Aimar Thierry - Economie et psychologie - Une réflexion autrichienne sur l'organisation de l'esprit...

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Monsieur Thierry Aimar Economie et psychologie : une réflexion autrichienne sur l'organisation de l'esprit In: Revue française d'économie. Volume 22 N°3, 2008. pp. 189-222. Résumé L'idée d'une ignorance interne des agents constitue une extension du paradigme autrichien de l'ignorance des acteurs. Sur cette base, l'article traite des mécanismes de découverte de soi. A l'aide des outils analytiques autrichiens, cet article cherche à expliquer les caractéristiques des processus mentaux qui conditionnent l'exercice de cette découverte de soi, et à rendre compte de la nature des obstacles qui peuvent s'opposer à son développement. Abstract Economics and Psychology : An Austrian Reflection on the Organization of Mind. The idea of the self-ignorance of actors constitutes an extension of the Austrian paradigm of the ignorance of actors. On this basis, this article deals with the mechanisms of self-discovery. Using Austrian analytical tools, this article seeks to explain the characteristics of the mental processes that condition the exercise of this self-discovery, and to throw light on the nature of the obstacles which could stand in the way of its development. Citer ce document / Cite this document : Aimar Thierry. Economie et psychologie : une réflexion autrichienne sur l'organisation de l'esprit. In: Revue française d'économie. Volume 22 N°3, 2008. pp. 189-222. doi : 10.3406/rfeco.2008.1658 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_2008_num_22_3_1658

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Monsieur Thierry Aimar

Economie et psychologie : une réflexion autrichienne surl'organisation de l'espritIn: Revue française d'économie. Volume 22 N°3, 2008. pp. 189-222.

RésuméL'idée d'une ignorance interne des agents constitue une extension du paradigme autrichien de l'ignorance des acteurs. Sur cettebase, l'article traite des mécanismes de découverte de soi. A l'aide des outils analytiques autrichiens, cet article cherche àexpliquer les caractéristiques des processus mentaux qui conditionnent l'exercice de cette découverte de soi, et à rendre comptede la nature des obstacles qui peuvent s'opposer à son développement.

AbstractEconomics and Psychology : An Austrian Reflection on the Organization of Mind.The idea of the self-ignorance of actors constitutes an extension of the Austrian paradigm of the ignorance of actors. On thisbasis, this article deals with the mechanisms of self-discovery. Using Austrian analytical tools, this article seeks to explain thecharacteristics of the mental processes that condition the exercise of this self-discovery, and to throw light on the nature of theobstacles which could stand in the way of its development.

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Aimar Thierry. Economie et psychologie : une réflexion autrichienne sur l'organisation de l'esprit. In: Revue françaised'économie. Volume 22 N°3, 2008. pp. 189-222.

doi : 10.3406/rfeco.2008.1658

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_2008_num_22_3_1658

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Thierry

AIMAR

Economie et psychologie :

une réflexion autrichienne

sur l'organisation de l'esprit

'école autrichienne, issue des travaux de Cari Menger, réunit ses représentants autour d'un constat commun : toute réflexion sur le problème de la coordination doit prendre en compte une contrainte fondamentale, l'ignorance des agents. Cette ignorance « autrichienne », qui ne doit pas

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être confondue avec les notions d'information imparfaite ou d'asymétrie d'information, développées par d'autres courants d'analyse, résulte simplement du fait suivant : il n'est pas possible, pour un individu, de connaître a priori les préférences, les dotations, les savoirs, les stratégies d'un autre acteur défini comme subjectif. Les états mentaux d' autrui ne sont pas directement observables par le sujet. L'analyse économique ne peut donc partir d'une connaissance mutuelle parfaite des individus. Dès lors, aucun acteur ne perçoit d'emblée l'ensemble des opportunités d'échange qui sont effectivement disponibles à l'intérieur de son environnement social.

En nous appuyant sur des éléments d'analyse offerts par Hayek dans L'ordre sensoriel [1952a] et The Counter-Revolu- tion of Science [1952b], nous avons (Aimar [2008]) défendu l'idée qu'un individu est non seulement en situation d'ignorance sur les autres acteurs (ignorance externe), mais aussi sur lui-même. Chaque acteur dispose seulement d'une représentation séquentielle, fragmentée et incomplète de sa propre subjectivité. En d'autres mots, il ne perçoit pas toutes les opportunités de satisfaction qui sont disponibles à l'intérieur de son propre environnement subjectif. Ce décalage entre les opportunités /«^-individuelles perçues par un acteur et celles dont il dispose en totalité se définit alors comme une contrainte d'ignorance interne, une ignorance de soi.

Dans cet article, nous avons expliqué cette ignorance de soi (ou ignorance interne, ou ignorance /Vz/ra-individuelle) par l'idée hayekienne d'une hétérogénéité de l'esprit humain, composé à la fois d'éléments conscients et d'éléments tacites. Nous avons aussi disserté sur les enjeux de cette ignorance en termes de coordination interne. Etant donné que chaque individu est à tout moment ignorant d'une partie de lui-même, il est constamment sous la menace d'une déception de ses anticipations, avec des conflits et des désajustements entre les parties consciente et tacite de son environnement subjectif. Nous avons aussi remarqué que, confronté à ces situations de « discoordination interne », l'acteur a tendance à mobiliser une fonction entrepreneuriale /«/ra-individuelle (intropreneurship). Son objet est de favoriser

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un processus de découverte de son propre environnement subjectif et de s'assurer de la réussite interne (en termes de gains de satisfaction) des plans déjà engagés.

La problématique de cet article-ci est de prolonger cette réflexion sur les mécanismes de découverte de soi et de lever certains paradoxes que la cohabitation entre différentes dimensions de l'intropreneurship pourrait laisser subsister. Pour ce faire, nous utiliserons la notion de plan individuel, telle que l'entendent les auteurs autrichiens : à savoir, comme une structure moyens-fins consciemment organisée, sous forme de projet, par un acteur. Cette définition nous permettra de comprendre par quel processus les différentes facettes de l'intropreneurship se mobilisent dans l'esprit individuel. L'article s'organise comme suit : dans une première partie, nous confronterons les éléments de la théorie de l'intropreneurship à la notion de « discoordination interne », pour soulever certaines interrogations issues de l'analyse de la découverte de soi ; dans une deuxième partie, nous montrerons en quoi une conception structurelle des plans, articulée autour des notions de spécificité, de complémentarité, de complexité et de substitution, permet de répondre à œs interrogations ; dans une troisième section, nous examinerons en quoi la structure des plans déjà engagés détermine, de fait, la capacité de l'intropreneurship de concilier l'exigence de découverte de soi avec celle de réussite interne des plans courants et nous définirons les caractéristiques de cette détermination. La dernière section conclura.

L'intropreneurship et la notion de

discoordination interne

L'ignorance de soi : la signification d'un concept

Hayek publie la même année L'ordre sensoriel [1952a] et The Counter- Revolution of Science [1952b]. Il y développe des

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thèmes voisins sur le terrain de l'épistémologie et des sciences cognitives, en orientant ses réflexions sur le fonctionnement de l'esprit humain1. Dans L'ordre sensoriel, Hayek indique clairement que « l'ordre des qualités sensorielles n'est pas limité à l'expérience consciente » ([1952a] p. 43). Les phénomènes mentaux désignent l'ensemble des représentations subjectives des agents, y compris celles qu'ils sont incapables de formuler. Cette distinction porte en elle l'idée d'un caractère hétérogène de l'esprit humain et sous-tend l'idée d'une dispersion /«/^-individuelle de la connaissance. Mais, dans les faits, la conscience humaine n'embrasse pas l'ensemble de la subjectivité de l'individu concerné, au sens d'expliciter ou de formaliser tous les aspects et classements, caractères ou attributs sensibles définissant son environnement interne : « les expériences conscientes ont été à cet égard comparées avec raison aux sommets de montagnes s' élevant au-dessus des nuages, qui bien que seuls visibles présupposent toutefois une sous-structure invisible déterminant leur position relative les unes par rapport aux autres » (Hayek [1952a] p. 158). L'existence de cette sous-structure invisible implique alors qu'un individu donné n'est pas forcément conscient des discriminations opérées par l'esprit. Les discriminations mentales peuvent être explicites, conscientes ; mais elles peuvent être aussi implicites, pré-conscientes ou encore tacites.

