Anthologie Poétique Nostalgie - Français Première Préface Pour exprimer ses sentiments les plus...
Transcript of Anthologie Poétique Nostalgie - Français Première Préface Pour exprimer ses sentiments les plus...
Parc de la tête d'or sous la neige, Lyon (Rhône-Alpes), Janvier 2006 (Audrey Racineux)
Anthologie Poétique
Nostalgie
FREDET Margot et
BARTHÉLÉMI-REZKI
Soraya
1
Table des matières Préface ........................................................................................................................................ 2
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage .................................................................. 3
Fantaisie ..................................................................................................................................... 5
Les séparés (N'écris pas...) ......................................................................................................... 7
Chanson .................................................................................................................................... 10
Le Pont Mirabeau ..................................................................................................................... 12
Cénotaphe ................................................................................................................................. 15
Le coucher du soleil ................................................................................................................. 17
Aimez-vous le passé ................................................................................................................. 19
A une passante .......................................................................................................................... 22
À la marquise du Châtelet ........................................................................................................ 24
2
Préface
Pour exprimer ses sentiments les plus profonds, la joie, la tristesse, l’amour, il faut à l’homme un
support qui le dépasse. La poésie est ce support car elle permet au-delà des cultures et du temps de
transcrire en rimes ou en vers les passions et les regrets. La poésie est un art majeur, un refuge où l’on
peut aussi se ressourcer. Le regret du passé, l’amour perdu, la fuite de l’enfance, ont inspiré aux poètes
des textes magnifiques et intemporels. Des siècles de poèmes ont tenté d’exprimer au plus près le
ressenti, face à l’inacceptable : l’amour perdu, la vieillesse, la mort. De Joachim du Bellay à
Baudelaire en passant par Lamartine et Francis Etienne Sicard, cette anthologie poétique a pour parti
pris la nostalgie. Elle tente de recadrer les grandes passions du coma des mortels à travers des mots
simples et un lyrisme talentueux. Le fil conducteur de ces poèmes reste la fuite et l’impermanence des
choses (Le pont Mirabeau d’Apollinaire). A travers les siècles et les textes, le poète décrit la petitesse
de l’homme face au destin et au choix réduit qui lui est proposé. La thématique principale reste
cependant la résistance de l’homme face à l’inévitable et sa capacité permanente à s’émouvoir (A une
passante de Baudelaire). Bien que brisé par le poids des dieux qui lui impose des épreuves parfois
insurmontables, le poète puise dans ses ressources les plus profondes pour surpasser ces obstacles et
donner des textes sublimes qui serviront aux autres soit de bouclier soit de bâton pour avancer
(« Cénotaphe » de Francis Etienne Sicard). L’anthologie présentée au lecteur aborde tous ces thèmes
majeurs. L’ordre de ces poèmes présentés répond à un besoin lancinant de ressentir ce qu’a ressenti
l’auteur : le voyage (« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » et « Fantaisie »), l’amour
perdu (« Les séparés » et « Chanson » et « le pont Mirabeau »), la nostalgie d’un monde perdu
(« Cénotaphe », « coucher de soleil » et « aimez-vous le passé ») et enfin le lyrisme d’un idéal
inaccessible (« A une passante » et « A la marquise du Chatelet »).
On ne peut dissocier tous ces thèmes ; ils se parlent, correspondent, pour interpeller le lecteur et lui
proposer un suivi qui forcément n’est pas logique puisque tous les sentiments abordés relèvent de
l’irrationnel. La musicalité de chaque poème, les mots employés, les rimes sont étudiées afin
d’expliquer au mieux ce qu’a voulu dire, ce qu’a voulu laisser le poète à ceux qui le lisent. Cependant
à trop vouloir expliquer, on risque de dénaturer la pensée, on analyse les vers pour finalement réduire
le poème à de la simple musique littéraire. Tel n’est pas le but de cette anthologie. Ce recueil de textes
a pour simple but de sublimer au contraire un sentiment particulier qui fait partie de l’Homme, à savoir
la nostalgie qui n’est en définitive que le reflet à jamais enfoui d’un paradis perdu. Mais au-delà de la
tristesse, ces poèmes redonnent à l’Homme toute sa dignité, loin de tomber et de baisser la tête.
Revenir à ces textes permet à l’anonyme de s’identifier pleinement à l’auteur et par-delà le temps de
reconnaitre son frère.
3
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.
