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L’interface Images en Dermatologie • Vol. VIII • n o 1 • janvier-février 2015 8 Cas clinique Allergie à la paraphénylènediamine (PPD) : différents tableaux cliniques Paraphenylenediamine allergy E. Amsler (service de dermatologie et allergologie, hôpital Tenon, Paris) L es colorations capillaires sont des causes bien connues d’eczéma allergique de contact. Ces eczémas peuvent se présenter sous des formes diverses. Observation Une jeune femme de 21 ans, sans antécédent, a présenté, quelques heures après sa première coloration capillaire chez le coiffeur, sans réalisation de touche d’essai préa- lable, un prurit avec des lésions très suintantes du scalp. En 24 heures s’est installé un très volumineux œdème du haut du visage et des paupières, avec une majoration du périmètre crânien de 6 cm (la patiente, motarde, venait d’acquérir un casque de moto sur mesure, dans lequel sa tête ne rentrait plus) [figures 1 et 2]. L’importance de la réaction l’a conduite à consulter aux urgences, où son cas a été, à tort, diagnostiqué et traité comme un œdème de Quincke. Un avis dermatologique demandé en raison de l’absence de réponse au traitement a conduit au diagnostic d’eczéma allergique du scalp (figure 3). Les lésions ont régressé sous dermocorticoïdes en 7 jours environ. Les tests épicutanés, réalisés à distance avec la batterie standard européenne et la batterie coiffure ont objectivé des positivités très importantes pour la paraphènylenediamine (PPD), mais aussi pour différents autres allergènes des teintures capillaires, dont la toluène-2,5-diamine (PTD), le m-aminophénol, le p-aminophénol, l’hydroquinone et la résorcine, ainsi que l’IPPD (N-isopropyl-N’-phényl-p-phénylènediamine) et la benzo- caïne. La patiente rapportait la survenue d’une réaction inflammatoire en regard d’un tatouage au henné noir réalisé l’été précédent. Cette réaction, qui concernait le site du tatouage et le doigt l’ayant touché avant séchage, avait duré 3 semaines. Discussion Les colorations capillaires sont classées en : coloration permanente ou coloration d’oxydation, qui teintent durablement la fibre capillaire avec un effet racines ; coloration semi-permanente, disparaissant après plusieurs shampoings (généra- lement 4 à 6 semaines) ; coloration temporaire ou fugace, s’éliminant au shampoing suivant (1). En cas d’allergie à la PPD, à côté de ces formes très œdémateuses faciales, peuvent survenir des eczémas du scalp (figure 4), d’aspect parfois plus discret en lisière du cuir chevelu (figure 5). En marge des eczémas allergiques, des cas beaucoup plus rares d’allergie immédiate ont aussi été décrits. Des produits de coloration sont également utilisés pour teinter cils et sourcils, avec des cas rapportés de blépharoconjonctivites aiguës (2). Plus de 50 % des femmes des pays industrialisés utilisent des teintures capillaires pendant des périodes plus ou moins prolongées. La plupart des allergies sont dues aux colorations permanentes par oxydation. La PPD et la PTD sont les principaux colorants Paraphénylènediamine • Colo- ration capillaire • Tatouage au henné noir • Eczéma aller- gique de contact. Paraphenylenediamine • Hair dye • Black henna tattoo • Allergic contact dermatitis. Légende Figure 1 et 2. Volumineux œdème des paupières fermant les yeux ainsi que du front et des tempes satellite d’un eczéma aigu du scalp. Figure 3. Eczéma aigu suintant, visible en lisière du cuir chevelu. Figure 4. Eczéma du scalp. Figure 5. Lésions eczématiformes de la nuque. Figure 6. Même patiente que sur la figure 5, avec patch test positif à la PPD à 96 h.

