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Alfu Les Tueurs de Boches Les romanciers populaires dans la Grande Guerre Panorama du roman populaire de guerre Alfu & Encrage — 2016 —

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Alfu

Les Tueurs de BochesLes romanciers populaires

dans la Grande Guerre

Panorama du roman populaire de guerre

Alfu & Encrage— 2016 —

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SOMMAIRE

Avertissement ............................... 7Introduction .................................. 9Les Tueurs de Boches :Pierre Adam .................................... 67Marcel Allain .................................. 80Maurice d’Asseroy ......................... 101Maxime Audouin ........................... 101Serge Basset ..................................... 113Gabriel Bernard .............................. 113Arthur Bernède ............................... 131René Berton ..................................... 147Paul Bertnay .................................... 154Rodolphe Bringer ........................... 159Aristide Bruant ............................... 162Caumery & Joseph Pinchon ............ 185Maurice Champagne ..................... 197Jules Chancel ................................... 198Pierre Cherré ................................... 210Capitaine Danrit ............................. 227Pierre Decourcelle .......................... 231Henri Delaronce ............................. 231Delly ................................................. 236M. Deschamps ................................ 249Jacques Desvosges ......................... 250Jean Drault ...................................... 252S. Ducamp ....................................... 266Edmond Edouard-Bauer ............... 269Ely-Montclerc .................................. 271

Aristide Fabre ................................. 275Oscar de Ferenzy ............................ 275Robert Florigni & Charles Vayre .... 279Charles Foleÿ .................................. 282Henry de Forge ............................... 284Louis Forton .................................... 289Claude Frémy ................................. 290Arnould Galopin ............................ 299Paul de Garros ................................ 339Jules de Gastyne ............................. 350Henri Germain ................................ 358Marie Girardet ................................ 365Léon Groc ........................................ 369Georges Guillaumot ....................... 370Paul d’Ivoi ....................................... 373Joseph Jacquin & Aristide Fabre ..... 375Henry Jagot ..................................... 379Etienne Jolicler ................................ 379Paul Lafitte ...................................... 383Jean de La Hire ............................... 389Marie de La Hire ............................ 393Maurice Landay ............................. 397Maxime La Tour ............................. 427Henry de La Vaulx ......................... 427Maurice Leblanc ............................. 432Georges Le Faure ........................... 438Gustave Le Rouge .......................... 455Gaston Leroux ................................ 458

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H.-Pierre Linel ................................ 472Georges de Lys ............................... 472Fred Maël......................................... 481H.-J. Magog ..................................... 483Georges Maldague ......................... 496Marc Mario ...................................... 506Jules Mary ....................................... 519M. Maryan ....................................... 559Suzanne Mercey ............................. 562Charles Mérouvel ........................... 566Montenailles .................................... 583Montfermeil .................................... 586Claude Montorge ........................... 586Michel Morphy ............................... 602José Moselli ..................................... 610Claire de Neste ............................... 613Henri Pellier .................................... 621Fernand Peyre ................................. 635Joseph-Porphyre Pinchon ............. 640Octave Pradels ................................ 640

Julien Priollet .................................. 647Marcel Priollet ................................ 660Albert Robida .................................. 673Clément Rochel............................... 676J.-H. Rosny Aîné ............................. 681Colonel Royet ................................. 682Léon Sazie ....................................... 683Paul Segonzac ................................. 697Charles Solo .................................... 708Emmanuel Soy ................................ 728Georges Spitzmuller ...................... 735Guy de Téramond .......................... 741Georges-Gustave Toudouze ......... 746Frédéric Valade............................... 751Charles Vayre ................................. 769René Vincy ...................................... 769Commandant G. de Wailly ........... 779H.-R. Woestyn ................................. 779Michel Zévaco ................................. 786

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Le roman populaire à l’épreuve de la guerre

Au début de l’année 1914, le roman populaire vit son âge d’or.Présent depuis près de trois quarts de siècle dans la presse périodique — les grands

quotidiens nationaux et les titres de la presse des départements, — ou dans une presse spécialisée dans la littérature — les journaux-romans, — on le trouve aussi dans divers formats d’édition bon marché, donc accessible au plus grand nombre : livraisons, fasci-cules ou livres vendus à bas prix.

L’éditeur Arthème Fayard fils est le symbole de cette production culturelle.Il rachète, en 1895, le journal-roman La Vie populaire, publiant jusque-là les auteurs

reconnus que sont Emile Zola, Hector Malot, André Theuriet et autres, pour proposer les romans de Georges Le Faure, Henri Kéroul, Louis Launay et consorts.

En 1905, après avoir repris le catalogue de l’éditeur Dentu, contenant entre autres les titres des plus grands feuilletonistes du Second Empire, il lance sa collection de livres à 65 centimes, baptisée « Le Livre populaire », dans laquelle Eugène Sue, auteur des Mystères de Paris, Paul Féval, auteur des Habits noirs, Ponson du Terrail, créateur du personnage de Rocambole, Emile Gaboriau, initiateur du roman de détection fran-çais, voisinent avec les « vedettes » du roman-feuilleton de la « Belle-Epoque », Charles Mérouvel, auteur de Chaste et flétrie, Michel Morphy, auteur du cycle de Mignon, Gaston Leroux, père de Rouletabille et de Chéri-Bibi, ou Michel Zévaco, créateur des Pardaillan.

Cette collection, pour laquelle a été adopté un rythme de parution mensuel, calqué sur celui de la presse, accueille aussi de vastes feuilletons inédits, comme Fantômas, le grand roman de Pierre Souvestre et Marcel Allain, publié en 32 épisodes, de février 1911 à septembre 1913, ou Carot-Coupe-Tête de Maurice Landay, publié en 25 épisodes, d’octobre 1911 à octobre 1913.

Parallèlement, Fayard édite des romans en livraisons — après avoir racheté le fonds Edinger — comme ceux de G. Le Faure & H. de Graffigny, auteurs des interplanétaires Aventures extraordinaires d’un savant russe, ou du capitaine Danrit, auteur des 310 livrai-sons de La Guerre de demain. Il propose aussi des revues destinées à un jeune public, comme La Jeunesse illustrée et Les Belles images.

Toutefois, Fayard a des concurrents qui occupent les mêmes créneaux éditoriaux. Entre autres, à la collection « Le Livre populaire », le lecteur peut, dès 1908, préférer la collection « Livre national » de la Librairie Tallandier, ou les autres collections « à 65 cen-times » d’Albert Méricant et de Jules Rouff, ou encore, à partir de 1912-13, les collections de petit format « Le Petit Livre » ou « Le Livre épatant » de J. Ferenczy & Fils.

Plusieurs revues illustrées apparaissent, dès 1908, chez l’éditeur Offenstadt.Et, dans le domaine précis des publications en livraisons, le concurrent est la maison

allemande Eichler qui fait connaître au public français les aventures des grands héros américains comme Nick Carter.

La Grande Guerre, avec tous les bouleversements sociaux et économiques qu’elle allait entraîner, pouvait briser cette réussite du roman populaire. Mais force est de constater qu’il n’en a rien été. Loin de disparaître ou même d’être affaiblie, la produc-tion du roman populaire s’est poursuivie et même, par certains aspects, s’est encore plus développée qu’auparavant.

Car tous les acteurs qui faisaient vivre le roman populaire en 1914 — à l’exception de l’Allemand Eichler ! — sont restés présents et allaient poursuivre leur tâche avec une motivation encore plus forte du fait de la guerre.

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Les romanciers populaires répondent présent

Durant la Grande Guerre, les romanciers populaires vont continuer d’écrire.Certes, Emile Driant, alias le capitaine Danrit, auteur important de la « Belle Epoque »

pour ses récits d’anticipations scientifiques ou guerrières, est à la fois un symbole et une exception.

Démissionnaire de l’armée en 1905, devenu député de Nancy en 1910, il demande sa réintégration dès le début du conflit et, à 59 ans, prend le commandement de deux bataillons de chasseurs à pied, avec le grade de lieutenant-colonel. Le 22 février 1916, il est tué au bois des Caures, près de Verdun, à la tête de ses hommes.

D’autres écrivains sont tués durant la Grande Guerre mais aucun romancier popu-laire de premier plan.

En 1914, les plus connus sont souvent âgés. Le plus lu, Jules Mary a 63 ans, le même âge qu’Aristide Bruant. Charles Mérouvel, le doyen, a 82 ans, Frédéric Valade (Henry Jagot) en a 60, Paul d’Ivoi et Georges Le Faure 58, Michel Morphy 51, Maurice Leblanc 50…

D’autres sont réformés, comme Gaston Leroux que le conseil de révision de La Roche-sur-Yon confirme, en décembre 1914, dans sa réforme pour insuffisance cardiaque, ou Arthur Bernède dont la réforme est également confirmée en juillet 1915.

Mais un grand nombre participe malgré tout aux combats. Certains sont au front comme Léon Groc, 32 ans, sergent au 205e régiment d’infanterie, Marcel Priollet, 30 ans, soldat au 4e régiment d’infanterie, deux fois blessé et versé au dépôt du matériel auto-mobile, Jean de La Hire (Adolphe d’Espie), 37 ans, soldat au 100e régiment d’infanterie, versé à la 16e section d’infirmiers pour faiblesse de la vue, H.-J. Magog (Henri-Georges Jeanne), sergent au 3e régiment d’infanterie — démobilisé en mars 1919.

D’autres ont des affectations spéciales. Marcel Allain, 29 ans, est conducteur dans le service auxiliaire ; José Moselli, 32 ans, diplômé de la marine marchande, commande des transports de troupes en Méditerranée ; Jules Chancel, engagé volontaire à 49 ans, est interprète auprès de l’état-major britannique.

Plusieurs, sont, pendant tout ou partie du conflit, correspondants de guerre, tel Gus-tave Le Rouge, envoyé sur le front par L’Information — et qui assiste à la mort d’un autre correspondant de guerre et romancier, Serge Basset — ou Arnould Galopin qui extrait la matière de ses romans des reportages qu’il fait auprès des troupes.

Enfin, les romancières — qui ne sont pas appelées à se battre les armes à la main — peuvent également poursuivre leur carrière : Georges Maldague (Joséphine Mal-dague), Ely-Monclerc, Marie de La Hire, qui publie en 1917 La Femme française, son acti-vité pendant la guerre, Claire de Neste (Claire Cauhaperon), Marie Girardet et d’autres continuent d’écrire des romans populaires.

La guerre n’est pas responsable de la disparition de quelques figures marquantes du roman populaire. Deux auteurs majeurs vont décéder « de leur belle mort » durant le conflit : Paul d’Ivoi, le 6 septembre 1915 et Michel Zévaco, le 8 août 1918.

Les journaux n’abandonnent pas le roman-feuilleton

En août 1914, la presse quotidienne est frappée de plein fouet par les conséquences immédiates de la déclaration de guerre. Le départ précipité d’une grande partie du per-sonnel des différents secteurs d’activité qui lui sont utiles, ainsi que la nécessité de gérer au plus strict les stocks de papier, enfin les restrictions militaires sur les transmissions et les transports la conduisent à réduire drastiquement la pagination des journaux.

Durant les premières semaines du conflit, pratiquement tous les quotidiens ne pos-sèdent que deux pages, avant tout consacrées aux communiqués de guerre et aux infor-mations les complétant, et sans le ou les feuilletons qui paraissaient en « rez-de-chaus-sée » sur une ou plusieurs pages.

Ainsi, Le Droit du Peuple, quotidien grenoblois, avertit ses lecteurs, le 3 août :

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INTRODUCTION | 11

« La mobilisation générale nous a privé de la majeure partie de notre person-nel. De plus, la prise de possession par l’autorité militaire des fils télégraphiques et téléphoniques extra-urbains et la non-transmission des plis postaux nous privent de la presque totalité de nos moyens d’informations. Cette situation qui n’est que provisoire atteint également tous nos confrères de Paris et de province. Pour tous ces motifs Le Droit du Peuple paraît provisoirement sur deux pages seulement […] »

Mais, après quelques semaines ou quelques mois, le roman-feuilleton reprend ses droits. Peu de journaux cessent de paraître — hormis bien sûr dans les zones occu-pées ; seuls quelques-uns abandonnent leur feuilleton.

Quelques romans sont toutefois victimes des événements : leur parution est suspen-due à jamais ! Les cas de figure sont variés.

Dans la grande presse nationale, au 1er août 1914, seuls Le Petit Parisien et Le Matin publient simultanément trois romans. L’un et l’autre en sacrifient un, dont la parution venait juste de débuter. La publication des deux autres romans est reprise dans le courant du mois d’octobre. Le feuilleton débute alors par un résumé de la partie du roman déjà publiée.

Ainsi, le 14 octobre, la rédaction du Petit Parisien fait enfin reparaître un feuilleton, Une race qui sombre de Charles Mérouvel, et avertit ses lecteurs :

« Nous avons dû interrompre la publication de ce feuilleton au numéro 55, le 1er août dernier. Nous la reprenons aujourd’hui, et nous avons demandé à notre éminent collaborateur Charles Mérouvel de nous faire un résumé de son passionnant récit. C’est ce résumé que nous publions et qui précède tout naturel-lement la suite du roman. »

Le Petit Journal, Le Journal et L’Echo de Paris ne publient que deux romans. Le Petit Journal suspend la publication des siens pour la reprendre en octobre, faisant lui aussi débuter le feuilleton par un résumé. L’Echo de Paris — le seul à conserver sa pagination — achève la publication de ses deux feuilletons mais n’en publie un autre qu’à partir du 6 janvier 1915. Enfin, Le Journal reporte la publication de l’un de ses romans qui ne reprendra qu’en 1918, tandis que la publication de l’autre reprend en octobre. Toute-fois, entre deux, en septembre, paraît dans son « rez-de-chaussée » un roman traduit de l’anglais dont la publication restera inachevée.

Dans les départements, le principe du résumé est rarement employé et il est fréquent que les romans en cours de publication au début du mois d’août soient purement et simplement abandonnés. C’est le cas dans Le Courrier du Centre (Limoges), La Dépêche de Brest, La Dépêche du Centre et de l’Ouest (Tours), L’Express de Lyon, Le Phare de la Loire (Nantes) ou La Tribune républicaine (Saint-Etienne).

Parfois, malgré tout, la publication du roman est reprise, comme pour Fanchon la viel-leuse de Jules Mary dans La France du Nord (Boulogne-sur-Mer), La Frontière de Maurice Leblanc dans La Petite Gironde (Bordeaux), L’Immolation de Rolande de Louis Létang dans La Dépêche (Toulouse) ou La Plus forte de Robert Sainville dans Le Populaire (Nantes).

Le 29 septembre 1915, L’Eclair de l’Est publie l’annonce suivante :

« Notre prochaiN feuilletoN. — Dans notre numéro du dimanche 3 octobre 1915, nous commencerons la publication d’un grand roman inédit, Le Caporal Oscar, par Frédéric Valade.

Il convient, en effet, de revenir le plus possible aux situations normales. Depuis quatorze mois, nos lecteurs sont privés de feuilleton. A l’entrée de l’hi-ver, nous leur offrons une lecture saine et divertissante. […] »

Car il arrive que le « redémarrage » se fasse attendre longtemps. Pour goûter au plai-sir du roman-feuilleton, les lecteurs de la Chronique picarde (Amiens) ont dû attendre le 20 septembre 1915, ceux du Petit Champenois (Chaumont) attendront jusqu’au 31 octobre et ceux du Journal de Saône-et-Loire (Mâcon), jusqu’au 10 février 1916 !

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De nouvelles publications

La plupart des journaux et magazines hebdomadaires ou mensuels continuent de paraître alors que de nouveaux titres sont créés, spécifiquement dédiés à la guerre.

Pierre Lafitte poursuit la publication de son journal d’information Excelsior et de son mensuel littéraire Je sais tout dont les auteurs vedettes sont Maurice Leblanc, avec les aventures d’Arsène Lupin, et Gaston Leroux, avec les exploits de Rouletabille.

La maison Offenstadt édite toujours ses magazines pour la jeunesse : L’Illustré (créé en 1904), L’Epatant (1908), Fillette (1909), L’Intrépide (1910) ou Le Cri-Cri (1911). Et les Pieds Nickelés dans L’Epatant, ou Lili dans Fillette, continuent de partager la vedette avec Bécassine dont les aventures paraissent dans La Semaine de Suzette, éditée par Gautier-Languereau.

Les journaux-romans ne sont plus nombreux. Seuls les organes d’obédience catho-lique que sont L’Ouvrier et Les Veillées des chaumières, créés respectivement en 1861 et 1877, traversent la guerre sans encombre.

Le Journal des voyages qui, depuis 1896, a adopté une stratégie très efficace et recruté des auteurs parmi les plus intéressants de l’époque — Paul d’Ivoi, Jules Lermina, Georges Le Faure, Louis Boussenard, le capitaine Danrit — cesse de paraître en août 1914. Il renaît de ses cendres sept mois plus tard sous le titre Journal des voyages à travers la guerre, le temps de dix-huit numéros, du 14 mars au 11 juillet 1915, date à laquelle son directeur est mobilisé et abandonne définitivement sa publication.

La revue mensuelle Mon journal, « recueil mensuel pour les enfants de cinq à dix ans », éditée depuis 1881 par Hachette, continue de paraître en se focalisant sur la guerre, tandis que l’hebdomadaire de Delagrave L’Ecolier illustré, créé en 1890 et qui publiait surtout, depuis quelques années, les romans « pour la jeunesse » de Jules Chancel, cesse de paraître en 1915.

Mais, dès la fin de l’année 1914, des publications spécialisées sur la guerre sont créées.La société du journal Le Matin transforme sa publication Le Pays de France, organe des

états-généraux du tourisme, fondée en mai, en un magazine entièrement consacré à la guerre, laissant toutefois une place à la fiction.

L’année suivante, cette même société fonde une luxueuse revue baptisée Le Flambeau, dans laquelle paraît un roman de Gaston Leroux, mais en arrête la publication avant son terme — le roman reparaît alors dans le quotidien.

L’hebdomadaire Les Trois Couleurs, épisodes, contes et romans de la Grande Guerre, édité à Paris, peut être assimilé aux journaux-romans, la part de l’actualité pure y étant très réduite. Henri Pellier — qui signe parfois de l’anagramme H.-Pierre Linel — en est l’auteur principal et y publie, durant tout le conflit, les aventures de trois poilus et du jeune Roger Lefranc — lequel apparaît également dans une publication autonome parallèle : Les Exploits d’un héros de 15 ans.

L’éditeur Tallandier crée une nouvelle série de son hebdomadaire L’Illustré national, fondé en 1898, qui devient un journal dédié à la guerre, accueillant reportages et fictions — et sert comme avant la guerre de supplément à certains journaux des départements.

Enfin, Offenstadt crée deux revues : La Croix d’honneur — qui remplace Les Romans de la Jeunesse et fusionnera en 1918 avec Le Cri-Cri — et La Jeune France — abandonnée également en 1918 — où sont publiés les romans de Jacques Rinet, Pierre Adam et de l’auteur « maison » José Moselli.

Les éditeurs poursuivent leur activité

Comme les sociétés de presse, les maisons d’édition qui, depuis le début du siècle, se sont spécialisées dans la publication de romans populaires — et qui ont adopté le prin-cipe de la parution périodique, — subissent le contrecoup de la déclaration de guerre.

Deux des principales collections, dont le rythme de parution était mensuel, s’arrêtent : « Le Livre populaire », série principale et séries annexes, chez Arthème Fayard ; « Livre

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INTRODUCTION | 13

national », série bleue dédiée aux romans d’aventures, chez Jules Tallandier. Toutes deux ne redémarreront qu’une décennie plus tard : respectivement en 1922 et 1923.

Mais Fayard va développer sa nouvelle collection, créée en février 1914 : « Les Maîtres du roman populaire », où vont se côtoyer des rééditions d’œuvres anciennes — de Pierre Decourcelle, Pierre Sales et autres — et celles de romans récents.

Aux romans de Gaston Leroux, Arnould Galopin, Marcel Allain, Jules de Gastyne, Henri Germain, parus dans la presse nationale, s’ajoutent ceux de H.-J. Magog, Claude Frémy, Georges Maldague, parus dans la presse des départements.

Comme il avait pu le faire dans la collection « Le Livre populaire », avec la série « Carot-Coupe-Tête », Maurice Landay propose, dans la collection « Les Maîtres du roman populaire », une série séparée de cinq romans inédits, sous le titre global : « L’Homme aux cent masques ».

Tallandier, pour sa part, après une pause de quelques mois, poursuit sa collection « Livre national », série rouge dédiée au départ aux « romans d’amour » et « drames de passion », qui va, elle aussi, en changeant parfois de format (et de couleur !), accueil-lir des rééditions de romans récents, avant tout ceux de l’auteur vedette de la mai-son : Jules Mary. Mais cette collection propose aussi les romans de Charles Solo ou de Georges Spitzmuller, parus dans la presse des départements.

Dans sa « Collection d’aventures », fondée en janvier 1913, la maison Offenstadt réé-dite uniquement des romans parus dans ses propres magazines. On y retrouve ceux de José Moselli, Jacques Rinet ou de Pierre Adam, mais aussi, par exemple, un roman de Marcel Allain, paraissant sous le pseudonyme (transparent) d’Alain Darcel.

La maison Ferenczy et Fils poursuit la publication de ses collections de petits livres 1 et crée, en 1916, une nouvelle collection policière, « Le Roman policier ».

Jules Rouff, quant à lui, va opter pour l’Histoire. Il fonde, en 1915, la « Collection historique populaire » où Guy de Téramond évoque aussi bien la bataille de Fontenoy, Mme de Montespan que les sièges de Verdun.

Mais, en 1917, il choisit de lancer la collection « Patrie », dédiée à la relation romancée des principaux épisodes de la Grande Guerre ou au portrait des principales figures qui s’y sont illustrées, par des auteurs populaires, dont Georges Spitzmuller, Georges-Gus-tave Toudouze, Gustave Le Rouge, sous la direction de l’un d’entre eux, Léon Groc. Ce dernier est l’auteur, sous son nom ou sous divers pseudonymes, de 39 des 154 titres qui vont paraître jusqu’en 1920.

A noter que la Librairie Larousse, qui n’est pas a priori spécialisée dans la littérature populaire, propose, durant le conflit, dans sa collection « Les Livres roses pour la jeu-nesse », créée en 1909, à la fois des petits livres documentaires sur la Grande Guerre et, parfois, de courtes fictions, comme Deux boy-scouts à Paris de Marie de La Hire.

Les livraisons sont (presque) abandonnées

Depuis longtemps, certains éditeurs proposent au lecteur de romans populaires des publications en livraisons. Il s’agit de cahiers de huit ou seize pages, vendus séparé-ment, généralement à un rythme hebdomadaire ou bi-hebdomadaire, qui, assemblés, offrent un livre pouvant atteindre les deux mille pages.

Cette formule d’édition va évoluer et, au début du siècle, le roman populaire publié en livraisons — désormais sous forme de cahier de trente-deux pages maximum, le plus souvent au format in-quarto — apparaît sous trois types.

Primo, la livraison traditionnelle qui se présente comme quelques pages extraites d’un vaste livre — au découpage aléatoire — que l’on peut appeler le roman découpé. Secundo, le roman à épisodes, ou série de livraisons sous couverture illustrée respec-tant les césures normales d’un vaste récit à suivre — chaque livraison possédant son propre titre et un nombre précis de chapitres. Tertio, la série en fascicules ou une série de

1 Au format 11×14,5 ou 16 cm, contre 12×19 cm chez Fayard et 11,5×18,5 cm chez Tallandier.

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livraisons proposant chaque fois un récit autonome et seulement rattaché aux autres par la présence récurrente d’un même héros principal.

