Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle...

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+ + Résistance aux antibiotiques Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ? Claire Roudot – MSM 2013 + Phage ?

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Les bactéries sont en voie de gagner le combat face aux antibiotiques, toujours plus résistantes elles sont responsables de plusieurs dizaines de milliers de décès chaque année. Les chercheurs peinent à développer de nouvelles molécules et les big pharma semblent se désintéresser de cette aire thérapeutique. Les antibiotiques sont pourtant la clef de voûte de notre arsenal thérapeutique. Sans antibiotique il serait impossible d’envisager sereinement une chirurgie, une chimiothérapie ou un quelconque traitement affaiblissant le système immunitaire. Dans un monde sans antibiotique le nombre de décès lié à des infections opportunistes serait tel qu’il engendrerait une diminution de l’espérance de vie. Face à ce problème, une idée fait de plus en plus parler d’elle, pourquoi ne pas vaincre le vivant par le vivant ? Ou dit plus simplement : pourquoi ne pas remettre à l’ordre du jour une approche datant de l’ère pré-antibiotique: la phagothérapie.

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mmaire :

mmaire  :  ..............................................................................................................................................  1  

1.    

+  

+  

Résistance aux

antibiotiques  

Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

Claire  Roudot  –  MSM  2013  

       

   

+    

Phage ?

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"Celui qui n'appliquera pas de nouveaux remèdes doit s'attendre à de nouveaux maux ; car le temps est le plus grand des innovateurs"

- Francis Bacon

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Remerciements :

Je tiens à remercier tout particulièrement Marine Henry pour avoir à maintes

reprises répondu à mes interrogations. Un grand Merci à Olivier Patey et Jérôme

Gabard de m'avoir accordé de leur temps lors de conversations téléphoniques très

informatives. Je remercie également Jean Paul Pirnay d'avoir éclairé ma réflexion et

répondu à mes questions. Enfin je souhaite remercier Frédéric Jallat pour ses

conseils et pour son engagement sans faille au bon déroulement du Mastère

Spécialisé en Management Pharmaceutique et des Biotechnologies de l'ESCP

Europe.

Je n'oublie pas Félix d'Hérelle, le précurseur1, sans qui ce rapport ne serait sans

doute pas ce qu'il est,

- Good job Félix ! R.I.P -

En souhaitant un long et bel avenir à la phagothérapie,

Claire Roudot 2

1 « Il n'y a pas de précurseurs, il n'y a que des retardataires » - Jean Cocteau 2 Contact: [email protected] 2 Contact: [email protected]

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Table des matières:

Remerciements .................................................................................................... 3

1. Introduction ................................................................................................... 5

2. Méthodologie .................................................................................................. 8

1. Etude documentaire ................................................................................................ 8

2. Etude de terrains ..................................................................................................... 9

3. Vers un retour à l’ère pré-antibiotiques ? ...................................................... 11

1. Des antibiotiques inefficaces face à des bactéries toujours plus résistantes .......... 11

2. Comment expliquer l’émergence de souches résistantes ? ................................... 13

3. Développement de nouveaux antibiotiques : un état des lieux .............................. 14

4. Pourquoi les industriels du médicament n’investissent-ils pas d’avantage dans le

développement de nouveaux antibiotiques ? .............................................................. 17

5. Initiatives mises en place pour remédier à l’antibiorésistance .............................. 18

6. Vers l’ère post-antibiotiques ................................................................................. 19

4. La phagothérapie ........................................................................................... 21

1. La phagothérapie : Découverte, oubli et revival .................................................... 21

2. Avantages de la phagothérapie ............................................................................. 24

3. Quelles normes pour encadrer la production de phages dédiés à la thérapie ? .... 28

4. « Prêt-à-porter ou Sur mesure » ? ........................................................................... 30

5. Quels sont les problèmes potentiellement inhérents à la phagothérapie .............. 33

6. Essais cliniques passés ou en cours ....................................................................... 37

7. Perception, opinion publique ................................................................................ 43

5. Intérêt de la phagothérapie pour les industriels médicament ........................ 45

1. Etats des lieux des start up et industriels impliqués .............................................. 45

2. Aspect réglementaire et propriété intellectuelle .................................................. 46

6. Conclusions et recommandations .................................................................. 50

Glossaire des termes techniques ......................................................................... 52

Abréviations ......................................................................................................... 54

Bibliographie ....................................................................................................... 55

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1. Introduction

Les bactéries sont en voie de gagner le combat face aux antibiotiques, toujours

plus résistantes elles sont responsables de plusieurs dizaines de milliers de décès

chaque année. Les chercheurs peinent à développer de nouvelles molécules et

les big pharma semblent se désintéresser de cette aire thérapeutique. Les

antibiotiques sont pourtant la clef de voûte de notre arsenal thérapeutique. Sans

antibiotique il serait impossible d’envisager sereinement une chirurgie, une

chimiothérapie ou un quelconque traitement affaiblissant le système immunitaire.

Dans un monde sans antibiotique le nombre de décès lié à des infections

opportunistes serait tel qu’il engendrerait une diminution de l’espérance de vie.

Face à ce problème, une idée fait de plus en plus parler d’elle, pourquoi ne pas

vaincre le vivant par le vivant ? Ou dit plus simplement : pourquoi ne pas remettre

à l’ordre du jour une approche datant de l’ère pré-antibiotique: la phagothérapie.

La phagothérapie consiste à utiliser des virus, appelés bactériophages (Fig 1), ou

plus communément phages, pour soigner les infections bactériennes. Les

bactériophages (littéralement les mangeurs de bactéries) sont les prédateurs

naturels des bactéries.

Fig 1: A gauche : Schéma d’un bactériophage T4. Sa structure se découpe en trois grandes parties : la tête contenant l’ADN virale, la queue permettant l’injection de

cet ADN dans la bactérie infectée et les fibres caudales permettant l’attachement du phage sur la membrane de la bactérie. A droite : Bactériophages (en bleu) infectant

une bactérie (en orange). Source : UCLouvain & Phage Biotech LTD

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Les bactériophages sont ubiquitaires, ils sont présents partout mais en quantité

plus importante dans les excréments, le sol et les eaux d'égout. Leur nombre est

estimé à 1031, c’est l’entité biologique la plus abondante de notre biosphère. Nous

vivons en quelque sorte dans un océan de phages (Pirnay, 2012). Les phages ont

la particularité de n’infecter que les bactéries, ils sont donc notamment

incapables d’infecter des cellules humaines. Comme tous les virus, les

bactériophages ont besoin d’un hôte pour se reproduire et se multiplier. Les

bactériophages utilisent les bactéries pour se reproduire (Fig 2). Pour ce faire un

phage va se fixer à la surface d’une bactérie, percer une ouverture dans la paroi

bactérienne et y injecter son ADN. Cet ADN viral va reprogrammer la bactérie et

détourner sa machinerie interne en usine à fabriquer de nouveaux virus. Une fois

formés, ces néo virus tuent la bactérie en l’éclatant, ils sont alors prêts à infecter

d’autres bactéries.

Fig 2 : cycle de reproduction d’un bactériophage en vert : les bactériophages, en bleu : la bactérie

Source : Nature Microbiology

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La découverte des phages remonte à 1915 et leur première utilisation médicale

en tant qu’agent antibactérien date de 1919. Par la suite, au milieu des années 40,

avec l’avènement des antibiotiques, la phagothérapie tomba en désuétude.

Aujourd’hui, près d’un siècle après la découverte des phages, l’heure de gloire

de la phagothérapie ne serait-elle pas venue ? Les bactériophages sont-ils la

solution alternative de choix pour lutter contre les bactéries multi-résistantes aux

antibiotiques ? Pour répondre à cette question, il faut déterminer si le rapport

bénéfice/risque de la phagothérapie est favorable. Pour ce faire une étude

minutieuse des études scientifiques et des essais précliniques et cliniques

existant à ce jour est nécessaire. Un listing complet des avantages et des risques

potentiels inhérents à cette technologie doit être établi. Enfin il convient de

définir dans quel cadre réglementaire et médical la phagothérapie peut-elle être

mise en oeuvre. Les aspects de propriété intellectuelle sous-jacents à la

potentielle industrialisation de cette technologie doivent également être abordé.

Ce rapport3 tente modestement de répondre à ce cahier des charges afin

d’établir une liste de recommandations d’actions à entreprendre afin de mettre

en place une stratégie de lutte contre les bactéries multi-résistantes aux

antibiotiques.

3 Thèse professionnelle réalisée dans le cadre du Mastère Spécialisé Management Pharmaceutique et des Biotechnologies de l’ESCP Europe

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2. Méthodologie

La première étape de ce travail fut de se familiariser de façon globale avec le

sujet et ses problématiques, cette première étape reposa essentiellement sur la

lecture de reviews dans la presse scientifique spécialisée et des quelques articles

disponibles dans la presse généraliste. Par la suite, un mapping des acteurs clés

impliqués dans la phagothérapie fut établi, et des interlocuteurs furent

recherchés afin d’amorcer les études de terrains et conduire des interviews.

Fig 3 : Mapping des principaux acteurs impliqués dans la phagothérapie

1. Etude  documentaire  

+ Pubmed et la presse spécialisée

La majorité des sources utilisées pour la phase d’étude documentaire provient

d’articles scientifiques issus de la presse spécialisée (Nature, Bacteriophage,

Virology…). La base de donnée PubMed a permis de trouver une grande quantité

de publications en utilisant les mots clés suivants : « phage therapy », « phage

cocktails », « antimicrobial drug development », « novel antimicrobial »,

« antbiotic resistance ».

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+ Presse généraliste

Quelques articles proviennent de la presse généraliste (Le Monde, Le Point, Le

Temps, Les Echos) et ont permis notamment d’avoir des retours et des

témoignages de la part de patients ayant eu recours à la phagothérapie.

+ Internet

Le site internet clinicaltrials.gov a permis de faire le décompte des essais

cliniques passés ou en cours concernant tous les types de traitements

antibactériens (antibiotiques et phagothérapie notamment) et d’en détailler

l’avancement (les phases 2 et 3 étant plus intéressantes à relever sachant le taux

élevé d’échec en phase 1).

Les sites internet des acteurs impliqués dans la phagothérapie ont également été

consultés (industriels, start ups, association de patients, instituts de recherche) et

ont permis d’avoir des informations sur les projets en cours.

2. Etude  de  terrains  

Des interviews d’experts du sujet ont été réalisées via échange d’emails ou par

discussion téléphonique (Fig 4). En premier lieu des chercheurs ont été contactés

afin de répondre aux interrogations techniques relatives à la phagothérapie. Ces

chercheurs, Dr. Marine Henry et Dr. Jean Paul Pirnay, travaillent respectivement

dans deux instituts reconnus pour leurs compétences dans le domaine à savoir

l’Institut Pasteur de Paris et le laboratoire de technologie moléculaire et cellulaire

du Centre des Grands Brûlés de l’Hôpital Militaire Reine Astrid de Bruxelles. Par

la suite, une interview auprès de Jérôme Gabard, PDG de Pherecydes Pharma, a

permis notamment d’aborder des questions liées à la production, au

réglementaire, à la propriété intellectuelle et au projet Phagoburn. Enfin il a été

intéressant de recueillir l’avis d’un praticien hospitalier qui travaille donc

directement au contact des patients. Le Dr. Olivier Patey, infectiologue, chef de

service toujours en exercice à Villeneuve-Saint-Georges a été interrogé, il est l’un

des derniers médecins avec le Dr. Alain Dublanchet a avoir administré en France

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des phages à des patients atteints d'infections ostéo-articulaires. Enfin la société

de capital risque Sofinnova Partners, spécialisée dans les investissements en

sciences de la vie, a été contactée mais a déclaré « ne pas avoir assez

d’expérience avec des opportunités dans le domaine de phagothérapie pour

pouvoir donner des réponses suffisamment éclairées ».

