Agriculture, monde rural et environnement Qualité oblige ... · Agriculture et environnement :...

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Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement Agriculture, monde rural et environnement Qualité oblige Jean-Luc Pujol, Dominique Dron 1999

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  • Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

    Agriculture, monde rural et environnementQualité oblige

    Jean-Luc Pujol, Dominique Dron

    1999

  • SommaireSommaireSommaire

    Préface 7

    Remerciements 11

    Avant-propos 13

    Fonctionnement de la Cellulede prospective et stratégie 17

    Première partieSynthèse 19Le monde agricole : particularités et perspectives 23Agriculture et environnement : des questionsindissociables par nature dans un développementdurable 29Quelques sujets de débat récurrents 44Orientations proposées 51Conclusion 67

    Recommandations synthétiques 69Vers un «.contrat.» durable agriculture / monde rural/ société 69Établir des liens structurés et sincèresentre le monde rural et les citoyens consommateurs 74Un cadre économique, politique et réglementairepour faire évoluer les liens environnement/territoire 80Établir un cadre technique et économiquepour les exploitations qui oriente les décisionsdavantage en faveur de l’environnement 82Recherche et développement 89

    Deuxième partieConstats et enjeux 93Prospective pour l’agriculture et le monde rural 95Agriculture et environnement : diagnosticenvironnemental 183

    5Sommaire

  • Troisième partieConstruire une cohérence durablepar la culture, l’économieet les techniques 313Une nouvelle donne politique et environnementalecomme contexte des activités agricoles et rurales 315Vers un aménagement du territoire concerté, intégrantenvironnement, économie et facteurs de développement 366Conséquences pour l’élaboration et la mise en œuvredes politiques agricoles 381Un cadre réglementaire et contractuel local 410L’expression de choix qualitatifs et environnementauxà travers les produits 424Adapter le cadre technique et économiquede l’exploitation à des objectifs environnementaux 441Soutenir l’accroissement de technicité nécessairepour l’amélioration des pratiques (intensificationdu facteur humain) 464Mieux former et informer les acteurs de l’intérêtéconomique et collectif des pratiques durables 481Recherche / formation 494La recherche publique agronomique 494Recherche technologique et appliquée 501

    Synthèse explicative des recommandations 507Vers un «.contrat.» durable agriculture / monde rural/ société 507Établir des liens structurés et sincèresentre le monde rural et les citoyens consommateurs 516Un cadre économique, politique et réglementairepour faire évoluer les liens environnement/territoire 525Établir un cadre technique et économiquepour les exploitations qui oriente les décisionsdavantage en faveur de l’environnement 528Recherche et développement 538

    Annexes 543

    Annexe 1 – Lettre de la CFCA 545

    Annexe 2 – Comité de pilotage CelluleAnnexe 2 – de prospective et stratégie 551

    Annexe 3 – Groupe de travail 553

    Annexe 4 – Sigles 555

    Annexe 5 – Bibliographie 561

    Table des matières 575

    6 Sommaire

  • PréfacePréfacePréface

    Les mutations récentes ont montré qu’il n’était pas possiblede parler de l’agriculture sans évoquer la vie rurale dans son ensemble,la réalité des territoires physiques, les paysages qu’elle produit ettransforme dans leurs aspects biologiques et culturels. En plusieursendroits du pays, les impacts de certaines pratiques agricoles sur l’envi-ronnement ont atteint des niveaux insoutenables : premier consommateurnet d’eau, premier émetteur d’azote minéral et organique, premierémetteur d’ammoniac et de méthane, premier utilisateur d’espaces et desols, l’agriculture, là où elle est intensive, a fini par menacer à plus oumoins court terme ses propres fondements : le potentiel agronomique dessols, la qualité des eaux, la diversité génétique (gage d’adaptabilité et derésistance), mais aussi l’image positive et affective dont elle bénéficiaitdepuis longtemps dans l’opinion. Cette évolution touche donc directementl’attractivité commerciale des produits agricoles, ainsi que les relationsdes agriculteurs avec les activités économiques voisines, au premier rangdesquelles le tourisme et la transformation agro-alimentaire.

    Or, l’objectif principal assigné à la politique agricole communedans les années cinquante et soixante, l’autosuffisance alimentaire, a étélargement atteint, puis dépassé. Devant les perspectives d’élargissementde l’Europe et les mécanismes des marchés internationaux, mais aussiface aux nouvelles demandes sociales concernant l’environnement et lanourriture, nous devons nous interroger :– comment continuer de garantir l’autosuffisance régulière de l’Europe,l’entretien et la valorisation de ses territoires divers, alors que les échangesinternationaux créent un contexte dont la logique est très différente.?– comment faire de l’agriculture un facteur de stabilité dans le monde,de diversité et de développement, et non un motif de spéculation,d’uniformisation et de domination.?– et par conséquent, quelle orientation et quels instruments proposer pourl’agriculture, les ressources et les activités rurales, en particulier commentutiliser désormais les fonds communautaires destinés au monde rural.?

    L’émergence des préoccupations environnementales a suscité,depuis plus de 20 ans, une réflexion générale sur la politique agricole entant qu’outil de régulation des marchés et de gestion des territoires. En

    7Préface

  • effet, l’environnement a deux spécificités : il est indissociable du territoirelui-même, et il ne peut se gérer durablement que par des processusdémocratiques qui supposent information et concertation. Les interrogationssoulevées vis-à-vis de l’agriculture relèvent de ces deux points de vue.

    En premier lieu, les demandes commerciales adressées au-jourd’hui à l’agriculture, ses critères concurrentiels et ses conditions depérennité s’organisent aussi, maintenant, autour de la capacité desagriculteurs à travailler tous avec, et non malgré, les mécanismesbiologiques, et à contribuer plus volontairement, plus consciemment etavec davantage d’ouverture aux autres acteurs, à la vitalité du territoire.Produits de terroir, labels de qualité, pratiques respectueuses de l’envi-ronnement, maintien des facteurs de production (sol, eau, patrimoinegénétique notamment) supposent la diffusion de nouveaux savoirs, depratiques plus fines, de méthodes moins sommaires que celles souventobservées : ainsi, traiter systématiquement sans examiner l’état de sonchamp, ou ne régler ses pulvérisateurs qu’une fois pour toutes en 15 ansd’utilisation, est non seulement socialement inacceptable, mais aussitechniquement inapproprié. Un travail en profondeur est devenu indispen-sable, associant formation initiale et continue, développements scientifi-ques et techniques, accompagnement des réorientations techniques desexploitations, valorisation commerciale des productions issues de cesréorientations, incitation aux pratiques de précision et sanction desnégligences persistantes.

    En second lieu, la gestion et la valorisation des territoires nese décrètent plus d’en haut : elles se discutent, s’élaborent et se régulentdans une large mesure au plus près du terrain, tout en restant dans uncadre fourni par l’État, garant du respect des engagements communautai-res et internationaux et des lois nationales. Cette réalité signifie équité etconcertation.

    L’équité ne peut être satisfaite si certains acteurs bénéficientd’un statut abusivement privilégié.; c’est une condition pour que les atoutsd’un territoire soient exploités de façon raisonnable et durable, mais aussipour qu’une concurrence loyale règne à l’intérieur de chaque secteuréconomique. Le respect, effectif et vérifiable, d’une règle du jeu écono-mique et réglementaire cohérente est donc indispensable, aux plansenvironnemental, commercial et social.

    La concertation, gage d’efficacité malgré ce que persistent àaffirmer certains sceptiques, aboutit toujours à des propositions enrichieset adaptées lorsqu’elle se déroule selon une procédure reconnue et sincère.C’est la meilleure façon d’analyser les atouts et les vulnérabilités d’unterritoire, de déterminer à quelles conditions chaque acteur pourrabénéficier de façon durable des ressources physiques, biologiques, desavoirs et de voisinages qui lui sont indispensables, d’en tirer une chartede territoire dont s’inspireront les pratiques de chacun. Une telle démarchedonnerait un nouvel instrument aux élus et autres acteurs locaux pour ledéveloppement du territoire. Elle préparerait utilement les discussionscommunautaires et internationales.

    8 Préface

  • L’enjeu de l’agriculture européenne, beaucoup d’experts l’ontdéjà dit et écrit, n’est pas de nourrir le monde : une certaine autosuffi-sance alimentaire constitue en effet pour chaque pays une condition destabilité économique, sociale et politique. À moyen terme, nous devrionsdonc sans doute avoir davantage le souci d’une présence technologiqueet organisationnelle chez nos partenaires en voie de développement quecelui de leur fournir des produits de base. L’enjeu est de trouver lesmoyens de produire mieux avec moins de ressources, avec le plus possiblede marges d’adaptation aux aléas, et le moins possible de fragilités liéesaux logiques spéculatives. Nous devons construire les conditions de ladurabilité non seulement de notre agriculture, mais aussi de la préservationet de la valorisation de notre territoire, réalité qui est, je le répète,physique, biologique, sociale et culturelle.; ces conditions relèvent dedispositions économiques et techniques, de la formation, de la recherche,ou encore de la prévention des risques.

    Bien entendu, les facteurs de la pérennité de l’agriculture nesont pas entièrement dans les mains des agriculteurs eux-mêmes. C’estbien aux pouvoirs publics, à tous les niveaux, de fournir un cadreéconomique et réglementaire qui favorise cette nécessaire évolution.

    Lorsqu’on y réfléchit, le défi est aussi énorme et motivant pourles agriculteurs que celui qui leur fut lancé dans les années cinquante, etles réorientations aussi radicales. Comme à cette époque, ces réorienta-tions doivent être progressives mais volontaires, cohérentes et soutenues,partagées par l’ensemble de la société. J’attends de ce rapport, dontl’élaboration a sollicité pendant plus de deux ans la plupart des acteursintéressés, qu’il en fournisse un élément de débat constructif.

    Dominique Voynet,ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement

    9Préface

  • Remerciements

    Nous tenons à remercier particulièrement, pour leur collabora-tion active à cette analyse :– Anne Reocreux, qui a lancé le travail avant d’être appelée à d’autresfonctions sur les mêmes thèmes en Corse.;– Jean-Claude Levy, pour sa contribution sur l’évolution du tourismerural et la dynamique des complexes territoriaux.;– Annie Soyeux, pour ses conseils toujours avisés et ses informationsprécieuses.;– Jean-Claude Bouvier, pour son souci des conclusions opérationnelles.;– Louis Cayeux, Patrick Legrand et Danielle Barres, pour leur intérêtconstant et fructueux et notamment leur travail de critique.!

