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ANALYSE FONCTIONNELLE DU MOUVEMENT PAR A. PIRON LES CONTRADICTIONS DES EXPLICATIONS TRADITIONNELLES DU MOUVEMENT ATHLETIQUE La mise en rapport de la théorie et de la pratique a toujours été au centre de nos préoccupations. Cette attention particulière nous a conduits à redéfinir certaines notions utilisées pour la pratique de l'entraînement, tout en les reliant en un tout cohérent. Celui-ci s'obtient en mettant en évidence des lois de fonctionnement de la motricité athlétique. En nous appuyant sur quelques exemples pratiques dans les courses, sauts et lancers, nous analyserons le fonctionnement de la motricité athlétique pour en dégager quelques principes fondamentaux. SPRINT - Après la « mise en action », lors de la phase de « conservation de vitesse », les impulsions successives sont présentées comme le résultat de la poussée de chaque appui vers l'avant. Cette explication descriptive traditionnelle n'est pas satisfai- sante. En effet, lorsque l'on observe un sprinter d'un bon niveau courir sur une piste en cendrée, un constat s'impose : - ses semelles ne rejettent pas de cendre vers l'arrière ; - seule une marque de pointes subsiste au sol, comme si le coureur se contentait de « rebondir ». Les mesures concernant les pressions et les orientations des forces confirment cette analyse. JAVELOT - Dans la phase terminale du double appui au lancer du javelot, il est traditionnellement expliqué que la position du bassin, face à l'aire de lancer, est due à une poussée de la jambe droite (lanceur droitier) après la pose du pied gauche au sol. Or, lorsque nous observons au moment de ce double appui les meilleurs lanceurs, nous constatons que l'action de la jambe droite se termine avant que le pied gauche ne se pose au sol (cf. photo n° 1). POIDS - Classiquement, il est expliqué que le lanceur droi- tier tourne autour d'un axe vertical gauche du corps (cf. schéma la), alors que dans un même temps, il lui est recom- mandé de conserver le poids dans un plan de lancement (cf. schéma 1b). LONGUEUR - Traditionnellement, l'impulsion du saut en longueur est présentée comme une poussée vers l'avant, dans ce cas, il serait normal de constater une augmentation de la vitesse du sauteur, en fin d'appel. En réalité, les tests effectués montrent que la vitesse enregis- trée à la fin de l'impulsion est inférieure à celle mesurée au tout début de l'impulsion [1], ANALYSE DESCRIPTIVE ET ANALYSE FONCTIONNELLE DU MOUVEMENT Nous allons comparer l'analyse fonctionnelle du mouvement à l'analyse descriptive que nous venons de critiquer en faisant apparaître, par quelques exemples, ses contradictions quant à l'explication du mouvement athlétique. PHOTO : PRESSE-SPORTS 1 Revue EP.S n°204 Mars-Avril 1987 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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ANALYSE FONCTIONNELLE DU MOUVEMENT PAR A. PIRON

LES CONTRADICTIONS DES EXPLICATIONS TRADITIONNELLES D U M O U V E M E N T ATHLETIQUE

La mise en rappor t de la théor ie et de la p ra t ique a toujours été au centre de nos p réoccupa t ions . Cet te a t tent ion par t icul ière nous a condui t s à redéfinir cer taines no t ions utilisées p o u r la pra t ique de l ' en t ra înement , tout en les reliant en un tout cohérent . Celui-ci s 'obtient en met tan t en év idence des lois de fonc t ionnement de la motr ici té a th lé t ique . En nous a p p u y a n t sur que lques exemples pra t iques d a n s les courses , sauts et lancers, nous ana lyse rons le fonc t ionnement de la motrici té a thlét ique p o u r en dégager que lques pr inc ipes fondamen taux .

S P R I N T - Après la « mise en act ion », lors de la phase de « conservat ion de vitesse », les impuls ions successives sont présentées c o m m e le résultat de la poussée de c h a q u e appu i vers l 'avant . Cet te expl icat ion descript ive t radi t ionnel le n 'est pas satisfai­sante . En effet, lorsque l 'on observe un spr in ter d ' un bon niveau courir sur une piste en cendrée , un constat s ' impose : - ses semelles ne rejettent pas de cendre vers l 'arrière ; - seule une m a r q u e de pointes subsiste au sol, c o m m e si le coureur se contenta i t de « r ebond i r ». Les mesures conce rnan t les pressions et les or ienta t ions des forces conf i rment cette analyse.

J A V E L O T - Dans la phase te rmina le du doub le a p p u i au lancer du javelot , il est t rad i t ionne l lement expl iqué que la posi t ion du bassin, face à l 'aire de lancer, est d u e à une poussée de la j a m b e droi te ( lanceur droi t ier) après la pose du pied gauche au sol. Or, lorsque nous observons au momen t de ce doub le appu i les meilleurs l anceur s , nous cons ta tons que l 'act ion de la j a m b e droi te se te rmine avant que le pied gauche ne se pose au sol (cf. p h o t o n° 1).

P O I D S - Class iquement , il est expl iqué que le lanceur droi­tier tourne au tour d 'un axe vertical gauche du corps (cf. schéma la) , alors que dans un même temps , il lui est recom­m a n d é de conserver le po ids dans un plan de lancement (cf. schéma 1b).

