Agota Kristof

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Bibliographie Le grand Cahier, Edition du Seuil, 1986 Le troisime mensonge, (Edition du Seuil, 1991) Editions Corps, 1992. L'pidmie ; &, Un rat qui passe, Amiot-Lenganey, 1993. Hier, Edition du Seuil, Paris, 1995 La preuve, Edition du Seuil, Paris, (1988) 1995 L'heure grise et autres pices : thtre, Editions du Seuil, 1998 Hier = Tegnap : fragments, eaux-fortes de Anca Seel, avec la collab. de l'Association Signum, Moret, 1999 L'Analphabte, (Editions Zo, 2004) Editions a vue d'oeil, 2005 O es-tu Mathias? ; suivi de, Line, le temps, postf. de Marie-Thrse Lathion, Editions Zo, 2005 C'est gal, Paris, Le Seuil, (2005) 2006 La trilogie des jumeaux, Editions du Seuil, 2006 Le monstre et autres pices , Paris, Seuil, 2007. En italien et en allemand Quello che resta, trad. dal francese di Armando Marchi, U. Guanda, 1988. La prova, trad. di Virginia Ripa di Meana, U. Guanda, 1989. Der Beweis, Piper, Zrich, 1991 Die dritte Lge, Piper, Zrich, (1993) 1996 Gestern, Piper, Zrich, (1996) 1998 Trilogie, Bchergilde Gutenberg, 1999 Das grosse Heft, (Rotbuch Verlag, 1987) Tamedia AG, 2006 La chiave dell'ascensore ; L'ora grigia, o, L'ultimo cliente, cura e trad. di Elisabetta Rasy, G. Einaudi, 1999 Trilogia della citt di K., trad. di: Armando Marchi, Virginia Ripa di Meana, Giovanni Bogliolo, G. Einaudi, (1998) 2005 Hier : roman, hrsg. von Karl Stoppel, P. Reclam jun., 2002 Ieri, trad. di Marco Lodoli, G. Einaudi, (1997) 2002 L'analfabeta - Racconto autobiografico, Traduzione di Letizia Bolzani, Casagrande, (2004) 2005

Die Analphabetin : autobiographische Erzhlung, aus dem Franz. von Andrea Spingler, Ammann, 2005 - Piper, 2007 La vendetta, trad. di Maurizia Balmelli, G. Einaudi, 2005 Dove sei Mathias?, trad. di Maurizia Balmelli, Casagrande, 2006 Irgendwo : Nouvelles, aus dem Franz. von Carina von Enzenberg, Piper, 2007

Quatre huis clos laconiques Thtre: Noir, cest noir : comme celui des romans, lunivers des pices de la Neuchteloise, sil nest pas dnu dhumour, ne laisse pas beaucoup de place lespoir. AGOTA KRISTOF Quatre huis clos laconiques Neuchteloise dorigine hongroise, Agota Kristof crit des livres rares, peu bavards et dun inquitant humour noir. Traduite dans une trentaine de pays, la trilogie romanesque forme par Le Grand Cahier, La preuve et Le troisime Mensonge, quelle a publie entre 1986 et 1991, sest augmente en 1995 dun quatrime roman, Hier, la fois semblable et diffrent : pour la premire fois, le rcit ne se droulait pas l-bas, dans la petite ville dun pays totalitaire jamais nomm, de lautre ct du rideau de fer, mais bien ici et maintenant, dans le dur pays tranger jamais nomm non plus, avec sa fabrique dhorlogerie, son centre de rfugis, sa petite ville o les habitants, " le soir, ferment leur porte double tour et attendent avec patience que passe la vie ". Hier, qui se terminait par ce terrible aveu de son narrateur : " Je ncris plus ", souvrait sur un petit pome nostalgique plac en exergue : " Hier tout tait plus beau/ la musique dans les arbres/ le vent dans mes cheveux/ et dans tes mains tendues/ le soleil. " Ces mmes vers figurent presque mot pour mot dans Un Rat qui passe, lune des quatre pices runies aujourdhui en un volume qui fait dcouvrir une autre facette du talent de lcrivain, celui de ses dbuts thtraux, voici plus de vingt-cinq ans. Ecriture minimale, phrases courtes, syntaxe nue, dialogues rduits lessentiel, absence dadjectifs : mme conomie de moyens ici que dans ses romans. Exemple, cette conversation de bistrot tire de John et Joe (1972), lorigine un dialogue radiophonique qui vient dtre repris, dbut avril, au Thtre du Taco, de Neuchtel dans une mise en scne dAndr Steiger : " JOHN : Il fait beau, Joe. JOE : Oh oui, John. Silence. JOHN : Et comment a marche ? JOE : Quoi ? JOHN : Tout, quoi. JOE : Bien. JOHN : Ah oui ? JOE : Oui. JOHN : Tu mtonnes. JOE : Moi ? JOHN : Oui, toi. Ecoute, Joe, tu magaces ! JOE : Moi ? JOHN : Oui, toi.

