Aliments premier prix : peut-on les comparer aux aliments de marque ?

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Cah. Nutr. Diét., 42, 1, 2007 15 aliments aliments ALIMENTS PREMIER PRIX : PEUT-ON LES COMPARER AUX ALIMENTS DE MARQUE ? Caroline JOLY 1,2 , Matthieu MAILLOT 1 , France CAILLAVET 2 , Nicole DARMON 1 La segmentation de l’offre alimentaire, c’est-à-dire l’existence de gammes entières d’aliments similaires mais avec des attributs différents, en termes de marque et de conditionnement en particulier, permet de cibler différentes catégories de consommateurs pour un même type de produit et donc de déve- lopper de nouveaux marchés. Ce ciblage s’effectue notamment par des stra- tégies au moyen du prix. Dans le courant des années 1980, l’entrée du hard-discount, en intensifiant la concurrence entre distributeurs, a contribué à la diversification des marques. En effet, l’introduction de nouvelles mar- ques de distributeurs à bas prix par ce nouveau type de circuit a entamé l’hégémonie des produits dits « de marque », encore dénommés « marques nationales ». Si le hard-discount offre un nombre limité de références, 2 000 à 3 000 avec une présentation réduite au minimum (palettes) sur une surface limitée à 900 m 2 , il intervient cependant sur la grande majorité des produits de base [1]. Pour répondre au succès du hard-discount auprès des consommateurs, les grandes et moyennes surfaces qui ne proposaient initia- lement que les marques nationales, ont dans un premier temps développé leurs propres marques, dénommées « marques distributeur » puis lancé, en 1990, la gamme des « 1 er prix distributeurs ». Elles envisagent à l’heure actuelle de copier le principe même du hard-discount en ouvrant des maga- sins de superficie limitée consacrés aux produits de première nécessité [2]. Une relation positive a été récemment mise en évidence entre la qualité nutritionnelle de l’alimentation considérée dans sa globalité et son coût [3]. Cette relation est expli- quée, semble-t-il, par l’existence d’une hiérarchie « qualité nutritionnelle/prix » entre grands groupes d’aliments : ceux qui sont conseillés dans le cadre d’une alimentation équilibrée tels que les fruits et légumes, les viandes mai- gres et le poisson, ont une forte densité nutritionnelle et sont des sources chères d’énergie, alors que ceux dont il est conseillé de limiter la consommation tels que les matiè- res grasses ajoutées et, surtout, les produits gras, sucrés et/ou salés, ont une faible densité nutritionnelle et sont des sources peu chères d’énergie [4, 5]. Ces résultats ont été obtenus en utilisant un prix moyen pour les aliments ; ils ne permettent donc pas d’examiner le lien éventuel entre la qualité nutritionnelle et le prix au sein d’une même catégorie d’aliments. De plus, les tables de compo- sition des aliments ne font généralement pas la différence entre produits de même dénomination mais de marque et/ou de prix différents. Pourtant, on s’interroge 1. Unité Mixte de Recherches en Nutrition Humaine INSERM U476/INRA 1260, Marseille. 2. Corela : Laboratoire de Recherche sur la Consommation INRA/SAE2, Ivry-sur- Seine. Correspondance : Nicole Darmon, UMR Nutrition Humaine, 27, boulevard Jean- Moulin, 13385 Marseille Cedex 05. Email : [email protected] Financement : ce travail a été effectué dans le cadre du projet POLNUTRITION 2006-2008, avec le soutien de l’Agence Nationale pour la Recherche.

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aliments

ALIMENTS PREMIER PRIX : PEUT-ON LES COMPARERAUX ALIMENTS DE MARQUE ?

Caroline JOLY1,2, Matthieu MAILLOT1, France CAILLAVET2, Nicole DARMON1

La segmentation de l’offre alimentaire, c’est-à-dire l’existence de gammesentières d’aliments similaires mais avec des attributs différents, en termes demarque et de conditionnement en particulier, permet de cibler différentescatégories de consommateurs pour un même type de produit et donc de déve-lopper de nouveaux marchés. Ce ciblage s’effectue notamment par des stra-tégies au moyen du prix. Dans le courant des années 1980, l’entrée duhard-discount, en intensifiant la concurrence entre distributeurs, a contribuéà la diversification des marques. En effet, l’introduction de nouvelles mar-ques de distributeurs à bas prix par ce nouveau type de circuit a entamél’hégémonie des produits dits « de marque », encore dénommés « marquesnationales ». Si le hard-discount offre un nombre limité de références,2 000 à 3 000 avec une présentation réduite au minimum (palettes) sur unesurface limitée à 900 m2, il intervient cependant sur la grande majorité desproduits de base [1]. Pour répondre au succès du hard-discount auprès desconsommateurs, les grandes et moyennes surfaces qui ne proposaient initia-lement que les marques nationales, ont dans un premier temps développéleurs propres marques, dénommées « marques distributeur » puis lancé, en1990, la gamme des « 1er prix distributeurs ». Elles envisagent à l’heureactuelle de copier le principe même du hard-discount en ouvrant des maga-sins de superficie limitée consacrés aux produits de première nécessité [2].

Une relation positive a été récemment mise en évidenceentre la qualité nutritionnelle de l’alimentation considéréedans sa globalité et son coût [3]. Cette relation est expli-quée, semble-t-il, par l’existence d’une hiérarchie « qualiténutritionnelle/prix » entre grands groupes d’aliments :

ceux qui sont conseillés dans le cadre d’une alimentationéquilibrée tels que les fruits et légumes, les viandes mai-gres et le poisson, ont une forte densité nutritionnelle etsont des sources chères d’énergie, alors que ceux dont ilest conseillé de limiter la consommation tels que les matiè-res grasses ajoutées et, surtout, les produits gras, sucréset/ou salés, ont une faible densité nutritionnelle et sontdes sources peu chères d’énergie [4, 5]. Ces résultats ontété obtenus en utilisant un prix moyen pour les aliments ;ils ne permettent donc pas d’examiner le lien éventuelentre la qualité nutritionnelle et le prix au sein d’unemême catégorie d’aliments. De plus, les tables de compo-sition des aliments ne font généralement pas la différenceentre produits de même dénomination mais de marqueet/ou de prix différents. Pourtant, on s’interroge

1. Unité Mixte de Recherches en Nutrition Humaine INSERM U476/INRA 1260, Marseille.2. Corela : Laboratoire de Recherche sur la Consommation INRA/SAE2, Ivry-sur-Seine.

