analyse Fonctionnelle Et Analyse De La...

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Analyse Fonctionnelle et Analyse de la Valeur Bernard Yannou Laboratoire Productique Logistique École Centrale Paris 92295 Châtenay-Malabry, FRANCE E-mail: [email protected] Résumé Albert Einstein déclarait : « Si j'avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépende, je passerais quarante minutes pour l'analyser, quinze minutes pour en faire une revue critique et cinq minutes pour le résoudre ». Un problème industriel se doit de suivre la même démarche, il doit être posé par le service marketing de l'entreprise, il doit être analysé et compris au cours d'une Analyse Fonctionnelle (AF), il doit être dégrossi et sa résolution ébauchée au cours d'une action Analyse de la Valeur (AV) puis, à la fin seulement, la conception de détail peut commencer. La compétitivité industrielle est à ce prix. Nous donnerons un aperçu des outils méthodologiques de l'AF et de l'AV dans le domaine de la conception de produits en l'appliquant à la conception d'un mousqueton d'escalade innovant. 1. Finalités de l'AF et de l'AV Tout individu est, à divers titre et à divers degré, acteur dans la société. Être acteur, tant sur le plan individuel que professionnel, signifie qu'avec des moyens (matériel, budget, autres individus, délais) connus ou à déterminer, on doit être capable de décider d'actions pour satisfaire à un objectif (on dit aussi besoin). Cette notion d'action pilotée par les moyens et les objectifs est la définition même du projet telle qu'elle est donnée par l'AFITEP 1 (Association Française de Management de Projet). Avant que de se lancer tête baissée dans un projet individuel ou d'entreprise, il est primordial d'identifier clairement les différents objectifs et d'estimer leur importance relative en faisant adhérer tous les participants à ce projet. Cette explicitation des objectifs est d'autant plus importante que les projets sont importants et qu'ils impliquent des individus de culture et de formation différentes qui, sans cela, auraient une interprétation différente des objectifs. L'Analyse Fonctionnelle du besoin (AF) n'est, ni plus, ni moins, qu'un ensemble de techniques pour identifier les vrais besoins (et les quantifier), définir les vraies problématiques, saisir ce qui est réellement important à obtenir. Par la suite, l'Analyse de la Valeur (AV) n'est, ni plus ni moins, qu'un ensemble de techniques pour affecter des moyens (se traduisant par des coûts) au projet qui soient en adéquation avec l'importance relative des différents besoins à satisfaire. Dans le cas d'une bonne adéquation des moyens avec les besoins, le projet se trouve optimisé. Dans le domaine industriel, l'AF et l'AV permettent d'aller à l'essentiel, ou encore d'adopter le plus grand pragmatisme, de manière à obtenir la plus grande efficacité. Ce sont des méthodologies 2 de résolution de problèmes industriels, c'est-à-dire qu'elles donnent des guides pour appréhender et agir dans la complexité. Un projet industriel vise à concevoir un produit, un procédé, un processus, un service ou une combinaison des quatre. Dans un premier temps, il s'agira d'observer l'état présent de la situation, c'est-à- dire d'où on part (voir Figure 1). S'il s'agit de la conception d'un produit (ce sera le cas dans la suite de cette présentation), l'état de la situation sera donné par la connaissance du marché (concurrents, produits et insatisfactions des clients vis-à-vis d'eux), de l'environnement (lois et normes en la matière, nouvelles 1 — « Un projet est un système complexe d'intervenants, de moyens et d'actions, constitué pour apporter une réponse à une demande élaborée pour satisfaire au besoin d'un maître d'ouvrage. Le projet implique : un objectif physique ou intellectuel, des actions à entreprendre avec des ressoures données » 2 — On entend par méthodologie un ensemble d'outils basés sur les mêmes paradigmes. 1/18

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Analyse Fonctionnelle et Analyse de la Valeur

Bernard Yannou Laboratoire Productique Logistique

École Centrale Paris 92295 Châtenay-Malabry, FRANCE

E-mail: [email protected]

Résumé Albert Einstein déclarait : « Si j'avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépende, je passerais

quarante minutes pour l'analyser, quinze minutes pour en faire une revue critique et cinq minutes pour le résoudre ». Un problème industriel se doit de suivre la même démarche, il doit être posé par le service marketing de l'entreprise, il doit être analysé et compris au cours d'une Analyse Fonctionnelle (AF), il doit être dégrossi et sa résolution ébauchée au cours d'une action Analyse de la Valeur (AV) puis, à la fin seulement, la conception de détail peut commencer. La compétitivité industrielle est à ce prix. Nous donnerons un aperçu des outils méthodologiques de l'AF et de l'AV dans le domaine de la conception de produits en l'appliquant à la conception d'un mousqueton d'escalade innovant.

1. Finalités de l'AF et de l'AV Tout individu est, à divers titre et à divers degré, acteur dans la société. Être acteur, tant sur le plan

individuel que professionnel, signifie qu'avec des moyens (matériel, budget, autres individus, délais) connus ou à déterminer, on doit être capable de décider d'actions pour satisfaire à un objectif (on dit aussi besoin). Cette notion d'action pilotée par les moyens et les objectifs est la définition même du projet telle qu'elle est donnée par l'AFITEP1 (Association Française de Management de Projet).

Avant que de se lancer tête baissée dans un projet individuel ou d'entreprise, il est primordial d'identifier clairement les différents objectifs et d'estimer leur importance relative en faisant adhérer tous les participants à ce projet. Cette explicitation des objectifs est d'autant plus importante que les projets sont importants et qu'ils impliquent des individus de culture et de formation différentes qui, sans cela, auraient une interprétation différente des objectifs. L'Analyse Fonctionnelle du besoin (AF) n'est, ni plus, ni moins, qu'un ensemble de techniques pour identifier les vrais besoins (et les quantifier), définir les vraies problématiques, saisir ce qui est réellement important à obtenir.

Par la suite, l'Analyse de la Valeur (AV) n'est, ni plus ni moins, qu'un ensemble de techniques pour affecter des moyens (se traduisant par des coûts) au projet qui soient en adéquation avec l'importance relative des différents besoins à satisfaire. Dans le cas d'une bonne adéquation des moyens avec les besoins, le projet se trouve optimisé.

Dans le domaine industriel, l'AF et l'AV permettent d'aller à l'essentiel, ou encore d'adopter le plus grand pragmatisme, de manière à obtenir la plus grande efficacité. Ce sont des méthodologies2 de résolution de problèmes industriels, c'est-à-dire qu'elles donnent des guides pour appréhender et agir dans la complexité. Un projet industriel vise à concevoir un produit, un procédé, un processus, un service ou une combinaison des quatre. Dans un premier temps, il s'agira d'observer l'état présent de la situation, c'est-à-dire d'où on part (voir Figure 1). S'il s'agit de la conception d'un produit (ce sera le cas dans la suite de cette présentation), l'état de la situation sera donné par la connaissance du marché (concurrents, produits et insatisfactions des clients vis-à-vis d'eux), de l'environnement (lois et normes en la matière, nouvelles

1 — « Un projet est un système complexe d'intervenants, de moyens et d'actions, constitué pour apporter une réponse à une demande élaborée pour satisfaire au besoin d'un maître d'ouvrage. Le projet implique : un objectif physique ou intellectuel, des actions à entreprendre avec des ressoures données » 2 — On entend par méthodologie un ensemble d'outils basés sur les mêmes paradigmes.