JOE : Je tagace ? JOHN : Oui, tu magaces ! JOE : Pourquoi ? JOHN : Quand je te pose une question, tu me dis toujours : moi ? JOE : Moi ? JOHN : Tu vois ? JOE : Quoi ? " Burlesque, lchange se fait plus corrosif lorsque les deux protagonistes en viennent au nerf de la pice, largent. Si lon ne veut pas se faire avoir, il sagit den avoir : dmonstration impeccable en trois tournes, qui se concluent sur la reprise da capo de cette conversation de bistrot sans issue. La Cl de lascenseur (1977) est un conte cruel sur la squestration par son mari dune femme " qui na plus de jambes, plus doreilles, plus dyeux ", et qui supplie quon ne la prive pas de lunique chose qui lui reste : sa voix. On peut lui prfrer LHeure grise ou le dernier client (1975, revue en 1984), autre duo dsespr sur les rapports damour et de haine entre un homme et une femme, une prostitue vieillie et son client voleur, o lon retrouve le thme de largent qui sert possder autrui, quil sagisse de son corps ou de ses rves. Un Rat qui passe (1972), revue en 1984) est sans doute la plus labore des quatre, parce quelle met en scne un plus grand nombre de personnages et parce quelle joue sur leur ddoublement et leurs mensonges. Cette fable sur les rapports entre thtre et totalitarisme prsente dvidents points communs avec la trilogie romanesque dont les jumeaux Claus et Lucas sont les hros. Certaines rpliques font mouche, telle cette rflexion autour dun buffet : " Quand je mange de bonnes choses, je pense toujours ceux qui ont faim. " Ou cet change autour de la guerre : - " La dernire guerre, en Suisse ? Vous ntiez mme pas ne ! " - " Je parle de la dernire guerre mondiale. " - " Ah, de la guerre des autres ! " - Nous avons eu des privations trs dures, trs svres, des rationnements insupportables, en Suisse. Mais personne ne sest plaint. " - a cest de la grandeur dme garantie Swiss made ! Est-ce quils en exportent vers les pays moins favoriss ? " A dfaut de grandeur dme, le thtre dAgota, lui, sexporte trs bien puisque ces quatre pices de la dramaturge neuchteloise sont joues avec succs en Allemagne, en Autriche, en France, aux Pay-Bas, en Italie et au Japon. Agota Kristof, LHeure grise et autres pices, Seuil, 208 p. Isabelle Martin 25 avril 1998

L'amour de la vie jusque dans l'enfer Agota Kristof Ou l'amour de la vie jusque dans l'enfer Elle vit dans un petit appartement un peu sombre, dans les hauts de la vieille ville de Neuchtel. Personne ne sait que vit l l'une des grandes crivaines de langue franaise du moment et a lui convient trs bien. Le grand cahier, traduit en 33 langues, l'a propulse dans le monde entier mais cela ne lui fait ni chaud ni froid: jamais son succs ne cicatrisera sa blessure d'avoir t oblige de quitter la Hongrie en 1956. Agota Kristof n'est ni une acadmique, ni une "culturelle". Des rfrences et du milieu artistique, elle se mfie comme Jean Paulhan se mfiait des critiques. Pour cette femme que rien n'est parvenu empcher d'crire, qui crivait sous les bombes

et les bruits de bottes, la littrature n'a rien d'un exercice de style: elle est la vie mme. - Depuis quand crivez-vous ? - Depuis l'ge de 13-14 ans, en Hongrie. J'crivais uniquement des pomes en hongrois bien sr. En Suisse, j'ai continu. Je travaillais dans une usine de montres Fontainemelon, ct de Neuchtel. En travaillant, je prenais des notes et je rdigeais le soir la maison. - Quand vous tes-vous mise la prose ? - Vers 1972. J'ai crit une dizaine de pices de thtre, cette fois-ci en franais - Le passage au franais a d tre difficile... - Surtout en usine. On ne parlait pas. J'apprenais un peu avec ma fille. Aprs cinq ans, la Ville de Neuchtel m'a donn une bourse pour apprendre le franais. Alors, j'ai commenc traduire mes pomes et crire en franais. Un ami me corrigeait les fautes d'orthographe. On a jou mes pices dans la rgion et aussi la Radio romande. - Vous affirmez volontiers qu'aprs le baccalaurat, votre vie est une catastrophe. - Parce que j'ai toujours regrett de m'tre marie dix-huit ans. Mon mari n'a pas voulu me laisser aller tudier Budapest. Et quand nous sommes venus en Suisse, c'est lui qui a tudi, pas moi. - Qu'est-ce qui a t le plus dur : l'usine ou la guerre ? - La guerre c'tait moins grave que l'usine. J'tais enfant, nous avions plein de liberts parce que mon pre tait tout le temps mobilis. Avec mes deux frres, nous tions des enfants de la rue. Parfois, nous avions un peu peur, mais je n'ai que des bons souvenirs. Nous avions froid et faim, mais nous nous amusions bien. - Quel contraste avec la paix helvtique ! - Sauf que l'usine c'est la mme chose qu'en Hongrie. Quand je suis arrive ici, je me levais 5 heure de matin pour aller la fabrique. J'amenais ma fille la crche, je ne la voyais que le soir. C'tait puisant, j'tais tout le temps malade. - Aprs les pices de thtre, vous avez commenc "Le grand cahier" qui vous a rendue clbre. - J'avais envie de raconter mon enfance pendant la guerre. J'en parlais souvent mes enfants. J'ai crit trs longuement, pendant deux ans. - Depuis" Le troisime Mensonge" jusqu' "Hier", il s'est coul quatre ans. Et depuis "Hier", publi voici huit ans, vous n'avez rien publi. que se passe-t-il ? - J'ai en route une bauche de roman. L'histoire d'une petite fille qui tombe amoureuse d'un adulte, ce qui m'est arriv. Mais je n'ai plus vraiment envie d'crire. Mais livres prcdents ont bien march. Je ne veux pas les gcher avec quelque chose de moins bien. - Vous avez t traduite en 33 langues... - Cela m'a beaucoup tonne, je n'ai jamais pens que je serais traduite. a a commenc tout de suite, une dizaine de contrats la premire anne. Et a continue.

