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Comment es-tu devenu peintre ? Tout a commencé par une envie assez brutale lorsque j'avais 17 ans et depuis je suis rarement res té un jour sans faire quelque chose se rapportant à la création. J'avais goûté à un certain plaisir dont je n'ai plus été capable de me passer ensuite. La peinture a été une étape importante dans ton cheminement créatif. Tu l'as délaissée pour te tourner vers la seul- ture. Pourquoi ? J' ai maintenant l'impr ession d'être passé longtemps à c6té de ce qui me semble essentiel aujourd'hui. Mais le passage par la peinture était sa ns doute néces- saire. Je me suis vite aperçu que les failles et les tensions que renfermaient mes toiles existaient pleinement dans le bois. Dans ses veines, j'ai trouvé la tension, la détente, la solidité, la fluidi- té, ce que je cherchais à traduire dans mes toiles. Il s'agit en quelque sorte d'un retour à la nature que j'ai fait en devenant sculp- teur. Pourquoi représenter artificielle- ment une matière sur un support alors que cette matière existe 7 Quelles études as-tu faites ? Des études secondaires et deux années d'arc hit ecture pendant lesque ll es j'ai mûri ma décision de devenir peintre. Ton milieu familial t'a-t-il aidé? Mor alement et financièrement à mes débuts. Comme j'avais arrêté des études qui théoriquement devaient être longues, . . , appriVOISe Propos recueillis par Michel Blot mes parents m'ont aidé jusqu'à ma pre- mière exposition en 1965 à Bâle. Parlons un peu de ton travail actuel : Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la métamorphose du matériau que j'ai choisi : le bois. Le plus humble mor- cea u de bois ramassé dans la forêt ou trouvé sur une plage porte en lui les possibilités d'une aventure. Il oriente déjà mon travail. Il est en tout cas tou- jours le point de départ du voyage que je va is faire avec lui. Je ne veux jamais mettre en ava nt les moyens et je fais seu lement avec ce que j'ai. Il y a tellement de bois à récu - pérer sans avoir soi-même un arbre à abattre 1 Tu parles beaucoup de ta (( complicité )) 3

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Comment es-tu devenu peintre ? Tout a commencé par une envie assez brutale lorsque j'avais 17 ans et depuis je suis rarement resté un jour sans faire quelque chose se rapportant à la création. J'avais goûté à un certain plaisir dont je n'ai plus été capable de me passer ensuite.

La peinture a été une étape importante dans ton cheminement créatif. Tu l'as délaissée pour te tourner vers la seul­ture. Pourquoi ?

J'ai maintenant l'impression d'être passé longtemps à c6té de ce qui me semble essentiel aujourd'hui. Mais le passage par la peinture était sans doute néces­saire. Je me suis vite aperçu que les failles et les tensions que renfermaient

mes toiles existaient pleinement dans le bois. Dans ses veines, j'ai trouvé la tension, la détente, la solidité, la fluidi­té, ce que je cherchais à traduire dans mes toiles. Il s'agit en quelque sorte d'un retour à la nature que j'ai fait en devenant sculp­teur. Pourquoi représenter artificielle­ment une matière sur un support alors que cette matière existe 7 Quelles études as-tu faites ?

Des études secondaires et deux années d'architectu re pendant lesquelles j'ai mûri ma décision de devenir peintre.

Ton milieu familial t'a-t-il aidé? Moralement et financièrement à mes débuts. Comme j'avais arrêté des études qui théoriquement devaient être longues,

. . , appriVOISe

Propos recueillis par Michel Blot

mes parents m'ont aidé jusqu'à ma pre­mière exposition en 1965 à Bâle.

Parlons un peu de ton travail actuel : Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la métamorphose du matériau que j'ai choisi : le bois. Le plus humble mor­ceau de bois ramassé dans la forêt ou trouvé sur une plage porte en lui les possibilités d'une aventure. Il oriente déjà mon travail. Il est en tout cas tou­jours le point de départ du voyage que je va is faire avec lui. Je ne veux jamais mettre en avant les moyens et je fais seu lement avec ce que j'ai. Il y a tellement de bois à récu­pérer sans avoir soi-même un arbre à abattre 1

Tu parles beaucoup de ta (( complicité ))

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quotidienne avec le bois mais tu as au­paravant travaillé d'autres matériaux. Avec la lave de Volvic que j'émaillais -travail de céramiste - puis avec l'alu­minium que je martelais et repoussais, j'ai réalisé un certain nombre d'œuvres murales - hOpitaux, collèges, caserne. Lorsque j'étais peintre, j'ai réalisé quel ­ques 1 % dans des bâtiments scolaires, des murs dans des immeubles privés ou dans des bâtiments publics.