  • Avant-proposAvant-proposAvant-propos

    Le monde agricole occupe en France une place particulière,pour des raisons historiques, géographiques, culturelles et politiques. Lepatrimoine rural français résulte des données naturelles (climat, sols,écosystèmes), mais aussi pour une très large part du travail des hommes.Malgré des dommages importants dans certaines régions, la diversitégénérale du territoire est restée souvent davantage préservée et valoriséeque celle de nombre d’autres régions du monde.; elle est néanmoinsmenacée à divers titres par l’urbanisation, les équipements de tous types,les implantations et émissions industrielles et certaines pratiques agricoles.En effet, poussé à partir des années cinquante, comme dans toute l’Europe,vers une productivité maximale pour assurer l’autosuffisance alimentairede la Communauté (Traité de Rome), le monde agricole connut uneintensification rapide, une forte diminution du nombre de producteurs, etl’apparition de pratiques quasi-industrielles dans certains secteurs. Paral-lèlement, davantage qu’ailleurs en Europe et a fortiori qu’aux États-Unis,la politique agricole française inclut rapidement un volet territorial destinéà favoriser les installations nouvelles et l’occupation du territoire.

    La Communauté européenne fournit à l’agriculture de tous lesÉtats-membres un cadre administratif et politique très précis, lui consa-crant près de la moitié du budget communautaire (0,6.% du PIB européen :la PAC fut longtemps la seule politique réellement européenne avec laCECA) et assurant des prix intérieurs élevés et une régulation desprincipaux marchés. La France notamment, servie par ses terres riches,son climat, ses traditions agricoles, ses institutions publiques et sesorganisations professionnelles, contribua à faire de l’Europe, à partir desannées soixante-dix, un exportateur mondial de produits agro-alimentairesde tout premier plan.

    Motivé par ses interlocuteurs économiques et sociaux, par lesperspectives d’élargissement de l’Union européenne et par l’avancée desdiscussions de l’OMC sur les conditions des échanges, le monde agricoleconnaît aujourd’hui des questionnements nouveaux. Ces deux dernièresannées, le débat s’est intensifié autour des négociations internationalesqui s’annoncent (OMC), des propositions européennes («.paquet Santer.»)et de la réforme nationale (loi d’orientation agricole). Les mentalités puis

    13Avant-propos

  • les pratiques changent chez des professionnels de plus en plus nombreux :certains n’hésitent pas à parler de «.nouvelle révolution agricole.» (LeMonde du 27 avril 1998). Nombre d’exploitants ont récemment intégré(et certains précurseurs depuis longtemps) que l’agriculture ne peut existercontre la sensibilité de la société de plus en plus citadine qu’elle alimente,ni se déconnecter de ses terroirs d’implantation. Que s’était-il passéentretemps.?

    Dans le contexte fortement institutionnalisé évoqué ci-dessus,les techniques développées et la spécialisation des exploitations, associéesà l’industrialisation du secteur agro-alimentaire, furent très efficaces pouraccroître les quantités produites et la qualité sanitaire des biens deconsommation. Mais dans certaines régions, les impacts sur l’environne-ment furent d’autant plus lourds que les connaissances correspondantesne suivaient pas toujours les technologies : prélèvement et consommationd’eau, pollutions des nappes, disparition d’espèces faunistiques et floris-tiques sauvages ou rustiques, pollution de l’air, épuisement, compactage,érosion ou pollution des sols, mécanisation et remembrements associéscatastrophiques pour les paysages et la biodiversité locale, appauvrisse-ment de la diversité de certains produits cultivés. Les avertissements,lancés dès les années soixante (pesticides dans les aliments notamment)et soixante-dix sur ces questions par des scientifiques et des défenseursde l’environnement se heurtèrent à un scepticisme général, voire à desdénégations brutales.

    Pourtant ces dommages, certes répartis de façon très inégalesur le territoire, ont atteint des intensités inquiétantes dans certainesrégions, préfigurant les lourds dommages connus dans les agricultures trèsindustrialisées. Ces types de dégâts se retrouvent dans toutes les nationsagricoles, même si la gestion publique en est très différente : les Pays-Baspar exemple connaissent une situation bien plus grave en termes depollutions des eaux.; l’Espagne se lança aussi, plus tardivement, dans uneintensification peu précautionneuse, suivie des mêmes conséquences(nitrates et pesticides, remembrements drastiques, disparition de faune,érosion des sols accrue par le climat méditerranéen).; etc. Symbolehistorique de pratiques peu précautionneuses, dans les années trente, lescultures trop intensives du Middle West américain y avaient provoqué unecatastrophe écologique, économique et sociale de grande ampleur, les«.dust bowls.», érosion totale des sols arables.; plus tard, l’emploi massifde pesticides y dévastait la faune, suscitant en 1962 le fameux ouvrageLe printemps silencieux de Rachel Carson, qui joua un rôle important dansla sensibilisation européenne aux conséquences de ce type d’agriculture.Ces dégâts sont encore plus sensibles dans les régions dont la multifonc-tionnalité des territoires est affirmée depuis longtemps (agriculture,écosystèmes fragiles ou rares et tourisme par exemple).

    Ce n’est que dans les années quatre-vingt que les pollutionsdes eaux d’origine agricole commencèrent à être vraiment reconnues enFrance (rapport Hénin, 1980). La mauvaise qualité des rivières et nappesde certaines régions devint critique pour les habitants, voire leurs autresactivités économiques utilisatrices d’eau. La crise de la «.vache folle.»,

    14 Avant-propos

  • dont l’origine ne se trouvait ni chez les agriculteurs (c’était une questionde procédé industriel) ni en France, commença à former dans l’opinionune nouvelle image d’une partie de l’agriculture : industrielle, isolée duterroir, manieuse de techniques aux conséquences mal maîtrisées, contri-buant à l’artificialisation de la nourriture : pour le consommateur, la limiteentre progrès sanitaire utile et rentabilisation éventuellement porteuse derisques apparut brusquement suspecte. Dans l’opinion se généralisa aussil’idée que coexistaient plusieurs agricultures plus ou moins respectueusesdu consommateur et de l’environnement, plus ou moins proches de laterre, plus ou moins coûteuses en termes de subventions publiques directesou indirectes, plus ou moins labellisées, même si ces différentes facettesne sont pas toujours liées entre elles de façon univoque. Les pollutionset autres dommages environnementaux causés à la collectivité furentparfois plus clairement mis en regard des subventions publiques, renduesplus lisibles par la réforme de la PAC de 1992 et dont la légitimité estdésormais interrogée. En effet, contrairement à l’objectif d’auto-suffisancealimentaire, l’exportation, aux yeux de l’opinion, ne suffit pas à justifierque des pratiques lèsent par trop d’autres catégories de populations etd’activités.

    Au cours des trois ans d’élaboration de ce rapport, deschangements importants et rapides sont aussi apparus dans le discourseuropéen : le Conseil des ministres défendit en 1997 l’idée d’une identitéagricole européenne.; pour la DG VI, «.une agriculture qui pollue, quicontribue insuffisamment à l’aménagement de l’espace et à la protectionde l’environnement, qui, par ses pratiques malsaines, a sa part deresponsabilité dans le développement de maladies animales, n’a aucunechance de survie à long terme et ne peut justifier son coût.» (5 mars1998). L’Agenda 2000 présenté le 15 juillet 1997 par la CommissionEuropéenne considère quant à lui que «.l’intégration des objectifs envi-ronnementaux dans la PAC et le développement du rôle que les agricul-teurs peuvent et devraient jouer sur le plan de la gestion des ressourcesnaturelles et de la sauvegarde du paysage représentent un autre objectifde plus en plus déterminant de la PAC.». Il faut bien reconnaîtrecependant que jusqu’à présent, les conclusions pratiques en faveur de laprotection de l’environnement qui en ont été tirées (les mesures agri-en-vironnementales) ne touchent pas le cœur de la PAC. Il s’agit aujourd’huinon seulement de traiter les «.points noirs.» locaux, mais aussi d’éviterune dérive générale de la pratique et de l’économie agricoles vers lesexcès évoqués plus haut.

    La «.trifonctionnalité.» de l’agriculture, production-emploi-en-vironnement, puis sa «.multifonctionnalité.» sont maintenant reconnuespar tous les acteurs, pour refonder une légitimité sociale plus complexeet diversifiée de l’agriculture. Cependant, son contenu pratique est encoremal défini, et parfois ambigu : le faible montant annoncé de soutienspublics censés inciter à cette multiplicité n’est crédible que si elle amorceun processus progressif. Tous les acteurs sont maintenant conscients dufait que les atteintes à l’environnement ne sont pas synonymes debénéfices territoriaux ou de davantage d’emplois. Engager toute l’agricul-ture dans la voie du respect de l’environnement sans menacer la viabilité

    15Avant-propos

  • économique des exploitations nécessite une large réorientation des outilsde politique agricole et des dispositifs d’aide. Si l’évolution est amorcée,il s’agit maintenant d’adapter à ces nouvelles conceptions toute l’archi-tecture sociale, politique, économique, fiscale et scientifique qui a permisla création de l’Europe agricole actuelle.

    Conformément à la commande de Mme la Ministre, il n’étaitpas dans notre mission de retracer l’historique ni la place économiquequantitative des activités agricoles en France.; le fonctionnement desinstitutions et des acteurs n’était pas non plus l’objectif principal. Cerapport paraîtra donc fortement incomplet à cet égard. Nous avons tentéd’y décrire les spécificités et perspectives de l’agriculture du point de vuede l’environnement et du territoire, dans une optique surtout française.Nous avons volontairement restreint le champ d’analyse à l’agriculture ausens strict, écartant les forêts, le bois-énergie et les aquacultures, maisincluant les activités qui dépendent des conditions créées par les usagesagricoles (notamment les paysages). Nous avons ensuite établi un diag-nostic des impacts des pratiques agricoles sur l’environnement (ceux donton imagine déjà les remèdes et ceux pour lesquels toutes les implicationsn’ont pas encore été débattues), mais aussi des effets sur l’agriculture decertains impacts environnementaux dus à d’autres activités. Nous avonsenfin replacé les agriculteurs français dans leur contexte politique,économique et scientifique.

