Approche psycho-éducative de la déviance scolaire - … · A psycho-educative approach to school...

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VOLUME XXXII:1 – PRINTEMPS 2004 Approche psycho-éducative de la déviance scolaire Agnès MORCILLO GREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France Franck MARTIN GREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France Benoit JEUNIER GREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

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VOLUME XXXII:1 – PRINTEMPS 2004

Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Agnès MORCILLOGREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

Franck MARTINGREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

Benoit JEUNIERGREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

La violenceen milieu scolaireRédactrice invitée :Maryse PaquinUniversité d’Ottawa

1 LiminaireViolence en milieu scolaire : une problématique qui concerne l’école, la famille et la communauté, voire la société

15 La violence à l’école primaire : les auteurs et les victimes

38 Le déficit d’attention / hyperactivité (TDA/H) et les comportements violents des jeunes en milieu scolaire : l’état de la question

54 Évaluation d’un projet de promotion de la paix

69 La prévention de la violence en milieu scolaire au Québec : réflexions sur larecherche et le développement de pratiques efficaces

87 Les causes et la prévention de la violence en milieu scolaire haïtien : ce qu’en pensent les directions d’écoles

102 La prévention de la violence et de l’agressivité chez les jeunes en milieufamilial : le programme interactif «Être parents aujourd’hui »

126 Relation aux parents et violences scolaires

138 La place du père dans la socialisation des jeunes de quartiers populaires

158 Entre violence et incivilité : effets et limites d’une intervention basée sur la communauté d’apprentissage

172 Relations famille-école et l’ajustement du comportement socioscolaire de l’enfant à l’éducation préscolaire

201 Comportements violents chez l’enfant en Ontario : problématique de la suspension scolaire externe, perception des parents et alternative possible

224 Origine culturelle et sociale de la violence à l’école : les dimensions culturelles des relations et des conduites agressives pendant l’enfance

245 Montée de la violence scolaire ou montée de l’individualisme?

262 De la déscolarisation aux violences anti-scolaires : l’éclairage de l’approchebiographique

276 Trois profils-types de jeunes affichant des problèmes de comportementsérieux

312 Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

327 Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

VOLUME XXXII:1 – PRINTEMPS 2004

Revue scientifique virtuelle publiée parl’Association canadienne d’éducationde langue française dont la mission estd’inspirer et de soutenir le développe-ment et l’action des institutions éduca-tives francophones du Canada.

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Université de MonctonPaul Ruest,

Collège universitaire de Saint-BonifaceMariette Théberge,

Université d’Ottawa

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ISSN 0849-1089

Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Agnès MORCILLOGREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

Franck MARTINGREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

Benoit JEUNIERGREPACS - IUFM Midi-Pyrénées, France

RÉSUMÉ

Notre recherche pose la question des différentes explications pouvant être

mobilisées, au niveau intra individuel, pour accéder à une meilleure compréhension

des comportements agis en contexte scolaire mais également ceux mobilisés plus

largement dans l’environnement social. Pour ce faire, nous avons retenu des dimen-

sions affectives (estime de soi et sentiment de mal-être), des dimensions expérien-

tielles et la réussite scolaire.

Les résultats mettent en exergue le poids de ces dimensions sur la mise en œuvre

de certains types de comportements En effet, trois facteurs légitiment une explica-

tion en termes d’insuffisance de capacités à faire face à la frustration.

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ABSTRACT

A psycho-educative approach to school devianceAgnès MORCILLO, Franck MARTIN, Benoit JEUNIER,

GREPACS - IUFM Midi-Pyrénées

Our research investigates how different explanations can be used at the intra-

individual level to achieve a better understanding of behaviours seen in schools, as

well as the behaviours more widely encountered in the social environment. We have

focused on affective dimensions (self-esteem, and a feeling of uneasiness), experi-

mental dimensions and success in school.

The results show how much these dimensions affect the appearance of certain

types of behaviours. Indeed, three factors point to an insufficient ability to face frus-

tration as an explanation.