Correspondance : Nicole Darmon, UMR Nutrition Humaine, 27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 05. Email : [email protected]

Financement : ce travail a été effectué dans le cadre du projet POLNUTRITION 2006-2008, avec le soutien de l’Agence Nationale pour la Recherche.

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aujourd’hui sur les répercussions pour les consommateursde cette stratégie commerciale passant par la guerre desprix, et notamment sur l’impact de la segmentation del’offre sur la qualité des produits. Ainsi, 36 % des consom-mateurs pensent que les « produits premiers prix sont demoins bonne qualité que les produits de marque connue »et 15 % pensent de même des produits de marque de dis-tributeurs [6].L’absence quasi totale d’études rigoureuses sur la qualitécomparée des aliments premier prix avec les aliments demarque contraste étonnamment avec la médiatisation dontcette question fait l’objet. Les rares études disponiblessemblent indiquer qu’il n’y a pas de relation entre la qua-lité d’un aliment et son prix ou sa marque, au sein d’unecatégorie donnée d’aliments. Ainsi, une étude française,consacrée à la relation entre le prix et la qualité des ali-ments, considérée aussi bien au travers d’indicateurs nutri-tionnels que sanitaires et organoleptiques, a conclu à uneplus grande régularité de la qualité des produits de marquepar rapport à celle des premiers prix, mais pas à leursupériorité systématique [7]. Néanmoins, cette étude datede 1995 et les conclusions seraient peut-être différentesaujourd’hui car l’évolution des produits alimentaires estrapide. Une étude plus récente, réalisée en 2003 enGrande-Bretagne, a dosé et comparé les teneurs en énergie,lipides minéraux et vitamines entre produits « de marque »et produits « low cost », et a observé des valeurs nutrition-nelles similaires, alors que les prix pouvaient être multi-pliés par quatre [8]. Cette étude portait sur des alimentsrelativement simples (tomates en conserve, jus d’orange,pain de mie, pommes de terre fraîches, saucisses) mais laquestion de la relation entre prix et qualité des aliments sepose également, et peut-être surtout, pour des alimentsfaisant l’objet d’un « assemblage » important tels que lesplats cuisinés. Dans ce cas, un prix plus faible pourrait êtreassocié à une sous-utilisation d’ingrédients nobles et chers(viande, poisson, fruits et légumes), au profit d’ingrédientsmoins nobles et meilleur marché tels que le sucre, le gras,les féculents raffinés, les agents texturants ou encore des« bas morceaux » de produits animaux [9]. Cependant, ladécomposition du prix des produits alimentaires transfor-més industriellement montre une part réduite des ingré-dients. La part du prix des produits agricoles est de l’ordrede 20 % du prix final [10]. Ces proportions varient selonle secteur considéré. Ils apparaissent particulièrement fai-bles pour la charcuterie pour laquelle les coûts de trans-formation et de marketing sont plus importants, ou dansdes secteurs dans lesquels les coûts liés à la recherche, audéveloppement et à la publicité sont élevés. De ce fait,la réduction des prix à la consommation passe par uneréduction des coûts commerciaux et par le contrôle descircuits de production. Les faibles prix pratiqués notam-ment par les hard-discount sont surtout dus à une logisti-que minimale, des frais de publicité et de transport diminués,des salaires et des marges plus faibles. Pour les produits« emballés », le contenant vaut parfois plus que le contenu.Les produits commercialisés par les grands distributeursou les hard-discounters sous leur marque sont souventfabriqués par les mêmes usines que les produits corres-pondants dits « de marque nationale », avec des recettestrès proches.S’il existait un lien positif entre la qualité nutritionnelle etle prix, au sein d’une même catégorie d’aliments, cecipourrait avoir des implications importantes en termes desanté publique, car de plus en plus de consommateurs ont

recours aux aliments premiers prix et au circuit du hard-discount (60 % des consommateurs fréquentent les hard-discount au moins une fois par mois [6]). Cependant, enl’absence de données disponibles sur la composition nutri-tionnelle des aliments tels qu’achetés dans les linéaires, ilest difficile d’examiner cette question. Il faudrait pouvoirréaliser de nombreux dosages sur un large échantillon deproduits, ce qui est très onéreux, et nécessite de prendreégalement en compte d’autres sources de variabilité desteneurs nutritionnelles que celles liées au prix ou la mar-que. Dans le présent travail, nous avons donc tenté decomparer les aliments entre eux en nous basant unique-ment sur les informations disponibles sur les emballages,notamment la liste et l’ordre des ingrédients (dont l’étique-tage est obligatoire) et la teneur en énergie et en macro-nutriments (dont l’étiquetage est facultatif).

Matériels et méthodes

Sélection de l’échantillon des aliments étudiés

Choix des catégoriesDans ce document, la catégorie désigne le regroupementd’un même type d’aliments (par exemple, la catégoriesoupe de légumes ou la catégorie cassoulet). Le choix descatégories d’aliments à étudier a été guidé par le désir derépondre aux interrogations les plus fréquentes en termesde qualité des aliments vendus en hard-discount et/ou pre-mier prix. Ces interrogations concernent avant tout lesplats préparés. Nous avons choisi de retenir en priorité lesplats cuisinés les plus achetés par la population française.Pour cela, nous avons utilisé les données de l’enquêteTNS SECODIP 2003, qui enregistre les achats des ména-ges français. Ainsi, nous avons sélectionné le cassoulet(4,3 % du nombre total de plats préparés appertisés ache-tés par les panélistes), les raviolis (4,14 %), le couscous(1,53 %) et les saucisses aux lentilles (1,48 %). Outre cesplats cuisinés, d’autres aliments tels que les pizzas ou lestartes salées suscitaient des interrogations spécifiques entermes de qualité nutritionnelle et ont donc été inclus dansl’étude (tableau I).Puisque notre objectif était d’étudier la relation entre laqualité, en particulier nutritionnelle, et le prix « au sein d’unecatégorie donnée d’aliments », nous n’avons comparé entreeux que des aliments qui avaient strictement la mêmedénomination de vente. Pour limiter les biais, nous avonségalement veillé à comparer des aliments de même gram-mage (car la taille du conditionnement influence le prix aukg) et à comparer des aliments issus de mêmes processustechnologiques. Par exemple, pizzas surgelées et pizzasfraîches ont fait l’objet de deux catégories d’aliments dis-tinctes.