Ces deux catégories de connaissance à l'intérieur de l'esprit humain, la connaissance consciente et la connaissance tacite, sont aussi distinguées par Hayek dans The Counter-Revolution of Science. Le « knowing how », qui correspond au savoir tacite, consiste à employer un savoir-faire et à suivre des règles dont la nature et la définition n'ont pas besoin d'être explicitées dans l'esprit de l'individu2. A l'inverse, le « knowing that », relatif au savoir conscient, renvoie à la prise de décision. Il décrit la connaissance utilisée dans la formation des stratégies et des objectifs de l'action. Pour être poursuivis, les buts doivent nécessairement prendre une forme explicite dans la pensée de l'individu agissant. Les phénomènes conscients sont ceux qui expriment « un dessein personnel » et concernent « les actions à propos desquelles

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on peut dire qu'une personne choisit entre diverses voies qui s'ouvrent à elle» (Hayek [1952b] pp. 26-39).

Ainsi les perceptions sensorielles ne sont-elles pas spontanément utilisables pour former nos plans car elles ne sont pas immédiatement traduisibles dans la conscience. On pourrait opposer sous cet angle la pré-connaissance tacite à la connaissance consciente, ou la « connaissance » tacite à la « reconnaissance » consciente. Si certaines connaissances servant un dessein peuvent ne pas être explicitées et explicitables, le dessein lui-même doit nécessairement être reconnu. Envisagé sous cet angle, l'acteur est forcément un être conscient. Un individu, lorsqu'il forme des plans, lorsqu'il engage des actions, cherche en dernière analyse à produire dans son esprit un sentiment de gagner en satisfaction. Mais pour former des plans, il doit avoir à l'esprit une représentation consciente des objectifs de l'action. Ce processus de délibération conditionne non seulement l'accomplissement de nombre de nos desseins individuels, mais la conception même de nos desseins ; il nous permet d'identifier nos désirs et nous indique comment les réaliser3.

La discoordination interne et les différentes dimensions de l'intropreneurship

La lumière de la « reconnaissance » consciente d'un individu ne peut éclairer qu'une partie de son environnement subjectif. Cette contrainte pose alors un problème de coordination interne, à double titre : d'une part, l'existence de ces informations tacites impose à l'individu un décalage entre les opportunités infra- individuelles qu'il reconnaît grâce au travail de sa conscience et celles dont il dispose en totalité. Ce décalage l'empêche d'exploiter toutes les zones d'opportunités de satisfaction possibles, puisque ses plans, par définition, se basent sur une connaissance consciente et donc nécessairement limitée de son environnement intérieur ; d'autre part, l'opacité d'une partie de sa subjectivité implique que l'acteur ignore, pour des raisons ontologiques, certaines informations internes qui sont susceptibles de conditionner la réussite subjective de ses plans, entendue comme

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leur capacité, une fois réalisés, à lui apporter les gains de satisfaction anticipés au départ de l'action. Chaque individu peut alors être abusé, induit en erreur quant à son propre mental, à son propre niveau de demande ou d'offre réelle. Il peut s'égarer sur la nature et l'ampleur des gains espérés comme des sacrifices consentis, et voir ainsi ses anticipations de satisfaction déçues au terme de l'action accomplie. Du fait de cette double dimension, l'individu est alors confronté à une discoordination interne, ou, en d'autres termes, à des erreurs de coordination interne.

Pour Hayek, la prise de conscience est une forme de réponse à ces erreurs de coordination. Il convient de distinguer ici la conscience de la prise de conscience, en s' appuyant sur la distinction autrichienne entre les situations et les processus {cf. Mises [1966], Hayek [1968], [1976], Kirzner [1973], O'Dris- coll et Rizzo [1985]). La conscience d'un acteur peut se définir comme le résultat, envisagé sous l'angle introspectif, de découvertes passées sur la structure de son propre environnement subjectif ; la prise de conscience s'identifie quant à elle à un processus de découverte de soi. Elle rend compte d'une perception par l'agent d'opportunités de gain de satisfaction qui étaient disponibles au sein de son propre environnement subjectif, mais dont l'existence n'avait, jusqu'alors, pas été enregistrée par sa conscience. En permettant un meilleur éclairage de son univers intérieur, le rôle de la prise de conscience est ainsi d'élargir la représentation de soi. Plus l'individu est conscient des discriminations opérées par son esprit, plus les opportunités d'actions sont nombreuses, et plus la possibilité d'élaborer des plans est ouverte ; par ailleurs, la prise de conscience étend les zones de contrôle de son environnement interne. Comme l'explique Hayek : «... une part de plus en plus grande des effets d'impulsions qui sont provoqués par tout nouveau stimulus créera un « ensemble » contrôlant les réponses futures et une plus petite partie influencera directement les réponses actuelles. Tandis que nous atteignons des niveaux plus élevés (c'est-à-dire conscients), la classification des impulsions devient ainsi moins spécifique à une fonction particulière, et plus générale dans le sens où elle aidera à créer une disposition pour une certaine gamme de réponses à une variété

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grandissante de stimuli » (Hayek [1952a], p. 132). C'est donc à travers la prise de conscience que se forme l'image d'une certaine maîtrise interne de son environnement subjectif, elle-même condition de l'action et de la planification qu'elle implique. Plus le nombre d'impulsions conscientes sera élevé, plus les réponses de l'esprit aux stimuli seront déterminées et contrôlables (« les réponses conscientes sont, à un degré particulièrement élevé, modifiables et dirigées », ibid. p. 153). L'individu s'assure ainsi les conditions de la réussite interne de ses plans, en auto-réali- sant ex post les gains de satisfaction anticipés ex ante. A travers la prise de conscience, l'esprit crée ainsi les conditions de sa propre réussite.

Nous avons noté [2008] que ce processus de prise de conscience peut être décrit à l'aide d'un concept d'intropreneur- ship. Celui-ci constitue une transposition, sur le plan infra-individuel, des différents caractères de la fonction entrepreneuriale, tels qu'ils ont été exposés par les auteurs autrichiens sur le terrain inter-individuel. Ainsi, pour un entrepreneur de marché (un « promoteur » cf. Mises [1966], Kirzner [1973]), il s'agit de découvrir les opportunités d'échange disponibles dans la société, mais non encore perçues par ses membres, pour mieux articuler les sphères de la connaissance et celle de l'information4; de manière symétrique, pour un « intropreneur », il s'agit de mettre en adéquation les opportunités internes de satisfaction reconnues par sa conscience avec les opportunités existantes à l'intérieur de son propre environnement subjectif. Par ailleurs, au sein d'un environnement social fondamentalement changeant et imprévisible, l'idée de réussite des plans implique une capacité de l'acteur à maîtriser des portions de cet environnement social. Dans cette perspective, selon Kirzner (cf. [1985], [1992], [1997]), le promoteur de marché, dans un univers dynamique, celui des marchés concrets (« real-world-markets »), cherche à contrôler son environnement externe en s'efforçant de tirer un présent donné vers un futur imaginé, et par ce biais, de réaliser en quelque sorte lui-même le futur ; de manière symétrique, l'intropreneur- ship a pour fonction de contrôler son environnement interne à travers l'activité de la conscience : « le flot d'impulsions qui est

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ainsi renforcé devient capable de dominer les processus dans les centres les plus élevés, et d'annuler et d'exclure de la pleine conscience tous les signaux sensoriels qui n'appartiennent pas à l'objet sur lequel l'attention est fixée, et qui ne sont pas eux-mêmes suffisamment forts ou peut-être pas suffisamment en conflit avec l'image schématique de l'environnement pour attirer l'attention » (Hayek [1952a] p. 160).