    Nous nous sommes aussi penchés sur certaines autres activitésdu monde rural qui en partagent les ressources avec l’agriculture,notamment le tourisme. Mais faute d’informations suffisamment nombreu-ses et fiables sur la constitution des initiatives et des circuits financiersoriginaux qui les alimentent, nous n’avons pu pousser très loin cetteréflexion. Des monographies systématiques, englobant des analyses socio-logiques, économiques, environnementales et culturelles, seraient fortutiles pour comprendre et utiliser les déterminants, les handicaps, lesqualités et les erreurs de ces expériences.

    Conscients de la difficulté du sujet, nous avons tenté dans unedeuxième partie, à partir des informations et des conseils fournis par legroupe de travail (voir annexes), de proposer des moyens concrets pouraccompagner et favoriser la réconciliation de l’agriculture et de sonenvironnement, qui est à nos yeux la seule voie durable possible de sondéveloppement. Ces recommandations n’ont pas toutes recueilli l’assenti-ment de l’ensemble du groupe de travail.; comme dans les rapportsprécédents de la Cellule de prospective, celles qui n’ont pu lever toutesles objections sont identifiées comme telles.

    Une synthèse du rapport et des recommandations précède lesdeux parties décrites ci-dessus.

    16 Avant-propos

  • Fonctionnementde la Cellule de prospectiveet stratégie

    Les principes de travail de la Cellule sont la pluralité,l’anticipation, la transparence. Elle fonctionne sur la base de groupesd’experts d’horizons multiples, réunis ad hoc suivant les thèmes abordés.Leurs participants sont présents intuitu personae, au titre de leur connais-sance des questions traitées. Ils s’attachent à réaliser d’abord un diagnosticfactuel et consensuel, à partir duquel des propositions sont élaborées parla Cellule et discutées en commun. Ils reçoivent tous les documentsélaborés par le groupe de travail dont ils sont membres au fur et à mesurede leur rédaction. Ce travail n’est pas conçu comme un exerciceinterministériel formel, mais comme un essai de compréhension desenjeux de chacun des acteurs et des conséquences multiples de leurscomportements : les propositions restent bien entendu marquées par laperception hiérarchisée des enjeux propre à l’Environnement, puisqu’ils’agit d’un rapport au ministre qui en a la charge.; mais les motivationset perceptions de tous sont explicitées dans un souci de consensusmaximal. Si des divergences demeurent, elles apparaissent dans ledocument final, qui est rendu public comme travail d’expertise et élémentde débat.

    La Cellule travaille avec un comité de pilotage de 15 person-nalités également intuitu personae : dirigeants d’entreprises, élus locauxet européens, responsables d’associations de protection de l’environne-ment, experts. Cette structure informelle constitue une interface particu-lière d’échanges avec les acteurs économiques et sociaux, sans référenceaux dossiers en cours. Elle propose des sujets de travail pour la Cellule,commente et valide les travaux à mesure de leur réalisation.

    • Pendant l’élaboration de ce rapport, la composition dugroupe de travail a beaucoup évolué. Nous avons sollicité et travaillé avecde nombreux organismes et organisations professionnelles impliqués dansle domaine (ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation,ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, INRA,FNSEA, CNJA, CFCA, etc.), soit en groupe de travail, soit en rencontresbilatérales.; les participants aux réflexions qui ont souhaité faire officiel-lement partie du groupe de travail figurent à l’annexe correspondante. Leséléments composant le corps du document sont issus des recherchesbibliographiques de la Cellule et des apports des participants au groupe,mais faute de temps disponible pour beaucoup d’entre eux, des discussions

    17Avant-propos

  • approfondies n’ont eu lieu que sur les synthèses : «.Vers une qualitédurable.» et «.Recommandations synthétiques.». Outre les discussionsd’argumentaires situées dans le corps du rapport, les propositions n’ayantpas fait l’objet d’un consensus sont signalées dans la partie «.Recomman-dations synthétiques.». Lorsque des membres du groupe de travail l’ontsouhaité, ils ont joint une lettre de précisions au rapport.

    18 Avant-propos

  • Première partie

    SynthèseSynthèseSynthèse

  • Cette première partie présente de façon synthétique le diag-nostic général et les recommandations, qui sont détaillés dans le corps durapport. Elle comprend deux volets :– le premier analyse des caractéristiques socio-économiques et environ-nementales de l’agriculture, s’interroge sur quelques points-clefs fréquem-ment évoqués dans les débats, puis rassemble les orientations préconiséesen trois catégories : la gestion des risques, la modernisation des pratiqueset l’insertion de toutes les facettes de l’agriculture dans la société, ycompris du point de vue de la recherche.;– le second expose les recommandations organisées de façon plussystématique et détaillée, en cinq domaines : un contrat des exploitantsavec la société, des relations sincères avec le citoyen-consommateur, unnouveau cadre économique et juridique, l’amélioration des pratiquestechniques par la connaissance et l’incitation, une gestion adaptée de larecherche publique.

    21Synthèse

  • Le monde agricole :particularités et perspectives

    L’activité agricole a un statut bien particulier, et pas seulementen France, pays réputé pour son goût de la bonne chère et ses multiplestraditions culinaires. En effet, après boire et respirer, manger est essentielpour l’être humain : non seulement ce dernier survit par la nourriture,mais il construit à partir d’elle sa propre substance, ce qui donne auxaliments une dimension intime, voire sacrée. Seules des situations defamine font parfois oublier l’investissement personnel et culturel dechacun dans le choix de ses aliments. Cette dimension imprègne etintensifie les perceptions et réactions individuelles lorsqu’il s’agit denourriture, notamment sur le plan des risques éventuellement courus. Enoutre, l’activité agricole en elle-même présente d’autres spécificités.

    Spécificités agricolesSur le territoireLes activités agricoles occupent 88.% du territoire national en y

    incluant la forêt et les zones agricoles non cultivées. Contrairement à ce qu’iladvint dans d’autres contrées moins hospitalières, elle a façonné la quasi-to-talité des paysages français, donnant aux campagnes cette dimensionmi-naturelle mi-humanisée qui en fait la diversité et l’attractivité particu-lières.

    Au plan politiqueL’agriculture française porte, comme les agricultures des

    autres États européens, l’héritage d’une mission productiviste très fortemotivée à la base par une volonté politique déterminante d’autosuffisancealimentaire. Encore très récemment, pour la plupart des agriculteurs, leurjustification sociale résidait surtout dans le fait de produire toujoursdavantage et de meilleurs produits, le reste étant assimilé à du «.jardi-nage.», de façon péjorative.; cette perception dépassait la constatation quedans le système d’aides actuel, produire moins signifiait des revenusmoindres. Cette vision fut longtemps relayée par la majeure partie dumonde politique, auprès duquel l’influence des agriculteurs, même socio-

    23Synthèse

  • logiquement décroissante, demeure bien plus forte que les effectifsprofessionnels pourraient le laisser supposer.

    L’objectif européen d’autosuffisance a justifié que la Commu-nauté lui consacre des sommes importantes : 36 milliards d’écus en 1995(41,6 en 1997) pour le FEOGA-garantie, dont près de 15 (32 en 1997)pour les cultures arables et 9 (9,5 en 1997) pour la viande bovine et lesproduits laitiers [réf. 10]. La montée des concurrences sur les productionsde masse, venant d’États à vastes superficies disponibles, a contribué àsuggérer aux agriculteurs qu’ils pouvaient devenir de simples façonniers,peu autonomes et à marges faibles, dans une organisation industriellemondialisée. L’épisode de la «.vache folle.» en 1996-1997 a encoreaccentué les exigences sociales d’information sur la qualité, la diversitéet les conditions d’élaboration des produits.

    Situation socio-économiqueet perspectivesUn encadrement institutionnel accruNous avons signalé dans l’avant-propos que les professions

    agricoles s’exerçaient en Europe dans un cadre réglementaire et financierdéterminant, et que les préoccupations qualitatives, environnementales etcommerciales, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne,risquaient de se renforcer encore.

    Un producteur souvent coupé du contactavec ses clients finauxMis à part les circuits courts du producteur au consommateur,

    quelques productions fromagères encore maîtrisées financièrement à lasource, certains producteurs de fruits et légumes et de nombreux vignoblesde qualité, la plupart des exploitants agricoles n’ont accès à leurs marchésfinaux que par les entreprises de collecte ou les coopératives, quielles-mêmes sont souvent peu intégrées vers l’aval. Le transport, lacommercialisation ou la transformation de leurs produits sont générale-ment réalisés par l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution.L’organisation économique fait que ces derniers bénéficient aujourd’huide la plus large part de la valeur ajoutée globale et peuvent souventmaintenir des prix assez bas à la production, seule l’intervention de l’Étatempêchant des baisses de prix plus importantes : par exemple lesmaïssiculteurs du sud-ouest, exception faite de la filière locale du foiegras, dépendent de l’amidonnerie du nord de la France pour leursdébouchés.; a contrario, des exemples locaux montrent que l’agriculturepeut créer dans certains contextes les conditions pour retirer l’avantageéconomique principal de ses productions.

    24 Synthèse

  • Un producteur parfois encadré dans ses choixpar ses financiers, fournisseurs et clientsLes agriculteurs sont techniquement aidés dans leurs choix par

    les Chambres d’Agriculture, les coopératives et instituts techniques.Cependant, l’agro-alimentaire et la grande distribution dictent souvent lescaractéristiques de produits de base et de pratiques en fonction desspécificités de leurs procédés de production (par exemple pour le lait, lesfruits et les céréales) et des longs transports auxquels ils ont recours : parexemple, une petite exploitation traditionnelle peut se voir mise enconcurrence avec des éleveurs extensifs ou des cultures très mécaniséesà des milliers de kilomètres de là. De leur côté, de grands offreurs deproduits phytosanitaires ou de semences peuvent aussi inciter fortementà certains choix (OGM par exemple). Enfin, certains exploitants peuventse trouver liés à des options technologiques du fait des sommes engagéesdans leurs investissements, même si leur intérêt direct les conduirait plutôtà évoluer vers d’autres options : ainsi, même dans des cas locaux demarge supérieure, la conversion d’élevages laitiers intensifs vers desméthodes plus extensives n’est pas fréquente.; autre exemple, les empruntsconsentis pour l’irrigation des maïs sont souvent trop lourds pour qu’unchangement de pratiques soit facilement envisagé par l’exploitant.