- On dirait que vous tes surprise d'tre crivaine... - Non, non c'est la seule chose que j'ai jamais voulu tre depuis toute jeune. - Dans "Hier", vous dites : "C'est en devenant rien du tout qu'on peut devenir crivain"... - Oui, il ne faut vivre que pour l'criture. Mais a n'empche pas de travailler ni d'avoir une famille. a n'est pas une question de temps. En ce moment, j'ai tout le temps et je n'cris pas ! - Vous avez l'impression d'avoir tout dit ? - A peu prs, oui. C'est tellement fatigant d'crire. C'est douloureux. Il y a des crivains qui crivent normment, n'importe quoi, a leur est gal. Moi, je voulais parler de ma sparation avec ma ville de Kszeg, mes frres, mon pays. Je ne voulais pas partir. C'est mon mari qui voulait. Il faisait de la politique. Il avait peur d'tre emprisonn par les Russes. Il aurait mieux valu qu'il fasse deux ans de prison que moi cinq ans d'usine. - Vous vous mfiez des mots qui voquent des sentiments. Il n'y pas de sentiments, dans vos livres. - Oui, oui, j'ai dcid a cause de mes pomes. Ils taient plein de sensibilit et de mots magnifiques. J'en ai eu assez de choses sensibles. Je voulais tre seulement juste. Je me mfie du mensonge des sentiments. - Il y a ce paradoxe unique, dans votre oeuvre : vous vitez toute description et tout sentiment pour vous en tenir aux faits; or, l'motion qui s'en dgage est si forte qu'elle est la limite du supportable. - Oui, c'est contradictoire, c'est comme a. C'est peut-tre pour a que mes romans sont jous au thtre. Il y a des films aussi. Une socit canadienne vient d'acheter tous les droits pour adapter Le grand cahier; c'est le ralisateur de Festen, Wintenberg qui a t prvu pour cela. Hier est en train d'tre adapt au cinma par Silvio Solini, mais il a chang la fin parce que c'est trop noir ! - Voyez-vous la vie en noir ? - Assez. Je suis plutt indiffrente. Il n'y a rien d'intressant. Rien ne vaut la peine d'tre fait. D'ailleurs, je n'cris plus. Je regarde la tlvision. N'importe quoi. L'inspecteur Derrick. Je lis des romans policiers dont je ne me rappelle ni l'auteur ni le titre. 'aurait t mieux si j'tais reste en Hongrie. J'y ai tout ma famille. L-bas, les gens sont trs diffrents d'ici, ils sont trs chaleureux, trs ouverts... Comme une Asiatique qui a vcu la guerre C'est une petite femme noiraude l'air asiatique. On sent qu'elle a souffert. Elle respire l'intelligence. Elle est ultrasensible, mais ce n'est pas une sensibilit fleur de peau; plutt une sensibilit crbrale. Elle n'analyse pas, elle constate pour toujours. Elle sourit la folie des hommes. Comme une Asiatique qui a vcu la guerre. C'est l'histoire inoue et romanesque d'une femme ne en 1935 dans un tout petit village de Hongrie. Son pre est Instituteur, sa mre matresse d'cole mnagre. Quand elle a neuf ans, ses parents s'installent dans la ville de Kszeg o se drouleront plus tard tous ses romans. Elle y poursuit ses tudes et obtient un bac scientifique, "j'aimais beaucoup les maths". Elle pouse son professeur d'histoire et, comme ses parents ont peu d'argent et que l'Universit est trs loin, Budapest, elle travaille en usine. "Je tissais des couvertures, c'tait inintressant et particulirement dur." En 1956, son mari dcide de quitter le pays direction la Suisse. Il emmne sa femme et leur fillette Lausanne. La petite famille

passe un mois dans une caserne. Puis un mois Zurich avant d'tre dirige Neuchtel. Tandis que son mari s'inscrit l'Universit, elle trouve du travail dans une usine de montres Fontainemelon. Pour supporter, elle rdige des pomes qu'elle met au net le soir. Agota Kristof n'aime pas parler de ses pomes. Elle les trouve emprunts de trop de sensiblerie. Trs vite, elle passe d'ailleurs une prose tout en dialogues. Elle rdige une dizaine de pices de thtre dans un franais approximatif. Rencontrant rapidement du succs, plusieurs seront joues sur les planches et la Radio romande. Peu peu, elle s'empare du franais. Elle dcouvre surtout son style : des dialogues la fulgurante simplicit. La suite n'est pas moins sidrante. En 1986, elle publie Le grand cahier, qui remporte aussitt le Prix europen de l'Adelf. L'ouvrage est rdit deux ans plus tard. L'crivaine poursuit sur sa lance et publie coup sur coup La preuve et Le troisime mensonge qui se voit gratifier du Prix Livre Inter en 1992. Une trilogie qui voque son enfance pendant la guerre si puissante qu'elle sera traduite en... 33 langues. Son quatrime roman, Hier, paratra en 1995. Il sera suivi de L'heure grise et autres pices en 1998

Agota Kristof, est ne en 1935 Csikvand / Hongrie. Elle vit depuis 1956 en Suisse romande. Elle a d'abord travaill dans une usine o elle a appris la langue de sa patrie d'lection, avant de se faire un nom comme crivaine de langue franaise. Son premier roman Le grand Cahier publi en 1987 a connu un grand succs et a t honor du titre Livre Europen. Ce roman est traduit en allemand (Das grosse Heft) tout comme La preuve (Der Beweis ) et, Le troisime mensonge (Die dritte Lge). Cette trilogie facettes multiples o se mlent sans qu'on puisse toujours les distinguer, fiction, ralit et mensonge dcrit l'histoire de deux frres.

Ecrivaine suisse d'origine hongroise, ne en 1935 et rfugie en Suisse, Neuchtel, en 1956. Sa trilogie Le grand cahier, La preuve, Le troisime mensonge, publie entre 1986 et 1991, est traduite dans une vingtaine de langues. C'est l'histoire sordide de deux jumeaux qui font leur "ducation" dans un village hongrois pendant la deuxime guerre mondiale ... Elle a crit un quatrime roman en 1995, Hier, et quatre pices de thtre, John et Joe (1972), La cl de l'ascenseur (1977), Un rat qui passe (1972/1984), L'heure grise ou le dernier client (1975/1984), toutes aussi dprimantes et ncrophiles. L'auteur fait parler d'elle Abbeville en novembre/dcembre 2000 lorsqu'un jeune enseignant de collge donne ses lves de troisime Le grand cahier tudier ... Le 24 novembre 2000, la requte du procureur de la Rpublique, M. Patrick Steinmetz, un jeune professeur de lettres, M. Gilles L..., 26 ans, est arrt au collge Millevoye de la bonne ville d'Abbeville dans la Somme, plac en garde vue, et son domicile est perquisitionn. Il est accus d'avoir donn ses lves de 3me tudier un livre, recommand par le Centre national pdagogique, "Le Grand Cahier" d'Agota Kristof, officiellement un roman documentaire sur la 2me guerre mondiale, qui comporterait, si l'on en croit la plainte dpos par des parents d'lves, des pages faisant la promotion de "la zoophilie (bestialit) et de la pdophilie". La Ligue des droits de l'homme dnonce immdiatement "cette dmesure de la raction par manque de rflexion" et le ministre de l'Education nationale, M. Jack Lang,