Joachim DU BELLAY
4
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » est un poème de Joachim du Bellay publié en
1558 et issu du recueil Les Regrets. Joachim du Bellay (1522-1560) est un poète. Il fit la rencontre la
plus importante de sa vie, celle de Pierre de Ronsard. Il crée la Pléiade au XVIème siècle (groupe de
poètes talentueux). Son œuvre la plus célèbre reste Les regrets. Ce poème est un sonnet (deux
quatrains et deux tercets) très évocateur qui incite à la rêverie et à la mélancolie. C'est presque un
poème romantique. Dans son poème, l'auteur évoque son voyage à Rome dont il est revenu après
quatre ans. Il compare cette ville à sa région natale d'Anjou. Il préfère son petit village à Rome. En
effet, Du Bellay a beaucoup voyagé et Rome qualifiée par « l'air marin » fait référence aux voyages
D'Ulysse et à Jason (personnages mythiques) qui revinrent « plein d'usage et raison ». Du Bellay
utilise des antithèses en établissant un contraste entre Rome et son pays natal : « marbre dur »
contraste avec « ardoise fine » vers 11, « air marin » avec « douceur angevine » vers 14, ou encore « le
mont Palatin » et « mon petit Liré » vers 13. Les mots employés pour définir son pays natal sont plus
doux que ceux employés pour définir Rome. Il passe d'un mélange d'images violentes (Rome) à des
visions angevines (sa région natale). Il y exprime son besoin de rejoindre son village au plus vite. Cet
éloignement provoque la nostalgie d'un endroit où il a longtemps vécu. Ce poème exprime une
certaine forme de lyrisme qui est démontré par l'attachement aux racines que l'auteur éprouve après un
long voyage (vers 1). L'auteur, dans ce poème très intime, emploie des termes qui accentuent ses
sentiments : « Hélas » au vers 5, l'emploi du « je » et la répétition de « reverrai-je » aux vers 5 et 7
soulignent sa souffrance. L'évocation d'un paysage champêtre et rassurant « mon petit village » au
vers 5, « fumer la cheminée » au vers 6, montrent son souhait de rentrer auprès des siens. Le poème
laisse un sentiment de plénitude dans les derniers vers (« douceur angevine » au vers 14) et la douceur
d'un foyer que l'on quitte dans savoir que l'on perd un trésor.
Ce poème rappelle une chanson plus récente de Georges Brassens, « Auprès de mon arbre, je vivais
heureux ».
5
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !
Gérard de NERVAL
6
« Fantaisie » est un poème de Gérard de Nerval publié en 1831 et issu du recueil Odelettes rythmiques
et lyriques. Ce recueil est composé d'odes (faites pour être chantées) qui parlent du passé et des rêves.
Gérard de Nerval (1808-1855) est à la fois un poète et un écrivain. C'est un aristocrate qui fait partie
du mouvement du Romantisme du XIXème siècle. Il a écrit plusieurs poèmes qui l'aidaient
psychologiquement. En effet, il souffrait de troubles mentaux qui pouvaient entraîner des crises de
folie et croyait également à la métempsychose, c'est à dire en la réincarnation. Nerval écrit ce poème
avec un sentiment de nostalgie du passé. Fantaisie est un poème écrit en décasyllabes et composé de
quatre quatrains (1er quatrain : rimes embrassées ; reste du poème : rimes croisées). Dans ce poème, le
poète croit se souvenir d'un temps où il rencontra une femme issue de la haute noblesse (dernière
strophe). Il plante un décor romantique « un château de brique à coins de pierre », « Ceint de grands
parcs, avec une rivière ». La linéarité du poème et l'intensité des mots font que le poème monte en
puissance comme une musique et se termine par une image sublimée de cette dame, comme une note
qui dure « Puis une dame [...] dont je me souviens ! » aux vers 13-16. Gérard de Nerval fait figure d'un
compositeur de musique puisque dans ses premiers vers il cite des musiciens célèbres « Tout Rossini,
tout Mozart et tout Weber » au vers 2. « Fantaisie » est le titre d'une composition de Mozart (musicien
du XVIIIème siècle). La musicalité du poème permet une association d'idées qui incite à la rêverie
nostalgique d'une époque lointaine. En décrivant la dame à sa fenêtre comme une statue parfaite,
l'auteur idéalise l'amour éternel « Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens » au vers 14. C'est aussi
un chant désespéré, une ode à un paradis perdu. Le vocabulaire simple et la mystique du poème,
touchent le lecteur dans son intimité profonde et permettent de faire naître un sentiment de nostalgie
infini.