En sélectionnant d'une part via des filtres neuronaux modulateurs (dont l'existence est établie par la neurophysiologie contemporaine) quels types d'informations sont transformés en connaissances, en produisant d'autre part des mécanismes stabilisateurs des représentations conscientes (notamment en cir- cularisant la structure des impulsions sensorielles et en empêchant la production de « feed-backs » mentaux négatifs), l'intropreneur- ship crée les conditions de la réussite interne des plans en cours.

Un paradoxe apparent

L'intropreneurship exprime ainsi à la fois un processus de découverte des opportunités internes et un mécanisme permettant de s'assurer que les anticipations des gains de satisfaction associés à la réalisation des plans sont validées. Mais la mise en parallèle de ces deux dimensions de l'intropreneurship confronte l'analyse à un paradoxe apparent. En s' appuyant sur les analyses de Hayek, nous avons établi [2008] que le processus de découverte intro- preneurial est initié par une erreur de coordination interne. Mais parallèlement, nous avons expliqué que selon le même Hayek, une des facettes de l'intropreneurship permet à l'esprit d'auto- réaliser ses anticipations. Toutefois, si l'intropreneur, par une certaine maîtrise de son mental, dispose de la capacité de réussir subjectivement ses plans, comment expliquer alors que l'esprit commette des erreurs de coordination interne ? A l'inverse, s'il n'y a pas d'erreurs de coordination interne, comment le processus de découverte de soi et de révision des plans peut-il être engagé ? Un problème logique semble se poser ici.

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De fait, il existe à ce niveau une différence majeure entre l'entrepreneurship et l'intropreneurship. Sur les marchés, la découverte des entrepreneurs efficients est subie par d'autres acteurs de marché, moins efficients, qui ont échoué à percevoir suffisamment vite et (ou) suffisamment bien les opportunités décelées par les premiers. Ces agents trop passifs, ces entrepreneurs moins vigilants, voient alors brisés les plans qu'ils avaient déjà formés. Ils sont contraints de modifier leurs anticipations et de réajuster leurs activités, tant bien que mal, aux découvertes des entrepreneurs ayant plus de réussite. Dans cette perspective, la rupture des plans des uns est une conséquence subie des découvertes des autres. Mais lorsque l'on passe de la relation sociale à la relation /«^-individuelle (ou autistique pour reprendre le terme de Mises [1966] p. 206), le problème ne peut pas se poser de manière identique. L'intropreneur a un rôle actif dans l'évolution de sa propre reconnaissance. Or, toute découverte de soi, initiée par des « erreurs de coordination interne » bouleverse inévitablement les plans courants. Mais pourquoi un individu accepterait-il cette remise en cause puisque une des fonctions de l'intropreneurship est de contrôler l'environnement interne de manière à ne pas souffrir d'une déception d'anticipations ?

Il semble ainsi exister une tension inévitable entre les deux aspects de la coordination interne : la première qui implique de mettre en adéquation les opportunités reconnues avec les opportunités disponibles, ce qui implique de faire des découvertes, donc de changer de stratégies et de plans ; la seconde qui consiste à vouloir réaliser les plans déjà engagés, à valider ses anticipations, avec pour conséquence de considérer la découverte de soi comme une menace, puisque contraignant l'individu à bouleverser ses plans courants. Comment peut-on articuler en une conception unifiée ces deux dimensions de l'intropreneurship qui semblent mutuellement exclusives, découverte de l'environnement subjectif et réussite interne des plans en cours ?

Certes, nous avons bien souligné [2008] que l'ignorance de soi ne peut être totalement levée par la démarche intropre- neuriale, et qu'une part d'ombre relative à sa propre subjectivité reste inéluctablement présente chez chaque individu, de manière

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résiduelle et incompressible. En effet, la conscience ne peut englober l'ensemble du mental car « n'importe quel appareil de classification doit toujours posséder un degré de complexité plus grand que les diverses choses qu'il classe » (Hayek [1952b] p. 49)5. Par ailleurs, l'esprit est incapable de se connaître totalement car toute expérience de reconnaissance le modifie en même temps et crée de facto de nouvelles zones d'inconnu. De ce fait, le contrôle de soi-même n'est jamais total, et l'individu le plus vigilant du monde à l'égard de son propre environnement subjectif commettra inévitablement des erreurs de coordination interne, qui sont elles-mêmes autant d'incitations à des prises de conscience, donc à des découvertes ultérieures, et tout cela à travers un processus qui ne saurait trouver de terme.

On ne doit en aucun cas négliger ces phénomènes. Mais cela signifie-t-il alors que la découverte de soi doit s'expliquer par les seules limites de l'esprit humain, ou à défaut, se résumer à une simple externalité de l'activité mentale ? Il semble que non. L'analyse nous suggère d'intégrer une autre dimension du phénomène. Certes, dans tous les cas de figure, le processus de découverte de soi a toujours pour base l'erreur de coordination interne. Mais erreur de coordination ne signifie pas forcément échec de coordination. Ainsi, un individu peut se rendre compte que l'objectif qu'il cherchait à réaliser est susceptible d'être atteint de manière plus efficace à l'aide d'autres ressources disponibles dans son environnement interne, mais dont il n'avait pas conscience auparavant ; de la même manière, il peut s'apercevoir que les moyens destinés à atteindre une certaine fin sont susceptibles d'être aussi employés en faveur d'un objectif plus satisfaisant, mais dont, à l'origine du plan, il n'avait pas conscience.

Dans cette perspective, la découverte d'une erreur de coordination interne ne signifie pas l'échec du plan en vigueur mais au contraire son amélioration. Le plan n'est pas remis en cause en tant que tel, il est simplement restructuré. La permanence de l'ensemble peut cohabiter avec la flexibilité de ses parties. Pour reprendre les termes de Hayek, « l'ordre peut être préservé à travers un processus de changement» (Hayek [1978] p. 184). Exprimé d'une autre manière, la découverte de soi n'est pas

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forcement paralysée par la volonté de préserver le plan initial si sa structure peut être modifiée, reconfigurée de manière à en améliorer l'efficacité en termes de gain de satisfaction et (ou) à permettre une économie de ressources. Mais à l'inverse, l'esprit sera « adverse » à la découverte interne si cette dernière implique l'échec du plan, c'est-à-dire si sa structure n'est pas recomposable de manière compatible avec cette découverte.

La capacité de l'esprit à concilier la découverte de soi avec la réussite interne des plans en cours dépend donc, en dernier lieu, de leur structure. Les outils de la théorie autrichienne, à travers les concepts de spécificité, de complémentarité, de complexité et de substitution, nous offrent la possibilité d'aller plus loin dans l'analyse du problème.