envoye une lettre au principal du dit collge dont l'attitude aurait chqu les enseignants du Snes (Syndicat national des enseignants du second degr) :"Des autorits extrieures ont brutalement interpell un professeur de votre collge en raison de ses choix pdagogiques. Il s'agit l d'une situation anormale que je ne saurais approuver. Ces choix relvent uniquement de la comptence des quipes que vous avez la responsabilit d'encourager". Le procureur, lui, dit avoir agi dans l'urgence "pour protger des mineurs". Le jeune professeur, "un homme bris" selon ses collgues, est en arrt de maladie pour 15 jours. L'affaire est finalement classe et le rectorat fait le 8 dcembre 2000 une "mise au point". Non seulement le professeur n'a pas t sanctionn mais le recteur est prt lui accorder "la protection juridique des fonctionnaires". Le procureur d'Abbeville fait savoir que son action se fondait sur l'article du code pnal qui "interdit toute diffusion de message caractre violent, pornographique, ou de nature porter atteinte la dignit humaine en direction des mineurs, par quelque moyen que ce soit". Et selon les services de Mme Sgolne Royal, ministre de la famille, tout "texte connotation sexuelle" constitue "le premier degr de la pdophilie" lorsqu'il s'adresse des mineurs. L'ouvrage en cause raconte l'histoire "difiante" de deux jumeaux, des "sauvageons", qui se rgalent, notamment, du cot d'une loubarde avec un chien (Bec-de-Livre, p. 40-42 de l'dition de poche, Seuil, Points P 41, Paris 1986), loubarde qui par ailleurs se fait titiller par le cur (p. 71), "sauvageons" qui tuent les animaux par plaisir (Exercice de cruaut, p. 54 57), volent (Le vol, p. 70), font chanter le cur (Le chantage, p. 72-74), se font sucer par la bonne du cur (Le bain, p. 83), regardent une servante et l'ordonnance d'un capitaine faire l'amour (La servante et l'ordonnance, p. 89), fricottent avec l'officier qui est homosexuel (L'officier tranger, p. 90-95), etc, etc ... Une lecture tellement difiante pour des adolescents de 13-15 ans que l'on s'tonne que M. Bernard Pivot n'en fasse pas des dicts, sous le haut patronnage, videmment, de l'ancien ministre de la culture puis ministre de l'"ducation" nationale, le remarquable "Jack". 1 Le chien revient, renifle plusieurs fois le sexe de Bec-de-Livre et se met le lcher. Bec-de-Livre carte les jambes, presse la tte du chien sur son ventre avec ses deux mains. Elle respire trs fort et se tortille. Le sexe du chien devient visible, il est de plus en plus long, il est mince et rouge. Le chien relve la tte, il essaie de grimper sur Bec-de-Livre. Bec-de-Livre se retourne, elle est sur les genoux, elle tend son derrire au chien. Le chien pose ses pattes de devant sur le dos de Bec-de-Livre, ses membres postrieurs tremblent. Il cherche, approche de plus en plus, se met entre les jambes de Bec-de-Livre, se colle contre ses fesses. Il bouge trs vite d'avant en arrire. Bec-de-Livre crie et, au bout d'un moment elle tombe sur le ventre. Agota Kristof, Le grand cahier, Seuil, Points P 41, Paris 1986, p. 40-41. 2 Nous nous rendormons. Plus tard, vers le matin, nous voulons nous lever, mais l'officier nous retient : Ne bougez pas. Dormez encore. Nous avons besoin d'uriner. Nous devons sortir. Ne sortez pas. Faites-le ici. Nous demandons : O ? Il dit :

Sur moi. Oui. Nayez pas peur. Pissez ! Sur mon visage. Nous le faisons, puis nous sortons dans le jardin, car le lit est tout mouill. Le soleil se lve dj ; nous commenons nos travaux du matin. Ibidem, p. 94. 3 A l'aide d'une couverture, nous transportons les squelettes dans le galetas, nous talons les os sur de la paille pour les faire scher. Ensuite nous descendons et nous comblons le trou o il n'y a plus personne. Plus tard, pendant des mois, nous polissons, nous vernissons le crne et les os de notre Mre et du bb, puis nous reconstituons soigneusement les squelettes en attachant chaque os de minces fils de fer. Quand notre travail est termin, nous suspendons le squelette de notre Mre une poutre du galetas et accrochons celui du bb son cou. Ibidem, p. 176-177. 4 La patrouille s'loigne. Nous disons : - Allez-y, Pre. Nous avons vingt minutes avant l'arrive de la patrouille suivante. Pre prend les deux planches sous les bras, il avance, il pose une des planches contre la barrire, il grimpe. Nous nous couchons plat ventre derrire le gand arbre, nous bouchons nos oreilles avec nos mains, nous ouvrons la bouche. Il y a une explosion. Nous courons jusqu'aux barbels avec les deux autres planches et le sac de toile. Notre pre est couch prs de la seconde barrire. Oui il y a un moyen de traverser la frontire : c'est de faire passer quelqu'un devant soi. Prenant le sac de toile, marchant dans les traces de pas, puis sur le corps inerte de notre Pre, l'un de nous s'en va dans l'autre pays. Celui qui reste retourne dans la maison de Grand-Mre. Ibidem, p. 183-184.

