Apport des nouvelles méthodes dâexploration pour la classification des troubles moteurs...

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REVUE DE CONGRÈS / CONGRESS REVIEW JFHOD Apport des nouvelles méthodes dexploration pour la classification des troubles moteurs œsophagiens The role of new investigation methods in the classification of oesophageal motility disorders F. Zerbib © Springer-Verlag France 2013 Résumé La manométrie œsophagienne haute résolution a transformé radicalement lapproche des troubles moteurs œsophagiens (TMO). L utilisation dun grand nombre de cap- teurs électroniques et la représentation topographique des variations de pression permettent une approche à la fois plus précise et plus simple de la motricité œsophagienne. Le gain diagnostique pour les dysphagies est de 10 à 20 %. La classifi- cation de Chicago a défini un algorithme décisionnel basé dune part sur la relaxation de la jonction œsogastrique et dautre part sur les anomalies contractiles du corps de lœso- phage. Outre les différents types dachalasie, elle a défini des diagnostics dœsophage hypercontractile ou hypocontractile. Les études à venir devront définir limpact de cette classifi- cation sur la prise en charge de patients avec TMO. Mots clés Troubles moteurs œsophagiens · Manométrie œsophagienne haute résolution · Achalasie Abstract The development of high resolution manometry has modified the diagnostic approach of esophageal motility disorders. The use of a high number of electronic sensors together with the pressure variations displayed as esophageal pressure topography have greatly facilitated data interpreta- tion. The diagnostic yield for dysphagia has increased by 1020% thanks to these improvements. The Chicago classi- fication is based on both relaxation of the esophago-gastric junction and the pattern of esophageal contractility. This diagnostic algorithm allows classifying esophageal motor disorders as achalasia, hypercontractile, or hypocontractile disorders. Whether this classification will positively impact the outcome of patients with esophageal motor disorders remains to be determined. Keywords Oesophageal motility disorders · High resolution oesophageal manometry · Achalasia Introduction Les troubles moteurs œsophagiens (TMO) correspondent à des anomalies de la motricité de lœsophage le plus souvent responsables de dysphagie, voire de douleurs thoraciques. Ces anomalies peuvent être secondaires à des pathologies systémiques mais le plus souvent il sagit de troubles moteurs primitifs qui sont évoqués en cas de dysphagie à endoscopie normale. L endoscopie peut faire évoquer un TMO en cas de stase œsophagienne, de ressaut cardial ou daspect « spastique » de lœsophage, mais cest la manomé- trie œsophagienne qui va permettre de confirmer le diagnos- tic et de préciser le type de TMO. Manométrie haute résolution La manométrie œsophagienne dite « conventionnelle » est réalisée à laide de sondes perfusées avec de leau générale- ment constituées de quatre capteurs permettant lanalyse du corps de lœsophage et du sphincter inférieur de lœsophage (SIO). Certaines sondes sont équipées dun manchon (sleeve) permettant une analyse plus précise et/ou prolongée de la pression du SIO. Au cours des dernières années, la manomé- trie conventionnelle a été progressivement remplacée dans les centres experts par la manométrie « haute résolution » (MHR) qui se distingue par deux innovations : laugmentation du nombre de points de mesure de pression et une représentation topographique des variations de pression. Le développement de capteurs de pression électroniques solides a permis la fabrication de sondes comportant 36 cap- teurs de pression espacés les uns des autres de 1 cm permet- tant donc dexplorer toute la hauteur de lœsophage sans avoir à bouger la sonde. Ces capteurs occupent toute la cir- conférence de la sonde et permettent une mesure circonfé- rentielle des pressions et donc de saffranchir des variations de pression secondaire par exemple à lasymétrie radiale des sphincters. La seconde avancée est le traitement informa- tique des données qui sont présentées en fonction du temps F. Zerbib (*) Service dhépatogastroentérologie et doncologie digestive, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, F-33075 Bordeaux cedex, France e-mail : [email protected] Acta Endosc. (2013) 43:73-76 DOI 10.1007/s10190-013-0305-5

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REVUE DE CONGRÈS / CONGRESS REVIEW JFHOD

Apport des nouvelles méthodes d’exploration pour la classificationdes troubles moteurs œsophagiensThe role of new investigation methods in the classification of oesophageal motility disorders