Le plan comme structure : une analyse

Parmi les auteurs autrichiens, Lachmann est sans doute celui qui a le mieux montré que les notions de capital, d'institutions et de plan doivent être abordées à travers un cadre analytique commun. La volonté de Lachmann est de développer une « théorie praxéologique des institutions » ([1971] p. 81) et il estime que « la méthode praxéologique dont le but est de nous rendre capable de comprendre l'action, se base sur un parallélisme entre l'action et le plan, ce qui n'a pas d'équivalent dans le monde de la nature. Le plan qui, progressivement, se déploie dans l'espace et le temps rend compte, nous l'avons vu, d'un schéma d'orientation qui doit intégrer un objectif, des moyens et des contraintes. L'action s'oriente alors vers ces différents éléments » ([1971] p. 49). La notion de plan entraîne logiquement Lachmann vers la question du capital, puisque, dans la perspective subjectiviste qui est la sienne, les biens capitaux ne peuvent se définir qu'à travers la notion de plan de production6. Par ailleurs, pour boucler la boucle, on peut relever, avec Horwitz [1998)] que Lachmann uti-

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lise dans deux ouvrages différents, The Capital as a Structure [1956] et The Legacy of Max Weber [1971], le même terme de « points nodaux » pour désigner le capital et les institutions7. Les notions de plans, d'institutions, de capital participent donc d'une même famille, et doivent être analysées avec les mêmes outils. A cet égard, les concepts d'hétérogénéité, de spécificité, de structure, de complémentarité et de complexité occupent une place centrale.

La conformité de ces différents éléments à l'univers haye- kien n'est guère questionnable8. Très tôt, Lachmann a noté que «. . .la plus grande partie du travail du professeur Hayek implique l'idée de complémentarité des différentes sortes de ressources en capital » (Lachmann [1947] p. 211), et plus tard, il présentera ses propres analyses comme un prolongement de celles de Hayek : « ma plus profonde gratitude va au professeur F.A. Hayek dont les idées sur le capital m'ont aidé à former ma propre pensée plus que celle de tout autre penseur » ([1956] p. 19). Hayek, quant à lui, a déclaré : « je pense que les conclusions les plus fructueuses tirées de ce que j'ai fait à l'époque [en 1941] se trouvent dans le livre de Lachmann sur le capital » (Hayek [1994] p. 142). Kirzner, dont le souci a été lui aussi de fonder son analyse du capital et de la production autour de la notion de plan (An Essay on Capital [1966]), truffe son argumentaire de références à Hayek [1935], [1936], [1941] et à Lachmann [1956].

Dès lors, il est logique et fructueux d'utiliser l'outillage analytique fourni par ces auteurs pour traiter de la question des plans envisagés sous l'angle introspectif. Examinons ici les différents caractères de cette application.

Hétérogénéité et spécificité

Pour Lachmann, les biens capitaux se présentent comme des éléments distincts les uns des autres et sont de caractère nécessairement hétérogène. Cette notion d'hétérogénéité n'est pas essentiellement relative à la dimension physique des biens envisagés. C'est une hétérogénéité d'usage, ou fonctionnelle des biens

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de capital qui doit être retenue : « l'hétérogénéité qui importe est ici, bien évidemment, non une hétérogénéité physique, mais une hétérogénéité d'usage. [...] La signification économique réelle de l'hétérogénéité du capital réside dans le fait que chaque bien de capital peut être utilisé seulement pour un nombre limité de propos. Nous pourrions parler d'une spécificité multiple des biens en capital » (Lachmann [1956] p. 2). Les unités en capital sont hétérogènes dans le sens où les services qu'elles sont capables de fournir sont spécifiques, différents dans une plus ou moins grande mesure les uns des autres. Si les ressources en capital ne sont pas nécessairement spécialisées à un tel degré qu'elles ne servent qu'à accomplir une seule tâche (d'où l'idée de « spécificité multiple»), elles n'en sont pas moins individuellement limitées dans leurs usages alternatifs, et chaque ressource se distingue des autres par sa spécialisation.

Envisagé sous l'angle /«^-individuel, les plans des acteurs représentent un ensemble de ressources mentales relativement spécifiques, consciemment organisées autour d'un objectif de gain de satisfaction, lui-même consciemment défini. Ce ne sont pas les caractéristiques des ressources qui les définissent en tant que ressources, mais leur inscription dans une structure de plans donnée. Ce qui est une ressource du point de vue d'un plan donné ne l'est plus pour un autre plan. A partir du moment où ce n'est pas la dimension physique de l'hétérogénéité qui est importante à retenir pour la notion de ressources ou de capital, mais leur hétérogénéité d'usage, on doit envisager le plan comme la mise en œuvre, au service d'une fin choisie, de différentes ressources mentales initialement hétérogènes. En effet, pour le Hayek de L'ordre sensoriel, les diverses ressources mentales représentent en termes neurophysiologiques différents groupes d'impulsions sensorielles, qui se présentent dans l'esprit comme des formes incommensurables, incohérentes et cloisonnées. Ce n'est qu'à travers le travail de la conscience, qui exprime le lieu de formation des plans, qu'un processus d'harmonisation peut s'exercer : « bien que les processus mentaux inconscients qui ont lieu en même temps puissent aussi s'affecter les uns les autres, ce n'est pas nécessairement toujours le cas. Même quand ils ont lieu

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en même temps, ils peuvent procéder largement indépendamment les uns des autres (peut-être dans différents centres) et sans affecter leurs cours. En d'autres termes, il y a plus d'une inconscience (ou système cohérent d'événements mentaux alors qu'il existe (normalement) en tout individu, seulement une conscience » (Hayek [1952a] p. 155).

Complémentarité et structure

L'idée d'hétérogénéité (ou de différenciation d'usage) est importante en elle-même car elle suppose l'élément de complémentarité. En effet, si des ressources ou des biens capitaux spécialisés doivent être mis en rapport, leur mode de relation ne peut être que celui de la complémentarité : « la complémentarité est une propriété des moyens employés en faveur de la même fin, ou d'un groupe de fins reliées » (Lachmann [1947] p. 200). De manière dérivée, la notion de plan, exprimant une structure de complémentarité des ressources mobilisées autour de la recherche d'un objectif, ne peut être séparée du concept de « structure, dans laquelle chaque bien en capital bénéficie d'une fonction définie et à l'intérieur de laquelle tous les biens de ce type sont des compléments » (Lachmann [1947] p. 199). Kirzner [1966], lorsqu'il relie la question du capital à la prise de décision individuelle, met lui aussi en évidence cette dimension structurelle des plans : « l'essence d'un plan est que chacune des activités contenues dans le plan est coordonnée avec les autres activités planifiées. Chaque section du plan est imbriquée avec les autres sections : elle dépend de leur réalisation d'ensemble, et leur réalisation d'ensemble dépend du travail d'une section particulière» (Kirzner [1966] p. 6)9.

Lachmann [1956], [1986]), lorsqu'il s'intéresse à la « signification de la structure en capital », distingue en particulier deux formes spécifiques de complémentarité, la complémentarité de plan et la complémentarité structurelle. La complémentarité de plan décrit « la complémentarité des biens capitaux à l'intérieur du cadre d'un plan particulier » ([1956] p. 54), alors que la com-

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plémentarité structurelle s'attache à « la complémentarité d'ensemble généralisée, de tous les biens de capital à l'intérieur du système économique » ([1956], p. 54).

En dernière analyse, l'organisation de la complémentarité de plan relève d'une démarche mentale, celle de l'entrepreneur. Sa tâche est de définir les modes de complémentarité qui gouvernent les combinaisons de capital à l'intérieur d'un plan, et de veiller à leur exploitation. C'est l'entrepreneur qui doit repérer et choisir parmi l'ensemble des combinaisons possibles celle dont le coût d'organisation est le plus bas relativement au gain espéré de la mise en œuvre du projet auquel cette combinaison permet de concourir. Ce type de complémentarité exige non seulement la disposition de ces ressources dans l'environnement concerné, mais elle requiert aussi la reconnaissance par l'entrepreneur de l'existence même de ces ressources, ainsi que celle des relations de causalité qui gouvernent leur articulation.

Mais cette combinaison mentale, pour être menée à bien, implique en même temps la conformité avec les caractéristiques de l'environnement externe, et nous renvoie à l'autre forme de complémentarité distinguée par Lachmann, la complémentarité structurelle, qui « est en dernier lieu, apportée seulement indirectement par le marché, à travers l'interaction de plans entre- preneuriaux qui sont en grande partie incohérents » (Lachmann [1956], p. 54).