RESUMEN

Enfoque psico-educativo de la marginalidad escolarAgnès MORCILLO, Franck MARTIN, Benoit JEUNIER,

GREPACS - IUFM Midi-Pirineos

Nuestra investigación interroga las diferentes explicaciones que pueden ser

movilizadas, al nivel intra-individual con el fin de acceder a la mejor comprensión de

los comportamientos en contexto escolar así como aquellos que se efectúan en el

entorno social. Para ello, retenemos las dimensiones afectivas (estima de sí-mismo y

sentimiento de mal-estar), las dimensiones experienciales y el éxito escolar.

Los resultados resaltan el peso de esas dimensiones sobre el ejercicio de cierto

tipo de comportamiento. En efecto, tres factores legitiman una explicación en térmi-

nos de insuficiencia de capacidades para confrontar la frustración.

Introduction

Parmi ses différents travaux, l’équipe GREPACS (Groupe d’Etudes et de Recher-

ches sur les Affects et Cognitions Sociales) conduit depuis plusieurs années une

recherche à visées descriptives et explicatives des comportements problématiques

des élèves.

Dans ce cadre, les enquêtes préliminaires ont confirmé la récurrence des fac-

teurs sociologiques (consumérisme, ghettoïsation, stigmatisation ethnique, dérive

médiatique, fragilisation familiale...) déjà mis en évidence dans de nombreux travaux

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(Degeois & al, 1998; Dubet, 2001). Néanmoins, il est rapidement apparu qu’à facteurs

sociologiques similaires, les comportements en contexte scolaire s’avéraient être dif-

férents selon les élèves. En conséquence, l’étude des comportements probléma-

tiques des élèves supposait de rendre compte des manières différenciées dont des

difficultés sociales pouvaient être intériorisées.

L’analyse des comportements des jeunes et de la mentalisation des facteurs

sous jacents suppose, pour un même sujet, de prendre en considération non seule-

ment les comportements agis en contexte scolaire mais également ceux mobilisés

plus largement dans l’environnement social. Ces différentes formes de comporte-

ments ont été formalisées par l’expression « comportements socio-scolaires »

(Morcillo, 2002).

Dès lors, il convient de se demander quelles explications peuvent être mobili-

sées, au niveau intra individuel, pour accéder à une meilleure compréhension des

comportements socio-scolaires. Classiquement, les réponses à cette problématique

sont rarement abordées par une démarche multidimensionnelle (Mucchielli, 2000).

En réaction à ces recherches qui « abordent trop souvent des troubles de conduites

comme un désordre unidimensionnel, alors que de nombreuses indications suggèrent

la présence de sous-groupes distincts » (Favre et Fortin, 1999), notre démarche explo-

ratoire intégrera, afin de mieux appréhender les comportements socio-scolaires, la

multidimensionnalité des facteurs. Ainsi, l’analyse au niveau intra individuel sup-

pose que l’explication des comportements socio-scolaires relève de dimensions

affectives (estime de soi et mal-être), de dimensions expérientielles (pratiques édu-

catives parentales, pratiques éducatives scolaires) et de la réussite scolaire.

Concernant les dimensions affectives nous avons retenu :

- l’estime de soi, définie comme une « évaluation globale de soi en tant que per-

sonne […] de sa propre valeur, c’est-à-dire de son degré de satisfaction de lui-

même » (Harter, 1998), a pour fonction d’assurer la valorisation de l’identité du

sujet et par-là même son adaptation à la réalité sociale. Cette composante iden-

titaire a un impact sur les comportements sociaux mis en œuvre par le sujet.

Selon Harter (1998), une relation, un lien « semble exister entre une basse estime

de soi et un grand nombre de problèmes auxquels les jeunes d’aujourd’hui sont

confrontés, par exemple la dépression, le suicide, la délinquance, les problèmes

d’apprentissage scolaire, la grossesse précoce, pour n’en citer que quelques-uns ».

- le sentiment de mal-être, dimension affective, souvent mis en exergue, comme

facteur de non investissement dans le travail et comme facteur déclencheur de

comportements problématiques, par les lycéens lors de l’enquête « quels savoirs

enseignés au lycée? » (Blin et al., 1998).

