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Universit de Paris I UFR dHistoire Centre dhistoire sociale du XXme sicle

Jean HENTZGEN

Agir au sein de la classeLes trotskystes franais majoritaires de 1952 1955

Mmoire de matrise dhistoire contemporaine prpare sous la direction de Michel DREYFUS et dAnnie FOURCAUT Septembre 2006

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3 A ma femme Danile et mes enfants, Carole et Vincent

Remerciements Michel Dreyfus, toute lquipe du Cermtri (et particulirement Pierre Levasseur), ainsi qu Michel Lequenne, Franois de Massot, Jolle Lachize, Gilbert Clauss, Alain Durand, Jean Baumgarten, Louis Eemans, Andr Fichaut, Claude Kahn, Daniel Lafivre, Jean-Guillaume Lanuque, Cline Malaise, Jean-Jacques Marie, Roger Monier, Claude Pennetier, Jacques Simon, Christiane Tranchant, Karel Yon, Nadine Lhuillier, Michle Garo, Jacques Dupont, Sandrine Marxer et surtout Anne-Marie Mairesse.La photographie de couverture est extraite du numro 298 de La Vrit (juillet 1952). Il sagit du premier numro publi aprs la scission.

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TABLE DES SIGLES ET ABREVIATIONS

AL AM AR BDIC BP CC CEI CERMTRI CI Comit Messali CRC CRUA FB FCL FEN FJ FLN FNSA-PTT FP-CGT IC MAS MNA MRJ MTLD OCI RP SFIO SI SWP UD

Archives de Michel Lequenne Archives Andr Marty du Centre dhistoire sociale du XXme sicle Archives Raoul dtenues par Christiane Tranchant Bibliothque de documentation internationale contemporaine Bureau politique Comit central Comit excutif international de la IVe Internationale Centre d'tudes et de recherches sur les mouvements trotskyste et rvolutionnaires internationaux Comit international de la IVe Internationale Comit pour la libration de Messali Hadj et des victimes de la rpression Comit de redressement communiste Comit rvolutionnaire pour lunit et laction Fonds Marcel Bleibtreu la BDIC Fdration communiste libertaire Fdration de lducation nationale Fonds Stphane Just la BDIC Front de libration national Fdration nationale des syndicats autonomes des PTT Fdration postale de la CGT Internationale Communiste Marxistische Aktion der Schweiz Section suisse de la IVe Internationale Mouvement national algrien Mouvement rvolutionnaire de la jeunesse Organisation de jeunesse du PCI Mouvement pour le triomphe des liberts dmocratiques Organisation communiste internationaliste Rgion parisienne Section franaise de linternationale ouvrire Autre nom du Parti socialiste Secrtariat international de la IVe Internationale Socialist Workers Party (USA) Union dpartementale

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IDENTIFICATION DES SOURCES DU CERMTRI

Au Centre d'tudes et de recherches sur les mouvements trotskyste et rvolutionnaires internationaux (CERMTRI), les documents - imprims ou manuscrits - sont rangs dans des cartons. On identifie un carton par une cote inscrite sur sa tranche. La cote est parfois assez longue. Par commodit et pour allger les notes de bas de page dans la prsente matrise, chaque carton du CERMTRI sera identifi par AC (pour Archives CERMTRI) plus un numro squentiel. Le tableau qui suit indique la correspondance entre cet identifiant et la cote sur la tranche du carton. Un document qui concerne le PCI majoritaire est a priori class dans un carton correspondant son anne de rdaction comme PCI 52, PCI 53 Mais certains documents sont classs dans des cartons thmatiques correspondant une ou plusieurs annes. Par exemple, le carton avec la cote 1947-1957 TRAVAIL SYNDICAL.