Cette dernière formule, très employée aux Etats-Unis, va faire florès en France grâce à la maison d’édition Eichler, ayant son siège principal en Allemagne, à Dresde, ainsi que des succursales dans plusieurs pays voisins, et qui, inondant le marché essentiel-lement avec des traductions adaptées de l’anglais, fait découvrir au public français Buffalo Bill, Nick Carter, Nat Pinkerton, Texas Jack et consorts.

Mais le même éditeur, publie aussi des romans découpés comme Atalanta, la femme énigmatique (1912-13), de l’Allemand Robert Kraft, traduit par le romancier Jean Peti-thuguenin, ou Yvonne, ma seconde femme, d’un auteur anonyme, qui reste inachevé, lors-qu’en août 1914 la succursale parisienne de la maison Eichler est mise sous séquestre.

Les éditeurs français, à la veille de la Grande Guerre, privilégient la deuxième for-mule, le roman à épisodes, qui permet, par exemple, à Arnould Galopin & Henry de La Vaulx de publier, en 1907 et 1908, chez Tallandier, Le Tour du monde de deux gosses, en 46 livraisons, puis, de 1912 à 1914, chez Albin Michel, Le Tour du monde en aéroplane, en 160 livraisons.

Pour sa part, l’éditeur Ferenczy édite, en 1912, Le Corsaire sous-marin de Jean de La Hire, en 79 livraisons, et, de 1911 à 1913, Les Voyages aériens d’un petit Parisien à travers le monde de Marcel Priollet — sous le pseudonyme de Nizerolles, — en 111 livraisons.

Enfin, dernier exemple, Albert Méricant édite en 1908 La Guerre infernale, avec un texte de Pierre Giffard et des dessins d’Albert Robida, en 30 livraisons.

Durant le conflit, peu de livraisons paraissent.La formule « américaine » est absente ; elle ne réapparaîtra qu’après la guerre, avec la

reprise des éditions Eichler. Seules demeurent les deux autres formules : romans décou-pés pour Tallandier qui réédite des feuilletons parus dans la presse — parfois en les modifiant, comme pour L’Alsacienne d’Aristide Bruant ; romans à épisodes pour Fayard, dans le cas de Zizi dit “le tueur de Boches” de Marcel Allain.

Les prix augmentent

En 1917, l’inflation en France atteint le taux de 42 % et le déficit public équivaut à 21 % du PIB.

Mais, dans les faits, la crise économique touche très tôt l’édition. Déjà en mars 1916, Fayard publie cet avertissement dans la 8e livraison du roman découpé de René Vincy en cours de publication :

« a Nos lecteurs. — Par suite de la crise du papier qui frappe actuellement la librairie aussi bien que les journaux, nous nous trouvons dans l’obligation de supprimer momentanément, à partir du prochain numéro, la couverture en couleurs de notre publication : la Maîtresse du KroNpriNz. »

En 1917, les volumes de la collection « Livre national » (série rouge) de Tallandier — vendus 65 centimes avant la guerre — portent, sur la couverture, une vignette indiquant :

« réiMpressioN 1917. — En raison de la hausse considérable des papiers, tous les ouvrages de la collection livre NatioNal, réimprimés ou publiés à partir d’avril 1917, sont obligatoirement vendus 95 c. jusqu’à nouvel avis. »

Ceux de la collection « Les Maîtres du roman populaire » de Fayard passent, en juin, à 45 centimes — contre 30 centimes en 1914 :

« a Nos lecteurs. — […] Il y a un an, par la suite de la hausse des matières pre-mières, le papier était augmenté de cent pour cent ; il l’est aujourd’hui de plus de trois cents pour cent, entraînant à sa suite la hausse de toute l’industrie du livre.

Nous sommes donc, à notre grand regret, obligés de majorer momentané-ment de dix centimes le prix de vente de notre collection “Les Maîtres du roman populaire”. »

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La presse, elle, est soumise, à la suite d’un décret du 11 août 1917, à une augmenta-tion obligatoire de son prix de vente de 100 % ! Le numéro, vendu jusque-là un sou (5 centimes), va devoir être vendu deux sous. Mesure qui toutefois est contestée pour son inefficacité par certains journaux, comme Havre-Eclair, qui imprime, le 30 août, l’encart suivant :

« havre-eclair reste à 5 ceNtiMes. — Prévoyant la crise terrible du papier, le gouvernement avait cru la conjurer en demandant à tous les journaux français de se mettre à 10 centimes. Nous avions décidé de régler notre attitude sur celle de l’unanimité de la Presse. Or, l’entente ne se faisant pas, nous conservons notre entière liberté et nous décidons de continuer à paraître à 5 centimes.

Journal démocratique, nous nous serions inclinés avec peine devant cette mesure qui empêchait une partie de notre population de se procurer les nou-velles de la guerre ; car nous estimons que d’autres mesures pouvaient être prises pour parer à la pénurie réelle du papier.

Aujourd’hui donc, et jusqu’au jour où la presse unanime prendra une décision contraire, havre-eclair continuera à paraître à 5 centimes. »

Les effets sur le roman-feuilleton se font bien évidemment aussitôt sentir. Dans un certain nombre de journaux, le feuilleton disparaît purement et simplement — pour ne reparaître que des années plus tard, ou jamais. Dans d’autres, la périodicité de publi-cation devient tout à fait aléatoire.

L’Eclair comtois, qui, en août 1914, publie jusqu’à son terme un roman de Gaston Leroux, Rouletabille chez le tsar, propose de nouveau à ses lecteurs une œuvre de cet auteur en décembre 1917. Mais la publication de L’Epouse du Soleil ne s’achève qu’en novembre 1918, soit 342 jours plus tard pour seulement 47 feuilletons. Le rythme quo-tidien de publication est donc devenu un rythme hebdomadaire — et irrégulier !

Autre exemple : la publication du roman de Claire de Neste, Le Secret du taube vert, dans La Dépêche républicaine de Franche-Comté (Besançon), qui débute le 15 mai 1916 n’en est qu’à son 135e feuilleton à la fin de l’année 1918 — soit 960 jours plus tard.

Dans d’autres cas, par exemple pour le magazine Les Trois couleurs, la pagination est réduite pour une quantité de texte identique, et c’est la typographie qui résout le problème, donnant toutefois une lecture beaucoup plus difficile.

Le public attend un nouveau roman

Durant la Grande Guerre, même les soldats au front, dès lors qu’ils ne sont pas dans la tranchée, ont accès au roman populaire. En effet, bien qu’ils ne constituent pas le public prioritaire des romanciers qui s’adressent avant tout aux non-combattants, ils peuvent, au repos ou en convalescence, lire les romans-feuilletons de la presse ou les titres des collections de l’éditeur Ferenczy et de ses confrères.

Il est attesté, par exemple, que Joseph Ferenczy (1855-1934), fondateur en 1879 de la maison qui porte son nom, « pendant toute la durée de la guerre, a envoyé aux hôpi-taux militaires ses volumes de toutes catégories par milliers » 1.

Déjà fortement attiré par la presse locale, dans les divers départements, le lecteur du roman populaire a encore à choisir entre cette presse et la presse nationale.

Mais, dans les premiers mois de guerre, cette dernière souffre d’une diffusion défail-lante du fait de l’accaparement des moyens de transport par l’armée. Son taux d’in-vendus atteint des records, jusqu’à 40 %. Ce qui profite, bien, évidemment, à la presse locale qui va, dans la majorité des cas, et surtout pour les titres les plus importants, être amenée à prendre une autonomie de plus en plus marquée.

Le public du roman populaire a ceci de remarquable qu’il joue en interaction avec ses « fournisseurs » — auteurs et éditeurs.

1 Signalé dans son dossier de la Légion d’honneur (voir la Base Léonore).

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On connaît l’exemple célèbre de la correspondance reçue par Eugène Sue lors de la publication des Mystères de Paris 1. Et, même si l’on dispose de fort peu de documents concrets sur la question, on sait que, ne serait-ce que par l’audience qu’il donne aux diverses publications, le lecteur du roman populaire influence les choix des produc-teurs.

Ceux-ci, durant la Grande Guerre vont donc avant tout poursuivre les chemins déjà tracés. La presse nationale va continuer d’accorder sa confiance aux auteurs à succès : les Jules Mary, Gaston Leroux, Arthur Bernède, Marcel Allain et tant d’autres. Les journaux des départements vont poursuivre leur politique de reproduction d’œuvres reconnues par le public. Les éditeurs de collection populaire vont abonder dans les deux domaines : rééditions et inédits.

Mais, en période de crise politique internationale, le lecteur du vingtième siècle, inquiet de l’évolution des événements et du devenir du monde, va se tourner vers le roman populaire pour obtenir des réponses d’actualité et lever ses inquiétudes.

C’est plus précisément le roman d’espionnage — dont la définition première est de traiter des relations internationales — qui va par conséquent être amené à se dévelop-per. Car, de même qu’il se multipliera, au cours des années de la Guerre froide, pour briser les craintes d’une troisième guerre mondiale, et, dans les années plus récentes, pour exorciser la menace provoquée par le terrorisme international, à partir de la fin de l’année 1914, ce roman d’espionnage, bientôt transformé en ce que nous pouvons appeler le roman populaire de guerre, est plébiscité par ceux et celles qui vont vivre l’une des périodes les plus effrayantes de notre histoire contemporaine.

Le roman populaire et l’actualité

Ce roman de guerre a des antécédents, car le roman populaire a très tôt été concerné par l’actualité de son temps.

Ainsi, sous le Second Empire, les transformations de Paris, à l’initiative du préfet Haussmann, servent de décor à un épisode entier du cycle de Rocambole, Les Démoli-tions de Paris, écrit par Ponson du Terrail.

Durant les années de la « première » IIIe République, les romanciers populaires prennent fréquemment les différents conflits comme cadre de leurs récits : guerres coloniales, guerre des Boers, guerre russo-japonaise de 1905, guerre des Balkans de 1912-13.

Certains auteurs s’intéressent même aux conflits politiques se déroulant dans des pays bien éloignés de la France. Georges Le Faure, par exemple, traite de la révolution des Congressistes au Chili, en 1891, dans Libertador (1892), ou encore de la situation politique complexe en Abyssinie, à la même époque, dans Nicolas Pépoff (1895).

Les faits divers, et plus particulièrement les grandes catastrophes, sont parfois repris dans le roman populaire, tels l’incendie de Bazar de la Charité, survenu à Paris en 1897, que Gaston Leroux met en scène, quelques mois plus tard, dans son premier roman, L’Homme de la nuit, publié dans Le Matin sous le pseudonyme de Georges-Gaston Larive, ou encore le naufrage du paquebot transatlantique britannique Titanic, en avril 1912, qu’utilisent Pierre Souvestre & Marcel Allain dans La Fin de Fantômas (1913) pour achever, de manière dramatique, leur vaste roman publié par Fayard.

Très tôt après l’Année terrible (1870-71), l’Allemagne est au cœur des préoccupations de certains auteurs qui vont construire le roman d’espionnage français.

Après quelques autres, Georges Le Faure, avec Jeanne l’Alsacienne (1887), propose un roman mettant en scène un espion allemand, directeur d’un véritable réseau d’espion-nage installé en France, avant même la guerre de 1870, contre lequel lutte un vaillant policier français, premier agent de contre-espionnage du roman populaire.

1 Lire Jean-Pierre Galvan, “Les Mystères de Paris”. Eugène Sue et ses lecteurs (L’Harmattan, « Litté-ratures », 2 tomes, 1998).

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Le Faure récidive quelques années plus tard, avec Mémoires d’un espion militaire (1898) et 30 ans d’espionnage (1905). Mais d’autres auteurs vont également alimenter ce qui va devenir le roman d’avant-guerre, c’est-à-dire un roman mettant en scène une guerre secrète entre l’Allemagne et la France : Théodore Cahu avec Vendus à l’ennemi (1896), Paul Bertnay avec L’Espionne du Bourget (1909), Arthur Bernède avec Cœur de Française (1912)…

Parallèlement se développe également le roman d’anticipation proposant des guerres futures. Dès 1888, le capitaine Emile Driant, sous le pseudonyme de Capitaine Danrit, imagine la prochaine guerre contre l’Allemagne dans La Guerre de demain. Il récidive avec un récit plus circonscrit, Robinsons souterrains, paru initialement en 1912 et abon-damment reproduit dans la presse jusqu’en 1915, date à laquelle l’auteur décide de l’actualiser pour en faire La Guerre souterraine.

Avec la collaboration du colonel Royet, Paul d’Ivoi écrit en 1904 La Patrie en dan-ger ! Histoire de la guerre future, autre variante d’un conflit germano-français annoncé. Les mêmes auteurs œuvrent ensuite dans le roman d’avant-guerre avec Le Capitaine Matraque (1906).

Un millier de romans en feuilletons

Au cours de la Grande Guerre, la presse quotidienne en France propose à son public environ onze cents romans-feuilletons — inédits ou déjà parus ailleurs. Un peu moins de deux cents dans la presse parisienne, à peu près neuf cents dans la presse des départements. Mais, cette dernière n’offre en fait qu’un peu plus de cinq cents romans différents.

En effet, si les grands journaux nationaux ne publient que des romans inédits, la presse des départements, elle, publie souvent des reproductions, c’est-à-dire des romans déjà parus dans d’autres journaux — jusqu’alors provenant presque exclusivement de la presse nationale.

Parfois, un très grand laps de temps sépare la publication originale de la reproduc-tion et, pour des raisons commerciales, le roman peut changer de titre. Ainsi, en 1911, Le Progrès de la Somme (Amiens) publie Le Crime d’Amiens de Jules Lermina, reprise d’un roman intitulé Madame Sept-Quatre et paru dans Le Soir (Paris) presque quarante ans plus tôt, en 1873 !

Et le nombre de reproductions d’un même roman peut être conséquent. Ainsi, par exemple, durant la Grande Guerre, cinquante romans-feuilletons signés Jules Mary, l’auteur le plus diffusé, sont publiés dans l’ensemble des quotidiens français — dont seulement cinq inédits parus dans la presse nationale. Une vingtaine d’autres sont reproduits en moyenne deux fois, et parfois jusqu’à cinq fois.

Au cours de la période, le pourcentage de reproductions s’avère beaucoup plus élevé pour le roman de guerre. Il est, en moyenne, reproduit trois fois, contre à peine une fois et demie pour les autres romans : il est donc deux fois plus présent durant la période — même s’il ne représente qu’un quart des titres proposés et un tiers des publications.

Si Lady Mary de la Sombre Maison de C.M. Williamson, adapté de l’anglais par Louis d’Arvers (Gabrielle Dumont), connaît une dizaine de parutions, les autres romans « hors guerre », tels La Petite Magg de Maxime Latour, Forfaits d’amour d’Ely-Monclerc, Le Mal-heur d’aimer de Robert Sainville ou encore Les Frontières du cœur de Victor Margueritte, en connaissent moitié moins. Et Le Feu d’Henri Barbusse apparaît seulement quatre fois. En revanche, Dans les ruines de Belgique de Charles Solo est publié au moins dix-sept fois, tout comme Le Fils de l’espion de Maxime Audouin et Le Fils de l’espionne de Marc Mario.

Les auteurs les plus diffusés au cours de la Grande Guerre sont, par ordre d’impor-tance : Jules Mary, Paul de Garros, Charles Solo, Claude Montorge, Frédéric Valade (Henry Jagot), Henri Germain, Marc Mario, le capitaine Danrit et Delly, tous auteurs de romans de guerre mais présents aussi pour leurs romans antérieurs.

Ainsi sont reproduits, outre les romans de Jules Mary : Le Château de l’ours (1908) de Paul de Garros, Mam’zelle Monte-Cristo (1907) de Charles Solo, La Belle Louison (1899)

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et La Fauvette du faubourg (1904) d’Henri Germain, Le Petit clairon des zouaves (1897) de Marc Mario, Les Robinsons de l’air (1908) du capitaine Danrit, Magali (1909) et Entre deux âmes (1912) de Delly.

Dans la presse des départements, un auteur comme Gaston Leroux n’est présent qu’avec la reproduction de romans « anciens » : Un homme dans la nuit (1897), Le Roi Mystère (1908), Le Fauteuil hanté (1909), L’Epouse du Soleil (1912).

D’autres auteurs contemporains, dont certains peuvent être considérés comme des auteurs intermédiaires 1, sont publiés, soit avec des romans inédits, soit avec des repro-ductions : Ely-Monclerc, Charles-Henry Hirsch, Daniel Lesueur, Robert Sainville…

Les grands auteurs populaires du siècle précédent sont en revanche peu présents.Le Courrier de Saumur et Le Droit du Peuple (Grenoble) publient Le Juif errant d’Eu-

gène Sue et l’on peut lire, de Paul Féval : Le Bossu dans L’Avenir du Puy-de-Dôme et du Centre (Clermont-Ferrand), Les Couteaux d’or dans Le Centre (Montluçon) ou Le Loup blanc dans la Chronique picarde (Amiens). L’Avenir du Puy-de-Dôme publie également trois fois Alexandre Dumas, avec Ange Pitou, La Comtesse de Charny et Le Chevalier de Maison-Rouge et La France de Bordeaux et du Sud-Ouest le publie deux fois, avec La Dame de Monsoreau et Les Quarante-Cinq, alors que l’on trouve Le Comte de Monte-Cristo dans Le Petit Provençal (Marseille).

En revanche, Ponson du Terrail, Gustave Aimard ou Xavier de Montépin semblent oubliés durant la Grande Guerre, et, n’est publié qu’un court roman d’Emile Gaboriau, Le Petit vieux des Batignolles, dans Le Petit Provençal.

Le Droit du Peuple, pour sa part, se singularise en choisissant de publier les romans d’aventures historiques de Michel Zévaco — parus originellement dans Le Matin — en parallèle à Sue et Delly, et avant Le Feu d’Henri Barbusse.

Feu de tous bois

Lorsque le conflit éclate, certains journaux, pris de court et ayant déjà des engage-ments avec leurs auteurs, argumentent pour recadrer des romans d’avant-guerre dans le nouveau contexte de la guerre. Ainsi, Le Petit Parisien qui, à la veille de lancer la publication d’un nouveau roman-feuilleton signé Arthur Bernède, se justifie dans son annonce de lancement :

« Publier en pleine guerre l’histoire vécue des menées allemandes sur notre territoire à la veille du combat, tel est le but que poursuit le petit parisieN en donnant très prochainement à ses lectrices et à ses lecteurs la primeur d’un nou-veau récit inédit de notre collaborateur Arthur BerNède.

Comme toujours merveilleusement documenté sur toute la question de la défense nationale, notre vaillant ami […] n’a eu qu’à rassembler les notes recueil-lies par lui, depuis plusieurs années, pour en tirer le récit le plus émouvant, tout d’actualité passionnante, qu’il ait jamais écrit et qui, sous le titre de l’espioNNe de GuillauMe, jettera une lumière aussi complète que définitive sur les agissements de nos ennemis.

[…] Jamais la bassesse teutonique n’aura été plus cruellement flagellée ! Jamais l’âme française, toute vibrante d’abnégation et d’amour, n’aura été plus noblement exaltée ! »

D’autres journaux choisissent de reproduire des romans qui, sans être des romans d’avant-guerre ou des romans de guerre, font référence à la situation du moment. Tel L’Eclair comtois qui, fin août, reproduit La Bataille du Champ des Bouleaux du comman-dant de Cyvrieux, préfacé par le capitaine Danrit, une uchronie ainsi définie :

1 Cette expression désigne les auteurs qui, usant des mêmes pratiques éditoriales et employant certains procédés du roman populaire, ont par leur écriture un statut qui tend plus aisément à la légitimation de leur époque.

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« Ainsi en l’an 191*, selon les prédictions de la célèbre prophétie de Stras-bourg, au Champ des Bouleaux en Westphalie, une génération et demie après sa fondation, périt, avec le troisième et dernier Kaiser, l’empire allemand des Hohenzollern. »

Le Messager de la Somme, lui, à la même époque, publie Race contre race de Paul de Garros, sous-titré Episode de la Grande Guerre — alors qu’il y est question, en réalité, de la guerre de 1870, — annoncé ainsi :

« Les notes qui ont servi à former ce récit ont été écrites sous la dictée des évé-nements pendant l’Année Terrible par un Alsacien profondément attaché à la France. »

Et la rédaction du journal ajoute, in fine : « M. P. de Garros a écrit ce roman en 1913. Il ne prévoyait pas alors que la guerre était si près d’éclater. »

Ce renvoi à la précédente guerre franco-allemande va perdurer durant le conflit. Un choix qui explique que, durant l’année 1915, le roman d’Henri Germain La Belle Lor-raine soit reproduit dans pas moins de huit journaux des départements après avoir été publié dans la collection « Les Maîtres du roman populaire » de Fayard — aux côtés d’autres romans de 70 comme Le Petit tambour de Bazeilles de Georges Maldague ou L’Amour sous les balles d’Henri Gallus.

De même, beaucoup de romans ayant un lien avec le conflit continueront d’avoir les faveurs des journaux. Ainsi, durant la période, paraît cinq fois La Fiancée de Lorraine de Jules Mary mais aussi cinq fois Les Espions rouges de Paul de Garros, six fois Vanouna la Bulgare de Victor Goedorp, quatre fois Zigomar au service de l’Allemagne de Léon Sazie.

Par ailleurs, nombreux sont les romans contemporains dont l’intrigue s’achève aux premiers jours de la guerre. Au dernier chapitre des Rapaces de Jules Mary, seul inédit qui ne peut pas être considéré comme un roman de guerre, le tocsin sonne au 1er août et les trois héroïnes vont devoir fuir devant l’invasion allemande.

Même dans Les Mystères de New York de Pierre Decourcelle, « roman cinéma améri-cain », adaptation d’un serial créé aux Etats-Unis, l’intrigue s’achève « le 9 août, sept jours exactement après la déclaration de guerre ».

Enfin, certains journaux n’hésitent pas à trouver, de manière plus ou moins convain-cante, un intérêt d’actualité à des romans qui n’en ont pas forcément. Tel L’Union répu-blicaine (Mâcon) à propos de L’Amour au harem d’Emile Deschamps, roman présentant une nation ennemie de la France : la Turquie !

Des stratégies différentes

Les trois-quarts des romans de guerre sont diffusés dans la presse mais ne paraissent pas tous, loin de là, dans les grands quotidiens nationaux d’information, avant tout représentés par les quatre titres majeurs que sont Le Petit Parisien, Le Petit Journal, Le Matin et Le Journal.

Certains paraissent aussi dans d’autres titres quotidiens parisiens, comme L’Echo de Paris, Le Gaulois, La Patrie ou La Presse. D’autres paraissent dans les publications heb-domadaires — avant tout celles spécialisées sur la guerre. Mais la grande majorité est publiée par la presse quotidienne départementale, qui compte, en 1914, plus de 150 titres.

La grande presse parisienne participe à la diffusion du roman-feuilleton de guerre en publiant les œuvres des auteurs réputés dont les romans ont déjà paru dans ses « rez-de-chaussée » — comme Gaston Leroux pour Le Matin, Arnould Galopin pour Le Journal, Jules Mary pour Le Petit Parisien — mais également d’autres auteurs connus. Par exemple, Le Petit Journal débauche Arnould Galopin dont les romans voisinent avec ceux de Paul Bertnay, Paul Segonzac, Maxime Audouin, Maurice Landay, Marcel Allain ou Léon Sazie.

Durant la Grande Guerre, les engagements contractuels de la presse parisienne avec ses partenaires traditionnels semblent modifiés et les reproductions se font plutôt

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entre journaux des départements. Ce qui est un moyen de rentabiliser une « initiative locale » surtout destinée à alimenter ces journaux en romans de guerre.