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technologies), ainsi que par l'entreprise (sa stratégie, ses ressources, son savoir-faire, sa disponibilité pour concevoir un nouveau produit). Dans un second temps, il faut savoir où aller, vers quoi tendre, quoi atteindre ; c'est le rôle de l'Analyse Fonctionnelle du Besoin (ou Analyse Fonctionnelle Externe : AFE) qui aboutit à l'établissement d'un Cahier des Charges Fonctionnel (CdCF), document contractuel exhaustif et explicite entre toutes les parties concernées. Dans une troisième étape, la démarche de conception doit être mise en œuvre, c'est-à-dire qu'on doit déterminer comment y aller, en tenant compte des moyens, des contraintes de temps et avec le constant souci des finalités visées. Ceci peut se faire par l'Analyse de la Valeur ou le Quality Function Deployment (QFD).

(1)Insatisfactions

(2)Objectifs

pertinente des moyens

temps

satisfaction

Marketing

Analyse FonctionnelleAnalyse de la Valeur

Quality Function Deployment

Figure 1 : Une bonne démarche de conception consiste à s'interroger sur : 1) d'où on part, 2) où on va, 3) comment on y va (extrait de [Teixido, 1995; Teixido et Dardy,1995] )

Dans cet article, nous nous proposons d'expliciter la démarche de l'Analyse de la Valeur, en ne mettant pas l'accent sur l'aspect organisation d'une action AV ni sur l'aspect travail en groupe, mais en développant plutôt les aspects outils méthodologiques relatifs à la conception de produits.

2. La démarche AV La norme AFNOR NF-X50-150 définit en ces termes l'Analyse de la Valeur : « L'analyse de la Valeur est une

méthode de compétitivité [des entreprises], organisée et créative, visant la satisfaction du besoin de l'utilisateur [client] par une démarche spécifique de conception [de produits, systèmes, services…], à la fois fonctionnelle, économique et pluridisciplinaire. C'est une méthode opérationnelle pour susciter et organiser l'innovation. Une méthode est un ensemble d'outils organisés entre eux suivant une certaine démarche ».

Cette définition dément l'idée généralement répandue que l'Analyse de la Valeur est une méthode de réduction de coûts. C'est faux. Il s'agit tout d'abord d'une méthode pour expliciter et répondre aux besoins du client (en terme de fonctions attendues du produit). Il s'agit ensuite de tout tenter pour que la part des coûts attribuée à une fonction, pour le produit réalisé, corresponde le mieux possible à l'importance des fonctions attendues. Par la suite, si la volonté de l'entreprise est de Concevoir à Coût Objectif (CCO), c'est-à-dire de fixer un plafond pour le prix de revient3 du produit4, l'AV préconisera une affectation judicieuse des crédits vis-à-vis de la satisfaction du client. Ainsi, il s'agit bien de maximiser la valeur d'un produit (la valeur étant le rapport de la satisfaction des fonctions sur les coûts) plutôt que de minimiser son coût. On peut résumer le but d'une action AV par la formule de la Figure 2.

Action AV ⇒ Maximiser Valeur =

Satisfaction des fonctionsCoûts engendrés

Figure 2 — But d'une action AV

3 — Le prix de revient est le coût unitaire du produit pour l'entreprise. Il inclut les coûts de développement, d'industrialisation et de fabrication. Il diffère du prix d'achat par la marge bénéficiaire de l'entreprise et des éventuels intermédiaires. 4 — Un exemple récent en est la Twingo.

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L'AV n'est pas simplement un ensemble d'outils méthodologiques, comme nous le verrons par la suite, elle préconise également une organisation sous forme d'un groupe de travail pluridisciplinaire et d'un séquencement dans le temps. Une action AV dans une entreprise peut durer typiquement entre 6 mois et 2 ans, le groupe de travail étant composé de 6 à 10 personnes. Ce groupe inclut, outre les personnes utiles à l'étude , les principales personnes devant contribuer à la réalisation du projet (donc du service de développement) et des représentants des services de marketing, qualité, achats, méthodes et fabrication. Il est également souvent judicieux d'inclure un utilisateur final du produit. Le groupe est piloté par un animateur ayant déjà mené des actions AV. Celui-ci tient informé un décideur de l'entreprise de l'état d'avancement du projet et il lui présente, à l'issue de l'étude, le bilan prévisionnel et les recommandations concernant le choix des solutions. Le groupe AV est donc fortement impliqué dans les premières phases de conception d'un produit (préconception), mais il continue par la suite à superviser la conception de détail.

Le plan de travail d'une action AV se décompose en 7 phases :

1) Orientation de l'étude

2) Recherche d'informations

3) Analyse fonctionnelle et analyse des coûts

4) Recherche de solutions

5) Étude et évaluation des solutions

6) Bilan prévisionnel et choix

7) Réalisation

Après que le décideur et l'animateur aient procédé à une orientation de l'étude (1) (objectifs globaux du projet/produit, dimensionnement des ressources et échelonnement dans le temps), le groupe effectue une recherche d'informations (2) autour du projet (lois, normes, concurrence, savoir-faire).

Arrive ensuite l'étape importante de l'analyse fonctionnelle du besoin et de l'analyse des coûts (3). Cette étape consiste à effectuer dans un premier temps une Analyse Fonctionnelle Externe (AFE)5, pour identifier les fonctions de service à assurer par le futur produit. Ces fonctions peuvent être hiérarchisées en un arbre fonctionnel. Cet arbre fonctionnel est valorisé de manière à estimer l'importance relative de ces fonctions de service. Enfin, chaque fonction doit être caractérisée par des critères d'appréciation (paramètres valués qui peuvent permettre de contrôler sur le produit que la fonction a bien été réalisée) pour lesquels il faut fixer le niveau de performance désiré. Selon que l'entreprise opère une reconception ou crée un produit innovant (voir Figure 3), on procède immédiatement ou pas à une Analyse Fonctionnelle Interne (AFI)6 de produits similaires existants en utilisant la connaissance de l'architecture des composants. On modélise alors les flux de fonctions de service à travers les composants du produit avec l'outil Bloc Diagramme Fonctionnel. Cela permet, après avoir estimé la part de réalisation d'une fonction par les différents composants traversés par le flux, et après avoir estimé le coût des composants, de déterminer pour une solution existante, d'une part, la part du coût imputable à la réalisation des fonctions de service, et d'autre part, le coût de chacune des fonctions. Nous verrons à cet effet l'outil Tableau d'Analyse Fonctionnelle. Cette analyse des coûts de fonctions de service est primordiale pour juger d'une bonne conception, c'est-à-dire une conception dont les coûts sont répartis proportionnellement à l'importance relative des fonctions (importance relative déterminée lors de l'AFE). L'AFI de produits similaires existants (voir Figure 3), que ce soit celle de ses propres produits ou celle des produits de la concurrence, est primordiale car elle permet de mettre le doigt sur les sources de gaspillage et d'identifier les points faibles de l'entreprise et les points forts de la concurrence. C'est donc un outil privilégié de benchmarking technologique.

Durant la recherche de solutions (4), des techniques de créativité sont utilisées pour trouver de nouvelles solutions techniques ou de nouveaux principes aux différentes fonctions de service qu'on désire (re)concevoir. Parmi ces techniques, citons les techniques de travail en groupe et l'outil de créativité FAST.

5 — On trouve aussi Analyse Fonctionnelle du Besoin (AFB). 6 — On trouve aussi Analyse Fonctionnelle Technique (AFT).

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La phase décisive d'étude et évaluation des solutions (5) va consister à envisager toutes les solutions alternatives et à en dégager les meilleures en comparant leurs valeurs à partir de la satisfaction pour chaque fonction et de l'importance relative des fonctions. On verra alors l'outil matrice d'évaluation de solutions.