    Une tendance économique à l’industrialisationet à la banalisation des produitsLa plupart des demandes à l’agriculture s’organisent autour de

    quelques très grands acteurs captant une grande partie de la valeur ajoutéedes filières. Malgré la diversité initiale des terroirs, des espèces et despratiques, cette concentration des donneurs d’ordre tend, spécialité parspécialité (hormis pour des secteurs tels que vins ou fromages) àuniformiser les produits autour de variétés assez peu nombreuses, définiesà partir des procédés industriels et des coûts de production les moinsélevés possibles. À titre d’exemple, alors que 2000 variétés de pommiersexistaient à la fin du siècle dernier, seules quelques dizaines subsistaientdans les années soixante-dix, et aujourd’hui une seule variété représenteles deux-tiers de la production française. Le cheptel est largement dominépar quelques races, et les autres sont fortement menacées, malgré leurscaractéristiques valorisables. Parallèlement, dans le secteur forestier, surles quatorze variétés de merisiers sélectionnées par l’INRA, seules deuxsont effectivement cultivées, pour des raisons financières.

    Une demande sociale de différenciationet de retour aux terroirsDe la même façon que l’épisode des poulets aux hormones

    avait orienté le quart du marché vers les poulets labellisés, la crise de la«.vache folle.» a encore davantage tourné de nombreux consommateursvers des modes de production plus proches des fonctionnements naturels :ils associent en effet dans leur démarche le respect de l’environnementau respect de la santé du consommateur. Les productions biologiques ne

    25Synthèse

  • peuvent aujourd’hui satisfaire quantitativement cette demande.; en effet,longtemps discréditées en France aux yeux du reste des agriculteurs, ellesn’avaient pu développer suffisamment leur organisation et leur profession-nalisation : leurs importations quintuplèrent en un an (rapport [réf. 160].Les produits issus de circuits courts ou labellisés «.terroir.», les appella-tions d’origine contrôlée, connurent aussi un nouvel essor.

    Diversification et proximité semblaient à la fois gage desécurité pour soi-même et protestation contre une artificialisation perçuecomme outrancière. Elles correspondaient aussi à des organisationséconomiques rapprochant la valeur ajoutée des producteurs. Aussitôt, lesprincipaux distributeurs et industriels de l’agro-alimentaire ont repris etinterprété cette tendance de façons diverses, mettant en avant qui lesproduits biologiques, qui les origines géographiques des animaux (endehors des labels officiels existants), qui certaines caractéristiques despratiques (sans boues d’épandage par exemple), créant parfois leurspropres certifications en dehors de critères garantis de façon externe,notamment par l’État.

    Un enjeu crucial pour le commerce internationalLes produits agricoles et agro-alimentaires représentèrent en

    1996 le deuxième poste français d’excédent commercial (derrière letourisme), avec 53 milliards de francs dont deux-tiers apportés par lesproduits transformés. Au plan financier, l’intérêt national à l’export sesitue donc plutôt sur les produits élaborés que sur les produits de base,bien que la France soit le deuxième exportateur mondial de blé, farine,viande de volailles et viande bovine et le troisième exportateur de maïs.

    D’un point de vue collectif, les concours publics à la produc-tion agricole représentent 75 milliards de francs pour la France en 1996,financés à 80.% à travers l’Union européenne. Les productions bénéficiantle plus de ces aides ne sont pas toujours les plus performantes àl’exportation, ni celles dont les prélèvements sur les ressources duterritoire (eau, sols, biodiversité, pollutions, etc.) sont les moins élevés.Dans le cadre des interrogations actuelles sur la légitimité des aidespubliques aux agricultures, cette situation inéquitable est remise enquestion.

    Même si l’agriculture et l’agro-alimentaire confondus sontpassés de près de 12.% à moins de 6.% du PIB entre 1970 et 1995 (2,5.%pour l’agriculture proprement dite) [réf. 10], la France est le deuxièmeexportateur mondial agro-alimentaire (surtout de produits transformés),derrière les États-Unis.; les exportations françaises se font pour lestrois-quarts au sein de l’Union européenne. La rivalité est donc forte,comme le montrent les nombreux contentieux portés devant l’OMC. Parmiles points les plus difficiles, on trouve les régimes d’aides à l’agriculture :les aides à la production sur lesquelles repose la politique agricolecommune représentent globalement la moitié des revenus agricoles. Or,les accords issus de l’Uruguay Round ont encadré rigoureusement lestypes d’aides agricoles et condamnent les soutiens aux prix («.boîte

    26 Synthèse

  • rouge.»). Pour l’Union Européenne, la plupart des aides instituées par laréforme de 1992, soutenant les conditions de production, seront rediscu-tées en 2002 («.boîte bleue.»).; seules les aides directes sans lien avec laproduction sont autorisées après 2002 («.boîte verte.»). Moteur de cetteévolution, les États-Unis ont fortement réformé leur politique agricole en1995 (Fair Act).; ils semblaient jusqu’à présent compter sur la croissancede la demande alimentaire mondiale et une pénétration accrue des produitsaméricains pour équilibrer financièrement leurs principales exploitationset filières, dans une logique de compétition fondée essentiellement sur lesprix. La récente chute des cours du porc et du maïs pourrait modifiercette orientation.

    Les différences entre les pratiques sanitaires des États-Unis etde l’Europe constituent un deuxième point délicat. Elles apparaissent àtravers les questions des hormones auxiliaires de croissance animale, desfromages au lait cru, des pratiques d’élevage. Les méthodes américainesnotamment sont moins sévères sur les conditions d’élevage des animauxet de fabrication des produits laitiers, supposant qu’une désinfection finaleradicale offre une garantie sanitaire suffisante même au détriment desqualités organoleptiques.; au contraire, l’Europe a choisi de porter uneattention forte à l’ensemble de la chaîne par l’intermédiaire de contrôlespublics (ce qui renchérit le processus), considérant que sans cela, undéfaut toujours possible dans l’asepsie finale serait d’autant plus dange-reux pour le consommateur. Effectivement, les intoxications alimentairesmortelles semblent proportionnellement plus nombreuses aux États-Unis.

    Or, l’article 20 de l’OMC n’autorise comme régulations deséchanges que celles fondées sur la protection de la santé, du patrimoineculturel ou de l’environnement dans le pays importateur. Ces points sonten discussion au sujet des organismes végétaux génétiquement modifiés,des viandes hormonées, etc.. Rappelons que la mention des spécificitésculturelles dans la caractérisation des produits alimentaires a été suppri-mée lors des travaux préparatoires au sommet de la FAO de décembre1997 à la demande des États-Unis, qui ne voient là qu’entraves auxéchanges.

    Schématiquement, une tension s’est donc instaurée entre d’unepart la demande sociale européenne d’identification et de proximitéterritoriales des produits agro-alimentaires, favorisant une diversificationet des prix élevés à l’intérieur de l’Union européenne dans une optiqueproche de celle des PAC successives, et d’autre part la dynamique demarchés de commodités qui s’exprime dans les positions des États-Uniset du groupe de Cairns. Sauf construction d’une voie européenneréglementaire, le choix individuel des consommateurs se retrouve doncune fois encore au centre des enjeux : sera-t-il guidé seulement par desconsidérations de prix ou par d’autres critères.? La gestion du territoiren’est-elle pas avant tout une décision à prendre par les citoyens [réf. 44].?

    27Synthèse

  • Une représentation politique encore puissante,dont les fondements sociologiques se modifientLa tendance constante à l’urbanisation habituellement décrite

    est en fait depuis 1975 une croissance plutôt périurbaine qu’urbaine.; elles’accompagne depuis 1980 d’une légère remontée des populations rurales(au sens de l’INSEE). Mais les agriculteurs ont perdu plus de deuxmillions de personnes depuis 1954.; ils sont passés de 50.% de lapopulation active au début du siècle à 4.% en 1995. Les élus locaux rurauxsont de moins en moins directement liés aux agriculteurs, et sont doncporteurs d’une demande moins sectorielle, davantage tournée vers desobjectifs plus généraux sociaux et territoriaux. En outre, les agriculteurscontraints à abandonner leur exploitation n’ont plus comme pendant les«.Trente Glorieuses.» l’assurance de trouver un nouveau travail dansl’industrie et les services [réf. 91].; la question sociale agricole ne se posedonc plus dans les mêmes termes par rapport à la course à la productivité.

    Une réforme de 1992 aux signauxenvironnementaux insuffisantsComme le souligne l’Agenda 2000 : «.Les effets de la réforme

    sur l’environnement sont mitigés. Certains éléments positifs peuvent êtrenotés, à savoir : une utilisation plus rationnelle des engrais et despesticides due aux baisses de prix, les avantages éventuels engendrés parle gel des terres pour l’environnement (si le système est bien géré), desincitations financières à une amélioration à long terme de la répartitionde l’élevage de bétail sur le territoire. Ces effets comprennent aussi desaspects négatifs, principalement une incitation à l’irrigation des culturespar le biais de la décision française de régionalisation des paiementsdirects pour la production de céréales, d’oléagineux et de protéagineux,ainsi que l’avantage relatif conféré à l’élevage intensif grâce à l’abaisse-ment des prix des aliments et l’octroi d’aides pour la productiond’ensilage.». Malgré la mise en œuvre des mesures agri-environnementa-les, de portée marginale par rapport au corps de la PAC (12.% des aidesdirectes en 1991 en incluant les mesures de compensation des handicapsgéographiques, 6.% en 1997), les orientations retenues jusqu’ici nepermettent pas d’intégrer véritablement les préoccupations d’environne-ment et de gestion du territoire dans les choix agricoles.; elles devrontévoluer fortement pour répondre au nouveau contexte.