Choix des marquesPour disposer d’une large gamme de prix pour une caté-gorie d’aliments donnée, nous avons sélectionné, danschaque catégorie, des aliments de « marque » différente.Dans ce document, le terme marque renseigne essentiel-lement sur le type de distribution du produit. Quatre mar-ques ont été définies :– « MN » : aliments de marque « dite » nationale, commer-cialisés par plusieurs distributeurs ;

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– « MDD » : aliments de la marque d’un grand distributeur(ceci inclut, par exemple, les produits « Marque Repère »chez Leclerc) ;– « HD » : aliments distribués par un hard-discount et por-tant la marque propre de ce distributeur (ceci inclut, parexemple, les produits « Dia », distribués exclusivement parEd) ;– « 1er prix D » : aliments distribués par une grande sur-face et repérées comme 1er prix par ce distributeur (ceciinclut par exemple, les produits « n° 1 » chez Carrefour).Pour identifier les produits HD, les magasins Lidl, LeaderPrice, Ed, Aldi ont été visités car ce sont les quatre ensei-gnes de hard-discount les plus importantes en termes departs de marché, avec respectivement 4,0 % ; 3,3 % ;

2,2 % ; 2,1 % en 2005 selon les données de TNS Worl-panel [11]. Concernant les produits MDD et 1er prix D,E. Leclerc, Carrefour et Auchan ont été visités. Là encorece sont les enseignes de supermarchés dont les parts demarchés sont les plus importantes, avec 17,1 % ;14,0 % ; et 9,7 % [2]. Bien qu’il soit le 3e avant Auchanen termes de part de marché, Intermarché (11,5 %) a étéécarté de notre étude, en raison d’une identification diffi-cile de ses produits MDD. Concernant les produits MN,toutes les marques vendues chez E. Leclerc, Carrefour etAuchan ont été incluses dans notre étude. Pour les pro-duits surgelés, ceux des enseignes Picard et Thiriet ontégalement été considérés comme des produits de marquenationale.

Tableau I.Présentation des catégories aliments de l’étude.

DénominationTaille

du conditionnement ou de la portion

Informations générales attendues

Critères pris en compte dans le score de qualité des ingrédients

Soupe moulinée de légumes variés

Brique de 1 litre Teneurs en énergie ; protéines, lipides et glucides ; ordre d’apparition des ingrédients dans la liste, présence d’additifs.

Position des légumes dans la liste des ingrédients; teneur garantie en vitamines ; présence de matières grasses animales

Bâtonnets de surimi Bâtonnets de 16 g environ

Pourcentage de poisson ; présence d’huile végétale nonidentifiée ; position du saccharose dans la liste d’ingrédients

Bâtonnets de colin pané surgelé

Bâtonnets de 50 g environ

Pourcentage de poisson ; présence d’huile végétale non identifiée

Tranches de jambon avec couenne

Paquet de 4 × 50 g Position de l’eau dans la liste d’ingrédients; présence de sirop de glucose-fructose

Saucisses de Strasbourg

Paquet de 10 Pourcentage de viande de porc ; présence de sirop de glucose-fructose et/ou saccharose, protéines de soja, fibres, sel nitrité, phosphates

Pizza 3 ou 4 fromages fraîche

Pizza de 450 genviron

Pourcentage et types de fromages ; présence d’huile végétale partiellement hydrogénée, présence de sirop de glucose-fructose et/ou saccharose

Pizza 3 ou 4 fromages surgelée

Pizza de 350-400 g Pourcentage et types de fromage, présence d’huile végétale partiellement hydrogénée ; présence de sirop de glucose-fructose et/ou saccharose

Quiche lorraine fraîche

Quiche de 400 g Position de l’épaule de porc et de l’eau dans la liste d’ingrédients ; présence d’huile végétale totalementou partiellement hydrogénée

Quiche lorraine surgelée

Quiche de 400 g Position de l’épaule de porc et de l’eau dans la listed’ingrédients ; présence d’huile végétale totalement ou partiellement hydrogénée

Cassoulet Conserve métallique appertisée de 840 g

Pourcentage et type de matières grasses, présence de saccharose, de sirop glucose-fructose, viande « séparée mécaniquement »

Raviolis « pur bœuf » Conserve métallique appertisée de 800 g

Pourcentage de viande, présence et types d’huiles ; présence de vitamines

Couscous « royal » Conserve métallique appertisée de 1 050 g

Position du sel dans la liste des ingrédients ; types de matières grasses, sel nitrité

Saucisses aux lentilles Conserve métallique appertisée de 840 g

Position du sel dans la liste des ingrédients ; présence de carottes et oignons, viande « séparée mécaniquement », sirop de glucose-fructose

Purée lyophilisée 4 sachets de 125 g Présence de selDessert lacté au chocolat

4 pots de 125 g Présence de crème fraîche, sirop de glucose-fructose

Glace vanille Bac de 1 litre Ingrédient en 1re position dans la liste des ingrédients(lait écrémé, saccharose ou crème fraîche), présence d’autres matières grasses, sirop de glucose-fructose

Biscuit nappé chocolat au lait

Biscuit de 10 genviron

Présence d’huile végétale non identifiée ; présence d’huile végétale totalement ou partiellement hydrogénée ; présence de sirop de glucose-fructose, farine complète