Nom Fonction Institut/Société

Dr. Marine Henry Chercheur Institut Pasteur

Dr. Jean-Paul Pirnay Chercheur Hôpital militaire Reine Astrid

Dr. Jérôme Gabard PDG Pherecydes Pharma

Dr. Olivier Patey Chef de service, PH CH intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges

Dr. Anne Horgan Associée Sofinnova Partners

Fig 4: Liste des acteurs contactés lors de l’étude de terrain

Les personnes interrogées ont permis d’éclairer l’auteur et donc d’aider à la

rédaction de ce rapport mais ils ne sont en rien impliqués dans les propos tenus

dans celui-ci, qui sont à attribuer à la seule subjectivité de l’auteur.

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3. Vers un retour à l’ère pré-antibiotiques ?

Le premier antibiotique voit le jour en 1928 avec la découverte de la pénicilline

par Alexander Fleming. L’utilisation courante de celle-ci et le développement de

nouvelles classes d’antibiotiques remonte à la seconde guerre mondiale.

L’antibiothérapie est sans nulle doute l’un des plus grands succès médicaux du

siècle passé, elle a permis de réduire de façon considérable la mortalité due aux

maladies infectieuses et de lutter efficacement contre les grandes épidémies

telles que la tuberculose, la peste ou encore la lèpre. Aujourd’hui les

antibiotiques sont en perte de vitesse, d’une part du fait de l’apparition de

bactéries résistantes et du fait de la raréfaction des nouvelles molécules mises sur

le marché d’autre part.

1. Des  antibiotiques  inefficaces  face  à  des  bactéries  toujours  plus  résistantes  

+ Multiplication des cas de résistance

Durant ces trente dernières années, le phénomène de résistance aux

antibiotiques a cru de façon considérable et ce à l’échelle mondiale. Dans l’Union

européenne, on dénombre annuellement 25 000 décès dus à des infections par

des BMR (bactéries multi résistantes), le surcoût associé en termes de dépenses

de santé dus aux décès et aux traitements s’élève à 1,5 milliards d’euros. A

l’échelle mondiale, l’OMS estime que sur les 8 à 10 millions de nouveaux cas

annuels de tuberculose, 440 000 sont dus à des souches multi résistantes et sont la

cause de plus de 150 000 décès. D’autre part des cas de tuberculose à BHR

(bactéries hautement résistantes : étant résistante à la quasi-totalité des

antibiotiques) ont été détectés dans 64 pays.

Les BHR initialement présentes essentiellement en milieu hospitalier se

développent désormais hors des hôpitaux. Depuis le début des années 2000, une

épidémie de SARM (staphylocoque doré résistant à la méthicilline) sévit en milieu

urbain aux Etats-Unis, elle a causé 19 000 décès en 2005 soit une mortalité

supérieure à celle combinée du SIDA et de la tuberculose dans ce même pays.

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En 2003, la bactérie Acinetobacter baumanii est la cause d’une épidémie chez les

soldats revenant d’Irak, de nombreux cas de résistance sont relevés. En France

cette même souche est en recrudescence, sa présence dans les infections

nosocomiales est passée de 2 à 3% entre 2003 et 2008, à 11% en 2011, pour une

létalité de 17%.

Des entérobactéries NDM1 résistantes à toutes les ß-lactamines (pénicillines et

céphalosporines) ainsi qu’à des antibiotiques très puissants, les carbapénèmes (à

usage hospitalier) se sont développées en Inde. Ces souches d’entérobactéries

hautement résistantes aux antibiotiques ont été retrouvées par la suite notamment

en Grande-Bretagne, en Belgique, au Canada, en Suède, aux Etats-Unis et en

Australie chez des patients ayant été hospitalisés pour la plupart dans le sous-

continent indien (Teillant, 2012).

Le rapport de surveillance de la résistance aux antimicrobiens de l’ECDC

(European Centre for Disease Prevention and Control) sur la période 2008-2011

révèle une augmentation globale à l’échelle européenne de la résistance aux

antimicrobiens chez les bactéries à gram négatif sous surveillance (Escherichia

coli, Klebsiella pneumoniae et Pseudomonas aeruginosa), tandis que la résistance

chez les bactéries à gram positif (Streptococcus pneumoniae, Staphylococcus

aureus, Enterococcus faecium et Enterococcus faecalis) semble se stabiliser voir

diminuer dans certains pays (ECDC, 2011).

+ Disparité géographique des résistances

On observe une forte hétérogénéité des niveaux de résistance selon les

localisations géographiques (Fig 5). Ainsi en Europe, la proportion de SARM varie

de moins 1% en Suède et en Norvège à plus de 25% dans des pays du sud tels

que l’Italie, le Portugal, l’Espagne ou la Grèce. Le niveau moyen de SARM en

Europe tend à diminuer depuis quelques années mais reste cependant très élevé

(17,4%). En revanche d’autres souches résistantes telle que les

entérobactéries EBLSE (Entérobactéries productrices de béta-lactamases à

spectre étendu) ou EPC (Entérobactéries productrices de carbapénèmases) sont

en augmentation constante depuis ces dix dernières années. La France se trouve

dans la moyenne européenne en terme de résistance, on y observe une

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diminution des SARM depuis 2011. A l’inverse les résistances des entérobactéries

et de Pseudomonas aeruginosa sont par contre en augmentation dans l’hexagone.

Fig 5 : Hétérogénéité géographique : exemple du SARM Source : EARS-Net (European Antimicrobial Resistance Surveillance Network)

2. Comment  expliquer  l’émergence  de  souches  résistantes  ?  

L’émergence des souches résistantes aux antibiotiques est corrélée à l’utilisation

massive d’antibiotiques chez l’Homme comme chez l’animal. La surconsommation

d’antibiotiques est essentiellement due à une mauvaise utilisation de ceux-ci, les

antibiotiques ont été trop souvent prescrits pour des infections dont l’origine était

non bactérienne (maladies infectieuses causées par des virus, champignons ou

autres parasites), or les antibiotiques sont totalement inefficients face à ces

infections d’origine non bactérienne. On estime que dans 40% des cas en soins

hospitaliers et dans 60% des cas en médecine de ville, des antibiotiques sont

inutilement prescrits contre des virus (INVS, 2013). En agroalimentaire, les

antibiotiques sont utilisés en tant que facteurs de croissance. Cette pratique

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interdite depuis 2006 dans l’Union européenne perdure dans d’autres pays tels

que les Etats-Unis. D’après l’OMS 50% des antibiotiques produits au niveau

mondial sont destinés aux élevages.

Une mauvaise observance dans un traitement aux antibiotiques va favoriser

l’émergence des souches résistantes. Lors de l’arrêt précoce d’un traitement

seules les bactéries les plus sensibles sont tuer, la sélection naturelle favorisant

les souches les plus résistantes.

Dans les pays en développement, la contrefaçon d’antibiotiques sous-dosés et

leur vente libre contribuent grandement à l’augmentation des résistances.

Les antibiotiques peuvent agir de façon néfaste sur la flore commensale

(ensemble de bactéries naturellement présentes dans l’organisme). Les bactéries

possèdent des capacités d’adaptation rapide à leur environnement, ainsi les

bactéries de la flore commensale soumises à l’action d’antibiotiques vont mettre

en œuvre des mécanismes de résistance à leur encontre, des gènes de

résistances aux antibiotiques vont se propager par sélection naturelle. Par la suite

ces gènes de résistances peuvent se transmettre à d’autres bactéries, notamment

à des bactéries n’appartenant pas à la flore commensale. Le transfert de gène de

résistance d’une bactérie à une autre est courant quand ces gènes se trouvent

localisés sur des éléments génétiques mobiles (mécanisme de conjugaison

bactérienne4, transmission de plasmides).

Ainsi les environnements tels que les hôpitaux ou les élevages, caractérisés par

de forts niveaux d’antibiotiques, sont des lieux favorisant l’émergence de

bactéries résistantes et peuvent devenir de véritables réservoirs à BHR.

3. Développement  de  nouveaux  antibiotiques  :  un  état  des  lieux  

Alors que le besoin de nouveaux antibiotiques est de plus en plus pressant, on

note une diminution constante du nombre de nouvelles molécules mises sur le

marché (Fig 2 & 3). Alors que 16 produits ont reçu le feu vert de la FDA entre

1983-1987, il n’y en a eu que deux entre 2008 et 2012.

4 La définition des mots grisés se trouve dans le glossaire des termes techniques en page 52

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Fig 6 : Nouveaux agents antibactériens ayant reçu une autorisation de mise sur le

marché (AMM) par la FDA Source : Les Echos, 2013

Il est à noter que parmi les quelques antibactériens mis sur le marché depuis

1998, trois d’entre eux (Gatifloxacin, Gemifloaxin et Telithromycin) ont été retirés

du marché pour cause d’effets indésirables.

En parallèle à ce déclin des AMM pour des molécules antibactériennes, il y a

également une diminution du développement de celles-ci. Une analyse via

clinicaltrial.gov révèle que seuls 7 antibiotiques sont actuellement engagés dans

des phases II ou III d’essais cliniques (Fig 4). Il y a également des molécules en

phase 1 mais le taux d’échec en phase I demeure très élevé. Il est à noter que

récemment la société de biotechnologie Polymedix a interrompu le

développement d’un de ces produits en phase II, en octobre 2012 c’était GSK qui

interrompait le développement de son « GSK 052 » également en phase II. Sur les

7 antibiotiques en cours de développement seuls 3 sont développés par des big

pharma (Merck/Schering Plough et AstraZeneca), les grands groupes semblent

se désintéresser de cette classe thérapeutique. En effet depuis 1998, seules 5 big

pharma (AstraZeneca, GSK, Merck/Schering-Plough, Johnson & Johnson,

Pfizer/Wyeth) ont eu des antibiotiques dans leur pipeline (Boucher, 2013).

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1988-1992

1993-1997

1998-2002

2003-2007

2008-2012

AM

M

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Antibiotique Année d’obtention

de l’AMM

Nouveau mécanisme

d’action ?

