Alain Robbe-Grillet - Pour Un Nouveau Roman

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  • POURUN NOUVEAU ROMAN

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  • DU MME AUTEUR

    UN RGICIDE, roman, 1949.LES GOMMES, roman, 1953, ( double , no 79).LE VOYEUR, roman, 1955.LA JALOUSIE, roman, 1957, ( double , no 80).DANS LE LABYRINTHE, roman, 1959.LANNE DERNIRE MARIENBAD, cin-roman, 1961.INSTANTANS, nouvelles, 1962.LIMMORTELLE, cin-roman, 1963.POUR UN NOUVEAU ROMAN, essai, 1963.LA MAISON DE RENDEZ-VOUS, roman, 1965.PROJET POUR UNE RVOLUTION NEW YORK, roman, 1970.GLISSEMENTS PROGRESSIFS DU PLAISIR, cin-roman, 1974.TOPOLOGIE DUNE CIT FANTME, roman, 1976.SOUVENIRS DU TRIANGLE DOR, roman, 1978.DJINN, roman, 1981.LA REPRISE, roman, 2001.CEST GRADIVA QUI VOUS APPELLE, cin-roman, 2002.LA FORTERESSE, scnario pour Michelangelo Antonioni, 2009.

    RomanesquesI. LE MIROIR QUI REVIENT, 1985.II. ANGLIQUE OU LENCHANTEMENT, 1988.III. LES DERNIERS JOURS DE CORINTHE, 1994.

    Chez dautres diteursLE VOYAGEUR. Textes, causeries et entretiens, 1947-2001,Christian Bourgois, 2001.SCNARIOS EN ROSE ET NOIR. 1966-1983, Fayard, 2005.PRFACE UNE VIE DCRIVAIN, Le Seuil, 2005.UN ROMAN SENTIMENTAL, Fayard, 2007.POURQUOI JAIME BARTHES, Christian Bourgois, 2009.

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  • ALAIN ROBBE-GRILLET

    POURUN NOUVEAU ROMAN

    LES DITIONS DE MINUIT

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  • r 1963/2013 by LES DITIONS DE MINUITwww.leseditionsdeminuit.fr

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    http://www.leseditionsdeminuit.fr

  • quoi servent les thories

    (1955 et 1963)

    Je ne suis pas un thoricien du roman. Jai seule-ment, comme tous les romanciers sans doute, aussibien du pass que du prsent, t amen faire quel-ques rflexions critiques sur les livres que javaiscrits, sur ceux que je lisais, sur ceux encore que jeprojetais dcrire. La plupart du temps, ces rflexionstaient inspires par certaines ractions qui meparaissent tonnantes ou draisonnables suscitesdans la presse par mes propres livres.

    Mes romans nont pas t accueillis, lors de leurparution, avec une chaleur unanime ; cest le moinsque lon puisse dire. Du demi-silence rprobateurdans lequel tomba le premier (Les Gommes) au refusmassif et violent que la grande presse opposa ausecond (Le Voyeur), il ny avait gure de progrs ;sinon pour le tirage, qui saccrut sensiblement. Biensr, il y eut aussi quelques louanges, et l, mais quiparfois me droutaient encore davantage. Ce qui mesurprenait le plus, dans les reproches comme dans les

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  • loges, ctait de rencontrer presque partout une rf-rence implicite ou mme explicite aux grandsromans du pass, qui toujours taient poss commele modle sur quoi le jeune crivain devait garder lesyeux fixs.

    Dans les revues, je trouvais souvent plus de srieux.Mais je ne russissais pas me satisfaire dtrereconnu, got, tudi, par les seuls spcialistes quimavaient encourag ds le dbut ; jtais persuaddcrire pour le grand public , je souffrais dtreconsidr comme un auteur difficile . Mes tonne-ments, mes impatiences, taient probablement dau-tant plus vifs que jignorais tout, par ma formation,des milieux littraires et de leurs habitudes. Je publiaisdonc, dans un journal politico-littraire grand tirage(LExpress), une srie de brefs articles o jexposaisquelques ides qui me semblaient tomber sous le sens :disant par exemple que les formes romanesques doi-vent voluer pour rester vivantes, que les hros deKafka nont que peu de rapport avec les personnagesbalzaciens, que le ralisme-socialiste ou lengagementsartrien sont difficilement conciliables avec lexerciceproblmatique de la littrature, comme avec celui denimporte quel art.