Quand on descend dans ton atelier, l'odeur du bois nous enveloppe, nous pénètre. On est surpris à la fois par la relative exiguïté du local mais aussi par l'organisation qui y règne.

Ici, à Créteil, l'espace est compté. L'atelier occupe le sous-sol du pavillon que j'habite. En Auvergne, c'est toute une grange. Évidemment, le problème des sculpteurs, est un problème de place. En ville, il y a beaucoup de peintres amateurs parce qu'on peut faire de la peinture dans une chambre, dans un coin de salon même si cela relève d'une gymnastique méritoire.

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En sculpture par contre, il n'y a pas beaucoup de personnes qui peuvent faire la même chose. L'atelier d'un sculpteur est un lieu qui déborde. C'est loin d'être une activité clandestine : bruits, poussière, odeurs exigent un certain isolement. Il faut également pouvoir charger et décharger commo­dément. L'atelier, à vrai dire, n'est ja­mais assez grand. D'une façon géné­rale, les sculpteurs travaillent en ville avec beaucoup de difficultés et leu r tra­vai l est en rapport direct avec les moyens dont ils disposen t : espace, problèmes de manutention, aération, environnement ...

Quant au matériel dont tu te sers, Il est des plus simples.

Oui, c'est le matériel. élémentaire du bricoleur : ponceuse à disques, scie sauteuse, ponceuse à bandes, rien de plus.

Vers 7976, tu as réalisé des boÎtes qui m'apparaissent en quelque sorte comme une transition possible entre tes œuvres peintes et tes œuvres sculptées.

Ces boîtes sont d'abord les pages d'un journal intime, comme on tourne les pages de sa vie. C'est aussi une dis­cipline : chaque jour, je remplis une case comme l'écrivain, à sa table de travail, fait sa page d'écriture. Mes boîtes, après tout, c'est peut-:.être un

roman, le roman d'un collectionneur. Ces boîtes constituent autant d'auto­portraits sur un mode essentiellement ludique. Espaces clos, je les utilise pour les inventaires. Elles me permettent de regrouper plusieurs préoccupations par la diversité des éléments qu'elles con­tiennent. Elles témoignent également de mes doutes ou des appels très variés que me lance le bois et des réponses -très différentes - que je peux apporter. Elles témoignent enfin d'une recherche d'unité mais aussi de l'échec à vouloi r se résumer en un seul objet. Comme dans un visage - yeux, bouche, nez, oreilles - les éléments inclus se ré­pondent, se complètent, voire s'annulent.

Comment naÎt une sculpture ?

Poussé par un insatiable besoin de communiquer, je cherche à préserver en moi un peu de cette capacité d'émer-

.veillement propre à l'enfance. Force neuve, elle me permet de tirer parti de rencontres, de jouer avec une forme, un matériau et puis souvent de faire un bout de route ensemble. Ainsi, une sculpture peut naître de la rencontre fortuite, su r un trottoir de banlieue ou au détour d'un chemin, d'un objet au rebut ; par exemple :

- un morceau de câble électrique ...

- ou un petit footballeur en bois ...

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Faire une sculpture, une boîte, c'est avant toute chose, exprimer une idée dans un matériau en volume. Quand l'idée est là, suffisamment pré­cise, plusieurs techniques me viennent à l'esprit. Mais. la technique reste au service de l'idée. Jamais le contraire. L'idée est définie par tout ce que nous sommes à un moment précis : notre vécu, le désir qui nous pousse à agir et également la façon dont nous nous projetons dans l'avenir. Le reste nous échappe.

Avant l'œuvre proprement dite, viennent d'abord un schéma dans ma tête ou quelques dessins sur une feuille de pa­pier . Je passe le reste du temps à courir après ce que je cherche en trou-

vant parfois ce que je n'ai pas cher­ché - sorte de quête qui ne manque pas d'intensité, un match dont le ré­sultat est incertain jusqu'à la fin. Il me faut connaître l'adversaire, le pousser dans ses derniers retranche­ments mais contrairement au sport, il n'y a pas de vainqueur ou plutôt quand une sculpture est réussie, il y a deux vainqueurs : le matériau et le scu lpteu r, signe que chacun y a mis du sien. Mais il reste, quand la sculpture est achevée, une zone d'ombre, quelque chose qui nous échappe dans ce pro­cessus créateur.

Entre le bois et tot~ c'est je crois une longue histoire qui remonte à ton en­fance.