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Relevé des prix et des informations nutritionnelles

Les prix de vente des produits ont été relevés uniquementen région parisienne et sur une période n’excédant pas unmois (février 2006), pour limiter les biais liés aux varia-tions géographiques ou temporelles.La liste des ingrédients est présente sur tous les emballa-ges, car son étiquetage est obligatoire, les ingrédientsdevant être classés par ordre décroissant d’importancepondérale. La liste et l’ordre des ingrédients ont donc étérelevés pour chacun des aliments sélectionnés. Ces infor-mations ont été en partie recueillies sur les sites Internetdes enseignes Auchan et Carrefour, qui mettent en ligneles informations nutritionnelles de certains de leurs pro-duits de marque distributeur (leurs propres marques) et desproduits de marque nationale. Pour les autres produits, lesrelevés ont été effectués directement en magasin à l’aided’un appareil photo. Le cas échéant, les enregistrementsont été complétés à l’aide d’un dictaphone.L’étiquetage de la composition nutritionnelle n’est pasobligatoire, mais quand des informations sont disponibleselles doivent au moins contenir : la densité énergétique(DE, en kcal/100 g) et les teneurs en protéines, lipides etglucides (PLG) pour 100 g. Ces variables ont donc étéretenues comme variables nutritionnelles quantitativesdans notre étude.

Score de qualité des ingrédients

De façon à synthétiser l’ensemble des informations four-nies par les listes d’ingrédients, et à pouvoir comparer, ausein d’une même catégorie d’aliment, la qualité des ingré-dients utilisés, nous avons développé un score que nousavons appelé « score de qualité des ingrédients ». En effet,bien que tous les ingrédients indiqués sur les étiquettessoient parfaitement autorisés, la présence de certains peutêtre considérée comme problématique sur le plan nutri-tionnel et/ou toxicologique. Aucune méthode n’ayant étévalidée jusqu’ici pour établir un tel score, nous avons optépour celle qui nous semblait la plus intuitive et la plus sim-ple, en évitant les pondérations dans un premier temps.Cette méthode consistait à dresser une liste de critèrespour chaque catégorie d’aliments, et à attribuer + 1 pointaux critères que nous jugions valoriser la qualité et – 1 pointdans le cas contraire.Le tableau I indique, pour chaque catégorie d’aliments,les critères pris en compte pour calculer le score de qualitédes ingrédients. La liste des critères retenus était différented’une catégorie à l’autre, car elle dépendait directementdes listes d’ingrédients spécifiques à chaque catégoried’aliment. À chaque fois qu’un ingrédient, jugé positif ounégatif, était observé pour au moins un aliment de la caté-gorie, il était sélectionné pour entrer dans la liste des cri-tères contribuant au calcul du score dans cette catégorie.En revanche, lorsqu’un ingrédient était toujours présent àla même place (ou en même quantité quand celle-ci étaitindiquée) dans la liste des ingrédients pour tous les ali-ments d’une même catégorie, cette information n’étaitpas retenue dans le calcul du score, puisqu’elle ne permet-tait pas de distinguer entre eux les aliments de cette caté-gorie. Ce score a donc été conçu uniquement pourcomparer les aliments au sein d’une même catégorie ; ilest sans valeur pour comparer les aliments d’une catégo-rie à l’autre.

Ainsi, pour les raviolis, nous avons considéré comme critèrespositifs :– pourcentage de viande, source de protéines d’origineanimale et de nutriments essentiels ;– présence d’huile de colza, source d’acides gras mono etpolyinsaturés (ω3) ;– indication de la présence de vitamines du groupe B ;– absence de matières grasses ajoutées.Et les critères négatifs retenus ont été les suivants :– présence d’huile végétale sans précision sur son origine(huile végétale non identifiée) ;– présence d’huile de palme, à teneur élevée en acidesgras saturés.Dans d’autres catégories, la présence de matières grassesvégétales hydrogénées (riches en acides gras saturés) oupartiellement hydrogénées (potentiellement riches en aci-des gras trans) faisait également partie des critères néga-tifs, de même que la présence de sel, de polyphosphatesou de sucres ajoutés, notamment les sirops de sucre enri-chis en fructose, incriminés dans l’épidémie d’obésité etde diabète [12]. Nous avons aussi considéré comme uncritère négatif la présence de certains additifs alimentaires,notamment le glutamate monosodique qui pourrait induiredes prises alimentaires excessives, car il augmente la sen-sation de faim [13], et certains colorants, comme le rougecochenille ou la tartrazine, susceptibles de provoquer desréactions allergiques chez certains sujets [14].Un score intermédiaire a été calculé en sommant lespoints positifs et négatifs, puis nous avons effectué, ausein de chaque catégorie, un tri des aliments selon cescore intermédiaire. Enfin, nous avons regroupé, au seinde chaque catégorie, les aliments en 4 classes équilibréesle mieux possible en termes d’étendue de score : laclasse 1 correspondait aux aliments de moins bon scoreet la classe 4 regroupait les aliments qui avaient le meilleurscore. Retenir moins de classes aurait paru trop catégori-que (les aliments ne sont pas soit mauvais, soit bons) etplus de classes aurait été trop vague (les différences dequalité entre deux classes auraient paru insignifiantes). Letableau II donne l’exemple de ce système de classementappliqué aux raviolis.

Analyses statistiques

Les tests statistiques ont été réalisés à l’aide du logicielSPSS au risque de 5 %. La régression linéaire multiple aété utilisée pour tester les corrélations entre deux variablesquantitatives (par exemple, entre le prix et la teneur enénergie). La variable nominale catégorie a été transforméeen indicatrices binaires et introduite dans les modèlescomme variable d’ajustement. Ceci permet de tester la cor-rélation, quelle que soit la catégorie d’aliments considérée.L’objectif initial était de tester les corrélations au sein dechaque catégorie de produits. Cette approche multivariéepermet de réaliser cet objectif tout en gardant le maximumde puissance statistique, ce qui n’aurait pas été le cas sinous avions découpé notre échantillon en catégories eteffectué plusieurs tests, un par catégorie d’aliments.Le modèle linaire généralisé (ou General Linear Model) aété utilisé pour comparer des moyennes (de prix, deteneurs en macronutriments…) entre différentes modalitésd’une variable qualitative, ici la marque. Les moyennesobtenues pour chaque marque après ajustement sur lacatégorie sont appelées moyennes ajustées ; elles peuventêtre comparées d’une marque à l’autre, quelle que soit lacatégorie.