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Images en Dermatologie • Vol. VIII • no 1 • janvier-février 20158

Cas clinique

Allergie à la paraphénylènediamine (PPD) : diff érents tableaux cliniquesParaphenylenediamine allergyE. Amsler (service de dermatologie et allergologie, hôpital Tenon, Paris)

L es colorations capillaires sont des causes bien connues d’eczéma allergique de contact. Ces eczémas peuvent se présenter sous des formes diverses.

Observation

Une jeune femme de 21 ans, sans antécédent, a présenté, quelques heures après sa première coloration capillaire chez le coiffeur, sans réalisation de touche d’essai préa-lable, un prurit avec des lésions très suintantes du scalp. En 24 heures s’est installé un très volumineux œdème du haut du visage et des paupières, avec une majoration du périmètre crânien de 6 cm (la patiente, motarde, venait d’acquérir un casque de moto sur mesure, dans lequel sa tête ne rentrait plus) [fi gures 1 et 2]. L’importance de la réaction l’a conduite à consulter aux urgences, où son cas a été, à tort, diagnostiqué et traité comme un œdème de Quincke. Un avis dermatologique demandé en raison de l’absence de réponse au traitement a conduit au diagnostic d’eczéma allergique du scalp (fi gure 3). Les lésions ont régressé sous dermocorticoïdes en 7 jours environ. Les tests épicutanés, réalisés à distance avec la batterie standard européenne et la batterie coiffure ont objectivé des positivités très importantes pour la paraphènylenediamine (PPD), mais aussi pour différents autres allergènes des teintures capillaires, dont la toluène-2,5-diamine (PTD), le m-aminophénol, le p-aminophénol, l’hydroquinone et la résorcine, ainsi que l’IPPD (N-isopropyl-N’-phényl-p-phénylènediamine) et la benzo-caïne. La patiente rapportait la survenue d’une réaction infl ammatoire en regard d’un tatouage au henné noir réalisé l’été précédent. Cette réaction, qui concernait le site du tatouage et le doigt l’ayant touché avant séchage, avait duré 3 semaines.

Discussion

Les colorations capillaires sont classées en : ▶ coloration permanente ou coloration d’oxydation, qui teintent durablement la fi bre

capillaire avec un effet racines ; ▶ coloration semi-permanente, disparaissant après plusieurs shampoings (généra-

lement 4 à 6 semaines) ; ▶ coloration temporaire ou fugace, s’éliminant au shampoing suivant (1).

En cas d’allergie à la PPD, à côté de ces formes très œdémateuses faciales, peuvent survenir des eczémas du scalp (fi gure 4), d’aspect parfois plus discret en lisière du cuir chevelu (fi gure 5). En marge des eczémas allergiques, des cas beaucoup plus rares d’allergie immédiate ont aussi été décrits. Des produits de coloration sont également utilisés pour teinter cils et sourcils, avec des cas rapportés de blépharoconjonctivites aiguës (2).

Plus de 50 % des femmes des pays industrialisés utilisent des teintures capillaires pendant des périodes plus ou moins prolongées. La plupart des allergies sont dues aux colorations permanentes par oxydation. La PPD et la PTD sont les principaux colorants

Paraphénylènediamine • Colo-ration capillaire • Tatouage au henné noir • Eczéma aller-gique de contact.

Paraphenylenediamine • Hair dye • Black henna tattoo • Allergic contact dermatitis.

Légende

Figure 1 et 2. Volumineux œdème des paupières fermant les yeux ainsi que du front et des tempes satellite d’un eczéma aigu du scalp.

Figure 3. Eczéma aigu suintant, visible en lisière du cuir chevelu.

Figure 4. Eczéma du scalp.

Figure 5. Lésions eczématiformes de la nuque.

Figure 6. Même patiente que sur la fi gure 5, avec patch test positif à la PPD à 96 h.

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L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts..

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d’oxydation, utilisés de façon différente selon les marques mais aussi selon les pays. La PPD est autorisée dans les teintures capillaires à une concentration n’excédant pas 6 %, mais des concentrations de PPD dans les produits de tatouage allant jusqu’à 27 % ont été mises en évidence (3).