    28 Synthèse

  • Agriculture et environnement :des questions indissociablespar nature dans un développementdurable

    L’objectif de productivité fixé à l’agriculture européenne s’esttraduit par un large recours, sur une grande partie du territoire, à destechniques nouvelles (mécanisation, remembrement et concentration, amé-liorations sanitaires, utilisation abondante d’amendements, d’engrais et deproduits phytosanitaires, forte augmentation des élevages hors sol) qui ontpermis d’accroître considérablement les productions, sur des surfacespourtant réduites. Entre 1950 et 1995, les rendements moyens à l’hectareont triplé pour le blé tendre, le colza et l’avoine, quadruplé pour l’orgeet la tomate, sextuplé pour le maïs.; ils ont plus que doublé pour laproduction laitière par vache et par brebis dans la même période. Chaqueagriculteur français nourrit près de 60 personnes aujourd’hui contre unedizaine après 1945 [réf. 10].

    Pour ce qui concerne les pratiques intensives, cette perfor-mance a été atteinte au prix d’une forte consommation des ressourcesnaturelles du territoire et de l’élimination des variétés rustiques tradition-nelles au profit de celles de plus haut rendement. Les technologiesutilisées ont énormément accru leur puissance, souvent sans que leursconséquences aient été anticipées, ni maîtrisées a posteriori par lesexploitants et les pouvoirs publics. Aujourd’hui, établir un diagnostic clairdes excès et erreurs à réparer dans leur ensemble doit contribuer à éviterau mieux les effets pervers d’une compréhension trop sectorielle desphénomènes en jeu, tant biologiques qu’économiques et sociaux. Lesdommages causés dans certaines zones par les vingt dernières annéesdemanderont plusieurs décennies pour être réparés.; il s’agit donc decommencer rapidement.

    Sauf dans l’expression «.territoire national.», nous appelons iciterritoire un ensemble géographique d’un seul tenant, support de ressour-ces naturelles (sols, eau, écosystèmes, espèces) utilisées conjointement pardes acteurs socio-économiques (qu’ils y demeurent ou non) qui dépendentdonc les uns des autres pour la durabilité de leurs activités, parl’intermédiaire des quantités et qualités disponibles de ces ressources.

    Le premier utilisateur d’espacesL’agriculture occupe 56.% du territoire national, les forêts

    27.%, les zones agricoles non cultivées 5.%.; l’influence agricole sur lescampagnes françaises est donc déterminante. Elle s’exerce d’abord sur lesmilieux naturels et les fonctionnements écosystémiques : si la surfaceagricole a diminué de 25.% (6Mha) de 1950 à 1994 au profit essentieldes villes et des forêts, 2Mha de zones humides ont été drainés ouasséchés (environ la moitié des zones humides nationales, 8.% de la SAU)

    29Synthèse

  • entre 1970 et 1995 [réf. 8].; or ces milieux jouent notamment un rôleépurateur (dénitrification) et régulateur de crues et sont d’une granderichesse biologique [réf. 44]. Dans la même période, 25.% des prairiesnaturelles (3,5Mha) ont disparu ainsi que de nombreuses surfaces toujoursen herbe, essentiellement du fait de l’avancée des céréales et de la dépriseagricole.

    En termes d’analyse de cycle de vie, nous devons inclure dansl’espace requis par la fabrication d’un produit agro-alimentaire les terresqui fournissent les intrants et les exutoires nécessaires : ainsi, l’élevagehors sol implique l’exploitation des surfaces de maïs ensilage, de soja etd’épandage qui entrent dans le fonctionnement de la filière.; cetteutilisation de l’espace doit donc lui être rattachée. Autre exemple, chaquelitre de jus fabriqué à partir d’oranges brésiliennes et bu en Europereprésente un peu plus d’un mètre carré d’orangeraies (plus 22 litres d’eauet 100g de pétrole), ce qui pour la consommation allemande correspondraità 150.000 hectares [réf. 79] p64), le triple de sa propre superficie en fruitiers.

    La France est moins intensément exposée à l’érosion diffuseque par exemple l’Italie, ou les États-Unis dont 44.% des sols cultivés sedégradent plus vite qu’ils ne se renouvellent. Néanmoins, ce phénomèneapparu dans les zones méditerranéennes émerge dans les grandes cultures,passant de 2,7 millions d’hectares concernés dans les années cinquante à5 millions d’hectares aujourd’hui, avec des intensités diverses [réf. 8].

    Plus profondément, les sols peuvent être modifiés dans leurtexture et leur fonctionnement par certaines pratiques. Les facilitésqu’apportent les intrants, notamment les fertilisants, ont vraisemblable-ment peu à peu masqué à un grand nombre de praticiens l’intérêt quotidienpour la durabilité des exploitations de connaître, observer et ménager lefonctionnement biologique des sols. Parmi les risques encourus et parfoisobservés, citons :– l’accroissement des coulées de boues.;– la destruction de la faune (lombrics, microfaune) par les produitsphytosanitaires et les métaux lourds comme le cuivre.;– le compactage et la fossilisation par tassement avec des engins lourdset par précipitation des carbonates dans un pH devenu alcalin du fait desengrais (à l’origine par exemple d’une diminution du rendement decertains vignobles).;– la salinisation des sols par pompage excessif (souvent dû à l’irrigation)et la remontée de la nappe phréatique, qui sous climat chaud et secs’évapore et dépose ses sels en surface.;– le stockage de métaux (Cu, Cd, Zn, etc.) importés par les lisiers, fumierset fientes, les boues urbaines ou agro-alimentaires et certains produits(sulfate de cuivre de la «.bouillie bordelaise.» par exemple), immobilisésaujourd’hui grâce au pH alcalin des sols. Au Danemark par exemple, lesteneurs en cuivre relevées sont en moyenne de 86mg/kg dans les fumiers,265 dans les lisiers et 1744 dans les boues d’épuration. Les teneursatteintes par certains sols pourraient ainsi entraîner à moyenne échéance(moins de 20 ans) une phytotoxicité de longue durée pour les terrescorrespondantes, sauf intervention de dépollution lourde.

    30 Synthèse

  • Les paysages ruraux, construits au cours des siècles par lesactivités agricoles, ont été profondément marqués par cette évolution :changements d’affectation des espaces, remembrements, déboisements etarrachages des haies, entraînant des perturbations des faunes et floresassociées, des régimes de vent et d’hygrométrie, de l’hydraulique diffuseet de l’état des sols (érosion). Or, les paysages perçus comme tradition-nels, notamment le bocage, sont essentiels pour l’attrait touristique d’unerégion et souvent la qualité du cadre de vie.; de plus, ils permettent deréguler les cycles de l’eau et les équilibres faunistiques. Lorsque lesactivités agricoles respectent ce patrimoine et contribuent à l’entretenir,elles ajoutent localement une valeur économique, sociale et environne-mentale au seul acte de production, et cette valeur bénéficie à tous lesautres acteurs (image, attractivité touristique, ressources naturelles etproduits de qualité).

    Un important utilisateur d’eauEn quantitéAu plan mondial, l’agriculture est la première activité humaine

    pour la consommation d’eau, à hauteur de 90.%, essentiellement à desfins d’irrigation (70.%). Malgré l’absence de comptage systématique, onestime que l’agriculture française utilise environ 5,6 milliards de m3 d’eaupar an, soit 12.% des prélèvements nationaux (30.% hors nucléaire, quilui représente 61.% du prélèvement national), essentiellement en eauxsuperficielles (88.%), mais 43.% de la consommation du pays (quantiténon restituée immédiatement au milieu) [réf. 124]. Sur les 5,6 milliardsde m3 prélevés, 3 sont consacrés à l’irrigation, dont 1 à partir des eauxsouterraines [réf. 123]. Suivant les lieux, elle représente 50 à 80.% desprélèvements en eau, surtout en été. Les superficies irriguées ont tripléde 1970 à 1995, couvrant aujourd’hui 1,6 million d’hectares sur les 30de la SAU [réf. 8].

    Or, en Europe, les effets du réchauffement planétaire (2 à2,5°C de plus au cours du prochain siècle) pourraient induire unediminution des précipitations de 10 à 20.% dans les 40 prochaines années,et jusqu’à 30.% autour du bassin méditerranéen. C’est dire que lestensions autour des ressources hydriques du fait des besoins agricolesrisquent de s’intensifier, rendant de plus en plus nécessaire, même dansdes zones jusqu’ici épargnées, la généralisation de techniques trèséconomes en eau.

    En qualitéLes pratiques agricoles, surtout intensives, consomment de

    nombreux intrants ou émettent des quantités importantes de polluants.

    • Les engrais sont utilisés pour régulariser les quantitésproduites et les accroître. La France est le deuxième utilisateur d’engraismondial (3,6 millions de tonnes d’apports azotés en 1995, dont 37.%d’origine animale) [réf. 40]. Entre 1960 et 1994, la consommation

    31Synthèse

  • française d’engrais chimiques a doublé, tandis que les engrais d’origineanimale restaient stables, mais se concentraient dans certaines régions(notamment en Bretagne). 63.% du territoire est en situation d’excédentazoté (plus de 170 kg d’azote apportés par hectare selon la directive91/676) selon [réf. 8]. Les principaux problèmes issus des surfertilisationsde précaution, fréquentes, viennent des éléments nutritifs eux-mêmes,nitrates et phosphates. Leur excès provoque la dystrophisation des rivières,plans d’eau et littoraux (explosion des algues consommatrices de cesnutriments, putréfaction et réduction de l’oxygène de l’eau, mort des êtresvivants ayant besoin d’oxygène). Il peut aussi stimuler la prolifération demicroalgues toxiques (cyanophycées, dinophysis, botulisme) comme dansle cas du lac de Grand-Lieu (Loire-Atlantique : 50.000 oiseaux empoi-sonnés en 1996) ou des rivages du Calvados en 1998, avec les difficultésconsécutives pour les activités notamment touristiques et conchylicoles.

    Nitrates et phosphates sont aussi rejetés par les eaux résiduai-res urbaines, mais de nombreuses communes ont aujourd’hui une stationd’épuration, ce qui fait de l’agriculture le principal émetteur globald’azote (65.%) et le deuxième pour le phosphore (20.%) [réf. 124]. Alorsqu’en milieu naturel non touché par une pollution, on mesure en généralau plus 5mg/l d’azote, le quart des nappes phréatiques européennesdépassent 50mg/l, et 45.% s’établissent entre 25 et 50mg/l. On trouve lessituations européennes connues les plus graves aux Pays-Bas, avec desteneurs pouvant aller jusqu’à 200, voire 400mg/l.