Il y a des livres qui nous accompagnent, et qui de temps en temps se font prsents quand, en qute dune image ou dune histoire pour expliquer un sentiment, nous faisons appel eux. Ce sont des livres qui nous ont appris des choses et auxquels nous sommes toujours reconnaissants. De ceux l nous avons toujours un exemplaire qui se promne entre la table de chevet et la bibliothque et ce sont ceux que nous offrons souvent pour un anniversaire. Mais il y a une autre sorte de livres dont on constate lexistence. Ce sont des livres qui, non seulement nous accompagnent, mais nous poursuivent. Ce sont des livres qui nous hantent, que nous avons peur de donner en cadeau par crainte doffrir des insomnies. Ce sont des livres mystrieux, comme Le livre de lIntranquillit de Pessoa, un livre vou linachvement, ou Le livre de sable de Borges qui na ni commencement ni fin, un livre aux pages infinies. Le Grand Cahier, La preuve et Le troisime mensonge entrent dans cette catgorie de livres presque dous dune me. Inutile de chercher comprendre pourquoi : peut tre parlent-ils mieux de nous-mmes que nous ne sommes capables de le faire. Peut tre ont-ils quelque chose qui leur chappe, peut-tre sont-ils tellement personnels et sincres quils en sont devenus universels. La trilogie des jumeaux est une de ces histoires qui nous habitent et ne nous quittent pas. Comment faire pour quelle arrte de nous poursuivre ? Borges essaya de se dbarrasser du livre de sable dans une bibliothque.

Faire une pice permettait dabandonner cette histoire dans les labyrinthes de la fiction. La Trilogie de Kristof nous raconte une priode terrible de lHistoire et nous prsente en mme temps une mtaphore de la solitude de lhomme et de toutes les armes subtiles et parfois dangereuses quil dveloppe pour subsister envers et contre tout. Il est impossible de ne pas reconnatre que lhistoire se passe sous loccupation allemande en Hongrie, pendant et aprs la libration. La guerre peut se voir dans chaque personnage, tous traverss par des pertes, des attentes, des vices, des perversions ou simplement par la mort. Mais ces livres gardent soigneusement une dimension universelle : cette guerre est une mtaphore dune vie o par peur de la douleur on renonce au sentiment.

Le grand cahier subsistance

ou

les

stratgies

de

la

Dans le premier livre, Le grand cahier, deux frres jumeaux sont laisss chez leur grand-mre, une femme sche et dure, afin de subsister jusqu la fin de la guerre. Cette exprience sera comme un parcours initiatique assez brutal o lenfance disparat, tel un costume quon nous force ter. En passant au monde des adultes ils dcouvriront que tout est possible et quil faut tre prt. Ce premier livre pourrait bien tre rsum comme la somme de toutes sortes de stratgies de subsistance qui vont des plus concrtes jusquaux plus profondes et abstraites. Les jumeaux apprennent ainsi chercher leur nourriture, travailler pour avoir de largent, mais ils apprennent aussi lire et crire et cest l quils dcouvrent la plus efficace des armes : la fiction. Et si la vie ntait quun cahier que quelquun remplit quotidiennement ? Et si la vie ntait que quelque chose qui arrive quelquun dautre, un personnage qui nest pas moi ? Et si la vie ntait quun mensonge ? Mais il existe aussi une stratgie particulire que dveloppe la main qui trace cette fiction et qui nous servira de cl thtrale : la cration dun personnage double, qui chappe la solitude par dfinition. Les jumeaux ont au moins dans ce chemin quils doivent tracer la compagnie de lautre, le regard de lautre. Et cest peuttre dans la dynamique du regard de cet autre moi quils btissent leur thique, sans Dieu, objective , presque supra morale. Le livre est pour Kristof un lment vital. Je sais lire, je sais lire nouveau - crie-telle dans sa biographie quand elle apprend lire et crire en franais.- Le monde est plein de livres, des livres finalement comprhensibles, pour moi aussi ! Dans la trilogie presque tous les personnages ont finalement un lien avec le livre : le cur prte des livres dhistoire et de gographie aux jumeaux ; Clara est une bibliothcaire qui cache des livres interdits et lit tout ce qui peut tre lu ; Peter cache le grand cahier la demande de Lucas et devient le premier lecteur de ce livre-journal. Les livres dfilent tout au long de lhistoire, symbole despoir et de mmoire. Cest peut tre ce rapport non naturel la langue qui dpouille lcriture de Kristof de tout accessoire. On trouvera chez elle trs peu dadjectifs, des phrases souvent courtes et sans dtour. Des dialogues pointus. Voici la scne qui ouvre la pice : Larrive chez Grand-Mre Des pas. Une mre et deux enfants. Deux valises et un dictionnaire. Mre : attendez-moi ici.

Mre : Il ny a plus rien manger chez nous, ni pain, ni viande, ni lgumes, ni lait. Rien. Je ne peux plus les nourrir. Grand-mre : Alors, tu tes souvenue de moi. Pendant dix ans, tu ne ttais pas souvenue. Tu nes pas venue, tu nas pas crit. Mre : Vous savez bien pourquoi. Mon pre, je laimais, moi. Grand-mre : Oui, et maintenant tu te rappelles que tu as aussi une mre. Tu arrives et tu me demandes de taider. Mre : Je ne demande rien pour moi. Jaimerais seulement que mes enfants survivent cette guerre. La Grande Ville est bombarde jour et nuit, et il ny a plus de nourriture. On vacue les enfants la campagne, chez des parents ou chez des trangers, nimporte o. Grand-mre : Tu navais qu les envoyer chez des trangers, nimporte o. Mre : Ce sont vos petits-fils. Grand-mre : Mes petits-fils ? Je ne les connais mme pas. Ils sont combien ? Mre : Deux. Deux garons. Des jumeaux. Grand-mre : Quest-ce que tu as fait des autres ? Mre : Quels autres? Grand-mre : Les chiennes mettent bas quatre ou cinq petits la fois. On en garde un ou deux, les autres, on les noie. Ils ont un pre, au moins ? Tu nes pas marie, que je sache. Je nai pas t invite ton mariage. Mre : Je suis marie. Leur pre est au front. Je nai pas de nouvelles depuis six mois. Grand-mre : Alors, tu peux dj faire une croix dessus. Mre : (aux jumeaux) Voici votre Grand-Mre. Vous resterez chez elle pendant un certain temps, jusqu la fin de la guerre. Grand-mre : a peut durer longtemps. Mais je les ferai travailler, ne ten fais pas. La nourriture nest pas gratuite ici non plus. Mre : Je vous enverrai de largent. Dans les valises, il y a leurs vtements. Des draps et des couvertures. Soyez sages, mes petits. Je vous crirai. Grand-mre : (en riant trs fort) Des draps, des couvertures ! Chemises blanches et souliers laqus ! Je vous apprendrai vivre, moi !