Oui, quand j'étais enfant, je passais mes vacances en Alsace à Brumath dont est 1

originai re ma fam ille. Je passais de longues heures dans la menuiserie voi- ' sine. Le menuisier, M. Schwarz, me laissait puiser dans une grande caisse 1

remp lie de chutes de bois. J'ai sans doute gardé en moi la nostalgie de cette époque. Aujourd'hu i, mes enfants viennent à leur tour puiser dans une caisse les chutes de mon propre atelier. Je su is alors émerveillé par leur imagination et la richesse qu 'i ls insufflent à ce maté­riau. A leur t our, ils bâtissent autour de lui un réseau de compl icités. Le bo is est présent partout dans nos vies.

Je me souviens aussi d'avoir rêvé sur les dessins de planches de parquet : c'est plein d'itinérai res, de représenta­t ions fantast iques qui inquiètent ou bien fascinent l'enfant qui va s'endormir. A l'école, j'ai taillé dans mon pupitre mes premiers copeaux.

J'ai l' impression que je n'aurai jamais assez de temps pour mettre en évi­dence tout ce qui me fascine dans ce matériau, pour répondre à tous ses appels.

Mais entre le bois et toi, c'est aussi une affaire très intime. Je parlerai

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même de corps à corps, de transfert d'énergie.

M on travail du bois s'apparente en effet à un détournement de la sève de l'arbre ou - si l'on veut - de sa force se­crète. De cette action qui me conduit à « toucher du bois » quotidiennement sont nées quelques sculptures où ap­paraissent les effets de ces transfusions, sève à sève, fibre à fibre, corps à corps .

Je pars de bois d'œuvre, débité en planches. Le bois découpé, poncé, collé dans mon atelier retrouve une appa­rence proche de celle qui était la sienne à son origine. Je lui fais, pour finir, ses LIGNES de vie à la main et au pa­pier de verre. Je voudrais, au terme de ce parcours, qu'on ne sache plus très bien lequel de nous deux a donné son identité à l'autre.

A ce bois d'œuvre, tu fais en sorte de lui réinsuffler la vie qu'IÏ a perdue.

Ce bois débité n'a plus d'appel ni vers la terre ni vers le ciel. Je fais, ni plus ni moins, repasser le courant interrompu : les chaises, les bancs, les tables se remettent à germer. Des branches repoussent là où la vie s'était un moment arrêtée.

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Penses-tu que ces jeux créateurs autour du bois soient à la portée de tous, adultes et surtout enfants?

Absolument et c'est particulièrement vrai pour les enfants . Quel est l'enfant qui n'a pas, au cours de ses jeux, re­fait en quelque sorte le chemin initia­tique de l'homme primitif : tailler un bout de bois, un morceau d'écorce de pin pour en faire un arc, un bateau ... ?

Quel est aussi l 'enfant qui n'a pas rêvé devant une simple coquille de noix ?

Puisqu'on parle des enfants, tu as ré­cemment travaillé avec eux .. . Dans les centres d'Action culturelle où j'ai exposé en 1980 et 1981, j'ai ren­contré beaucoup d'enfants. Je leur ai fait faire des empreintes d'écorce sur le tronc des arbres et des frottis de ma­tières diverses dans l'environnement ur-

ba in, techniques que je pratique moi­même pour me confronter avec le réel. Il faut beaucoup regarder avant de créer. Il y a des choses qu'on n'invente pas, qui sont, qui existent. Les voir, les cap­ter, les fixer par la photo, le frottis ou l'empreinte sont un peu une gymnas­tique de l'œil qu i faci lite le travai l de la mémoire et enrichit notre perception. Pendant et après la création, il faut se garder d'être complètement décalé par rapport au réel en intellectualisant sa ' démarche. Le fait de travailler une par­tie de l'année en Auvergne me préserve de cela car le sol, le climat et les ha­bitants de ce terroir où je vais me res­sourcer sont rudes et sans verbiage. Là-haut, il faut· être concis et aller à l 'essentie l. Tout au long de mes rencontres avec les enfants, j'ai découvert, sur le tas, ce qu'était la pédagogie : l'écart qu'il y ava it entre faire et transmettre un savoir­faire, la nécessité aussi d 'établir d'une façon quasi immédiate un climat dans lequel la densité donnée à chaque ins­tant de l'action compte. Après, il importe de savoir doser cette présence, changer de régime pour maintenir l'attention. Bref, je n'ai jamais autant senti les rapports qu'il y avait ent re l'enseignement et la haute voltige, dans la mesure précisément où l'on n'a aucun refuge et que le résultat d'une animat ion vient essentiellement de ce que l'on y a investi soi-même.