F. Zerbib

© Springer-Verlag France 2013

Résumé La manométrie œsophagienne haute résolution atransformé radicalement l’approche des troubles moteursœsophagiens (TMO). L’utilisation d’un grand nombre de cap-teurs électroniques et la représentation topographique desvariations de pression permettent une approche à la fois plusprécise et plus simple de la motricité œsophagienne. Le gaindiagnostique pour les dysphagies est de 10 à 20%. La classifi-cation de Chicago a défini un algorithme décisionnel baséd’une part sur la relaxation de la jonction œsogastrique etd’autre part sur les anomalies contractiles du corps de l’œso-phage. Outre les différents types d’achalasie, elle a défini desdiagnostics d’œsophage hypercontractile ou hypocontractile.Les études à venir devront définir l’impact de cette classifi-cation sur la prise en charge de patients avec TMO.

Mots clés Troubles moteurs œsophagiens · Manométrieœsophagienne haute résolution · Achalasie

Abstract The development of high resolution manometryhas modified the diagnostic approach of esophageal motilitydisorders. The use of a high number of electronic sensorstogether with the pressure variations displayed as esophagealpressure topography have greatly facilitated data interpreta-tion. The diagnostic yield for dysphagia has increased by10–20% thanks to these improvements. The Chicago classi-fication is based on both relaxation of the esophago-gastricjunction and the pattern of esophageal contractility. Thisdiagnostic algorithm allows classifying esophageal motordisorders as achalasia, hypercontractile, or hypocontractiledisorders. Whether this classification will positively impactthe outcome of patients with esophageal motor disordersremains to be determined.

Keywords Oesophageal motility disorders · Highresolution oesophageal manometry · Achalasia

Introduction

Les troubles moteurs œsophagiens (TMO) correspondent àdes anomalies de la motricité de l’œsophage le plus souventresponsables de dysphagie, voire de douleurs thoraciques.Ces anomalies peuvent être secondaires à des pathologiessystémiques mais le plus souvent il s’agit de troublesmoteurs primitifs qui sont évoqués en cas de dysphagie àendoscopie normale. L’endoscopie peut faire évoquer unTMO en cas de stase œsophagienne, de ressaut cardial oud’aspect « spastique » de l’œsophage, mais c’est la manomé-trie œsophagienne qui va permettre de confirmer le diagnos-tic et de préciser le type de TMO.

Manométrie haute résolution

La manométrie œsophagienne dite « conventionnelle » estréalisée à l’aide de sondes perfusées avec de l’eau générale-ment constituées de quatre capteurs permettant l’analyse ducorps de l’œsophage et du sphincter inférieur de l’œsophage(SIO). Certaines sondes sont équipées d’un manchon (sleeve)permettant une analyse plus précise et/ou prolongée de lapression du SIO. Au cours des dernières années, la manomé-trie conventionnelle a été progressivement remplacée dans lescentres experts par la manométrie « haute résolution » (MHR)qui se distingue par deux innovations : l’augmentation dunombre de points de mesure de pression et une représentationtopographique des variations de pression.

Le développement de capteurs de pression électroniquessolides a permis la fabrication de sondes comportant 36 cap-teurs de pression espacés les uns des autres de 1 cm permet-tant donc d’explorer toute la hauteur de l’œsophage sansavoir à bouger la sonde. Ces capteurs occupent toute la cir-conférence de la sonde et permettent une mesure circonfé-rentielle des pressions et donc de s’affranchir des variationsde pression secondaire par exemple à l’asymétrie radiale dessphincters. La seconde avancée est le traitement informa-tique des données qui sont présentées en fonction du temps

F. Zerbib (*)Service d’hépatogastroentérologie et d’oncologie digestive,hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet,F-33075 Bordeaux cedex, Francee-mail : [email protected]

Acta Endosc. (2013) 43:73-76DOI 10.1007/s10190-013-0305-5

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non plus sous la forme de courbes de variation de pressionmais en trois dimensions : les variations de pression (repré-sentées par un code couleur) sont données en fonction de laposition anatomique des capteurs. Cette méthode de repré-sentation topographique permet de visualiser les relationsentre les forces de propulsion (représentées par les variationsde pression induites par l’activité contractile), la clairance dubolus (représentée par la pression intrabolus) et les forces derésistance (pression sphinctérienne résiduelle et gradient depression transsphinctérien).