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L’association entre deux variables qualitatives (par exem-ple la marque et le classement qualitatif) a été étudiée parle test du Khi-deux d’indépendance.

Résultats

Informations étiquetées

Le tableau III présente la répartition, par marque et parcatégorie, de l’ensemble des 220 produits étudiés. Lenombre d’aliments variait de 9 à 17 selon les catégories,et de 0 à 8 pour une catégorie donnée et une marquedonnée. Les valeurs nutritionnelles ont été obtenues pour196 aliments sur 220. Dans 5 cas sur 196, ces informa-tions n’étaient pas directement disponibles sur l’étique-tage, mais ont été obtenues après consultation du site dudistributeur, ou après contact avec le service consomma-teur. Dans 11 % des cas (24 aliments sur 220), les valeursnutritionnelles n’ont pas pu être obtenues, même aprèscontact répété auprès du service consommateur. Finale-ment, les informations sur la densité énergétique et lesteneurs en protéines, glucides et lipides ont pu êtrerecueillies dans 71 %, 82 %, 97 % et 94 % des cas pourles aliments 1er prix D, HD, MDD et MN respectivement.Ces différences selon les marques étaient globalementsignificatives (P < 0,05). Les produits des meilleurs marchés(1er prix D et HD) étaient donc ceux qui communiquaientle moins fréquemment les informations nutritionnelles surleur étiquette.

Prix, densité énergétique et macronutriments

L’échantillon retenu pour les analyses statistiques compre-nait les 196 aliments pour lesquels nous connaissionsl’ensemble des données.

Prix moyens selon les marquesLa figure 1 représente les moyennes des prix de chaquecatégorie de produits, pour chaque marque. Les prix sui-vaient généralement la progression suivante : 1er prix D< HD < MDD < MN. Ceci était confirmé par le calcul desmoyennes ajustées (tableau IV). La différence de prix étaitsurtout notable entre les marques nationales et les autres :il fallait compter en moyenne 0,57 €/kg pour passer d’unproduit 1er prix D à un produit HD et 1,00 €/kg pourpasser d’un HD à un MDD, mais l’écart moyen entreMDD et MN était de 1,87 €/kg.

Association de la densité énergétique et des macronutriments avec le prixAucune association significative n’a été détectée par letest de corrélation multiple entre la densité énergétique(en kcal/100 g) et le prix (en €/kg), après ajustement surla catégorie (P = 0,147). De même, les teneurs en lipides(P = 0,288) et en glucides (P = 0,267) n’étaient pas nonplus corrélées au prix, au sein de chaque catégorie d’ali-ments.En revanche, nous avons constaté une relation positivesignificative entre la teneur en protéines et le prix(P = 0,045). Le coefficient bêta de la relation était de0,31, ce qui signifie qu’une augmentation de 1 g de pro-téines pour 100 g d’aliment, était associée à une augmen-tation de prix de 0,31 €/kg en moyenne, pour l’ensembledes produits.Par ailleurs, nous avons testé la corrélation linéaire surdeux sous-échantillons : l’un regroupait les produitscontenant de la viande ou du poisson et l’autre les pro-duits n’en contenant pas. La relation protéines – prix per-sistait dans le premier sous-échantillon (P = 0,038), maispas dans le second (P = 0,447), ce qui suggère que la rela-tion entre les protéines et le prix était surtout due aux pro-téines animales.

Tableau II.Classement des raviolis.

Prix€/kg

MarqueQuantité de viande ≥ 7,5 %

Présence d’huile

de colza

Présence d’huile

végétale sans autre précision

Présence d’huile

de palme

Absence de matières

grasses ajoutées

Présence de vitamines signalée (B1, B2, PP, B6 et/ou B9)

Présence de glutamate monosodique

Score Classe

1,29 Auchan 0 0 – 1 0 0 0 – 1 – 2 10,63 No 1 0 1 0 0 0 0 – 1 0 20,84 Lidl 1 0 – 1 0 0 0 0 0 21,73 Cora 1 0 – 1 0 0 0 0 0 20,81 Pouce

jaune levé0 1 0 0 0 0 0 1 3

0,84 Aldi 1 0 0 0 0 0 0 1 30,93 Ed (Dia) 1 0 0 0 0 0 0 1 31,06 Leader

price1 0 0 0 1 0 – 1 1 3

1,25 Carrefour 0 1 0 0 0 0 0 1 31,67 Eco + 0 1 0 0 0 0 0 1 31,19 Marque

repère1 1 0 – 1 0 1 0 2 4

2,34 Zapetti 1 0 0 0 0 1 0 2 43,63 Panzani 1 1 0 0 0 1 0 3 4

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Densité énergétique et teneurs moyennes en macronutriments par marque

Comme le montre le tableau IV, il n’y avait aucune diffé-rence entre marques concernant la densité énergétique etles teneurs en lipides et en glucides, après ajustementpour la catégorie de produit. Les aliments 1er prix D etHD annonçaient en revanche, des teneurs en protéinessignificativement plus faibles que les aliments MDD etMN, dont les moyennes ajustées étaient identiques. Dansles produits 1er prix D, la plus faible teneur en protéinesétait associée à une teneur supérieure en glucides (test

proche de la significativité pour les glucides, P = 0,057).La fig. 2, qui représente les teneurs moyennes en protéi-nes pour chaque marque et pour chaque catégorie d’ali-ments contenant de la viande ou du poisson, suggère quela différence de teneur en protéines pour une catégoriedonnée, entre marques, était relativement minime envaleur absolue (de l’ordre de 1 à 2 g/100 g d’aliment) etn’était pas systématique.