S’agissant des dimensions expérientielles, notre choix s’est porté sur :

- les pratiques éducatives parentales, qui font partie des objets de recherche très

prisés si l’on se centre sur le développement de l’enfant et de l’adolescent. Selon

Musitu et Fontaine (1998), les adolescents qui perçoivent leur famille à travers

la dimension compréhension, sont ceux qui intériorisent « des valeurs d’auto-

direction, universalité, bienveillance, conformisme et sécurité ». En revanche les

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

L’explication descomportements socio-

scolaires relève dedimensions affectives

(estime de soi et mal-être), de dimensionsexpérientielles (pra-

tiques éducativesparentales, pratiques

éducatives scolaires) etde la réussite scolaire.

dimensions coercition et indifférence seraient plutôt associées « au rejet des

idées, normes et coutumes traditionnelles… ».

- les pratiques éducatives scolaires (Blin, 2001) semblent être un élément partici-

pant à la mise en œuvre de certains types de comportements. Le style d’adapta-

tion sociale, au sein du système scolaire, par l’adolescent est donc marqué par

son vécu des pratiques éducatives scolaires (enseignants et personnel de vie

scolaire). Pour ces derniers, le « bon enseignant » est celui qui est « capable de se

maîtriser, d’établir avec les élèves des relations chaleureuses, d’être équitable, de

traiter les élèves avec respect, de tolérer un certain degré de liberté » alors que

d’autres apparaissent comme « inhumains, hautains... de se comporter en robots

minuteurs... ». De plus « les relations entre les enseignants et les élèves sont déter-

minantes dans ce rapport au travail scolaire » (Lapassade 1993). En effet, aux

dires des élèves « c’est le prof qui rend le travail intéressant ou non... si on ne

l’aime pas, on n’aime pas travailler ».

Enfin, suite aux travaux de Monteil (2002), la prise en compte de la réussite sco-

laire (visibilité sociale des résultats scolaires) apparaît indispensable comme variable

signifiante des comportements en milieu scolaire.

Pour cette recherche nous avons donc pris en considération ces différentes

dimensions affectives et expérientielles afin d’aborder les comportements socio-sco-

laires dans une perspective « moins mécaniste et plus systémique » (Selosse, 1997).

Par ailleurs, la centration sur le niveau intra individuel nous a conduit à privi-

légier l’expression du vécu des pratiques éducatives par les adolescents plutôt que

l’observation directe des pratiques éducatives (parentales et scolaires). En effet, c’est

bien ce que les adolescents nous disent de ces pratiques qui traduira au mieux l’ex-

périence qu’ils en ont.

Méthode

La population de notre recherche est constituée de 420 collégiens (200 filles et

220 garçons) relevant de deux établissements (dont un en ZEP).

L’outil utilisé se présente sous la forme d’un questionnaire individuel de 163

items dont la majorité des modalités de réponses se situent sur des échelles d’inter-

valles. Ce dernier a été élaboré à partir de différents questionnaires déjà validés :

- pour les comportements déclarés des élèves : les items sont issus du question-

naire GREPACS (1999) élaboré à partir d’entretiens exploratoires;

- pour les pratiques éducatives parentales : nous avons choisi de traduire et de

valider sur une population française le California Children Rearing Practices

(Bloch & Bloch, 1991),

- pour les pratiques éducatives scolaires : les questions sont élaborées à partir des

travaux de Blin (1997);

- pour l’estime de soi : l’Échelle Toulousaine d’Estime de Soi (ETES, Tap 1993) a

été intégralement reprise dans sa forme la plus actuelle (Tap, 1999),

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

- sentiment de mal-être : les items créés pour cette étude rejoignent l’esprit du

16PF de Cattell (Cattell et al, 1970) qui ne nous semblait plus en adéquation avec

l’évolution du comportement et des représentations des adolescents;

- pour la réussite scolaire : les items permettent à chacun des adolescents de se

situer par rapport à chacune des disciplines scolaires.

Ce questionnaire a été conçu non pas pour définir une structure de la person-

nalité déviante, mais pour mieux appréhender l’impact de caractéristiques multiples

ainsi que leur organisation sur la mise en œuvre de comportements scolairement et

socialement déviants.

La saisie et le traitement statistiques des 420 questionnaires ont été effectués

avec le logiciel SPSS après codage des différentes modalités de réponses.