Enfin, un bilan prévisionnel (6) est présenté au décideur, celui-ci effectue un choix de solution, puis une planification de la réalisation (7) du projet est effectuée.

analyse desproduitsexistants

produit nouveau

alternativesde conception

(autres solutions)

Analysefonctionnelle

EXTERNECdCF

AnalyseFonctionnelle

INTERNE

Analysedes

coûts

Dossierd'analyse

de lasolutioncourante

Phase 4 :Recherched'idées etde voies

de solution

Phase 5 :Étude et

évaluationdes

solutions

Figure 3 — La démarche AV. Tout projet débute par (1) Une orientation d l'étude, (2) Une recherche d'informations, (3) Une Analyse Fonctionnelle Externe. Par la suite, on procède à une Analyse Fonctionnelle Interne des produits similaires

existants ou on passe directement à la rédaction du CdCF.

3. Les outils méthodologiques de l'AF et de l'AV

3.1. La méthode des milieux extérieurs L'analyse fonctionnelle et l'analyse des coûts représentent incontestablement l'étape la plus importante

d'une action AV car cette définition des objectifs engage irrémédiablement toutes les actions futures. L'Analyse Fonctionnelle Externe (AFE) permet d'identifier et de caractériser les fonctions de service d'un produit, c'est-à-dire « les fonctions attendues d'un produit (ou réalisées par lui) pour répondre à des éléments du besoin d'un utilisateur donné », et les fonctions contraintes, c'est-à-dire les contraintes imposées par l'environnement (les lois, le normes, la stratégie d'entreprise notamment l'intégration de ce nouveau produit dans la gamme de produits, etc).

Pour la détermination des fonctions de service, nous préconisons l'utilisation de la « Méthode des Milieux Extérieurs » et des outils méthodologiques associés qui ont été popularisés par la société APTE. Ces outils nous sont apparus d'une extrême pertinence à l'usage, nous tenterons dans ce chapitre d'en montrer l'intérêt. Cette méthode est ancrée sur une vision systémique du produit à concevoir, considéré comme une « boîte noire » au centre d'autres systèmes/objets7 avec lesquels il est en rapport direct à un moment donné de son existence. L'approche part du principe qu'un système8 à concevoir (un produit) n'a pas d'intérêt en lui-même, il n'a d'intérêt (de finalité, on dira aussi de fonction) qu'en fonction des services qu'il rend aux milieux extérieurs. En réalité, un système (produit) est vu comme un moyen pour un milieu extérieur d'agir sur un autre milieu extérieur pour en modifier ses caractéristiques ; on parlera alors de fonction principale (FP). De manière secondaire, un système peut être perçu comme un modificateur d'un milieu extérieur ou plus comme devant s'adapter à un milieu extérieur contraignant pour fonctionner par ailleurs ; on parlera de fonction contrainte (FC)9.

7 — On parle de milieux extérieurs. 8 — On parlera plutôt du système pour ne pas avoir d'idée préconçue sur l'objet à concevoir. En effet, si on dit qu'on veut concevoir un aspirateur, on voudra concevoir quelquechose qui aspire, alors que sa vraie fonction est d'éliminer la poussière. 9 — Attention ici à la confusion entre la notion de fonction contrainte opposée à la notion de fonction de service et de fonction contrainte selon la terminologie de la société APTE. Même si dans la pratique on constate que les fonctions de service (répondant aus besoins des

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Nous présentons par la suite les différentes phases de la méthode des milieux extérieurs :

• l'expression et la validation du besoin fondamental par l'outil « bête à cornes »,

• la détermination du cycle de vie du produit,

• la détermination des milieux extérieurs,

• la détermination des fonctions de service par l'outil « Pieuvre »,

• la caractérisation des fonctions de service.

Nous présenterons également deux étapes qui n'existent pas dans la méthode APTE mais qui sont pratiquées dans l'industrie :

• la construction de l'arbre fonctionnel,

• la valorisation de l'arbre fonctionnel.

3.1.1. L'expression et la validation du besoin fondamental

Il faut dans un premier temps résumer ce que veut le client ou l'utilisateur du système à concevoir ; il s'agit du besoin fondamental. Traitons dorénavant de l'exemple de la conception d'un mousqueton d'escalade innovant. Il faut dans un premier temps définir en quelques mots caractéristiques le système sans préfigurer d'un type de solution. En l'occurrence, ici, on décide de ne pas remettre en question le système global de sécurité : mousqueton + corde + piton, mais de ne reconcevoir que le seul système mousqueton. L'outil bête à cornes (voir Figure 4) permet d'identifier les éléments extérieurs au système, le(s) bénéficiaire(s) du système, et le but du système. A la question « Dans quel but le mousqueton existe t-il ? », on serait tenté de répondre « pour stopper une chute de l'alpiniste », mais ce ne serait pas satisfaisant pour plusieurs raisons :

• d'une part, on ne désire pas récupérer l'alpiniste dans n'importe quel état au bout de la corde, on veut qu'il s'en sorte vivant.

• d'autre part, le mousqueton n'agit directement que sur la corde10 et le piton. Un paradigme de la méthode des milieux extérieurs est de ne considérer que les services que rend le système avec ses milieux extérieurs directs (au sens du contact physique ou informationnel : vue, pensée).

A qui rend t-ilservice ?

Sur quoi agit-il ?

Dans quel but ?

Corde

Montagne

Piton

Mousqueton

Alpiniste

Alpiniste

Compagnon

Contrôler lecoulissement

de la corde

Figure 4 — La bête à cornes du mousqueton

clients) sont souvent des fonctions principales, on n'a pas similitude entre fonction contrainte (contrainte provenant de l'environnement) et fonction contrainte APTE (n'ayant un rapport qu'avec un seul milieu extérieur). 10 — brin primaire du côté de l'alpiniste et brin secondaire du côté du compagnon qui l'assure

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C'est pourquoi le but global a été décliné en « Contrôler le coulissement de la corde en cas de dévissage », de manière, par l'intermédiaire de la corde à « contrôler la chute de l'alpiniste de manière optimale pour qu'il s'en sorte vivant ». La détermination de ce but global n'est pas trivial en soi et il engage fondamentalement l'optique de développement du produit par la suite. On constate qu'aucun constructeur de mousquetons au monde ne s'était posé la problématique en ces termes puisque :

• la seule norme internationale validant l'aspect sécuritaire d'un mousqueton est une norme « UIAA » obligeant les mousquetons à résister lors d'un essai de traction statique à 2200 daN,

• une étude à l'École Centrale Paris11 a abouti à un dépôt de brevet international sur un mousqueton à coulissement optimal.

Cette bête à cornes s'accompagne d'un contrôle de validité qui consiste à répondre à trois questions importantes :

• Pourquoi (P) le système mousqueton existe t-il ?

Réponse : parce qu'un alpiniste peut chuter (dévisser ou encore décrocher)

L'intérêt de cette question est de préciser les circonstances de l'intérêt du système mousqueton, l'étendue de la problématique.

• Dans quel but (DQB) ce besoin existe t-il ?

Réponse : pour contrôler la chute de l'alpiniste de manière optimale pour qu'il s'en sorte vivant

L'intérêt de cette question est de préciser dans quelle mesure on désire avec le système résoudre tout ou partie de la problématique posée précédemment12.

• Quelles sont les causes d'évolution ou de disparition de ce besoin (ED) ?

Réponse : le développement d'un nouveau système pour immobiliser l'alpiniste par rapport à la montagne.

Il est très important de répondre, autant que faire se peut, de manière exhaustive à cette question. En effet, une entreprise va au suicide si elle investit dans le développement d'un produit dont le besoin disparaîtra d'ici quelques années ou dont les fonctions de service qui coûtent le plus cher à mettre en œuvre disparaissent ou évoluent. Il faut donc envisager les évolutions des normes en la matière, des goûts du public s'il s'agit d'un produit de grande consommation13, et effectuer une veille technologique.

