Approche institutionnelle et organisation du travail social: le clivage médico-social, social et...

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Pierre Naves PIERRE NAVES Apt& quelques brefs d6veloppements sur la lnspecteur G6n6ral rt5alit6 du (( clivage )) qui est le point d’entrke de des Affaires Sociales, IGAS 25-27 we d’Astor& mon intervention, je prksenterai quelques ques- 75008 Paris. tions qui conduisent 5 dbpasser cette distinction institutionnelle. Mes propos pourront paraitre dkousus ; en peu de temps, je voudrais vous faire part en effet de mes convictions. j’interviens devant vous parce que j’ai co-sign6 plusieurs rapports : en particulier, le dernier d’entre eux, remis au ministgre d&g& 21la Famille, et qui &pond B une commande pour dkvelopper diff& rentes articulations dans le syst6me social. Je garde aussi en mGmoire le rapport sur I’in- tegration scolaire des enfants handicap& (publie h la Documentation Franqaise). J’ai par ailleurs, un r8le d’expert auprk du Conseil de I’Europe, ce qui m’a permis diffkrents khanges et une meilleure comprkhension de la complexit de la situation franqaise. La protection de l’enfance et de l’adolescence concerne directement ou indirectement environ 10 % de la population franqaise. C’est un sys- t&me complexe 06 deux types d’acteurs inter- agissent, ceux qui travaillent dans le secteur medico-social, social et ceux qui travaillent dans le domaine judiciaire. En France, concernant la protection de I’enfance, il existe en droit, deux filiikes. Du point de vue des prises en charge, il y a en droit deux secteurs : - le secteur me’dico-social : d&s I’instant 06 une dkficience est reconnue, ce sont les btablisse- ments, et services placks sous la responsabilit6 de I’Etat (des DDAS) qui interviennent. Les annexes XXIV fournissent les rbfkences pour leur organisation. De fait, les conseils g6rkraux ont un r8le dkisif, m$me si en droit I&at conserve un pouvoir de rkgulation en parti- culiers 2 travers le contr8le de I6galit4, celui des DDASS dans la lutte contre la maltraitance, celui de I’IGAS (notamment via ses audits de services dbpartementaux de I’aise sociale ?I I’enfance) ; - le secteur social : mis h part les poupon- nikes, les modalit& d’organisation et de fonc- tionnement demeurent peu prkises. Et done en mati&e de rbfkrentiels, les respon- sables de ces &ablissements et services peuvent s’appuyer sur des documents et expbriences dkcrits par I’UNIOPSS, I’Unasea.. . Le deuxi6me point concerne les dkcisions, oti on peut constater des convergences. Du point de vue des dkcisions. - Dans le secteur m&!ico-socia!, il y a les Com- missions Dbpartementales d’Education Sp& ciales qui ont lieu aprk la rkalisation d’kudes par des 6quipes pluridisciplinaires. - Dans le secteur social : des dkisions adminis- tratives ou judiciaires ont lieu apt& des 6tudes normalement pluridisciplinaires. Malheureuse- ment bien souvent, la pratique s’bloigne nette- ment de la thkorie. Pour plus d’informations sur ces questions, vous pouvez vous r6f6rer .5 plusieurs rapports de I’IGAS diffus& sur www.ladocumentationfrancaise.fr et mis ainsi enti&ement a la disposition de chacun. Certes, il existe deux filikes, mais concr& tement, du point de vue des prises en charges, on peut constater que l’on 6tablit maintenant explicitement un CC projet pour I’enfant )), integrant le pedagogique, I’Gducatif, le social et/au le mkdical. On peut constater kgalement le dkveloppement de CC projets d’Ctablisse- ments )). Enfin le dernier constat est le renfor- cement de I’idke de c parcours D avec des passerelles entre milieu ouvert et accueil en ktablissements. Sauvegarde de I’enfance, 2003, vol. 58, no 4-5. 138-141,’ 0 2003 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits r&en&

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Pierre Naves

PIERRE NAVES Apt& quelques brefs d6veloppements sur la lnspecteur G6n6ral rt5alit6 du (( clivage )) qui est le point d’entrke de

des Affaires Sociales,

IGAS 25-27 we d’Astor& mon intervention, je prksenterai quelques ques-

75008 Paris. tions qui conduisent 5 dbpasser cette distinction institutionnelle. Mes propos pourront paraitre dkousus ; en peu de temps, je voudrais vous faire part en effet de mes convictions.

j’interviens devant vous parce que j’ai co-sign6 plusieurs rapports : en particulier, le dernier d’entre eux, remis au ministgre d&g& 21 la Famille, et qui &pond B une commande pour dkvelopper diff& rentes articulations dans le syst6me social.