En nous centrant sur l’organisation des variables de manière à déterminer com-

ment s’articulent les différentes modalités intra individuelles entre elles, nous rejoi-

gnons les travaux de l’Ecuyer (1990) démontrant que les différentes perceptions que

le sujet a de lui même n’ont pas le même rang ni le même ordre de priorité dans son

champ expérientiel. Afin de mettre à l’épreuve nos hypothèses, nous observerons le

poids relatif de chacune des dimensions et par conséquent si certaines d’entre elles

occupent une place plus importante que d’autres dans la mise en œuvre de compor-

tements déviants et délinquants.

Afin de situer les résultats dans leur contexte, nous proposons une synthèse des

comportements socio-scolaires déclarés qui nous permettra de d’aborder l’étude de

l’organisation des différentes dimensions annoncées dans nos hypothèses. Cette

réduction analytique des données construit des groupes épistémiques (sujets statis-

tiques) que nous nommerons classes de fonctionnement. Seules les classes extrêmes

participeront à l’élaboration des résultats finaux car il nous semble plus pertinent de

présenter des éléments facilement identifiables dans un souci de repérage efficace

des facteurs sur lesquels peuvent intervenir les éducateurs en contexte scolaire.

Enfin, nous tenterons de mettre en évidence les différences intergroupales en

fonction des dimensions étudiées (résultats scolaires, pratiques éducatives

parentales, pratiques enseignantes et personnel de vie scolaire, estime de soi et sen-

timent de mal-être).

Cette dernière étape amorce l’étude des relations entre comportements socio-

scolaires et comportements délinquants déclarés.

Résultats

Avant toute chose, nous allons présenter la classification des comportements

(tableau 1) pris en compte dans notre étude et mentionner pour chacun le texte de

référence et le type de sanction encourue.

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Les différentes perceptions que le

sujet a de lui mêmen’ont pas le même

rang ni le même ordrede priorité dans sonchamp expérientiel.

Tableau 1. Classification des comportements présents dans notre questionnaire

Les items relatifs aux comportements socio-scolaires listent des comportements

perçus comme déviants par le système scolaire (allant à l’encontre des règles énumé-

rées dans le règlement intérieur) et des comportements perçus comme délinquants

(allant à l’encontre des règles pénales, du Code Pénal).

Le fait de prendre en considération, dans le même questionnaire et sur un même

niveau, des comportements « uniquement » déviants et des comportements délin-

quants, peut nous permettre d’établir des liens, des correspondances entre ces deux

types de comportements mis en œuvre. Le tableau 1 nous permet de positionner

chaque comportement selon qu’il est déviant ou délinquant.

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Comportements problématiques Déviants. Délinquants Références

Bavardage et rire pendant les cours •

Contestation des notes •

Bagarres avec un autre élève • BO & Règlement intérieur

Provocation envers les enseignants •

Détérioration de matériel (casse, graffiti…) • CP art. 322-1 à 6

Oubli du matériel nécessaire aux cours • BO & Règlement intérieur

Racket d’objet ou de devoirs • CP art. 312-1 à 2

Racket d’argent •

Violences verbales envers les enseignants • CP art. 433-5

Violences verbales envers les élèves • BO & Règlement intérieur

Violences physiques envers les enseignants • CP art. 222-12 à 13

Violences physiques envers les élèves •

Manque de travail • BO & Règlement intérieur

Tricher pendant les contrôles •

Insolence envers les enseignants •

Moquerie envers les autres élèves •

Déplacements injustifiés pendant les cours •

Vol • CP art. 311-3 à 4

Non-respect des horaires de cours • BO & Règlement intérieur

Fumer alors que cela est interdit •

Absentéisme irrégulier (sécher) •

Menaces verbales envers les enseignants • CP art. 332-12 à 13

Menaces verbales envers les élèves •

Menaces physiques envers les enseignants • CP art. 322-17 à 18

Menaces physiques envers les élèves •

Déviance : atteintes à la forme scolaire (Martin & Col à paraître) référencées par les BulletinsOfficiels de l’Education Nationale et les règlements intérieurs des établissements scolaires.