    • De nombreux produits phytosanitaires ont été mis au pointpour réduire les aléas auxquels sont soumises les productions agricoles.La France (95.000t) en est le troisième utilisateur mondial.; la seuledonnée des tonnages représente cependant assez mal les impacts environ-nementaux éventuels, car les molécules utilisées peuvent présenter uneefficacité accrue pour des quantités réduites, et les dommages provoquéspar un emploi mal informé ou excessif en sont d’autant plus grands. Entre1960 et 1996, la consommation nationale de produits phytosanitaires aété multipliée par 8, pour un triplement moyen de la production agricole.

    Herbicides et pesticides comptent aujourd’hui plus de 900molécules différentes (1200 aux États-Unis pour les seuls pesticides), deplus en plus sélectives et efficaces à faible doses, mais aussi de moinsen moins facilement détectables et extractibles de l’eau (car hydrosolu-bles). De plus, la formation et les incitations des agriculteurs ne les ontpas conduits en général à préférer les produits les moins dangereux,souvent plus chers et plus difficiles à utiliser.; c’est pourquoi au débutdes années quatre-vingt-dix se sont développées en France les opérationsvolontaires «.Phytomieux.», destinées à corriger ces habitudes. Au-jourd’hui, 72.% des habitants de la Bretagne et 45.% de ceux de la régionLoire-Bretagne avant traitement, 7.% de ceux du Bassin Seine-Normandieaprès traitement [réf. 172], ont à leur disposition de l’eau dépassant leseuil de 0,1µg/l de produits phytosanitaires (seuil de détection). Certainscaptages présentent des teneurs atteignant 20 à 30 fois la norme [réf. 124].

    Il est difficile aujourd’hui d’évaluer le risque sanitaire induitpar ces substances résiduelles, bien que de nombreux cas de cancérogé-

    32 Synthèse

  • nicité par exposition directe prolongée soient connus chez ceux quimanipulent ces produits. Le risque environnemental le plus élevé provientdes insecticides organochlorés (ex : pour les poissons d’eau douce, laCL50 de la deltaméthrine est de 0,1ppb) et des fongicides organomercu-riels (ex : acétate de phénylmercure). Enfin, l’utilisation intense de cesproduits a déjà induit de nombreuses résistances chez les insectes (plusde la moitié des espèces résistent par exemple au DDT et aux organo-phosphorés, moins aux carbamates et pyréthrinoïdes), les champignons(plus de 150 pathogènes possèdent au moins un type résistant) et lesadventices (même le glyphosate a déjà sélectionné des herbes résistantes,observées en Australie en 1998). Compte tenu des dégâts potentiels deces produits sur les écosystèmes et la santé, les conditions d’autorisationpour leur mise sur le marché ne peuvent que se renforcer.; c’est ce queprévoient les projets communautaires. La question des responsabilitésassociées n’est pas tranchée. La réponse des producteurs sera-t-elle alorsune diversification des produits les moins agressifs, dans une stratégie deniches que semble dessiner l’évolution des agriculteurs, ou une restrictionde la recherche et des efforts de commercialisation aux seuls produits demasse les plus rentables.?

    Du point de vue de l’environnement industriel, la fabricationdes produits phytosanitaires est une activité à risques (facilement déloca-lisable tant pour les installations que pour les produits interdits dans lespays de l’OCDE), comme le montrent les accidents de Bâle (Sandoz,1986, incendie et pollution du Rhin), de Seveso (Icmesa, 1986), de Bhopal(Union Carbide, fuite d’isocyanate de méthyle en 1984, au moins 6000morts, 600.000 personnes atteintes, 5 morts par semaine en moyenneactuellement), ou ceux qui semblent devenir de plus en plus réguliers dansles entreprises américaines (rapports de 1990 et 1994 cités par [réf. 112].

    • De grandes quantités de déjections animales accompagnentles élevages intensifs : 280 millions de tonnes de fumiers, fientes et lisierspar an, dont 25 millions de tonnes de lisiers de porcs. Elles sont depuistoujours utilisées comme engrais organiques. Les principales difficultésliées à un épandage trop abondant de ces substances sont :– les excès de nitrates et phosphates dans les zones dites d’excédentsstructurels (Drôme, Loire-Bretagne), en particulier lorsqu’engrais chimi-ques et organiques sont employés simultanément par une pratique peuaffinée.; en effet, 50.% de la production nationale de porcs et de volailleset 40.% de la production bovine sont concentrés sur 6 à 8.% du territoire.;– les accumulations de métaux dans ces zones, provenant des complé-mentations alimentaires des animaux (Cu, Zn), et dont les effets sontétudiés depuis longtemps (voir par exemple [réf. 7].;– les résidus d’antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance etprotection permanente des animaux d’élevage (susceptibles de disséminerdes résistances à ces médicaments via les microflores intestinales desanimaux puis du sol.; voir plus loin). La multiplication des résistancesaux antibiotiques chez les humains est d’abord due, et de loin, à un usageimmodéré de ces substances comme médicaments pour eux-mêmes (60.%de tuberculoses résistantes aux USA contre 5.% au Kenya, découverte auJapon en 1997 d’un staphylocoque résistant à tous les antibiotiques, etc.).

    33Synthèse

  • Mais comme depuis 20 ans, aucune nouvelle famille d’antibiotiques n’aété découverte, toute contribution à cet appauvrissement de nos ressourcesen médicaments est nuisible pour la santé publique.

    Pour respecter les normes de potabilité de l’eau (50mg/l denitrates par exemple), les dépenses publiques s’accroissent : la dénitrifi-cation communale coûte de 300 à 600 F par an et par ménage, laconsommation d’eau minérale revient de 1000 à 4000 F le mètre cube.Les autres activités économiques dépendant de la qualité de l’eaudisponible se voient aussi entravées : le tourisme bien sûr (explosionsalgaires et bactériennes des littoraux ou des lacs), mais aussi les culturesde coquillages, les élevages de poissons, les industries agro-alimentaires,les exploitations biologiques dont l’eau ne doit pas contenir de résidus dephytosanitaires ou d’engrais. Pour les agriculteurs eux-mêmes, la pertedes nitrates en excès par ruissellement ou infiltration correspondraitcouramment à 25.% des fertilisants, soit 40 à 80 F par hectare. En France,les pratiques économes en fertilisants concernaient en 1997 4.% de laSAU (1,6 million d’hectares, 20.000 agriculteurs.; à titre de comparaison,les zones vulnérables du point de vue de la pollution azotée constatéereprésentent 16 Mha) avec les cahiers des charges «.Fertimieux.», lancésen 1991.; d’autres opérations volontaires, très diverses et en coursd’inventaire, existent sur une grande partie de la SAU. Pour répondre àleur situation très dégradée, les Pays-Bas ont remplacé la comptabilitélisier depuis le 1er janvier 1998 par un système de déclaration desminéraux (bilan minéral MINAS) auquel sont soumis tous les éleveursproduisant plus de 102,5 kg/ha de phosphates.

    Pour évacuer les déjections quand la capacité d’absorption desécosystèmes est dépassée, les agriculteurs sont conduits à éliminer unepartie des nitrates avant épandage, précisément les éléments qui justi-fiaient leur utilisation comme fertilisants. Pour les excédents de lisiers,fumiers et fientes, nous sommes donc ici devant «.une substance dont sondétenteur est tenu ou désireux de se débarrasser.» faute de lui trouverlocalement un débouché, c’est-à-dire la définition européenne du déchet(directive 75/442/CEE), [réf. 69].

    • Enfin, avec les prélèvements accrus dans les nappes, leséquilibres de solubilité des métaux lourds fixés dans les sols encaissantspeuvent être modifiés et rendre ces eaux impropres à la consommationhumaine. La qualité des eaux pour la production d’eau potable estsurveillée en France, mais des ressources profondes ainsi perturbéespourraient devenir inutilisables sans traitement approprié. Un exemplecatastrophique est fourni par le Bengladesh, où plusieurs millions depersonnes ont été intoxiquées par une remobilisation d’arsenic.

    Nous constatons donc que certaines pratiques, mal maîtrisées,peuvent menacer des ressources importantes pour le développement local,voire pour leur propre acceptabilité et leur durabilité économique : le sol,l’eau, les paysages, le fonctionnement des écosystèmes.

    34 Synthèse

  • Des impacts contrastés sur l’airPesticides, méthane, oxydes d’azote,combustibles fossilesUne attention récente en France s’est portée sur les pesticides

    présents dans l’air : triazines et organochlorés notamment participentd’une pollution chronique de l’air, y compris dans les villes. En effet, 30à 75.% des produits épandus, suivant les conditions météorologiques etles pulvérisateurs utilisés, repartent dans l’atmosphère, soit par évapora-tion directe à l’aspersion, soit à partir du sol après application. Atrazine,dinoterbe et alachlore peuvent être mesurés dans des eaux de pluie à desconcentrations de 1 à 2µg/l.; nous n’avons pas trouvé d’étude des effetssanitaires de cette exposition permanente à de faibles doses pour le grandpublic. En revanche, les effets de l’exposition professionnelle à cesproduits sont suivis et commencent à être connus (MSA).; des étudesépidémiologiques sont en cours.

    De plus, l’agriculture joue un certain rôle dans l’intensificationde l’effet de serre, surtout par le méthane (53.% du méthane français, soit15.% de la contribution nationale au changement climatique, provenant à 90.%de la rumination des bovins – en diminution avec le cheptel-), mais aussipar la consommation de combustibles fossiles liée à la fabrication desengrais et pesticides (CO2, non évalué), et le relargage de N2O (27.% duN2O national) par la nitrification des matières azotées dans le sol [réf. 8].

    Enfin, l’agriculture contribue de façon importante à la pollu-tion acide locale, la réduction de l’azote des déjections animales apportant97.% des émissions nationales d’ammoniac (NH3, en augmentation avecle cheptel, comme le N2O). De plus, cette acidification provoque unecarence en calcium qui affaiblit la résistance des cultures.