Score de qualité des ingrédientsComme le montre le tableau V, la distribution des ali-ments en fonction de la valeur du score (de 1 à 4) était

Tableau III.Répartition de l’ensemble des catégories d’aliments dans chaque marque.

CatégorieMarque Total par

catégorie1er prix D HD MDD MN

Soupe moulinée de légumes variés 2 4 2 2 10

Bâtonnets de surimi 4 4 4 3 15

Bâtonnets de colin pané surgelé 3 4 3 4 14

Tranche de jambon avec couenne 3 4 4 2 13

Saucisse de Strasbourg 3 4 3 1 11

Pizza 3 ou 4 fromages fraîche 3 0 3 4 10

Pizza 3 ou 4 fromages surgelée 0 4 5 8 17

Quiche lorraine fraîche 3 3 2 1 9

Quiche lorraine surgelée 1 2 3 3 9

Cassoulet 4 4 5 2 15

Raviolis « pur bœuf » 3 4 4 2 13

Couscous « royal » 3 4 3 2 12

Saucisses aux lentilles 3 4 5 3 15

Purée lyophilisée 4 4 4 2 14

Dessert lacté au chocolat 3 5 4 4 16

Glace vanille 3 4 3 5 15

Biscuit nappé chocolat au lait 3 2 5 2 12

Total par marque 48 60 62 50 N = 220

Figure 1.Prix moyen de chaque catégorie d’aliments, selon les marques.

0

2,5

5

7,5

10

12,5

15

Pri

x (e

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)

1er prix

HD

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MN

17,5

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aliments

significativement différente selon les marques (P = 0,001).En particulier, seulement 4,5 % des aliments 1er prix Davaient un score égal à 4 (le meilleur score), alors que cepourcentage était égal à 40 % pour les aliments de mar-que nationale. En fait, la majorité (62 %) des aliments1er prix D avait un faible score de qualité (égal à 1 ou 2)alors que la majorité (72 %) des aliments de marque natio-nale avait un score élevé (égal à 3 ou 4). Des résultatssimilaires étaient obtenus lorsque l’échantillon était res-treint aux 196 aliments pour lesquels les informationsnutritionnelles avaient pu être obtenues.Le tableau VI indique les prix moyens des aliments selonla valeur du score, après ajustement pour la catégorie deproduit. L’écart de prix constaté était globalement signifi-catif (P = 0,028), mais semblait surtout distinguer les ali-ments de meilleur score, qui étaient plus chers que tousles autres (entre 0,72 et 1,12 €/kg de différence avec lestrois autres valeurs possibles de score).La figure 3 indique, pour chaque marque, les valeurs desmoyennes du prix, de la densité énergétique, et du score

de qualité des ingrédients, considéré cette fois comme unevariable quantitative (linéaire), après ajustement pour lacatégorie d’aliments. Les marques nationales avaient unscore de qualité des ingrédients 1,3 fois supérieur à celuides 1er prix distributeurs, pour un prix 2,5 fois plus élevé,et une densité énergétique équivalente.

Discussion

En accord avec une étude publiée par le magazine Quechoisir [15], nos résultats montrent que, sur un ensembled’aliments transformés, les produits dits de « marquenationale » coûtent à peu près 2 fois et demi plus cher queles aliments 1er prix. Cependant, contrairement à uneaffirmation fréquemment véhiculée par les médias, notam-ment télévisés, nous avons constaté que les aliments pre-mier prix ne sont pas plus riches en énergie ou plus grasque les autres. Ceci est en accord avec les conclusions

Tableau IV.Moyennes du prix, de la densité énergétique, et des teneurs en protéines, lipides et

glucides par marque (après ajustement pour la catégorie du produit).

1er prix D HD MDD MN P

N = 32 N = 54 N = 61 N = 49

Prix, en €/kg

2,38 (0,21) 2,95 (0,16) 3,96 (0,15) 5,82 (0,17) 0,022*

Densité énergétique, en kcal/100 g

177,0 (3,4) 177,3 (2,5) 172,5 (2,4) 174,0 (2,7) 0,504

Protéines, en g/100 g

7,53 (0,15) 7,69 (0,11) 7,97 (0,10) 7,94 (0,12) 0,045*

Lipides, en g/100 g

7,88 (0,31) 8,57 (0,24) 7,93 (0,22) 8,05 (0,25) 0,186

Glucides, en g/100 g

18,7 (0,5) 17,4 (0,4) 17,0 (0,4) 17,4 (0,4) 0,057

La valeur donnée entre parenthèses correspond à l’écart-type.* différence significative.

Figure 2.Teneur moyenne en protéines de chaque catégorie* d’aliments, selon les marques.

* seules les catégories d’aliments contenant de la viande ou du poisson sont représentées.

0

2,5

5

7,5

10

12,5

15

17,5

20

22,5

Pro

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00g

)

1er prix

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MN

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récentes du magazine 60 Millions de Consommateurs[16], et peut s’expliquer par la concentration des proces-sus de production. Derrière différentes marques, setrouve parfois un seul et même fabricant. La recette peutvarier, mais ne semble pas affecter les teneurs en énergie,glucides, et lipides totaux. En revanche, nous avonsobservé une association positive entre la teneur en protéi-nes et le prix, plus particulièrement en ce qui concerne lesprotéines animales. Cette association entre protéines etprix a également été observée dans le cadre d’une étuderéalisée parallèlement à la nôtre avec une méthodologievoisine, à l’Institut National Agronomique de Paris-Gri-gnon (F. Mariotti, communication personnelle). Selon noscalculs, une augmentation de 1 g de protéines pour 100 gde produit coûterait en moyenne au consommateur0,31 €/kg. En définitive, plus il y a de viande ou de pois-son dans les plats élaborés industriellement, plus ils sontchers. Ceci n’est pas étonnant puisque qu’on sait parailleurs que la viande et le poisson sont les sources d’éner-gie les plus chères dans l’alimentation [5].L’étiquetage informatif sur la composition nutritionnelle(énergie et macronutriments) concernait 87 % des ali-ments de notre échantillon, ce qui est du même ordre degrandeur que le pourcentage observé (80 %) au Royaume-Uni pour les aliments emballés [17]. Le pourcentage étaitplus faible pour les produits 1er prix (71 %) ou commercia-lisés en hard-discount (82 %) que pour les produits demarques distributeurs (97 %) et les produits de marquesnationales (94 %). Cependant les conclusions des analyseseffectuées à partir du score de qualité des ingrédientsétaient similaires, qu’elles soient effectuées sur la totalitéde l’échantillon ou uniquement sur les aliments pour les-quels des informations nutritionnelles étaient disponibles.Ceci suggère que l’absence d’étiquetage des informations