Baudelaire a également repris cette idée d'une vie précédemment vécue dans son poème « La vie
antérieure ».
7
Les séparés (N'écris pas...)
N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon cœur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas !
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas !
N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon cœur.
N'écris pas !
Marceline Desbordes-Valmore
9
« Les séparés » est un poème lyrique de Marceline Desbordes-Valmore publié en 1830 et issu du
recueil Poésies inédites. Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) est une poétesse. Elle est
surnommée Notre-Dame-Des-Pleurs. En effet, elle vécut de nombreux drames tout au long de sa vie
(perte de quatre enfants). L’histoire de sa vie se ressent beaucoup dans ses poèmes, elle y exprime
avec grâce et mélancolie ses tristesses et ses douleurs. Ce poème est composé de quatre quatrains et est
écrit en rimes croisées. Il exprime la tristesse de Marceline Desbordes-Valmore à la suite de sa
séparation avec son amant qu’elle aimait d’un amour passionné. C'est un poème d’amour, une
complainte dans laquelle la poétesse supplie son amant lointain de l’oublier et de ne plus lui écrire car
cela lui cause trop de peine. Elle assimile son écriture à un portrait de lui qui raviverait son souvenir et
la douleur de son absence « N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre » vers 1. La poétesse a
voulu nous démontrer sa douleur lancinante, autant physique que morale. En effet, elle nous fait part
de sa solitude « J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre » au vers 3. De plus, elle utilise un
rythme haché voire saccadé afin de nous dévoiler sa blessure intérieure :« Les beaux étés sans toi, c'est
la nuit sans flambeau » au vers 2. Au cours de ce poème, elle nous montre également qu’après avoir
tant souffert, ses sentiments se sont estompés, qu’elle ne peut plus aimer « Et frapper mon cœur, c’est
frapper au tombeau ». Son amour est inaccessible :
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
La poétesse, emploie l’antépiphore « N’écris pas ! » située au début et à la fin de chaque strophe. Elle
supplie son amant, dans cette litote, de ne pas raviver la plaie de son absence qui la fait tant souffrir.
Elle veut faire le deuil de sa relation en bannissant tout ce qui peut s’y rattacher, malgré les
souffrances qu’elle éprouve en faisant cela.
10
Chanson
Ta voix est un savant poème…
Charme fragile de l’esprit,
Désespoir de l’âme, je t’aime
Comme une douleur qu’on chérit.
Dans ta grâce longue et blêmie,
Tu revins du fond de jadis…
O ma blanche et lointaine amie,
Je t’adore comme les lys!
On dit qu’un souvenir s’émousse,
Mais comment oublier jamais
Que ta voix se faisait très douce
Pour me dire que tu m’aimais?
Renée Vivien
11
« Chanson » est un poème de Renée Vivien publié 1901 et issu du recueil Études et Préludes. Renée
Vivien (1887-1909) est une poétesse britannique de langue française et fait partie du mouvement du
Parnasse de la Belle époque (fin du XIXème siècle à 1914). Ce poème est composé de trois quatrains
et écrit en rimes croisées. Dans ce poème Renée Vivien exprime la nostalgie d’un amour perdu. En
effet, René Vivien écrit ce poème suite à la rupture amoureuse vécue avec son amante. René Vivien
était l’une des rares poétesses homosexuelles. Elle utilise des métaphores : « Ta voix est un savant
poème » au vers 1, et crée un éloge autour de cet être tant aimé (« ta voix est un savant poète ») puis
crie son malheur « Désespoir de l’âme, je t’aime » au vers 3, et montre son anéantissement. Renée
Vivien exprime un sentiment de tristesse extrême ressentie par le lecteur. Elle est consciente
d'entretenir sa douleur mais refuse d'oublier cette forte passion. De ce fait elle fait référence au passé
tout au long de ce poème. En effet, de par l'évocation des souvenirs « Que ta voix se faisait très
douce » au vers 11, les indicateurs temporels « Tu revins du fond de jadis » au vers 6, l'utilisation de
l’imparfait en insistant sans cesse sur cette notion de tristesse et de manque perpétuel « Pour me dire
que tu m’aimais ? ». La poétesse semble perdue, sans aucun repère.