    Le rsultat de ces articles ne fut pas ce que jatten-dais. Ils firent du bruit, mais on les jugea, quasi-una-nimement, la fois simplistes et insenss. Pouss tou-jours par le dsir de convaincre, je repris alors en lesdveloppant les principaux points en litige, dans unessai un peu plus long qui parut dans La NouvelleRevue franaise. Leffet ne fut hlas pas meilleur ; etcette rcidive qualifie de manifeste me fit en

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  • outre sacrer thoricien dune nouvelle cole roma-nesque, dont on nattendait videmment rien de bon,et dans laquelle on sempressa de ranger, un peu auhasard, tous les crivains quon ne savait pas o mettre. cole du regard , Roman objectif , cole deMinuit , les appellations variaient ; quant aux inten-tions que lon me prtait, elles taient en effet dliran-tes : chasser lhomme du monde, imposer ma proprecriture aux autres romanciers, dtruire toute ordon-nance dans la composition des livres, etc.

    Je tentais, dans de nouveaux articles, de mettre leschoses au point, en clairant davantage les lmentsqui avaient t les plus ngligs par les critiques, oules plus distordus. Cette fois lon maccusa de mecontredire, de me renier... Ainsi, pouss tour tourpar mes recherches personnelles et par mes dtrac-teurs, je continuais irrgulirement danne en anne publier mes rflexions sur la littrature. Cest cetensemble qui se trouve aujourdhui rassembl dans leprsent volume.

    Ces textes ne constituent en rien une thorie duroman ; ils tentent seulement de dgager quelqueslignes dvolution qui me paraissent capitales dans lalittrature contemporaine. Si jemploie volontiers,dans bien des pages, le terme de Nouveau Roman, cenest pas pour dsigner une cole, ni mme un groupedfini et constitu dcrivains qui travailleraient dansle mme sens ; il ny a l quune appellation commodeenglobant tous ceux qui cherchent de nouvelles for-mes romanesques, capables dexprimer (ou de crer)de nouvelles relations entre lhomme et le monde,

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  • tous ceux qui sont dcids inventer le roman, cest--dire inventer lhomme. Ils savent, ceux-l, que larptition systmatique des formes du pass est nonseulement absurde et vaine, mais quelle peut mmedevenir nuisible : en nous fermant les yeux sur notresituation relle dans le monde prsent, elle nousempche en fin de compte de construire le monde etlhomme de demain.

    Louer un jeune crivain daujourdhui parce quil crit comme Stendhal reprsente une double mal-honntet. Dune part cette prouesse naurait riendadmirable, comme on vient de le voir ; dautre partil sagit l dune chose parfaitement impossible : pourcrire comme Stendhal, il faudrait dabord crire en1830. Un crivain qui russirait un habile pastiche,si habile mme quil produirait des pages que Stend-hal aurait pu signer lpoque, naurait en aucunefaon la valeur qui serait encore aujourdhui la siennesil avait rdig ces mmes pages sous Charles X. Centait pas un paradoxe que dveloppait ce proposJ.-L. Borgs dans Fictions : le romancier du XXe siclequi recopierait mot pour mot le Don Quichotte cri-rait ainsi une uvre totalement diffrente de celle deCervants.