Pour Lachmann, « la complémentarité est, dans la terminologie du professeur Mises, une catégorie praxéologique », qui « s'étend aussi loin que le domaine des plans humains et de l'action. Lorsque un plan d'action implique l'usage de ressources spécialisées en faveur d'un quelconque objectif commun, la complémentarité est présente » (Lachmann [1956] p. 55). Il importe alors d'utiliser aussi ces catégories de complémentarité pour rendre compte de la dimension /«/^-individuelle des plans des acteurs.

Dans ce cadre, on doit considérer que la complémentarité de plans s'organise dans l'espace de la conscience, et désignerait le processus de sélection et d'harmonisation de différents groupes d'impulsions sensorielles présents dans l'esprit sous

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forme désordonnée. On sait déjà que les événements tacites appartiennent à des univers autonomes, cloisonnés, situés dans différents cadres spatio-temporels. Ils impliquent des contradictions, des incohérences, voire des impossibilités de comparaison. A l'inverse, la conscience permet l'harmonisation et l'arbitrage entre ces différents phénomènes. Dès lors, son travail peut être considéré comme une manière de rendre homogène ce qui est hétérogène, de rendre cohérent ce qui était initialement incohérent. Dans la mesure où il existe une étroite connexion entre tous les phénomènes conscients, et où ils occupent une position définie dans un même ordre spatial et temporel, Hayek parle à cet égard d'une « unité de la conscience » (Hayek [1952a], p. 156).

L'idée de complémentarité de structure doit s'appliquer à la distinction entre conscient et tacite (ou pour utiliser une autre catégorie de définitions employée par Hayek dans L'ordre sensoriel, entre le « modèle » et « l'expérience pré-sensorielle »). Elle renvoie aux problèmes d'articulation de la structure des plans conscients à la structure tacite de l'environnement interne. Cette structure tacite représente une contrainte à laquelle l'individu conscient doit s'adapter en dernier lieu. Ainsi, même dans les cas où la complémentarité de plan, organisée sous l'égide de la conscience, pourrait être considérée comme accomplie, il n'en reste pas moins que l'acteur se retrouvera dans une situation de discoordination interne si la structure de ses plans conscients n'est pas en conformité avec la structure tacite sous- jacente de son environnement subjectif. L'individu subira alors des chocs de coordination, qui l'inciteront à des prises de conscience et à des découvertes de soi dont la finalité sera de réajuster la structure consciente de ses plans aux caractéristiques de son environnement intérieur.

On doit enfin envisager la complémentarité des ressources internes sous un dernier angle. Kirzner, en particulier, a bien montré que dans le monde réel chaque individu est en permanence engagé dans des plans inter-temporels (ou multi-périodes). Il faut alors concevoir des plans à plusieurs séquences, l'objectif d'un plan d'une période étant lui-même le moyen d'un autre objectif situé dans une période suivante et ainsi de suite. Tout indi-

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vidu « est certainement au milieu de quelque plan qui a été commencé mais qui n'a pas encore été achevé» (Kirzner [1966] p. 17). Les plans multi-périodes doivent ainsi être considérés comme une chaîne de séquences intégrées les unes aux autres, en amont comme en aval, dans le cadre d'une structure inter-temporelle de complémentarité. On peut cependant noter que l'acteur doit bénéficier d'une vision consciente de l'objectif final pour que l'analyse puisse envisager différentes séquences d'actions comme faisant partie d'un même plan.

Complexité

Les idées de complémentarité et de structure impliquent en elles- mêmes la notion de complexité. Etant donné que toutes les ressources, du fait de leur hétérogénéité d'usage, sont gouvernées par des relations de complémentarité, leur combinaison est nécessairement complexe. L'idée de complexité rend compte du nombre, de la variété et (ou) du degré de combinaison des ressources engagées à l'intérieur du plan. Toute augmentation de la variété ou du nombre des ressources types et toute densification supplémentaire des relations de complémentarité entre ces ressources peuvent être traduites sous la forme d'un accroissement de complexité. L'inter-temporalité constitue ainsi un des caractères de la complexité. L'accroissement des stades de production et l'accumulation du capital doivent être redéfinis en termes d'intensification de la complexité du processus de production. Dans cette perspective, Lachmann [1956], sachant que « le troisième motif de Bôhm-Bawerk, la productivité plus élevée des processus détournés, se prête facilement à une interprétation en termes de complémentarité dans le temps » (Lachmann [1947] p. 212), analyse la notion de période de production comme l'expression d'un certain « degré de complexité ».

Il signale en même temps que la modification de la morphologie du capital accompagnant cette complexité croissante s'exprime par la mobilisation de biens capitaux de plus en plus spécialisés. Plus les plans sont développés, plus les objectifs sont

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affinés, plus ils requièrent l'emploi de facteurs eux-mêmes de plus en plus différenciés, « omni-spécifiques » (pour faire un contraste avec le terme de multi-spécificité employé par Lachmann). Par ailleurs, ces ressources de plus en plus spécialisées sont de plus en plus indivisibles. Cette notion d'indivisibilité peut bien évidemment s'interpréter comme l'impossibilité de décomposer ces ressources additionnelles en unités plus élémentaires sans disloquer en termes d'usage leur fonctionnement, c'est le cas d'une chaîne de montage automobile ou encore d'un réseau ferroviaire, pour reprendre un exemple donné par Lachmann lui-même ([1956] p. 80). Mais elle doit aussi s'interpréter par rapport aux autres éléments du plan dans lequel ces ressources supplémentaires s'intègrent. En effet, ces ressources sont indivisibles dans le sens où leur emploi ne peut être dissocié de celui de ressources préalablement mobilisées dans la réalisation du plan. Lachmann explique que l'exploitation de ces ressources indivisibles est à la fois possible et avantageux, en permettant justement de contrecarrer la loi des rendements décroissants subie par ces facteurs déjà utilisés. Cette indivisibilité croissante des ressources au fur et à mesure du développement du plan rend compte tout simplement de l'accumulation de capital.

Dès lors, l'incorporation dans le plan de ces facteurs indivisibles dans un plan existant renforce la complexité de la structure d'ensemble. Pas seulement parce qu'elle ajoute de nouveaux facteurs aux anciens, ni parce qu'elle accroît aussi la spécialisation relative de ces facteurs. Plus essentiellement, le renforcement de la complexité est le résultat d'une intégration croissante des différents éléments du plan. Ce phénomène restreint les possibilités de substitution factorielle, le fonctionnement de l'ensemble dépendant de ressources de plus en plus spécialisées et de moins en moins divisibles. Il rend surtout la structure elle-même de plus en plus spécialisée et de plus en plus rigidifiée : on ne peut changer une partie sans remettre en question l'ensemble.

Puisqu'à la notion de plans infra-individuels, sont associés les concepts de spécificité et de complémentarité, la question de la complexité doit aussi lui être reliée. Cette complexité peut s'étudier sous une forme « statique », avec une relation

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simple entre des ressources et des objectifs d'un plan « simple- période ». Mais elle doit nécessairement s'envisager sous un angle « dynamique », avec des plans multi-périodes, constitués de différentes séquences reliées inter-temporellement (l'objectif d'une séquence représentant la ressource nécessaire à la poursuite d'un objectif ultérieur). Un plan simple-période sera ainsi qualifié de plus ou moins complexe selon le nombre de groupes d'impulsions sensorielles connectées dans l'espace de la conscience et suivant la densité des modes de complémentarité qui s'érigeront à l'intérieur de ce même espace de la conscience ; d'un point de vue inter- temporel (plan multi-période), la complexité exprime par ailleurs l'idée d'un accroissement du nombre de séquences inscrites dans le plan d'un individu. Et, comme le raisonnement de Lachmann permet de l'établir, plus ces séquences sont nombreuses, plus la spécialisation, l'indivisibilité et l'intégration des ressources qu'elles mobilisent sont fortes.