Identifiant utilis dans le texte de la matrise AC1 AC2 AC3 AC4 AC5 AC6 AC7 AC8 AC9 AC10 AC11 AC12 AC13 AC14 AC15 AC16 AC17

Cote sur la tranche du carton

1951 PCI 1951 VIIe congrs du PCI 1952 PCI 1952 PCI (suite) 1952 VIIIe congrs du PCI 1953 PCI 1954 PCI 1954 IXe congrs du PCI 1955 PCI 1956 PCI 1957 PCI 1948 PCI 1953 GREVES D'AOT FRANCE COMITE INTERNATIONAL 1953-1964 COMITE INTERNATIONAL 1952 1954 Correspondance Fonds G. Bloch. COMITE INTERNATIONAL 1952 1962 Correspondance Fonds G. Bloch. FONDS GERARD BLOCH 1946 1952 Notes et correspondances

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Identifiant utilis Cote sur la tranche du carton dans le texte de la matrise AC18 FONDS BLOCH BI Correspondances 1947 1963 AC19 SI SECRETARIAT INTERNATIONAL BULLETINS INTERIEURS 1953/54 AC20 FONDS GERARD BLOCH 1952 1958 Notes et correspondances AC21 FRANCE 1951-1952 L'UNITE AC22 FRANCE 1952-1957 L'UNITE SYNDICALE AC23 1947-1957 TRAVAIL SYNDICAL

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INTRODUCTION

Lhistoire du mouvement trotskyste en France commence tre dfriche au dbut des annes 1970. Le dveloppement des groupes trotskystes franais entrane la publication douvrages sur ce thme. De jeunes historiens souvent aussi militants mnent des travaux sur la priode 1929-1944. Les annes 1980 - marques par un recul de lextrme gauche - voient une rarfaction de ce type de recherches. De manire symtrique, partir de 1995 les progrs des organisations trotskystes franaises vont saccompagner dun renouveau des tudes sur ce courant politique. En 1998, un groupe de jeunes historiens crent le Bulletin de Liaison des Etudes sur les Mouvements Rvolutionnaires (BLEMR) afin de stimuler et aider la recherche sur lextrme gauche. Deux ans plus tard, ce bulletin donne naissance la revue Dissidences-BLEMR. Ce renouveau dtudes sur lhistoire du mouvement trotskyste franais sannonce trs prometteur. Nous avons voulu nous inscrire dans ce chantier de recherches et apporter notre pierre ldifice commun en choisissant un sujet non encore trait. La liste des travaux universitaires sur le mouvement trotskyste franais montre que la priode 1952-1965 est peu tudie1. Ce manque dintrt sexplique : il sagit dune priode noire pour les trotskystes franais. En juin 1952, leur parti se coupe en deux. Chacun des deux groupes conserve le nom de lorganisation dorigine : Parti communiste internationaliste Section franaise de la IVe Internationale. Pour les diffrencier, nous utiliserons la convention adopte par lquipe du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier franais2 (DBMOF) en charge du corpus extrme gauche (marxiste) . Dans ce mmoire, le terme PCI majoritaire dsigne lorganisation regroupant le plus grand nombre de militants trotskystes. Le terme PCI minoritaire sapplique celle reconnue par la direction de la IVe Internationale. De la mme manire, nous1

Dissidences-BLEMR n 3 a prsent une liste des tudes universitaires sur le mouvement trotskyste franais ensuite actualise dans les Cahiers Lon Trotsky, n 79, dcembre 2002, p. 86-89. 2 Ce dictionnaire est aussi appell Maitron du nom de son initiateur, Jean Maitron.