Délinquance : atteintes aux lois référencées par le Code civil et Pénal.

En ce qui concerne les comportements de détérioration, de vol et de menaces,

nous n’avons pas pris en considération les peines maximales encourues qui sont

respectivement de 10 d’emprisonnement si la détérioration se traduit par un incen-

die ou une tentative d’incendie, procès aux assises pour un vol avec armes (qualifica-

tion de crime quelle que soit la nature de l’arme) et de 3 ans et 300 000 francs (menace

de mort réitérée ou matérialisée par un écrit ou un objet) ou de 5 ans et 50 000 francs

(menace de mort avec ordre de remplir une condition). Les qualifications pénales et

les sanctions encourues, présentées dans ce tableau, ne concernent que des com-

portements délictueux.

Nous pensons, en effet, que les peines ainsi présentées sont suffisamment

importantes, notamment les peines privatives de liberté, pour mettre en avant l’im-

portance des éventuelles conséquences. Pour les comportements perçus comme

déviants et référant au règlement intérieur nous ne mentionnons pas les sanctions

encourues car elles peuvent différer d’un établissement à l’autre, d’un règlement

intérieur à l’autre même si la trame et les principes sont, généralement, dans une

même mouvance.

Ces items ont fait l’objet d’une analyse en regroupements hiérarchiques permet-

tant la mise en évidence de trois catégories de comportement socio-scolaires : atten-

dus (conformes aux normes sociales et institutionnelles), problématiques envers le

travail, problématiques envers autrui. Ces catégories comportementales ont été utili-

sées pour la constitution, statistiquement parlant, des groupes de sujets. L’analyse des-

criptive permet de mettre en évidence cinq classes de fonctionnement (voir figure 1).

Figure 1. Les cinq classes sur les trois catégories de comportement socio-scolaires

Les élèves de la classe 1 sont ceux qui déclarent mettre en œuvre très souvent

des comportements socio-scolaires attendus et ne jamais mettre en œuvre les com-

portements problématiques envers autrui. A l’opposé, nous rencontrons les élèves

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4

3,5

3

2,5

2

1,5

1

0,5

0

Tous les jours

Souvent

Pas souvent

Jamais

Envers autrui Envers travail Attendus

Groupe 1 (n=79)

Groupe 2 (n=78)

Groupe 3 (n=125)

Groupe 4 (n=43)

Groupe 5 (n=32)

qui déclarent le plus de comportements problématiques que ce soit envers autrui ou

envers le travail (classe 5).

Les résultats suivant porteront sur ces deux groupes extrêmes afin de présenter

des éléments facilement identifiables dans un souci de repérage efficace des facteurs

sur lesquels peuvent intervenir les éducateurs en contexte scolaire. L’explication de la

description en cinq classes suppose de repérer parmi les dimensions non prises en

compte dans l’analyse hiérarchique celles qui discriminent le plus les groupes entre eux.

Les deux classes extrêmes (1 et 5) sont maintenant analysées sous l’angle des

différents dimensions affective et expérientielles. Pour ce faire nous utilisons les

analyses de variance qui permettent de mettre en exergue les différences inter-

groupales (Tableau 2).

Tableau 2. Résumé des différences significatives et des tendances du groupe déviant

Si nous prenons en considération le fait que les collégiens qui déclarent mettre

le plus en œuvre des comportements socialement et scolairement problématiques

(classe 5) sont ceux qui ont de moins bons résultats scolaires, un plus haut score à la

composante égocentrique de l’estime de soi ainsi qu’aux échelles relatives au mal-

être social et scolaire, nos résultats semblent tendre vers ceux de Tremblay & al. (1994)

qui observent que les garçons ayant des comportements antisociaux sont perçus par

les enseignants comme hyperactifs, anxieux et peu altruistes.