Rifapentine 1998 Non

Quinupristin/Dalfopristin 1999 Non

Moxifloxacin 1999 Non

Gatifloxacin 1999 Non

Linezolid 2000 Oui

Cefditoren pivoxil 2001 Non

Ertapenem 2001 Non

Gemifloaxin 2003 Non

Daptomycin 2003 Oui

Telithromycin 2005 Non

Tigecycline 2005 Oui

Doripenem 2007 Non

Telavancin 2009 Oui

Ceftaroline fosamil 2010 Non

Fig 7 : Antibactériens mis sur le marché depuis 1998 Source : Boucher, 2013

Produit Statut Société

Ceftolozane/taxobactam (CXA-201 ;

CXA-101/tazobactam) Phase 3 Cubist

Ceftazidime-avibactam

(ceftazidime/NXL 104)) Phase 3 AstraZeneca

Ceftazidime-avibactam (CPT-

avibactam ; ceftaroline/NXL 104) Phase 2 AstraZeneca

Imipenem/MK-7655 Phase 2 Merck/Schering-Plough

Plazomicin (ACHN-490) Phase 2 Archaogen

Eravacycline (TP-434) Phase 2 Tetraphase

Brilacidin Phase 2 Polymedix

Fig 8 : Antibiotiques en phase avancée de développement clinique (Phase 2 ou 3) Source : Clinicaltrials.gov, 2013

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4. Pourquoi  les  industriels  du  médicament  n’investissent-­‐ils  pas  d’avantage  dans  le  

développement  de  nouveaux  antibiotiques  ?  

+ Des médicaments très vite inefficaces et peu rémunérateurs

Des cas de résistance au Zyvox®, molécule développée par Pfizer ont été

rapportés seulement un an après que la molécule ait été commercialisée. Pire

encore, pour le Synercid®, molécule développée en 1999 par Aventis, des

résistances à cette molécule avait été observées avant même que celle-ci ne soit

sur le marché (Thiel, 2004).

Le coût de développement d’un médicament avoisine en moyenne le milliard

d’euros, face à cet investissement colossal, les industriels du médicament n’ont

pas de retour sur investissement suffisant avec des antibiotiques ne restant qu’une

courte période sur le marché. De plus lorsqu’un nouvel antibiotique arrive sur le

marché, sa prescription est restreinte pour retarder le plus longtemps possible

l’apparition de résistance, le chiffre d’affaire tarde donc à décoller. Les

antibiotiques sont prescrits sur des courtes durées et donc peu rémunérateurs,

les industries pharmaceutiques préfèrent se focaliser sur le développement de

classes thérapeutiques plus rémunératrices telles que l’oncologie, les maladies

du SNC (Système nerveux central) ou les maladies chroniques telles que le

diabète. Selon l’Office of Health Economics, la valeur nette économique des

antibiotiques est trois fois moins élevée que celle des anticancéreux et sept fois

moins élevée à celle des médicaments pour les maladies du SNC.

+ Une réglementation inadaptée

Les contraintes relatives au déroulement des essais cliniques ne sont pas

compatibles avec les antibiotiques destinés à soigner les patients infectés par des

souches multirésistantes. En effet les essais cliniques doivent permettre de tester

la molécule sur un grand nombre de patients. Or il n’est pas acceptable

d’attendre qu’une infection multirésistante se propage à un grand nombre de

patients pour tester un potentiel nouveau traitement.

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Par ailleurs le système réglementaire de la HAS (Haute Autorité de Santé) basé

sur l’ASMR (Amélioration du Service Médical Rendu) qui compare en terme

d’efficacité une potentielle nouvelle molécule aux autres molécules déjà

présentes sur le marché n’est pas parfaitement adapté au problème des

résistances aux antibiotiques, dans ce cas précis on ne cherche pas une molécule

plus efficace mais capable de contourner les résistances.

5. Initiatives  mises  en  place  pour  remédier  à  l’antibiorésistance  

Face à ces deux problèmes intimement liés : l’augmentation des résistances et la

diminution des nouvelles molécules mises sur le marché, plusieurs organismes

ont tiré la sonnette d’alarme et de nombreux dispositifs ont été mis en place. Des

campagnes de prévention visant à une réduction de la consommation

d’antibiotiques ont été lancées, la rationalisation des prescriptions d’antibiotiques

a été mise en place dans de nombreux pays. Concernant la panne d’innovation en

antibiothérapie, l’IDSA (Infectious Diseases Society of America) a lancé une

initiative dénommée « 10x20 » en 2010, le but étant de regrouper des acteurs

d’horizons divers : politiques, scientifiques, industriels, économistes, spécialistes

de la propriété intellectuelle, médecins et philanthropes pour améliorer la R&D

dans le domaine des antibiotiques et à terme développer dix nouvelles molécules

d’ici 2020 (Fig 9).

Fig 9 : 10x20, l’initiative lancé par l’IDSA pour trouver de nouveaux antibiotiques

d’ici 2020

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En mai dernier, GSK recevait 200 millions de dollars de la part du gouvernement

américain pour développer de nouveaux antibiotiques et agir à la fois contre les

menaces bio-terroristes et les résistances aux antibiotiques (GSK, 2013).

En Europe, l’IMI (Innovative Medcines Initiatives) est un partenariat public-privé

entre la commission européenne et l’EFPIA (European Federation of

Pharmaceutical Industries and Associations) visant à financer des projets au

travers d’appels d’offres. Le projet COMBACTE (Combatting Bacterial Resistance

in Europe) disposant d’un budget de 195 millions d’euros est issu du 6e appel

d’offre de l’IMI et a pour but de faciliter l’enregistrement de nouveaux

antibiotiques (Inserm, 2013).

Malgré toutes ces initiatives, le temps de développement d’un médicament est

long (en moyenne 12 ans), et les pipelines actuels des big pharmas ne débordent

pas d’antibiotiques. Les nouveaux antibiotiques ne sont donc pas pour demain.

Plusieurs voix s’élèvent : « et si la solution était ailleurs ? ». Alors que dans

d’autres aires thérapeutiques, l’innovation est boostée par les biotechnologies et

non plus par la chimie, pourrait-il en être de même pour les antibiotiques ?

6. Vers  l’ère  post-­‐antibiotiques    

Des alternatives aux antibiotiques ont été étudiées, elles portent notamment sur

les dérivés des plantes, les ARN thérapeutiques, les probiotiques ou les peptides

microbiens. Les plus prometteuses d’entre elles : les bactériophages, les lysines

et les bactériocines sont des produits issus du vivant. Les biotechnologies se

positionnent en tant que solution alternative face à la panne d’innovation en

antibiothérapie.

+ Les bactériocines

Les bactériocines sont des peptides microbiens produits par certaines bactéries.

Ces molécules sont dotées d’une activité bactéricide (y compris envers des

souches résistantes aux antibiotiques). Les bactéries productrices sont résistantes

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à l’action de leur propre bactériocine. Ainsi des bactériocines sont produites par

les bactéries de la flore intestinale afin de combattre les infections intestinales. Le

mode d’action des bactériocines consiste à une perforation de la membrane des

bactéries cibles, entrainant la libération de leur contenu cellulaire et donc leur

mort. L’efficacité des bactériocines en tant qu’agents antibactériens pourrait être

limitée de part l’émergence de résistances aux bactériocines. Des recherches

complémentaires sont nécessaires afin de minimiser ou retarder l’apparition de

ce problème (Cotter, 2013).

+ Les bactériophages

Les bactériophages, virus infectant spécifiquement des bactéries, semblent être

un outil de choix pour lutter contre les souches résistantes aux antibiotiques. Leur

potentiel sera étudié de façon détaillée dans la suite de ce rapport (cf. § 4. La

phagothérapie).

+ Les lysines de bactériophages

Lorsqu’un bactériophage se réplique dans une bactérie, deux enzymes clés sont

produits : les holines qui perforent la membrane interne de la bactérie et les

lysines qui pénètrent via ce trou crée par les holines et attaquent le manteau

cellulaire bactérien jusqu’à éclater la bactérie et libérer des centaines de phages.

Des chercheurs de l’University of Maryland’s Institute for Biosciences and

Biotechnology Research ont monté que ces lysines étaient capables de détruire le

manteau cellulaire d’une bactérie depuis l’extérieur de celle ci ce en l’absence

de holine et de phage (Potera, 2013). Des lysines de ce type ont déjà été

commercialisées dans l’industrie agroalimentaire, notamment pour lutter contre

Clostridium perfringens responsable de l'entérite nécrosante chez les volailles et

d’intoxications alimentaires chez l’humain. Des applications en médecine sont

possibles, cependant tout comme les bactériocines, l’émergence de résistance

est plausible même si aucun cas n’a été rapporté pour l’instant.

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21

4. La phagothérapie

1. La  phagothérapie  :  Découverte,  oubli  et  revival  

+ Découverte

La découverte des bactériophages (communément appelés phages) revient

conjointement à deux scientifiques, le britannique Frederick Twort et le français

Félix d’Herelle. Twort en fit l’observation en 1915 et fut le premier à décrire le

phénomène de lyse bactérienne, Felix d’Hérelle découvrit les phages en 1917 et

fut le premier à envisager leur utilisation en thérapie, il est de ce fait considéré

comme l’inventeur de la phagothérapie.

+ Succès et premiers traitements

Dès 1919, d’Hérelle utilise les phages à l’hôpital Necker-Enfants Malades. Il fera

au préalable absorber sa préparation à son entourage afin d’en vérifier

l’innocuité puis la prescrivit à des enfants atteints de dysenterie bacillaire. Cinq

enfants furent guéris. Par la suite, d’Hérelle utilisa avec succès les phages dans de

nombreux cas, il généralisa leurs rôles d’agents de guérison chez l’animal en le

testant dans le barbone du buffle, la peste chez le rat et la flacherie chez le vers à

soie. En 1921, d’Hérelle publie Le bactériophage, son rôle dans l’immunité,

ouvrage de plus de 200 pages qui sera traduit dans plusieurs langues les années

suivantes. Dans les années qui suivirent de nombreuses publications émanèrent

de différentes équipes de chercheurs dispatchées autour du globe (France,

Allemagne, Belgique, Angleterre, Etats-Unis). En 1926, d’Hérelle publia un

second ouvrage Le bactériophage et son comportement dans lequel il fait

l’inventaire des utilisations de bactériophages en médecine décrite à l’époque,

les 700 références de cet ouvrage reflètent l’ampleur du phénomène, la

phagothérapie était en voie de se généraliser en médecine. Les industries

pharmaceutiques telles que Parke-Davis, Eli Lilly, Abott et Squibb ou Robert &

Carrière s’y intéressaient de près. En France, les spécialités à base de phages du

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laboratoire Robert & Carrière auront été pendant plusieurs années parmi les dix

meilleures ventes de l’entreprise (Dublanchet, 2008).

+ Déclin

Malgré un succès grandissant et un avenir prometteur, la phagothérapie tomba

dans l’oubli. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce déclin. D’une part alors que

les demandes ne cessaient de croître, la capacité de production des industriels

ne suivait pas, que ce soit en terme de quantité ou de qualité. Les problèmes et

polémiques liés à ce manque de qualité furent nombreux. En ligne de mire des

critiques : l’inconstance des résultats et l’hétérogénéité des préparations.

L’avènement de la pénicilline et des antibiotiques lors de la seconde guerre

mondiale vint enterrer la phagothérapie. La pénicilline avait l’avantage d’être

plus stable, plus facile d’emploi, dotée d’un large champ d’action et son

utilisation s’inscrivait parfaitement dans le paradigme chimique de l’époque.

+ L’exception de l’ex URSS

Alors que la phagothérapie tomba dans l’oubli dans les pays occidentaux elle

continua à être développée et utilisée dans les pays de l’union soviétique.