Fort peu de ces romans parus initialement à Paris réapparaissent dans les départe-ments. Ceux de Gaston Leroux n’y sont jamais publiés, seuls deux d’Arnould Galopin le sont mais pour un total modeste de onze reproductions. Certes, les trois romans de guerre de Jules Mary parus durant le conflit sont reproduits, mais seulement onze fois au total.

Ce sont donc les romans publiés par la presse des départements qui vont principale-ment être repris dans cette même presse.

Il est fréquent alors qu’un journal, pour ne pas décevoir ses lecteurs, revendique à tort la paternité d’un roman. Les exemples abondent.

Le Petit Troyen commence, le 6 août 1916, la publication de La Fiancée des Vosges de Frédéric Valade en précisant qu’il s’agit d’un « grand récit inédit écrit spécialement pour [ses] lecteurs », alors que la première publication, faite par Le Nouvelliste de Bre-tagne (Rennes), remonte au 16 juin !

C’est également ce même Nouvelliste qui a publié initialement, le 26 mars 1915, Le Caporal Oscar du même auteur, revendiqué plus tard comme inédit par L’Eclair de l’Est (Nancy).

Le Fils de l’espionne de Marc Mario, paru d’abord dans Le Progrès de la Côte d’Or (Dijon), à partir du 21 mars 1915, est par la suite annoncé comme inédit dans La Tribune républicaine (Saint-Etienne) ou L’Union républicaine (Mâcon).

On peut donc aujourd’hui ne plus savoir à quoi s’en tenir, car, à l’inverse, l’annonce suivante n’est pas erronée :

« C’est jeudi 30 décembre que commencera dans Le Soleil du Midi la publica-tion de Fiancés d’Alsace qu’a écrit spécialement à l’attention des lecteurs de ce journal le populaire romancier Paul de Garros. »

L’initiative de la presse des départements

Comme l’explique fort bien Paul Lafitte, le rédacteur en chef de L’Echo d’Alger — devenu romancier occasionnel, — la presse des départements (métropolitains et algé-riens), lorsqu’elle souhaite reprendre un feuilleton lié à l’actualité, généralement à l’automne de 1914, souffre d’un manque de textes, car, dans un premier temps, la presse nationale n’a encore rien à lui offrir.

En effet, à l’exception du Petit Journal qui publie Présent ! de Paul Segonzac en novembre 1914, les grands quotidiens attendent les premières semaines de 1915 pour proposer des romans de guerre inédits : Les Poilus de la 9e d’Arnould Galopin dans Le Journal, à partir du 25 janvier ; Sur les routes sanglantes de Jules Mary dans Le Petit Parisien, à partir du 30 ; La Fille du Boche d’Henri Germain dans Le Matin, à partir du 6 février.

Le concurrent direct de L’Echo d’Alger, La Dépêche algérienne, choisit, comme d’autres journaux vont le faire par la suite, de reproduire un roman consacré à la précédente guerre franco-allemande, celle de 1870, et publie, à partir du 3 novembre, La Fiancée de Lorraine de Jules Mary. Mais Paul Lafitte et sa rédaction, eux, vont opter, comme dans la plupart des grands journaux des départements, pour l’« initiative locale ».

C’est ainsi qu’en novembre 1914, L’Echo d’Alger publie La Petite zouave de Paul Lafitte, tandis que le Journal de Maine et Loire (Angers) publie La Métairie de Chantemerle de Pierre Cherré. Peu après, Le Phare de la Loire (Nantes) publie Le Fils de l’espion de Maxime Audouin, qui paraît à partir du 13 janvier 1915.

L’« initiative locale » — commande directe d’un journal de département à un auteur réputé — n’est pas un fait récent à l’époque. Déjà, sous le Second Empire, en 1868, le lancement du journal La Sarthe (Le Mans) bénéficie d’un roman inédit de l’un des auteurs les plus réputés de l’époque : La Dame au collier rouge de Ponson du Terrail. Mais le phénomène va prendre une dimension nouvelle avec la Grande Guerre.

Parfois, les auteurs sollicités sont occasionnels, comme Paul Lafitte, Pierre Chérré

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ou encore René Berton — pour Le Courrier du Centre (Limoges). Mais, le plus souvent, ce sont des auteurs importants et déjà connus. Le Phare de la Loire (Nantes) fait ainsi appel à Maxime Audouin qui a déjà publié quatre romans dans Le Petit Journal ; alors que L’Ouest-Eclair (Rennes) et L’Eclaireur de Nice publient des romans de H.-J. Magog, auteur déjà publié dans Le Journal ou Excelsior. Des romans de Marc Mario, Paul de Garros, Frédéric Valade, Georges Spitzmuller ou Georges de Lys paraissent originelle-ment dans la presse des départements.

La signature d’un auteur aussi important que Charles Solo, le plus diffusé pour ses romans de guerre durant le conflit, n’apparaît pas dans la presse parisienne.

Un roman, spécialement écrit pour un journal local, s’apparente souvent à la littéra-ture régionaliste par l’obligation faite à l’auteur de choisir des personnages du cru ou, du moins, de situer l’action du récit dans des lieux proches du lectorat.

C’est le cas pour Paul Laffite ou Pierre Cherré, mais aussi pour René Berton ou Claude Frémy qui mettent en scène la mobilisation à Limoges respectivement dans L’Escouade de fer et Celles qui aiment, publiés par Le Courrier du Centre (Limoges), ou pour Suzanne Mercey qui décrit la vie d’un village briard durant le conflit dans Les Suppléantes, publié par La Brie (Provins).

Poussé à l’extrême, ce principe conduit un Georges Spitzmuller à proposer deux ver-sions de son roman Les Deux capitaines — signé Henry de Chazel : la première, destinée à La Dépêche républicaine de Franche-Comté à Besançon, dont l’action débute dans cette ville ; une seconde, sous le titre La Fiancée du capitaine, destinée au Petit Marseillais, où l’action débute… à Marseille !

Enfin, la presse des départements peut exceptionnellement reproduire un roman paru dans un journal-roman — comme la Chronique Picarde (Amiens) reprenant Spectatrice de la vie d’Emmanuel Soy paru dans Les Veillées des Chaumières, — voire même chez un éditeur — comme L’Avenir du Puy-de-Dôme (Clermond-Ferrand) reprenant L’Orpheline de 1914 de Michel Nour publié initialement chez Ferenczy.

La place du cinéma dans la presse

Durant la Grande Guerre, le cinéma s’invite dans le roman-feuilleton : apparaissent les romans cinématographiés ou les ciné-romans. Dans le premier cas, il s’agit d’un roman qui va être adapté au cinéma ; dans le second cas, d’un roman qui est ce que l’on appelle de nos jours une novélisation, autrement dit un roman écrit d’après le scénario du film — en fait, à l’époque, une série de courts-métrages réalisés aux Etats-Unis ou en France : un serial.

Dès 1915, les journaux nationaux publient pour la première fois des ciné-romans dont la parution est couplée avec la sortie, dans les salles de cinéma, des épisodes corres-pondants du film — muet à l’époque. A partir du 17 décembre, Le Matin propose à ses lecteurs, parallèlement à la projection dans les salles du réseau Pathé, Les Mystères de New-York, adaptation par Pierre Decourcelle de trois serials américains réalisés par Louis Gasnier et formant un tout : The Exploits of Elaine, The New Exploits of Elaine et The Romance of Elaine, diffusés aux Etats-Unis un an auparavant — au total trente-six épisodes ramenés, en France, à vingt-deux.

A côté de romans de guerre, Georges Le Faure publie, dans l’hebdomadaire Le Pays de France, la novélisation d’un western : Suzy l’Américaine, et, dans L’Ouest-Eclair, celle de Mam’zelle Sans-le-Sou, un récit d’aventures qui sera abondamment reproduit dans la presse des départements. Mais il publie également, dans Le Matin, un roman cinématogra-phié, donc un scénario original : L’Ame du bronze, qui s’avère un roman cinéma de guerre !

Marcel Allain, lui, modifie quelque peu les scénarios originaux qu’il doit adapter, pour les impliquer dans la guerre. Dans Cœur d’héroïne, adaptation du serial Patria de Jacques Jacquard, le combat, à la frontière du Mexique, entre troupes américaines et bandits mexicains rappelle fortement les luttes franco-allemandes des tranchées de Champagne.

Pour sa part, Arthur Bernède abandonne son maître contre-espion Chantecoq pour

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le personnage de Judex, « cinématographié » par Louis Feuillade, qui n’a plus de lien direct avec la guerre.

Quant à Guy de Téramond, il adapte, tour à tour, un autre serial réalisé par Louis Gasnier, The Shielding Shadow, qui devient Ravengar amour dans les ruines, roman conjectural publié dans L’Echo d’Alger en 1917, puis le serial The Secret of the Submarine, qui devient Le Secret du sous-marin, roman d’espionnage publié l’année suivante dans Le Journal.

Enfin, certains journaux reproduisent des œuvres anciennes dès lors qu’elles sont adaptées au cinéma. Ainsi Le Petit Provençal (Marseille) publie Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, à partir de janvier 1918.

Crise économique et morale

Ce type de roman populaire concurrence le roman de guerre, à partir de 1916 et surtout dans les années suivantes.

En fait, la place du roman de guerre est très importante au cours des deux premières années du conflit, où il occupe un feuilleton sur trois, et décroît considérablement ensuite pour ne plus occuper qu’un feuilleton sur dix en 1918.

Le ralentissement de la publication des feuilletons du fait de la crise économique, et donc des difficultés que rencontrent les journaux, n’est probablement pas la seule explication. Le développement des ciné-romans n’apporte pas non plus la réponse entière à la question.

L’angoisse qui appelait le roman de guerre est toujours là : la guerre continue de faire de nombreuses victimes et elle s’éternise. Mais, étant avant tout une guerre de position que beaucoup de ceux qui n’ont pas les armes à la main ressentent comme figée, elle n’incite pas au développement d’un type de récit qui est avant tout un récit d’aven-tures, donc de mouvement.

Ainsi, Arnould Galopin, qui propose des pseudo-journaux de combattants, rédigés à la première personne, après avoir par trois fois dépeint les débuts de la guerre, met encore en scène les tranchées en 1916, lors de la bataille de la Somme, mais choisit, pour ses deux derniers romans de guerre, les combats maritimes, allant même, pour le dernier, jusqu’à verser dans la science-fiction afin de ne pas décevoir son lecteur.

Certains auteurs tentent de se renouveler en employant l’exotisme. Ce qui donne à lire, par exemple, Les Cosaques de la mort, un récit très instructif de Charles Solo sur les massacres commis en Arménie en 1915. Mais le même auteur « termine la guerre » avec La Veuve de Judas, un roman dont l’action se situe à l’époque de la Révolution française.

D’autres, visiblement, veulent, avant l’heure, en finir avec la guerre. Il y a les opti-mistes, comme Jules Chancel qui, dès l’automne de 1917, annonce la victoire finale. Il y a les pessimistes, comme Pierre Cherré qui, à la même époque, déplore l’ineffica-cité des victoires françaises et interrompt brutalement un roman, vaste chronique du conflit commencée en novembre 1914.

Au final, trois quarts des romans de guerre inédits sont publiés de la fin de 1914 à 1916, contre un quart en 1917 et 1918. Le nombre de reproductions par titre atteint un pic en 1917 pour redescendre, l’année suivante, au taux de 1915.

Mais, au lendemain de l’armistice, les journaux publient encore des romans de guerre, tels ceux de Jules Mary, Suppliciée et L’Arrêt de mort. Et Georges Spitzmuller deviendra un spécialiste du roman de post-guerre avec La Pieuvre (1920), pseudo-témoignage d’un espion allemand arrêté durant la guerre, ou bien La Marche nuptiale (1925), où sont évoquées les « gueules cassées ».

Les magazines aussi

A l’image de la grande presse quotidienne, Excelsior, cédé par Lafitte au Petit Parisien en février 1917, ne publie pas, dans son feuilleton hebdomadaire puis quotidien, que des romans de guerre. On y trouve toutefois Sous la rafale de Louis Mirande, L’Aviateur

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inconnu de Marcel Allain et Pour le roi de Prusse ! de Georges Maldague. Mais, La Cage d’acier de Maurice Landay, par ailleurs auteur de nombreux romans de guerre parus chez Fayard, n’en est pas un.

Très impliqué dans la guerre, comme le prouvent les couvertures de ses reliures annuelles, Mon Journal, publié par Hachette, ne publie pas non plus que des romans de guerre. On peut y lire toutefois, entre autres, Le Boy-scout de la Revanche de Jacquin & Fabre, ainsi que Nicole, petite fille de la Croix-Rouge et Les Sous-marins fantômes de Georges-Gustave Toudouze.

La maison Offenstadt est sensiblement dans la même stratégie, alternant romans de guerre et romans « traditionnels ». La Croix d’honneur publie à la fois Les Enfants du Lorrain de Jacques Rinet, roman de guerre, et Le Maître de la banquise de José Moselli, curieux récit dont le héros est un criminel. L’Intrépide publie à la fois Les Yeux d’acier de Pierre Adam, roman de guerre exotique, alliant espionnage et science-fiction, et L’Aiglon de la Cordillère de Jo Valle, roman d’aventures traditionnel. Et de même encore pour L’Epatant ou Fillette.

Magazine spécialisé, Les Trois Couleurs ne traite, en revanche, que de la guerre, avec le concours d’Henri Pellier qui parvient à offrir les aventures de ses Trois poilus associés au jeune Roger Lefranc durant tout le conflit, jouant parfois sur l’exotisme.

Les deux romans-journaux d’obédience catholique, L’Ouvrier et Les Veillées des Chau-mières, s’impliquent également beaucoup dans la guerre. Le premier, outre les romans de guerre de Jean Drault, propose par exemple un roman historique d’Henry de Brisay, Le Secret du roi de Prusse, destiné à dénoncer les origines de la barbarie allemande, comme l’indique l’annonce :

« […] Le Secret du roi de Prusse est une œuvre d’actualité rétrospective, si on peut accoler ces deux mots. Elle fait revivre la curieuse physionomie de Fré-déric II, ancêtre du Kaiser actuel, artisan de la grandeur de son pays. Et elle montre que, malgré les prétentions de leur souverain à l’allicisme, sous les Prus-siens du XVIIIe siècle, sommeillaient les Boches, dont nous voyons la brutalité barbare et les forfaits. »

Le second publie moins de romans de guerre mais offre malgré tout à ses lecteurs Un mariage en 1915 de M. Maryan ou Le Passé qui dort d’Emmanuel Soy.

Enfin, les trois derniers romans publiés, avant sa disparition, par le Journal des voyages devenu Journal des voyages à travers la guerre sont un roman d’espionnage d’avant-guerre : L’Espion du commandant G. de Wailly, un roman de guerre exotique : Eclaireurs robinsons du colonel Royet, et un roman d’aventure dont l’action se passe aux Etats-Unis : Un drame sur le Canadian Pacific de Maurice Champagne.

Rééditions et nouveautés

Les éditeurs se partagent le quart restant des romans de guerre inédits mais de manière très inégale.

Chez Fayard, dans la collection « Les Maîtres du roman populaire », la dynamique éditoriale est sensiblement équivalente à celle de la presse. Sur près de cent titres parus durant la Grande Guerre, un quart sont des romans de guerre ; les autres, souvent, des romans d’aventures sentimentales et criminelles dus à des auteurs connus, comme Pierre Sales, Georges Maldague, Jules de Gastyne ou Charles Mérouvel.

La particularité de cette collection est de proposer essentiellement la réédition de romans parus dans la presse nationale ou dans les journaux des départements, mais aussi les romans inédits de Maurice Landay, créateur d’un personnage de grand contre-espion, ayant réussi à devenir le conseiller intime de l’empereur Guillaume II : Charles Muller dit l’Homme aux cent masques. Une série spéciale lui est consacrée, ainsi que plusieurs volumes de la série principale — selon une très curieuse logique éditoriale !

L’éditeur fait par ailleurs un timide retour aux publications en livraisons. En 1916, il publie un roman découpé : La Maîtresse du Kronprinz de René Vincy, inachevé, après

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avoir, l’année précédente, édité le roman à épisodes de Marcel Allain, en 35 fascicules : Zizi dit le “Tueur de Boches”.

Chez Ferenczy, le roman de guerre apparaît durant les deux premières années du conflit pour presque disparaître par la suite. Il est présent dans à peu près un tiers de la centaine de titres inédits de la collection « Le Petit Livre » et un quart de la quaran-taine de titres également inédits de la collection « Le Livre épatant ». Ses auteurs sont, entre autres, Marcel Priollet, Fernand Peyre, H.-R. Woestyn.

Tallandier, avec sa collection « Livre national » (série rouge), se comporte très diffé-remment, puisque, sur quatre-vingts titres, seuls une demi-douzaine sont des repro-ductions de romans de guerre — dont quatre pour la seule année 1918, où paraissent la moitié des titres de la période. Mais il en publiera encore par la suite, dans les années d’après-guerre.

Parallèlement, l’éditeur poursuit une pratique déjà ancienne : l’« augmentation » d’un roman-feuilleton paru dans la presse, lors de sa réédition en livraisons. Comme il l’avait déjà fait, par exemple pour La Loupiotte du même auteur, en 1912, il propose, en 1915, avec L’Alsacienne d’Aristide Bruant, un roman de guerre construit à partir d’un roman d’avant-guerre par l’adjonction d’une intrigue supplémentaire habilement cou-plée à l’intrigue initiale.

La maison Delagrave, pour sa part, continue de publier les romans de Jules Chan-cel qui, désormais, ne paraissent plus initialement dans la presse. Ses trois romans de guerre ne sont disponibles qu’en forts volumes cartonnés, illustrés par Louis Bombled. Le dernier, Un match franco-américain, dont la rédaction a certainement débuté dans les derniers mois du conflit, paraît au lendemain de l’armistice.

Avant la fin du conflit, plusieurs auteurs voient leurs romans de guerre, d’abord publiés dans la presse, réédités pour la librairie. Quand cette édition n’est pas due aux principaux éditeurs « populaires » déjà cités, ou à Pierre Lafitte, qui propose, en volumes in-16, L’Eclat d’obus de Maurice Leblanc (1916) ou Confitou de Gaston Leroux (1917), elle peut être le fait d’un éditeur local, proche du journal dans lequel est paru le roman, comme La Métairie de Chantemerle de Pierre Cherré (1915) publié à Angers, sans lieu ni date, ou alors d’un éditeur renom, comme pour Le Boy-scout de la Revanche de J. Jacquin & A. Fabre (1916), chez Hachette, ou Le Chef des K, devenu Monsieur l’espion et sa fille, de Jean Drault (1917) chez Mame (Tours) — éditeur également de romans de guerre sans pré-publication.

On note toutefois que les trois romans les plus diffusés durant la Grande Guerre ne connaissent pas un sort identique. Deux seulement paraissent en librairie grâce à l’éditeur Tallandier : Dans les ruines de Belgique de Charles Solo, en 1916, et Le Fils de l’espionne de Marc Mario, beaucoup plus tardivement, en 1922.

Un engagement variable

L’armée avait des plans de mobilisation. On doute que les directeurs de journaux ou les éditeurs en aient eu aussi. Toutefois, la mobilisation des romanciers populaires se déroule tout aussi bien que celle des futurs « poilus ».

Pour certains, qui avaient déjà abondé dans le roman d’avant-guerre, la transition est presque naturelle. Arthur Bernède et Aristide Bruant, qui écrivent en commun mais signent séparément leurs œuvres — selon un contrat préétabli 1, — font paraître dans Le Petit Parisien, à partir de novembre 1914, L’Espionne de Guillaume, signé Bernède et sous-titré Histoire de l’avant-guerre, mais enchaînent, aussitôt ce roman achevé, en avril de l’année suivante, avec un nouveau roman au titre emblématique : Tête de Boche, signé Bruant. Par la suite Chantecoq entre en guerre, sous la signature de Bernède, tan-dis que, sous celle de Bruant, paraissent des récits évoquant les prisonniers de guerre ou les « gueules cassées ».

1 Lire Annie Besnier, « Arthur Bernède (1871-1937) » (Le Rocambole n°14, printemps 2001).

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Jules Mary prolonge son roman d’avant-guerre, Soldats de demain, avec des romans où réapparaît son personnage de brillant contre-espion César Sanguinède. Après avoir longuement traité des combats, il évoque ensuite l’arrière dans des romans publiés jusqu’en 1919.

On a parfois le sentiment que l’auteur modifie un roman dont la rédaction a été entre-prise avant la déclaration de guerre, pour en faire un roman de guerre à part entière. C’est le cas flagrant du Secret du taube vert de Claire de Neste, sous-titré Roman de l’avant-guerre et de la guerre européenne, qui comporte deux parties dont seule la seconde relève de la thématique de la guerre.

A l’inverse, d’autres auteurs modifient brusquement leurs projets.Gaston Leroux arrête l’écriture d’un roman qui ne paraîtra pas de son vivant, pour

se lancer dans la rédaction d’œuvres entièrement consacrées à la guerre — dont une au moins restera inachevée. Certes, en 1916, paraît dans Je sais tout un court roman étranger à la guerre, Le Monsieur qui revient de loin, mais sans que l’on puisse affirmer qu’il ait été écrit durant le conflit.

Pour sa part, Arnould Galopin se spécialise dans le roman de tranchées — roman se présentant comme mémoires d’un combattant, — avant de traiter la guerre sous la forme plus traditionnelle du roman d’aventures.

Marcel Allain, lui, après avoir « ouvert » sa guerre par une série de fascicules dont le héros est l’emblématique Zizi « le tueur de Boches », « raccroche » un roman policier à l’espionnage de guerre, Les Mystères du métro, avant de « détourner » des ciné-romans.

Les auteurs publiés dans les petites collections de la maison Ferenczy — qui devient Ferenczi en 1916 ! — s’adaptent aux circonstances et offrent au public du roman popu-laire de courts récits dont les héros — souvent féminins — combattent vaillamment l’ennemi allemand. Ainsi, Etienne Jolicler propose, avec le troisième volet de sa trilo-gie de Chinette, une Chinette en guerre.

Quelques rares auteurs échappent à cette mobilisation. Logiquement, Michel Zévaco, connu pour ses idées proches de l’anarchie, auteur exclusivement de romans d’aven-tures historiques, ne déroge pas à ses habitudes à cause de la guerre.

Plus curieusement, Léon Sazie, auteur d’un des tout premiers romans de guerre paru dans Le Pays de France, « oublie » ensuite le conflit, y compris dans Bouche-en-Cœur, une nouvelle aventure de son célèbre personnage Zigomar — qui ne sera que fallacieu-sement mis « au service de l’Allemagne » à travers la reprise d’un épisode antérieur à 1914. Il avait pourtant exprimé son antigermanisme dès 1897 avec Chérie et maudite.

Malgré tout, même « mobilisés », tous les auteurs ne rédigent pas, durant le conflit, que des romans de guerre. Si tel n’est pas le cas pour Arnould Galopin ou Jules Chan-cel, même les plus fervents sont généralement auteurs d’une exception au moins : Maurice Landay avec La Cage d’acier (1916), Jules Mary avec Les Rapaces (1917), Charles Mérouvel avec L’Engrenage (1917), Charles Solo avec La Veuve de Judas (1918).

Certains, comme Marcel Allain, Arthur Bernède ou Georges Le Faure se tournent vers le ciné-roman, d’autres « abandonnent » la guerre, comme René Vincy.