3.1.2. La détermination du cycle de vie du produit

La détermination du cycle de vie du système consiste à recenser toutes les phases dans lesquelles le système rendra service à d'autres milieux extérieurs ou sera contraint par eux. On pense tout de suite aux phases d'utilisation de ce système par les clients ou utilisateurs finaux, mais il ne faut pas oublier les phases de conception14, de fabrication15, de packaging, de transport16, de publicité, de vente, de destruction ou de recyclage.

11 — Cette étude a été menée par Éric VITTECOQ. 12 — Pour un système pâte dentifrice, à la question « Pourquoi : parce qu'un dépôt sur les dents peut les abimer », on peut répondre différemment à dans quel but, ce qui oriente totalement différemment la conception du système, par exemple : « DQB : pour éliminer le dépôt », ou « DQB : pour annihiler les effets du dépôt », ou bien même « DQB : pour éviter que le dépôt n'ait lieu ». 13 — Nous sommes ainsi convaincus à terme, que le produit magnétoscope est amené à disparaître, ainsi que les magasins de vidéos, car la fonction : « Regarder un film de son choix, chez soi » sera bientôt accessible par des services sur le câble en présentant moins de contraintes (déplacement). 14 — On pourra ainsi prendre en compte des fonctions contraintes de standardisation des pièces de l'entreprise. 15 — On pourra ainsi prendre en compte des fonctions contraintes de standardisation des processus de l'entreprise, de technologies maîtrisées et de machines à amortir. 16 — Un exemple classique : une voiture avec toit ouvrant a existé qui a eu un défaut de jeunesse, les toits ouvrants se volatilisaient à 200 km/h en marche arrière …!? En effet, la phase de transport par train n'avait pas été considérée.

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Il est possible de procéder par niveaux hiérarchiques de phases et sous-phases. Il convient d'identifier une phase ou une sous-phase dès lors que le système sera vis-à-vis des éléments extérieurs dans une situation topologiquement différente, au sens des contacts directs système/élément-extérieur ou des contacts visuels.

Dans le cas de notre mousqueton (voir Figure 5), nous nous sommes restreints, pour les phases d'utilisation, au cas le plus classique où un alpiniste escalade une falaise sur laquelle sont déjà disposés des pitons17 à intervalles réguliers18, son compagnon d'escalade étant au pied de la falaise pour l'assurer19. Il doit alors s'arrêter régulièrement pour mousquetonner. La première sous-phase du mousquetonnage consiste à se saisir d'un mousqueton ou, plus couramment, d'une dégaine20 à la ceinture. Les deux sous-phases suivantes du mousquetonnage sont l'accrochage d'un mousqueton au piton, puis le passage de la corde dans l'autre mousqueton ; le tout se faisant avec une seule main pour conserver trois appuis sur la falaise. Enfin, après la phase de mousquetonnage, l'alpiniste escalade la montagne (phase 2) jusqu'à ce qu'il décroche ou dévisse (phase 3, voir Figure 6), c'est-à-dire qu'il commence à chuter. L'alpiniste ne peut plus rien faire, c'est au compagnon de rattraper le plus de mou dans la corde en début de chute lorsque celle-ci n'est pas encore tendue, puis d'assurer un effort pour stopper la chute de l'alpiniste qui tentera de rejoindre la montagne le plus rapidement possible.

Phases ducycle de vie du

mousqueton

Mousquetonnage

Escalade

Dévissage

Divers(rangementtransport)

Prise d'unedégaine surle baudrier

Accrochageau piton

Introductionde la corde

Rattrapage demou par lecompagnon

Assurage parle compagnon

Retour del'alpiniste

sur lamontagne

3 m

Chute libre de 6 m

Distance de freinage d-frein

Hauteur minimale de chute h-mini

Brin secondaire

12 m

Brin primaire

Hauteur d'équilibre

statique

Distance de chute d-chute

Figure 5 — Le cycle de vie du mousqueton restreint aux Figure 6 — La phase de dévissage et son cadre de test phases d'utilisation dynamique défini par le groupe AV

3.1.3. La détermination des milieux extérieurs et des fonctions de service par l'outil Pieuvre

17 — Un piton est une pointe ou un système auto-coinçant qui se met dans une faille ; il présente une boucle sur laquelle se fixe un mousqueton. 18 — Cela ne change rien s'il les place lui-même. 19 — Assurer, c'est parer la chute en « retenant » la corde. 20 — Une dégaine est un ensemble de deux mousquetons reliés par une sangle d'environ 10 cm. Les deux mousquetons se différencient parfois au niveau du doigt : doigt droit au niveau du piton, doigt courbe au niveau de la corde.

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Pour chaque phase du cycle de vie du produit, on détermine les milieux extérieurs au système et on identifie les fonctions de service du système par les relations qu'il entretient avec eux. La méthode de la société APTE utilise un outil graphique appelé « la Pieuvre ». Pour une phase donnée, les milieux extérieurs sont représentés graphiquement autour du système. Il faut ensuite identifier des :

• fonctions PRINCIPALES : ce sont des fonctions qui relient un milieu extérieur #1 à un milieu extérieur #2, en passant par le système, comme FP32 sur la Figure 7.

• fonctions CONTRAINTES : ce sont des fonctions qui relient directement le système à un milieu extérieur, comme FC31 sur la Figure 7.

Chaque fonction s'exprime par un verbe à l'infinitif qui référence le ou les milieux extérieurs. De plus, chaque fonction fait également l'objet d'un contrôle de validité :

• Pourquoi la fonction existe t-elle ? parce que…

• Dans quel but la fonction existe t-elle ? pour…

• Causes d'évolution ou de disparition : …

Ces contrôles de validité doivent être établis avec le plus grand soin car ils serviront dans les phases de détermination de l'arbre fonctionnel et de caractérisation des fonctions de service. Les causes d'évolution ou de disparition permettent de ne pas trop investir dans une fonction rapidement obsolète ou de concevoir le produit de telle manière que la fonction soit facilement évoluable (en intégrant déjà les circuits de la nouvelle fonction ou en permettant le remplacement d'une pièce).

Les fonctions elles-mêmes ne sont pas simples à trouver et à exprimer. Pour savoir quels éléments extérieurs relier pour une fonction de service, il faut imaginer que les traits qui, sur la Pieuvre, représentent les fonctions principales et contraintes, traduisent en réalité des flux d'efforts (il y a alors contact(s) direct(s) entre le système et le(s) milieu(x) extérieur(s)) ou des flux d'information (le contact est visuel).

En règle générale, cette phase fait l'objet de débats animés au sein du groupe de travail. Nous illustrons en Figure 7 l'étude de la phase de dévissage.

FP32

FC31

FP34FP31FP33

Mousqueton

CordePiton

Montagne

Alpiniste

FP31 : Contrôler le coulissement de la cordeP : parce que • il faut stopper rapidement la chute

• il ne faut pas faire subir le coup du lapin à l'alpiniste• il ne faut pas que le compagnon qui assure décolle

DQB : pour que l'alpiniste survive en cas de chuteFP32 : Résister à l'effort transmis de la corde au piton

P : parce que l'alpiniste doit retrouver l'immobilité par rapport à lamontagne

DQB : pour stopper la chuteFP33 : Permettre à la corde de coulisser sans frotter lors durattrapage de mou par le compagnon

P : parce que l'alpiniste rattrape plus de mou s'il n'y a pas de frottementDQB : pour limiter la hauteur de chute

FP34 : Ne pas exercer un effort trop important dans le brinprimaire

P : parce qu'il ne faut pas que le compagnon qui assure décolle ou soit blesséDQB : pour permettre au compagnon d'assurer son rôle

FC31 : Assurer les fonctions de séccurité précédentes dans lespires conditions de montagne

P : parce qu'un mousqueton doit être sûr en toutes circonstancesDQB : pour la chute puisse être stoppée

Compagnon

FP31

Figue 7 : La Pieuvre pour le mousqueton dans l'étape de dévissage. Détermination des fonctions principales (FP), des fonctions contraintes (FC) et leur validation : Pourquoi (P), Dans quel but (DQB), causes d'Évolution ou de

Disparition (ED). La corde peut être décomposée en deux milieux extérieurs : les brins primaire et secondaire.