NE: l'crivaine Agota Kristof honore 18.3.2009 16:34 L'crivaine Agota Kristof a obtenu le Prix 2009 de l'Institut neuchtelois. Cette reconnaissance concide avec la parution d'un numro de la Revue des archives littraires suisses consacr l'artiste suisse d'origine hongroise. L'Institut neuchtelois lui attribuera son prix lors d'une crmonie prvue samedi Neuchtel. Deux des trois enfants de l'artiste recevront la distinction au nom de leur mre, qui a rduit ses apparitions publiques. Ne le 31 octobre 1935 en Hongrie, Agota Kristof s'est rfugie en Suisse en 1956. Elle connatra une clbrit mondiale en 1986 avec "Le Grand Cahier".

Agota Kristof est une de ces singularits francophones les plus remarquables. Ne en Hongrie en 1935, elle fuit sa patrie lors de la rpression sovitique en 1956 pour se rfugier en Suisse, o elle rside toujours (prs de Neuchtel). Ayant dj commenc crire des pomes en hongrois avant de sexpatrier, elle passe dabord une longue priode dadaptation son nouveau pays (apprentissage du franais lUniversit de Neuchtel, travail dans lhorlogerie, comme vendeuse, comme aide-dentaire), avant de commencer timidement crire en franais. Aprs quelques nouvelles (restes ltat de manuscrit), elle crit des pices radiophoniques et des pices de thtre, avant de crer loeuvre qui lui assurera la notorit, savoir la trilogie romanesque Le Grand Cahier (1986), La preuve (1988) et Le troisime

mensonge (1991). Un quatrime roman, Hier, sy ajoute en 1995.5 La raison pour laquelle jai t amen mintresser de plus prs Agota Kristof est un fait divers survenu en France lautomne 2000. Des parents dlves ont port plainte contre un professeur de collge qui avait faire lire Le Grand Cahier ses lves de troisime (13-15 ans). Le professeur en question, enseignant dbutant, frachement sorti dun IUFM (Institut universitaire de formation des matres), a t gard vue pendant trois heures, et la police a perquisitionn son domicile. On lui a reproch davoir mal choisi son public, les lves de troisime tant trop jeunes pour tre exposs un roman comportant entre autres des scnes de zoophilie et de fellation.6 Dautres parents dlves ont apport leur soutien au malheureux professeur, le ministre de lducation, Jack Lang, a trouv bon de rappeler au Principal de lcole que les choix pdagogiques dun tablissement scolaire relvent exclusivement de la comptence des quipes de professeurs7, et les Editions du Seuil ont exprim dans un communiqu que Le Grand Cahier est trs vite devenu un classique, traduit dans plus de vingt langues, tudi dans les lyces, tout en accusant une minorit des parents de vouloir imposer un ordre moral8. Vous devinez peut-tre que cette malheureuse affaire a t rapidement classe sans sanction ni suspension du professeur. En quoi ce fait divers peut-il tre intressant pour une bonne valuation de ce roman trs particulier? Il sagit dun roman propre susciter des ractions violentes chez des gens pudiques, mais cest en mme temps un texte recommand par le Ministre de lducation en France pour les classes de lyce ( partir de la seconde, donc pour des lves de 15 ans et plus). La seule faute formelle de lenseignant en question est donc davoir soumis le texte une classe de troisime, terminale du collge. Une recherche sur Google confirme dailleurs la trs grande attention porte au Grand Cahier (ainsi qu son adaptation pour le thtre) par des institutions pdagogiques. Parmi les nombreuses pages qui y sont consacres, un grand nombre provient dinstances pdagogiques de pays non-francophones, comme par exemple lAngleterre et les Pays-Bas. Mais les deux pays o le roman de Kristof semble surtout avoir retenu lattention des instances scolaires sont lAllemagne et le Danemark. En Allemagne, le livre est utilis dans les cours de franais au Sekundarstufe II, cest--dire pour des lves de 17-18 ans, au Danemark, lditeur Munksgrd prsente une dition du roman utilser dans 2G (fransk begynnersprog), cest--dire avec des lves du mme ge. Les deux qualits principales mises en avant pour lutilisation du texte lcole sont les suivantes : cest un roman qui prsente dune faon forte, saisissante le destin de deux enfants pendant la guerre (et qui a donc des qualits propres intresser le public cibl, dans les pays francophones aussi bien que non-francophones), et cest un texte crit dans un franais trs simple (une qualit propre ne pas dcourager un jeune public dapprenants dune langue trangre). Mais avant de poursuivre ces rflexions didactiques, rsumons brivement le roman. Le Grand Cahier est un texte la premire personne du pluriel qui raconte laventure singulire de deux jumeaux placs chez leur grand-mre pendant la guerre. Pour supporter les misres de loccupation et la mchancet de la grand-mre, les deux garons sentrainent mthodiquement endurer le froid, la salet, la violence et toutes sortes de douleur que leur inflige la vie. A force dexercice, ils finissent par sendurcir assez pour survivre ; une scne finale dune terrible efficacit en tmoigne : lorsque leur pre leur rend visite avant de vouloir passer la frontire mine, ils le laissent tranquillement sen aller travers les barbels et se tuer en sautant sur une mine et ainsi laisser la voie libre un des jumeaux qui passe clandestinement ltranger. Reprenons maintenant les deux qualits du romans retenues par les ducateurs, savoir le portrait de deux enfants pendant la guerre et la simplicit de la langue. Il est vident que la premire nen fait pas automatiquement un roman pour jeunes (Munksgrd prsente en effet son dition comme un ungdomsroman). Le rcit des jumeaux nous introduit un monde

