938000/icc-award-no-1110-
of-1963-by-gunnar-lagergren-yca-1996-at-47-et-seq-/ (consulté le 3 juillet 2019). 92 G.B. BORN, op. cit., (voir note 89), p.804. 93 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 81.
20
Nous pouvons relever trois hypothèses dans lesquelles la corruption joue un rôle dans
l’arbitrage94 :
- La corruption par l’arbitrage : une des parties, ou les deux, concluent un accord
d’arbitrage qui est en lui-même une fraude. L’arbitrage est instrumentalisé pour couvrir
et réaliser la fraude ;
- La corruption dans l’arbitrage : une des parties, ou les deux, ont un comportement
frauduleux, séparément ou de concert, dans la procédure d’arbitrage et veulent
intentionnellement tromper l’arbitre pour fausser la décision ;
- La corruption objet de l’arbitrage : le tribunal arbitral se trouve confronté à des
allégations de corruption d’une partie, ou fait face à des suspicions d’un comportement
frauduleux dans le cadre des questions en litige. Ici donc, le litige porte sur une opération
qui est construite pour contourner la loi, malgré ses apparences conformes au droit.95
Cette troisième hypothèse est la plus fréquente et c’est celle-ci qui va nous intéresser
dans le présent travail.
IV.- LE POUVOIR D’INVESTIGATION DU TRIBUNAL ARBITRAL
SUR DES ALLÉGATIONS DE CORRUPTION
Nous nous concentrerons sur les droits et devoirs de l’arbitre face à la corruption. Nous
nous baserons uniquement sur les situations dans lesquelles l’arbitre est confronté, dans
l’exercice de ses fonctions, à des faits de corruption qui sont imputables à une ou à plusieurs
parties96. Par conséquent, nous n’envisagerons pas les situations dans lesquelles l’arbitre est
acteur lui-même de faits de corruption.
Initialement, le recours à une instance arbitrale n’était pas envisagé pour trancher des
faits de corruption. Lorsqu’un fait de corruption était soulevé devant un tribunal arbitral,
94 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 224. 95 Ibidem, pp. 224-225 ; O. CAPRASSE, op. cit., (voir note 88), p. 117. 96 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 85.
21
l’arbitre se déclarait systématiquement incompétent.97 La sentence n°1110 de 1963 de la CCI98
en était la référence. Dans cette affaire, « une société anglaise avait chargé un mandataire
d’exercer une influence sur les membres du gouvernement argentin lorsque ce dernier
soumissionnait pour des contrats de travaux publics. La société avait promis à l’agent une
commission de 5% sur tout contrat remporté par le gouvernement. Il était entendu qu’une partie
importante de la commission serait transmise à des fonctionnaires par des pots-de-vin »99. Le
juge LAGERGEN a analysé le contrat afin de savoir s’il était contraire à l’ordre public et aux
bonnes mœurs et s’il pouvait tout de même être soumis à l’arbitrage. Il en a conclu que les
parties n’avaient plus le droit de demander une assistance judiciaire si elles s’étaient « alliées
avec la corruption »100, et il s’est donc déclaré incompétent. Cette sentence a beaucoup été
critiquée car elle ignorait le principe de séparabilité de la convention d’arbitrage et du contrat
sous-jacent101. Depuis, les tribunaux arbitraux ont adopté une autre position et se déclarent
désormais compétents pour examiner des allégations de corruption102.
La manière dont l’arbitre doit se comporter face à une illégalité, telle qu’un fait de
corruption, dépend du fait que l’illégalité est suspectée par une partie, par une partie et
également par le tribunal arbitral ou uniquement par le tribunal arbitral103.
A.- ALLEGATION DE CORRUPTION SOULEVEE PAR
UNE/DES PARTIE(S)
Lorsque les parties fondent leurs moyens sur des faits de corruption, soit séparément,
soit conjointement, le tribunal arbitral est tenu d’investiguer sur ces allégations en vue de tirer
des conclusions, cela faisant partie intégrante de l’objet de l’arbitrage et de la mission de
l’arbitre104. Il a été déclaré dans la sentence n°14920 de la CCI de 2009 que « tout arbitre est
97 N.G. ZIADÉ, « Addressing Allegations and Findings of Corruption – The Arbitrator’s Investigative and
Reporting Rights and Duties », in Dossier of the ICC Institute of World Business Law : Addressing Issues of
Corruption in Commercial and Investment Arbitration, 2015 ; C. ALBANESI et E. JOLIVET, op cit., (voir note 2). 98 Sentence CCI n°1110, 1963, Lagergren, https://www.trans-lex.org/201110/mark_938000/icc-award-no-1110-
of-1963-by-gunnar-lagergren-yca-1996-at-47-et-seq-/ (consulté le 3 juillet 2019). 99 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 100 Idem. 101 J. FERNANDEZ-ARMESTO, « The Effects of a Positive Finding of Corruption », in Dossier of the ICC Institue of
World Business Law : Addressing Issues of Corruption in Commercial and Investment Arbitration, 2015. 102 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2) ; Sentence finale n°7047, CCI, 28 février 1994,
https://www.trans-lex.org/207047/_/icc-award-no-7047-asa-bull-1995-at-301-et-seq/ (consulté le 27 juin 2019). 103 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 32. 104 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), pp. 32, 317 ; C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2).