3.1.4. L'arbre fonctionnel

La représentation des fonctions de service sous la forme d'un arbre fonctionnel est très employée dans l'industrie. L'arbre fonctionnel consiste à obtenir une représentation hiérarchique des fonctions de service et,

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de ce fait, permet d'avoir une vision claire et structurée des fonctions. Les feuilles de cet arbre sont toutes des fonctions de service, les autres nœuds intermédiaires sont de nouvelles fonctions de service plus générales (exemples : Stopper la chute, Gérer le matériel, Susciter l'achat du mousqueton). En fait, construire cet arbre est un jeu d'enfant, il suffit de se servir du champs Dans Quel But des fonctions. Ce champ contient, s'il a été renseigné consciencieusement, l'intitulé de la fonction mère qui représente en fait le but. A l'inverse, une fonction fille représente un moyen pour réaliser cette fonction mère.

30%

5%

5%

80%

20%

100%

15%

8%

15%

40%

50%

40%

50%

50%

100%

20%

2%

5%

70%

50%

50%

25%

5%

5%

5%

20% 100%

35%

Prévenir une chute

Stopper la chute

Ne pas nuire auplaisir et réaliser

une bonneperformance

FP21 :Contraindre la

corde à passer auniveau du piton

5%

FP22 : Permettreà la corde de

coulisser sansfrotter en phase

d'escalade

6,4%FC21 : Avoir un

mousqueton léger

1,6%

Ne pas provoquerde chute

FP11 : Accrocheravec une seule

main lemousqueton au

piton 5,25%

FP 12 : Introduireavec une seule

main la corde dansle mousqueton

5,25%

FP13 : Contrôlervisuellement

l'accrochage dumousqueton au

piton 1%

FC11 : Accrocherle mousqueton au

piton 1%

FC13 : Introduirela corde dans le

mousqueton 1%

FC1 5 : Présenterune grande

ergonomie dans lamanipulation

FC16, FC17 :Mousquetonner

rapidement

4,5%

FONCTIONS dumousqueton

FP31 : Contrôlerle coulissement de

la corde 20%

FP32 : Assurer laprise en charge de

l'alpiniste par lepiton par

l'intermédiaire du

mousqueton 5%

FC31 : Résisteraux conditions de

la montagne(température,

corrosion) 3%

Survivre pourl'alpiniste en cas

de chute

Gérer le matériel

FC41 : Permettreune identification

rapide del'appartenance

2%

FC42 : Etreesthétique

10%

FC43, FC44 :Donner

l'impression de

sécurité 10%

Susciter l'achat dumousqueton

FC12 : Empêcherle mousqueton de

se désolidariser du

piton 1%

FC14 : Empêcherla corde de sortir

du mousqueton

1%FP33 : Permettre

à la corde decoulisser sansfrotter lors du

rattrapage de mou

10%

Limiter la hauteurde chute

FP34 : Permettreau compagnon

d'assurer un effortsuffisant sur la

corde 7%

Figure 8 — L'arbre fonctionnel valorisé du mousqueton

9/18

On arrive ainsi à une vision claire des choses (voir Figure 8), ainsi à la question : « Comment survivre pour l'alpiniste en cas de chute ? », on peut répondre :

• en stoppant la chute,

• en contrôlant le coulissement de la corde,

• en limitant la hauteur de chute.

La valorisation d'un arbre fonctionnel consiste, à chaque nœud de l'arbre, à répartir 100% d'importance relative entre les fonctions filles du niveau inférieur. Cette évaluation locale d'importance se fait rapidement pour un individu donné. Le but ultime est de déterminer l'importance relative des fonctions de service terminales ou feuilles par multiplication des pourcentages de tous ses ancêtres (voir Figure 8). Le problème est qu'il s'avère que la valuation d'un arbre est très dépendante des sensibilités et des cultures propres. Ainsi, cette valorisation fait l'objet d'une âpre discussion en séance de groupe et plusieurs méthodes sont utilisées pour atteindre une certaine synergie, citons le brainwriting et le tri croisé (voir [Adam, 1985; Delafollie, 1991; Jaoui, 1994] ).

3.1.5. La caractérisation des fonctions

Toute fonction identifiée doit maintenant être caractérisée qualitativement et quantitativement au niveau des paramètres permettant de juger de l'accomplissement de cette fonction. Il faut donc pour chaque fonction :

• lister les critères d'appréciation21 (les paramètres pertinents dont on parle),

• définir le niveau objectif de ces critères,

• définir la flexibilité de ces niveaux (limites d'acceptation, taux d'échange, classes de flexibilité).

Lorsque le demandeur spécifie son besoin en terme de fonctions à réaliser, aucune solution n’est a priori retenue (la solution est représentée par une boite noire). Le demandeur perçoit la réalisation d’une fonction à travers l’action d’une solution (boite noire) sur les éléments de son milieu extérieur dans une phase de son cycle de vie. Pour apprécier la réalisation de cette fonction, il faut donc mesurer l'impact de cette action sur les caractéristiques des éléments du milieu extérieur directement en relation au travers des fonctions. Il n'est pas simple de suivre cette démarche.

Par exemple, une fonction principale d’un « moyen d’éclairage » portatif et directionnel (type lampe de poche) est « d’éclairer suffisamment un objet ». Il n’est pas correct d’adopter la puissance de la lampe de poche comme critère d’appréciation car d’une part, il concerne beaucoup plus une propriété interne (puissance consommée par les piles). Il serait plus judicieux de parler de la puissance du faisceau lumineux en sortie de la boite noire. Cela ne caractériserait pas encore parfaitement notre besoin car la faculté d’éclairage n’est pas due à la simple puissance du faisceau, mais aussi au type de lumière et à l’émittence des objets éclairés. La fonction n’est donc pas réellement ici d’éclairer un objet mais de permettre de le distinguer dans l’obscurité. Cela traduit bien l’importance de la sémantique dans la formulation de la fonction de service. Un bon critère d’appréciation caractérise donc la modification des milieux extérieurs, en l’occurrence des objets éclairés, indépendamment de toute solution particulière. Il s’agirait donc de mesurer le niveau d’éclairement des surfaces d’objets qu’on désire distinguer. La définition d'un cadre de test pour les prototypes de solution serait donc judicieuse.

De la même manière, pour le dimensionnement d’un coffre de voiture, il n’est pas correct d’avoir pour critère le volume de ce coffre, tant il est vrai qu’à volumes de coffres équivalents, certains coffres permettent de stocker des bagages encombrants et d’autres peu. Ainsi, il est plus pertinent de considérer le volume transporté d’un ensemble représentatif de bagages en accord avec le segment de marché et la phase du cycle de vie (exemple : trois valises lors d’un départ en vacances ou deux vélos d’enfants).

21 — Par définition, les critères d’appréciation d’une fonction de service sont « les caractères retenus pour apprécier la manière dont une fonction est remplie ou une contrainte respectée » (norme NF X 50-150).

10/18

Le champs Pourquoi du contrôle de validité est une aide pour trouver ces critères d'appréciation. L'exemple de la fonction FP31 : « Contrôler le coulissement de la corde » est particulièrement frappant, son champs pourquoi donne : parce que… :

• (a) il faut stopper rapidement la chute,

• (b) il ne faut pas que l'alpiniste subisse le coup du lapin,

• (c) il ne faut pas que le compagnon qui assure décolle.