L’exemple le plus célèbre est la Géorgie et son fameux Eliava Institute basé à

Tbilisi, qui fut crée en 1933 par George Eliava, un des anciens élèves de l’Institut

Pasteur d’Hérelle (Fig 10). Plus de 1200 personnes travaillaient dans ce centre

dont la capacité de production était de plus de 2 tonnes par semaine. L’utilisation

de la phagothérapie a été et continue d’être un succès dans les pays de l’ex URSS,

le transfert de cette technologie ne s’est pas fait vers les pays occidentaux. On

relève d’ailleurs peu de publications en langue anglaise émanant de ces pays.

Initialement ce peu de publications s’explique du fait que les techniques de

phagothérapie étaient, durant la guerre froide, considérées comme secrètes

notamment à cause des applications militaires y étant associées (soins des

brûlures). De plus la phagothérapie s’étant développée bien avant l’avènement

des standards occidentaux en matière d’essais cliniques, les publications

soviétiques existantes ne suivent pas ces standards.

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Fig 10 : En 1933, le franco-canadien Félix d’Hérelle (au centre) et le soviétique George Eliava (à droite), fondent un institut dédié à la recherche sur les phages.

Aujourd’hui encore l’Eliava Institute accueille des patients du monde entier venant se faire traiter par phagothérapie

Aujourd’hui certains cocktails de phages sont en vente libre en Géorgie et en

Russie, notamment « Intestiphage » un cocktail de phages ciblant 20 bactéries

gastro-intestinales. Un autre cocktail « Pyophage » est quant à lui, couramment

utilisé dans les infections de la peau et les plaies purulentes. Ce cocktail a

notamment été incorporé dans un pansement biodégradable (PhageBioDerm®),

permettant une libération continue et régulière de phages. Ces préparations

commerciales de phages ne sont pas statiques, à l’instar du vaccin contre la

grippe, elles sont renouvelées en fonction des changements induits chez les

pathogènes. Ainsi l’institut Eliava modifie ces cocktails tous les 6 mois en fonction

de l’émergence de nouvelles souches. En Russie c’est le géant Microgen qui

produit et commercialise les préparations de phages qui sont très largement

utilisées dans beaucoup de régions de la Russie. La compagnie n’a cependant pas

publié d’articles concernant la caractérisation des phages ni réalisé d’essais

cliniques aux standards occidentaux (Abedon, 2001). Pourquoi donc

s’embêteraient-ils maintenant à effectuer ces études couteuses alors que ces

produits sont couramment utilisés et ce depuis de longues années ? Pour exporter

ces produits vers d’autres pays ? Il aurait fallu pour ce faire que les autorités

américaines ou européennes montrent un plus grand intérêt pour la

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phagothérapie qui souffrait encore jusqu’à peu d’une réputation

«d’antibiothérapie de l’époque stalinienne».

A noter que si Microgen n’a pas publié d’études, des travaux indépendants ont

analysé la composition des cocktails commercialisés par la firme (McCallin,

2013). Une étude réalisée par des chercheurs suisses du Nestlé Research Centre

démontre que les phages présents dans le cocktail n’ont pas de gènes

indésirables et qu’aucun effet secondaire associé à l’absorption de ce cocktail par

des volontaires sains n’a été observé.

+ Un regain d’intérêt début des années 2010

Alors que les souches résistantes aux antibiotiques font de plus en plus de

victimes et que les nouveaux antibiotiques peinent à être développés, la

phagothérapie refait parler d’elle en Occident. La presse généraliste relate les

expériences de patients ayant recours au « tourisme médical » pour se soigner.

En 2012, un article du quotidien Le Monde relatait l’histoire de Caroline Lemaire,

une française de 40 ans au moment des faits, qui a échappé à l’amputation grâce à

un traitement par des bactériophages provenant de Géorgie. Le 21 mai 2013,

c’était la sénatrice PS, Maryvonne Blondin, qui interpellait la ministre de la santé

sur la nécessité, d’accélérer la recherche, d’autoriser les études in vivo et de

mener au plus vite des essais thérapeutiques. Face à ce regain d’intérêt et cette

prise de conscience concernant le fort potentiel de la phagothérapie, les choses

commencent à bouger. Ainsi le projet phagoburn, lancé le 1er juin 2013, finance

les phases I et II d’essais cliniques dans le traitement de brûlures infectées par

Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa (cf. § 4.4).

2. Avantages  de  la  phagothérapie:  

+ Toxicité inhérente faible, peu d’effets secondaires associés

Contrairement aux antibiotiques, les phages sont constitués d’acides nucléiques

et de protéines, substances non toxiques pour l’organisme. Les phages n’infectent

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que les bactéries et n’ont aucun effet sur les cellules humaines, ils n’induisent

donc pas d’effets néfastes sur celles-ci. De plus aucun effet secondaire n’a jamais

été relevé lors des utilisations de phages en thérapie ce qui n’est pas le cas avec

beaucoup d’antibiotiques (allergie aux pénicillines, toxicité des aminosides…)

(GEEPhage, 2013).

+ Spécificité d’action et protection de la flore bactérienne commensale

Chaque phage peut infecter spécifiquement une seule espèce de bactérie

donnée (plus rarement un phage peut être capable d’infecter des espèces

apparentées), cette spécificité d’action permet de sauvegarder les bactéries de la

flore commensale, bactéries naturellement présentes et essentielles au bon

fonctionnement de l’organisme. A l’inverse de nombreux antibiotiques sont à

larges spectres diminuant ainsi l’effet barrière la flore commensale (Loc-Carrillo,

2010).

+ Risque moindre d’induire des résistances

A l’inverse des antibiotiques à large spectre, la grande spécificité d’action des

phages limite le nombre de bactéries dans lesquelles des résistances peuvent se

développer.

+ Une solution contre les bactéries multi-résistantes

Le mécanisme d’action des bactériophages étant différent de celui des

antibiotiques, les phages peuvent être actifs sur des bactéries multi-résistantes

aux antibiotiques et ont le potentiel de soigner des patients en impasse

thérapeutique.

+ Action contre les biofilms

Les antibiotiques ont une efficacité sur les bactéries dites planctoniques ou

flottantes (non rattachées à un substrat) mais sont inefficaces face aux bactéries

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présentes sous forme de biofilms. Certaines bactéries sont associées aux surfaces

et forment des populations fixées et enrobées d’une matrice auto produite

appelées biofilms. La formation de biofilms sur l’instrumentation médicale

(prothèses, cathéters, sondes urinaires…) constitue une source de contamination

contribuant au développement d’infections nosocomiales. Le contrôle des

biofilms est ainsi devenu un enjeu majeur de santé publique.

Les phages ont démontré leur efficacité à plusieurs reprises face à certains

biofilms (Abedon, 2011).

+ Un agent bactéricide sans équivoque

Les bactéries ayant été infectées par un phage lytique sont obligatoirement

vouées à la mort. A contrario, certains antibiotiques tels que les tétracyclines sont

uniquement bactériostatiques, et sont donc plus susceptibles de favoriser

l’évolution bactérienne et donc l’émergence de résistances.

+ Action synergique avec les antibiotiques

Les bactériophages et les antibiotiques n’ayant pas les mêmes mécanismes

d’action, leur administration combinée est synergique.

+ Dosage sur mesure naturel

Les phages lors de la lyse bactérienne sont capables de se multiplier

spécifiquement sur le lieu de l’infection. Un phage ayant besoin d’une bactérie

pour se multiplier, plus il y a de bactéries plus le nombre de phages sera

important et réciproquement. De ce fait les phages sont considérés comme des

antibactériens « intelligents » (GEEPhage, 2013).

+ Indice thérapeutique élevé

Les bactériophages ont un indice thérapeutique (dose thérapeutique / dose

toxique) très élevé, si tant est qu’il y ait une dose toxique, en comparaison aux

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antibiotiques. Les quantités administrées n’ont donc pas besoin d’être ajustées

selon le poids et l’état physiologique de la personne traitée.

+ Découverte facile

Alors que la développement de nouveaux antibiotiques est laborieux (cf. § 3.3), la

découverte de nouveaux bactériophages est peu couteuse et relativement facile.

En effet, des phages contre des bactéries pathogènes peuvent être trouvés

aisément dans les eaux usées ou sur des terrains à forte concentration

bactérienne.

+ Un coût raisonnable

La production de phages dédiés à la phagothérapie implique une co-culture avec

les bactéries et une étape de purification. Le coût de la culture dépend

essentiellement des bactéries en présence. Le coût de purification quant à lui est

en constante diminution du fait de l’amélioration des techniques de purification.

Le coût global de phages à visée thérapeutique est en accord avec les coûts de

production habituels de l’industrie pharmaceutique. Par ailleurs, les coûts liés à

l’isolation et la caractérisation des phages sont très bas (Loc-Carillo, 2010).

+ Diversité des formulations et des modes d’administration

A l’instar des antibiotiques, les phages peuvent être produits sous diverses

formes galéniques (liquide, solide, crème…). Plusieurs phages peuvent

également être combinés en cocktail afin d’augmenter le spectre d’action.

+ Faible impact sur l’environnement

Les phages étant composés majoritairement d’acides nucléiques et de protéines

et possédant un spectre d’action très restreint, une fois relâchés dans

l’environnement, ils n’auront qu’un effet sur un faible nombre de bactéries. De

plus les phages ne sont pas adaptés aux environnements ensoleillés, secs ou à

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températures extrêmes et peuvent de ce fait être rapidement inactivés (Loc-

Carillo, 2010).

+ Les phages sont des produits naturels : un argument marketing à la mode

Les phages sont naturellement présents dans l’environnement, le 100% naturel

est un argument fortement utilisé en marketing de nos jours. En effet, les

industriels utilisent cet argument pour rassurer certains consommateurs, qui bien

souvent sans raison fondée, sont de plus en plus réfractaires aux produits issus

de la chimie.

+ Les phages peuvent être génétiquement modifiés

Les phages sont constitués d’ADN, et peuvent donc être modifiés par génie

génétique. Il est ainsi possible de reproduire en laboratoire des phénomènes se

produisant naturellement, accélérer la nature en quelque sorte. En effet, dans la

nature, les phages font évoluer leurs protéines de reconnaissance des bactéries

pour s'adapter aux mutations de celles-ci (notamment à l’émergence de

résistance). Effectuer ces mutations en laboratoire a pour principal avantage de

faire évoluer les phages plus rapidement, et de ne pas devoir attendre que les

phages s’adaptent naturellement à l’évolution des bactéries (Pouillot, 2010).

Cependant à l’heure actuelle les blocages psychologiques sont encore bien trop

nombreux pour envisager d’utiliser des phages génétiquement modifiés en

thérapie, ces phages dits OGM n’ont pas la cote auprès des autorités

réglementaires et de l’opinion publique (Le Monde, 2012).