En ce sens nous rejoignons également les conclusions que Ballion (1998)

présente sur une population de lycéens. En effet, « lorsque l’élève est dans une situa-

tion scolaire qu’il juge positive, qui produit chez lui un sentiment de satisfaction […] il

a le maximum de chances de ne pas être impliqué dans des conduites déviantes,

qu’elles soient délictueuses ou de consommation. A l’inverse, lorsque son appréciation

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Dimensions discriminant le groupe déviant du groupe conforme Tendance

Réussite scolaire

Matières dites nobles -

Pratiques éducatives scolaires

Violente +

Punition +

Estime de Soi

Scolaire -

Egocentrique +

Fragilité +

Doute +

Sentiment de mal-être

Scolaire +

Social +

est négative, que son expérience scolaire est pénalisante, il maximise les risques d’être

engagé dans une situation de déviance, par rapport aux normes et à la désirabilité

sociale ». De plus, ces collégiens sont ceux qui s’évaluent plus fortement sur les

dimensions fragilité et doute de l’estime de soi. Cette tendance se retrouve dans les

travaux de Van Caneghem (1978) qui affirme que « durs et intolérants dehors [ces col-

légiens] sont particulièrement vulnérables à l’angoisse au dedans ».

Les résultats présentés dans cet article ne laissent pas de place au vécu des pra-

tiques éducatives parentales. En effet, les dimensions, relatives à cette dimension

expérientielle, ne permettent en aucun cas de différencier ces deux groupes de col-

légiens. Nous retrouvons dans nos résultats les propos de Frechette & Le Blanc (1998)

quand ils affirment que « le milieu d’origine, celui qui est donné par les parents et qui

est encore présent au moment de l’adolescence, semble n’exercer qu’une influence miti-

gée sur le comportement délinquant ».

Le vécu des pratiques éducatives scolaires semblent prendre le pas sur le vécu

des pratiques parentales. Les pratiques où dominent les dimensions violente et puni-

tion, sont en relation avec la mise en œuvre de comportements socio-scolaires problé-

matiques envers autrui et envers le travail. Ces résultats nous renvoient également

aux conclusions de Chevalier (1993). L’auteur met en avant le fait que les adolescents

mettant en œuvre des comportements délinquants perçoivent les situations de façon

plus hostile et plus conflictuelle que les autres. Blatier & Chautant (1999) considèrent

que « toute forme de sanction n’est constructive que dans la mesure où elle est englobée

dans une dimension éducative plus grande […] Si la sanction a une valeur dominante

et surtout inadéquate ou incomprise dans l’inconscient de celui qui la reçoit, elle

desservira la construction du sujet ».

Il nous semble nécessaire de mettre en relation la classe de fonctionnement au

sein du système scolaire et les comportements déviants voire délinquants déclarés

par les jeunes hors contexte scolaire. Les fréquences des comportements déclarés

sont présentés dans la figure 2.

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Figure 2. Comportements déclarés par les jeunes en dehors du système scolaire

Ces résultats rejoignent ceux déjà évoqués par les recherches antérieures et la

littérature (Cusson, 1981; Blatier, 1999). En effet, nous pouvons observer que le vol est

le comportement qui semble le plus fréquent (plus de 32 % des comportements décla-

rés). La fréquence de ce comportements peut s’expliquer par le fait que « l’acte prend

souvent un caractère impulsif, notamment le col à l’étalage, décrit comme un jeu, l’acte

de vol étant parfois plus important que l’objet volé » (Blatier, op. cit.).

Nous retrouvons, à travers les comportements délictueux déclarés, la

dichotomie de Fréchette & Le Blanc (1998) fondée sur « la nature en quelque sorte

dérogatoire des actes eux-mêmes ». Les auteurs parlent alors « des actes appelés par les

Américains status offence, qui sont des manquements aux réglementations spéciales

applicables au jeunes » et « des actes qui, de façon moins spécifique, résultent d’une

violation des prescription du Code criminel, lesquelles s’appliquent à tout citoyen,

jeune ou adulte ». Les termes respectivement utilisés sont « délinquance statutaire » et

« délinquance criminelle ».

La comparaison des comportements scolaires et des comportements hors sco-

laires met en évidence :

- 2.5 % des collégiens conformes aux attentes scolaires et institutionnelles (classe 1),

déclarent mettre en œuvre des comportements délinquants à l’extérieur de l’école;

- 48.4 % des collégiens déviants à la forme scolaire (classe 5) déclarent des com-

portements délinquants à l’extérieur de l’école.