22
tenu de s’opposer fermement à la corruption ; par conséquent, si, au cours d’une procédure
d’arbitrage, il est allégué une pratique de corruption, l’arbitre ne peut ignorer ces faits, mais
doit plutôt enquêter, rassembler des preuves pour corroborer ou rejeter les allégations et en
évaluer les conséquences »105. L’arbitre ne peut, en aucun cas, légitimer ces faits. Il a toujours
le devoir de statuer sur des faits de corruption qui seraient allégués par les parties elles-
mêmes106.
B.- SOUPÇON DE CORRUPTION PAR LE TRIBUNAL
ARBITRAL
Toutefois, dans le cas où aucune des parties ne prétend avoir été corrompue, mais qu’au
vu des éléments de preuve dont le tribunal dispose, il en ressort des soupçons de corruption, on
peut alors se demander si le tribunal arbitral peut ou doit avoir un rôle inquisitoire pour établir
l’existence de corruption et statuer sur les conséquences de celle-ci107. Cette question est
controversée. D’une part, certains affirment qu’en l’absence d’allégations de corruption de
l’une ou de l’autre partie, le tribunal arbitral ne doit pas envisager la possibilité d’un examen
sur des éventuels faits de corruption. D’autre part, certains soutiennent que des allégations de
corruption ne peuvent pas être ignorées et que ces faits doivent être examinés108.
Quelle attitude l’arbitre doit-il avoir lorsqu’il se trouve confronté à une violation de
l’ordre public. Dans notre cas, face à un fait de corruption, qui n’est pas soulevé par les parties
elles-mêmes ? Le simple soupçon du tribunal arbitral est-il suffisant pour qu’il procède de sa
propre initiative à une investigation sur l’éventuelle corruption 109? Doit-il respecter l’objet du
litige tel que défini par les parties ? Est-ce qu’il dépasse le cadre de sa mission et statue ultra
petita s’il décide d’investiguer de sa propre initiative sur des soupçons de corruption110 ?
Tout d’abord, si l’arbitre soulève de sa propre initiative un fait de corruption, sa sentence
risque d’être annulée car il aura violé le principe de ne pas statuer ultra petita en examinant un
105 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 106 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 317. 107 T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3) ; C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 14. 108 T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3) 109 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 316. 110 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 6.
23
fait qui ne relève pas de sa mission confiée par les parties111. En effet, l’arbitre est tenu par la
délimitation des prétentions des parties, c’est-à-dire l’objet du litige fixé par elles112. Il ne peut
pas aller au-delà de ces prétentions, sous peine de nullité de la sentence. L’investigation de
l’arbitre constitue alors une intrusion dans une question non visée par les parties et cela dépasse
le cadre de l’arbitrage, au sens de l’article 34, 2), a), iii) de la Loi type de la CNUDCI et de
l’article V, 1), c) de la Convention de New York.113
Ensuite, si l’arbitre ferme les yeux sur l’éventuelle existence d’un fait de corruption et
qu’il rend sa sentence sans investiguer, celle-ci risque d’être annulée ou de ne pas être exécutée
par le tribunal du siège de l’arbitrage ou par un tribunal étranger pour des motifs d’ordre
public114. Cette idée est reflétée dans l’article 34, 2), b), ii) de la Loi type de la CNUDCI, dans
l’article V, 2), b) de la Convention de New York et dans l’article 41 du Règlement d’arbitrage
de la CCI. Par conséquent, l’arbitre ne doit pas se contenter d’examiner ce que les parties lui
ont présenté. Son absence d’investigation pourrait faire en sorte qu’on le considère comme
complice d’un contrat contraire à l’ordre public115.
Les arbitres remplissent une fonction publique qui est de « rendre des décisions ayant la
même force que des décisions rendues par des tribunaux étatiques et ne peuvent donc pas
permettre à des activités illicites de contourner la loi »116. Dans ce contexte, l’arbitre a une
mission générale de garantir la conduite de la procédure, d’instruire la cause et de rendre une
sentence qui soit exécutoire en droit117. Les parties doivent donc s’attendre à ce que l’arbitre
aborde des questions d’ordre public liées à la corruption, avec la même attention que le pouvoir
judiciaire d’un Etat118.