La PPD, présente dans la batterie standard en France à la concentration de 1 %, est un marqueur de l’allergie aux colorations capillaires permettant d’identifi er également la majorité des réactions à la PTD, à la m-aminophénol et à la p-aminophénol, mais pas toutes (4). Cela justifi e la réalisation d’une batterie complémentaire des allergènes de la coiffure, voire, plus rarement, des tests avec les ingrédients de la coloration elle-même. La première cause de sensibilisation à la PPD reste la réalisation de colorations capillaires. Les tatouages au henné noir comptaient en 2007 pour 2,6 % des cas de sensibilisation (5).

Une revue récente de la littérature sur les tatouages au henné noir rapporte que 6 à 7 % de la population générale du Royaume-Uni et du Danemark a réalisé ce type de tatouage, ce qui représente, dans cette même population, jusqu’à 33 % des femmes âgées de 18 à 24 ans (3). On estime qu’au moins 2,5 % de ces personnes ont été sen-sibilisées à la PPD lors de la réalisation de ce type de tatouage (3). Environ 140 cas d’eczéma allergique au tatouage ont été publiés depuis 1997 (fi gure 7). Une fois la personne sensibilisée, les réactions lors d’un nouveau contact avec la PPD – comme dans le cas rapporté ici – entraînent des réactions allergiques sévères et rapides, notamment chez l’enfant, requérant parfois une hospitalisation. De plus, les patients ont souvent des réactions allergiques croisées à d’autres allergènes des colorations capillaires, mais aussi aux colorants azoïques des textiles synthétiques, à la benzocaïne et à l’IPPD (antioxydant du caoutchouc noir). Une publication récente montre que le risque de réaction croisée à des allergènes de structure proche, tels que benzocaïne, IPPD ou Disperse Yellow 3, est corrélé à l’intensité de la réaction à la PPD (6).

La multiplication des cas d’allergie après tatouage au henné noir a fait l’objet d’une cam-pagne d’information de l’Agence nationale de sécurité du médicament en 2006 sur les risques de ces pratiques, et a conduit à la publication, en 2010, de recommandations de bon usage des teintures permanentes à l’intention des utilisateurs et des coiffeurs (7).

En cas d’allergie à la PPD, la conduite à tenir repose sur l’éviction des teintures permanentes d’oxydation, cette recommandation étant parfois mal acceptée par les patientes. IIII

Références bibliographiques1. Le Coz C. Les intolérances aux teintures capillaires et leur mise au point allergologique. In: Progrès en dermato-allergologie. John Libbey Eurotext, 2007.2. 2. Vogel TA, Coenraads PJ, Schuttelaar ML. Allergic contact dermatitis presenting as severe and persistent blepharoconjunctivitis and centrofacial oedema after dyeing of eyelashes. Contact Derma-titis 2014;71(5):304-6.3. De Groot AC. Side-effects of henna and semi-permanent ‘black henna’ tattoos: a full review. Contact Dermatitis 2013;69:1-25.4. Søsted H, Rustemeyer T, Gonçalo M et al. Contact allergy to common ingredients in hair dyes. Contact Dermatitis 2013;69:32-9.5. Thyssen JC, White JM. Epidemiological data on consumer allergy to p-phenylenediamine. Contact Dermatitis 2008;59:327-43. 6. Thomas BR, White IR, McFadden JP, Banerjee P. Positive relationship-intensity of response to p-phenylenediamine on patch testing and cross-reactions with related allergens. Contact Dermatitis 2014;71:98-101.7. http://.ansm.sante.fr. Recommandation du bon usage des colorations capillaires permanentes à l’attention des coiffeurs. http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/311953034a0cfd67144c845842b18528.pdf

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Figure 7. Eczéma allergique de contact à la PPD dû à un tatouage au henné noir.