3. Quelles  normes  pour  encadrer  la  production  de  phages  dédiés  à  la  thérapie  ?  

Alors même qu’aucune réglementation n’encadre aujourd’hui la phagothérapie

(cf. § 5.2), il est important de s’interroger d’ores et déjà sur les normes et les

standards qu’il serait primordial de mettre en place afin de permettre aux phages

de se faire une place dans la médecine occidentale. L’établissement de normes

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de qualité à respecter pourrait notamment s’inspirer des normes existantes

concernant les vaccins viraux ainsi que des prérequis imposés par les autorités

sanitaires concernant l’utilisation de phages dans l’agroalimentaire.

Selon les directives Q5C (Quality of Biotechnological/Biological products) de

l’ICH (International Conference on Harmonisation), une bioproduction au norme

impose au producteur d’être en mesure de prouver la stabilité, l’identité

biologique et la pureté du produit. Concernant la phagothérapie il serait donc

primordial de s’assurer d’une purification parfaite avec une concentration

d’endotoxines inférieure au seuil pyrogène.

+ Définir l’identité biologique de la préparation

L’identification des phages devra se faire de manière individuelle pour chacun

des phages d’un cocktail thérapeutique, et pourra reposer sur des critères

génomiques et phénotypiques. L’identification et la caractérisation des phages

sont primordiales afin de détecter toute contamination et de s’assurer que les lots

ne contiennent que des phages bien définis (Parracho, 2012). Enfin, il faudra bien

évidemment, et ce en tout premier lieu, s’assurer que seuls des phages lytiques

soient présents dans les préparations et s’assurer de l’absence de tout phages

tempérés. Les phages tempérés, sont capables de s’intégrer au génome

bactérien et peuvent potentiellement apporter des propriétés nouvelles

(résistances aux antibiotiques, virulence, toxines...) aux bactéries. Les outils de

séquençage et de bioinformatique disponibles permettent de faire une distinction

sans équivoque, entre les phages lytiques et les phages tempérés, en s’assurant

notamment qu’aucun gène ne code pour une fonction liée à un caractère tempéré

(en particulier les gènes codant pour les enzymes nécessaires à l’intégration du

génome du bactériophage dans celui de l’hôte bactérien).

+ Contrôle de la stérilité

Les préparations de bactériophages devront être stérilisées et respecter les

instructions relatives à la stérilité émanant de la pharmacopée internationale de la

Section 21 du Code of Federal Regulations, de la FDA et de l’ICH.

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+ Production aux normes GMP

Tous les produits utilisés en essais cliniques doivent être produits aux normes

GMP (Good Manufacturing Practices), les bactériophages doivent donc

également être produits de façon GMP afin d’assurer efficacité, sureté et pureté.

Les détails techniques concernant le process de bioproduction (milieux de

culture, conditions de fermentation, méthode de filtration, purification et

évaluation) devront être détaillés scrupuleusement afin de compléter les

documents réglementaires indispensables à l’obtention d’autorisation

d’utilisation des lots lors d’essais cliniques (Parracho, 2012).

4. «  Prêt-­‐à-­‐porter  ou  Sur  mesure  »  ?  

+ deux alternatives, deux visions de la médecine

« Prêt à porter » ou « Sur mesure » ? Cette question provient d’une discussion sur

le futur de la phagothérapie ayant eu lieu lors du premier congrès international

sur les virus des microbes s’étant tenu à l’Institut Pasteur en juin 2010 (Pirnay,

2010).

La composition d’un médicament peut être déterminée de façon définitive avant

sa mise sur le marché ou alors sujette à des reformulations, c’est un des aspects

qui différencie l’approche « one-size-fits all » de l’approche dite de médecine

personnalisée. En phagothérapie deux expressions sont très souvent utilisées

dans la littérature pour opposer ces deux cas de figure, on parle de phages

« prêts-à-porter » et de phages « sur-mesure » (Chan, 2013).

La médecine personnalisée a été initiée par le géant suisse Roche avec le

lancement de l’Herceptine en 1990. Aujourd’hui les tests de diagnostic

génomique se multiplient et sont de plus en plus utilisés en clinique. Les

technologies issues de la génomique et du séquençage permettent d’obtenir de

nombreuses informations telles que les prédispositions à certaines maladies ou la

capacité ou l’incapacité à répondre positivement à un traitement.

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La génomique a également le potentiel de servir la phagothérapie. Une analyse

du génome des bactéries présentes chez un patient permettrait d’élaborer un

cocktail de phages spécifiquement conçu pour soigner une infection chez un

patient donné.

Pour une phagothérapie personnalisée ou « sur mesure », il faudrait constituer

des banques de phages afin de pouvoir rapidement y prélever des phages pour

élaborer un cocktail sur mesure. Un des problèmes relatif à l’utilisation de

banque de phages est le laps de temps nécessaire entre l’identification d’un

phage actif dans la banque, son amplification et isolation et l’administration du

traitement au patient. Une préparation prête à l’emploi à l’avantage d’apporter un

gain de temps considérable.

A l’opposé du « sur mesure », la stratégie du « prêt à porter » consiste à établir un

cocktail unique contenant une large variété de phages (un cocktail à large

spectre) capable de tuer des bactéries reconnues pour être fréquemment

impliquées dans des infections. Cette approche « prêt à porter » peut être risquée

en cas d’échec, notamment si aucune autre préparation alternative n’est préparée

en tant que solution « back-up ». Pourtant c’est bien cette stratégie du produit

unique qui correspond le mieux au modèle classique du chemin du médicament

imposé par l’EMA et la FDA (Fig 11).

+ Le juste milieu : combiner « sur mesure » et « prêt à porter » ?

Des alternatives à ces deux stratégies opposées existent, il est notamment

possible d’imaginer mettre en œuvre des pré-formulations de plusieurs cocktails

différents, au lieu de produire un unique cocktail dédié à soigner une grande

variété d’infection, il serait possible de produire plusieurs cocktails conçus pour

être efficaces sur un nombre plus restreint de pathogènes. Dans ce cas-ci, le

cocktail dédié à lutter contre la plus probable cause d’infection du patient

pourrait directement lui être administré ; mais des cocktails contre d’autres

espèces bactériennes seraient également prêts au cas où le premier traitement se

révélait inefficace. Cette stratégie consisterait donc à utiliser des banques de

cocktails et non pas des banques de phages individuels et aurait pour principal

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Fig 11 : Prêt à porter ou sur mesure, deux approches possibles et complémentaires Source : Pirnay, 2010

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avantage d’utiliser un nombre moindre de phages durant le traitement. Le point

négatif de cette stratégie dite de « banque de cocktails » est le fort coût lié à la

production d’une grande variété de cocktails.

La seconde alternative n’a pas la lourdeur due à la préparation de multiples

cocktails et n’est pas strictement de la médecine personnalisée à proprement

parler, cette stratégie opte pour un unique cocktail qui est modifiable dans le

temps. Cette dernière approche est celle qui est utilisée en Géorgie, où les

produits « prêts à porter » ne sont pas complètement statiques temporellement

parlant. Les cocktails les plus courants « Pyophage » destinés au traitement des

plaies et « Intestiphage » dédié aux infections gastro-intestinales sont mis à jour

deux fois par an afin d’y ajouter les phages spécifiques aux pathogènes

saisonniers les plus fréquents et de répondre à l’émergence de nouvelles

résistances.

5. Quels  sont  les  problèmes  potentiellement  inhérents  à  la  phagothérapie  

La liste des avantages que pourrait apporter la phagothérapie à la médecine

occidentale est longue (cf. § 4.4), cependant il est important de s’interroger sur

les problèmes éventuels qui pourraient être liés à l’utilisation de cette

technologie avant de crier à la solution miracle. En réfléchissant au concept de la

phagothérapie et en ayant le recul concernant les problèmes liés à l’utilisation

des antibiotiques, trois enjeux semblent primordiaux à analyser : les possibles

effets secondaires et réactions immunitaires d’une part, l’émergence de bactéries

résistantes aux bactériophages d’autre part et enfin les impacts qu’une telle

technologie pourrait éventuellement avoir sur l’environnement.

+ Effets secondaires et réponse du système immunitaire

Les bactériophages étant ubiquitaires, il paraîtrait logique que notre système

immunitaire soit tolérant à leur égard étant donné que nous y sommes

constamment confronté. Cependant, en ce qui concerne la phagothérapie, de

plus fortes doses seraient nécessaires, il est donc important de comprendre la

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réaction du système immunitaire face à ces fortes concentrations. Relativement

peu d’études ont été menées chez les humains à ce sujet, la plupart des études

sont anciennes, datent de l’ex URSS, non traduites en anglais et leurs paramètres

n’ont pas pu être clairement identifiés. Toutefois il en ressort qu’aucune réaction

anaphylactique n’a été relevée (Abedon, 2011). A noter que plus récemment une

équipe de chercheurs polonais décrivait un impact positif des phages sur le

fonctionnement du système immunitaire, relevant une activation de la sécrétion

de cytokines résultant de l’interaction de certaines cellules du système

immunitaire avec les protéines phagiques. Ces chercheurs envisageaient une

utilisation des phages en tant qu’anti-tumoraux (Budynek, 2010). Si ces faits vont

dans le bon sens et sont prometteurs, il semble cependant primordial de

continuer les recherches sur ce sujet que ce soit au niveau fondamental ou

clinique. Enfin, il faut s’assurer que les lots de phages produits à des fins cliniques

soit hautement purifiés afin d’éviter des chocs anaphylactiques qui pourraient

être causés par des débris bactériens tels que les endotoxines provenant des

cultures de phages (les phages sont cultivés en présence de bactéries). Il faut

s’assurer que si un effet au niveau du système immunitaire est observé, celui-ci

puisse être attribué à la présence de bactériophages et non à des contaminants

d’où la nécessité d’une purification hautement contrôlée et méticuleuse (nécessité

d’une production GMP, cf. § 4.5)

+ L’émergence de bactéries résistantes aux bactériophages

Alors que la résistance aux antibiotiques est devenue un enjeu majeur de société,

une question est sur toutes les lèvres, devons nous redouter des problèmes

similaires à long terme si la phagothérapie venait à s’imposer en tant

qu’alternative de choix dans l’arsenal thérapeutique ?

Il a été démontré que les bactéries peuvent développer rapidement des

mécanismes de résistance aux bactériophages (Labrie, 2010). Plusieurs

mécanismes ont été décrits dans la littérature, les bactéries peuvent bloquer

l’adsorption du phage en bloquant le récepteur par lequel le phage s’accroche à

la bactérie (Fig 12), pour se faire les bactéries peuvent produire une matrice

extracellulaire ou des inhibiteurs compétitifs. Les bactéries peuvent également

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bloquer la pénétration de l’ADN phagique ou le détruire par des systèmes de

restriction-modification ou grâce à des séquences CRISPR. Enfin les bactéries

peuvent également bloquer les phases de multiplication du phage, on parle de

système ABI (Abortive infection systems).

Fig 12 : Exemple de stratégies développées par les bactéries pour empêcher

l’adsorption d’un phage. 1) La bactérie devient résistante au phage en modifiant son

récepteur. 2) Le phage s’adapte et développe la capacité de se fixer à ce nouveau

récepteur 3) et 4) La bactérie produit des protéines afin de masquer le récepteur ou

d’empêcher le phage de s’y fixer Source : Nature

Même si ces mécanismes de résistance sont différents de ceux dus aux

antibiotiques, le résultat est le même dans le cadre d’une utilisation à des fins

thérapeutique: la prolifération bactérienne ne peut plus être contrôlée par l’agent

thérapeutique initialement utilisé.