111 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 339 ; N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; C. ALBANESI et E. JOLIVET,
op. cit., (voir note 2) ; A. PHILIP, « Arbitration – Money Laundering, Corruption and Fraud : The Role of the
Tribunals », in Dossier of the ICC Institute of World Business Law : Arbitration – Money Laundering, Corruption
and Fraud, 2003. 112 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 363 ; A.-S. COURDIER-CUISINIER et S. GRAYOT-DIRX, « Les arbitres
confrontés à la violation de l’ordre public », in L’ordre public et l’arbitrage/actes du colloque du 15 et 16 mars
2013,sous la direction de E. LOQUIN et S. MANCIAUX, Paris, Editions LexisNexis, 2014, p. 85-86. 113 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), pp. 344-345. 114 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 18. 115 T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3) ; E. MARCENARO, Arbitrators’ Investigative and Reporting Rights and Duties
on Corruption, 2015. 116 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), pp. 20-21. 117 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), pp. 342-343 ; T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3) ; E. MARCENARO, op.
cit., (voir note 115) ; A. PHILIP, op. cit., (voir note 111). 118 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), pp. 20-21.
24
L’article 17, 1) du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI accorde un large pouvoir
discrétionnaire à l’arbitre concernant la conduite de la procédure, il peut procéder à l’arbitrage
comme il le juge approprié. L’article 22 §1 du Règlement d’arbitrage de la CCI dispose que
l’arbitre a la possibilité de recourir à tous les moyens appropriés concernant la conduite de
l’arbitrage. L’article 19, 2) de la Loi type de la CNUDCI dispose que « le tribunal arbitral peut,
sous réserve des dispositions de la présente Loi, procéder à l’arbitrage comme il le juge
approprié. Les pouvoirs conférés au tribunal arbitral comprennent celui de juger de la
recevabilité, de la pertinence et de l’importance de toute preuve produite ». L’arbitre dispose
donc d’une large marge de manœuvre pour décider de comment il instruira la cause119 et ces
articles pourraient lui donner une base pour mener une investigation sua sponte concernant des
soupçons de corruption120.
Sur cette base, nous pouvons constater que dans les cas où la corruption est sous-jacente
au contrat, les arbitres ont le droit d’investiguer sur ce fait121. L’ordre public veut qu’un tribunal
ne peut pas fermer les yeux sur des soupçons apparents de corruption122. La doctrine soutient
qu’un arbitre ne sera pas considéré comme ayant outrepassé ses pouvoirs s’il décide
d’investiguer, pour autant que les éléments invoqués dans sa sentence soient pertinents pour la
résolution du litige123. Dans l’affaire PT Asuransi Jasa Indonesia (Persero) v. Dexia Bank124,
il a été décidé que lorsque des allégations des corruption n’ont pas de rapport avec l’objet du
litige, le tribunal arbitral ne doit pas les examiner125. Si l’investigation aboutit et que la
constatation de corruption n’a aucune incidence, cela doit être mis de côté. Par contre, si cela
peut avoir une incidence, alors le tribunal arbitral ne pourra pas passer à côté126.
Par contre, les parties pourraient faire valoir qu’une investigation de l’arbitre a pour
effet de créer une inégalité entre elles. En effet, une des parties sera soumise à des mesures
inquisitoires, elle sera manifestement dans une position défavorable car elle devra fournir des
preuves, des explications ou même parfois convoquer des témoins pour contrer toute suspicion
119 E. SCHÄFER, H. VERBIST et C. IMHOOS, op. cit., (voir note 47), p.127. 120 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 33. 121 Ibidem, p. 351. 122 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 16. 123 Ibidem, pp. 13, 16-17 ; T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3). 124 Cour d’appel de Singapore, PT Asuransi Jasa Indonesia (Persero) v. Dexia Bank,
https://www.uncitral.org/clout/clout/data/sgp/clout_case_742_leg-2003.html (consulté le 28 juin 2019). 125 T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3). 126 Idem.
25
de corruption dans l’esprit du tribunal arbitral127. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal arbitral
serait alors en contradiction avec les droits des parties comme l’égalité de traitement, le respect
de l’autonomie des parties, etc128. C’est pourquoi l’investigation du tribunal arbitral ne doit pas
être faite en vase clos, c’est-à-dire que les parties doivent pouvoir être informées de la
procédure, doivent pouvoir faire valoir leurs prétentions, ont le droit d’être entendues, de
présenter des observations, de produire des preuves et ont le droit de pouvoir répondre au
tribunal arbitral129. Il faut donc que les parties puissent réagir raisonnablement aux arguments
du tribunal arbitral130.
Nous pouvons constater qu’il y a un tiraillement entre la mission de l’arbitre confiée par
les parties, le principe de ne pas statuer ultra petita et l’ordre public. Dans la mesure du possible,
ce tiraillement devra être résolu en faveur de l’ordre public131 car, étant donné la gravité de la
corruption, l’ordre public prime sur tous autres principes juridiques132, à la condition de ne pas
mettre l’équité de la procédure en danger133. Par conséquent, lorsqu’un arbitre soupçonne un
fait de corruption, il a le droit et le devoir d’investiguer sua sponte134, sans pour autant statuer
ultra petita.