Le roman de guerre

La Grande Guerre inspire les romanciers depuis son déclenchement jusqu’à nos jours. Mais, lorsqu’elle s’achève, les romans qui la concernent changent de statut : ils sont, certes, des témoignages ou des reconstitutions ; ils proposent le plus souvent une réflexion sur le phénomène guerrier et ses terribles conséquences, mais ils ne parti-cipent plus au conflit.

Durant les cinquante-deux mois de la Grande Guerre, le roman populaire de guerre joue un rôle important parce qu’il « fait » la guerre tout autant que les autres « armes » servant au conflit.

En cela il est différent du roman de 70 : roman dont l’action se situe au cours de l’An-née terrible qui a vu l’invasion de la France par les armées prussiennes et bavaroises,

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et qui est postérieur aux événements — mais pourra toutefois être utilisé durant la Grande Guerre comme ersatz du roman de guerre.

Il est différent aussi du roman dont l’action se déroule au cours d’autres conflits ayant ensanglanté le monde au début du vingtième siècle, comme la guerre russo-ja-ponaise de 1905 dont ne traitent que quelques romans populaires tel Blanche contre Jaunes de Pierre Maël — et dont s’inspire le capitaine Danrit pour L’Invasion jaune.

Les romans ayant pour décor la guerre des Balkans de 1912-13 ont seulement cet intérêt d’évoquer une guerre longue et importante à la veille de la grande déflagration mondiale et d’être encore publiés alors qu’elle a débuté, tel Rouletabille à la guerre de Gaston Leroux, paraissant dans Le Matin, ou Le Pauvre amour d’une infirmière de Louis Sollard, publié chez Ferenczy.

En revanche le roman de guerre entretient des liens étroits avec le roman d’avant-guerre dont il est le logique successeur. Comme lui, il évoque une guerre secrète entre la France et l’Allemagne, en parallèle avec la guerre ouverte désormais déclarée. Il prend, de ce fait, fort souvent la forme d’un roman d’espionnage.

Le roman de guerre participe donc à la Grande Guerre à la fois comme un vaste témoi-gnage, souvent bâti à partir de reportages faits sur le terrain, et comme un outil idéo-logique devant promouvoir l’appel à la défense de la patrie et à l’« union sacrée » que celle-ci rend nécessaire.

Le romancier se trouve alors dans une position inédite — et qui ne se reproduira plus : celle d’un auteur qui ne peut connaître la fin de l’histoire. Certes, il peut inventer une fin à l’intrigue qu’il construit, mais il ne peut pas vraiment donner de happy end absolu, ne sachant pas s’il ne devra pas, un jour prochain, parler de défaite et non plus de victoire.

Dès lors, il s’adapte : il arrange les procédés anciens du roman populaire, il en crée de nouveaux. Et surtout, il s’autorise à tenir un discours qu’en d’autres temps il se serait gardé de propager ouvertement.

Le roman populaire de guerre devient une littérature de contrainte qui, toutefois, ne déroge pas à ses qualités premières d’originalité et de diversité.

Au début du conflit

L’action du roman de guerre se situe, le plus souvent, dans la première année du conflit, avec parfois un prologue se déroulant dans les mois, voire les années, le précédant.

La mobilisation générale joue alors un rôle déterminant dans un certain nombre de cas, alors que, dans d’autres, elle est déjà un fait acquis.

Cette mobilisation peut apparaître avant tout comme un drame privé : dans Mariée le 1er août 1914 de Maxime La Tour (Julien Priollet), le marié reçoit sa convocation en plein repas de noces. Elle peut prendre un aspect beaucoup plus social : dans Chinette en guerre d’Etienne Jolicler, l’héroïne et sa sœur conduisent à la gare de l’Est le fiancé de cette dernière et assistent aux scènes de foule qui animent la capitale. Elle peut, enfin, prendre un caractère de solennité nationale : dans Coq de France de Georges de Lys, les jeunes élèves de l’école militaire de Saint-Cyr sont faits officiers avant l’heure et jurent de mener au combat leurs hommes en portant leur casoar et leurs gants blancs.

Les premiers combats rapportés sont soit ceux d’Alsace, soit ceux de Belgique.L’Alsace est le symbole de la Revanche et l’entrée des troupes françaises sur le terri-

toire cédé depuis quatre décennies à l’Allemagne est l’emblème d’un nouveau rapport de force — hélas éphémère. Plusieurs romans traitent de cet aspect des débuts du conflit, comme Présent ! de Paul Segonzac ou Fiancés d’Alsace de Paul de Garros.

La Belgique est la nation qui a eu le courage de s’opposer à l’envahisseur, profana-teur de sa neutralité. C’est le pays où ont lieu les premières grandes batailles, où l’on va déplorer les premières grandes villes martyres. Charles Solo, enfant du pays, décrit le siège de Liège avec Dans les ruines de Belgique. Il sera imité par Marcel Allain avec Zizi dit “le Tueur de Boches” ou H.-J. Magog avec L’Espionne d’Eze.

Mais il est très vite question des échecs de ces batailles qui obligent au repli des

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Jules CHANCEL

Jules Chancel (1865-1944) est d’abord auteur dramatique puis collaborateur de grands journaux comme L’Illustration, Le Figaro, L’Echo de Paris ou encore Excelsior, avant de se lancer dans la littérature pour la jeunesse, collaborant avec le périodique L’Ecolier illustré de l’éditeur Delagrave — qui publie ensuite ses romans en volumes reliés avec plat historié.

Il alimente trois séries de récits dont le héros principal est un enfant (adolescent) âgé de 13 à 15 ans.

La première série, Les Enfants à travers l’Histoire, propose un vaste panorama de l’His-toire de France, depuis Cocorico, reître d’Henri IV (1901) jusqu’au Petit roi du Masque noir (1867-1870) (1911), en passant par Le Petit fauconnier de Louis XIII (1905), Le Petit jockey du duc de Lauzun (1785-1793) (1910) ou Tiarko, le chevrier de Napoléon (1909).

La seconde série, Les Enfants aux colonies, s’inscrit dans la littérature populaire « colo-niale » qui valorise l’expansion coloniale française initiée par Jules Ferry et ses amis politiques. On y trouve, tour à tour : Le Prince Mokoko (Soudan) (1912), Lulu au Maroc (1913) et L’Etreinte de la Main de fer (Indo-Chine) (1925).

La dernière, Les Enfants à l’étranger, poursuit l’optique de la précédente, mais dans des territoires « non nationaux », comme l’Argentine ou le Brésil, avec Un petit émigrant en Argentine (1914) et Un petit comédien au Brésil (1915). Notons que, de 1911 à 1914, Chancel est chargé, par les sociétés d’auteurs françaises, de veiller au respect de la convention internationale sur la propriété littéraire en Argentine et au Brésil.

Les trois romans concernant la Grande Guerre poursuivent la première série. Deux paraissent durant le conflit : en 1916, Du lycée aux tranchées (Guerre franco-allemande, 1914-1916) et, en 1917, Sous le masque allemand (Guerre franco-allemande, 1914-1917), un paraît après, en 1919, Un match franco-américain (La Grande Guerre, 1914-1919).

Engagé volontaire en 1914, à l’âge de 49 ans (moins un mois), Jules Chancel est déta-ché auprès de l’état-major britannique comme correspondant de L’Illustration. En 1916, il dédie son premier roman à ses fils Roger et Ludovic qui, « comme le héros du livre, connurent la rage d’être trop jeunes pour combattre » mais « ne sont pas trop jeunes pour comprendre, pour haïr l’ennemi ».

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Dans Du lycée aux tranchées, paru en octobre 1916, le récit commence à la première personne : le jeune Guy d’Arlon, 14 ans, élève de 3e, écrit son journal à l’été 1914, alors qu’il est en vacances scolaires. La guerre éclate et il se retrouve dans une situation terrible pour lui :

« […] J’étais dans la situation atroce dont souffrirent tous les enfants de treize à dix-huit ans durant ces terribles années 1914 et 1915. J’étais trop jeune pour faire un soldat, et plus assez enfant pour regarder en spectateur amusé le spec-tacle dramatique qui se déroulait devant nous.

Toutes mes occupations habituelles, mes plaisirs les plus aimés me parais-saient déplacés et sans intérêt. Je traînais partout le sentiment d’une inutilité absolue, d’autant plus pénible quand on sent vibrer autour de soi l’action géné-rale et intense. » (I-3)

Mais, à la fin du mois, l’ennemi est à Senlis et son père, adjoint au maire est fusillé. Guy le venge immédiatement en tuant l’officier commandant le peloton mais fait le serment de tuer encore neuf Allemands — dans le même esprit que Beaupré, dans Les Trois poilus de H.-Pierre Linel*.

Suspendu, le journal n’est pas poursuivi. L’auteur reprend la main pour décrire la guerre que mène son jeune héros. Une guerre qui ne lui convient pas :

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« Devant cette guerre dépouillée de son panache, terne, sale, boueuse, sans beauté apparente, Guy à part lui frémissait de déception et de colère. » (I-7)

« Elle est finie pour le moment, la guerre brillante, la guerre au grand jour, la guerre de marche et de contremarche. » (I-10)

Bien qu’il ne soit pas autorisé à combattre, Guy parvient à se distinguer en dérobant une mitrailleuse à l’ennemi. Et il est témoin d’un spectacle d’horreur — que l’auteur décrit, comme tant d’autres, en des termes pitoyables :

« Il regardait avec passion ces villages qu’on traversait et dont ne subsistaient plus que des murailles noircies et en ruine, composant des architectures bizarres et imprévues. Dans les champs, il voyait les cadavres amoncelés autour des meules ; des moutons, des bœufs effarés couraient dans les prairies, flairant les cadavres disséminés, bêlant vers leurs bergeries détruites. Partout des cendres, des foyers éteints sur lesquels on voyait des pommes de terre à moitié cuites, reliefs d’un repas interrompu. Dans le bois, les obus avaient allumé des incen-dies, creusant des clairières dans les taillis, au milieu desquels subsistait de place en place le tronc calciné de quelque chêne centenaire. Et toujours des cadavres qui semaient le chemin : cadavres allemands et français mêlés par le hasard des batailles. La mort les avait saisis dans toutes les attitudes. Les uns surpris au repos, les autres en plein combat. Certains corps étaient déchiquetés, sanglants, d’autres intacts et semblant exempts de toute blessure. Les cadavres encore ce n’était rien, Guy s’y était vite habitué ; mais ce qui lui était plus pénible, c’était d’entendre les plaintes des blessés, qu’ils rencontraient de plus en plus nom-breux à mesure qu’ils avançaient. Les malheureux se redressaient péniblement au passage des troupiers et suppliaient qu’on leur donnât du secours, de l’eau. Beaucoup étaient là depuis un ou deux jours, et ils demandaient si les ambu-lances allaient enfin venir. » (I-9)

C’est en jouant au football près des tranchées qu’il est fait prisonnier et envoyé en Allemagne. L’auteur s’attarde sur les conditions dans lesquelles les prisonniers sont transportés :

« [Ils] étaient empilés dans des wagons à bestiaux, sans paille, hermétique-ment fermés, avec interdiction d’en descendre, même pour les nécessités les plus naturelles. Et il y avait dans chaque wagon au moins quatre-vingts prisonniers de toutes nationalités, Russes, Anglais, Français. Beaucoup étaient blessés et ne recevaient aucun soin. La nourriture, bien entendu, était atroce quand elle exis-tait, car souvent elle se bornait à quelques bouchées de pain jetées par quartier, au hasard, à travers les portes des wagons. » (II-2)

Guy d’Arlon se retrouve, avec d’autres qui deviennent ses amis, dans le camp d’Er-furt dont la construction n’est pas terminée. Jules Chancel décrit alors la vie des camps de prisonniers où Guy, du fait de son jeune âge, parvient à avoir une place privilégiée.

Toutefois, après un attentat manqué contre l’empereur Guillaume II — qui a envoyé à sa place un sosie, — il s’évade. Mais, repris, il se retrouve dans une mine du nord de la France. Il est alors question de ce que les Allemands font des mines françaises :

« On sait qu’une mine qui n’est pas entretenue devient très vite inutilisable. De plus, elle est très dangereuse pour ceux qui y travaillent. A tout instant il peut s’y produire des inondations, des éboulements, des coups de grisou. Tout cela était d’ailleurs tout à fait indifférent aux Allemands, qui savaient maintenant qu’ils ne garderaient pas les mines. Quant au danger, ils s’en occupaient fort peu, car les gens qu’ils forçaient à travailler dans les mines étaient des Français. Des femmes, des vieillards, des enfants étaient obligés, sous peine de mort, de descendre chaque jour dans ces mines menaçantes et d’y travailler sans relâche pour les Allemands. » (III-1)

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Guy rencontre un prototype d’héroïne française : une femme mariée à un Allemand dont la guerre a révélé la véritable nature. Ensemble, ils fuient et, récupérés par des Anglais, arrivent à Rouen, devenue base militaire arrière pour les Britanniques.

Jules Chancel — qui, rappelons-le, fréquentait ces derniers — décrit la ville à l’heure du conflit :

« Il faut avoir parcouru Rouen et sa banlieue pendant la guerre et y avoir découvert, à chaque visite, quelque installation nouvelle de ses hôtes, pour se rendre compte de l’activité anglaise dans l’organisation des services de l’arrière, de l’importance et de la multiplicité de ces services : services de l’armée métropo-litaine, de l’armée indienne, australienne, canadienne ; services de l’état-major, de l’intendance, de la santé, de la trésorerie, de la poste, tous nos services, en un mot, augmentés de deux : celui du culte, que nous n’avons plus, et celui des jeux, que nous n’avons pas encore. […]

De ce point on avait une vue d’ensemble sur le principal camp des Anglais. Ce camp occupait, dans une boucle de la Seine, un vaste terrain bordé d’une forêt de pins, sur laquelle se détachaient au soleil la blancheur des tentes, l’éclat des toitures en tôle ondulée des baraquements.

Munis de leur laissez-passer, ils entraient ensuite dans ce camp, qui ressemblait plutôt à un village modèle, riant et hospitalier. Il ne lui manque ni le château d’eau, ni l’éclairage électrique, ni le tramway circulaire, voire même des squares.

Il semble que cette installation est faite là pour toujours. Des trottoirs en mâchefer courent le long des baraquements en sapin clair, auxquels il ne manque plus que des plates-bandes de fleurs pour ressembler aux cottages de la banlieue londonienne. Beaucoup de jardins existent même déjà, avec des bordures de mousse, des plates-bandes sur lesquelles sont dessinées, en fleurs ou en gazon, des croix de Saint-André, des écussons, des ancres, des devises. Good luck (Bonne chance !). » (III-8)

Après avoir rencontré en personne le prince de Galles et le général Joffre — dont le lecteur se voit offrir un portrait élogieux, reprenant les propos de Jean Dorsay dans le quotidien Le Matin, — Guy d’Arlon se distingue une dernière fois — et remplit son sinistre contrat.

— […] Je suis tranquille ; maintenant j’ai mon compte de Boches. J’ai tué mes dix. Mon père est vengé ! (III-13)

Blessé, il est cité à l’ordre du régiment mais prié de retourner à ses études :

« — Mon enfant, je regrette que vos seize ans me privent du plaisir de vous donner une croix que vous avez certainement méritée, je le sais ; mais j’approuve le gouvernement qui, en n’accordant pas de récompense à un enfant, veut prou-ver que, durant la guerre, ceux-ci ont, eux aussi, leur devoir à remplir. Et ce devoir n’est pas aux armées : il est sur les bancs du lycée, où ils doivent travailler à acquérir la force et la science qui contribueront à faire grande et forte la France de demain. La France d’aujourd’hui doit être prévoyante : elle ne veut pas man-ger le blé en herbe, détruire son espoir. Enfants, vous êtes la véritable réserve du pays, ceux qui doivent profiter de la victoire et la consolider. » (III-14)

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Le point de départ du deuxième roman de guerre de Jules Chancel, Sous le masque allemand, paru en novembre 1917, est tout à fait différent : l’action se déroule en Argentine au moment de la mobilisation des Français, en plein hiver :

« C’était le 25 août 1914, c’est-à-dire trois semaines après la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne. On était en hiver, parce que la scène que nous décrivons se passe à Buenos-Aires. Or, nos jeunes lecteurs n’ignorent pas,

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j’espère, que, de l’autre côté de la ligne, c’est-à-dire aux antipodes, les saisons sont à l’inverse des nôtres et que, par conséquent, le mois d’août est là-bas le plein hiver. » (I-1)

Le héros adolescent, Jean Robin, 15 ans, qui a dû interrompre ses études à l’école d’électricité de la ville pour gagner sa vie, est d’abord confronté à une situation d’es-pionnage : il doit surveiller l’attaché militaire de l’ambassade d’Allemagne, le colonel prince von Glœcken, pour le compte de Tolbach, un savant français, son compatriote, comme lui d’origine alsacienne.

L’auteur exploite ainsi le procédé du savant solitaire aux inventions révolutionnaires qui se met au service de sa patrie :

« — […] Donc, durant la nuit qui précéda le jour où tous les Français de Bue-nos-Aires devaient s’embarquer, je suis resté ici, mon livret ouvert devant mes yeux, et je me suis demandé quel était réellement mon devoir : courir au consu-lat et partir avec les autres… […] non ! car j’ai la prétention de faire beaucoup plus pour mon pays en exécutant les grands projets que j’ai en tête, qu’en allant reprendre ma place de soldat de deuxième classe dans le régiment où déjà je n’avais pas pu rester. » (I-5)

Cette invention — qui a la forme d’un marteau d’acier — concerne la transmission de la force à distance :

« — […] Oui, j’ai trouvé ce que tous les savants du monde entier cherchent actuellement. J’ai trouvé le problème de la transmission de la force à distance sans fil, j’ai trouvé le moyen de centupler les forces d’attraction des aimants, j’ai trouvé bien d’autres choses encore qu’il serait trop long et trop compliqué de t’expli-quer. Sache seulement que le jour où je t’ai précipité du haut de mon mur en bas, j’aurais pu, si je l’avais voulu, te foudroyer. » (I-5)

S’ensuit une démonstration — qui ne s’embarrasse pas de scrupules au sujet de l’ex-périmentation animale :

« Tolbach alla prendre dans un coin de son laboratoire le petit appareil en forme de marteau que l’enfant l’avait déjà vu utiliser contre lui. Il remarqua que ce marteau d’acier poli était relié par des fils à une sorte de boîte ovale qui repo-sait sur une table.

Le savant commença par replier une coulisse qui se trouvait sur les côtés du marteau, après avoir d’un coup d’œil évalué la distance qui le séparait du but qu’il voulait atteindre, puis il pressa un déclic.

Aussitôt la boîte ovale crépita, une étincelle bleuâtre illumina la pièce, et des miaulements rauques, des cris de douleur, se firent entendre à l’extérieur. Jean courut à la fenêtre et vit les chats bondir, tournoyer sur eux-mêmes et tomber foudroyés sur la route, où ils ne bougèrent plus. […] » (I-5)

Mais le savant n’est pas seulement chimiste et physicien, il possède également des compétences en chirurgie :

« — Tu ne connais pas, naturellement, ce procédé de la médecine nouvelle qui s’appelle la greffe humaine, et grâce auquel on a déjà réalisé de véritables miracles ? Ce procédé consiste à greffer sur la face d’un patient des lambeaux de chair qui en quelques semaines prennent racine et font corps avec elle. Depuis des mois j’étudie ce procédé, j’ai chez moi tout le matériel nécessaire à cette opé-ration, que j’ai déjà essayée avec succès sur des animaux. » (I-6)

La chirurgie plastique est déjà, en 1912-13, au cœur des exploits du Dr Cornélius, le « sculpteur de chair humaine », héros de Gustave Le Rouge*. Mais, dans les romans populaires de guerre, elle n’est que rarement évoquée, sinon dans ceux qui traitent des « gueules cassées », comme Cœur cassé d’Aristide Bruant*.

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Ici, l’on est bien dans de la médecine-fiction puisque le savant prélève sans problème des morceaux de peau à Jean pour se les coller sur le visage. D’ailleurs l’auteur ne donne pas trop de détails, et pas seulement pour ne pas effrayer ses jeunes lecteurs :

« Dès le lendemain soir le double traitement commença. Nous nous abstien-drons d’entrer dans les détails de ces minutieuses opérations que le savant exé-cuta d’ailleurs avec une dextérité de main et une science consommées. » (I-7)

Ainsi, Tolbach peut se transformer physiquement pour prendre l’identité d’un autre, car l’auteur utilise aussi le procédé très courant de l’usurpation d’identité : le savant devient le colonel von Glœcken, afin de porter de rudes coups à l’ennemi.

Cette usurpation n’est pas simple et reste dangereuse. Mais, après une traversée mouvementée, Tolbach arrive à Hambourg, chez le colonel allemand, où il réussit, non sans mal, à tromper tout le monde, sauf le chien Mops :

« — […] lui seul ne s’est pas trompé sur mon compte. Faut-il en conclure que les animaux sont plus intelligents que les hommes, ou tout simplement qu’ils ignorent le mensonge et par conséquent ne peuvent y croire ? » (II-1)

Son premier objectif est de faire bombarder le QG du Kronprinz. Pour l’indiquer aux aviateurs français, il demande à Jean, qui l’a suivi en Allemagne, d’en dessiner le plan dans son champ — moyen généralement attribué, à l’inverse, aux espions allemands :

« Tout à son aise, Jean put donc guider ses chevaux de façon à leur faire des-siner sur le sol un agrandissement du plan imaginé par Tolbach. Pendant qu’il se livrait à ce labourage fantaisiste, il donnait quelques explications au vieux paysan ravi de pouvoir jouer un bon tour aux Boches. » II-4)

Malheureusement, le Kronprinz n’est pas victime du bombardement. Tolbach doit échafauder un autre plan. Pour cela, il a mis au point un téléphone portatif muni de piles électriques miniatures :

« — […] en réalité cette montre et cette boussole sont les deux postes d’un télé-phone portatif, dont les piles sont constituées par cette boîte que tu vois là et qui est d’un volume très restreint. En un mot, je suis arrivé, en développant par un procédé à moi les lames de plomb plongées dans l’eau acidulée des Jullien, des Laurent-Cely, des Burnett, je suis arrivé à emmagasiner un produit spongieux et électrolytique, inconnu de tout le monde, qui me permet de transporter, sous un volume extrêmement réduit, une véritable usine électrique. » (II-6)

Mais, avant de pouvoir s’en servir, il doit user de son marteau d’acier pour voler le message indiquant le lieu de l’attaque allemande qu’il réussit à anéantir après avoir alerté les Français et s’être servi du téléphone. Malheureusement, il est tué dans l’opé-ration.

Jean, héritier de la fortune et des inventions de Tolbach, se retrouve dans une usine de Krupp à Sarrebourg qu’il va parvenir à détruire.

« Il regardait son œuvre, cette catastrophe formidable, que lui si petit était arrivé à créer. Il voyait le bâtiment des Feuergaz, facile à reconnaître avec sa cou-pole effondrée. Il voyait la muraille arrachée du magasin des poudres, il voyait des pans de murs continuer à s’écrouler les uns après les autres et des nuages de gaz enflammés se répandre à travers les rues de l’usine. Il voyait des petites formes noires qui étaient des hommes, courir affolés dans toutes les directions, et d’autres faire des taches sombre sur le sol. Et toujours de nouvelles explosions se faisaient entendre. C’était trop, c’était trop ! C’était plus qu’il n’aurait jamais osé l’espérer. » (III-5)

In fine, l’adolescent retourne vivre auprès de sa mère et prépare, aux frais de l’Etat,

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son entrée à l’Ecole Centrale. Comme pour Guy d’Arlon, pour lui, les études sont nécessaires afin de préparer l’avenir.