Certains défenseurs de la phagothérapie prônent souvent l’utilisation de cocktails

de phages, dans lesquels différents types de phages infectent le même type de

souches bactériennes, cela rendant l’émergence de résistance moins probable

(les bactéries ayant du mal à muter simultanément plusieurs de leurs éléments

constitutifs). Cependant, il est possible d’imaginer que l’utilisation intensive de

cocktails de phages entraine à long terme, d’une façon ou d’une autre,

l’émergence de souches résistantes à ce cocktail. C’est pourquoi certains

Page 36: Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

36

chercheurs recommandent non pas l’utilisation de cocktails mais l’utilisation d’un

seul phage spécifique à une bactérie responsable d’une infection donnée afin de

limiter l’émergence de bactéries résistantes à une grande variété de phages.

L’avantage évident des phages par rapport aux antibiotiques vis-à-vis de ce

phénomène de résistance, c’est que les phages sont des organismes vivants

capables de co-évoluer avec les bactéries. Cette co-évolution constante des

phages et des bactéries est-elle suffisante pour contrecarrer le problème des

résistances ou alors l’apparition de bactéries « superbugs » hautement résistante

est-elle inéluctable ? Plusieurs études suggèrent que l’évolution de bactéries en

« superbugs » multi résistants aux phages n’est pas probable. Il a été démontré

que les bactéries présentes dans les sols étaient plus résistantes à leurs phages

contemporains qu’aux phages du passé ou du futur, suggérant ainsi que la

résistance des bactéries aux phages n’était qu’un caractère temporaire. De façon

similaire il a été démontré que la capacité des virus à infecter les bactéries

actuelles était moindre que vis-à-vis de bactéries du passé ou du futur. D’autre

part la résistance que développe une bactérie envers un phage peut lui être

coûteuse, les bactéries résistantes peuvent perdre des caractéristiques

importantes à leur virulence quand elles changent les propriétés de leur surface

pour bloquer l’adsorption des phages. Ce désavantage lié à l’émergence de

résistance suggère qu’il serait désavantageux pour une bactérie de maintenir des

changements coûteux contre des phages avec lesquels elles ne sont plus en

contact, renforçant l’hypothèse que les résistances ne sont que temporaires

(Örmälä, 2013). Par ailleurs plusieurs équipes de chercheurs ont observé que

certaines bactéries développant une résistance à un phage devenaient

avirulentes et donc facilement éliminables par le système immunitaire (Pouillot,

2012).

Si la sélection artificielle provoquée par l’utilisation continue des phages à

l’hôpital a certes une finalité incertaine, il apparaît néanmoins qu’en milieu

naturel, l’évolution des bactéries vis à vis des phages n’a jamais rendu une

bactérie résistante à tous les phages existants sur la planète. Tous ces arguments

mis ensemble, il semble très improbable que l’utilisation intensive de phages en

thérapie conduise à une situation où nous ne puissions pas trouver de nouveaux

phages capables d’infecter des bactéries résistantes. D’un point de vue

Page 37: Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

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historique, la phagothérapie a déjà échoué une fois, il faut donc être prudent lors

de notre deuxième essai mais un excès de pessimisme est injustifié. Alors qu’il

devient extrêmement difficile de développer de nouveaux antibiotiques, les

études menées sur les phages suggèrent que l’optimisme est de mise et qu’il est

raisonnable de penser qu’il y aura toujours dans l’environnement de nouveaux

phages disponibles pour lutter contre les bactéries résistantes.

+ Impact environnemental

Au delà des problèmes que pourraient engendrer l’émergence de bactéries

résistantes aux phages d’un point de vue clinique, ce problème de résistance

pourrait également avoir un impact négatif sur l’environnement. La diffusion de

phages en grande concentration pourrait nuire à l’équilibre fragile existant entre

les phages et leurs bactéries hôtes. Pseudomonas aeruginosa par exemple est un

pathogène opportuniste chez l’homme mais également un habitant des rivières,

des sols, et des rhizosphères, sa présence est indispensable pour le maintien de

l’équilibre des écosystèmes.

Des études complémentaires sont nécessaires afin d’obtenir une meilleure

compréhension des phénomènes liés à la coévolution des phages et des

bactéries. Il est important de développer des stratégies afin de pouvoir limiter les

impacts négatifs potentiels liés à l’utilisation de bactériophages en thérapie.

6.  Essais  cliniques  passés  ou  en  cours  

La phagothérapie existant depuis le début du 20e siècle, de nombreuses

publications relatent les résultats d’essais réalisés sur l’Homme. De nombreuses

données proviennent notamment d’Europe de l’est, en particulier de Pologne et

de Géorgie où l’utilisation de phages en thérapie est une pratique courante.

Même si ces résultats ne sont pas toujours conformes aux standards occidentaux

en terme d’essais cliniques, il est néanmoins intéressant de les analyser afin

d’avoir une vision globale du potentiel des phages pour soigner certaines

Page 38: Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

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infections et également pour savoir dans quelles conditions (dosage, mode

d’administration...) prévoir les futurs essais cliniques.

On dénombre également quelques essais réalisés plus récemment en Europe et

aux Etats-Unis. De plus certains essais viennent d’obtenir des financements et

vont débuter très prochainement.

+ Géorgie

La Géorgie est un acteur historique de la phagothérapie notamment du fait de

l’implantation de l’Eliava Institute à Tbilisi. Le pays compte de nombreux

chercheurs et médecins habitués à travailler à l’aide de phages. Beaucoup de

données remontent à l’Union soviétique, la majeure partie des essais réalisés

dans le cadre militaire a été perdue, il reste cependant des résultats d’essais

réalisés dans le cadre civil. Un essai prophylactique a notamment été réalisé en

1960 sur un total de 30769 enfants. Des enfants habitant d’un côté d’une rue ont

reçu, sous forme de comprimés, un cocktail de phages ciblant trois bactéries

connues pour être impliquées dans la dysenterie. Les enfants habitant de l’autre

côté de la rue se sont vus administrer un placebo. Ces enfants ont été suivis de

façon hebdomadaire pendant 109 jours par des infirmières. L’administration de

phages était associée à une diminution de 3,8 fois du taux d’incidence de

dysenterie. Malheureusement, ces résultats très prometteurs ne sont retranscris

que de façon succincte dans une unique publication de 68 lignes écrite en russe

(Kutter, 2010). Même si les résultats des études géorgiennes ne sont pas toujours

très détaillés, les conclusions de chacune de ces études vont dans le même sens

et indiquent un effet positif des bactériophages dans la lutte contre les maladies

infectieuses. Ces études donnent également des indications sur les doses et

méthodes d’administration les plus courantes. Ainsi pour un adulte soufrant

d’infection gastro-intestinale, 20 à 50 mL d’un cocktail sont administrés 3 fois par

jour avant les repas. Il est mentionné qu’il faut administrer un anti-acide (du

bicarbonate de sodium) 20 à 30 minutes avant la prise de phages afin de

préserver les phages lors de leur passage par l’estomac.

Page 39: Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

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+ Pologne

Le Hirszfeld Institute of Immunology and Experimental Therapy basé à Wroclaw

est spécialisé depuis longtemps dans la phagothérapie, il a depuis plusieurs

années produit des phages destinés à venir en aide à des patients infectés par

des bactéries multi-résistantes aux antibiotiques. L’institut a publié de

nombreuses études concernant l’utilisation de phages en clinique. En 2005,

l’institut développait ses propres essais cliniques sur les phages. Avec l’entrée de

la Pologne dans l’Union européenne, l’institut s’est adapté et est désormais en

capacité de développer des essais cliniques respectant les instructions de l’EMA.

Contrairement à la Géorgie où les cocktails de phages « prêts à porter » sont la

pratique la plus courante, en Pologne l’approche des banques de phages est

privilégiée (cf. § 4.6). Pour chaque patient des phages spécifiques sont

sélectionnés dans des banques de phages. Depuis les années 1970, plus de 2000

patients ont été traités à l’institut Hieszfeld. En 2001 l’institut publiait un rapport

résumant les résultats obtenus grâce à l’utilisation de phages en thérapie et

affichait un taux de guérison de 90%.

Des patients souffrant de septicémie ont notamment été pris en charge à l’institut

Hieszfeld. Tous ces patients avaient auparavant tenté sans succès d’être soigné à

l’aide d’antibiotiques. Au total, 71 patients ont reçu des phages et des

antibiotiques et 23 patients ont reçu uniquement des phages. Des phages dirigés

contre des pathogènes spécifiques étaient administrés oralement après

neutralisation de l’acidité gastrique. La posologie était de 3 fois par jour à une

dose de 10 mL pour les adultes et de 5mL pour les enfants. Si des bactéries

étaient présentes dans le sang, des bactériophages spécifiques à ces bactéries

étaient administrés aux patients. Dans le cas où les hémocultures étaient

négatives, les bactériophages administrés étaient spécifiques à des bactéries

issues d’autres sites (plaies, urine). Le temps médian du traitement était de 29

jours. En fin d’étude, le taux de succès (rémission complète) était de 85,1%.

Aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes de

patients. Ces résultats sont très prometteurs malgré le fait que ces protocoles

n’aient pas encore été testés lors d’études en double aveugle respectant les

normes standards des essais cliniques.

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+ France

Des équipes en France ont continué à utiliser les phages après que l’institut

Pasteur ait arrêté d’en produire dans les années 90. Certains médecins ont alors

importé des phages en provenance de Russie ou de Géorgie. Le Dr. Dublanchet

et le Dr. Patey ont observé des résultats très positifs en utilisant les phages dans

des cas d’infections ostéoarticulaires graves. En couplant chirurgie de nettoyage

et injection locale de phages par fistule, ils ont ainsi éviter à certains de leurs

patients l’amputation ou la mort. Malheureusement ils ont du arrêter cette

pratique car il n’est pas légal d’importer et d’administrer des produits non

reconnus en France.

+ Essais cliniques contrôlés

Trois essais cliniques contrôlés chez l’homme ont été réalisés aux Etats-Unis, en

Belgique et au Royaume-Uni.

Au Royaume-Uni, c’est la firme Biocontrol Limited qui a fait une étude de phase I

et II sur l’utilisation de bactériophages dans des infections de l’oreille par

Pseudomonas aeruginosa. Ces infections sont particulièrement difficiles à soigner

car les bactéries s’organisent en biofilms. L’étude randomisée a été réalisée en

double aveugle et contre placebo. Au total 24 patients soufrant d’infection de

l’oreille due à une souche de P.aeruginosa résistante aux antibiotiques ont été

inclus dans cette étude. Un groupe de 12 patients a reçu un placebo, le second

groupe a reçu un cocktail de phages. Le cocktail de phages ayant été conçu de

telle sorte à ce que 86% des patients soient sensibles à au moins l’un des 6

phages du cocktails. Des améliorations significatives ont été observées dans le

groupe ayant reçu le cocktail de phages. Aucun effet secondaire n’a été relevé.