Par rapport à la manométrie conventionnelle, la MHR estplus rapide et mieux tolérée [1]. En effet, son positionnementest aisé : les deux zones de hautes pressions correspondantrespectivement au sphincter supérieur et à la jonction œso-gastrique sont facilement repérables et permettent de vérifierle positionnement correct de la sonde. Une fois en place,le retrait progressif de la sonde n’est pas nécessaire puisque,compte tenu du nombre de capteurs de pression, des mesu-res sont effectuées simultanément du pharynx jusqu’àl’estomac, ce qui raccourcit considérablement la durée del’examen. De plus, la représentation graphique en code cou-leur des variations de pression facilite l’apprentissage del’analyse et améliore la reproductibilité interobservateur, ycompris chez des non-experts. L’inconvénient majeur de laMHR est le coût élevé des sondes (environ 10 000 eurospour 250 examens) qui explique que, pour l’instant, seulsles centres experts sont équipés.

D’un point de vue diagnostique, les pathologies identifiéespar la manométrie conventionnelle le sont évidemment aussipar la MHR avec une sensibilité qui pourrait être meilleure,même si ce n’est pas encore formellement démontré. Le gaindiagnostique serait de 10 à 20 % pour l’exploration des dys-phagies inexpliquées [2]. La classification des TMO proposéepar l’équipe de Chicago à partir des données fournies par laMHR est basée sur l’étude de la relaxation de la jonctionœsogastrique et de la motricité dans le corps de l’œsophage.

Classification de Chicago

Elle permet une analyse « pas à pas » en fonction des para-mètres obtenus en MHR [3]. Le paramètre essentiel est lapression de relaxation intégrée 4s (PRI-4s) qui correspond àla pression la plus basse de la jonction œsogastrique enregis-trée durant quatre secondes non forcément consécutives enréponse à une déglutition (Fig. 1). Le seuil de 15 mmHg per-met de mieux discriminer les patients ayant une achalasie dessujets témoins. L’analyse du corps de l’œsophage permet dedistinguer trois types d’achalasie et des variantes éventuelles.En cas de PRI normale, des anomalies significatives de lamotricité du corps de l’œsophage peuvent être responsablesde dysphagie (spasmes œsophagiens, œsophage « marteau-piqueur »). D’autres anomalies sont retrouvées plus fréquem-

ment que chez les témoins mais leur rôle dans l’apparitiond’une dysphagie est discuté (hypopéristaltisme œsophagien,œsophage casse-noisettes, etc.) (Fig. 2). Il faut noter que laclassification de Chicago n’aborde pas les problèmes postopé-ratoires, les troubles moteurs associés au RGO ou les dyspha-gies pharyngolaryngées.

Achalasie et autres troubles moteursde l’œsophage

La MHR a permis d’identifier trois profils différents d’acha-lasie de l’œsophage (Fig. 3). Le type I, dit « classique »,

Fig. 1 Exemples demanométrie haute résolution. A. Séquence péris-

taltique normale. La pression de relaxation intégrée (PRI) est normale.

B. Achalasie de l’œsophage : la PRI est élevée (N < 15 mmHg) et il

n’y a aucune onde de contraction œsophagienne. SSO : sphincter

supérieur de l’œsophage. JOG : jonction œsogastrique

Fig. 2 Algorithme diagnostique de la classification de Chicago.

PRI : pression de relaxation intégrée ; JOG : jonctionœsogastrique ;ICD : intégrale de contraction distale

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dans lequel il n’y a aucune augmentation de pression dansl’œsophage en réponse à une déglutition et un défaut de rela-xation de la jonction œsogastrique. Dans le type II, il existeune pressurisation de l’œsophage liée à la compression dubolus ingéré entre le sphincter supérieur de l’œsophage(SSO) et l’obstacle fonctionnel cardial. Le type III corres-pond à l’achalasie « spastique » dans laquelle il existe desondes œsophagiennes non propagées et de grande ampli-tude. Il semble que la réponse aux traitements (dilatation,toxine botulique ou chirurgie) soit meilleure pour les typesII, mais cela doit être confirmé [4]. La MHR permettrait demieux différencier l’achalasie de la maladie des spasmesdiffus en identifiant des pseudorelaxations du SIO liées àl’ascension du SIO lors des déglutitions. Il est égalementplus aisé de distinguer une augmentation de pression intra-œsophagienne (pressurisation de l’œsophage) d’une authen-tique contraction œsophagienne [5].