L O N G U E U R - Tradi t ionnel lement , l ' impuls ion du saut en longueur est présentée c o m m e une poussée vers l 'avant , dans ce cas, il serait normal de consta ter une augmenta t ion de la vitesse du sauteur , en fin d ' appe l . En réalité, les tests effectués mont ren t que la vitesse enregis­trée à la fin de l ' impulsion est inférieure à celle mesurée au tout début de l ' impuls ion [1],

ANALYSE DESCRIPTIVE ET ANALYSE FONCTIONNELLE DU M O U V E M E N T

N o u s al lons compare r l 'analyse fonct ionnel le du mouvemen t à l 'analyse descript ive que nous venons de cr i t iquer en faisant appara î t re , pa r quelques exemples , ses cont rad ic t ions q u a n t à l 'explication du mouvement a thlé t ique. P

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Le placement du bassin-

Analyse descriptive Les t enan t s de cette analyse r e c o m m a n d e n t de p lacer le bassin de telle manière qu'i l puisse recevoir la poussée d e la j a m b e d ' a p p u i après le passage du corps à la vert icale (cf. schéma 2).

Analyse fonctionnelle Le bassin doi t être « p lacé » p o u r deux ra isons : - t ransmet t re l 'énergie à la cha îne muscu la i re « mise en tension » ; - utiliser l 'énergie élast ique du muscle emmagas inée lors de la « mise en tens ion » (cf. schéma 3). D a n s ces cond i t ions , on c o m p r e n d q u e ces ac t ions so ient liées fonct ionnel lement .

Le passage à l'appui-

Analyse descriptive Elle men t ionne trois phases d a n s le passage à l ' appui : - l ' amort issement ; - le sout ien : - la poussée ou impuls ion . La phase d ' amor t i s sement est, ici, cons idérée c o m m e néga­tive ; p o u r augmen te r le r endemen t de l ' impuls ion, il est d o n c r e c o m m a n d é de la rédui re au m i n i m u m .

Analyse fonctionnelle N o u s m o n t r o n s que ce qui co r re spond à la phase d ' amor t i s ­sement p r écédemmen t évoquée est une phase de « mise en tens ion » (cf. schéma 4) de la cha îne muscula i re conce rnée pa r l 'action en cours . Cet te phase est active et nécessaire à la phase de « renvoi » qui co r r e spond à l ' impuls ion de la p récédente analyse . Il n 'y a d o n c pas lieu de voulo i r la d iminuer c o m m e le préconise l 'analyse descr ipt ive . Les phases d e « mise en tens ion » et de « renvoi » sont liées et ind ispensables . Par ai l leurs, les chaînes muscula i res sollicitées dans ces types d'effort d y n a m i q u e fonc t ionnent en « tension réces­sive ». Un gain de force d 'envi ron 30 % par r appor t à la force i sométr ique max imale est ainsi ob tenu . L'efficacité de la cha îne muscula i re est donc le fruit d ' une organisa t ion du corps a u t o u r d ' une ligne de press ion.

Le rôle des segments libres-

Analyse descriptive Les segments libres sont présentés c o m m e la cause de l ' impuls ion. Lors dé la p ra t ique de l ' en t ra înement , il est d e m a n d é de « rentrer en genoux » lors de l ' impuls ion (cf. schéma 2), de soulever les épau les afin d 'a ider , a c c o m p a ­gner et alléger l ' impuls ion. Ceci peut-être cons idéré c o m m e très jud ic ieux au niveau des in tent ions mais ne peut consti­tuer une expl icat ion correcte du fonc t ionnement réel.

Analyse fonctionnelle Le rôle des segments libres est une conséquence du place­ment à l ' impuls ion car ils par t ic ipent à « la mise en ten­sion » en augmen tan t la press ion sur la j a m b e d ' a p p u i et, ensui te , allègent le corps lors du renvoi (cf. schéma 4).

No t re analyse du fonc t ionnement du m o u v e m e n t permet d 'or ienter différemment l ' apprent i ssage et le déve loppemen t des habiletés nécessaires à la p ra t ique de l 'a thlét isme. Ainsi, n o u s ne nous con ten te rons plus de l ' appl ica t ion d e solut ions consis tant à tenter d ' imiter le geste.

11 convient d ' insis ter en conclus ion de cette t r op cour te in t ro­duc t ion sur qua t re poin ts impor tan t s . • Le geste, et sur tout son image, se prê tent à l 'analyse descr ipt ive et à des in terpré ta t ions qui semblent relever de l 'évidence et ceci est t r ompeur .

• Au-delà des différences entre les diverses discipl ines de l 'a thlét isme, il existe une g r a n d e unicité de fonc t ionnement . • Cet te reconna issance des pr inc ipes c o m m u n s influence les concep t ions d e l ' appren t i ssage et de l ' en t ra înement . • Mais , connaî t re le fonc t ionnement réel est très loin d 'ê t re suffisant p o u r l ' en t ra îneur car le d o m a i n e des sensa t ions et des in tent ions est ne t tement différencié et relève de la pédagog ie sur le terrain.

Alain Piron Directeur Techn ique Na t iona l

Fédéra t ion França ise d 'Ath lé t i sme [1] Cf. Lukman ( H ) . - « Les principales caractéristiques du saut en longueur de N. Stékic ». - Spécial Sport Athlét isme, 1NSEP. - 1978, p.p. 89 -101 . D

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