Au 42e jour de l’étude 3 patients sur les 12 s’étant vu administré le cocktail de

phages, avaient une concentration en P.aeruginosa inférieure au seuil de

détectabilité. Aucun résultat similaire n’a été observé dans le groupe placebo

(Parracho, 2012). La firme Biocontrol Limited a fusionné en 2011 avec Targeted

Genetic Inc pour devenir Ampliphi Biosciences. Le groupe envisage désormais

de lancer une phase III pour tester ses cocktails de phages dans le traitement des

Page 41: Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

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infections de l’oreille mais également dans les infections dermatologiques

secondaires à des brûlures ou des infections pulmonaires liées à la

mucoviscidose.

Aux Etats-Unis, la FDA a autorisé une équipe du Wound Care Centre (Lubbock,

Texas) à effectuer une phase I pour tester l’innocuité du cocktail de phages

« WPP-201 » produit par la société Intralytic. Le cocktail a été testé sur des

patients souffrant d’ulcères des membres. Les conclusions de l’étude démontrent

l’innocuité du cocktail de phages « WPP-201 ».

En Belgique, une étude a été réalisée au centre des brûlés de l’hôpital militaire

Reine Astrid. L’étude a testé l’innocuité d’un cocktail de 3 phages lors

d’applications topiques chez 9 patients brûlés atteints d’infection par P.aeruginosa

et/ou S.aureus. Le protocole modeste de cette étude pilote ne permettait pas une

évaluation adéquate de l’efficacité mais a néanmoins permis de montrer qu’il n’y

avait aucun effet secondaire lié à l’application topique de bactériophages sur les

brûlures. Cette étude a également eu le mérite de familiariser le personnel

soignant de l’hôpital Reine Astrid avec la phagothérapie et de le convaincre de

l’innocuité et du potentiel de cette approche. L’équipe est prête à s’impliquer

dans un nouvel essai clinique plus important : le projet phagoburn.

+ Le projet phagoburn

Le projet Phagoburn est un projet de R&D financé par la Commission européenne

dans le cadre du programme de financement FP7 (7th Framework Programme for

Research and Development). Ce projet d’un budget de 5 millions d’euros a été

lancé le 1er juin 2013 et va durer 27 mois. Son but est d’évaluer la phagothérapie

en tant que traitement des infections des plaies pour traiter les infections cutanées

provoquées par les bactéries Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa chez les

patients brûlés. Le projet financera notamment les phases I et II d’un essai

clinique dans le but d’évaluer l’innocuité, l’efficacité et la pharmacodynamique

de deux cocktails de phages. Cet essai va débuter mi-2014 et se déroulera sur 15

mois. L’essai se déroulera simultanément en France (hôpitaux d’instruction des

armées de Percy) en Belgique (hôpital Reine Astrid) et en Suisse dans différentes

unités hospitalières dédiées à la prise en charge des grands brûlés.

Page 42: Antibiorésistance et panne de l’innovation en antibiothérapie : la phagothérapie peut-elle s’imposer en tant que solution alternative ?

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Ce projet collaboratif regroupe plusieurs partenaires issus de 3 pays :

• Le Ministère français de la défense est coordinateur du projet à travers le

service de santé des armées et l’hôpital militaire de Percy

• La biotech française Pherecydes Pharma spécialisée dans la phagothérapie

• La PME française Clean Cells spécialisée dans la sécurisation et

caractérisation des biomédicaments

• Le centre des brûlés de l’hôpital militaire Reine Astrid en Belgique

• Le centre des brûlés de Lausanne situé dans le Centre Hospitalier

Universitaire Vaudois

• Plusieurs hôpitaux : le CHU de Nantes, le Centre hospitalier Saint Joseph et

Saint Luc, le Grand Hôpital de Charleroi – Loverval ainsi que le CHU de

Liège

• La CRO Statitec responsable du data management relatif aux essais

cliniques

• L’association de patient PhagEspoirs dont le but est de promouvoir la

recherche et l’utilisation des bactériophages en diagnostic et en thérapie

• La PME France Europe Innovation en charge de la gestion des aspects

financiers, administratifs et de la communication

Fig 13 : Première étude clinique européenne sur la phagothérapie pour traiter les

brûlures infectées par E. coli et/ou P. aeruginosa.

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7. Perception,  opinion  publique  

La perception de la phagothérapie varie selon les observateurs. Si on relève un

avis globalement très favorable chez les experts, les médecins et les patients

concernés, on note à l’inverse un apriori négatif de l’opinion publique face à ce

sujet. Evidemment il n’est pas difficile de convaincre un patient souffrant d’une

infection multi-résistante aux antibiotiques de recourir à la phagothérapie pour

tenter de se soigner et d’éviter de ce fait l’amputation ou la mort. Le Dr. Olivier

Patey et le Dr. Jérôme Larché reçoivent de nombreuses demandes émanant de

patients en échec thérapeutique. L’opinion publique est plus réservée. En effet

quand on définit rapidement la phagothérapie, on parle de l’utilisation de virus en

tant que médicaments. Or le terme virus est connoté négativement, pour le

commun des mortels ce terme est associé à la grippe, au SIDA et aux épidémies.

Dans l’imaginaire collectif les virus sont des êtres « méchants » et incontrôlables

avec lesquels il vaut mieux ne pas être confronté. Les seules représentations des

virus sont celles de virus pathogènes pour l’Homme et sont donc légitimement

peu flatteuses à leur égard (Fig 14).

Fig 14 : Représentation négative des virus dans l’imaginaire collectif

L’image de la phagothérapie souffre de la mauvaise réputation des virus et un

réel travail de communication est nécessaire afin de faire comprendre à tous que

les bactériophages sont des « gentils » virus inoffensifs pour l’Homme (Fig 15).

Un travail de vulgarisation scientifique est nécessaire afin d’expliquer ce sujet

complexe. En effet nombre d’arguments en faveur de la phagothérapie sont très

délicats à comprendre. A titre d’exemple certains arguments démontrant

l’innocuité des phages pour les humains se basent sur des analyses génomiques

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réalisées via des outils bioinformatiques. Ces arguments ne sont pas convaincants

pour des personnes ne sachant pas ce qu’est la bioinformatique. Hormis ce lourd

travail de vulgarisation scientifique, il faut également communiquer d’avantage

sur la phagothérapie afin de faire parler de cette technologie qui reste encore

trop marginale. Le lobbying des patients et des organisations à but non lucratif

tels que GEEPhage, P.H.A.G.E et PHAGESPOIRS ont un rôle important à jouer

auprès des autorités réglementaires et politiques pour accélérer les choses. La

médiatisation des témoignages de patients soignés par phagothérapie, à l’instar

de ceux de Serge Fortuna et de Caroline Lemaire, est une aide précieuse pour

faire accélérer la prise de conscience. Dans le passé, pour d’autres maladies

(SIDA, myopathies...), des associations de patients ont réussi à pousser les

pouvoirs politiques à investir massivement dans la recherche et le

développement.

Fig 15 : Exemple de campagne de communication pour promouvoir la phagothérapie

Source : L’image du bactériophage provient de l’équipe iGEM 2008 d’Heidelberg

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5. Intérêt de la phagothérapie pour les industriels médicament

1. Etats  des  lieux  des  start  up  et  industriels  impliqués  

Fig 16 : Cartographie des industriels de la phagothérapie On dénombre 10 entreprises travaillant sur la phagothérapie. Ce sont toutes des

start-up et des PME à l’exception du géant russe Microgen. Aucune big pharma

occidentale n’a à l’heure actuelle investi dans la phagothérapie. Certaines de ces

entreprises se focalisent uniquement l’utilisation des phages en médecine,

d’autres envisagent également l’utilisation des phages dans d’autres domaines

applicatifs tels que l’agroalimentaire, la défense ou le traitement de l’eau. En ce

qui concerne les applications en médecine, elles se concentrent sur le traitement

des maladies infectieuses à l’exception de NeuroPhage qui travaille au

développement de phages dans le cadre du traitement des maladies du système

nerveux central (Alzeihmer, Parkinson). La société AmpliPhi, issue de la fusion

entre le britannique Biocontrol et l’américain Targeted Genetic, a acquis en 2012

la société australienne Special Phages Services et dispose désormais de 3 sites

industriels.

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2. Aspect  réglementaire  et  propriété  intellectuelle.    

Deux problèmes majeurs semblent expliquer l’absence d’intérêt des big pharma

pour la phagothérapie : le flou réglementaire d’une part et les difficultés liées au

brevetage des phages d’autre part. Avec un coût de développement moyen

frôlant le milliard d’euros, les industriels du médicament ne peuvent pas se

permettre d’investir dans le développement d’un médicament si celui-ci ne peut

être protégé par des brevets ou si aucun cadre réglementaire n’encadre son

utilisation.

+ Quelle propriété intellectuelle pour la phagothérapie ?

Les problèmes liés au brevetage du vivant sont nombreux et ne concernent pas

que la phagothérapie. On se rappelle du scandale provoqué par Craig Venter qui

souhaitait breveter des séquences ADN ou des contestations lorsque Myriad

Genetics avait obtenu des brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2 afin de protéger

ses tests de dépistage du cancer du sein. La phagothérapie cumule deux

problèmes : c’est une technologie qui n’est pas nouvelle et qui repose sur

l’utilisation d’entités biologiques. Dans la loi américaine relative aux brevets,

seules les technologies nouvelles peuvent être protégées par un brevet, ce qui

signifie pour les phages qu’ils ne doivent pas avoir été isolés ou produits

auparavant. Or la phagothérapie est une vieille technologie et les phages ont été

isolés depuis bien longtemps. La phagothérapie ne rentre pas non plus dans le

cadre de la loi européenne qui autorise de breveter des substances connues pour

des utilisations médicales uniquement si cette pratique est novatrice. Certaines

sociétés, uniquement des start up et des PME, ont tout de même réussi à breveter

des bactériophages à usage médical. En 2001 La société Intralytix avait réussi à

obtenir le brevet EP1250143 A2 qui protégeait « une méthode destinée à réduire

le risque d'infection ou de sepsie bactérienne chez un patient sensible, consistant

à traiter le patient sensible avec une composition pharmaceutique renfermant un

bactériophage ». Mais ce brevet lui a été retiré en 2004. Des alternatives sont

envisageables pour contourner ce problème lié à la propriété intellectuelle, on

pourrait tenter de breveter non pas les phages mais leurs procédés de

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production ou alors leurs méthodes d’administration (ex : pansement à base de

phages pour soigner les brûlures). L’alternative la plus simple serait de breveter

des phages n’existant pas dans la nature : les phages génétiquement modifiés.

Mais dans ce cas-ci c’est le blocage psychologique des autorités et de l’opinion

publique face au fameuses trois lettres O-G-M qui fait barrage.

La complexité de la protection intellectuelle pour la phagothérapie a longtemps

découragé les capitaux-risqueurs et les big pharma. On observe depuis peu un

regain d’intérêt des capitaux-risqueurs pour cette thématique, des biotechs ayant

réussi à breveter des cocktails de phages pour une application thérapeutique

donnée. Les législations actuelles relatives à la propriété intellectuelle restent

néanmoins peu adaptées à la phagothérapie et trop figées voir démodées pour

bon nombre de produits issus des biotechnologies. Des solutions alternatives sont

envisageables : l’OMS ou les gouvernements des pays concernés pourraient

garantir aux entreprises finançant le développement de la phagothérapie dans un

type d’infection un droit d’exclusivité sur cette thérapie pendant un nombre défini

d’années.