« Son seul regret est de n’avoir pu s’engager et finir la guerre comme soldat ; mais on lui a prouvé qu’il avait dorénavant d’autres devoirs à remplir. » (Epi-logue)

Cela dit, Jules Chancel est optimiste, puisqu’il écrit, au plus tard à l’automne 1917 :

« La victoire est maintenant certaine, l’ennemi recule lentement, mais sûre-ment, sur notre territoire ; le monde entier est venu se ranger aux côtés des Alliés. » (id.)

k

Le troisième et dernier roman de guerre de Jules Chancel, Un match franco-américain, est écrit en 1918 et paraît en septembre 1919. Il propose donc le point de vue des per-sonnes qui ont connu la fin du conflit.

Les héros sont, une fois de plus, des adolescents d’une quinzaine d’années, que l’ac-tion va interrompre dans leurs études. En fait, comme ils sont dans une pension privée dont les cours ont été pratiquement suspendus pendant la guerre, cela ne change pas grand-chose à leur quotidien.

L’intrigue repose non pas sur les combats mais sur l’espionnage. Très vite, deux camarades, le Français Francis Lafond et l’Américain Sammy Harrisson, repèrent des espions allemands et leur dérobent un document avant de surprendre, grâce à un gra-mophone, leur conversation.

L’auteur emploie alors le procédé du document incomplet qui, pour être complété, va induire des péripéties à répétition.

Francis tente en vain d’alerter les autorités au sujet de l’espion allemand : sa jeunesse ne plaide pas en sa faveur :

« Ces précisions achevèrent de prouver au fonctionnaire sceptique qu’il avait affaire à un gamin dont l’imagination était travaillée par les films cinématogra-phiques et les romans-feuilletons. » (I-9)

Dès lors, il lui faut lui-même — en l’absence de Sammy qui a pris d’autres disposi-tions — prendre en chasse l’Allemand. Il se retrouve à Saint-Nazaire, ville devenue américaine — comme Rouen est devenu britannique, dans Du lycée aux tranchées :

« Saint-Nazaire, en 1918, s’était également transformée, comme sous un coup de baguette magique, dès l’arrivée des premières troupes américaines débar-quées en France, et était devenue entièrement une cité américaine. » (I-10)

Et l’auteur fait l’éloge de la Young Men’s Christian Association :

« On sait les services considérables que cette puissante société a rendus durant la guerre, tant à l’armée anglaise qu’à l’armée américaine. Partout, à l’arrière comme à l’avant, les soldats alliés trouvèrent les huttes confortables de l’associa-tion, qui a dépensé plusieurs millions pour assurer partout le bien-être physique et moral du soldat. […] » (I-11)

C’est là que Francis fait la connaissance du père de son ami, le milliardaire américain Q.W. Harrisson, venu incognito pour voir son fils :

« […] un homme grand, gros, la figure complètement rasée et toute brillante de l’or de ses lunettes et de ses dents […] » (I-12)

L’Américain passe pour simple cuisinier à bord du yacht qu’il a prêté dans le cadre de l’effort de guerre américain :

« […] On n’imagine pas ce qu’il a fallu d’énergie, de puissance productrice,

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de ténacité pour adapter le matériel naval existant aux conditions de la guerre moderne et construire la nouvelle flotte nécessaire. Au 1er avril 1917, il y avait sur les chantiers américains cent vingt-trois navires, et le 26 décembre de la même année, M. Daniels [Josephus Daniels (1862-1948), secrétaire à la Marine des Etats-Unis], promit qu’un millier de vaisseaux seraient prêts dans six mois à traverser l’Atlantique. Pour réaliser cet engagement, il fallait faire vite et faire beaucoup. L’Américain se plaît aux tours de force, et il s’était mis à l’œuvre. » (I-11)

Et il l’embauche comme commis.En mer, le yacht est victime d’un sous-marin allemand, le U-39, avec lequel les héros

du récit auront encore affaire.Arrivé à New York, Francis découvre un « nouveau monde » — et avec lui un grand

nombre de lecteurs de Jules Chancel qui, tout en alimentant sa série Les Enfants à tra-vers l’Histoire, poursuit, sans le dire, sa série Les Enfants à l’étranger.

Francis doit trouver ses repères, entre autres dans l’hôtel où le milliardaire lui a réservé une chambre :

« Comme les trains, les ascenseurs se classent par catégorie : les omnibus s’ar-rêtent à tous les étages, les semi-directs ne s’arrêtent à tous les paliers qu’au-des-sus du neuvième ou dixième étage ; enfin les express brûlent les stations et ne desservent que les étages supérieurs. » (II-1)

Et il découvre que les Etats-Unis sont en pleine effervescence de guerre :

« […] New York, des quartiers riches jusqu’aux plus pauvres, était pavoisé de cent mille drapeaux alliés ; mais, à côté de ces drapeaux, Francis remarqua que chaque maison, ou presque, arborait un pavillon symbolique, un rectangle blanc encadré de rouge avec, au centre, autant d’étoiles bleues qu’étaient de cette demeure partis de soldats. Quand l’un d’eux mourait, une étoile d’or remplaçait l’étoile d’azur. » (II-1)

Il ne tarde pas, voulant se rendre utile, à participer à une campagne de souscrip-tion — ce qui lui permet de rencontrer des personnalités comme Charlie Chaplin ou Lucien-Pierre Muratore. Ce dernier, célèbre ténor français d’origine italienne, a effecti-vement résidé aux Etats-Unis et milité pour l’intervention américaine.

Il fait un constat pas toujours très positif de la vie américaine :

« Francis songea : “Décidément, dans ce pays, tous les hommes se ressem-blaient, qu’ils soient les riches clients de mon hôtel ou les pauvres diables qui comme moi cherchent à gagner quelques dollars.” Cette monotonie commençait déjà à peser à l’esprit artistique du jeune Français. » (II-2)

Et il doit admettre que les habitudes sont différentes de celles qu’il connaît :

« L’important, c’est de faire vite toujours. Un homme d’affaires qui mettrait plus de quinze minutes à son repas est déshonoré. » (id.)

Mais, surtout, il retrouve son espion allemand qui finit par être arrêté et conduit dans une prison où, en compagnie du milliardaire, le jeune Français fait connaissance avec la chaise électrique :

« Puis il [Harrisson] se fit longuement expliquer le mécanisme du fauteuil électrocuteur. Jewelt lui montra, ainsi qu’aux enfants, le casque métallique qui venait s’appliquer sur le crâne du condamné attaché sur le fauteuil. Il suffisait de tourner un commutateur placé près de la porte, un courant de quinze cents volts se communiquait au casque métallique et foudroyait le patient, qui payait ainsi, sans douleur et sans étalage inutile, sa dette à la société. » (II-6)

Ce qui n’est pas sans rappeler le passage de l’exécution par électrocution dans Mort aux Anglais ! (1899) de Georges Le Faure*.

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Toujours à la recherche du fragment de document manquant, Q.W. Harrisson décide d’armer un yacht transformé en navire de guerre pour chasser le U-39 :

« […] supérieurement armé de deux pièces de soixante-cinq montées sur tourelles à l’avant, d’un quatre-vingts à l’arrière, sans compter les quatre cent soixante-dix mitrailleuses qui montraient leurs museaux par des postes de vigie. » (III-1)

Il embarque un sous-marin de poche spécialement conçu pour s’attaquer aux sous-ma-rins ennemis :

« — […] Il marche sans accumulateur et est destiné à torpiller les sous-marins, grâce à un dispositif spécial que je vais vous montrer. Vous voyez sur l’avant cette boule ronde qui est retenue par un filin et accrochée près de la quille. Cette boule est une mine enfermée dans une enveloppe aimantée. Mon petit sous-ma-rin qui, entre parenthèses, ne fait aucun bruit en marchant et dont la rotation de l’hélice est très difficilement perçue par les microphones, se glisse donc, conduit par Caddy tout seul, à quinze ou vingt mètres du sous-marin que nous voulons détruire. A cette distance, la boule aimantée, attirée par la coque de fer du sous-marin, se détache d’elle-même et vient s’appliquer contre cette coque. Aussitôt Caddy fait machine en arrière et recule à toute vitesse de quinze cents mètres. Le filin qui retient la bombe peut se dérouler sur la bobine que voici jusqu’à dix-huit cents mètres, distance suffisante pour ne pas être pris dans l’ex-plosion du navire. Dès que Caddy se trouve hors de portée de toute explosion ou remous, il presse un bouton électrique qui, par le filin, fait exploser le détonateur de la mine. Celle-ci éclate sur les flancs du sous-marin, et le tour est joué. » (III-1)

Première ironie de l’auteur : le milliardaire embauche un détective de la célèbre agence Pinkerton qui doit localiser le U-39, mais c’est Francis, en empruntant un parapluie, qui apporte la réponse :

« Le matelot tirait donc sur le manche du parapluie, quand ce manche lui resta soudain dans la main, et Francis constata qu’il était creux et qu’un papier se trou-vait plié dans l’intérieur. » (III-2)

La chasse peut commencer mais l’on se méfie de la fourberie des Allemands :

« — […] les Boches sont experts dans l’art des explosions sournoises provo-quées par des appareils d’apparence inoffensifs. Rappelez-vous les objets volon-tairement oubliés dans leurs tranchées et qui, dès que nos soldats les touchaient, mettaient en action des mines épouvantables. » (III-4)

La base du U-39 investie, le sous-marin piégé et détruit, Francis Lafond retrouve… son père ! Procédé classique des retrouvailles familiales. L’auteur y associe une seconde ironie : Lafond est en possession du fragment de document si longtemps recherché mais le document lui-même est… obsolète !

On peut voir là la manifestation évidente du phénomène d’enterrement consistant à user de distanciation avec humour pour se débarrasser d’un procédé jugé trop « usagé ».

Toutefois, Lafond estime que l’alliance des Français et des Américains, vainqueurs du sous-marin allemand, augure bien de la victoire finale :

« — […] Rien ne peut résister à l’alliance de deux races unissant leurs efforts dans un même idéal de grandeur et de justice. C’est pourquoi les alliés vont triompher dans la grande guerre comme vous avez triomphé vous-même de l’U.39. » (III-8)

Et c’est l’armistice !Dans un épilogue, visiblement rajouté à la rédaction du roman primitif, l’auteur

déclare qu’une nouvelle ère commence :

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« C’était enfin l’hallali de l’Allemagne solitaire et à bout de souffle. La France sortait triomphante et grandie de cette guerre, dont elle avait supporté à elle seule la plus terrible part. » (Epilogue)

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Jules Chancel fait partie de ces auteurs qui, durant la Grande Guerre, ont très vite consacré la totalité de leur production littéraire à la guerre. Avec trois romans d’ins-pirations somme toute très différentes, il évoque le conflit sous plusieurs angles avec toujours la volonté de faire œuvre pédagogique.

Ainsi, il offre d’abord un roman de guerre de modèle courant avec ses étapes obligées : invasion allemande et exactions, combats au front, camp de prisonniers et retour au combat, puis séjour dans un hôpital. Ensuite, un roman de guerre à base scientifique beaucoup plus « personnel » dans lequel un savant se montre un étonnant combattant solitaire s’attaquant aux Allemands chez eux après avoir usurpé l’identité de l’un des leurs. Enfin, un roman de guerre basé sur l’espionnage dont l’action se déroule pour l’essentiel aux Etats-Unis et qui s’achève au lendemain de l’armistice.

Variété dans les approches, dans les époques, dans la nature des personnages — y compris le héros, tour à tour, collégien de province, jeune ouvrier en Argentine et élève d’une pension privée internationale. Variété aussi dans l’approche de la guerre et dans le traitement de son terme.

Avec, pour finir, la conclusion morale qui s’impose pour son public d’adolescents : l’avenir repose sur les études qu’ils sauront mener à bien.

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Du lycée aux tranchées

BibliographieDu lycée aux tranchées (Guerre franco-allemande, 1914-1916). 1 volume relié illustré (par

Louis Bombeld). Delagrave (Paris), série « Les Enfants à travers l’Histoire », octobre 1916 ; Idem. 1 volume broché. AARP & Encrage (Amiens), « Bibliothèque du Rocam-bole » (Œuvres de la Grande Guerre n°3), 2012.

RésuméLe 4 août 1914, la guerre est déclarée et les parents du jeune Guy d’Arlon, 14 ans,

décident de rentrer à Senlis — dont le père est adjoint au maire.Le 2 septembre, les Allemands sont là. Guy assiste à l’exécution de son père — après

celle du maire — et, fou de colère, s’empare d’une arme et abat l’officier qui a com-mandé le peloton, avant de s’enfuir. Il gagne les lignes françaises où un colonel accepte de le prendre à ses côtés comme agent de liaison. C’est donc de loin qu’il assiste au combat et il doit s’avouer qu’il est déçu par une guerre qu’il trouve dépourvue de panache.

Alors que le régiment reçoit l’ordre de prendre le village de Cerneux, Guy parvient à partir en reconnaissance et surprend les occupants d’une ferme auxquels il subtilise une mitrailleuse qu’il rapporte dans ses lignes. Le colonel le félicite malgré sa déso-béissance.

Désormais, le régiment poursuit les Allemands qui se replient et traversent des vil-lages détruits, des campagnes ravagées, jonchées de cadavres et de blessés.

Un dimanche, au cours d’une partie de football, Guy doit aller chercher le ballon près des lignes allemandes et est fait prisonnier. Il ne tarde pas à être dirigé vers l’Al-lemagne. Au cours du trajet, effectué dans d’affreuses conditions, il se fait des amis : Ernest Ducret dit Gueule-à-Gauche — car blessé au visage, — Ivanoff, un Russe, et Bob Soudway, un Anglais. Les quatre se retrouvent au camp d’Erfurt où la nourriture est infâme et où il leur faut travailler. Guy est employé par le général direktor comme professeur de français de ses fils.

Un jour, il parvient à dérober au général les plans d’une usine d’armement qui vient

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d’être construite non loin du camp. Et, au soir, on tire au sort pour savoir lequel du qua-tuor va aller saboter cette usine. C’est Bob qui est désigné : il parvient à quitter le camp mais, le lendemain, il se fait tuer en jetant des grenades sur un régiment de passage.

Entre autres représailles, Guy est remercié par le général. Quelque temps plus tard, Gueule-à-Gauche et lui obtiennent l’autorisation de monter une pièce de théâtre — dans l’espoir de s’évader. Mais ils apprennent que l’empereur en personne va assister à la représentation et décident de préparer un attentat contre lui. La représentation a lieu et l’attentat également, tandis qu’avec la complicité du costumier, ils parviennent à s’évader. Mais ils apprennent qu’ils n’ont tué qu’un sosie ! Et c’est Ivanoff qui est soupçonné, arrêté et fusillé.

Le costumier profite d’une livraison qu’il doit effectuer à Lille pour emmener ses amis qui, malheureusement pour eux, sont arrêtés et condamnés, comme espions, à être fusillés.

Un mois plus tard, Guy — que son jeune âge a sauvé — est galibot dans une mine du bassin houiller du Nord. Au cours d’une visite, il voit que Mme Gesang, la femme du directeur, porte la broche de sa mère : il interpelle le directeur qui avoue le vol du bijou à Senlis mais affirme que sa mère vit toujours. Quelques jours plus tard, Mme Gesang — qui a renoncé à porter le bijou — le convoque et se confie à lui : fille d’un filateur de Lille, elle a dû accepter un mariage avec un industriel allemand qui ne cesse de l’humilier.

Guy décide d’assurer leur salut commun. Il se débarrasse du directeur à l’aide d’un poison. Puis, grâce à ses laissez-passer, il part avec Mme Gesang en automobile pour Cambrai. Mais, en route, le véhicule tombe en panne et ils doivent poursuivre à pied. Ils sont finalement recueillis dans une ambulance par une jeune fille, Charlotte, qui les cache dans une grotte voisine, en compagnie de dix Anglais.

On attend l’offensive anglaise. Mais, pour sauver Charlotte que les Allemands s’ap-prêtent à fusiller, Guy et les Anglais interviennent, avant de rejoindre les troupes qui prennent bientôt le village d’assaut — au terme de sanglants combats. Pendant ce temps, Mme Gesang a disparu, emmenée par les Allemands.

Guy, à qui on refuse un départ au front, reste à Rouen, devenu base militaire arrière pour les Britanniques. Il profite d’une visite du prince de Galles qui accepte de le rece-voir pour parler du sort de Mme Gesang. Il est envoyé au GQG où le prince le présente personnellement au général Joffre qui le confie à une princesse, épouse d’un Allemand qu’elle a quitté à la déclaration de guerre, acceptant dès lors de devenir agent double au service des Alliés.

Quelques jours plus tard, Guy apprend que les Allemands, la rendant responsable de la mort de son mari, ont condamné à mort Mme Gesang. La sauver serait une folie. Mais Guy se cache dans l’automobile de la princesse pour la suivre jusqu’à Lens où, devant le fait accompli, elle accepte de l’aider. Ils enlèvent la prisonnière lors d’un transfèrement.

A cette occasion, Guy achève de remplir le contrat qu’il s’était fixé : tuer dix Alle-mands pour venger son père, mais il est blessé et perd connaissance. Il se réveille dans un hôpital parisien où deux femmes prennent soin de lui : sa mère et Mme Gesang, devenues amies. Ne pouvant être décoré, en raison de son jeune âge, il est cité à l’ordre du 126e régiment d’infanterie par le général qui lui affirme que sa place est au lycée pour préparer la France de demain.

Sous le masque allemand

BibliographieSous le masque allemand (Guerre franco-allemande, 1914-1917). 1 volume relié illustré (par

Louis Bombled). Delagrave (Paris), série « Les Enfants à travers l’Histoire », novembre 1917.

RésuméEnfant d’une famille d’industriels alsaciens, ruinés par la guerre de 1870, veuve,

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Jeanne Robin a émigré en Argentine en 1912 avec son fils Jean. Le 25 août 1914, tous deux assistent au départ des ressortissants français pour la guerre en France.

Au soir, Jean, qui, à 15 ans, travaille comme apprenti dans une usine d’électricité, décide de rendre visite à son voisin, François Tolbach, un savant français d’origine alsacienne qui ne sort jamais de chez lui et dont il aimerait connaître le travail. Mais ce dernier, grâce à un mystérieux appareil, l’empêche de pénétrer chez lui.

Le lendemain matin, son patron l’envoie effectuer, chez l’attaché militaire de l’am-bassade d’Allemagne, le colonel-prince von Glœklen, une intervention qu’il renou-velle la semaine suivante. Alors, il voit sur les lieux Tolbach qui étudie l’Allemand avant de s’échapper en répandant un gaz soporifique.

Mais le savant le convoque chez lui le soir même. Il lui dit d’abord se sentir plus utile pour la France en poursuivant ses recherches qu’en allant combattre sur le front. Et il lui fait une démonstration d’une invention qui, sous la forme d’un marteau d’acier, peut, grâce à l’électricité, foudroyer à distance ou au contraire attirer des objets métal-liques. Enfin, il lui demande de l’aider à pénétrer de nouveau chez le colonel dont il avoue vouloir prendre la place. Il lui faut pour cela connaître parfaitement la person-nalité de l’Allemand en étudiant tous les papiers accessibles dans son bureau.

Quelques jours après, Jean accepte de l’assister dans l’opération de chirurgie plas-tique qu’il effectue sur lui-même pour achever de prendre la personnalité de Glœken.

Un mois plus tard, Tolbach annonce son départ pour l’Europe, à la suite du colonel. Jean, qui compte être du voyage, veut se faire embaucher comme radio à bord du navire que va emprunter l’Allemand. Mais il ne peut partir sans l’autorisation de sa mère qui accepte finalement de l’accompagner.

A bord, Tolbach lui remet les papiers d’un marin allemand, Otto Becker. Peu après, sur un signal de Glœklen le navire est coulé par un bâtiment ennemi. Tentant de porter secours à sa mère, Jean est assommé et se réveille à bord du Kaiser Wilhelm où on le prend pour Otto Becker. Et il se retrouve bientôt en présence de… Tolbach qui a pris l’identité de Glœklen. Le savant n’a pu, comme prévu, empêcher le naufrage mais a obtenu le sauvetage de la quasi-totalité des passagers — alors que d’autres, dont pro-bablement la mère de Jean, ont pu gagner le Brésil.

Le Kaiser Wilhelm accoste à Hambourg au début de novembre 1914. Le faux Glœklen est reçu avec les honneurs et parvient à tromper son monde. Convoqué à l’état-major de la XIIIe armée, il se rend en France, accompagné d’Otto Becker. Ce dernier, séparé de lui, rencontre un aviateur français, l’adjudant Graveson, auquel il promet de signaler l’emplacement du QG du Kronprinz où il va rejoindre Tolbach. Ainsi, peu après, le bombardement a lieu, mais le Kronprinz en sort indemne, abandonnant toutefois un portefeuille que récupère Tolbach qui, en tant que Glœklen, est pris comme aide de camp — en remplacement de celui qui a été tué.

Le Kronprinz annonce à son état-major une attaque importante et confie à l’un de ses officiers un message pour le général commandant la XIe armée. Tolbach utilise son marteau pour dérober le message qu’il peut déchiffrer grâce aux codes contenus dans le portefeuille récupéré. Et il s’arrange pour faire échouer le bombardement ordonné au général.

Désigné pour inspecter des souterrains qui pourraient permettre aux Allemands d’encercler et de prendre Verdun, Glœklen part avec, dans ses bagages, un uniforme français et son invention téléphonique. Sur place, il confie à Otto l’écoute de son télé-phone, caché dans un recoin, tandis que lui part vers les lignes françaises après avoir changé d’uniforme.

Tolbach convainc le colonel français devant lequel il se présente de faire exploser, à l’aide d’une mine, le tunnel dans lequel, en tant que colonel allemand, il aura rassem-blé tous les soldats ennemis du secteur. Mais, sur place, au cours de l’exécution de la manœuvre, un incident précipite les choses. Au final, les Allemands sont presque tous éliminés, Otto Becker est sauf mais Glœklen compte parmi les victimes.

Grâce aux dispositions testamentaires prises par le faux colonel von Glœklen, Jean se retrouve, un mois plus tard, employé de l’usine d’aviation d’Essenhausen, succursale

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de Krupp à Strasbourg, avec pour mission de la détruire. Pour cela, il a récupéré les inventions de Tolbach. Etant parvenu à dérober une bombe, il la place au bon endroit et prévoit son explosion grâce à l’emploi du marteau d’acier.

Le 25 juin 1916, ayant réussi à accompagner un pilote en vol, il prend les commandes de l’appareil et, tandis que l’usine d’Essenhausen est détruite, il se pose dans les lignes françaises. L’adjudant Graveson le récupère et le conduit au colonel. Le soir même, il est l’hôte du général et de ses officiers qui le félicitent.

Plus tard, Jean, qui vit, avec sa mère, dans leur vieille maison familiale, prépare, aux frais de l’Etat, l’Ecole centrale, laissant à d’autres le soin de finir la guerre.

Un match franco-américain

BibliographieUn match franco-américain (La Grande Guerre, 1914-1919). 1 volume relié illustré (par

Louis Bombled). Delagrave (Paris), série « Les Enfants à travers l’Histoire », septembre 1919.

RésuméDeux jeunes gens, le Français Francis Lafond, 15 ans, et son ami américain Sammy

Harrisson, sont élèves d’une pension privée de Neuilly, près de Paris, où les cours ne sont plus assurés depuis le début de la guerre.

Au cours d’une sortie, ils font étape dans un cabaret où Francis remarque l’attitude étrange de deux individus à qui le fils du patron, un insupportable gamin, dérobe un plan qu’il décide de récupérer et d’étudier.