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dsignerons leurs militants sous les termes de majoritaires et de minoritaires pendant la priode tudie. Pour allger la rdaction, nous nous contenterons parfois de nommer le PCI majoritaire sous le terme PCI. Cela ne signifie pas une volont de nier le PCI minoritaire. Nous avons choisi dtudier le PCI majoritaire car il existe dj des mmoires sur la crise du PCI en 1951-19521 et sur le PCI minoritaire dans les annes cinquante2. Par contre, il nexiste pas de recherche universitaire sur le PCI majoritaire ni sur le groupe Lambert ou groupe La Vrit qui le remplace en 1958. Les travaux existants portent aprs 1965 sur les organisations qui ont succd ce groupe : lOrganisation communiste internationaliste (OCI) puis de nouveau le PCI3. Nous tudierons le PCI majoritaire de juin 1952 jusquen juin 1955. La premire date correspond la scission. Juin 1955 correspond au rejet par la direction du PCI de la demande du Comit international de rintgrer les militants rcemment exclus. Le dpart dfinitif de ces militants - dont Marcel Bleibtreu et Michel Lequenne sont les plus connus - constitue un tournant dans lhistoire du PCI majoritaire. Pour une meilleure comprhension de notre sujet, nous dpasserons ce cadre chronologique dans le premier chapitre en rsumant le parcours du PCI depuis sa fondation en 1944 jusqu la scission de 1952. De manire symtrique, dans le chapitre consacr au militantisme dans le PCI nous utiliserons quelques faits lgrement postrieurs notre priode. Les premiers crits sur cette organisation sont militants. En 1970, la brochure de lOCI Quelques enseignements de notre histoire raconte lhistoire de ce courant. Elle consacre une douzaine de pages aux six annes dexistence du PCI majoritaire - de 1952 1958. Ce texte reconnat la faiblesse de ce dernier mais considre quil a renou avec la1

Il sagit des mmoires de F-X. Breton, La scission du PCI (Parti communiste internationaliste) section franaise de la IVme Internationale en 1952, de J-L. Escuret, La crise de 1952 et les courants du trotskisme en France et de S. Michelet, Lexclusion de la Section Franaise de la Quatrime Internationale. Les rfrences compltes des travaux universitaires sont indiqus dans la bibliographie. 2 Il sagit des mmoires de G. Grzybek, Les trotskystes dans les organisations communistes franaises pendant les annes cinquante, et de S. Pattieu, Les camarades des frres. Guerre dAlgrie et extrme gauche en France. Dynamiques et recompositions. Ces deux recherches fournissent de nombreuses informations sur PCI minoritaire. 3 Il sagit des recherches dE. Brandely, LOCI-PCI de 1965 1985. Contribution lhistoire dune organisation trotskyste, de K. Landais, Un parti trotskiste. Elments pour une socio-histoire des relations de pouvoir : introduction une tude de lOCI-PCI et de K. Yon, Des rvolutionnaires professionnels aux professionnels de la politique ? Etude du courant Convergence(s) Socialiste(s). Les travaux de K. Landais et K. Yon sont plutt sociologiques. En particulier, le DEA de K. Yon consacre une large place la scission en 1986 du groupe Convergences socialistes.

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tradition trotskyste aprs les errements de la section franaise1. Six ans plus tard, M. Lequenne raconte les trois premires annes du PCI majoritaire dans un article Continuit et discontinuit du Lambertisme - Contribution lhistoire dune dgnrescence 2. Il accuse Pierre Lambert davoir usurp le pouvoir dans cette organisation puis den avoir exclu ses opposants - dont il faisait partie. En fait, M. Lequenne veut mettre en garde son organisation - la Ligue communiste rvolutionnaire contre tout rapprochement avec lOCI, hritire du PCI majoritaire. Dans ses crits postrieurs, ce militant continue son rquisitoire contre le lambertisme 3. En 1995, lhistorien Pierre Brou consacre un long article Raoul, militant trotskyste 4. Raoul tait le pseudonyme de Claude Bernard (1921-1994). Militant trotskyste depuis 1942, Raoul possdait une personnalit haute en couleur. Il se distingua en animant le rayon Puteaux-Suresnes la Libration. Une bonne partie de cet article controvers concerne son militantisme au PCI majoritaire. Deux ans plus tard, Christophe Bourseiller qui nest pas militant publie Cet trange Monsieur Blondel5. Malgr son titre, cet ouvrage traite surtout de P. Lambert. C. Bourseiller prsente ce dernier comme un manipulateur rus construisant depuis cinquante ans un rseau aux multiples ramifications. Le livre, trs journalistique, consacre une quinzaine de pages la priode tudie, mlant des faits rels avec des inexactitudes et des jugements lemporte-pice. Daniel Gluckstein appartenant la mme organisation politique que P. Lambert rplique par une brochure Un faussaire nomm Christophe Bourseiller 6. A la suite du livre de C. Bourseiller, et surtout lannonce en 2001 du militantisme pass de Lionel Jospin lOCI, dautres ouvrages paraissent sur ce courant baptis lambertiste 7. Cette srie douvrages nous inspire deux remarques. Dabord, il