    Carbone renouvelableLes cultures proposent aussi des réponses partielles aux problè-

    mes soulevés par le changement climatique, avec la production de biocarbu-rants dont le carbone ne se stocke pas dans l’atmosphère (cycle du carbonebiologique). Cette production suppose un arbitrage dans l’affectation dessurfaces entre production alimentaire, forêts, jachère et biomasse énergétique[réf. 75].; à titre d’illustration, additionner de 30.% de diméthyléther de colzala consommation de gazole française utiliserait toute la surface agricole utilenationale [réf. 68]. Le bilan économique de l’opération, relativement auxcoûts des productions équivalentes dans d’autres régions du globe (États-Unispar exemple), doit aussi être pris en considération.

    Un domaine très lié à la santé humaineL’effet ESBLes aliments deviennent la substance-même de ceux qui les

    ingèrent. Les questions sanitaires et alimentaires sont donc totalementliées. L’organisation sanitaire française a pris cette question très au

    35Synthèse

  • sérieux, et les normes recommandées figurent parmi les plus sévères dumonde, tout au long de la chaîne de production. La santé est doncconsidérée comme un dû par les consommateurs.

    Dans l’affaire de la «.vache folle.», les pressions subies par laCommission européenne et les hésitations ressenties par le public à faireprimer la santé publique sur des intérêts commerciaux ont aggravé unenouvelle impression d’insécurité et d’opacité. En outre, que des herbivoresaient été conduits à se nourrir de viande pour améliorer leur rendementprotéinique choqua plus d’un consommateur. Du fait de la recherche durisque zéro en France pour l’alimentation [réf. 178], les troupeauxcontaminés y furent abattus et les cas de maladie beaucoup moinsnombreux qu’en Grande-Bretagne. Les derniers développements scientifi-ques sur la longue durée d’incubation possible de la maladie et l’éven-tualité de sa transmission par des animaux porteurs sains (volailles, porcs,poissons) renforcent néanmoins l’attention portée au sujet.

    L’entrée de la «.traçabilité.» dans le discoursgénéralQuels que soient les mécanismes d’activation et de transmis-

    sion des prions, et malgré tout ce que la technique a pu apporter en réellesécurité sanitaire pour les aliments, l’ESB a renforcé chez les consomma-teurs le lien plus ou moins consciemment établi depuis les années soixante(résidus de pesticides dans les aliments, hormones dans la viande) entrepratiques perçues comme traditionnelles, respect de l’environnement etsouci de la santé des individus. Tous les acteurs économiques del’agro-alimentaire, depuis la production de base jusqu’à la distribution,perçurent l’impératif de rassurer leurs clients en garantissant qui l’origine,qui le mode d’élaboration de leurs marchandises : le terme de traçabilité,pratique jusqu’alors mentionnée strictement par les professionnels, s’im-posa chez tous les acteurs, parfois comme synonyme de procédure de suiviet de garantie d’origine. Mais suivi de quoi, pour qui, par qui.? Qu’ya-t-il et doit-il avoir de commun entre la qualité gustative d’un aliment,sa sécurité sanitaire, et sa production plus ou moins environnementalementcorrecte.? Nous essaierons de traiter ce sujet plus loin.

    Le premier utilisateur d’écosystèmeset de diversité biologiqueAgriculture et biodiversité :exploitation minière ou gestion prudente.?La première fonction assignée à l’agriculture est de produire

    des aliments à partir du fonctionnement d’écosystèmes plus ou moinstransformés. La pratique agronomique comme les principaux efforts de larecherche publique ont donc été tournés vers l’obtention de hautsrendements par hectare, avec les conséquences suivantes :– mise en culture ou en élevage intensif de milieux naturels à faune etflore particulières (marais, prairies humides, etc) par drainage.;

    36 Synthèse

  • – éviction progressive de nombreuses variétés rustiques animales etvégétales (90.% des lignées de maïs précoce en Europe sont issues d’uneseule population, 98.% des vaches laitières de race pure sont issues detrois races).;– destruction d’adventices concurrentes pour les nutriments du sol ougênants pour la mécanisation des pratiques.;– élimination chimique d’insectes entraînant (avec l’arrachage des haies)la disparition de leurs prédateurs naturels (oiseaux, serpents, mammifèresinsectivores, puis prédateurs de rang supérieur).;– pollution et appauvrissement des cours d’eau par ruissellement d’en-grais et de phytosanitaires, – dystrophisation voire empoisonnement demilieux aquatiques (Cyanophycées, botulisme, Pfisteria piscicida sur deslittoraux américains, etc.).

    Le bilan global des trente dernières années de l’agriculture surla biodiversité n’est pas bon du point de vue de la biodiversité, qu’ils’agisse des espèces naturelles ou cultivées et domestiques ([réf. 7],[réf. 8], etc.). Certes, les bouleversements des écosystèmes et leuruniformisation ont été beaucoup plus accentués dans d’autres régions, enEurope et hors d’Europe, qu’en France. Mais sur les 109 espèces animalesidentifiées menacées sur le territoire national (un cinquième de la faunevertébrée, un tiers des amphibiens, un quart des mammifères et poissonsd’eau douce), les pratiques agricoles en touchent une quarantaine (18menacées et 22 vulnérables, [réf. 8]. Les races domestiques ont aussi étéappauvries : la France est passée de trente races bovines en 1950 à 70.%de son cheptel en frisonne/holstein et charolaise aujourd’hui. Autresexemples, aux États-Unis, 2 variétés de blé occupent 40.% des terres, 2variétés de petits pois représentent 96.% de la production, 4 variétés depommes de terre assurent les trois-quarts de la récolte.

    Cinq préoccupations au moins doivent être alors traitées dupoint de vue de la nature, capital premier de l’agriculture :– le maintien d’un bon fonctionnement minimal des écosystèmes locaux,transformés ou non, dont l’association garantit le fonctionnement généraldes cycles biologiques.;– la multiplication de microorganismes pathogènes dont les prédateursnaturels ont été détruits par les modifications des biotopes.;– le potentiel de résistance des espèces cultivées aux aléas biologiquesou climatiques, car la sélection sur la seule base du rendement conduit àaffaiblir d’autres caractéristiques. Cette interrogation est potentiellementalourdie par les éventuelles utilisations futures de clonages animaux àgrande échelle, qui appauvriraient encore la variabilité génétique intras-pécifique.;– l’atteinte à d’autres activités économiques (tourisme, autres cultures,etc.) par perturbation des écosystèmes sur lesquels elles reposent.;– la mise en danger du patrimoine que représente la biodiversité et sesrythmes habituels d’évolution.

    À plus long terme, c’est l’adaptation de ces espèces sélection-nées aux conséquences du changement climatique (températures, régimeshygrométriques, parasites nouveaux) qui pose question : disposera-t-on

    37Synthèse

  • encore de la variabilité génétique suffisante pour éviter d’importantespertes éventuelles, d’origine peu prévisible aujourd’hui, vu le rythmeassez lent auquel s’adaptent les organismes.? Il ne suffit pas de conserverartificiellement des patrimoines génétiques pour assurer la relève biologi-que éventuellement nécessaire, le moment venu.

    Il peut s’agir aussi d’évaluer les risques écologiques, écono-miques et politiques d’une banalisation totale des produits agricoles.Certaines perspectives les envisagent peu à peu réduits pour leur grandemajorité à une production de biomasse indifférenciée et à très basse valeurajoutée au niveau du producteur, ensuite complémentée, additivée, tra-vaillée dans sa consistance et son aspect pour fournir les produitsagro-alimentaires. Une telle tendance, même incomplètement réalisée, nonseulement appauvrirait considérablement la diversité écosystémique, avecles implications que l’on peut imaginer sur les sols et l’évolution desespèces, mais accroîtrait également la dépendance économique des agri-culteurs, la pauvreté et la fragilité politique des pays en développement[réf. 159] et réduirait fortement la liberté effective de choix desconsommateurs (pour la nourriture) et des citoyens (pour leur cadre devie).

    Les OGM : subis ou choisis.?Les agriculteurs se sont vu proposer récemment des semences

    génétiquement modifiées pour résister à un herbicide ou à un ravageur.Sans entrer dans le détail de ce sujet difficile, traité plus longuement dansle corps du rapport et récemment développé avec la Conférence deCitoyens [réf. 49], nous tenons à souligner ici quelques points, directementliés aux questions de biodiversité.

    • Les modifications génétiques permettront sans doute d’ob-tenir, plus facilement que par les sélections classiques, des variétésintéressantes pour les consommateurs (qualités nutritionnelles et gustati-ves) voire pour les pays en développement (résistance du riz au tungro,variétés résistantes à la salinisation, à la sécheresse). Néanmoins, leurrelative facilité d’obtention et la synergie commerciale avec des produitsphytosanitaires a conduit presque dans tous les cas les entreprisesconcernées à privilégier des résistances à leurs produits, vendus ensuitesimultanément aux semences. De plus, la stérilisation des semencesmodifiées, qui pourrait être souhaitable d’un point de vue environnemen-tal, favorise la concentration du secteur et la dépendance des agriculteursvis-à-vis de ces firmes.

    • Laisser dans la plante un gène de résistance à un antibiotiquene nous paraît pas acceptable [réf. 49], compte tenu des transfertspossibles entre espèces dans la microfaune du sol, aux bactéries acido-ré-sistantes des bovins nourris aux grains, ainsi qu’aux bactéries du tubedigestif chez l’être humain. Nous avons vu que les molécules antibiotiquesdisponibles restent en nombre limité. Les semences autorisées quiprésenteraient de telles résistances devraient donc être soit modifiées, soit

    38 Synthèse

  • retirées, pour ne pas risquer d’accélérer même faiblement la péremptionde ce patrimoine médical.

    • La résistance aux herbicides de variétés cultivées ne semblepermettre effectivement une moindre utilisation de phytosanitaires quedans des conditions particulières (expériences INRA), notamment au prixd’une formation poussée des agriculteurs qui évite la poursuite destraitements «.de sécurité.». D’autre part, autoriser une résistance à unherbicide conduit à en autoriser plusieurs présentant les mêmes garantiesspécifiques.; des variétés cultivées ou des adventices cousines pourrontalors acquérir des résistances multiples [réf. 131] : en cas d’invasiond’autres cultures ou en cas d’assolement, s’en débarrasser deviendra deplus en plus difficile et provoquera plusieurs passages d’herbicidesdifférents, ce qui fera perdre l’avantage attendu. L’autorisation par laCommission européenne (décision 98/291/CE, JOCE L131 du 05/05/98)de cultiver un colza modifié, espèce possédant des adventices cousines,introduit ce risque qui n’existait pas sous nos climats avec le maïs. Il sepourrait qu’il faille donc préventivement accompagner l’autorisation d’unetelle résistance d’un régime de concession (monopole local de la résis-tance) avec encadrement des prix pour en éviter les effets pervers.