Je garde aussi en mGmoire le rapport sur I’in- tegration scolaire des enfants handicap& (publie h la Documentation Franqaise). J’ai par ailleurs, un r8le d’expert auprk du Conseil de I’Europe, ce qui m’a permis diffkrents khanges et une meilleure comprkhension de la complexit de la situation franqaise.

La protection de l’enfance et de l’adolescence concerne directement ou indirectement environ 10 % de la population franqaise. C’est un sys- t&me complexe 06 deux types d’acteurs inter- agissent, ceux qui travaillent dans le secteur medico-social, social et ceux qui travaillent dans le domaine judiciaire.

En France, concernant la protection de I’enfance, il existe en droit, deux filiikes.

Du point de vue des prises en charge, il y a en droit deux secteurs : - le secteur me’dico-social : d&s I’instant 06 une dkficience est reconnue, ce sont les btablisse- ments, et services placks sous la responsabilit6 de I’Etat (des DDAS) qui interviennent. Les annexes XXIV fournissent les rbfkences pour leur organisation. De fait, les conseils g6rkraux ont un r8le dkisif, m$me si en droit I&at conserve un pouvoir de rkgulation en parti-

culiers 2 travers le contr8le de I6galit4, celui des DDASS dans la lutte contre la maltraitance, celui de I’IGAS (notamment via ses audits de services dbpartementaux de I’aise sociale ?I I’enfance) ; - le secteur social : mis h part les poupon- nikes, les modalit& d’organisation et de fonc- tionnement demeurent peu prkises.

Et done en mati&e de rbfkrentiels, les respon- sables de ces &ablissements et services peuvent s’appuyer sur des documents et expbriences dkcrits par I’UNIOPSS, I’Unasea.. .

Le deuxi6me point concerne les dkcisions, oti on peut constater des convergences.

Du point de vue des dkcisions. - Dans le secteur m&!ico-socia!, il y a les Com- missions Dbpartementales d’Education Sp& ciales qui ont lieu aprk la rkalisation d’kudes par des 6quipes pluridisciplinaires. - Dans le secteur social : des dkisions adminis- tratives ou judiciaires ont lieu apt& des 6tudes normalement pluridisciplinaires. Malheureuse- ment bien souvent, la pratique s’bloigne nette- ment de la thkorie.

Pour plus d’informations sur ces questions, vous pouvez vous r6f6rer .5 plusieurs rapports de I’IGAS diffus& sur www.ladocumentationfrancaise.fr et mis ainsi enti&ement a la disposition de chacun.

Certes, il existe deux filikes, mais concr& tement, du point de vue des prises en charges, on peut constater que l’on 6tablit maintenant explicitement un CC projet pour I’enfant )), integrant le pedagogique, I’Gducatif, le social et/au le mkdical. On peut constater kgalement le dkveloppement de CC projets d’Ctablisse- ments )). Enfin le dernier constat est le renfor- cement de I’idke de c parcours D avec des passerelles entre milieu ouvert et accueil en ktablissements.

Sauvegarde de I’enfance, 2003, vol. 58, no 4-5. 138-141,’ 0 2003 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits r&en&

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Comme responsables, vous savez que les decisions qui concernent les enfants et ado- lescents pris en charge dans le secteur medico- social et le secteur social, sont largement fond&es sur les preconisations des profession- nels. Or certains eprouvent des difficult& a formuler des preconisations veritablement adequates, faute de rep&es suffisamment clairs et indiscutables confortes pour Claborer certaines decisions t&s importantes.

Enfin, concernant toujours les decisions, les parents ont le droit et le devoir de donner leur avis, la nouvelle loi du 04/03/2002 sur l’autorite parentale mentionne explicitement I’interPt de I’enfant.