Suivant la méthode des milieux extérieurs, les critères de la fonction FP31 sont donc définis dans le cadre d'une procédure de test dynamique. Celle-ci n'étant préconisée dans aucune norme, elle est définie au sein de la fonction (chute d'un homme de 80 kg à la verticale, chute libre de 6 m, brin secondaire libre de 12 m, une corde standard, voir Figure 6). Dans ce cadre, les critères d'appréciation respectifs de FP31 sont :

• pour (a), la distance de freinage : d-frein

• pour (b), l'effort maximal dans le brin primaire au cours de la chute : Fp-max,

• pour (c), l'effort maximal dans le brin secondaire au cours de la chute : Fs-max.

De la même manière, le critère d'appréciation de la fonction FP32 : « Assurer la prise en charge de l'alpiniste par le piton », est l'effort maximal de traction dans le mousqueton au cours de la chute, qui est aussi l'effort transmis dans le piton, et que nous noterons Fm-max.

Il faut ensuite donner un niveau objectif, quantitatif ou qualitatif à ces critères. Ici, aucun niveau objectif ne peut être imposé a priori de manière indépendante, si ce n'est qu'on désire globalement pour le mousqueton aller dans le sens de plus de sécurité et donc de moins d'accidents mortels. Il faut donc avoir d-frein minimal pour éviter au maximum de percuter la montagne, avoir Fs-max minimal pour éviter de surprendre la personne qui assure, avoir Fm-max minimal pur éviter le descellement du piton et avoir Fp-max minimal pour éviter le coup du lapin.

Les valeurs de ces critères doivent tout de même être bornées, il faut donc éventuellement définir des limites d'acceptation, comme : Fs-max < 40 daN, Fp-max < 100 daN, d-frein < 6 m.

Par la suite, comment juger qu'un mousqueton est meilleur qu'un autre au niveau des performances atteintes par ces critères et au sens du nombre de morts, chiffre qu'il sera bien entendu impossible d'obtenir pour un mousqueton donné ? Pour cela, nous préconisons une démarche pragmatique, tout à fait dans l'optique de la méthode des milieux extérieurs. Dans un premier temps, le groupe de travail AV demandera à s'enquérir (par une enquête du service marketing, des essais du service essais ou des simulations informatiques du bureau d'études de l'entreprise) des performances atteintes au niveau de ces critères pour un jeu représentatif de mousquetons du commerce. On définit ainsi un point de fonctionnement pour les mousquetons du commerce. Dans un second temps, il faudra se renseigner (au niveau de la Fédération Française d'Alpinisme par exemple) sur le nombre d'accidents mortels dus à des dépassements excessifs de ces critères (voir Figure 9). L'amélioration simultanée de ces critères est clairement contradictoire (la diminution de Fp-max entraîne l'augmentation de d-frein). En faisant l'hypothèse d'une évolution linéaire du nombre de morts par rapport à une variation (dans le bon sens) des performances des critères, à partir du point de fonctionnement défini, les pourcentages d'accidents mortels données en Figure 9 définissent également l'importance relative à accorder aux variations des critères d'une solution par rapport aux mousquetons du commerce. Ainsi, une moyenne pondérée des écarts de la solution par rapport aux mousquetons du commerce par cette importance relative donnera accès à une amélioration globale au sens des accidents mortels. Cette importance relative s'appelle un taux d'échange22. Il est important d'en définir le plus possible au sein d'un Cahier des Charges pour relaxer au plus les contraintes et atteindre ainsi un meilleur optimum global.

22 — Cette conception du taux d'échange avec plus de deux critères est en fait une proposition de l'auteur puisque la norme dit : « Le taux d'échange est le rapport déclaré acceptable par le demandeur entre la variation de prix et la variation correspondante du niveau d'un critère d'appréciation, ou entre les variations de deux critères d'appréciation ».

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Critère Type d'accident mortel % d'accident d-frein Percute la montagne en cours de chute 30% Fs-max Surprise de la personne qui assure 25% Fm-max Descellement du piton 25% Fp-max Coup du lapin 20%

Figure 9 — Statistiques d'accidents mortels en alpinisme et les critères d'appréciation correspondants

Enfin, des indications de classes de flexibilité qualitatives sur un critère23 permettent de spécifier le degré de remise en question future de cet aspect du CdCF si la conception courante aboutit à un échec (dépassement du coût objectif par exemple).

3.2. Un outil pour susciter la créativité : FAST L'AFI (interne) met en évidence les fonctions techniques24 d'une solution, fonctions techniques répondant

aux fonctions de service établies par l'AFE (externe). Le passage d'un arbre fonctionnel à une structure physique met en œuvre la créativité du groupe de travail AV au niveau de l'étape (4) du plan de travail d'une action AV : Recherche de solutions. Cette créativité est facilité et suscitée par l'utilisation du diagramme FAST25 qui permet de visualiser progressivement et de manière explicite les liens de buts à moyens entre fonctions. En fait, un diagramme FAST permet d'établir le lien entre le besoin fondamental et l'architecture d'un produit, en passant par les fonctions de service, extérieures au produit, et les fonctions techniques, intérieures au produit.

On part d'une fonction de service26 (en l'occurrence FP31 sur le FAST de la Figure 11) et on « étend » le graphe récursivement dans les 4 directions (voir Figure 10) :

• On s'étend vers la gauche en se posant la question Dans quel but ? et on établit la réponse en répondant pour… La fonction à gauche représente le but de la fonction centrale.

• On s'étend à droite en se posant la question Comment ? et on établit la réponse en répondant : en… La fonction à droite représente un moyen de la fonction centrale.

• On étend la fonction centrale en haut et en bas en se posant la question Quand ? ou Tout en faisant quoi ? et on établit la réponse en répondant si, simultanément… Ces fonctions au même niveau que la fonction centrale traduisent la simultanéité nécessaire de fonctions pour que « ça marche ». Le lien de simultanéité n'est pas simple à détecter, on peut dire qu'il apparaît dès lors que des fonctions qui présentent un évident rapport ne sont ni le but, ni le moyen l'une de l'autre.

Comment ?

Quand ?

Quand ?

Dans quel but ?

Fonction deservice ou

fonctiontechnique

si,simultanément…

en… pour…

si,simultanément…

Figure 10 — Le principe d'extension d'un diagramme FAST

23 — impératif (classe F0), peu négociable (F1), négociable (F2), très négociable (F3) 24 — « Une fonction technique est une fonction interne au produit (entre ses constituants), choisie par le concepteur-réalisateur, dans le cadre d'une solution, pour assurer des fonctions de service » 25 — Function Analysis System Technique 26 — On peut effectuer autant de diagrammes FAST qu'on a de fonction de service.

12/18

Con

trôle

r la

chut

e

Ne

pas

avoi

r

de fo

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ratio

n

S'en

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viva

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Avoi

r un

frotte

men

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Figure 11 — Le FAST du mousqueton pour la fonction « Contrôler le coulissement de la corde »

13/18

Un diagramme FAST fait clairement apparaître la frontière du système à gauche de laquelle on retrouve des fonctions de service externes au système (en fait, une partie de l'arbre fonctionnel), à droite des fonctions techniques particulières issues de choix de conception, et à l'extrême droite les pièces d'une décomposition structurelle du produit27. Le FAST est un outil de conception raisonnée puisqu'en cours de conception, lorsqu'on construit le FAST vers la droite, on se pose à tout moment la question de la réalisation physique d'une fonction technique. Le FAST suscite donc la remise en question de principes techniques ou physiques. Dans le cas du mousqueton, on a pu montrer logiquement qu'il fallait trouver de nouveaux principes pour gérer des compromis (voir Figure 12) :

• il doit y avoir un certain frottement de la corde sur le mousqueton en phase de dévissage,

• alors qu'il faut du frottement en phase de dévissage, il n'en faut pas en phase d'escalade et de rattrapage de mou (en début de dévissage).