Structure des plans et découvertes de

soi : complémentarité ou substitution ?

La dimension /«^a-individuelle des plans des acteurs se caractérise ainsi par les éléments de spécificité, de structure, de complexité et de complémentarité. Ces éléments étant définis, nous sommes en mesure d'envisager les relations entre les plans et les découvertes. La question à laquelle nous devons maintenant répondre est la suivante : dans quelle mesure y a-t-il de la place à l'intérieur d'une structure de plans pour la découverte de soi ? Ou, en d'autres termes, à quelles conditions une structure de plans peut-elle être substituée à une autre ?

La substitution comme expression de la découverte

Différencier l'univers de la complémentarité de celui de la substitution est un des sujets d'intérêt majeur de Lachmann: « la com-

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plémentarité des facteurs et leur substituabilité sont des phénomènes qui appartiennent à des domaines différents de la réalité de l'action. La complémentarité est une propriété de moyens employés pour la même fin, ou un groupe de fins reliées. Tous les moyens employés de manière jointe pour la même fin, ou pour de telles fins consistantes, sont nécessairement des compléments. La complémentarité des facteurs présuppose un plan à l'intérieur duquel chaque facteur a sa fonction. C'est donc seulement relativement à un plan donné que nous pouvons parler de manière sensée d'une complémentarité de facteurs. Des facteurs sont des compléments dans la mesure où ils s'intègrent à un plan de production et participent à un processus productif. La substitution, d'autre part, est un phénomène de changement dont le besoin se fait sentir lorsque quelque chose s'avère erroné avec le plan défini a priori (...) La substituabilité indique la facilité avec laquelle un facteur peut être transformé en un élément d'un plan existant. Un changement dans le plan est possible sans un changement de l'objectif (. . .). Le changement en question doit être possible, mais non prévisible. S'il avait été prévisible, il n'y aurait eu aucun besoin d'une substitution » (Lachmann [1947] p. 200) 10.

Différents enseignements peuvent être tirés de cette citation. Tout d'abord, il apparaît clairement que la substitution exprime, engage ou implique, un processus de modification du mode de complémentarité engagé autour d'un plan donné. Par la substituabilité, on passe nécessairement d'une certaine structure de plan à une autre structure du plan, c'est-à-dire d'un certain complexe de ressources complémentaires à un autre complexe de ressources complémentaires. Lorsque la substitution est engagée, la complémentarité en vigueur est dissoute au même moment, pour être recréée autour d'une autre structure, c'est-à-dire d'une recomposition des relations de complémentarité entre les éléments qui l'organisent. La substitution n'exprime donc pas la remise en cause du plan en tant que tel, mais sa structure particulière. Le plan n'est pas abandonné, il est reconfiguré. La substitution peut alors être définie comme l'état transitoire et dynamique menant d'une certaine structure d'un plan à une autre structure. C'est uniquement dans cette perspective que, pour Lachmann, la sub-

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stitution et la complémentarité appartiennent à des univers différents de l'action humaine, mutuellement exclusifs.

Ensuite, cette définition qui distingue la complémentarité de la substitution montre clairement que cette dernière s'organise à partir de la découverte d'erreurs vis-à-vis des plans existants. Mais on sait maintenant que cette découverte n'est pas nécessairement subie et que l'erreur de coordination ne signifie pas nécessairement un échec des plans en vigueur. Elle peut simplement signifier une situation où la structure du plan engagé ne correspond plus aux opportunités ouvertes par l'accroissement de la reconnaissance de l'acteur concerné. Sachant d'une part que la frontière qui sépare deux structures de plans est exprimée par la notion de découverte, et que, d'autre part, la substitution exprime le passage d'une structure de plans à une autre structure de plan, on peut donc considérer que la substituabi- lité est synonyme de découverte. Elle en est plus exactement l'expression, la substitution traduisant la découverte.

Le troisième enseignement à retenir de cette citation de Lachmann est que la substitution/découverte s'organise à partir de « la facilité avec laquelle un facteur peut être transformé en un élément d'un plan existant » puisque c'est la condition pour que « le changement en question [soit] possible ». La question est donc maintenant de savoir, à l'intérieur d'une structure de plans donnée, ce qui conditionne cette facilité ou, au contraire, ce qui lui fait obstacle. La notion de spécificité des ressources engagées autour des plans existants, ainsi que celle du degré de complémentarité et de complexité de ces plans nous permettent d'y répondre.

La spécificité des ressources mentales comme obstacle à la découverte de soi

On sait déjà que tout plan individuel met en relation un objectif poursuivi avec des moyens employés, qui sont de caractère nécessairement complémentaire. Si aux ressources d'un plan peuvent être substituées de manière plus efficace d'autres ressources

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internes découvertes au profit du même objectif et (ou) si les ressources utilisées dans le cadre du plan en vigueur peuvent être réallouées vers un autre objectif découvert et jugé plus intéressant11, la structure du plan se modifie, mais non le plan lui- même.

On peut alors logiquement établir que les opportunités de découvertes sont une fonction décroissante de la spécificité des ressources engagées dans les plans existants. Exprimé en termes inverses, c'est le degré de convertibilité des éléments d'un plan qui détermine la réceptivité de l'esprit à la découverte. Plus la spécificité des facteurs est importante, plus celle-ci est un obstacle à leur substitution, et moins le plan est restructurable.

On sait aussi que les ressources, du fait de leur hétérogénéité d'usage, sont toujours spécifiques à des degrés plus ou moins importants, chacune d'entre elles ne pouvant être utilisée que pour un nombre limité d'objectifs (notion de « spécificité multiple »). Mais certains plans mobilisent sans doute des éléments moins spécifiques que pour d'autres plans. La nature des moyens employés les rendant compatibles avec une gamme plus ou moins variée d'objectifs, leur restructuration peut être encore envisagée. Dans ce cas, la conscience reste « ouverte » à la découverte. A l'opposé, d'autres plans s'associent à la mobilisation de ressources plus spécifiques que pour d'autres, et dans cette perspective, l'ouverture de la conscience à des découvertes éventuelles est moins admissible.

Le degré de spécificité des ressources mobilisées dépend ainsi de la structure donnée des plans courants. Lorsque les plans en vigueur mobilisent des ressources dont les caractères de spécificité dominent leur capacité de substituabilité, leur structure peut a priori apparaître comme figée. La conscience est alors rigide, fermée, hermétique à toute entreprise de découverte de soi car celle-ci empêcherait l'auto-validation des anticipations ; à l'inverse, lorsque les éléments de substituabilité dominent les éléments de spécificité, c'est-à-dire lorsque les plans mobilisent des ressources auxquelles, malgré leur caractère de relative spécificité, peuvent être éventuellement substituées d'autres ressources, alors la structure des plans en vigueur est susceptible de

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pouvoir être transformée. La conscience de l'individu reste flexible, ouverte à la réalisation d'une erreur de coordination interne car la découverte qui l'exprime ne signifie pas nécessairement l'échec du plan engagé. Les frontières de la découverte de soi sont donc bien déterminées par la nature des plans infra- individuels déjà engagés.

Le poids de la complémentarité

Indépendamment du caractère même des ressources mentales mobilisées dans les plans individuels, la relation de complémentarité de ces facteurs ajoute une dimension supplémentaire au problème de la spécificité. D'une part, l'intensification de la structure de complémentarité requiert l'emploi de facteurs de plus en plus spécialisés. En effet, chaque ajout d'une ressource supplémentaire à un plan existant est celui d'une ressource plus spécifique que les précédentes. La proportion des ressources non convertibles augmentant alors avec la complémentarité des facteurs, la restructuration du plan en vigueur est de moins en moins envisageable. D'autre part, plus les structures de complémentarité des facteurs sont développées (en nombre et en densité), plus la nature de l'organisation des relations entre les facteurs la rend spécifique à un objectif précis. La structure du plan devient elle-même spécialisée, indivisible dans ses usages, et peut alors difficilement être remplacée par une autre du même type. Ce double aspect de la complémentarité trouve ses conséquences logiques en termes de rigidité. Plus la complémentarité est forte, moins la structure des plans en vigueur sera flexible et moins la conscience sera ouverte à la découverte de soi.