dur qui rsiste toute lecture difiante. La cruaut du monde o voluent les jumaux ne dclenche comme rponse que leur propre cruaut envers les autres, sans quil y ait une instance narrative, ni digtique ni extradigtique, pour corriger le cynisme de leur univers. En effet, il sagit dun drle de roman pour jeunes o les deux garons voient leur mre et leur pre mourir sans broncher. A part un vocabulaire descriptif restreint et lmentaire, la simplicit discursive se manifeste par une nette prdominance de constructions parataxiques. En voici quelques exemples: Grand-Mre ne se dshabille jamais. Nous avons regard dans sa chambre le soir. Elle enlve une jupe, il y a une autre jupe dessous. Elle enlve son corsage, il y a un autre corsage dessous. Elle se couche comme a. Elle nenlve pas son fichu. Grand-Mre nous frappe souvent, avec ses mains osseuses, avec un balai ou un torchon mouill. Elle nous tire par les oreilles, elle nous empoigne par les cheveux. Dautres gens nous donnent aussi des gifles et des coups de pied, nous ne savons mme pas pourquoi. Les coups font mal, ils nous font pleurer. (20) Nous sommes couchs sur le banc dangle de la cuisine. Nos ttes se touchent. Nous ne dormons pas encore, mais nos yeux sont ferms. Quelquun pousse la porte. Nous ouvrons les yeux. La lumire dune lampe de poche nous aveugle. Revenons maintenant au pauvre professeur de collge et aux passages que ses dtracteurs lui ont reproch davoir soumis ses lves. Il sagit dune scne prsentant la petite voisine Bec-de-Livre qui fait lamour avec un chien, et de deux scnes comportant un cas de fellation (nous ne regarderons que la premire, o la servante du cur, aprs avoir lav les jumeaux, se met sucer leur sexe). Voici les passages contre lesquels les parents se sont insurgs : Le chien revient, renifle plusieurs fois le sexe de Bec-de-Livre et se met le lcher. Bec-de-Livre carte les jambes, presse la tte du chien sur son ventre avec ses deux mains. Elle respire trs fort et se tortille. (...) Bec-de-Livre se retourne, elle est sur les genoux, elle tend son derrire au chien. Le chien pose ses pattes de devant sur le dos de Bec-de-Livre, ses membres postrieurs tremblent. Il cherche, approche de plus en plus, se met entre les jambes de Bec-de-Livre, se colle contre ses fesses. Il bouge trs vite davant en arrire. Bec-de-Livre crie et, au bout dun moment, elle tombe sur le ventre. (40-41) Elle nous caresse et nous embrasse sur tout le corps. Elle nous chatouille avec sa langue dans le cou, sous les bras, entre les fesses. Elle sagenouille devant le banc et elle suce nos sexes qui grandissent et durcissent dans sa bouche. (...) Elle tire nos ttes vers ses seins qui sont sortis du peignoir et nous en suons les bouts roses devenus trs durs. La servante met sa main sous son peignoir et se frotte entre les jambes (...). Elle soupire, elle halte, puis brusquement, elle se raidit. (83) Le premier des deux passages dcrit certainement un acte considr communment comme pervers et allant contre toute moralit courante, alors que le second avoisine le domaine trs sensible de la pdophilie, vu la grande diffrence dge entre la servante et les jumeaux. Mais les adolescents du dbut du vingt et unime sicle ont gnralement une exprience textuelle et visuelle telle dans le domaine de la sexualit que la nature des actes prsents nont peuttre pas en elle-mme de quoi nous choquer si profondment, mme si nous nous faisons les dfenseurs moraux de la jeunesse. Cependant, les parents nont pas eu tort de ragir mon avis. Seulement, je ne pense pas quils aient ragi pour les bonnes raisons. Car ce qui est propre nous bouleverser dans Le John Kristian Sanaker

740 Grand Cahier, ce nest pas tant la nature des actes dcrits que lcriture impassible qui les vhicule. Par la scheresse du style de Kristof, les actes trangressifs se prsentent comme des phnomnes de ce monde, juxtaposs dautres phnomnes non-transgressifs, sans aucune hirarchisation morale, sans aucun systme de signalisation. Les passages incrimins prsentent les actes sexuels comme objets dun regard impassible, sans quil y ait signe dune valuation quelconque, ni ngative et rprobatrice, ni positive - en exprimant par exemple la jouissance avec focalisation interne, spcialit dun Agnar Mykle (je pense notamment sa nouvelle Skoene qui met en scne un homme en train de baiser une vache, acte prsent du point de vue de lacteur comme oscillant entre la honte et la pure jouissance). Le vrai problme que pose Le Grand Cahier aux dfenseurs de lordre moral, cest quil comporte une normalisation de la perversion, une rduction de toute chose sa pure apparence. Pour terminer, je voudrais revenir mon point de dpart, Agota Kristof considre comme une singularit francophone. Se peut-il que cette criture, si radicale dans sa scheresse et sa simplicit, ait quelque chose faire avec la position de Kristof comme francographe? Sagit-il de lart romanesque dune crivaine qui sest libre de la complexit de sa langue maternelle pour spanouir dans une langue apprise comme langue trangre lge adulte? A vrai dire, il ne sagit pas dune spculation pure, puisque le phnomne est thmatis dans Hier10, le quatrime roman de Kristof. Il sagit l encore dun roman la premire personne, et comme la trilogie des jumeaux, il est dune trs grande simplicit lexicale et syntaxique. Mais le narrateur nest plus un enfant ; portant un nom dorigine hongroise, il habite un pays qui peut trs bien tre la Suisse, o il travaille depuis des annes dans une fabrique dhorlogerie, tout en crivant le soir (72, 74, 79, etc.). Tantt il crit des pomes dans sa langue maternelle (101), tantt il crit dans la langue dici>>

Cest la guerre. Claus et Lucas sont confis leur grand mre qui vit la campagne afin de leur pargner les dangers de la grande ville. Dlaisss par la vieille femme acaritre et quon dit maricide, les deux enfants vont se construire seuls, sans amour, et se forger une personnalit vraiment hors du commun... Ce premier volet de la trilogie dAgota Kristof vaut vritablement dtre lu. Pour la logique implacable sous-jacente chacune des actions des personnages dabord : Nos deux hros, sans tre cyniques ou mme manichens portent un regard froid sur le monde qui les entoure. Cela nous donne un style littraire trs pur, dcharg de toute considration "sentimentale" ou spirituelle. Lcriture est juste, simple, efficace. Et si je navais peur deffrayer le lecteur potentiel, je dirai mme tlgraphique, mme si chaque phrase reste complte, sujet verbe complment. Mais le style est ici le parfait reflet de lme des enfants, subtil mlange du fond et de la forme... La deuxime bonne raison de sintresser ce livre cest tout simplement le destin de ces deux personnages. Leur trajectoire si particulire, la dcouverte dun mode de vie autant en marge de nos habitudes pousse le lecteur tourner les pages, en lire une petite dernire, puis une autre, puis une autre... Bref, on se plat partager lenfance de ces deux gamins hors du commun, et travers de cette pseudo caricature comportementale, on retrouve des traits propres des individus qui pourtant nont pas toujours grandi dans les mmes conditions... De la nous faire rflchir, il ny a quun pas !