V.- LA CHARGE DE LA PREUVE CONCERNANT DES
ALLÉGATIONS DE CORRUPTION
La façon dont un tribunal arbitral examine les preuves est décisive pour le règlement
des affaires, particulièrement pour les affaires contenant des faits de corruption, qui dépendent
énormément de la détermination factuelle135. La preuve a un rôle central dans le cheminement
de la décision de l’arbitre136. Il est un fait que des allégations de corruption sont faciles à
127 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 17. 128 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 28 129 T. SPRANGE, op. cit., (voir note 3). 130 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 349. 131 Ibidem, pp. 33-34, 339. 132 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97). 133 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 134 R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 351. 135 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 136 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 85.
26
soulever mais il est plus difficile de les prouver137. La plupart des règlements d’arbitrage
n’établissent pas la charge de la preuve et les modes de preuve que les arbitres doivent
appliquer138. En matière de corruption, il n’y a même pas de volonté d’en établir139.
Les parties peuvent régler la question de la preuve dans la convention d’arbitrage. A
défaut, les arbitres peuvent avoir recours à des règles établies par des organisations ou des
institutions d’arbitrage, comme par exemple les règles de l’International Bar Association140.
Il n’empêche que la question de la preuve de corruption dans un arbitrage commercial
international est une question qui est largement débattue. Le débat concerne à la fois la charge
de la preuve et le standard de preuve141.
A.- LA CHARGE DE LA PREUVE
Très souvent en matière de corruption, la partie qui corrompt fera en sorte que toute
opération sera masquée, dissimulée et cela compliquera le fardeau de la preuve. Les tribunaux
arbitraux quant à eux sont limités au niveau de leurs pouvoirs d’investigations et de contrainte.
Tenant compte de ces difficultés, la doctrine et les tribunaux arbitraux ont créé des approches
différentes concernant l’évaluation de la preuve.142
Généralement, selon le principe actori incumbit probatio, la partie qui se fonde sur la
corruption dans sa demande ou sa défense supporte le fardeau de la preuve. Elle doit alors
prouver les faits sur lesquels elle appuie ses réclamations ou ses moyens de défense143. Cette
règle est également contenue dans l’article 27, 1) du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI. La
partie qui est accusée de corruption ne doit pas prouver cette corruption, mais le tribunal arbitral
137 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 5 ; D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p.
87. 138 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 139 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 89. 140 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 770. 141 E. GAILLARD, « La corruption saisie par les arbitres du commerce international », in Revue de l’Arbitrage,
Comité français de l’arbitrage, n°3, 2017, p. 833. 142 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 24. 143 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2) ; D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 88. ; E. GAILLARD,
op. cit., (voir note 141), p. 833 ; J. FERNANDEZ-ARMESTO, op. cit., (voir note 101) ; D. GOLDENBAUM, op. cit.,
(voir note 5), p. 88 ; A.J. MENAKER, « Proving Corruption in International Arbitration – Who Has the Burden and
How Can it Be Met ? », in Dossier of the ICC Institute of World Business Law : Addressing Issues of Corruption
in Commercial and Investment Arbitration, 2015 ; C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p.
24.
27
peut prendre en compte pour l’élaboration de sa sentence le fait que la partie en question ne
produit pas de preuves qui pourraient être pertinentes144.
Des auteurs ont récemment suggéré un « renversement pur et simple de la charge de la
preuve dès lors qu’on se trouve en présence de circonstances suspectes »145. La partie qui
supporte le fardeau de la preuve ne se trouve pas dans une situation facile ; elle doit fournir des
preuves qui ne sont pas faciles à fournir de par leur nature146. Grâce au renversement de la
preuve, il revient alors à la partie qui est accusée de corruption de prouver qu’elle est innocente
et ce n’est donc plus à la partie qui allègue la corruption de prouver la culpabilité de l’autre.
Ce serait à la partie qui ignore l’existence de faits de corruption de le prouver, et pas à
la partie qui revendique les faits de corruption147. Effectivement, une partie a relativement plus
facile à produire des preuves de son innocence148. Dans la sentence n°12990 de la CCI149, le
tribunal arbitral a accepté le « principe général selon lequel la charge de la preuve incombe à la
partie qui invoque le caractère illégal du contrat », en précisant que « le caractère illégal est
souvent difficile à prouver » du fait du caractère caché, dissimulé de la corruption150. Dans la
sentence n°6497 de la CCI151, le tribunal arbitral a également jugé « que la charge de la preuve
incombait à la partie qui alléguait la corruption mais cette charge peut être déplacée dans
certaines circonstances […]. Le tribunal arbitral peut exceptionnellement demander à l’autre
partie de présenter des preuves contraires, si cette tâche est possible et pas trop lourde »152.
Cependant, ce renversement de la charge de la preuve doit être une solution extrême et ne doit
s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles153. Certains tribunaux arbitraux ont
contesté cette pratique, objectant que le renversement de la charge de la preuve n’est pas en
adéquation avec le droit à un procès équitable154.