Toutefois, le document a été découpé et, le lendemain, en cherchant à retrouver le morceau manquant, les deux camarades sont confrontés à l’un des deux hommes de la veille qui fuit en automobile après avoir saboté leur side-car, provoquant un acci-dent. Tandis que Francis, blessé, est ramené à la pension, Sammy trouve le moyen de continuer la poursuite et, à son retour, annonce qu’il connaît le repaire de l’individu poursuivi et de trois autres espions allemands, à Levallois.

Quelques jours plus tard, les deux amis réussissent à placer un phonographe dans la pièce où se réunissent les espions et à enregistrer leur conversation. Ils apprennent ainsi que chacun a pu exécuter la mission de renseignement ou de propagande qui lui était confiée sauf l’un d’entre eux, Karl Wiener, qui n’ayant pu récupérer en entier le document pouvant servir à empêcher l’embarquement des troupes américaines à New York, décide de se rendre sur place.

Francis et Sammy se battent car ils ne sont pas d’accord sur la conduite à tenir, et le Français se retrouve seul, persuadé que l’Américain est parti sur les traces de Wiener. Il tente en vain d’alerter la police française avant de se rendre à la gare d’Orsay où l’espion prend le train pour Saint-Nazaire. Il décide de le suivre, bien que n’ayant pas d’argent et aucun bagage. Arrivé à destination, sans avoir été remarqué, il voit Wiener embarquer sur le Harward, un yacht transformé en navire de guerre.

Le lendemain, la chance lui sourit encore car il peut se faire embaucher comme com-mis par le père de Sammy, Q.W. Harrisson, venu chercher son fils incognito sous l’identité de Williams, cuisinier du Harward — son propre yacht.

A bord, il retrouve Wiener, officier télégraphiste, qui le reconnaît et le jette dans une cale dont il ne peut sortir qu’en provoquant un incendie. On le soupçonne d’espion-nage quand le yacht est attaqué par un sous-marin allemand, le U-39. Les survivants, dont Williams et Francis, sont recueillis par le Labrador à destination de New York, à bord duquel ils retrouvent Sammy ! Après s’être expliqué, Q.W. Harrisson se dit prêt à financer la chasse à l’espion Wiener — que l’on a vu rallier le sous-marin.

A New York, confortablement installé dans un hôtel aux frais du milliardaire, Francis se laisse tout d’abord vivre. Puis il décide de trouver un emploi et se fait embaucher comme figurant pour une campagne de rue destinée à lever des fonds pour la guerre — ce qui lui permet de rencontrer Charlot et Muratore.

Un jour, il reconnaît Wiener dans la rue et, ne pouvant le prendre en chasse lui-

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même, le dénonce à la police qui lui apprend bientôt qu’il accuse le chef du service électrique de l’Amirauté. C’est non sans mal, et avec l’appui de son ami Sammy, qu’il parvient à convaincre Harrisson. Celui-ci participe à l’arrestation de l’espion et, le len-demain, lui donne un chèque d’un million de dollars de récompense.

Le milliardaire, son fils et son ami se rendent à la prison où un « mouton » doit faire parler Wiener — dans le but de récupérer le morceau manquant du document. Mais l’espion évente le piège et tue le « mouton » — dans la salle des électrocutions ! Toute-fois, il ne peut éviter un interrogatoire sous hypnose mais se coupe la langue avec les dents pour ne pas répondre !

Quelques semaines plus tard, Q.W. Harrisson embarque avec Sammy et Francis, mais aussi un détective de la célèbre agence Pinkerton, à bord d’un yacht transformé en chasseur de sous-marins, afin de couler le U-39.

Alors que le détective s’emploie à localiser le sous-marin, les jeunes gens partent en excursion. Surpris par la pluie, ils reviennent à bord avec un parapluie emprunté dans le manche duquel on découvre un message indiquant la vraie position du U-39 — et non celle rapportée par le détective !

Sur place, aux Antilles, une colonne débarque afin de visiter la grotte qui sert de base au sous-marin et de vider sa réserve de pétrole. Lorsque le U-39 revient et, n’ayant pu se réapprovisionner, s’immobilise, Francis, à bord d’un sous-marin de poche, va le couler. Dans l’épave, il découvre son père — dont il était depuis longtemps sans nouvelle — fait prisonnier, trois ans plus tôt, alors qu’il traversait l’Atlantique pour rejoindre la France, et qui est resté captif deux ans au Brésil avant d’être embarqué sur le sous-marin comme personnel d’entretien.

C’est lui qui possède le morceau de document tant recherché, qu’il a récupéré un jour par hasard. Mais, reconstitué, le document s’avère périmé !

Le match franco-américain est terminé et Francis en est le glorieux champion. Quelques semaines plus tard, l’armistice est signé et une ère nouvelle commence. Har-risson embauche comme ingénieur le père de Francis qui, lui, achève ses études aux Etats-Unis en compagnie de Sammy.

Pierre CHERRÉ

Le vicomte Olivier de Rougé (1862-1949), homme politique français, sénateur du Maine-et-Loire entre 1920 et 1940, est également écrivain et poète. Il utilise parfois Pierre Cherré comme nom de plume. On peut noter accessoirement qu’il est à l’ori-gine, en 1908, de la race bovine Maine-Anjou, et, à ce titre, membre de l’Académie d’Agriculture et président de l’Association des Agriculteurs.

Le pseudonyme de Cherré vient très probablement de la ville homonyme qui, dans le roman, devient Bourdigné.

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Le roman de guerre de Pierre Cherré — composé en fait de deux romans publiés suc-cessivement : La Métairie de Chantemerle et La Cloche de Bourdigné — est issu d’une « ini-tiative locale » du Journal du Maine et Loire, quotidien angevin.

Il est remarquable par sa longévité. En effet, il débute, de manière très précoce, en novembre 1914 et se poursuit jusqu’en novembre 1917, ce qui représente au total 172 feuilletons couvrant trois des quatre années de guerre.

Et son intérêt majeur est qu’il propose une peinture de la Grande Guerre dans son ensemble, c’est-à-dire sur tous les fronts européens : Belgique, France, Russie, Balkans, Italie, et même aux Etats-Unis, grâce à l’alternance de personnages, rattachés par des liens familiaux ou du moins « de village » — puisque tous, au départ, originaires de Bourdigné ou de ses environs, en Anjou.

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Charles MÉROUVEL

Charles Chartier dit Charles Mérouvel (1832-1920), avocat de formation, devient, dans les années 1880-90, l’un des principaux romanciers populaires publiant dans la presse. Une trentaine de romans-feuilletons paraissent sous sa signature dans Le Petit Parisien, entre 1887 et 1914.

Ses romans reposent, pour la plupart, sur des intrigues sentimentales et criminelles centrées sur une femme victime de son mari ou de son amant, dans la société aristo-cratique ou bourgeoise. L’un de ses titres les plus célèbres reste Chastre et flétrie (1889) dans lequel un homme n’hésite pas à commettre des crimes de sang pour se protéger du viol dont il s’est initialement rendu coupable.

Engagé volontaire en 1870, Mérouvel, durant la Grande Guerre, à 82 ans, ne combat plus qu’avec la plume et écrit trois romans de guerre, dont deux seront, par la suite, plusieurs fois réédités par la maison Tallandier.

Un autre roman, publié en 1917, L’Engrenage, ne traite pas de la guerre. Et l’auteur écrira encore deux romans avant sa mort : Jacqueline — dont l’action se déroule durant la guerre — et Rédemption. En 1922, paraît, dans Le Petit Parisien, un court texte pos-thume : Le Rêve du blessé — qui concerne la Grande Guerre.

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Publié à partir du 5 novembre 1915, le titre du premier de ces romans de guerre est presque programmatique : Haine éternelle. L’auteur se place d’emblée parmi ceux qui dénoncent un antagonisme irréversible entre Français et Allemands. D’ailleurs, il ne tarde pas à écrire :

« L’hostilité était évidente entre les deux races, la teutonne et la nôtre. De nou-velles querelles s’élevaient à chaque instant. Il était facile de comprendre qu’un jour ou l’autre ces piqûres d’épingle se changeraient en coups de sabre. » (I-3)

Et il achève son roman avec un « chant populaire » dont le dernier vers est :

« Haine éternelle à nos lâches bourreaux ! » (V-7)

Le ton est donné.L’intrigue débute en 1912. Le jeune Jean de Brault, qui a dû renoncer à l’armée, accepte

d’épouser Frédérique dite Frida, la fille du baron Steinberg, riche financier d’origine allemande ayant obtenu sa naturalisation vingt ans plus tôt — mais, en fait, un agent d’espionnage au service de l’Allemagne.

Comme tant d’autres, l’auteur accuse de laxisme les autorités françaises au sujet des naturalisations :

« Ces larves se sont développées, accrues, transformées, multipliées. […] Habiles à changer de noms, prêts à déchirer le sein d’une patrie trop accueillante et qui leur accordait imprudemment des lettres de naturalisation, ils n’attendent que l’heure de la conquête par les armes. » (I-4)

Et il dénonce l’activité des naturalisés :

« Dans leur nonchalance, les Français, trop confiants, trop hospitaliers, assis-taient en aveugles aux préparatifs d’une guerre inévitable, à laquelle ils ne vou-laient pas croire, lorsque déjà la clique odieuse et sanguinaire de nos ennemis d’outre-Rhin, Bavarois, Wurtembourgeois, Badois, Saxons et Prussiens, ces der-niers les tyrans des autres, mobilisaient leurs hordes et s’apprêtaient à brûler nos villages, à bombarder des villes paisibles, à incendier nos monuments, à massa-crer des femmes, des vieillards, des enfants, à couvrir les champs aux blés d’or,

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aux vertes récoltes, de cadavres et à nous écraser sous une pluie de fer et de plomb. » (II-9)

Grâce à Steinberg, l’Allemagne connaît parfaitement la situation financière de la France. Avec d’autres, il est félicité par un conseiller du Kaiser, très optimiste quant à l’issue de la guerre :

« — […] Mais, messieurs, grâce à vous, grâce à votre intelligence, grâce à votre activité […] nous savons […] que nous n’avons affaire qu’à un adversaire affaibli par des discordes intestines, imprévoyant, qui ne sait ni voir autour de lui, ni profiter des expériences du passé, ni prévoir l’avenir. Il sera surpris en plein sommeil pour ainsi dire, occupé de ses vains plaisirs, de ses discussions byzantines. Impuissant, et désarmé par sa négligence et son inconcevable légè-reté, comment nous résisterait-il ? On peut donc croire que tout se bornera, pour notre indomptable armée, à une promenade militaire qui se terminera dans une apothéose de la plus grande Allemagne ! » (II-8)

Dans le même temps, Jean de Brault, lui, ne croit pas la guerre possible :

« — […] Engins diaboliques, des canons, des obusiers, des mitrailleuses. Et puis, dans les mers, des sous-marins, des mines, des torpilles. En haut, des avions, des dirigeables, des zeppelins de cent cinquante mètres… Que sais-je ? On n’aura jamais vu d’écrasements pareils, des bouillabaisses de conscrits, le sang coulant à pleins bords. Lamentable, lieutenant !

Jean de Brault observa :— C’est ce qui me fait croire que personne n’osera déclencher une machine

pareille, mon colonel. Ce serait une véritable monstruosité, un crime effroyable contre les nations ! Quel brigand oserait faire ainsi anéantir ses propres soldats et les autres ! » (II-7)

Et l’auteur affirme qu’il n’est pas le seul :

« Les luttes du Palais, où se jugeait un procès célèbre, l’émotion produite par un meurtre inattendu, le tumulte d’élections passionnément disputées, les spé-culations des banques, le bruit de l’or des bas de laine trop légèrement versé dans leurs caisses, accaparaient l’attention publique. » (II-14)

Beaucoup, y compris les financiers, sont donc surpris lorsque la guerre éclate :

« La dépêche ne devait être connue que vers une heure, et déjà elle avait pro-duit une sorte de panique. Il semblait qu’instantanément les boursiers de toutes tailles et de tous rangs eussent vu luire l’éclair qui précède la foudre. A dater de ce jour, la crise fut ouverte. » (II-17)

Charles Mérouvel s’intéresse particulièrement à la banque car il revient plus tard sur le sujet — rarement abordé par ses confrères :

« Ces mots sinistres, la guerre, courant comme une traînée de poudre d’un bout à l’autre de Paris, et pareils aux clameurs des furies antiques, avaient pro-duit des impressions diverses. Il en était une qui dominait les autres. On sentait instantanément un temps d’arrêt dans les rouages de la machine publique. Ce fut alors la panique des banques fermées devant la ruée des déposants qui assié-geaient les guichets en files interminables.

Ah ! ces banques, ces grandes banques qui faisaient tant de poussière ! Où étaient leurs fonds ? Expédiés aux quatre coins de l’Europe ? Et quand les rever-rait-on ? » (III-3)

La mobilisation se fait tout de même dans les meilleures conditions et les combats commencent. La Belgique est envahie et subit la première les exactions de l’ennemi :

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« Quelle fureur de destruction animait ces misérables, qui, sous les prétextes les plus faux, mutilaient des enfants, éventraient les femmes, fusillaient les vieil-lards et les prêtres et brûlaient les villages ! […] Et ce qu’il y avait d’exaspérant, c’était que ces infamies n’étaient pas seulement commises par des soudards et des brutes, ivres de vin et de sang, mais commandées froidement par des offi-ciers instruits, prétentieux, et qui se vantaient de leur “culture”. […]

Des âmes sensibles […] prétendront que c’est les injurier à tort. C’est qu’elles n’auront pas visité les lieux profanés par eux, les communes saccagées, les chau-mières en ruines, les monuments mitraillés sans raison, les châteaux dont il ne reste que les murailles noircies par le feu. C’est qu’elles n’auront pas entendu les cris des victimes, les gémissements des mères pleurant leurs filles violentées, puis massacrées par ces bandits, la plainte des pères tués en défendant leurs enfants. C’est qu’elles sont sourdes et aveugles et que les barbares ne sont pas passés chez elles. » (IV-4)

Puis, c’est au tour de la France :

« Jamais en France on ne trouvera de termes assez durs, assez violents, assez féroces, pour stigmatiser le caractère et les forfaits des bandits revêtus des uni-formes de l’armée du Kaiser rouge. » (IV-8)

On trouve, dans ce roman, les principaux arguments présents dans beaucoup d’autres romans populaires de guerre au sujet des « atrocités » allemandes :

« A quoi bon taire ces ignominies, ces vols, ces pillages, le saccage des villes ouvertes et sans défense, la fusillade des otages, les malheureux placés devant leurs bandes pour leur servir de bouclier et toutes les infamies d’une soldatesque ivre de sang et de vin, commandée par des chefs qui lui donnaient l’exemple du cambriolage et d’une bestiale férocité. » (IV-11)

La description tournant parfois à l’horreur :

« — Ah ! les jeunes filles ! Ces Allemandes, blondes, aux cheveux roux ou jaunes, ces bonnes créatures, qui réclament à leurs pillards installés chez nous nos montres et nos bijoux, et qui écrivent à un amant des billets comme celui-ci : “N’oublie pas mes boucles d’oreilles et s’il y reste un petit bout de chair ça n’en vaudra que mieux.” » (V-6)

Et, comme ailleurs, on trouve une affirmation sur l’aspect exceptionnel des destruc-tions, au regard de l’Histoire, dans certaines régions :

« Les invasions anciennes, celles de la première République, la grande, et du premier Empire, celle aussi de l’année néfaste date fatale, mil huit cent soixante-dix, étaient passées sur le pays de Lorraine et l’avaient respecté. La guerre alors n’était pas encore organisée méthodiquement par un syndicat de forbans et d’as-sassins. L’admirable “Kultur” des Teutons n’était qu’en germe. » (IV-16)

Et, quand il parle des combats proprement dits, l’auteur reprend aussi l’idée répan-due selon laquelle l’armée allemande, en bloquant ses positions, crée une guerre de tranchées qui s’oppose à l’idéal guerrier des Français :

« Ah ! cette guerre de taupes, de mulots, de furets et de belettes. Quel métier ! Quel castor a inauguré cette invention misérable ? Jadis, on essayait d’écraser l’ennemi du haut d’un mur, maintenant on le fusille du fond d’un trou, et, quand ce trou n’est pas rempli de boue, de vase, de fange, de pourriture et de détritus de toutes sortes, il n’y a que demi-mal. Horreur et décadence ! Quelle différence entre l’homme qui regardait son ennemi en face, et se dressait devant lui, les armes à la main, et le pauvre soldat, renard ou blaireau, contraint de s’enfouir

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dans un fossé et d’y attendre un invisible adversaire, sous les averses de la pluie ou celles des balles et des obus, contre lesquelles il ne peut rien. » (IV-14)

Cette guerre de tranchées n’est plus l’affaire de courtes batailles au résultat rapide : elle s’éternise et l’on ne saurait dire qui va en sortir vainqueur :

« On se battait dans les airs, sur la terre et sur la mer, et un cri de colère s’éle-vait de toutes parts contre cette Allemagne qui avait tout préparé, tout fait pour écraser les autres, qui voyait autour d’elle des ennemis sans nombre s’armer pour se défendre et la réduire à l’impuissance. Guerre à mort, guerre atroce et sans merci ! Qui en serait le vainqueur ? » (V-1)

Au milieu de cet enfer qui devient universel — « l’Europe est en feu » — se nouent et se dénouent des drames privés — dans la veine plus habituelle de l’auteur qui privilé-gie le procédé de l’enfant naturel.

En effet, pour épouser Frida, Jean de Brault abandonne Marie, sa maîtresse qui, enceinte de lui, met au monde une fille, Suzanne. Et il apprend bientôt que son épouse, violée par un Allemand, le comte von Prater, attaché à l’ambassade d’Allemagne — et espion très puissant, — va donner naissance à un fils.

Jean pardonne et assume sa fausse situation :

« A quoi songeait-il ? A la chaîne qu’il venait de forger de ses propres mains. Lui serait-elle pesante ou légère ? Cette femme si belle, qui se tenait pâle, livide plutôt, devant lui, dans l’attitude d’une condamnée, attendait sa sentence. Disait-elle vrai ? Après tout, pourquoi ne pas la croire ? […] Indécis, troublé, il ne savait à quel parti se résoudre. Il se redressa. Ses yeux rencontrèrent ceux de la jeune femme. Des larmes s’en échappaient. […] Il ouvrit les bras. Elle s’y précipita, et il la tint longtemps, étroitement serrée contre sa poitrine. » (I-9)

Toutefois, comme dans La Fiancée de Bruges de Florigny* & Vayre, comme dans L’Hor-rible crime du même auteur, l’enfant du viol, bâtard franco-allemand, ne peut survivre : on apprend in fine la mort du petit Ludwig, après celle de ses parents.

Quant à l’intrigue amoureuse, elle se dénoue positivement, après moult péripéties. Marie a épousé le bon major Rupert mais celui-ci est traîtreusement tué par Prater, l’espion allemand, et elle redevient libre pour Jean qui, de son côté, vient de perdre son épouse, morte pour s’être empoisonnée après que le même Prater lui a faussement annoncé la mort de son mari !

Pour autant, le mariage des deux amants du départ n’est pas encore d’actualité :

« — Marie, supplia-t-il, c’est Dieu qui dans sa bonté a voulu nous remettre en présence l’un de l’autre. Ne crois pas que je veuille te parler d’amour. Ne le crains pas. […] Je veux seulement obtenir de toi un mot de pardon pour le mal que je t’ai fait. Dis-moi que tu ne me hais pas.

— Non, fit-elle doucement.— Que tu n’as pas de mépris pour moi.— Oh ! Jean…— […] Donne-moi ta main en signe d’oubli.Elle ne répondit que d’un geste. Il mit un genou en terre, s’empara de la main

qu’elle lui abandonnait et y appuya longuement ses lèvres. Un flot de larmes brûlantes l’inondait. Elles tombaient des yeux de la pauvre femme ! » (V-7)

A noter enfin que les personnages de Jean de Brault et du major Rupert apparaissent dans le roman suivant.

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La grande originalité du deuxième roman de Mérouvel, Alliées !, publié à partir du 23 juillet 1916, est la place qu’occupent les personnages britanniques. En effet, ceux-ci sont, au total, assez rares dans le roman populaire de guerre, à quelques notables excep-

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tions près comme celle-ci ou encore Miss “Petite France” de Marcel Priollet*, L’Espionne d’Eze de H.-J. Magog* ou encore Chantecoq d’Arthur Bernède*.

L’intrigue débute en Angleterre chez un baronnet, sir Walter Rockeley, vivant non loin de Londres, et dont le frère cadet Richard, capitaine de cavalerie, va devenir l’un des personnages centraux.

Le récit commence par un long retour en arrière afin d’expliquer la situation du petit Robert, l’enfant que Richard confie à son frère. Et l’affaire, comme souvent dans les romans de l’auteur, est complexe.

En fait, Robert est le fils de Richard, fruit d’une liaison avec Marcelle, une Française récemment décédée, dont l’existence fut tourmentée : des parents qui se suicident après une crise conjugale due à un faux adultère, un tuteur — l’amant présumé — absent, une tante qui, malgré une situation économique désastreuse, lui fit faire des études en Angleterre, un patron loyal et généreux qui, la séparant de sa sœur, l’envoie dans son établissement de Londres où a lieu sa rencontre avec le jeune officier.

Puis la guerre arrive et les événements essentiels ne sont plus choisis par l’auteur qui se contente de répliquer quelques idées couramment émises à l’époque.

Pour commencer, la France, qui n’a pas voulu la guerre, sait se mobiliser :

« Ce fut un réveil comme celui de la nature lorsqu’elle éclate et resplendit aux premières chaleurs du printemps. » (II-1)

Charles Mérouvel ajoute des remarques concernant les Alliés :

« Qui comprendra jamais dans les siècles futurs, les efforts gigantesques mis en œuvre par cette puissante Angleterre et ses alliés, pour transporter à des dis-tances infinies, aux extrémités de l’Europe et au-delà des océans d’innombrables armées et leurs approvisionnements de toutes sortes ? Qui pourra calculer les milliards jetés dans la fournaise allumée par la volonté d’un seul homme, les ruines accumulées, les cadavres enfouis aux quatre coins du monde en feu, et la multitude des victimes condamnées à mort ou à la détresse par l’orgueil et la cupidité d’un chef en délire et de sa race maudite ? » (id.)

Très vite se produit le « fameux » tournant de la guerre :

« La longue et terrible bataille de la Marne, qui éclata à quelques pas de nos fortifications, et qui fut un véritable miracle d’héroïsme et de vaillance, sauva Paris d’un désastre auquel il n’avait pas voulu croire. » (II-3)

Refusant d’entrer dans le détail, l’auteur se contente d’un jugement d’ensemble :

« Il ne nous appartient pas de retracer l’histoire des événements douloureux qui marquèrent les débuts de la campagne. […] Aucune invasion, au cours des siècles passés, n’avait causé de telles effusions de sang. » (II-12)

Et il fait, malgré tout, un bilan au passif de l’ennemi :

« Rejetées au-delà de la Marne et arrêtées devant Verdun après d’effroyables tueries, les armées du Kaiser remontèrent vers le Nord et l’Est, en laissant une partie de la garde impériale anéantie dans les célèbres marais de Saint-Gond, et des milliers de cadavres sur les champs qu’elles voulaient conquérir. » (II-18)

C’est ensuite le temps de la guerre de position et des tranchées — une stratégie, autre idée courante, voulue par les Allemands et allant à l’encontre du naturel guerrier des Alliés :

« […] les armées de France et d’Angleterre s’étaient pour ainsi dire immobili-sées dans une lutte de cavernes, de trous envahis par les eaux et de duels à mort au fond de fossés boueux, inventions de Boches, traquenards de vils tacticiens, évitant la bataille au grand air et face à face […] » (II-20)

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Fidèle à son projet d’évoquer les Alliés, Mérouvel parle du débarquement des troupes britanniques dans les ports français et de ces villes de France qui deviennent, à l’époque, des cités anglaises — dont certaines sont plus précisément décrites par Jules Chancel* ou Claude Frémy*.