L'aspect « multi-période » des plans ne fait qu'aggraver le problème. En effet, lorsque l'on raisonne dans le cadre de plusieurs séquences « enchaînées » les unes aux autres par des relations de complémentarité inter-temporelle, on ajoute une dimension supplémentaire au phénomène de rigidité. Plus le nombre de séquences temporelles d'un plan est important, plus leurs relations de complémentarité seront importantes. Les opportu-

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nités de substitution seront donc réduites en conséquence. Par ailleurs, si on suit le raisonnement de Lachmann, les séquences ajoutées seront toujours plus spécialisées que les précédentes. Plus on progresse vers l'accomplissement du plan (on passe de stades inférieurs à des stades supérieurs), plus on accroît la spécificité relative des séquences. On peut ainsi considérer que le degré de flexibilité des structures d'un plan inter- temporel dépend du stade où on se situe. Ce degré décroît au fur et à mesure que l'on avance dans la chaîne du plan. Plus les séquences sont proches de l'objectif final du plan, moins la capacité de leur substituer d'autres séquences est envisageable. Leur spécificité devient de moins en moins multiple, et leur changement n'est guère possible sans remettre en question le plan dans son ensemble. Ainsi, le caractère d' inter- temporalité des plans d'un individu diminue la capacité de sa conscience à s'engager dans un processus de découverte interne.

Complexité et conscience : une dimension supplémentaire de la rigidité

Derrière la notion de complémentarité, se profile évidemment la question de la complexité. On peut ramener l'intensité, le nombre ou la densité des structures de complémentarité des ressources au degré de complexité des plans. Plus les plans mobilisent des facteurs spécifiques, plus les relations de complémentarité entre ces facteurs sont développées, débouchant sur une complexité importante de l'ensemble.

De manière dérivée, le caractère de rigidité du plan est fonction de ce niveau de complexité. Lorsque le plan est trop complexe, sa restructuration n'est plus possible car le degré de spécialisation des fins et des moyens est tel qu'aucune substitution n'est envisageable. La convertibilité des ressources qui, par nature, est toujours limitée, tend vers zéro. Dans cette perspective, le changement n'est plus envisageable. Le plan n'offre plus la moindre place pour la découverte interne car elle impliquerait l'écroulement du plan. Or, plus le processus de découverte interne est déve-

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loppé, plus la complexité des plans est forte : chaque découverte passée est ainsi susceptible de freiner toujours un peu plus les découvertes ultérieures. Le degré de spécialisation des facteurs augmente avec la complexité du plan et on trouve de moins en moins de ressources substituables aux précédentes. On peut ainsi imaginer qu'à un certain stade de développement, l'héritage du mode de complémentarité impose une telle complexité du plan engagé que disparaît toute possibilité de le recomposer.

Mais on doit évoquer ici une deuxième dimension de la complexité. En effet, indépendamment de la question du caractère spécifique des facteurs et du degré de complémentarité des ressources, se pose une contrainte relative à une caractéristique propre de la notion de conscience : son étroitesse.

Hayek insiste dans L'ordre sensoriel sur le caractère restreint de la zone de classification formée par la conscience : « un autre fait familier relatif à cette « unité de la conscience » peut être mentionné ici. C'est ce que l'on appelle l'étroitesse de la conscience, ou le fait que, à tout moment, seule une gamme limitée d'expériences peut être complètement consciente. Bien que le centre de la conscience puisse se déplacer rapidement d'un objet à un autre, cela semble souvent signifier que des processus qui ont été complètement conscients peuvent disparaître dans une condition semi-consciente ou subsconsciente et y persister, prêts à sauter de nouveau dans la pleine lumière à tout moment » (...) « à l'intérieur du système nerveux, (...), à tout moment, seul un groupe limité de processus cohérents pourrait être complètement évalué » [1952a], pp. 156-161).

C'est d'ailleurs ce caractère « d'étroitesse » qui explique que la conscience ne peut jamais saisir l'intégralité de la structure de complémentarité unissant les moyens employés par l'esprit. Elle n'en maîtrise jamais que des segments. Des éléments tacites, dont l'individu ignore les caractères et la nature - et qui peuvent d'ailleurs faciliter ou entraver l'accomplissement du plan - sont forcément mobilisés par l'esprit.

Dès lors, une dimension autonome du problème de la rigidité associée à la complexité peut être reliée au caractère « d'étroitesse » de la conscience. Lorsque cette complexité est forte, le

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nombre d'impulsions à contrôler et à rendre homogène est important, et la gestion de l'ensemble se heurte de manière croissante à l'étroitesse du faisceau de la conscience.

Certes, cet aspect du problème est loin d'être totalement indépendant de la question des éléments de spécificité et de complémentarité des facteurs. Un faible développement de ces éléments permet à la conscience d'intégrer dans son faisceau des informations internes susceptibles d'être découvertes. Mais on peut aussi imaginer des situations où, bien que la structure intrinsèque du plan n'interdise, dans son caractère même, aucune découverte interne, le faisceau de la conscience soit si restreint que l'attention de l'acteur est exclusivement dirigée vers l'organisation de tous les éléments du plan. Dans cette perspective, toute découverte interne signifierait un déplacement du faisceau de lumière de la conscience vers des éléments qui étaient précédemment dans l'ombre. Mais ce déplacement, de facto, obscurcirait d'autres ressources précédemment éclairées, menaçant alors la cohérence du plan dans son ensemble.

L'existence de différentes facettes de la fonction intropreneuriale confronte l'analyse de la coordination interne à un paradoxe. Alors qu'une première dimension de cette fonction encourage la découverte d'opportunités de gains de satisfaction non encore décelées par la conscience, une seconde tend à vouloir freiner œs découvertes de manière à ne pas rendre obsolètes les plans en vigueur. Cette dualité reflète en dernière analyse la double signification de la notion de coordination interne : volonté de percevoir les opportunités disponibles à l'intérieur de l'environnement subjectif de l'individu ; intention de mener à bien les plans courants.

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La distinction entre erreurs de coordination et échecs de coordination nous a permis de lever ce paradoxe. Nous avons montré que la découverte de nouvelles opportunités internes n'est pas synonyme de rupture des plans en cours si elle autorise la restructuration des plans existants, et non leur abandon. C'est la notion de structure de plan qui nous rend capable de comprendre les conditions et la manière dont les différentes facettes de l'intro- preneurship sont articulées dans l'esprit individuel.

En effet, sous l'angle subjectif, toute structure de plan est le résultat de découvertes internes passées, et toute nouvelle structure de plan est le résultat de découvertes internes nouvelles. Le passage de l'une à l'autre rend compte d'un processus de substitution qui exprime lui-même la flexibilité du plan engagé. Sous cet angle, la spécificité, la complémentarité et la complexité des ressources mobilisées peuvent être considérées comme des éléments de rigidité. Plus la spécificité de ces ressources est forte, plus leur degré de complémentarité est élevé, et plus le degré de complexité des plans en cours s'accroît. La substituabilité en est d'autant réduite. Tous ces facteurs s'opposent à la flexibilité du plan ou en d'autres termes, à la découverte interne.