nutritionnelles est plus liée à un manque de positionne-ment de ces secteurs sur la dimension nutritionnelle, ouau souhait de réduire les coûts associés à cet étiquetage,qu’à la volonté de masquer une qualité nutritionnellemédiocre. Ces résultats ne nous permettent cependantpas de conclure à une qualité nutritionnelle similaire desaliments au sein d’une même catégorie, quelle que soitleur marque. En particulier, bien que nous n’ayons pas pule mesurer, il est concevable que la relation positive obser-vée entre protéines et prix soit accompagnée d’une asso-ciation également positive entre prix et teneurs enmicronutriments, puisque les protéines, notamment ani-males, sont généralement vecteurs de nombreux micronu-triments dans les aliments. Nos résultats n’excluent pasnon plus que la qualité des macronutriments soit diffé-rente en fonction du prix. En effet, des teneurs similairesen lipides totaux peuvent masquer des différences impor-tantes dans la composition en acides gras, avec des pro-portions plus ou moins importantes d’acides gras saturéset des rapports entre acides gras n-6 et n-3 très variables.De même, des teneurs similaires en glucides totaux peu-vent masquer des différences importantes dans les teneursen glucides simples.Une des limites de notre étude est que nous nous sommesuniquement basés sur l’information présente sur l’éti-quette, or une étude réalisée en 1995 par l’UFC-QueChoisir, à partir d’analyses de laboratoire a montré queces informations ne sont pas toujours fiables [7]. Ainsi, lessteaks hachés surgelés étiquetés à 15 % de lipides maxi-mum, présentaient souvent des teneurs plus élevées enmatières grasses. Dans cette étude, les aliments premiersprix n’étaient pas systématiquement ceux pour lesquelsl’écart entre les valeurs affichées et observées était le plusimportant, mais c’était toujours ceux pour lesquels la plusgrande variabilité était observée. Une autre limite de notreétude réside dans le nombre relativement restreint de pro-duits étudiés et la sélection opérée comparativement àl’offre générale alimentaire, qui comporte plusieurs mil-liers de références. Ainsi, nous aurions peut-être observédes différences de qualité plus importantes avec des platscuisinés moins traditionnels que le cassoulet ou les saucisses

Tableau V.Répartition des produits (en %) selon le score de qualité des

ingrédients, pour chaque marque.

Score

1(le moins bon)

2 34

(le meilleur)

1er prix D 17,8 44,4 33,3 4,5 100HD 11,1 33,3 42,9 12,7 100MDD 16,2 25,8 25,8 32,2 100MN 12 16 32 40 100

Analyse effectuée sur la totalité de l’échantillon (N = 220)Valeur du Khi-2 de Pearson = 29,4 ; P < 0,001

Tableau VI.Moyennes du prix selon le score de qualité des ingrédients

(après ajustement pour la catégorie du produit).

Valeur du score

NPrix,

en €/kg

1 32 3,86 (0,34)2 54 3,44 (0,23)3 61 3,84 (0,22)4 49 4,56 (0,28)

La valeur donnée entre parenthèses correspond à l’écart-type.Les moyennes sont globalement différentes (P = 0,028)

Figure 3.Moyennes (et intervalles de confiance) du prix, de la densité énergétique, et du score de qualité des ingrédients (après ajustement pour la catégorie).

Différences significatives entre marques pour le prix (P = 0,001)et le score (P = 0,007), mais pas la densité énergétique (P = 0,504).

0

1

2

3

4

5

6

0

1

2

3

4

5

6

1er Prix D HD MDD MN

Densité énergétique (kcal/g)

Score de qualité des ingrédients

Prix (€/kg)