Rsum du livreArrivs de la Grande Ville avec leur mre, Claus et Lucas ne vont rester que tous les deux chez leur grand-mre pendant la guerre. Cette dernire est une femme sale, mchante, radine, analphabte et meurtrire; les jumeaux vont alors entreprendre seuls une trange ducation. D'un ct ils s'entranent s'endurcir, ne pas s'apitoyer sur la douleur d'autrui et tuer, et de l'autre, ils crivent la liste des tches effectues dans un grand cahier. Mais, la suite d'un certain nombre d'vnements, les deux frres vont se retrouver spars, le premier dans ce mme pays totalitaire, le deuxime de l'autre ct de la frontire... Dans un pays en proie la guerre, une mre se voit oblige de confier ses jumeaux leur grandmre, femme avare et froide. Abandonns eux-mmes, ces enfants singuliers sduquent seuls et se prtent des exercices dendurcissement du corps et de lesprit la limite du supportable. Ils dcrivent leurs journes dans un grand cahier en utilisant toujours le nous , dans un style dnu de toute subjectivit motive.

Agota Kristof est ne en Hongrie en 1935. Elle quitte le pays avec son mari en 1956 pour s'installer en Suisse. O elle travaille d'abord en usine. Elle apprend le franais et crit dans cette langue sa trilogie: Le Grand Cahier, La Preuve, et Le Troisime Mensonge.

Thtre

John et Joe (1972) La cl de l'ascenseur (1977) Un rat qui passe (1972) L'heure grise ou le dernier client (1975)

Romans

Le grand cahier (1986) La preuve (1990) Le troisime Mensonge (1992) Hier (1995) L'analphabte (2004)

Lcriture de lauteur rend trs bien cette ambiance en utilisant un langage des plus simples, pas de mots inutiles. Nhsitez pas lire ces trois petits livres, ils en valent vraiment la peine! Premier volume de la trilogie Le grand cahier. En un lieu, temps et pays sans aucune indication svit la guerre. (Encore qu'il n'est pas trs difficile d'imaginer la Hongrie de l'auteur, la Seconde Guerre mondiale... le communisme). Une mre conduit ses enfants la campagne, chez leur grand-mre. Terrible grand-mre! Analphabte, sale, avare, mchante et mme meurtrire, elle mne la vie dure aux jumeaux. Loin de se laisser abattre, ceux-ci apprennent seuls les lois de la vie, de l'criture et de la cruaut. Abandonns eux mmes, dnus du moindre sens moral, ils s'appliquent dresser chaque jour, dans un grand cahier, le bilan de leurs progrs et la liste de leurs forfaits. Par son humour noir, son culte de la duplicit, ce calme et paisible conte de la mchancet et de la misre quotidienne, le tout servi par un vocabulaire minimaliste, des phrases courtes, la construction en dialogue,

participent d'une mcanique d'criture au service d'un rcit noir tranch littralement au scalpel. En une suite de sayntes tranquillement horribles, Le Grand Cahier nous livre sans fard, sans une once de sensiblerie, une fable incisive sur les malheurs de la guerre et du totalitarisme. La relle schizophrnie de l'oeuvre marque admirablement le processus d'insensibilisation entam par les enfants, comme il marque avec tout autant de prcision quel point les deux garnements restent humains. Ces enfants ne sont plus les victimes de la guerre, ils sont la guerre. Dans une petite ville sans nom, prs d'une frontire sans nom, dans un pays sans nom, en guerre avec ses voisins, deux jumeaux dbarquent chez leur grand-mre. Leur maman n'a plus les moyens de s'occuper d'eux. La grand-mre est une teigne, sale, avare et mchante. Bien obligs de s'adapter, les deux garons apprennent la solidarit et la mchancet. Des chapitre trs brefs, crits au scalpel, avec une conomie de moyens admirable. Du trs, trs grand art. Il y a des livres qui vous collent la peau pendant des jours, voire des annes. Le grand cahier en est un. C'est l'histoire de deux jeunes enfants, des jumeaux, qui dbarquent chez leur grand-mre. Ils apprendront la vie coup de rudes leons. L'auteur possde un style direct et percutant, les chapitres sont extrmement courts et saisissants. J'aime ce livre. C'est pour moi un chef-d'uvre. Deux jumeaux dmnagent chez leur avare grand-mre lors de la seconde guerre mondiale. Dans une poque trs cruelle et difficile, ces deux jumeaux vont apprendre seuls les rgles de la vie (par des exercices tordus), l'criture et la souffrance. Baignant dans une noirceur captivante, le grand cahier dcrit la duret d'une poque domine par le totalitarisme et de la guerre accompagn d'un style humoristique imprenable. Ce lit trs facilement.

Arrivs de la Grande Ville avec leur mre, Claus et Lucas ne vont rester que tous les deux chez leur grand-mre pendant la guerre. Cette dernire est une femme sale, mchante, radine, analphabte et meurtrire; les jumeaux vont alors entreprendre seuls une trange ducation. D'un ct ils s'entranent s'endurcir, ne pas s'apitoyer sur la douleur d'autrui et tuer, et de l'autre, ils crivent la liste des tches effectues dans un grand cahier. Mais, la suite d'un certain nombre d'vnements, les deux frres vont se retrouver spars, le premier dans ce mme pays totalitaire, le deuxime de l'autre ct de la frontire...