    • La résistance aux ravageurs, introduite pour diminuer lebesoin d’épandre les insecticides correspondants, pose aussi le problèmede l’évolution adaptative des dits-ravageurs. Or l’extrapolation desexpérimentations de laboratoire au plein champ n’est pas évidente.; on apu observer qu’une résistance apparue très localement dans une populationde moustiques ne mit que trois ans à se diffuser à l’échelle du globe [réf.132]. De plus, seuls 200.000 hectares de maïs en France sur 3,3 millionssont régulièrement exposés à la Pyrale, et ses attaques y causent enmoyenne nettement moins de 10.% de pertes [réf. 158], [réf. 131], soitenviron 0,5.% de la récolte totale, ce qui réduit l’intérêt économique dela semence pour les agriculteurs. Enfin, supprimer l’action d’un prédateursur une espèce, même si elle paraît gênante pour l’exploitant, peut amenerdes effets en retour inattendus par déséquilibre biologique : c’est ce quiest advenu avec l’algue Caulerpa taxifolia, importée par erreur enMéditerranée sans son prédateur naturel, et dont l’extension, bien que plusfacilement observable que dans un écosystème terrestre, n’a pourtant paspu être jusqu’ici endiguée.; des exemples terrestres existent aussi.

    En outre, pour ces autres ravageurs que sont les champignons,le traitement fongicide est rentable une année sur trois sur espèce normaleet une année sur douze sur espèce résistante au parasite, ce qui risqued’entraîner dans les deux cas des traitements «.de sécurité.» chaque annéede la part des agriculteurs, pour un bilan environnemental flou.

    Or, la recherche publique et privée a beaucoup négligé laconnaissance des systèmes biologiques, y compris pédologiques, au profitdes recherches plus directement opérationnelles. Nous n’avons donc pasaujourd’hui les outils permettant d’anticiper le type de risque encouru.Les pouvoirs publics ne disposent donc pas non plus des capacitésd’expertise propres permettant de vérifier les résultats présentés par lesindustriels.

    39Synthèse

  • • La réglementation des OGM a d’abord porté sur leurutilisation confinée (laboratoires, réacteurs) qui était la seule explicite-ment envisagée par les chercheurs jusque tout récemment (directive90/220). Les risques sont très différents lorsqu’il s’agit de disséminer enchamp ouvert des organismes modifiés (directive 90/221) : il ne peut plusêtre question de contrôler d’éventuelles «.fuites.», mais de s’assurer quel’on dispose bien des moyens de contrôler, voire de supprimer le caséchéant la cause éventuelle de dommages importants et d’en compenserles conséquences néfastes. Le confinement étant impossible, l’incertitudesur les risques encourus est donc ici plus lourde de conséquences, et doitêtre traitée avec encore davantage de précautions à la source. On sait quedes hybrides réputés stériles ont pu se révéler fertiles [réf. 173], [réf. 57].

    Or, les OGM ont été introduits par de grands groupeschimiques, et rapidement utilisés de façon massive aux États-Unis et enChine (blé, maïs, colza), sans que ces points aient été élucidés, ni lesmoyens de traçage imposés. Les protocoles de biovigilance restent délicatset coûteux à mettre en place, pour une efficacité opérationnelle parfoisnon encore testée : comment repérer une modification génétique nonassociée à un caractère visible avant qu’elle ne soit déjà trop disséminée,éventuellement dans un autre règne – bactéries par exemple-.? Et quellesméthodes adopter en cas d’alerte.?

    • L’une des conséquences de cette explosion quantitativerisque d’être que le coût de la traçabilité ne soit pas porté par lespromoteurs des OGM, mais par les autres, alors que les consommateursn’étaient pas demandeurs des variétés introduites. Le réglement européen1813/97 a imposé l’étiquetage des OGM eux-mêmes proposés à la vente.Dans un souci exclusivement sanitaire, le réglement du 26 mai 1998retient comme produits non étiquetables ceux qui ne contiennent pasd’ADN, ainsi qu’une liste négative aujourd’hui vide.; elle ne traite pas lecas des produits insuffisamment épurés contenant encore des tracesd’ADN (huiles par exemple). Pour les additifs dérivés d’OGM (lécithinede soja, huile de soja, etc.), souvent importés et présents dans denombreuses préparations (60 millions de consommateurs, avril 1998), untroisième réglement est attendu. Les moyens de mesure actuels de l’ADNont une capacité qualitative de détection très fine, mais une faibledéfinition quantitative. Notons que se fonder sur la seule préoccupationsanitaire pour autoriser des produits reviendrait à garantir un débouché àceux qui seraient satisfaisants de ce point de vue, alors que toutes lesinterrogations environnementales au niveau de leur production n’ont pasété levées [réf. 49]. La recherche a aussi récemment mis en évidencequ’un gêne ne codait pas toujours pour une seule protéine, mais pourplusieurs.; les risques d’activation de fonctions dormantes par l’introduc-tion d’un nouvel élément dans un génôme ne sont pas non plus élucidés.

    • Une autre conséquence préoccupante est que les recherchessoient principalement orientées vers des modifications de produits dontl’avantage pour le consommateur est faible ou nul (ce qui est le cas pourles variétés de grande culture actuellement proposées), et en cas de dériveirréversible, de voir refuser à terme par le public toute modification

    40 Synthèse

  • génétique, même bénéfique. Nous avons vu que les modifications propo-sées ne concernent pour le moment que des cultures de pays riches,consommatrices d’eau ou tournées vers l’alimentation animale, et non pasles besoins de pays en développement dont il serait prioritaire d’allégerles difficultés. En outre, le fait que les emplacements retenus pourmultiplier les semences soient traités comme des secrets industriels alorsque les études d’impact demandées sont encore peu affinées, réduitfortement le rôle et l’apport du Comité de Biovigilance en termes deprévention. Enfin, il faut absolument éviter qu’au motif d’une compétitioncommerciale sur les marchés d’exportation, toute la recherche agronomi-que se focalise sur les modifications génétiques, au détriment desalternatives du type lutte intégrée ou biologique.

    Les risques induits par les pratiques développées autour del’agriculture au XXe siècle ont donc considérablement évolué dans leurnature et leur ampleur. Les mécanismes mis en jeu sont souvent trop peuconnus et mal contrôlables une fois introduits dans le fonctionnement desécosystèmes. De ce fait, les pratiques et priorités données à l’agriculturesont aujourd’hui interrogées en profondeur à la fois par l’environnement,l’aménagement du territoire, la liberté de choix des individus et lagéopolitique. Le débat en devient de plus en plus indispensable sur lesobjectifs à poursuivre, ainsi qu’une analyse systématique des avantageset des risques de plusieurs points de vue (consommateur, citoyen,agriculteur, industriel, distributeur, pouvoirs publics) et une évaluationsocio-économique sérieuse et ouverte de ces choix [réf. 44]. L’occasionen est donnée par l’espace ouvert avec la loi d’orientation agricole, la loid’orientation pour l’aménagement et le développement durable du terri-toire et la conférence de citoyens sur les OGM. Mais les mécanismes decontrôle pérennes restent à inventer et à mettre en place (voir plus loin).

    Les impacts environnementauxsur les exploitations agricolesL’agriculture n’est pas seulement facteur d’impacts environne-

    mentaux, positifs ou négatifs. Elle supporte aussi les conséquencesenvironnementales d’autres activités.

    Urbanisation et artificialisationEn cinquante ans, la SAU a perdu six millions d’hectares. Elle

    diminue au rythme de 0,4.% par an, dont un peu plus de la moitié pardéprise ou reboisement, et le reste par extension des villes et surfacesimperméabilisées (consommant souvent les meilleures terres agricoles defaçon peu concertée), périurbain commercial et infrastructures de transportnotamment [réf. 10]. Certaines agglomérations ont commencé à gérer leursespaces en conservant à l’agriculture les meilleures terres (qui étaientaussi les plus accessibles et les plus faciles à urbaniser), ce qui leur permetde préserver les possibilités d’un approvisionnement local par circuitscourts, de plus en plus recherchés dans le contexte évoqué ci-dessus etéconomisant les transports (Y grenoblois par exemple). Ceci ne peut êtreque le fruit d’une politique volontaire car, d’un point de vue financier à

    41Synthèse

  • court terme, la valeur ajoutée agricole d’un terrain est nettement infé-rieure, dans le monde rural, à celle du terrain rendu constructible : lavaleur de rareté des productions de long terme n’est pas intégréeaujourd’hui aux prix de marché.

    L’une des questions environnementales posées par l’arrêt desexploitations est l’acidification relative des sols qui en résulte lorsque lesapports de produits basiques (engrais) cessent, ce qui peut conduire aurelargage à terme des métaux lourds éventuellement immobilisés jusque-làsous forme de carbonates (Cd, Cu, Zn). D’autres conséquences négativessont possibles : aggravation des inondations par imperméabilisation,dégradation des paysages aux entrées et en périphérie des villes (zonescommerciales notamment), difficultés accrues de gestion du cycle del’eau.

    Une autre question posée à l’agriculture et à l’urbanisation estla gestion des déchets des villes : qu’il s’agisse des déchets des ménages,longtemps mis simplement en décharge avec les conséquences induites enpollution des sols et des nappes, ou plus récemment des boues des stationsd’épuration épandues (l’épandage concerne 3 à 6.% du territoire), lacampagne a fourni aux urbains et aux ruraux une capacité de stockage etd’épuration des déchets. Mais les quantités et la nature des orduresménagères ont beaucoup évolué depuis cinquante ans, devenant de moinsen moins biodégradables et de plus en plus abondantes.; une nouvellepolitique des déchets a été instaurée en 1992. Les normes pour l’épandagedes boues se sont récemment renforcées (décret de 1997). Néanmoins,l’accumulation à moyen ou long terme de métaux dans les sols et lesrisques microbiologiques doivent être sérieusement considérés pour queles terres puissent rester durablement utilisables. Cette réflexion, quienglobe toutes les substances organiques épan