« Partout, sur les rivages de l’Océan, à Saint-Nazaire, à Brest, à Lorient, de lourds vaisseaux abordaient, chargés d’immenses quantités de matériel de toutes sortes, d’hommes et de chevaux superbes. Dans la Manche, dans la mer du Nord, c’était un fourmillement de cargo-boats, de transports, de torpilleurs […] protégeant l’innombrable flotte qui allait et venait sans cesse de la vieille Angleterre à cette France qui, sans notre miraculeuse Jeanne d’Arc, eût peut-être fait depuis des siècles corps avec elle. Maintenant, un danger commun les rapprochait.

Le Havre, Boulogne, Cherbourg et à l’intérieur Le Mans, Rouen et d’autres centres devenaient des villes anglaises, tant la multitude des “Tommies” s’ac-croissait de jour en jour. » (II-10)

Et il affirme l’enthousiasme des troupes débarquées qui savent pourtant que la guerre va être longue :

« Qui n’a pas vu des bataillons anglais défiler en chantant le Tipperary ne peut se faire une idée de l’entrain généreux qui les animait et des hourras par lesquels ils étaient accueillis ! “It’s long way to Tipperary !” C’est un long, long chemin jusqu’à Tipperary ! Quelle phrase, pour un philosophe et un penseur, eût mieux résumé la nature de la campagne qui venait de s’ouvrir en face d’un tel adver-saire ! Oui, pour le vaincre, pour le chasser, pour le rejeter hors du sol qu’il vio-lait malgré les traités, ces “chiffons de papier”, malgré toutes les lois divines ou humaines, le chemin serait long, long ! […] Il y avait loin jusqu’à Tipperary, mais on y parviendrait, coûte que coûte. » (id.)

Certes, au départ, les conditions de vie dans les tranchées sont plus qu’acceptables :

« Aussi vaste que commode, elle [la salle] était pourvue de tout ce qui peut rendre un tel séjour possible et presque supportable. Lits de camp, électricité, tables, sièges confortables, lavabos, tentures sur les murs, comme dans la cabine d’un vaisseau, nattes de paille fraîche sur la terre qui servait de parquet, pla-fonds garnis de boiseries, rien ne manquait à cette grotte merveilleusement orga-nisée. » (III-7)

Mais la situation, à la longue, se dégrade très vite :

« Que de souffrances, que de tortures pendant les longues nuits de froid et de ténèbres, souvent près de cadavres qu’on ne pouvait enlever, parmi les rongeurs immondes, attirés sur ces champs de carnage ! Quelle horrible vie de taupes, de blaireaux ou de fauves ! » (III-7)

Les combats sont très meurtriers et souvent pour peu d’enjeu :

« Alors, c’étaient de sanglantes échauffourées, un tumulte passager, des explosions de grenades ou de bombes empoisonneuses, des fusillades à bout portant, sur les agresseurs ; et parfois des centaines de morts pour le gain de quelques mètres de champs ou de bois, ou la perte de quelque ouvrage en terre, qui, vraiment, n’en valait pas la peine. » (III-7)

Pour autant, Charles Mérouvel, avec ce roman, tient à afficher une position bien claire, celle du romancier qui ne doit pas outrepasser ses fonctions :

« Notre tâche n’est pas de décrire ces horreurs inoubliables, ni d’insuffler aux cœurs des millions de victimes de l’ambition d’un homme et d’une race une haine qui sans doute, n’est pas près de s’éteindre. C’est à d’autres qu’il appartiendra

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de retracer les détails de la monstrueuse tentative d’un “tueur d’hommes” que l’Histoire vouera à une éternelle réprobation. » (III-1)

De même, lorsque, plus loin, il évoque les lois de la guerre :

« Ne nous affaiblissons-nous pas, en conservant des scrupules qu’ils foulent aux pieds, en obéissant à des lois qu’ils méconnaissent, en nous soumettant à des règlements qu’ils répudient ? […] Mais sont-ce là des questions à traiter par des romanciers ? » (III-8)

Certes, pour autant, il n’évite pas de porter des accusations. D’abord, lorsqu’il parle de la Prusse :

« […] cette Prusse vorace qui a déjà opprimé tant de voisins et qui veut s’agran-dir encore en en soumettant d’autres, même vous, les Autrichiens et les Hon-grois, qui vous battez au profit d’ambitieux, dont vous deviendrez les vassaux et les serfs. Déjà ces Hohenzollern, race de brigandeaux moyenâgeux, retranchés d’abord dans leur burg, pareil à un nid de vautours, sont devenus rois, puis empereurs. Ils rêvent d’étendre leur empire jusqu’aux confins de l’Orient et au centre de l’Afrique ; ils ont implanté leurs rejetons sur tous les trônes de leur voisinage. » (II-7)

Puis, lorsqu’il dénonce l’impréparation de la France :

« Ne connaissait-il pas aussi la légèreté avec laquelle on avait envisagé l’éven-tualité d’une guerre, les théories des rêveurs qui prophétisaient une paix univer-selle et ne tendaient à rien moins qu’à détruire notre armée et à la remplacer par une manière de garde nationale ? Ils ne l’ont donc pas connue, ces philosophes, l’ancienne garde nationale destinée si justement, comme le disait Joseph Prud-homme, à défendre nos institutions et, au besoin, à les combattre ? » (II-7)

Ou encore lorsqu’il s’agit pour lui de définir le soldat allemand :

« Machines humaines au service d’un soudard couronné, qui, d’un geste hau-tain peut les faire fusiller au moindre signe d’insoumission ou de cette peur dont l’être le plus vaillant peut être frappé en face d’un danger terrifiant, ils avancent sous la menace d’un revolver braqué sur eux par derrière, vers la mitraille qui les foudroie et les jette pantelants sur le sol qu’ils doivent conquérir. » (II-10)

Et puis, il ne renonce pas à la thématique de l’espionnage et des espions infiltrés de longue date, grâce au laxisme en matière de naturalisation :

« […] il était devenu citoyen français, à la suite d’une naturalisation bien imprudente. Ce qu’ils doivent rire de nous, les Tudesques ! » (II-6)

« Ils » sont partout :

« Depuis des années, ils entretenaient chez nos voisins hospitaliers, […] des nuées d’émissaires chargés d’acheter les terrains propices, les cavernes pouvant servir de dépôts d’armes, d’uniformes et de munitions, et les consciences d’êtres avides et sans honneur, prêts à toutes les manœuvres et à toutes les trahisons. » (II-12)

Et, durant le conflit, la comtesse de Rennecourt, Autrichienne d’origine qui n’est pas parvenue à s’intégrer dans sa nouvelle patrie, trahit les siens, encouragée par son amie d’enfance, Lina :

« Tu dois travailler avec nous pour l’accomplissement de ce projet, dont la réussite nous livrera tous les pouvoirs, tous les droits et tous les trésors. » (II-14)

La comtesse dénonce à l’ennemi la position des unités françaises ou alliées avant de

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mettre en place une ambulance dont elle finit par avouer qu’elle sert à l’espionnage allemand. Mais, lorsque son mari et ses amis la mettent en procès, elle se justifie :

« — […] Vous aimez votre pays, M. de Rennecourt ? J’aime le mien. Vous désirez le triomphe de la France ? Je désire le triomphe de l’Autriche et de l’Al-lemagne, où j’ai des parents et des amis. […] M. de Rennecourt, ma patrie n’est pas la vôtre, et je ne saurais oublier le pays où j’ai reçu le jour. […] Lorsque je suis venue en France, je comptais sur une réception cordiale et franche. Je me figurais sottement que les Françaises du “monde” m’accueilleraient comme une sœur ou du moins comme une amie. Quelle erreur ! Elles m’ont prodigué toutes les marques de l’hostilité la plus dédaigneuse. J’ai compris qu’à leurs yeux je resterai toujours une étrangère, une ennemie, même. »

Pendant ce temps, en Angleterre, deux ingénieurs allemands, qui se sont fait embau-cher comme simples ouvriers, parviennent à détruire l’usine d’armement construite sur les terres du baronnet Walter Rockeley.

Alors qu’ont déjà été évoqués les bombardements effectués par l’aviation allemande outre-Manche :

« Ramsgate, en effet, avait eu l’avantage d’être visité par les gigantesques appa-reils du comte Zeppelin qui n’ont guère servi jusqu’ici qu’à tuer des femmes, des enfants, des citoyens inoffensifs, à brûler des maisons particulières, à foudroyer des piles d’assiettes, des meubles, vieux ou jeunes, à défoncer des plafonds, à effondrer des toitures sous lesquelles reposaient des familles qui n’avaient rien de belliqueux ni de menaçant pour n’importe quels ennemis ! » (III-12)

Enfin, parmi les valeureux combattants de cette guerre sans pitié, on trouve deux personnages déjà présents dans le précédent roman :

« Il s’appelait Jean de Brault et le major se nommait Rupert, deux connais-sances des lecteurs de Haine éternelle. » (II-14)

L’action se situe donc avant celle décrite dans l’autre roman où le major est assassiné.Pour finir, comme il est logique dans un roman populaire, la morale l’emporte : la

comtesse se suicide alors que son époux va se faire héroïquement tuer au front pour racheter sa trahison. De son côté, Richard Rockeley, après avoir épousé Madeleine, remplace son frère décédé et remet en état la propriété familiale — avec les améliora-tions jusque-là refusées — pour le bonheur de tous.

Toutefois l’auteur ne peut abonder dans le happy end total, car les hommes repartent au combat, laissant leurs épouses dans l’inquiétude :

« Les deux jeunes femmes se soutiennent mutuellement et vivent dans l’espoir d’une fin glorieuse de cette lutte terrible et du retour de la paix, qui nous permet-tra de panser les blessures faites à nos chères patries par des ennemis devenus l’objet d’une exécration universelle. » (III-26)

Le lecteur peut avoir le sentiment de lire deux intrigues habilement mêlées : une pre-mière conçue avant la guerre et traitant d’une complexe histoire sentimentale et crimi-nelle ; une seconde relevant pleinement du roman de tranchée.

Le résultat parfaitement maîtrisé révèle malgré tout un grand talent de l’auteur.

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Pour son troisième et dernier roman de guerre, L’Horrible drame, publié à partir du 3 octobre 1918, Charles Mérouvel change de ton. D’une part, il reprend le thème de l’espionnage sur lequel repose l’essentiel de son intrigue, d’autre part, il insiste sur son aspect privé — quand bien même elle serait exemplaire :

« Le drame qui nous occupe se déroule à cette tragique époque, à côté de la grande guerre, mais ce n’est pas de cette lutte gigantesque et sauvage qu’il s’agit.

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Ce que nous avons à raconter c’est le martyre d’une jeune fille, innocente, vic-time d’un monstre qui résume en lui tous les vices et toutes les cruautés, toute l’infamie, en un mot, de ceux qu’on n’appelle désormais que les Boches, et dont les crimes survivront dans l’histoire à la longue série des siècles à venir. » (19)

Le héros « négatif » est un « Boche », dont l’auteur donne sa définition :

« Oh ! Boches ! le sobriquet qui flétrira à jamais les ennemis du genre humain, pilleurs de trésors, destructeurs d’églises et de monuments de toutes sortes, ravageurs des champs et des villes, tueurs d’enfants et de femmes, violateurs de traités et de serments, voleurs éhontés de tout : usines, métiers, objets d’art, meubles, orfèvreries, titres quelconques, or et argent, jusqu’aux cloches et aux batteries de cuisine, quelle infamie, quelle bassesse ! et comment un peuple en esclavage se prête-t-il à de telles manœuvres et se soumet-il à de tels ordres ! » (II-16)

Le baron Frédéric Stein occupe une place privilégiée dans la société : conseiller du Kaiser, il est officier à la tête de ses hommes mais toujours directeur d’un immense réseau d’espionnage — qui lui permet d’affirmer à Suzanne qu’il connaît tous ses faits et gestes.

« Des milliers de reptiles, cachés sous toutes les formes et prenant tous les masques, travaillaient pour lui dans tous les coins de l’univers jusqu’aux extré-mités les plus lointaines de l’Asie et de l’Amérique. Toutes les ruses, tous les mensonges, toutes les perfidies, tous les déguisements leur étaient familiers. Ils se glissaient dans toutes les sociétés, se dissimulaient dans tous les endroits publics, s’infiltraient dans tous les mondes. » (II-9)

Il est d’abord présenté, avant la guerre, comme banquier et homme du monde, spor-tif, musicien — amateur de Richard Wagner, — polyglotte… Mais il est issu de l’école polytechnique de Berlin, de « sinistre réputation » :

« […] l’école polytechnique de Berlin, l’école de guerre, la principale évidem-ment de toutes chez les Boches, puisqu’elle enseigne les traditions néfastes, les méthodes perfides et cruelles, les détestables secrets de la grande industrie à l’aide de laquelle nos exécrables voisins ont bouleversé le monde depuis des siècles, commis tant d’horribles attentats, et causé tant de ruines, de détresses et de carnages. Et pourquoi ? Pas même pour la liberté d’un peuple ou sa prospé-rité, mais pour celle d’une famille d’oiseaux de proie. » (I-2)

Sa banque est en fait une agence de renseignements :

« [Elle] dominait les autres par la puissance de ses ressources, par l’autorité de son directeur, et par son siège établi au centre même où de néfastes influences s’exerçaient dans les ténèbres. » (I-3)

Et son siège est déjà l’indice d’une occupation allemande :

« C’est de toute évidence une construction berlinoise massive, sans la moindre prétention à l’élégance. On en voit de pareilles à tous les coins de Paris et non aux plus mauvais endroits. C’est une des révélations les plus nettes de l’enva-hissement, pacifique en apparence, prélude de l’atroce guerre préméditée par l’ennemi de la paix du monde. » (I-10)

Le 2 septembre 1914, Stein n’est plus dans ses bureaux parisiens mais à la tête de ses soldats pour envahir la propriété du comte de Fontelle où il va commettre son crime, le viol de Suzanne :

« Alors il se passa une scène odieuse. Stein devint fou de rage. Le gentilhomme disparut, la bête humaine lui succéda.

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Un cri terrible, cri de douleur et de honte, qui parvint aux oreilles de Hans Schultz, le fit bondir. Il fit un pas en avant, mais, soudainement, il s’arrêta. Le colonel était son chef et son maître.

Il tendit l’oreille ; un autre cri plus douloureux le frappa, puis ce fut un râle comme il en sort de la gorge d’une femme qu’on étouffe. Puis, enfin, un silence de mort pendant un quart d’heure. » (I-23)

Ce crime ne reste pas impuni et son auteur meurt de la main des proches de sa vic-time, dans la destruction du château qu’il aura lui-même ordonnée.

« Qu’allait-il advenir de l’antique pavillon où le misérable Stein, impuissant à rompre ses liens […] rongeait son frein et se tordait sur le pavé, ivre de colère et frémissant d’épouvante aux approches de l’expiation finale ? Elle ne se fit pas attendre. L’espion de la banque franco-rhénane, le favori du Kaiser rouge, l’être qui avait tant d’attentats, de crimes et d’infamies sur la conscience, devait payer sa dette à Dieu et aux hommes.

Trois détonations, trois formidables mines qui explosaient coup sur coup ébranlèrent l’élégante et solide bâtisse qui datait de cinq ou six cents ans au moins ; une quatrième, plus puissante que les autres, la jeta dans le fossé. On entendait vaguement dans le tumulte un cri de rage, un hurlement de fou, et ce fut tout. Justice était faite. » (II-16)

Suzanne de Fontelle, elle, a la consolation d’épouser l’homme qu’elle aime, André de Neille — lieutenant de chasseurs au début de la guerre devenu lieutenant-colonel. En revanche, l’enfant franco-allemand, né du viol, comme dans le roman précédent, et comme toujours dans le roman populaire de guerre, va mourir — ici, assassiné par une démente.

Les espions, pour leur part, survivent à leur chef quelque temps : le temps de se détruire entre eux. L’agence dirigée par Browner est victime des dénonciations de sa maîtresse dont la première victime est Charlotte de Leybach qui passe aux aveux tout en donnant un avertissement :

« — […] Ouvrez les yeux et prenez garde. La trahison vous guette, elle circule au grand jour, sans précaution. Vos ennemis vous traitent comme si vous étiez des sourds ou des aveugles. » (II-13)

Dès le départ, Charlotte est présentée comme elle-même victime du système d’es-pionnage allemand :

« Ce misérable qui portait un nom honorable et pourtant n’était qu’un bandit s’empara de ces bijoux et disparut avec eux. Elle fut seule livrée à la justice ; condamnée à deux ans de prison, elle ne les subit pas parce qu’elle consentit à s’enrôler dans la compagnie honteuse des femmes chargées de remplir à l’étran-ger le déshonorant métier d’espionne. » (I-3)

Et elle en est dégoûtée :

« — Quel ignoble métier nous faisons ici ! reprit-elle. J’en ai le dégoût et pour-tant il le faut. Quand pourrai-je reprendre ma liberté et cette heure viendra-t-elle ? » (id.)

A l’heure de son exécution, elle se montre héroïque — et superbe :

« Droite, debout, face aux soldats, le regard au ciel, elle laissa tomber sa pelisse à ses pieds et apparut comme une martyre, blanche, le cou nu, sa superbe poi-trine à demi-découverte dans sa forme idéale. […] Douze détonations retentirent pour ainsi dire en une seule. La robe claire se teignit de sang. L’admirable tête s’inclina, le corps se plia en deux. Justice était faite. » (II-13)

Et elle n’a pas dénoncé ses complices :

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« Mais que d’autres, plus criminels que cette étrangère, demeuraient impunis dans Paris, la ville immense, où tant de traîtres s’agitaient, pires que la morte, puisque ceux-là, fils de France, en trahissant la patrie poignardaient leur propre mère. » (id.)

Compte tenu de la date de sa rédaction — milieu de l’année 1918 — et de celle de sa publication — qui s’achève le 2 janvier 1919, — la particularité de ce roman est que son action se déroule jusqu’au terme du conflit. L’auteur peut donc écrire, in fine :

« L’heure de la grande fin, après laquelle nous aspirons, ne sonnait pas encore. Mon œuvre est terminée. Celle de nos glorieux soldats vient de l’être. C’est la victoire achetée au prix de tant de sang, de ruines et de larmes, mais la grande victoire décisive et triomphale. » (II-17)

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A la fin de sa vie, Charles Mérouvel, demeure un des acteurs importants du roman populaire durant la Grande Guerre et dans les deux années qui suivent. Tout en tenant un discours profondément « patriotique » — entendons, avant tout, germanophobe, — il fait montre d’un métier éprouvé, comme il est rappelé dans Le Petit Parisien, le 29 juil-let 1920, au moment de son décès :

« On a beaucoup médit du roman-feuilleton, mais, en ceci comme en tout, il y a la manière, et Charles Mérouvel était de ceux qui la possèdent. Il l’a bien prouvé en se renouvelant sans cesse et en gardant jusqu’à la fin, avec un impec-cable savoir-faire, toute la chaleur de la jeunesse. »

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Haine éternelle

Bibliographie :Haine éternelle. 130 feuilletons in Le Petit Parisien, du 5 septembre 1915 au 15 janvier

1916 ; Idem. 164 feuilletons in La Petite Gironde (Bordeaux), du 14 mai au 11 novembre 1916.

Haine éternelle (cycle Romans d’amour, drames de passion). 1 volume. Tallandier (Paris), « Livre National » (rouge) n°295, 1922 ; Haine éternelle. 1 volume. Tallandier (Paris), « Livre National » (rouge) n°395, 1923 ; Idem. 1 volume. Tallandier (Paris), « Livre Natio-nal » (rouge) n°777, 1931 ; Idem. 1 volume. Tallandier (Paris), « Les Meilleurs romans de drame et d’amour » n°25, 1937 ; Idem. 1 volume. Tallandier (Paris), « Livre National » (rouge 4e série) n°57, 1952.

Résumé :Fin de l’automne 1912. Après avoir quitté l’armée par manque de fortune, Jean, fils

orphelin du colonel de Brault, vit désormais de ses maigres rentes dans son château de la Vaudière, aux abords de la forêt de Compiègne. Il a pour voisin le baron Steinberg, riche financier parisien, qui laisse la gestion de son immense domaine de Sauval à son régisseur Hans Sturm.

Jean est contacté par Frédérique, la fille de Steinberg, qui l’a remarqué à la chasse et lui propose de l’épouser — afin d’éviter le mariage que lui promet son père. Il accepte, renonçant à Marie, la nièce de sa gouvernante — dont il ignore qu’elle est enceinte de lui.

Steinberg et Sturm se sont connus dans les rues de Constantinople avant que le futur banquier ne se rende en Allemagne où il s’est vu confier une importante mission secrète pour laquelle il a fait appel à son ancien ami.

Jean de Brault s’installe bientôt à Paris dans l’appartement que met à sa disposition le baron Steinberg qui l’accepte comme futur gendre. Et, à la demande de Frédérique, il va s’habiller chez les meilleurs fournisseurs d’origine allemande. Il choisit, comme témoins à son mariage, ses deux amis, Marc Fresnoy, officier travaillant au ministère

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de la Guerre, et le major Lucien Rupert, revenu à la vie civile, qui tous deux acceptent malgré leur hostilité envers le baron.

Le contrat de mariage est signé : en plus de la dot, Jean de Brault reçoit un avis de réintégration dans l’armée. Et il est présenté à l’attaché de l’ambassade d’Allemagne, le comte von Prater — également colonel dans la garde du Kaiser. Deux jours aupa-ravant, Marie a décidé de partir pour Paris afin d’y vivre sa vie de mère célibataire.

A l’issue de la cérémonie du mariage, Frédérique avoue à son mari que Prater l’a récemment droguée et violée — et qu’elle est enceinte de lui. Jean, d’abord furieux, lui pardonne et ils partent en voyage de noces sur la Côte d’Azur.

Pendant ce temps, Marie, grâce à une opportune rencontre faite dans le train, prend contact avec une fleuriste de l’avenue de l’Opéra, Louise Labaume, qui accepte de l’embaucher et la confie à sa vendeuse Fanny avec laquelle elle devient très vite amie. Elle fait également la connaissance du docteur Ruper qui lui propose un séjour dans sa villa de Luzarches pour y accoucher.

Jean de Brault et son épouse, après avoir parcouru l’Italie, s’installent en Algérie où Frédérique accouche d’un fils. Puis, laissant l’enfant sur place, ils rejoignent bientôt Paris où Jean prend possession de son poste au ministère de la Guerre.

Octobre 1913. Le baron Steinberg reçoit Zorn, un conseiller du Kaiser, qui le compli-mente sur son travail au service de l’Allemagne : Berlin est désormais très au courant des capacités financières de la France. Une demi-douzaine d’agents les rejoint. Zorn leur prédit une guerre rapide amenant l’Allemagne à vaincre et à occuper la France.

Avant l’arrivée des invités conviés à Sauval pour une chasse, Sturm cache les appa-reils télégraphiques servant à l’espionnage et visite les carrières de l’Oise dans les-quelles sont effectués des travaux secrets.

A l’issue de la journée de chasse, Jean de Brault surprend un entretien houleux entre Frédérique et Prater et provoque ce dernier en duel. De son côté, la jeune femme craint qu’il n’apprenne ce qu’elle sait désormais des origines de son père et de ses fonctions au service de l’Allemagne. Au matin, Jean blesse à l’épaule son adversaire qui reste immobilisé quelques semaines.