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Quelques enseignements de notre histoire , Paris, Selio, 1979 (troisime dition), p. 79. Critique Communiste, n7, 1976, p.120-145. 3 Dans son dernier ouvrage Le trotskisme, une histoire sans fard, Paris, Syllepse, 2005, M. Lequenne raconte que le parti trotskyste amricain le SWP protesta lors de la publication de larticle de 1976 (p. 337). 4 P. Brou, Raoul, militant trotskyste , Cahiers Lon Trotsky, n56, juin 1995, p. 4-186. Cet article mle un rcit de la vie militante de Raoul avec les rflexions politiques quelle lui a inspir. Il constitue un hommage Raoul construit partir de commentaires faits lauteur et dextraits de lettres. Souvent, ces lettres ne sont pas rfrences. Ce texte a suscit les critiques de Franois De Massot, Mise au point , La Vrit, n623, mars 1996, p. 155-165 et de Michel Lequenne, Notes sur notre histoire , Critique Communiste, n148, p 93-98. 5 Paris, Editions Bartillat, 1997. 6 La lettre de La Vrit, supplment au n38, 1997. 7 Ces ouvrages sont tudis dans Dissidences BLEMR n 1, 10 et 11.

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faut signaler linconvnient de nommer un courant politique avec un terme quil rfute1. Nous nutiliserons donc pas le terme de lambertiste dans ce mmoire. Ensuite, il faut indiquer les qualits du livre de Philippe Campinchi2. Il fournit de bien meilleures informations sur le PCI majoritaire que les autres ouvrages. Par exemple, Christophe Nick dans son ouvrage Les trotskystes 3 voque les lambertistes, qui mettent un point dhonneur ponctuer leurs arguments coups de boule 4. Il raconte une runion du comit central lambertiste en 1959 ou Pierre Brou prend sa chaise, la casse puis la lance vers Pierre Lambert. Ce dernier se baisse et un autre militant la reoit en pleine figure5. Ce type de texte nous a donn lenvie dtudier de prs cette organisation. Le prsent mmoire vise dabord reconstituer la trame vnementielle souvent mise mal dans les ouvrages prcdemment voqus. Bien entendu, nous nvoquerons pas tous les vnements de la priode. Nous citerons ceux qui ont eu un impact sur le PCI majoritaire. Ainsi, nous ferons mention du soulvement Berlin-Est ou du dclenchement de la guerre dAlgrie mais sans les tudier de manire prcise. Par contre, nous privilgierons les vnements internes lorganisation. Notre sujet, cest le PCI majoritaire de 1952 1955 et ses tentatives pour agir sur la socit franaise de son poque. Nous tudierons comment le PCI majoritaire a essay datteindre son objectif la rvolution proltarienne - ainsi que les dbats passionns que cela a entran dans ses rangs. Nous nous efforcerons de prsenter de manire objective les positions des diffrents groupes ou tendances. Surtout, nous essayerons de discerner les lignes politiques sous-jacentes et les clivages quelles entranent. En particulier, le fonctionnement du Parti a donn lieu polmique. Au cours des vnements, nous nous efforcerons de dcrire celui-ci. Enfin, nous nous intresserons aux militants du PCI. Nous en prciserons le nombre car il y a dbat sur celui-ci. Nous chercherons dcrire ces militants : ge, domiciliation, profession Aprs cet examen social des militants, nous examinerons leurs ides. Nous tudierons la conception du militantisme et les principales convictions spcifiques aux membres du PCI majoritaire.1