144 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 24. 145 E. GAILLARD, op. cit., (voir note 141), p. 833. 146 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 22. 147 E. GAILLARD, op. cit., (voir note 141), p. 833. 148 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 149 Sentence CCI n°12990, 2005, https://www.trans-lex.org/212290/mark_938000/icc-award-no-12290-
collection-of-icc-arbitral-awards-2008-2011-at-page-831-et-seq/ (consulté le 16 juillet 2019). 150 A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143) ; C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 24. 151 Sentence CCI n°6497, 1998, https://www.trans-lex.org/206497/mark_938000/icc-award-no-6497-yca-1999-at-
71-et-seq/ (consulté le 16 juillet 2019). 152 A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143). 153 Idem ; D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 90. 154 A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143).
28
B.- LE STANDARD DE PREUVE
Il existe un grand débat entre les tribunaux concernant le standard de preuve approprié
pour prouver des faits de corruption. Dans l’arbitrage commercial international, il n’existe pas
de règles universelles concernant une norme de preuve155. Certains affirment qu’il faut
appliquer un standard de preuve faible (comme par exemple des vraisemblances), et d’autres
estiment qu’il faut appliquer un standard de preuve élevé (comme par exemple des preuves
claires et convaincantes)156.
Pour certains auteurs, un standard de preuve élevé est requis en raison de la gravité des
faits de corruption157. Cette position a été suivie par le tribunal arbitral dans l’affaire EDF
(Services) Limited c. Roumanie, il a été jugé que « la gravité des accusations de corruption exige
des preuves claires et convaincantes »158. De plus, dans l’affaire Westinghouse159, le tribunal a
estimé que « si la prépondérance des éléments de preuve a vocation à être appliquée en arbitral
international, il convient d’établir les allégations de corruption par des éléments de preuve nets
et convaincants »160. D’autres tribunaux arbitraux ont exigé une preuve « au-delà de tout
doute »161.
D’autres tribunaux arbitraux ont appliqué des standards de preuve élevés ; leur
justification étant que la corruption est une infraction pénale dans la plupart des pays. Nous
pouvons retrouver cette approche dans plusieurs sentences de la CCI. Le premier cas est la
sentence n°5622162 où le tribunal arbitral « a exigé une preuve au-delà de tout doute en ce qui
concerne des allégations de corruption »163. Le deuxième cas est la sentence n°6401164 où « le
tribunal arbitral « a décidé d’appliquer le principe de prépondérance de la preuve, mais a déclaré
155 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2) ; R. KREINDLER, op. cit., (voir note 4), p. 253 ; D.
GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 86. 156 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97). 157 Idem. 158 EDF (Services) Limited c. Roumanie, sentence n° ARB/05/13, CIRDI, 2009, §221. ; N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir
note 97). ; D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 91. 159 Sentence CCI n°6401, Westinghouse et Burns & Roe c. National Power Company et la République de
Philippines, 1992. 160 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 91. 161 Sentence CCI n°5622, Hilmarton Ltd c. Omnium de Traitement et de Valorisation, 1988, https://www.trans-
lex.org/205622/mark_938000/icc-award-no-5622-yca-1994-at-105-et-seq-/ (consulté le 27 juin 2019). 162 Sentence CCI n°5622, Hilmarton Ltd c. Omnium de Traitement et de Valorisation, 1988, https://www.trans-
lex.org/205622/mark_938000/icc-award-no-5622-yca-1994-at-105-et-seq-/ (consulté le 27 juin 2019). 163 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 164 Sentence CCI n°6401, Westinghouse et Burns & Roe c. National Power Company et la République de
Philippines, 1992.
29
que des normes plus élevées devaient être appliquées aux allégations de corruption »165. Le
troisième cas est la sentence n°13384166, l’arbitre a conclu « que les moyens de défense contre
la corruption exigent, de par leur nature, une attention toute particulière aux faits, conformément
à un principe qui impose leur interprétation restrictive et doivent être vérifiés selon un niveau
de preuve élevé »167. Le quatrième cas est la sentence n°13515168 où le tribunal a estimé qu’« il
est important que tout arbitre fasse preuve de la plus grande prudence et rejette les allégations
d’illégalité qui ne sont pas établies avec un fort degré de certitude »169. Dans une sentence plus
récente170, le tribunal arbitral a déclaré que « le critère à appliquer était généralement plus
rigoureux dans un cas d’allégations de corruption, qui nécessitaient des preuves claires et
convaincantes »171.
Pour les auteurs qui revendiquent un standard de preuve faible, les arbitrages ne sont
pas des procédures pénales mais bien des procédures civiles ; les tribunaux arbitraux n’ont pas
les mêmes pouvoirs d’exécution qu’un tribunal pénal pour obliger une partie à produire des
éléments de preuve ou pour encore imposer des sanctions pénales172. Aussi, il peut être difficile
de prouver un fait de corruption. Lorsqu’ils recourent à ce standard, les tribunaux arbitraux se
basent sur des preuves indirectes et circonstancielles ou sur des faisceaux d’indices173. Parfois
même, les tribunaux arbitraux utilisent des déductions défavorables pour appuyer un soupçon
de corruption174, par exemple lorsqu’une partie refuse de produire certains documents.