De plus, les premiers déclarent des comportements liés à la délinquance statu-

taire alors que les autres déclarent des comportements liés à la délinquance criminelle.

La recherche met en exergue l’importance de trois facteurs (estime de soi, mal-

être, réussite scolaire) comme discriminant des groupes d’adolescents conformes

aux attentes institutionnelles de l’École et des groupes d’adolescents déviants par

rapport à ces mêmes attentes. La spécificité de ces trois facteurs tend à renforcer l’hy-

pothèse du manque de capacité à faire face aux frustrations (Cyrulnick 1999) dans

l’explication de nombreux comportements problématiques. En effet, la réussite sco-

laire n’est jamais que l’expression d’un engagement solide dans l’activité d’appren-

tissage situation particulièrement frustrante puisqu’il s’agit de faire des efforts pour

s’approprier éventuellement un savoir. On comprend mieux dès lors que des élèves

en carence concernant les capacités à faire face aux frustrations soient plus en diffi-

cultés voire en échec scolaire.

Par ailleurs, une mauvaise estime de soi résulte probablement d’un vécu récur-

rent de situations d’échec spécifiques d’une insuffisance de capacités à faire face aux

frustrations.

Enfin, l’expression massive d’un sentiment de mal-être exprimé par les élèves

du groupe « déviant » (classe 5) confirme l’état de souffrance psychique propre à

nombre d’adolescents n’ayant pas développé les capacités à faire face aux situations

difficiles.

En conséquence, il apparaît que ces trois facteurs légitiment une explication en

termes d’insuffisance de capacités à faire face à la frustration. Ainsi, l’insuffisance de

telles capacités explique pour partie la transformation rapide des situations difficiles

(facteurs sociologiques) en souffrance psychique (mentalisation). Or ces souffrances

psychiques peuvent s’exprimer en fonction de normes socio-culturelles de deux

manières différentes :

- soit par des comportements de violence extériorisée (racket, vol ....);

- soit par des comportements de violence intériorisée (consommation de subs-

tances psyhoactive).

Dès lors, l’explication mais aussi l’action éducative en direction des comporte-

ments socio-scolaires oblige l’école à interroger ces pratiques éducatives suscepti-

bles de développer chez les jeunes les capacités à faire face aux frustrations. En effet,

si l’éducation de ces capacités peut relever des pratiques parentales, force est de con-

stater une carence éducative importante liée au refus d’entrer en conflit avec les

enfants (cooconing). Or l’apprentissage des capacités de faire face aux frustrations

peut se faire toute la vie et la deuxième expérience éducative que rencontre générale-

ment les enfants, relève de l’école et plus spécifiquement de la maternelle.

Prévenir les comportements problématiques socio-scolaires suppose donc, dès

la maternelle, le développement des compétences sociales, relationnelles et affec-

tives et en particulier les capacités à faire face aux frustrations.

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Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

Conclusion

Si l’enfant n’a pas rencontré dans son environnement familial les limites du réel

(principe de réalité) qui structurent le Surmoi et les capacités à faire face aux frustra-

tions, il est nécessaire qu’il les rencontre à l’école. En ce sens, la construction collec-

tive des règles de fonctionnement de la classe et la pratique de la sanction vont con-

tribuer à l’apprentissage de telles capacités sous conditions que cet apprentissage

se fasse dans le cadre d’une communication relationnelle excluant toute forme de

violence.

Par ailleurs la sanction ne pourra avoir vertu éducative que dans la mesure où

elle fait réfléchir l’enfant sur son comportement problématique (locus of control,

Dubois 1987). Pour ce faire, certains enseignants proposent aux enfants une réflexion

(orale ou écrite) sur leurs comportements, sur leurs ressentis et sur les comportements

alternatifs qu’ils pourraient dès lors mettre en œuvre.

L’opposition récurrente entre apprentissage et éducation alimentant nombre de

débats voire de conflits au sein de l’école française s’avère dépassée aux vues des

résultats de notre recherche. L’école s’affirme comme le lieu de l’apprentissage des

savoirs scolaires mais également des compétences affectives et relationnelles per-

mettant l’intégration sociale et professionnelle.

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