    Dailleurs personne naurait lide de louer unmusicien pour avoir, de nos jours, fait du Beethoven,un peintre du Delacroix, ou un architecte davoirconu une cathdrale gothique. Beaucoup de roman-ciers, heureusement, savent quil en va de mme enlittrature, quelle aussi est vivante, et que le romandepuis quil existe a toujours t nouveau. Commentlcriture romanesque aurait-elle pu demeurer immo-

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  • bile, fige, lorsque tout voluait autour delle assezvite mme au cours des cent cinquante derniresannes ? Flaubert crivait le nouveau roman de 1860,Proust le nouveau roman de 1910. Lcrivain doitaccepter avec orgueil de porter sa propre date,sachant quil ny a pas de chef-duvre dans lternit,mais seulement des uvres dans lhistoire ; et quellesne se survivent que dans la mesure o elles ont laissderrire elles le pass, et annonc lavenir.

    Cependant, il est une chose entre toutes que lescritiques supportent mal, cest que les artistes sexpli-quent. Je men rendis compte tout fait lorsque, aprsavoir exprim ces vidences et quelques autres, je fisparatre mon troisime roman (La Jalousie). Non seu-lement le livre dplut et fut considr comme unesorte dattentat saugrenu contre les belles-lettres, maison dmontra de surcrot comment il tait normal quilft ce point excrable, puisquil savouait le produitde la prmditation : son auteur scandale ! sepermettait davoir des opinions sur son propre mtier.

    Ici encore, on constate que les mythes du XIXe sicleconservent toute leur puissance : le grand romancier,le gnie , est une sorte de monstre inconscient,irresponsable et fatal, voire lgrement imbcile, dequi partent des messages que seul le lecteur doitdchiffrer. Tout ce qui risque dobscurcir le jugementde lcrivain est plus ou moins admis comme favori-sant lclosion de son uvre. Lalcoolisme, le mal-heur, la drogue, la passion mystique, la folie, ont tel-lement encombr les biographies plus ou moinsromances des artistes quil semble dsormais tout

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  • naturel de voir l des ncessits essentielles de leurtriste condition, de voir en tout cas une antinomieentre cration et conscience.

    Loin dtre le rsultat dune tude honnte, cetteattitude trahit une mtaphysique. Ces pages auxquel-les lcrivain a donn le jour comme son insu, cesmerveilles non concertes, ces mots perdus, rvlentlexistence de quelque force suprieure qui les a dicts.Le romancier, plus quun crateur au sens propre, neserait alors quun simple mdiateur entre le commundes mortels et une puissance obscure, un au-del delhumanit, un esprit ternel, un dieu...

    Il suffit en ralit de lire le journal de Kafka, parexemple, ou la correspondance de Flaubert, pour serendre compte aussitt de la part primordiale prise,dj dans les grandes uvres du pass, par la cons-cience cratrice, par la volont, par la rigueur. Le tra-vail patient, la construction mthodique, larchitec-ture longuement mdite de chaque phrase comme delensemble du livre, cela a de tout temps jou son rle.Aprs Les Faux-Monnayeurs, aprs Joyce, aprs LaNause, il semble que lon sachemine de plus en plusvers une poque de la fiction o les problmes de lcri-ture seront envisags lucidement par le romancier, eto les soucis critiques, loin de striliser la cration,pourront au contraire lui servir de moteur.

    Il nest pas question, nous lavons vu, dtablir unethorie, un moule pralable pour y couler les livresfuturs. Chaque romancier, chaque roman, doit inven-ter sa propre forme. Aucune recette ne peut rempla-cer cette rflexion continuelle. Le livre cre pour luiseul ses propres rgles. Encore le mouvement de

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  • lcriture doit-il souvent conduire les mettre enpril, en chec peut-tre, et les faire clater. Loinde respecter des formes immuables, chaque nouveaulivre tend constituer ses lois de fonctionnement enmme temps qu produire leur destruction. Une foisluvre acheve, la rflexion critique de lcrivain luiservira encore prendre ses distances par rapport elle, alimentant aussitt de nouvelles recherches, unnouveau dpart.