Augmentation de la pression intrabolus

La mesure des gradients de pression transsphinctériens per-met de caractériser le retentissement fonctionnel des ano-malies de la jonction œsogastrique et de la motricité ducorps de l’œsophage sur la clairance du bolus œsophagien.Elle permet d’expliquer certaines dysphagies. Alors qu’iln’y a aucun trouble du péristaltisme œsophagien, il peutexister un obstacle fonctionnel au niveau de la jonctionœsogastrique se traduisant par un défaut isolé de la relaxa-tion à ce niveau et/ou une augmentation de la pressionintrabolus dans l’œsophage distal. Par exemple, l’apportde la MHR est très significatif dans l’exploration des dys-phagies dans un contexte postopératoire (chirurgie antire-flux, anneaux gastriques modulables, gastrectomies…).Une mauvaise compliance de la JOG après fundoplicaturepeut être responsable d’un gradient de pression transs-phinctérien et donc d’un défaut de clairance œsophagienne,

parfois même sans qu’il y ait de trouble de la relaxation dela jonction œsogastrique.

Exploration des dysphagies hautes

Autre avantage de la MHR par rapport à la manométrie clas-sique, elle permet l’évaluation des dysphagies d’origine pha-ryngée. L’étude des ondes de contraction pharyngées, de lapression du SSO et des ondes du tiers proximal de l’œso-phage peut mettre en évidence des anomalies touchant lamusculature striée (par exemple, absence d’onde de contrac-tion pharyngée ou défaut de relaxation du SSO lors desdéglutitions). Ces dernières peuvent avoir une origine ner-veuse centrale ou périphérique. L’existence d’un gradientde pression pharyngo-œsophagien doit faire suspecter unebarre cricopharyngée.

Conclusion

La MHR de l’œsophage représente un progrès incontestabledans l’exploration de la motricité de l’œsophage, principale-ment pour l’exploration des dysphagies (y compris les dys-phagies pharyngolaryngées) et la caractérisation des TMO.La facilité de réalisation et d’apprentissage permet un trans-fert des compétences et une relecture aisée a posteriori, maisle coût de l’examen (au moins le double par rapport à unemanométrie conventionnelle) limite actuellement sa diffu-sion. Par ailleurs, la pertinence clinique des anomalies détec-tées par la MHR, notamment en termes d’impact sur la priseen charge des patients, doit être déterminée.

Conflit d’intérêt : Frank Zerbib est orateur et consultantpour Given Imaging et Latitude Médical.

Fig. 3 Les trois types manométriques d’achalasie selon la classifi-

cation de Chicago

Pour la pratique on retiendra

• La manométrie œsophagienne haute résolution permet une

analyse plus précise et plus aisée de la motricité de

l’œsophage ;

• la classification de Chicago des troubles moteurs de l’œso-phage est basée sur la relaxation de la jonction œsogastriqueet les anomalies du péristaltisme œsophagien ;

• plusieurs types d’achalasie peuvent être individualisés en

manométrie haute résolution, avec possiblement des répon-

ses différentes aux traitements endoscopiques ou chirurgi-

caux ;

• le gain diagnostique de la manométrie haute résolution par

rapport à la manométrie perfusée conventionnelle est de

10 à 20 %.

Acta Endosc. (2013) 43:73-76 75

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Références

1. Roman S, Bruley Des Varannes S, Cargill G, Coffin B, GourcerolG, Mion F, et al. Manométrie œsophagienne de haute résolutionavec analyse topographique des pressions œsophagiennes :conseils pour la pratique et adaptation française de la classificationde Chicago. Hepato-Gastro Oncol Dig 2012;19:316–28.

2. Pandolfino JE, Fox MR, Bredenoord AJ, Kahrilas PJ. High-resolution manometry in clinical practice: utilizing pressure topo-graphy to classify oesophageal motility abnormalities. Neurogas-troenterol Motil 2009;21:796–806.

3. Bredenoord AJ, Fox M, Kahrilas PJ, Pandolfino JE, Schwizer W,Smout AJ, et al. Chicago classification criteria of esophageal moti-lity disorders defined in high resolution esophageal pressure topo-graphy. Neurogastroenterol Motil 2012;24(Suppl 1):57–65.

4. Pandolfino JE, Kwiatek MA, Nealis T, Bulsiewicz W, Post J,Kahrilas PJ. Achalasia: a new clinically relevant classificationby high-resolution manometry. Gastroenterology 2008;135:1526–33.

5. Roman S, Zerbib F, Queneherve L, Clermidy H, Varannes SB,Mion F. The Chicago classification for achalasia in a French mul-ticentric cohort. Dig Liver Dis 2012;44:976–80.

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