La loi du 02/01/02 promeut I’Qvaluation

En preliminaire, il convient de souligner qu’il faut distinguer, meme s’ils sont en inter- relation : - evaluation des besoins des personnes ; - evaluation des etablissements et services ; la loi du 02/01/02 (dont l’article 22 a et6 codifie a I’art. L.312-8 du CASF) distingue :

l I’&aluation interne ou (( auto-&valuation )) qui doit avoir lieu tous /es 5 ans, au regard de prockdures, de rkf&rences et de recommanda- tions de bonnes pratiques professionnelles ; l I’e’valuation externe ; tous les 7 ans en moyenne, r&a/is&e par un organisme habilite’ dans le respect d’un cahier des charges (fix& par d&ret) ;

- evaluation des schemas (dispositifs departe- mentaux). A cet egard, on peut constater :

l des (( demarches d’auto-evaluation B ; comme plusieurs departements I’ont fait de la cadre de la preparation de leur schema departemental de protection de l’enfance ; l I’intervention d’appuis exterieurs (manda- tes par les responsables departementaux). Ainsi, la loi n”2002-2 du 02/01/02, sur la

renovation de I’action sociale et medico- sociale, renforce I’importance de I’evaluation, dans le respect de la delegation de compe- tences aux collectivites territoriales. Elle fournit des opportunites pour mieux determiner la specificite des besoins des enfants et des ado- lescents et comment on y repond.

Cette loi qui a fix& des regles claires, neces- site une bonne mise en ceuvre : j’attends done, comme vous, avec impatience des decrets d’application qui ne sont pas encore parus.

La qualite et la Iegitimite des evaluations, ainsi que I’importance des ameliorations qui pourront en decouler, dependront etroitement des methodes de productions et diffusion des referentiels.

Je ne voudrais pas enfin negliger I’importance de bien distinguer I’evaluation et le controle.. . oti des controles demeurent necessaires.

La progression de la conception europhenne d’enfants ti (( besoins spkcifiques ))

Tous les enfants et adolescents ont des (( besoins specifiques B, ce sont des personnes, qui a chaque periode de leur vie, ont des besoins qui changent.

Ce constat d’evidence est encore plus vrai pour certains enfants et plus intensement vrai pour les adolescents qui acquierent leur identite d’adulte.

II me suffit done de constater que les realit& sensibles rejoignent la conception europeenne de (( personnes a besoins specifiques D pour me dire que (( notre clivage francais )) devrait, a plus ou moins breve echeance, s’interrompre, voire disparaitre.

Le mythe du (( grand organisateur )), face a la realite qui est si complexe :

Apparemment I’unite de commandement serait ideale pour le bon deroulement de toutes les actions.

Cela etant, le transfert de competences mul- tiples a un seul niveau de gouvernement ne garantit pas qu’il n’y ait pas de phenomenes bureaucratiques. Ainsi, dans le conseil general d’un departement, est-on bien stir qu’entre le service social, I’ASE, le service charge de I’in- sertion et celui du logement, la direction du sport et de la culture, il y a bien une unite de reflexion ? Est- ce que sous la meme autorite du president du conseil general, il va y avoir auto- matiquement la realisation de projets communs entre ces differents services.

Or, on sait que pour produire de la qualite, les interfaces sont indispensables. La solution est quelles que soient les modalites d’organisa- tion, d’etablir des protocoles.

La mise en place d/interfaces et de protocoles fait que l’on s’efforce de conna?tre les objectifs, les competences de chacun, les moyens pour acceder a de meilleurs resultats et a une meilleure qualite.

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Peut-il y avoir ipso facto (( un mieux etre 8 pour tout le monde, je ne le pense pas. Seules, les Cvolutions progressives et la prise en compte de la multiplicitC des intervenants am&rent a des decisions et actions cohe- rentes lieu par lieu, departement par depar- tement... II faut de la duke pour que chacun puisse bien reperer et faire savoir le role qu’il peut jouer.

Des dQficits quantitatifs (pour des prises en charge) mais qui peuvent &re surmontks

Je commencerai par de tristes constats pour en arriver t&s vite 21 des perspectives d’espoir : - ces deficits sont bien reels, incontestables dans de nombreux departements ; pour tel ou tel type de (( population B d’enfants et d’adoles- cents, voire de facon quasi g&&ale ; - mais ces deficits sont peut-etre (( surmon- tables )), d&s I/instant ou l’on introduit de la (( fluidite N dans les parcours.