12
Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Guillaume Apollinaire
14
« Le pont Mirabeau » est un poème de Guillaume Apollinaire publié en 1913 et issu du recueil
Alcools. Apollinaire (1880-1918) est un poète qui fait partie du mouvement symboliste. Il a écrit ce
recueil après sa rupture avec la peintre Marie Laurencin. « Le Pont Mirabeau » raconte justement une
rupture amoureuse et la tristesse infinie qui en découle. Le pont Mirabeau a été choisi par l'auteur car
il l'avait emprunté lorsqu'il rentrait de chez Marie Laurencin. Ce poème est composé de quatre
quatrains et d’un refrain sous forme de distique. Le poète évoque beaucoup de nostalgie à l'égard de
cette époque où il était heureux avec sa maîtresse. Ce sentiment est accentué lorsqu'il dit se souvenir
de son histoire d'amour « Faut-il qu'il m'en souvienne », au vers 3. Les images empruntées par l'auteur,
(« Le pont de nos bras » au vers 9) rappellent le pont qui est le symbole d'un amour durable. Le fleuve,
la Seine, passe sous le pont comme l'amour qui fuit : « L'amour s'en va comme une eau courante » au
vers 13. Le temps et les souvenirs rythment les vers comme la diminution progressive des sentiments.
La rupture amoureuse est inévitable mais le poète tente d'y échapper comme il souhaite ne pas souffrir.
Mais il ne peut s'opposer au destin comme le courant du fleuve. Le poète se résigne et comme le pont
reste statique, « demeure ». Le poète nous donne une expression de l'amour inachevé. Chaque strophe
est composée de trois décasyllabes qui riment. La musicalité du poème, sans ponctuation, semble une
rengaine entêtante qui tourne en boucle avec un refrain (répétition) composé de vers impairs et des
heptasyllabes qui donnent une impression de monotonie mais tout aussi nostalgique :
« Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure »
Ce poème aborde les thèmes romantiques (amour, fuite du temps) mais aussi un thème cher aux grecs
et aux romains : la plainte de la perte de l'être aimé (tragédies antiques). Le poème étant fluide à sa
construction rappelle l'eau, la monotonie du fleuve qui s'écoule. L'emploi du présent de vérité générale
rend la scène plus plaignante. Le poète regarde fixement l'eau s'écouler et repense au passé. Du
premier au dernier vers, on passe de la douleur puissante à une sorte de détachement. Il demeure seul.
15
Cénotaphe
Sous le portique ancien d’un grand temple oriental
Repose l’or du temps et son précieux visage
Entre les pampres roux d’une vigne sauvage,
Dont les mèches de feu exhalent le santal.
Le sable des allées et son miroir fatal
Dévorent les années et leurs milliers d’images
D’une faim attisée par les baisers volages
Des alizés grisés au souffle du cristal.
Le damas bleu du ciel, brodé de rêveries,
Couvre les marbres bruts d’une guimpe de soie
Dont le soleil brûlant habille l’infini.
Car les dieux sont partis habiter d’autres îles,
Abandonnant ce lieu qu’un grand prêtre autrefois
Leur avait consacré comme terre d’asile.
Francis Étienne Sicard
16
« Cénotaphe » est un poème de Francis Étienne Sicard publié en 1995 et issu du recueil Odalisque.
Étienne Sicard est passionné par la littérature et devient enseignant. Il voyage beaucoup à travers
l'Europe. C'est un spécialiste d'Oscar Wilde (célèbre romancier) et participe parfois à des émissions de
France Musique. Ce poème est un sonnet qui évoque un temple abandonné sur une île telle que l'Inde
ou l'Indochine. L'auteur s'y promène comme un visiteur étonné et attristé. Le texte exprime une
immense mélancolie. On a l'impression que l'auteur a le vague à l’âme ; il contemple. Le milieu
semble un endroit exotique et oriental qui rappelle la vision des romantiques (Vigny, Chateaubriand).
Les mots employés incitent à la rêverie et appellent tous les sens du lecteur. L'odeur du santal
(principal composant de l'encens) plonge le promeneur dans une douce Inde mystérieuse. Par ailleurs,
les Égyptiens s'en servaient pour embaumer les momies d'où le titre « Cénotaphe ». Ce sonnet regorge
d'images : « l'or du temps » au vers 2, « le damas bleu du ciel » au vers 9, « les pampres roux » au vers
3, qui rendent au lieu sa splendeur d'autrefois. Elles accentuent la nostalgie d'un temps où devait
s'épanouir la vie dans ce temple. Les antithèses « les marbres bruts [...] guimpe de soie » donnent
l'impression que le passé se confronte au présent. L’expression de la sérénité est très présente dans ce
texte (« alizés », « santal », « soleil » aux vers 8, 4, 11). A la fin du poème la tristesse atteint son
apogée, les dieux ont abandonné l'île.