En partant de ces deux problématiques découvertes par le FAST, on peut mettre en œuvre des techniques de créativité pour trouver des solutions techniques innovantes. Une technique comme la carte mentale (voir [Adam, 1985; Delafollie, 1991; Jaoui, 1994] ) peut être utilisée pour trouver des solutions comme le coincement de la corde dans un V et la bague surmoulée escamotable sous effort (voir Figure 12).

bague surmoulée

En phase d'escalade et rattrapage de mou :

une

ressort

pousse-ressort

corps

axe

doigt

A

A

A-A

En phase d'escalade et derattrapage de mou :Pas de frottement !

Compromis : un certain frottement !

ADOPTION CREATIVITE

FAST

Figure 12 — Malgré l'adoption d'une architecture classique de mousqueton (à gauche), le groupe de travail AV peut innover en utilisant le FAST pour susciter les points d'innovation et en utilisant des techniques de créativité (comme la

carte mentale) pour trouver de nouveaux principes techniques.

3.3. La matrice d'évaluation des solutions A l'issue de l'étape (4) Recherche de solutions du plan de travail d'une action AV, on a abouti à un jeu

d'alternatives techniques pour des fonctions de service, alternatives qu'on dénommera sous-solutions. Une solution de produit est donc une combinaison cohérente de sous-solutions. Le nombre de telles combinaisons est très important. Il faut donc procéder en plusieurs étapes. Dans un premier temps, il faut éliminer les sous-solutions les plus farfelues. Dans un second temps, il faut énumérer, par intuition, un petit nombre de solutions les plus homogènes en terme de combinaison de sous-solutions. La méthode QFD offre ici un cadre bien plus rigoureux avec la maison de la qualité pour estimer les incompatibilités de sous-solutions. Dans un troisième temps, on utilise une matrice d'évaluation des solutions pour comparer globalement la satisfaction afférente aux diverses solutions (voir Figure 13). Pour chaque solution, on estime la satisfaction dans l'accomplissement de chaque fonction, on tient compte dans cette estimation de la corrélation avec les autres sous-solutions structurelles. En multipliant ces satisfactions de fonction avec la valorisation de la fonction, on aboutit à un indice de satisfaction globale. Il faut toutefois se méfier de cette méthode qui présuppose une linéarité de la satisfaction globale par rapport aux satisfactions partielles

27 — Il est à noter que les FAST peuvent gérer dans une certaine mesure les disjonctions, c'est-à-dire les alternatives de conception.

14/18

que sont le respect des fonctions28. A l'issue de cette étape, on opère un filtre sur les solutions pour n'en conserver qu'une ou quelques unes. La matrice d'évaluation des solutions est donc un outil pour vérifier l'adéquation technique d'une solution avec son besoin, elle est utilisée dans l'étape (5) de la démarche AV : Étude et évaluation des solutions.

56789

101112131415161718

B C D E F G H I JImport. Satisf. Satisf.% MOYENS ST 1er tri SOLUTION 1 % SOLUTION 2 % …

Fonction 1 Sous-sol 1 Sous-sol 1 Sous-sol 1 8030 Sous-sol 2

Sous-sol 3 Sous-sol 3 Sous-sol 3 70Fonction 2 Sous-sol 1

Sous-sol 2 Sous-sol 2 Sous-sol 2 8525 Sous-sol 3

Sous-sol 4 Sous-sol 4 Sous-sol 4 70Fonction 3 Sous-sol 1

30 Sous-sol 2 Sous-sol 2 Sous-sol 2 85 Sous-sol 2 60Sous-sol 3

Fonction 4 15 Sous-sol 1 Sous-sol 1 Sous-sol 1 65 Sous-sol 1 75V1 V2

Figure 13 : La matrice d'évaluation de deux solutions de produits au vu de la satisfaction estimée et de la valorisation des fonctions

3.4. Le Bloc Diagramme Fonctionnel Même si une solution présente une bonne adéquation technique avec son besoin, rien ne dit qu'elle soit

optimisée en terme de coûts. De manière à voir si on ne peut pas faire aussi bien à moindre coûts, on utilisera deux outils pour vérifier cette adéquation technico-économique :

• le Bloc Diagramme Fonctionnel (BDF),

• le Tableau d'Analyse Fonctionnelle (TAF).

Le BDF et le TAF sont considérés comme des outils d'AFI et sont utilisés dans l'étape (5) de la démarche AV : Étude et évaluation des solutions.

Corde

Montagne

Piton

Alpiniste

Compagnon

Corps

Doigt

Ressort

Pousse-ressort

Axe dudoigt

Baguesurmoulée

OeilMain

FP32

FP31

FC31

CFC31

CFC31 : Assemblage bague sortie du corps, simplement retenue par un anneau

FP33

FP34

28 — Une solution globalement la meilleure peut être rejetée si une fonction mineure mais indispensable n'est pratiquement pas satisfaite.

15/18

Figure 14 : Le BDF du mousqueton pour la phase de dévissage et pour la solution de la Figure 12

Le Bloc Diagramme Fonctionnel (BDF) consiste à représenter, pour chaque phase du cycle de vie du système, et pour chaque solution à étudier, les flux fonctionnels des fonctions externes au travers des composants de la solution (voir Figure 14). On veut être capable de comprendre l'importance d'un composant dans la réalisation d'une fonction. De manière à savoir par où transitent ces flux fonctionnels, ce qui n'est pas toujours évident, on peut s'aider des diagrammes FAST qui montrent le lien entre une fonction externe et les composants impliqués. On peut aussi imaginer comment transitent les efforts et les informations. On constate l'existence de Chaînes Fonctionnelles de Conception (CFC) qui ne correspondent à aucune fonction externe mais s'avèrent indispensables au fonctionnement de la solution ; on trouve par exemple dans la Figure 14 une CFC d'effort (CFC31) traduisant le rivetage de l'axe du doigt sur le corps, rivetage indispensable au maintien de la fonction de l'axe. Le BDF nous semble un outil indispensable à intégrer dans les modeleurs de Conception Assistés par Ordinateur pour aborder les problèmes de tolérancement fonctionnel, de statique et d'analyse des coûts.

3.5. Le Tableau d'Analyse Fonctionnelle Après l'établissement des BDF, on établit un TAF (voir Figure 15). On représente en vertical tout ce qui

génère des coûts, c'est-à-dire les surfaces fonctionnelles, le corps des composants (sous l'appellation transfert flux) et des coûts à imputer au système entier comme les coûts d'étude, d'assemblage, d'emballage. On représente en horizontal les fonctions externes et les chaînes fonctionnelles de conception. Chaque flux fonctionnel passe par des surfaces fonctionnelles et au travers des composants (transfert flux), on représente ces participations en faisant des croix dans les cases appropriées du TAF. Ces cases cochées sont les fonctions techniques de la solution.

On peut alors procéder à une analyse formelle de l'adéquation entre la structure et les fonctions externes, le TAF étant le support de réflexion. On peut tenter d'éliminer ou de faire diminuer le nombre de composants n'entrant en jeu que dans les CFC. On peut tenter de repérer s'il existe des composants qui interviennent toujours ensembles dans des fonctions externes pour « factoriser ces composants » en un seul. A l'inverse, on désire parfois (aérospatiale, nucléaire) doubler, voire tripler, des flux fonctionnels au travers de composants distincts.