La substituabilité étant une fonction inverse du degré de spécificité/complémentarité/complexité des plans engagés, on doit considérer que la découverte de soi est déterminée par la nature et la structure des plans courants. Il est alors sans doute possible de défendre l'idée d'une « path-dependancy » de la découverte, la découverte ultérieure étant conditionnée par les découvertes antérieures, c'est-à-dire par le degré de développement des plans en cours.

Au niveau de l'esprit individuel, les éléments de spécificité, de complémentarité et de complexité des plans sont une force d'équilibre et de stabilité. Mais cette tendance constitue en même temps un facteur de rigidité ; à l'inverse, la substitution exprime le déséquilibre et le changement structurel. Associée à l'idée d'une flexibilité de la conscience, elle permet une réalisation plus forte de soi (plus d'informations sont transformées en connaissance). Cette distinction qu'il est possible de définir à l'intérieur de chaque esprit individuel trouve des conséquences en

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matière sociale. En effet, à tout moment du temps, on doit considérer que la société est composée de deux types d'individus, suivant la configuration de leurs plans courants: ceux dont la

conscience est ouverte au changement impliqué par la découverte de soi, et qui vont restructurer leurs plans en conséquence ; ceux dont la conscience est adverse au changement interne, bloquant alors le processus de découverte de soi. Alors que le premier type d'individus est caractérisé par le changement et l'imprévisibilité, le second représente au contraire un facteur de stabilité et de prévisibilité. Le résultat de l'interaction sociale en termes de

coordination externe (inter-individuelle) est sans doute, en dernière analyse, l'expression de la confrontation entre ces deux forces contradictoires.

Thierry Aimar est maître de conférences en sciences économiques. Adresse -.faculté de Droit et sciences économiques, université de Nancy 2, 13 place Carnot, CO n°26, 54035 Nancy cedex; MSE, université de Paris 1- Sorbonne, 106-112 boulevard de l'Hôpital, 75647 Paris cedex; Sciences Po. Paris, 27, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris. Email: [email protected] - [email protected] - [email protected]

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Notes

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1. L'ouvrage semble avoir facilement trouvé son audience chez les philosophes des sciences (cf. Weimer [1982]). Il a surtout influencé en profondeur des travaux de premier plan en matière de neuropsychologie et, plus largement, de neurosciences. Ce n'est pas l'objet de cet article d'analyser les détails de cette influence. Mais on doit relever ici que Edelman ([1987], [2004]) reconnaît explicitement sa dette à l'égard de Hayek dans l'élaboration de sa célèbre Theory of Neuronal Group Selection (TNGS), axée sur les idées de conscience, de topobiologie et de dégénérescence (cf. Edelman [1988], [1989], [1992]; Edelman et Tononi, [2000]). De même, les travaux respectifs de Minski [1986] et de Damasio [1999], relatifs aux modes de communication interne de l'esprit et à la prise de décision, manifestent des parentés évidentes avec l'approche de Hayek. On peut noter enfin la filière ouverte par les études de Varela [1991], [1999] sur la perception humaine et l'émergence de la conscience, que Dupuy [2002] a su relier à la problématique hayekienne de l' auto-organisation. A contrario, L'ordre sensoriel a longtemps été ignoré par les économistes et n'a fait l'objet d'une littérature dans leur discipline que tardivement. A défaut de pouvoir être exhaustif, on peut citer parmi beaucoup d'autres les éléments suivants : Yeager [1984] Tuerck [1995], Smith [1997]; Birner [1999b]; Horwitz [2000]; Nadeau [2001]; Dostaler [2001]; Koppl [2002]; Rizello (ed) [2003]; Caldwell [2004], Aimar [2005].

2. La notion de savoir tacite traverse toute l'œuvre de Hayek et y occupe une place centrale. Depuis les analyses de Gray [1984] et de Lavoie [1985], la

térature autrichienne afférente au sujet n'a fait que se développer. On ne peut rendre compte de son intégralité ici. Si le lecteur veut se référer à des éléments récents, il pourra consulter avec profit Caldwell [2004]. 3. En effet, toute action, au sens où Mises a pu définir le concept dans ses différents travaux épistémologiques [1933], [1957], [1966]... consiste en un comportement intentionnel, en un plan, qui nécessite d'avoir à l'esprit une représentation consciente des objectifs de l'action. On peut noter ici que Hayek n'a jamais remis en question le schéma praxéologique tel qu'il a été établi par Mises, mais uniquement la capacité de l'analyse a priori à rendre compte de l'ensemble du processus d'interaction sociale. Dans Hayek on Hayek [1994], Hayek apporte un éclairage rétrospectif sur ce point : « Ce que je perçois seulement maintenant clairement est le problème de ma relation à Mises, qui commence avec mon article de 1937 sur l'économie de la connaissance. Celui-ci était une tentative de persuader Mises lui-même que lorsqu'il soutenait que la théorie du marché était a priori, il avait tort ; seule la logique de l'action individuelle peut être considérée comme a priori. Mais à partir du moment où vous passez de celle-ci à l'interaction de plusieurs personnes, vous entrez dans le champ de l'empirique » ( Hayek dans Kresge et Wenar [1994] p. 72). 4. La distinction autrichienne entre information et connaissance est relative au décalage entre l'ensemble des opportunités d'échange disponibles à l'intérieur d'une société et celles qui sont connues par ses acteurs. Cela nous renvoie au thème de la dispersion du savoir. Sur ce sujet, cf. Hayek [1937], [1945],

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[1968], [1973], [1976], [1979] ; Kirzner [1973] ; O'Driscoll et Rizzo [1985], Boettke [2002].

5. Nous avons ici une expression du théorème de Gôdel dont la nature et les implications sont avalisées aussi bien par Polanyi [1958b] pp. 259-260 que par Hayek [1952a], [1952b], [1962] p. 62. Le théorème d'incomplétude de Gôdel [1931] démontre qu'une arithmétique (ou n'importe quel système déductif) non contradictoire ne peut former une structure complète. En effet, la non-contradiction constitue dans ce système un énoncé indécidable.

6. Une importante littérature relative à la question du capital chez Lachmann n'a fait que se développer depuis une vingtaine d'années. Sans espérer être exhaustif, on peut citer parmi d'autres : Garrison [1985], Lewin [1997], [1999], [2005], Lewin et Phelan [1999], [2000]), Koppl et Mongiovi [1998], Yu [1999], Baetjer [2000], Horwitz [1998], Schmitz [2004], Mulligan [2006]. 7. « Les biens capitaux sont tout bonnement les points nodaux des flux d' input (de travail et d'autres services en capital) qu'ils absorbent, et de produits (intermédiaires ou finaux) » ([1956] p. 58); les institutions « sont les points nodaux de la société, coordonnant les actions de millions d'individus qui sont ainsi dispensés du besoin d'acquérir et

de digérer une connaissance détaillée sur les autres et de former une image détaillée de leurs actions futures» [1971] p. 50).

8. On peut noter ici, d'une manière significative, que dans Big Players and the Economie Theory of Expectations, Koppl identifie « le problème de Lachmann » comme étant « celui d'avoir une théorie des anticipations qui se construit sur l'idée que les actions de chaque personne sont animées par l'activité spontanée d'un libre esprit humain ( Koppl [2002] p. 13).

9. Bien évidemment, il est à peine besoin de noter que cette notion de « structure de production » est au centre de la théorie autrichienne des fluctuations. Cf. notamment Hayek [1931], [1939]. Pour des analyses contemporaines, voir Garrison [1989], [1997], [2001], [2006]). 10. Dans Capital and its Structure ( cf. pp. 56-57), il s'exprimera sur le sujet dans des termes identiques, en reprenant les mêmes phrases que celle rédigées onze ans plus tôt.

11. Sachant que tout individu est imbriqué dans des structures de plan intertemporelles et que l'objectif d'une période bénéficiera du statut de ressource au cours d'une période suivante, l'analyse peut ici tout simplement être ramenée à la seule notion de ressources.

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