« Car les dieux sont partis habiter d’autres îles,
Abandonnant ce lieu qu’un grand prêtre autrefois
Leur avait consacré comme terre d’asile. »
L'abandon cher aux romantiques, a été repris dans ce poème. Ce sentiment est poussé jusqu'à la perte
de tout espoir de retour. Pour finir, ce poème est empreint d'une profonde nostalgie ayant des strophes
très évocatrices. Le départ des dieux rend le lecteur nostalgique d'une époque heureuse où l'harmonie
régnait. Ce poème rappelle « A une ville morte » d'Heredia.
17
Le coucher du soleil
Si j’ose comparer le déclin de ma vie
A ton coucher sublime, ô Soleil ! je t’envie.
Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr :
Elle renaît immense avec l’immense azur.
De ton sanglant linceul tout le ciel se colore,
Et le regard funèbre où luit ton dernier feu,
Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore
Le lys que ta ferveur a fait naguère éclore,
Est triste infiniment, mais n’est pas un adieu.
René-François Sully Prudhomme
18
« Le coucher du soleil » est un poème de René-François Sully-Prudhomme publié en 1908 et issu du
recueil Les épaves. René François Sully Prudhomme (1839-1907) est un poète et écrivain français.
C’est le premier lauréat du Prix Nobel de littérature en 1901. Ce poème est écrit en rimes plates. Tout
au long du texte le poète aimerait que le déclin de sa vie se déroule avec autant de grâce et de cachet
que celui du soleil couchant. Il envie le soleil de renaître avec autant de splendeur qu'à son coucher :
« Elle renaît immense avec l’immense azur » au vers 4, et d'avoir un période sombre uniquement
temporaire, « Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr » au vers 3. Le poète se rend compte que sa
vie est unique et ne peut donc uniquement garder la nostalgie de souvenirs impossibles à revivre. Au
cours du poème, le poète crée une glorification de ce coucher de soleil en lui attribuant des
personnifications, « le regard funèbre où luit ton dernier feu » au vers 6, et use de métaphores
colorées, « Le lys que ta ferveur a fait naguère éclore » au vers 8, pour décrire son déclin mais aussi sa
renaissance.
Nous pouvons imaginer que cette glorification autour du soleil cherche à indirectement décrire ce
qu'aurait été sa vie. Malheureusement elle est l'opposé de celle-ci, « Est triste infiniment, mais n’est
pas un adieu » au vers 9. Ainsi l'auteur montre la tristesse qu'il éprouve face à la nostalgie du temps
qui passe et qui ne reviendra pas.
19
Aimez-vous le passé
Aimez-vous le passé
Et rêver d’histoires
Évocatoires
Aux contours effacés ?
Les vieilles chambres
Veuves de pas
Qui sentent tout bas
L’iris et l’ambre ;
La pâleur des portraits,
Les reliques usées
Que des morts ont baisées,
Chère, je voudrais
Qu’elles vous soient chères,
Et vous parlent un peu
D’un cœur poussiéreux
Et plein de mystère.
Paul-Jean Toulet
21
« Aimez-vous le passé » est un poème de Jean Paul Toulet publié en 1920 et issu du recueil Chansons.
Jean Paul Toulet (1867-1920) est un poète et un écrivain. Il crée les « Contrerimes » (quatrain
composé de rimes embrassées et de mètres croisés, ce qui donne une impression de déséquilibre dans
le poème) qui vont faire son succès. Dans ce poème (qui peut être chanté), J.P Toulet y introduit sa
définition du passé et de l’importance du souvenir et des valeurs de l'ancien. Il questionne son
interlocuteur sur son goût d'apprécier le fait de se remémorer des histoires rappelant des choses
enfouies, des troubles, destinés à être oubliés. La nostalgie se révèle lorsqu'il décrit ce qui semble être
les fragments d'une histoire d'amour révolue :
« Les vieilles chambres
Veuves de pas » vers 5-6.
Enfin, l'auteur cherche à aller à l'encontre de la superficialité des goûts de sa belle et à lui montrer
l'importance et la valeur des œuvres passées :
« Chère, je voudrais
Qu’elles vous soient chères » vers 12-13.
Il cherche à lui prouver que l'ancien peut faire surgir de nouvelles émotions et faire tomber tous les
préjugés :
« D’un cœur poussiéreux
Et plein de mystère» vers 15-16.