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aliments

lentilles, pour lesquels le producteur a moins de marge demanœuvre pour s’écarter de la recette habituelle, dont lesingrédients sont bien connus des consommateurs. Enfin,les teneurs en vitamines et minéraux n’étaient pas con-nues. Plus généralement, nous ne connaissions pas ladensité nutritionnelle des aliments (c’est-à-dire leur teneuren micronutriments pour 100 kcal) or c’est probablementà ce jour un des meilleurs indicateurs de qualité nutrition-nelle des aliments [18]. Nous avons tenté de compensercette absence d’information par une analyse des listesd’ingrédients et l’établissement d’un score de qualité desingrédients. Nos résultats suggèrent qu’en achetant unproduit de marque nationale, les chances sont plus gran-des d’obtenir un produit ayant une meilleure qualitéd’ingrédients, mais la figure 3 montre qu’il faut payerassez cher pour obtenir en retour une faible différence dansle score final. Notre étude doit cependant être considéréecomme préliminaire puisque nous n’avons pas fait appelà des dosages, et que nous n’avons pas vérifié la perti-nence de notre score, ni la signification d’une variation decelui-ci, en termes de qualité nutritionnelle des aliments.Malgré ces limitations, nos résultats soulignent la néces-sité, et la relative urgence, de réaliser une large étudeindépendante et rigoureuse, basée sur des indicateurs fia-bles. Seule une telle étude serait à même de comparer sansambiguïté la qualité nutritionnelle des aliments selon lamarque et le prix dans divers circuits de distribution et per-mettrait d’orienter les consommateurs ayant de fortescontraintes budgétaires et soucieux de leur santé.Afin de faciliter l’information nutritionnelle des consom-mateurs, et notamment des acheteurs de produits 1er prixou commercialisés en hard-discount, il serait souhaitableque l’étiquetage nutritionnel concerne tous les produits,ainsi que le recommande l’AFSSA [19]. Les actions d’édu-cation nutritionnelle n’auront pas de portée si les consom-mateurs ne trouvent pas l’information nécessaire sur lesproduits commercialisés. Pour autant, un effort doit êtrefait pour améliorer ces informations afin de les rendrecompréhensibles par le plus grand nombre. En effet, desétudes montrent d’une part, que la majorité des personnesdéclarant lire les étiquettes ne savent pas les interpréterconvenablement, et, d’autre part, que les personnes defaible statut socio-économique sont celles qui lisent lemoins les étiquettes, alors que ce sont celles qui ont leschoix alimentaires les plus défavorables à la santé [20].Plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les ménagesles plus pauvres pour diminuer leurs dépenses alimen-taires. L’une d’entre elle consiste à réduire la consomma-tion des groupes d’aliments qui sont des sources chèresd’énergie tels que les fruits, les légumes et le poisson touten favorisant la consommation des groupes d’aliments quisont des sources bon marché d’énergie tels que les fécu-lents raffinés et les produits gras et sucrés [21, 22]. Ceschoix alimentaires défavorables à la santé sont donc gui-dés en grande partie par des contraintes budgétaires [23].Une stratégie complémentaire consiste aussi, et peut êtresurtout [24], à choisir des aliments premier prix au seind’une même catégorie de produits et/ou à fréquenter leshard-discounters. Près d’un tiers (28 %) des consomma-teurs déclare effectuer la totalité des achats dans desmagasins hard-discount, pour des raisons de proximité etde prix avant tout [15], et ce sont surtout les ménages lesplus modestes pour lesquels ce circuit de distribution estdevenu la principale source d’approvisionnement [6]. De

plus, le hard-discount apparaît comme la seule sourced’approvisionnement non stigmatisante, donc socialementacceptable, à laquelle peuvent recourir les personnes ensituation d’insécurité alimentaire [25]. Au vu de nos résul-tats, il ne semble pas pour l’instant justifié de détournerles consommateurs, notamment les plus pauvres, des ali-ments 1er prix ou du circuit du hard-discount. Nous pen-sons qu’une telle démarche pourrait même avoir un effetnégatif sur la qualité nutritionnelle de leur alimentation,notamment en réduisant encore la part du budget alimen-taire consacrée aux achats de fruits et de légumes frais. Sides études plus approfondies venaient à démontrer que laqualité nutritionnelle des aliments premier prix était effec-tivement inférieure à celle des produits « de marque »,alors il faudrait rapidement évaluer les risques nutrition-nels éventuellement associés à la consommation de cesproduits. Si, au contraire, ces études ne mettaient pas enévidence de différence de qualité nutritionnelle entre ali-ments 1er prix et produits « de marque », alors la stratégiede recours aux produits premiers prix devrait être encou-ragée au sein des populations défavorisées, dans lamesure où elle peut permettre de manger équilibré pourmoins cher [8]. Dans tous les cas, le développementd’actions visant à faciliter l’accès économique des popula-tions défavorisées à une alimentation équilibrée, par lebiais d’interventions ciblées telles que la distribution decoupons fruits et légumes notamment [26, 27], devraitaider à réduire les inégalités sociales de santé observéesen matière d’obésité, d’hypertension, de diabète, de mala-dies cardiovasculaires et de cancer [28].

Résumé

De plus en plus de consommateurs ont recours aux ali-ments bon marché. On ignore cependant s’il existe un lienentre la qualité des aliments, nutritionnelle notamment, etleur prix, au sein d’une même catégorie de produits.C’était l’objectif de la présente étude d’analyser cettequestion, à partir des informations (valeurs nutritionnelleset listes d’ingrédients) relevées sur les étiquettes de220 aliments, répartis dans 17 catégories. Au sein d’unemême catégorie (par exemple le cassoulet), les alimentsavaient la même dénomination de vente et des condition-nements similaires, mais des marques et des prix diffé-rents. Les aliments les moins chers n’étaient pas plusriches en énergie, ou en lipides, que leurs équivalents demarque dite « nationale ». En revanche, une associationpositive, de faible ampleur mais significative, a été obser-vée entre le prix et la teneur en protéines, et entre le prixet un score de qualité des ingrédients spécifiquement éla-boré pour ce travail. En moyenne, les produits de marquesnationales avaient un score de qualité 1,3 fois supérieur àcelui des 1er prix et une densité énergétique équivalente,pour un prix 2,5 fois plus élevé. Ces résultats préliminai-res soulignent la nécessité d’entreprendre rapidement surcette question une large étude indépendante, basée surdes dosages et des indicateurs fiables de qualité nutrition-nelle.

Mots-clés : Hard-discount – Premier prix – Prix des ali-ments – Qualité nutritionnelle – Densité énergétique –Ingrédients – Marques.

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aliments

Abstract

An increasing proportion of consumers buys low-costfood, though the relationship between cost and nutri-tional quality, within a given food category, is notclear. The aim of the present work was to analyse thisrelationship, based on the information registered onthe labels of 220 food products, among 17 categories.Within the same category (for example “cassoulet”),food products had the same selling name and packa-ging, but different labels and prices. The food productswith the lowest cost did not have a higher energy den-sity, nor a higher lipid content, than the equivalentbranded products. Nevertheless, a positive rela-tionship, small but significant, was observed betweenthe price and a score of quality of ingredients specifi-cally developed for this work. On average, the brandedproducts cost 2.5 times more than the 1st price pro-ducts, for an equivalent energy density and a slightlyhigher (×1.3) ingredient quality index. These prelimi-nary results underline the need for a large, indepen-dent and rigorous study, based on biochemicalanalysis, to assess the link between price and quality,within a given food category.

Key-words: Hard-discount – Budget Prices – FoodPrices – Nutritional Quality – Energy Density – Ingre-dients – Labels.

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