Voir larticle de J-G Lanuque Rflexions et rflections sur lutilisation du vocabulaire dans ltude de lextrme gauche dans BLEMR, n 1, dcembre 1998. 2 P. Campinchi, Les lambertistes, un courant trotskyste franais, Paris, Balland, 2000. 3 C. Nick, Les Trotskistes, Paris, Fayard, 2002. 4 Ibid., p. 185. 5 Ibid.

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Pour atteindre ces objectifs, nous avons tudi la plupart des livres cits dans la bibliographie puis nous avons mobilis le maximum de sources disponibles dans le dlai imparti. Nous avons dabord consult les fonds dposs au CERMTRI. Ce centre priv darchives a t cr en 1978 par lOCI en association avec danciens militants. Il dispose des archives du PCI majoritaire et de celles de militants comme Grard Bloch ou Louis Eemans. Les documents fournis par G. Bloch sont particulirement prcieux : ils contiennent de nombreuses lettres de sa main mais aussi de M. Lequenne, de Joseph Hanley (militant amricain du SWP) ou de Betty Hamilton (militante anglaise). Le CERMTRI dispose de lintgralit de la presse du PCI majoritaire. De plus - et ce nest pas ngligable - lquipe danimation du centre se rvle toujours efficace et extrmement disponible. Nous avons consult les archives Andr Marty du Centre dhistoire sociale du XXme sicle ainsi que les fonds Marcel Bleibtreu et Stphane Just la Bibliothque de documentation internationale contemporaine (BDIC). Dans ce mmoire, nous avons rfrenc les documents de ces fonds sous les sigles respectifs AM, FB et FJ. Nous signalons limportance pour notre sujet du fonds M. Bleibtreu recemment dpos la BDIC. Il comprend une trs riche correspondance de ce dirigeant. Christiane Tranchant a eu lamabilit de nous prter des lettres de son compagnon Raoul (pseudonyme de Claude Bernard). Nous avons rfrenc ces documents sous le sigle AR pour Archives Raoul. Nous avons complt les informations ainsi obtenues par des entretiens avec cinq anciens militants du PCI majoritaire : Michel Lequenne, Franois de Massot, Jean Baumgarten, Claude Kahn et Jacques Simon. Nous avons choisi des militants dont les itinraires politiques aprs le PCI sont trs divers. Ces entretiens ont t men dune manire semi-directive. Pour chacun, nous avons prpar une douzaine de questions que nous avons compltes par de nouvelles interrogations en fonction des propos de linterview. Ce ntait pas toujours facile pour ces militants de se souvenir prcisment de faits dil y a cinquante ans mais ces entrevues se sont rvles fructueuses. Elles ont mis en lumire des aspects peu connus du PCI majoritaire et nous ont permis de complter nos sources. Ainsi, Franois de Massot nous a signal un texte quil avait crit en rponse larticle de Pierre Brou. M. Lequenne a eu lamabilit de nous communiquer la liste de synthse des militants labor par le groupe Maitron en charge de lextrme gauche (1940-1968). Surtout, M. Lequenne a retrouv chez lui par hasard deux dossiers de documents indits