Un soir, à Paris, Frédérique explique à son mari le pouvoir de Prater, disposant de tout un service d’espionnage qui les a suivis en Algérie. Elle parle également de ses méprisables origines. Ils se réconcilient mais la blessure demeure pour l’un et l’autre.

Le lendemain, Jean de Brault se rend chez la fleuriste pour voir Marie qui le traite comme un client ordinaire. La jeune femme confie à Fanny et au major — parrain de sa fille Suzanne — qu’elle ne songe qu’à son bonheur présent. Quelques jours plus tard, elle accepte le mariage que lui propose Lucien Rupert.

A l’annonce de l’attentat de Sarajevo, Steinberg reçoit Sturm qui va se réfugier en Suisse, après avoir fait disparaître de Sauval toute trace de leur activité d’espionnage, puis Prater qui part pour la Prusse, non sans lui réclamer 100.000 marks.

Frédérique trouve, dans les papiers de son mari, une lettre anonyme dénonçant les activités occultes de son père. Elle se rend auprès de celui-ci qui parle de médisances et l’emmène sur-le-champ à Sauval où il constate avec plaisir la disparition de toutes traces suspectes.

La guerre déclarée, chacun s’organise. Louise Labaume, après avoir fermé son maga-sin, part s’installer à la ferme des Renaudes, près de Senlis, tenue par sa sœur et son beau-frère, les Broudais. Fanny, elle, se rend chez Marie à Luzarches, tandis que le major Rupert rejoint son régiment.

A sa demande, Jean de Brault part au front. Avant son départ, il apprend l’existence de Suzanne et conseille à Frédérique de se rendre en Algérie. Mais, là, la jeune femme apprend que son fils a été enlevé et est aux mains de son père. En effet, le colonel Prater a fait amener l’enfant, qu’il baptise Ludwig, dans sa propriété familiale de Poméranie.

A la veille de la bataille de Charleroi, alors que son régiment de chasseurs subit de lourdes pertes, Jean de Brault, légèrement blessé, est promu capitaine pour une action d’éclat. A ses côtés, le major Rupert est lui aussi blessé.

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Afin de conserver une bonne image, le baron Steinberg propose aux autorités de trans-former à ses frais son château de Sauval ainsi que son hôtel parisien en ambulances.

Pendant ce temps, la ferme des Renaudes est envahie par les troupes allemandes commandées par le colonel Prater, qui fusillent Broudais puis pillent, ripaillent et s’en prennent aux femmes : Louise préfère se défenestrer, sa sœur succombe, les autres parviennent à fuir. Obligés d’abandonner les lieux, les Allemands mettent le feu à la ferme qui est entièrement détruite.

Enfin guérie, Frédérique peut revenir à Paris où son père lui propose de l’envoyer à Sauval afin de servir dans l’ambulance. Là, elle lui écrit pour lui avouer le viol dont elle a été victime et la naissance de son fils, quand se présente… Prater qui lui annonce la mort de son mari. Elle décide alors de s’empoisonner et est mourante quand Jean de Brault, désormais réellement amoureux d’elle, arrive à son chevet. On l’inhume dans le parc.

Dans un château en Lorraine, après avoir fait enlever par des experts tous les objets de valeur qu’il envoie à Berlin, le Kronprinz préside un somptueux dîner. Soudain des avions français survolent et bombardent le château, faisant de nombreuses victimes. Mais le Kronprinz parvient à s’enfuir.

Le baron Steinberg écrit à Prater pour lui apprendre qu’il est responsable de la mort de sa fille. En réponse, le colonel promet la mort de Jean de Brault et lui confie son fils pour le cas où il serait lui-même tué. Or, au soir du 3 novembre 1914, Jean conduit l’as-saut d’un château et se retrouve face à Prater — à l’endroit même où il a violé Frédé-rique. Ils se battent en duel au revolver et Jean l’atteint mortellement. Mais l’Allemand tue le major Rupert qui s’approchait pour le soigner.

Plus tard, à Paris, Marie apprend qu’elle hérite de son mari une belle fortune, tandis que, de leur côté, les employés de Louise Labaume héritent d’elle également une forte somme — alimentée par l’héritage des Broudais.

Juin 1915. Jean de Brault se voit confier la refonte de son régiment et, envoyé à Com-piègne, il décide de visiter la Vaudière où il rédige une lettre à l’attention de Marie pour lui demander pardon de son attitude d’autrefois. Mais ce n’est que trois jours plus tard, à Paris, où il vient de recevoir son brevet de lieutenant-colonel, qu’il confie la lettre à Fresnoy pour qu’il la porte à destination.

Après avoir reçu la visite de Jean de Brault auquel il apprend le forfait de Prater et déclare souhaiter désormais la défaite de l’Allemagne, le baron Steinberg répond favorablement à une lettre de Sturm l’invitant à le rejoindre en Suisse. Là, il apprend la mort du petit Ludwig.

Alors qu’ils se rendent chez Marie, qui a reconstruit la villa de Luzarches, Fanny accepte la demande en mariage que lui fait Marc Fresnoy. Plus tard, à la Vaudière, Marie rencontre Jean qui obtient son pardon… en attendant son amour.

Alliées !

Bibliographie :Alliées ! (Grand roman inédit). 143 feuilletons in Le Petit Parisien, du 23 juillet au 26 dé-

cembre 1916 ; Idem. [x] feuilletons in La Loire républicaine (Saint-Etienne), à partir du 13 mai 1917.

Alliées ! (I. Tragique mariage, II. Le Crime de Gisèle). 2 volumes. Tallandier (Paris), « Le Livre National » (rouge) n°317 & 318, 1922 ; Alliées ! (I. [Sans titre], II. Le Crime de Gisèle). 2 volumes. Tallandier (Paris), « Le Livre National » (rouge) n°680 & 681, 1929.

Résumé :Août 1914. Héritier d’une riche famille anglaise, le baronnet sir Walter Rockeley,

veuf sans enfant, vivant avec avarice dans son manoir, à 60 km au nord de Londres, reçoit la visite de son frère cadet Richard, capitaine de cavalerie dans la garde royale, qui veut, avant son départ pour la France où il va remplir son devoir militaire, lui confier un enfant dont la mère, une Française, est morte en couches. Après lui, c’est Ralph Turner, le meunier, qui vient lui demander en vain une réparation du moulin qui tombe en ruines.

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Des années plus tôt, Jeanne de La Royère, fille d’un ancien gouverneur des colonies, épouse le baron Gabriel Féraud-Destouches après avoir vu s’éloigner d’elle le lieute-nant de vaisseau Fernand de Trémel qu’elle ne parvient pas à oublier.

En avril 1891, alors que le baron est en voyage aux Etats-Unis, Jeanne rencontre Fer-nand qui regrette d’avoir manqué leur mariage et se consacre désormais uniquement à la mer. Ils sont vus par le braconnier Rémi Chassevent qui ramasse un anneau d’or perdu par Jeanne et répand bientôt la rumeur de sa liaison avec l’officier de marine. Jeanne échange avec Fernand une correspondance à propos de l’anneau, avant que celui-ci ne lui soit rendu.

Huit mois et demi après le retour de son mari, Jeanne met au monde des jumelles, Madeleine et Marcelle. Et, quelques mois plus tard, le baron reçoit une lettre anonyme évoquant la liaison de son épouse en son absence. D’abord sceptique, il se renseigne et apprend la présence de Fernand à la date correspondant à la naissance des jumelles. Dès lors, quittant une vie rangée, il se met à dissiper sa fortune au jeu, à la chasse, en Bourse, sans que Jeanne soit au courant.

Au bout de trois ans, ayant enfin mis la main sur la lettre que Jeanne avait reçue de Fernand à propos de l’anneau perdu, il est définitivement convaincu de la trahison de son épouse. Il cesse alors ses excès et décide de partir en voyage avec elle. Et, au cours d’une promenade, il se tue avec elle en précipitant leur automobile dans le vide.

Mme de La Royère, leur grand-mère, prend en charge les jumelles — volontairement ruinées par leur père — et leur fait donner une bonne éducation. A l’âge de 15 ans, elles partent en Angleterre pour compléter leurs études.

A la mort de Mme de La Royère, les jumelles, en l’absence de leur tuteur, Fernand de Trémel, sont recueillies par Louis-Félix Raibert, riche commerçant de luxe qui a racheté leurs biens hypothéqués. Et Marcelle est envoyée au magasin de Londres. Là, elle tombe amoureuse de Richard Rockeley avec lequel elle entretient une liaison secrète. Personne ne connaît la raison de son décès qui intervient le 29 juillet 1914.

Alors que la bataille de la Marne sauve la capitale de l’invasion allemande, Made-leine et son amie Rose Bichet, désormais sans travail, s’inquiètent pour l’avenir. Elles se rendent au domaine de La Royère, en l’absence des Raibert, et y rencontrent l’oncle de Rose, Laurent Brou, garde au château de Rennecourt, dans la Somme, qui veut aider sa nièce et repart avec les deux jeunes filles.

Au château, ils sont accueillis par la comtesse Gisèle, d’origine autrichienne. Celle-ci a pour confident un des gardes, Louis Milher, en relation avec un homme d’affaires amiénois d’origine allemande, Lazarus Leibach. Par ailleurs, elle correspond réguliè-rement avec son amie Lina, vivant en Allemagne. Enfin, elle finance l’établissement d’une ambulance au château d’Ambrières — abandonné par ses propriétaires.

A la réception d’une lettre de son neveu Richard Rockeley, qui lui avoue sa liaison avec Marcelle et lui demande de veiller sur son fils, miss Arabella Clifford décide de faire venir chez elle le petit Robert. Elle le fait installer dans un cottage qu’elle possède à Ramsgate.

Alors que les troupes françaises et britanniques reculent face aux Allemands, supé-rieurs en nombre, le capitaine Rockeley et ses hommes font étape dans un village où ils sont rejoints par une autre troupe anglaise commandée par un sous-officier, Ralph Turner, dont le régiment ne compte plus que 650 hommes et aucun officier. Les deux amis d’enfance sont heureux de se retrouver et Ralph explique comment les repre-neurs de son moulin ont fait venir de très nombreux ouvriers afin de construire une vaste usine d’armement.

Le comte Maxime de Rennecourt quitte son château pour se rendre à Beauvais où il compte s’informer sur la guerre auprès d’un vieil ami de son père, le colonel Dufresne, puis du préfet. Peu après son départ, arrive un escadron de chasseurs français, com-mandés par le lieutenant Jean de Brault*, accompagné du major Rupert*. Ils sont reçus par la comtesse qui, ne supportant plus la situation qui lui est faite en France, les dénonce à Lazarus.

Jean de Brault et ses hommes reprennent la route et sont bombardés par deux taubes.

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Ils parviennent à abattre l’un d’eux et le lieutenant trouve sur le cadavre du pilote un message indiquant la présence de sa compagnie au château de Rennecourt avec ordre de la détruire. Il écrit au comte pour l’avertir : celui-ci interroge sa femme qui reconnaît avoir communiqué avec Lazarus mais nie la trahison consistant à livrer les Français à l’ennemi.

A Rockeley, la mère de Ralph Turner reçoit une lettre de lui dans laquelle il lui fait part de la dureté des combats, de son amitié pour le capitaine Richard Rockeley et de son amour pour Mary — la jeune nièce de la gouvernante du baronnet. Elle interroge cette dernière qui est prête à épouser Ralph à la fin de la guerre : elle la considère désormais comme sa fille.

Printemps 1915. A La Royère, Fernand de Trémel rencontre Chassevent qui lui demande de lui pardonner le mal qu’il a fait en répandant la rumeur de sa liaison avec Jeanne. Dans le même temps, à Ambrières, la comtesse reçoit Lazarus à qui elle remet des informations.

Tandis que la guerre s’éternise, à Rockeley, près de la colossale fabrique, a été construit un vaste hôtel, dirigé par Stein et Sharps, dont les meilleurs clients sont Sam et Dick, deux travailleurs d’excellente réputation. En fait, les quatre sont des espions allemands chargés de faire disparaître l’usine d’armement.

Après l’attaque de troupes anglaises qui venaient de passer la nuit au château de Rennecourt, le comte, accablé, décide d’avoir la preuve de la trahison de sa femme. Il se rend à Paris où il rencontre Jean de Brault — dont on reforme le régiment — qui déclare n’avoir aucun soupçon — bien qu’il ait vu la comtesse donner un ordre à Milher.

Ce jour-là, arrive à Rennecourt le contre-amiral Fernand de Trémel, désormais à la tête d’un détachement de fusiliers-marins, qui vient voir Madeleine pour l’interro-ger sur sa vie et lui remettre son testament. Peu après, près d’Armentières, les lignes anglaises et françaises se rejoignent : les « tommies » de Ralph Turner fraternisent avec les fusiliers-marins de Fernand de Trémel.

Les semaines et les mois passent à défendre ces positions et à sacrifier parfois des vies pour rien. Un jour, sur un prisonnier allemand, Frédéric von Heinstein, frère de Lina — l’amie de Gisèle de Rennecourt, — le sous-lieutenant Louis Robin, fils d’un garde du château, trouve une lettre prouvant la trahison de la comtesse.

Arabella Clifford, qui déplore de nouveaux bombardements de zeppelins, envoie ses félicitations à son neveu pour sa nomination au grade de major (commandant). Mais, quelques semaines plus tard, elle apprend qu’il a été blessé et est soigné à l’ambulance d’Ambrières.

Louis Robin obtient une permission pour se rendre à Rennecourt où il veut rencontrer le comte. Mais il est agressé en route par deux hommes envoyés par Lazarus, averti par un complice de Heinstein, auxquels il parvient à échapper, malgré une blessure.

Convoqué à la préfecture, à Beauvais, Maxime de Rennecourt apprend qu’une enquête est en cours sur son entourage, à la suite d’attentats dont ont été victimes des soldats français ou alliés. Mortifié, il rentre au château, accompagné du colonel Dufresne, et y trouve Louis Robin qui lui fait part de ce qu’il a appris. Gêné devant sa femme — qu’il désire toujours, — le comte la questionne en vain. Il décide alors de passer à l’action et convoque Michel Robin et les autres gardes — hormis Milher.

Peu après, dans son hôtel parisien, le comte de Rennecourt, assisté de ses gardes ainsi que du capitaine Jean de Brault et du colonel Dufresne, fait le procès de sa femme, après avoir fait enlever Lazarus chez qui ont été saisis des documents compromet-tants. Elle avoue et reconnaît même que l’ambulance d’Ambrières sert à l’espionnage allemand. Et elle affirme souhaiter la victoire de l’Allemagne. Le comte lui donne un passeport pour regagner l’Autriche — tandis que Lazarus est reconduit chez lui.

Ramenée au château, la comtesse écrit une lettre-testament à son amie Lina avant d’aller se noyer dans l’étang proche. Milher, tentant de la sauver, se noie avec elle. La direction de l’ambulance d’Ambrières est confiée à Madeleine et Rose. Richard Rocke-ley, convalescent, et Madeleine — qui vient d’hériter de l’amiral de Trémel, tué au combat — se promettent un avenir commun.

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Un jour, les journaux annoncent l’explosion d’une grande usine de munitions qui a fait de nombreuses victimes. Sam et Dick — en réalité ingénieurs allemands — dispa-raissent. Richard apprend la mort de son frère dont il est l’héritier.

Début octobre, Richard Rockeley épouse Madeleine Féraud avant de se rendre à Rocke ley où il décide de tout reconstruire comme avant — en plus confortable. Il offre le moulin et ses dépendances à Mrs Turner. De son côté, Madeleine rend visite à M. Rai-bert qui lui cède le château de La Royère au meilleur prix.

Le comte de Rennecourt, envoyé au front, à sa demande, y meurt héroïquement. Il lègue son château afin qu’il devienne un asile pour les militaires blessés au combat.

L’Horrible drame

Bibliographie :L’Horrible drame (Grand roman inédit). 90 feuilletons in Le Petit Parisien, du 3 octobre

1918 au 2 janvier 1919.

Résumé :Mars 1914. Le baron Frédéric Stein, bel homme, sportif, musicien, polyglotte, qui

a fait ses études à l’école polytechnique de Berlin, dirige la Banque Franco-Rhénane qui est, en fait, la principale agence de renseignement allemand de la capitale. Il a pour valet de chambre, sans le savoir, son pire ennemi, Hans Schultz, dont il a autre-fois séduit et abandonnée la fiancée, Lina. Présentement, il est amoureux de la jeune Suzanne de Fontelle qu’il compte épouser.

Ce matin-là, se présente Hélène qui, comme Charlotte de Leybach avec laquelle elle partage un appartement, à la suite d’un moment dramatique de son existence, a accepté d’entrer au service du baron Stein pour des missions d’espionnage.

Le surlendemain, Guy de Bréval s’entretient avec le comte Roland de Fontelle, son beau-frère, d’une part du baron Stein qu’il soupçonne de conspiration contre la France, et, d’autre part d’André de Neille, jeune lieutenant de chasseurs, son voisin dans l’Oise, qui est amoureux de Suzanne, la fille du comte — tandis que celle-ci, de son côté, confie à son amie de pension, Angèle Mayrand, son amour pour André.

Au soir, Bréval se rend discrètement au restaurant où le baron Stein invite régulière-ment, outre les femmes — dont Charlotte, Hélène et Gilberte, jeune chanteuse ayant pour protecteur le vieux sénateur Ignace Duplay, — un certain nombre de parlemen-taires. Le repas est excellent et l’atmosphère vire à la luxure.

Conscient que l’Allemand menace tant sa famille que sa patrie, Bréval décide d’en-quêter sérieusement sur lui. Il commence par inviter à dîner Gilberte qui lui apprend déjà un certain nombre de choses. Et, petit à petit, il s’introduit dans l’intimité du baron qui ne se méfie pas de lui.

Fin avril. Le comte de Fontelle part avec sa famille et ses domestiques pour son domaine de l’Oise. Guy de Bréval, qui poursuit son enquête, les rejoint, tout comme le baron Stein qui vient demander la main de Suzanne. Le comte retarde sa réponse et le baron, entendant les propos d’André qui lui sont hostiles, comprend qu’on le consi-dère comme un ennemi et que Suzanne est amoureuse du jeune officier.

Rue de Richelieu, un certain Browner dirige une officine de renseignements dont les agents sont chargés de répandre, dans tout le pays, des idées pacifistes et recueillir des informations sur les personnes que l’on peut soudoyer. Sa collaboratrice et maîtresse, Sarah Loeve, est jalouse de Charlotte qui vient le voir de la part du baron Stein — et refuse de céder à ses avances.

Guy de Bréval apprend à son beau-frère qu’il possède désormais, grâce à Charlotte et Hélène, des preuves de la trahison du baron Stein et obtient de lui qu’il refuse la demande en mariage. Allant lui-même porter la réponse, il fixe à Schultz un ren-dez-vous au cours duquel ce dernier lui avoue son histoire et lui apprend que le baron est colonel dans l’armée allemande. Un pacte est scellé entre eux contre ce dernier.

Fin juillet. Françoise de Neille, répondant à une lettre de son fils, qui est à Verdun, lui affirme que sa position sociale ne lui permet pas d’envisager d’épouser Suzanne.

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De son côté, le baron Stein annonce son départ pour l’armée à Charlotte et Hélène qu’il place sous l’autorité de Browner. Dans le même temps, à Berlin en fête, son ami Helmann mène Schultz auprès de Lina qui meurt dans ses bras.

Le 2 septembre, le comte de Fontelle donne l’ordre d’évacuer son château mais il est trop tard : les uhlans, commandés par le colonel baron Frédéric Stein, envahissent les lieux. Suzanne est enfermée dans un petit pavillon où Stein vient lui demander de devenir sa femme et, devant son refus, la viole. De retour à Paris, elle se confie par lettre à son amie Angèle. Puis elle finit par avouer son martyre à son père.

Françoise de Neille écrit à son fils pour lui relater le passage des uhlans à Fontelle et lui laisser deviner ce qui est arrivé à la jeune fille. De son côté, au front, Guy de Bréval est averti du crime par une lettre de son beau-frère qui craint fortement pour la santé de sa fille.

Juin 1915. Angèle Mayrand emmène Suzanne dans sa propriété de Touraine, la Vau-dière, afin qu’elle y accouche en paix d’un garçon, officiellement né de parents incon-nus et baptisé Jean Félix.

La guerre s’éternise. Les Allemands sont à Fontelle où ils ont pillé le château et dévasté le domaine. A Paris, l’espionnage allemand poursuit son œuvre. Charlotte et Hélène sont toujours actives, tandis que Sarah prépare sa vengeance en collectant des documents compromettants.

Juillet 1916. Guy de Bréval, en permission, apprend l’arrestation de Charlotte et Hélène, dénoncées par Sarah. Il décide de prendre Gilberte sous sa protection. Hélène s’empoisonne dans sa cellule.

A la mi-octobre, Angèle Mayrand décide son amie à se rendre à la Vaudière. Mais, à la vue de l’enfant, Suzanne a une attaque. Elle ne recouvre la santé que deux mois plus tard. On lui fait part alors des sentiments d’André pour elle mais elle déclare qu’elle ne pourra jamais se marier.

Charlotte, qui envie le sort de son amie, refuse de se défendre et fait des aveux com-plets : née près de Berlin, elle est arrivée en France en janvier 1910 pour effectuer de la propagande en faveur de l’Allemagne et récolter des renseignements. Mais elle ne veut dénoncer personne. Malgré l’indulgence du juge, qui estime que beaucoup de gens plus coupables qu’elle sont toujours en liberté, elle est certaine d’être condamnée. De son côté, Browner refuse toujours d’admettre la trahison de Sarah.

Le 20 janvier 1917, le commandant André de Neille arrive à Paris, en permission, et rend visite à Suzanne, qui habite chez son amie Angèle. Les deux jeunes gens s’avouent leur amour mais Suzanne refuse toujours l’idée d’un mariage.

Malgré la brillante plaidoirie de l’avocat payé par le sénateur Duplay, Charlotte est condamnée à mort. Refusant de faire appel, et même de se venger de Sarah dont elle a compris le rôle, elle est fusillée quelques jours plus tard. Pendant ce temps, Browner acquiert les preuves de la trahison de sa maîtresse.

A la sortie du terrible hiver 1917, la veuve d’un vigneron, qui a perdu la raison après la mort de ses deux fils au front, se venge en enlevant Jean Félix et en le jetant dans un ravin. En apprenant la mort de l’enfant, Suzanne fond en larmes.

A la suite du procès de Charlotte, un magistrat s’intéresse à l’agence Browner. Une perquisition lui fait découvrir des documents détruits par le feu et le cadavre de Sarah Loeve. Browner, lui, arrive à Berlin par la Suisse et va rejoindre le régiment de Frédéric Stein. Il apprend à ce dernier la mort de son fils et Stein comprend qu’il n’a désormais plus de pouvoir sur Suzanne.

Alors que se prépare l’offensive de la Somme, Guy de Bréval et André de Neille, dont les troupes ne sont qu’à quelques kilomètres, sont avertis par Schultz de la présence de Stein au château de Fontelle. Les Français y surprennent les Allemands alors que le châ-teau est détruit par l’explosion des mines préparées par Stein qui fait partie des victimes.

Les mois passent. Hans Schultz est allé chercher fortune en Amérique du Sud grâce à un don du comte de Fontelle. Guy de Bréval et André de Neille continuent de se battre vaillamment au front. Un jour de décembre, André apprend qu’il est nommé lieutenant-colonel. Six semaines plus tard, il épouse Suzanne.