Actuellement, les tribunaux arbitraux semblent avoir abandonné le standard de preuve
élevé175. Il ne serait pas un bon moyen pour contrer les difficultés à prouver la corruption176 et
il peut même amener le tribunal arbitral à conclure à une inexistence de corruption177. D’un
autre côté, un standard de preuve faible n’est pas non plus très satisfaisant compte tenu de
165 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 166 Sentence CCI n°13384. 167 A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143). 168 Sentence CCI, n°13515, 2006. 169 A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143). 170 Sentence CCI n°13914, 2008. 171 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 172 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 92 ; V. KHVALEI, « Standards
of Proof for Allegations of Corruption in International Arbitration », in Dossier of the ICC Institute of World
Business Law : Addressing Issues of Corruption in Commercial and Investment Arbitration, 2015. 173 C. ALBANESI et E. JOLIVET, op. cit., (voir note 2). 174 Idem. 175 E. GAILLARD, op. cit., (voir note 141), pp. 834-835. 176 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 82. 177 Ibidem, p. 92.
30
l’importance de la corruption et des conséquences qu’elle peut avoir178. L’un ou l’autre standard
se révèle inapproprié. La doctrine actuelle a plus souvent recours à l’utilisation d’un standard
normal de preuve179. Le critère de la prépondérance des éléments de preuve apparait alors
comme étant le plus adéquat et le plus flexible à assurer un équilibre entre les difficultés de
preuve et les conséquences de la corruption180. Les tribunaux arbitraux se retrouvent alors plus
libres pour donner plus ou moins de poids à certaines preuves, facilitant de la sorte la
démonstration de la corruption181.
C.- LES MODES DE PREUVE
Dans les arbitrages commerciaux internationaux impliquant des allégations de
corruption, il a été établi que des preuves indirectes et ou circonstancielles peuvent constituer
des indices ou « red flags » indiquant l’existence d’un fait de corruption182. Les tribunaux
arbitraux recourent sans hésitation à cette technique183. Ces indices permettent de tirer des
présomptions pour établir la corruption184. Par exemple, nous pouvons y retrouver une
rémunération trop élevée pour l’objet du contrat, un contrat en lien avec un Etat réputé pour ses
faits de corruption, un contrat concernant des secteurs sujets à la corruption, un intermédiaire
recommandé par une partie contractante, des paiements sur des comptes off-shore, etc.185 Ils
constituent donc des signes avant-coureurs que le tribunal arbitral doit prendre au sérieux et qui
nécessitent une enquête de la part du tribunal arbitral186. Si une présence considérable de « red
flags » apparait pendant la procédure arbitrale, les arbitres peuvent inviter les parties à donner
des explications et à produire des éléments de preuve. Si les éléments de preuve sont
insuffisants, les tribunaux arbitraux en tireront des déductions défavorables187. Les tribunaux
arbitraux doivent avertir les parties qu’ils risquent de tirer des déductions défavorables si des
178 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), pp. 92-93. 179 Ibidem, p. 95. 180 Ibidem, p. 93 ; A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143). 181 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 93. 182 N.G. ZIADÉ, op. cit., (voir note 97) ; E. GAILLARD, op. cit., (voir note 141), pp. 836 ; A.J. MENAKER, op. cit.,
(voir note 143). 183 E. GAILLARD, op. cit., (voir note 141), pp. 835-836. 184 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 94. 185 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), pp. 7-8. 186 A.J. MENAKER, op. cit., (voir note 143). 187 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p.33.
31
éléments de preuve ne sont pas produits188. D’ailleurs, l’article 9, 5) et 6) des Règles de preuve
de l’International Bar Association prévoit les déductions défavorables et le fait d’avertir
auparavant les parties189.
VI.- L’INCIDENCE DE LA CORRUPTION SUR LE CONTRÔLE DE
LA SENTENCE RENDUE PAR UN TRIBUNAL ARBITRAL
Avant toute chose, qu’est-ce qu’une sentence ? La sentence est « l’acte par lequel, en
vertu des pouvoirs dont la convention d’arbitrage les investit, les arbitres tranchent les questions
litigieuses qui leur ont été soumises par les parties »190. L’arbitrage international est réellement
une procédure juridictionnelle, la sentence a donc un caractère obligatoire191. Les articles 35,
1) de la Loi type de la CNUDCI et 36, 6) du Règlement d’arbitrage de la CCI reconnaissent le
caractère obligatoire de la sentence et le fait qu’elle soit exécutoire en droit.