De meme, en ce qui concerne les questions de personnel : - I’importance actuelle et prevue des deficits de personnels dans la plupart des professions sociales est immense ; - mais I’itat a organise un programme pour y faire face et on ne peut negliger le role des employeurs dans I’adaptation au poste et des partenaires sociaux dans la formation continue.

En outre, depuis 5 ans, des evolutions tres significatives ont lieu. Elles concernent d’une part, la connaissance des besoins de formation et des modalites d’acquisition et reconnaissance de competences (referen- tiels metiers ; VAE - validation des acquis de I’experience.. .), et d’autre part, la production de references utiles pour les professionnels (grace a I’action du CSTS).

Des penuries de certains types de person- nels (techniciens d’intervention sociale et familiale, educateurs specialis&) freinent la mise en ceuvre des politiques d&id&es par les collectivites territoriales. Les professionnels connaissent de veritables difficult& a faire face a des situations personnelles et familiales complexes.

Les probkmes de la psychiatric publique appellent des kponses immQdiates

Ils sont maintenant clairement decrits par les pouvoirs publics et port& de facon puissante par les professionnels.

On ne peut que regretter et dhoncer les dif- ficult& d’acch P des diagnostics et des soins adapt& aux besoins des personnes (adultes, enfants, adolescents) qui ensuite generent des &tats pathologiques N irreparables )) pour de nombreux enfant.

La cause en est la faiblesse des moyens humains de nombreux services de pedo- psychiatric en France, constatee a de nom- breuses reprises et tout particulierement au tours des 10 dernieres an&es. C’est un des facteurs limitant I’articulation des services de pedopsychiatrie avec des autres services inter- venant aupres des enfants.

De plus, les services de psychiatric pour les adultes connaissent des difficult& du meme ordre ; de nombreux enfants et adolescents souffrent des consequences qui en decoulent.

Des pistes de solution passent via les respon- sables des ADSEA, par I’organisation de prises en charge par des psychologues cliniciens.

Ceci bien stir, ne remplacera pas le neces- saire accroissement du nombre de pedopsy- chiatres a former, en sachant que I’impact effec- tif ne sera sensible que dans environ 10 ans (en raison des delais de formation). De meme il faut decider de developper le nombre de psycho- logues cliniciens aptes a prendre en charge cer- taines fonctions. Enfin il faut engager un effort de diffusion d’informations a vi&e de meilleur rep&age de situations a risques (et qui respecte- rait les dynamiques territoriales).

Les probl&mes des adolescents justifient des dynamiques partenariales

Ils sont N 21 la mode B, touchent person- nellement (parents, amis...) de nombreux decideurs, mais ont des solutions qui sont (( economiquement rentables B.

La decentralisation, I’experimentation, I’action sociale globale en synergie h travers un Q projet

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associatif )), peuvent et permettent de combiner des volontes d’acteur divers.

La diversification des profils de recrutements (BAFA, BEATEP, DEFA...), la facilitation de la formation des (( faisant fonction )), I’accompa- gnement et le soutien des demarches de chan- gement necessaires dans les associations, le developpement des formations/seminaires com- muns a tous les professionnels devraient concourir a enrayer le turn-over des equipes mettant a mal la continuite de I’action educative aupres des jeunes.

Une Cvaluation approfondie des situations individuelles est rkessaire pour determiner les besoins de I’adolescent au meilleur cotit pour la collectivite (finances des conseils

generaux, de I’itat, des communes, des CAF...) en integrant tous les elements de constats reperables.

A court terme, ces evaluations permettront de limiter le nombre de decisions administratives ou judiciaires inadequates et couteuses. Et elles permettront de limiter le nombre de decisions prises dans I’urgence.

Je vous invite done !?I vous mobiliser autour de projets pen&s avec le personnel en fonction des besoins des adolescents. Ceci est indispen- sable pour ameliorer le service aux personnes (enfants et adolescents ; parents). Bien sGr, il ne faut pas oublier les (( filieres administratives )) ; mais ce (( clivage )) ne peut pas etre une raison avancee pour ne pas agir.

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