    Aussi nest-il pas trs intressant de chercher met-tre en contradiction les vues thoriques et les uvres.La seule relation qui puisse exister entre elles est jus-tement de caractre dialectique : un double jeudaccords et doppositions. Il nest donc pas tonnant,non plus, que lon constate des volutions dun essai lautre, parmi ceux que lon va lire ici. Ce ne sontpas, bien entendu, les grossiers reniements dnoncs tort par des lecteurs un peu trop inattentifs oumalveillants , mais des reprises sur un plan diffrent,des rexamens, la seconde face dune mme ide, oubien un complment, lorsquil ne sagit pas dunepure et simple mise en garde contre une erreurdinterprtation.

    En outre, il est vident que les ides restent brves,par rapport aux uvres, et que rien ne peut remplacercelles-ci. Un roman qui ne serait que lexemple degrammaire illustrant une rgle mme accompagnede son exception serait naturellement inutile :lnonc de la rgle suffirait. Tout en rclamant pourlcrivain le droit lintelligence de sa cration, et eninsistant sur lintrt que prsente pour lui la

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  • conscience de sa propre recherche, nous savons quecest surtout au niveau de lcriture que cette recher-che sopre, et que tout nest pas clair linstant dela dcision. Ainsi, aprs avoir indispos les critiquesen parlant de la littrature dont il rve, le romancierse sent soudain dmuni lorsque ces mmes critiqueslui demandent : Expliquez-nous donc pourquoivous avez crit ce livre, ce quil signifie, ce que vousvouliez faire, dans quelle intention vous avez employce mot, construit cette phrase de telle manire ?

    Devant de pareilles questions, on dirait que son intelligence ne lui est plus daucun secours. Cequil a voulu faire, cest seulement ce livre lui-mme.Cela ne veut pas dire quil en soit satisfait toujours ;mais luvre demeure, dans tous les cas, la meilleureet la seule expression possible de son projet. Sil avaiteu la facult den fournir une dfinition plus simple,ou de ramener ses deux ou trois cents pages quelquemessage en langage clair, den expliquer mot motle fonctionnement, bref den donner la raison, ilnaurait pas prouv le besoin dcrire le livre. Car lafonction de lart nest jamais dillustrer une vrit oumme une interrogation connue lavance, mais demettre au monde des interrogations (et aussi peut-tre, terme, des rponses) qui ne se connaissent pasencore elles-mmes.

    Toute la conscience critique du romancier ne peutlui tre utile quau niveau des choix, non celui deleur justification. Il sent la ncessit demployer telleforme, de refuser tel adjectif, de construire ce para-graphe de telle faon. Il met tout son soin la lenterecherche du mot exact et de son juste emplacement.

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  • Mais de cette ncessit il ne peut produire aucunepreuve (sinon, parfois, aprs coup). Il supplie quonle croie, quon lui fasse confiance. Et lorsquon luidemande pourquoi il a crit son livre, il na quunerponse : Cest pour essayer de savoir pourquoijavais envie de lcrire.

    Quant dire o va le roman, personne videmmentne peut le faire avec certitude. Il est dailleurs proba-ble que diffrentes voies continueront dexister pourlui paralllement. Pourtant il semble que lune dentreelles se dessine dj avec plus de nettet que lesautres. De Flaubert Kafka, une filiation simpose lesprit, qui appelle un devenir. Cette passion dedcrire, qui tous deux les anime, cest bien elle quelon retrouve dans le nouveau roman daujourdhui.Au-del du naturalisme de lun et de lonirisme mta-physique de lautre, se dessinent les premiers l-ments dune criture raliste dun genre inconnu, quiest en train maintenant de voir le jour. Cest ce nou-veau ralisme dont le prsent recueil tente de prciserquelques contours.

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  • Cette dition lectronique du livre Pour un nouveau roman dAlain Robbe-Grillet

    a t ralise le 06 dcembre 2012 par les ditions de Minuit

    partir de ldition papier du mme ouvrage (ISBN : 9782707322852).

    2012 by LES DITIONS DE MINUIT pour la prsente dition lectronique.

    Photo: D.R. www.leseditionsdeminuit.fr

    ISBN : 9782707326638

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