L’internationalisation des échanges commerciaux a largement modifié le contenu des
ordres publics internationaux et cela a suscité une action internationale contre des illégalités
comme la corruption, la fraude ou encore le blanchiment d’argent. Nous avons pu également
remarquer une évolution de la législation internationale dans ces domaines. Il n’y a aucun doute
pour affirmer aujourd’hui que la corruption ne doit être en aucun cas acceptée ni tolérée dans
le commerce international et il n’y a aucun doute encore pour affirmer que la corruption fait
partie intégrante de l’ordre public international dont les tribunaux arbitraux doivent prendre en
compte.192
Lors de l’établissement de la sentence, les arbitres doivent respecter l’ordre public des
Etats dans lesquels sa sentence pourra être exécutée mais également l’ordre public du siège de
l’arbitrage193. Le non-respect de l’ordre public est un des motifs de refus de reconnaissance et
188 C. MÜLLER, S. BESSON et A. RIGOZZI, op. cit., (voir note 4), p. 30. 189 Idem. 190 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 369. 191 Ibidem, p. 5. 192 D.J.A. CAIRNS et B.M. CREMADES, « Transnational Public Policy in International Arbitral Decision-Making :
The Cases of Bribery, Money Laundering and Fraud », in Dossier of the ICC Institute of World Business Law :
Arbitration – Money Laundering, Corruption and Fraud, 2003. 193 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 361 ; D.J.A. CAIRNS et B.M. CREMADES, op. cit., (voir note 192) ; D.
GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 90 ; J.-B. RACINE, « Les normes porteuses d’ordre public dans l’arbitrage
commercial international », in L’ordre public et l’arbitrage/actes du colloque du 15 et 16 mars 2013, sous la
32
d’exécution d’une sentence arbitrale d’après la Convention de New York pour la
reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Suivant l’article V, 2), b) de
la Convention de New York, « la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale
pourront aussi être refusées si l’autorité compétente du pays où la reconnaissance et l’exécution
sont requises constate : b) que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait contraire
à l’ordre public de ce pays ».
Une analyse de la sentence est prévue lorsqu’il apparait une violation des dispositions
d’ordre public applicables dans la juridiction du pays d’exécution194. Le juge étatique, lors du
contrôle de la sentence, se focalise nécessairement sur le respect de la sentence arbitrale à l’aune
de l’ordre public, c’est sa seule intervention dans l’arbitrage195. I. FADLALLAH a affirmé « qu’il
faut partir de l’idée que les juridictions étatiques ne sont pas juges de l’affaire qui leur a été
précisément soustraite par la convention d’arbitrage. Elles sont juges de la sentence, mais
seulement pour admettre ou refuser son insertion dans l’ordre juridique du for »196. Ce contrôle
ne doit pas faire en sorte que le juge de contrôle révise la sentence197.
Mais de quel ordre public le tribunal arbitral doit-il tenir compte pendant une procédure
arbitrale ? L’arbitre n’est le défenseur d’aucun ordre public étant donné le fait qu’il rend la
justice au nom d’aucun Etat198.
Il existe un ordre public arbitral qui est propre à l’arbitrage199. Celui-ci peut être compris
comme étant « l’ordre public de la communauté internationale, non attaché à l’ordre juridique
d’un Etat plutôt que d’un autre »200. Cet ordre public arbitral « exprimerait les exigences
sociales et éthiques qui s’imposeraient dans les relations internationales »201. Comme l’ont écrit
J. ORTSCHEIDT et C. SERAGLINI, « on peut d’ores et déjà dégager certains grands principes de
l’ordre public véritablement international, qui peuvent être qualifiés de fondamentaux dans
direction de E. LOQUIN et S. MANCIAUX, Paris, Editions LexisNexis, 2014, p. 7. ; R. KREINDLER, op. cit., (voir
note 4), p. 136. 194 E. SCHÄFER, H. VERBIST et C. IMHOOS, op. cit., (voir note 47), p. 6. 195 J.-P. ANCEL, « Le point de vue du juge judiciaire », in L’ordre public et l’arbitrage/actes du colloque du 15 et
16 mars 2013, sous la direction de E. LOQUIN et S. MANCIAUX, Paris, Editions LexisNexis, 2014, p. 197. ; J.-B.
RACINE, op. cit., (voir note 193), p. 13. 196 J.-P. ANCEL, op. cit., (voir note 195), p. 201. 197 C. JARROSSON, « L’intensité du contrôle de l’ordre public », in L’ordre public et l’arbitrage/actes du colloque
du 15 et 16 mars 2013, sous la direction de E. LOQUIN et S. MANCIAUX, Paris, Editions LexisNexis, 2014, p. 162. 198 E. LOQUIN E., « Propos introductifs », in L’ordre public et l’arbitrage/actes du colloque du 15 et 16 mars 2013,
sous la direction de E. LOQUIN et S. MANCIAUX, Paris, Editions LexisNexis, 2014, p. 2. 199 J.-B. RACINE, op. cit., (voir note 193), p. 30. 200 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), pp. 361 – 362. 201 Idem.
33
l’ensemble des systèmes juridiques étatiques et difficilement contestables : la prohibition de
l’esclavage, la protection du patrimoine commun de l’humanité, l’interdiction de la corruption
ou du trafic de drogue »202. La notion d’ordre public aurait une dimension véritablement
internationale qui serait, par conséquent, adaptée à l’arbitrage. Lorsque le juge contrôle la
sentence, il doit prendre en compte cet ordre public arbitral203.