Cela montre qu'il serait tombé éperdument amoureux d'une femme bien plus jeune que lui.
22
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
Charles BAUDELAIRE
23
« A une passante » est un poème de Charles Baudelaire publié en 1855 et issu du recueil Les Fleurs du
Mal. Baudelaire (1821-1867) est un poète voyageur qui annonce le mouvement symboliste et refuse
l'ordre établi. Baudelaire développe une nouvelle esthétique inspirée de romantisme. Ce poète majeur
du XIXème siècle écrit avec tourment. En effet, sa raison vacille parfois sous l'effet du hachisch et de
l'opium. Sa fin misérable provoque une grande émotion du fait son immense talent (il souffrait
d'hémiplégie, paralysie partielle du corps). « A une passante » est un sonnet (deux quatrains et deux
tercets) ; il s'agit d'une vision éphémère d'une femme entrevue dans une grande ville alors que le poète
est assis à une terrasse de café. Baudelaire est attiré par la beauté féminine. Dans ce poème est abordé
le thème de la rencontre de l'autre mais aussi la nostalgie presque instantanée de celle-ci. Cette
rencontre a lieu dans un contexte sonore ; un vacarme qui rend l'observation difficile « rue
assourdissante », « hurlait » au vers 1. Il semble que l'alcool exagère les bruits de la rue « je buvais
crispé comme un extravagant » au vers 6. La vision soudaine de cette femme « Un éclair... puis la
nuit ! » au vers 9 frappe le poète au plus profond de lui-même car il s'agit de « sa nuit ». Sa beauté lui
est inaccessible alors il cherche cette passante du regard. Celui-ci le fait presque « renaître » au vers
10. Pendant un instant, cette inconnue devient une femme proche. En effet, l'auteur se permet le
tutoiement : « j'ignore où tu fuis » au vers 13, et croit même deviner les sentiments de cette passante,
jusqu'à imaginer qu'elle aurait pu l'aimer : « Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! » au vers 14.
Les sentiments du poète sont forts et le dominent. Baudelaire croit qu'il retrouvera cette femme dans
une autre vie : « Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? » au vers 11. Le poète tourmenté retrouve
durant un bref instant l'envie d'aimer et d'être aimé à son tour. C'est un court moment de lumière avant
de retomber dans l'obscurité de son quotidien.
24
À la marquise du Châtelet
Ainsi donc cent beautés nouvelles
Vont fixer vos brillants esprits
Vous renoncez aux étincelles,
Aux feux follets de mes écrits
Pour des lumières immortelles ;
Et le sublime Maupertuis
Vient éclipser mes bagatelles.
Je n’en suis fâché ni surpris ;
Un esprit vrai doit être épris
Pour des vérités éternelles :
Mais ces vérités que sont-elles ?
Quel est leur usage et leur prix ?
Du vrai savant que je chéris
La raison ferme et lumineuse
Vous montrera les cieux décrits,
Et d’une main audacieuse
Vous dévoilera les replis
De la nature ténébreuse :
Mais, sans le secret d’être heureuse,
Il ne vous aura rien appris.
Voltaire
26
« A la Marquise du Chatelet » est un poème de Voltaire publié en 1778 et issu du recueil Poésies
complètes. Voltaire, de son vrai nom François-Marie Arouet (1694-1778), est un poète, un écrivain et
un philosophe des Lumières. Ce poème témoigne de l'amour profond qu'éprouvait Voltaire à l'égard de
la Marquise du Chatelet et de l'immense déception ressentie lorsqu'elle le trompa avec son professeur
de mathématiques Mr de Maupertuis.
Ici Voltaire lui fait part de sa nostalgie de leurs relations passionnées qui existaient entre eux avant que
la marquise ne se laisse tenter par l’infidélité.
Il tente de lui faire comprendre les réelles valeurs que constitue la vivacité de l'esprit par rapport au
besoin de combler ce qu'il nomme « la nature ténébreuse » et tente de ternir l'intérêt de la marquise
pour son savant amant. Dans ce poème, Voltaire annihile les futilités de la relation entre lui et Madame
du Châtelet (Il pénètre dans l'intimité profonde de la marquise preuve de leur proximité). De plus en la
questionnant il la met sur un pied d'égalité avec lui, ce qui prouve l'estime qu'il a pour elle, d'où le
regret nostalgique et le manque ressenti par Voltaire.