+ Quel cadre réglementaire pour la phagothérapie ?

Ni la FDA ni l’EMA ne prévoient un cadre réglementaire adapté à la

phagothérapie. La FDA s’est inspirée du protocole initialement prévu pour les

antibiotiques pour réglementer la phagothérapie (Keen, 2012). Ceci implique

pour un cocktail de phages que chacun des phages le composant passent à

travers un essai clinique individualisé. La composition d’un cocktail de phages ne

peut donc pas être changée sans repasser par le processus d’IND (Investigational

New Drug). Cette politique réglementaire ne prend pas en compte la différence

majeure entre les bactériophages et les antibiotiques : la qualité principale des

phages reposant dans leur caractère évolutif. Il faut revoir cette réglementation et

tenter de l’adapter sur le modèle développé pour le vaccin de la grippe, le

FluMist®. Chaque année la composition de ce vaccin saisonnier est reformulée

afin de s’adapter à l’évolution des virus grippaux. Dans ce cas précis la FDA

n’impose pas un nouvel essai clinique annuel mais a autorisé de façon globale la

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manière dont le vaccin contre la grippe est développé. La FDA pourrait s’inspirer

de ce procédé réglementaire et autoriser la phagothérapie en réglementant les

procédés de production de cocktails de phages. Cette alternative permettrait

ainsi d’adapter les cocktails en fonction de l’évolution des résistances

bactériennes sans avoir à repasser par la procédure de mise sur le marché.

En Europe, l’EMA ne prévoit pas non plus d’encadrement spécifique pour la

phagothérapie. En effet aucune des catégories de la directive 2001/83/EC (Fig

17) régissant les produits médicaux à usage humain n’est parfaitement adaptée à

la phagothérapie (Pirnay, 2012). La catégorie qui correspondrait le mieux à la

phagothérapie est la « Well-Established Medicinal Products » étant donné que la

phagothérapie est une pratique ancienne. Cependant la plupart des essais

cliniques ayant été effectués en dehors de l’Union européenne, ils ne sont pas

pris en compte par l’EMA.

Fig 17 : Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain

Part I: Standardized Marketing Authorization Dossier Requirements Part II: Specific Marketing Authorization Dossier Requirements

Well-established medicinal use Essentially similar medicinal products

Additional data required in specific situations Similar biological medicinal products Fixed combination medicinal products Documentation for applications in exceptional circumstances Mixed marketing authorization applications

Part III: Particular medicinal products Biological medicinal products

Plasma-derived medicinal products

Vaccines

Radio-pharmaceutical and precursors Radio-pharmaceuticals Radio-pharmaceuticals precursors for radio-labelling purposes

Homeopathic medicinal products Herbal medicinal products Orphan medicinal products

Part IV: Advanced therapy medicinal products Gene therapy medicinal products Somatic cell therapy medicinal products Tissue engineered products

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La solution la plus adaptée semble être de créer une sous-catégorie dédiée à la

phagothéapie dans la catégorie « Particular Medicinal Products » comme cela l’a

déjà été fait dans le passé pour un certain nombre de produits pharmaceutiques

non conventionnels.

+ L’alternative de la déclaration d’Helsinki

La déclaration d’Helsinki est un document officiel de l'Association médicale

mondiale, représentante des médecins dans le monde. L’article 35 de cette

déclaration prévoit le dispositif suivant : « Dans le cadre du traitement d’un

patient, faute d’interventions avérées ou faute d’efficacité de ces interventions, le

médecin, après avoir sollicité les conseils d’experts et avec le consentement

éclairé du patient ou de son représentant légal, peut recourir à une intervention

non avérée si, selon son appréciation professionnelle, elle offre une chance de

sauver la vie, rétablir la santé ou alléger les souffrances du patient ». Cet article

35 permet l’utilisation de phages dans le cadre d’impasses thérapeutiques, on

parle d’usage compassionnel. C’est dans le cadre de cette déclaration d’Helsinki

que certains médecins américains, canadiens et européens ont, de façon

sporadique, administré des phages à leurs patients (Teillant, 2012). Cette

alternative a le mérite de permettre l’utilisation de la phagothérapie dans certains

cas bien précis, mais elle ne permet pas de généraliser de façon durable la

phagothérapie au sein de la médecine moderne. De plus les médecins se

découragent face au problème de l’approvisionnement, ils ne savent pas toujours

où se procurer les phages et sont parfois réticents à l’idée d’administrer des

phages produits de façons non GMP en provenance d’Europe de l’Est.

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6. Conclusions et recommandations

Après avoir analysé les données cliniques existantes et mis en perspective les

avantages et les risques inhérents à la phagothérapie, il semble plus que

raisonnable d’affirmer que le rapport bénéfice/risque de cette technologie est

positif dans le cadre de la prise en charge de patients en impasse thérapeutique.

Il est inadmissible de laisser comme seules opportunités l’amputation ou la mort à

des patients qui pourraient tenter de se faire soigner via l’administration de

bactériophages.

Le gouvernement français doit réagir au plus vite s’il veut endiguer le tourisme

médical vers les pays d’Europe de l’Est. Il faut agir vite mais de façon rigoureuse

afin de ne pas reproduire les erreurs déjà commises dans le passé. Deux erreurs

sont à proscrire tout particulièrement. La première concerne la production de

phages, il faut imposer des normes GMP afin d’éviter une qualité hétérogène des

lots qui conduirait à des résultats variables et décrédibiliserait la phagothérapie,

comme cela fût le cas dans les années 1930. Une production GMP est également

nécessaire afin de garantir l’innocuité des lots en s’assurant notamment de

l’absence de tout contaminants bactériens ou de phages tempérés. La deuxième

erreur historique à ne pas commettre est celle qui a été commise avec les

antibiotiques, il faut utiliser les phages avec parcimonie et rigueur afin de limiter

au maximum l’émergence de résistances.

Parmi les actions à mener afin de favoriser l’émergence de la phagothérapie, il

faut en tout premier lieu réglementer la phagothérapie au sein des textes de

l’EMA et de la FDA afin de lever le flou juridique actuel qui décourage les

investisseurs. Il semble cohérent pour ce faire de se baser sur le modèle

réglementaire encadrant les vaccins saisonniers contre la grippe. Enfin, il faut

motiver les big pharma et les capital-risqueurs à investir dans la R&D en

phagothérapie. Face aux problèmes liés au brevetage du vivant, il faut que les

politiques et l’OMS garantissent des droits d’exclusivité (dans le cadre d’une

pathologie précise) aux industriels développant la phagothérapie afin de leur

garantir une protection intellectuelle et donc un retour sur investissement.

Enfin il faut financer des projets de recherche fondamentale afin de mesurer de

façon plus précise les risques, notamment environnementaux, liés à une

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utilisation à grande échelle de la phagothérapie. Les projets de recherche

doivent se focaliser en premier lieu sur la compréhension des phénomènes liés à

la coévolution rapide des phages et des bactéries.

La phagothérapie a déjà raté son heure de gloire dans les années 1930. A

l’époque le paradigme dominant était la chimie et les antibiotiques se sont tout

naturellement imposés. Aujourd’hui le paradigme biotechnologique gagne du

terrain et la phagothérapie qui était peut être en avance sur son temps, a

désormais le contexte et les outils technologiques en sa faveur. Les avancées

réalisées en biologie moléculaire, en génomique et en bioinformatique vont

permettre d’encadrer au mieux son retour sur le devant de la scène. Il ne reste

plus qu’à convaincre l’opinion publique et les politiques de l’intérêt de cette

technologie au sein de notre arsenal thérapeutique. Espérons que la raison et

l’innovation l’emportent sur la peur et l’excès de précaution.

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Glossaire des termes techniques :

ASMR : l'amélioration de service médical rendu est une évaluation utilisée par la

commission de transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) pour jauger

l'intérêt d'un nouveau médicament dans l'amélioration du service médical rendu

dans une stratégie thérapeutique1. Un médicament efficace pour une pathologie

dans laquelle de nombreux traitements sont efficaces aura une amélioration de

service médical rendu faible. A contrario, un médicament efficace pour une

pathologie dans laquelle il n'existe pas de médicament efficace aura un service

médical rendu important.

Biofilm : membrane composée de micro-organismes adhérant entre eux et à une

surface, et marquée par la sécrétion d’une matrice adhésive et protectrice.

Choc anaphylactique : réaction allergique exacerbée, entraînant dans la plupart

des cas de graves conséquences et pouvant engager le pronostic vital.

Conjugaison bactérienne : la conjugaison est une méthode non sexuée utilisée

par les bactéries afin de s'échanger des informations génétiques. Elle consiste en

une transmission de plasmides de conjugaison d'une bactérie donneuse à une

bactérie receveuse et, potentiellement, son intégration dans le génome de celle-

ci.

Cytokines : les cytokines sont des substances de signalisation cellulaire

synthétisées par les cellules du système immunitaire, agissant à distance sur

d'autres cellules pour en réguler l'activité et la fonction.

Endotoxines : substances libérées par les bactéries lors de leur destruction.

Gram+/- : la distinction entre bactéries Gram positif et bactéries Gram négatif

repose sur une différence de composition pariétale. La paroi des bactéries Gram

positif est riche en acide teichoïque, absent chez les bactéries Gram négatif et en

acide diaminopimélique, moins abondant chez les Gram négatif lesquelles ont

une paroi plus riche en lipides.

Phage lytique : Phage produisant dans la bactérie une infection conduisant au

cycle lytique. La bactérie est lysée et les particules virales nouvellement

synthétisées sont libérées.

Phages tempérés : Phage dont le génome peut s'intégrer dans l'ADN de la

cellule hôte et en transformer les propriétés.

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Plasmide : molécule d'ADN surnuméraire distincte de l'ADN chromosomique,

capable de réplication autonome et non essentielle à la survie de la cellule.

Rhizosphère : région du sol directement formée et influencée par les racines et

les micro-organismes associés.

Séquences CRISPR : l'acronyme CRISPR ou Clustered Regularly Interspaced

Short Palindromic Repeats désigne en génétique une famille de séquences

répétées. Cette famille se caractérise par des séries de répétitions directes,

courtes (de 21 à 37 paires de bases) et régulièrement espacées par des

séquences, généralement uniques, de 20 à 40 paires de bases.

Septicémie : infection généralisée de l'organisme, due à des microorganismes

pathogènes de type bactérien.

Système de restriction-modification : Système de défense des bactéries vis-à-

vis des bactériophages, incluant des enzymes de restriction pour digérer l’ADN

parasite et des enzymes de méthylation pour protéger l’ADN de la bactérie.

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Abréviations :

AMM Autorisation de mise sur le marché

ASMR Amélioration du service médical rendu

BHR Bactéries hautement résistantes

BMR Bactéries multi-résistantes

ECDC European Centre for Disease Prevention and Control

EMA European Medicine Agency

FDA Food and Drug Administration

GMP Good Manufacturing Practises

NDM1 New Dehli Metallo beta Lactamase 1

SARM Staphylocoque doré résistant à la méthicilline

SNC Système Nerveux Central

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