En estimant tous les coûts élémentaires d'après le savoir-faire de l'entreprise, on a accès :

• au coût des pièces et au coût réel (CR, c'est-à-dire total). Si le coût réel dépasse le coût objectif (CO), la conception est à revoir.

Puis, en estimant la répartition d'importance d'un coût élémentaire entre ses fonctions techniques correspondantes29, on a accès :

• au coût de chaque fonction externe. La détermination du coût des fonctions externes est primordiale pour juger d'une « bonne conception » au sens de l'AV. En effet, il est postulé en AV, que la valeur maximale d'un produit nécessite de répartir les coûts proportionnellement à l'importance des fonctions de service. Dans le cas contraire, le TAF est utilisé pour mettre le doigt sur des points de reconception. Pour une fonction trop chère, on détermine sur quels composants jouer en priorité. Le coût d'une fonction est également primordial dans le domaine du benchmarking technologique pour se positionner par rapport à un concurrent30.

• au coût juste nécessaire (CJN), qui est la somme des coûts des fonctions externes, et au coût inutile qui est la somme des coûts des CFC.

• aux rendements de conception :

29 — Cette répartition reste très intuitive. 30 — Un constructeur automobile est capable de dire, par exemple, qu'il sait « chauffer l'habitacle d'une voiture » pour 43 F alors que son concurrent ne sait faire que pour 52 F.

16/18

• le rapport RC1=CJN/CR. En règle générale, si RC1<0,4 on pourra dire qu'il y a beaucoup trop de gaspillage et que la conception est de type « usine à gaz ».

• le rapport RC2=CJN/CO. Si RC2 > 0,7 on juge généralement que la conception est trop difficile et qu'il faut réviser à la baisse le coût objectif ou revoir la conception. Si RC2 < 0,4 c'est qu'on a été trop peu ambitieux dans la chiffrage du coût objectif.

Ces rendements de conception sont des indicateurs utiles avant que d'entamer la conception de détail. Avec un peu d'expérience, une entreprise apprendra peu à peu les limites critiques de ces rendements pour un type de produit.

Si la connaissance des coûts élémentaires s'avère trop fastidieuse à mettre en œuvre, on peut toujours utiliser une version allégée du TAF qui consiste à estimer directement le coût des composants.

Ac

crocher piton 1 main

Introduire corde 1 main

Contrôler accrochage vis.

Corde passer par piton

Coulisser en escalade

Contrôler décélération

Prise en charge alpiniste

Rattraper mou déviss.

Assurer pour compagnon

Accrocher piton

Empêcher quitter piton

Introduire corde

Empêcher corde sortir

Ergonomie

Mousq. rapid. corde

Mousq. rapid. piton

Mousqueton léger

Résister conditions

Identification

Esthétique

Impression sécurité oeil

Impression sécurité main

Assembl. baque clip

Assembl. bague anneau

Assembl. doigt-corps

Transmission efforts

FONCTIONS PRINCIPALES Fonctions CONTRAINTES Fct de CONC.

Poids 5 5 1 5 6 20 5 10 7 1 1 1 1 0 2 2 2 3 2 10 5 5

N° 11 12 13 21 22 31 32 33 34 11 12 13 14 15 16 17 21 31 41 42 43 44 11 31 41 42

CORPS CTI axe x x x x x x x x x x x

CTI doigt guide x

CTI doigt butée x x x

CTI pou.ress. x x x

CTI ressort

CTI bague clip x x x x

CTI bague anneau x

CTE corde x x x

CTE piton x x x x x x x

CTE main x x

CTE oeil x

CTE air-mont.

Transfert FLUX x x x x x x x x

DOIGT CTI axe x x x x x x x x x x x

CTI pou.ress.

CTI ressort x x x

CTE corde x x x

CTE main x

CTE oeil

CTE air-mont.

Transfert FLUX x x x x x x x

AXE CTE air-mont.

Transfert FLUX x x x x

BAGUE CTE corde x x x x

CTE oeil

CTE air-mont.

Transfert FLUX x x x x x

POUSSE CTI ressort x x x

RESSORT CTE air-mont.

Transfert FLUX x x x

RESSORT CTE air-mont.

Transfert FLUX x x x

Figure 15 — Le TAF correspondant au BDF de la Figure 14 pour la solution de la Figure 12

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4. Conclusion Descartes disait que « le bon sens est la chose la mieux partagée au monde ». Idée ô combien pernicieuse car

elle s'est ancrée dans la pensée de l'ingénieur qui s'imagine qu'il manie, de manière innée, la science des objectifs. Celle-ci présente plus d'un os, elle est très conceptuelle. La conception elle-même est très conceptuelle (puisque les deux mots ont la même racine) et pourtant elle engage irrémédiablement les moyens et l'avenir d'une entreprise. L'hyper-compétitivité mondiale exige donc que les entreprises européennes et françaises s'approprient, plus que jamais, les outils méthodologiques que sont l'AF et l'AV. Cette dernière décennie a vu l'Éducation Nationale sensibiliser à grande échelle les jeunes générations (AF enseignée au Collège, AV enseignée au lycée, en BTS et IUT). Malgré cela, un effort important reste à faire dans les formations d'Enseignement Supérieur où cet enseignement, pourtant trans-disciplinaire, est trop souvent optionnel. Malgré une grande sensibilité des jeunes ingénieurs, on constate le même phénomène dans les entreprises : pour des raisons officielles de priorités conjoncturelles (économies, respectivement, matières techniques jugées plus importantes en Enseignement Supérieur), on a tendance à restreindre à sa plus stricte expression (le CdCF, et encore !) les pré-études. Il y a là une dérive à surveiller.

Nous avons présenté, dans cet article, des outils méthodologiques qui nous paraissent importants en explicitant les intérêts et les pièges conceptuels plutôt que de donner des recettes de cuisine. Nous avons insisté sur la Méthode des Milieux Extérieurs et les outils d'Analyse Fonctionnelle Interne que sont le diagramme FAST (support de créativité), le Bloc Diagramme Fonctionnel et le Tableau d'Analyse Fonctionnelle.

S'il fallait ne retenir qu'une phrase des approches AF et AV, ce serait « penser fonctions avant que de penser solutions ». C'est le garant de l'innovation, de la rentabilité et même de la rapidité.

5. Références Citons tout d'abord la revue « La Valeur (des produits, procédés et services) », revue trimestrielle de

l'AFAV31 (Association Française pour l'Analyse de la Valeur - Tour Europe - Cédex 07 - 92049 Paris La Défense). Adam B. — Mener une étude AV, Ed. (1985). AFAV — L'Analyse de la Valeur, Ed. Ministère de la ccopération, (1994). AFAV — Qualité en conception - Rencontre besoin, produit, ressources, Ed. AFNOR, (1996). Bellut S. — La compétitivité par la maitrise des couts CCO et analyse de la valeur, Ed. AFNOR/Gestion,

(1990). Delafollie G. — Analyse de la Valeur, Ed. Hachette Technique, (1991). Rak I., Teixido C., Favier J., Cazenaud M. — La démarche de projet industriel, Approches systèmes, Ed.

Foucher, (1990). Tassirani — L'analyse fonctionnelle, Ed. AFNOR, (1995). Teixido C. — Numéro spécial "Analyse de la Valeur", Revue Technologie, v. 74, (1995). Teixido C., Dardy — La compétitivité industrielle, Tome 1 : Démarche de conception, Collection "Plein

pot", Ed. Foucher, (1995). Teixido C., Dardy — La compétitivité industrielle, Tome 2 : Démarche de fabrication, Collection "Plein

pot", Ed. Foucher, (1996). Teixido C., Rak — Dictionnaire de technologie industrielle, Ed. Foucher, (1997).

31 — L'auteur est membre de la Commission Enseignement Supérieur de l'AFAV.

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