Il ne fait aucun doute que des faits de corruption sont en contrariété avec les ordres
publics de la plupart des Etats204. Un juge ne peut pas accepter de donner effet à une sentence
qui pourrait être contraire à son ordre public205. Mais de manière générale, les juges de contrôle
n’interviennent que dans le cas où la sentence est en total désaccord avec la conception de
l’ordre public étatique concerné206.
202 E. LOQUIN, op. cit., (voir note 41), p. 362 ; Sentence CCI n°12990, 2005, https://www.trans-
lex.org/212290/mark_938000/icc-award-no-12290-collection-of-icc-arbitral-awards-2008-2011-at-page-831-et-
seq/ (consulté le 16 juillet 2019) ; C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 816. 203 J.-B. RACINE, op. cit., (voir note 193), p. 32. 204 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 90. 205 C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, op. cit., (voir note 8), p. 816 ; M. HUYS et G. KEUTGEN, op. cit., (voir note
45), p. 563. 206 M. HUYS et G. KEUTGEN, op. cit., (voir note 45), p. 645.
34
VII.- CONCLUSION
Nous avons pu constater que le recours à l’arbitrage était chose courante dans les
relations commerciales internationales et qu’il s’agissait même d’un mode normal pour
résoudre alternativement les différends. L’arbitrage commercial international concerne tous les
litiges relatifs à des opérations économiques ou tout échange de valeurs économiques à
caractère commercial. Nous avons également retenu une définition large de la notion de
corruption et nous l’avons entendue comme tout versement sous forme monétaire ou en nature
à des personnes de droit public ou privé, directement ou indirectement, en vue d’obtenir tout
avantage dans le cadre d’échanges commerciaux207.
Bien qu’en 1963 le juge G. LAGERGREN aie décliné sa compétence concernant un fait
de corruption dans un arbitrage international, actuellement les allégations de corruption sont
arbitrables. Nous nous sommes intéressés à la corruption objet de l’arbitrage c’est-à-dire
lorsque le tribunal arbitral se trouve confronté à des allégations de corruption d’une partie ou
lorsqu’il fait face à des suspicions d’un comportement frauduleux dans le cadre des questions
en litige.
Nous avons découvert qu’il y avait des tiraillements entre la mission du tribunal arbitral
confiée par les parties, le principe de ne pas statuer ultra petita et l’ordre public. En effet, le
tribunal arbitral doit mettre ces trois choses en balance et devrait, en raison de la gravité de la
corruption, opter en faveur de l’ordre public. Par conséquent, lorsqu’il est face à des faits de
corruption, celui-ci a le droit et le devoir d’investiguer sua sponte, sans pour autant statuer ultra
petita. Il est également vrai que l’investigation dépendra de la pertinence de la question pour la
détermination du litige.
En ce qui concerne la question de la preuve, les allégations de corruption restent quelque
chose de très difficilement prouvable. Lorsqu’une partie allègue un fait de corruption, elle
supporte la charge de la preuve. Il n’existe pas une règle bien définie concernant le standard de
la preuve mais quelques approches sont fortement pratiquées par les tribunaux arbitraux : une
application d’une norme de preuve stricte qui accepte des preuves claires et convaincantes, une
application d’une norme moins stricte qui accepte des preuves indirectes ou circonstancielles
207 D. GOLDENBAUM, op. cit., (voir note 5), p. 84.
35
et des déductions défavorables ainsi que l’application du principe de la prépondérance des
éléments de preuve.
Nous avons également vu que des faits de corruption étaient en totale contradiction avec
les ordres publics de la plupart des Etats et qu’un juge ne pouvait pas accepter de reconnaitre
ou de donner effet à une sentence qui serait contraire à l’ordre public.
Pour conclure, nous retiendrons que la corruption est de plus en plus présente dans les
relations d’affaires internationales et que c’est un mal qu’il faut absolument éradiquer. En
conséquence, les tribunaux arbitraux ne peuvent pas la tolérer ni l’accepter.
36
VIII.- BIBLIOGRAPHIE
A.- LEGISLATION
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Commercial International sur l’arbitrage commercial international, 1985.
Articles 17 et 27 du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit
Commercial International, version révisée de 2010.
Articles I, V et X de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales
étrangères des Nations Unies, New-York, 1958.
Articles 15 et 21 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, 2004.
Article 1 des Règles d’ICC pour combattre la corruption, rédigées par la Commission d’ICC
sur la responsabilité sociale de l’entreprise et la lutte contre la corruption, édition 2011.
Articles 19, 22, 36 et 41 du Règlement d’arbitrage de la Chambre Commerciale Internationale,
2012.
Article 2 de la Convention civile sur la corruption du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1er
novembre 2013.
Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1er novembre 2003.
Règles de l’International Bar Association sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage
international, 29 mai 2010 (Règles de l’IBA), traduction de A. MOURRE, P. BIENVENU et R.
THERIAULT.
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