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de 1952 et 1954-1955 dont il a bien voulu nous faire bnficier. Dans ce mmoire, nous avons class ces documents sous la rfrence Archives Lequenne (AL). Louis Eemans, Andr Fichaut, Basile Karlinsky, Daniel Lafivre et Pierre Levasseur ont rpondu des questions ponctuelles. Lhistorien Claude Pennetier nous a fourni de prcieux renseignements sur Andr Marty. Enfin, deux doctorants ont eu lamabilit de nous communiquer les textes des entretiens quils avaient mens. Cline Malais a rencontr Louis Eemans le 20 fvrier 2002. Karim Landais a men des entretiens avec Alexandre Hbert (le 7 avril 2004), Michel Lequenne (le 19 mars 2004) et Pierre Brou (le 26 fvrier 2004)1. Nous avons dcoup notre mmoire en six chapitres. Suite notre volont de reconstituer dabord la trame vnementielle, ces chapitres sont chronologiques lexception du quatrime. Ce chapitre est thmatique : nous le consacrons entirement aux activits et aux ides du militant majoritaire. Les annexes contiennent les textes des cinq entretiens raliss. Elles comprennent aussi une lettre trs intressante de P. Lambert crite juste aprs le congrs de la scission. Le texte original a t difficile dchiffrer : nous avons t aid par deux membres de lquipe du CERMTRI. Il fallait garder trace de cet effort commun. Une annexe consiste en une table de passage officielle entre les prix de ces annes et nos prix actuels. Les autres annexes comprennent des listes de militants trouves au hasard des archives. Ces listes concernent de simples adhrents ou des responsables. Nous les avons reproduites car elles peuvent servir dautres chercheurs. En particulier, la liste des militants majoritaires en RP au 12/12/1954 reproduite en annexe 9 est commente par les militants prcdemment cits. Nous allons expliciter plusieurs conventions. Souvent, nous nommerons la IVe Internationale sous le numro IVe. Dans le PCI majoritaire, chaque militant adopte un ou plusieurs pseudonymes afin de gner la rpression policire ou celle du PCF. Dans ce mmoire, nous avons choisi de nommer les membres du PCI par leur vrai nom. La premire fois que nous citons un militant nous indiquerons en note son ou ses pseudonymes. Nous ne respecterons pas ce principe pour quelques rares militants dont les noms (Boussel, Raptis, Abraham ou Bernard par exemple) sont beaucoup moins1

K. Landais sest suicid quelques semaines aprs avoir eu lamabilit de nous avoir communiqu ces

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connus que les pseudonymes (respectivement Lambert, Pablo, Mestre et Raoul). Quand ils ne sont pas rfrencs en note, les lments biographiques proviennent du Maitron. Les majoritaires utilisent dans leurs crits le terme de rformiste. Nous prcisons quil dsigne alors des personnes relevant de la mouvance social-dmocrate, jamais du PCF. Nous lutiliserons avec cette signification. Enfin, nous tenons indiquer notre sympathie et notre admiration pour ces militants trotskystes - majoritaires ou minoritaires. Ils luttaient contre-courant dans un contexte des plus difficiles.

documents. Nous en restons attrists.

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CHAPITRE I UNE ORGANISATION ORPHELINE

Le matin du samedi 29 juin 1952 le comit central du Parti communiste internationaliste (IVe Internationale) se runit. Le comit central (ou CC) constitue pour une organisation lniniste comme le PCI l'instance dirigeante entre deux congrs. L'ambiance est trs tendue. Ds le dbut de la runion le secrtaire lorganisation, Pierre Lambert1, au nom des membres majoritaires du comit central, accuse les minoritaires d'avoir vol l'appareil technique d'impression du Parti au cours de la nuit du 26 au 27 juin. Le 26 juin au soir, une militante minoritaire - Michle Mestre2 - sest laisse enfermer dans le local du Parti au 46 rue de l'Arbre-Sec (1er arrondissement de Paris)3. Elle a permis dautres militants minoritaires dentrer et demmener le matriel d'impression (ronos, machines crire)4. Lors de la runion du 29 juin, les membres de la minorit prsents ainsi que le reprsentant de la IVe Internationale, Ernest Mandel, reconnaissent l'enlvement du matriel. Ernest Mandel lit une rsolution expliquant que cet appareil technique appartient d'abord l'Internationale qui l'a ainsi mis l'abri des menes majoritaires. Ce matriel est maintenant la disposition des membres du Parti, fidles l'Internationale, qui vont prparer le VIIIe congrs du PCI prvu en juillet. La majorit du comit central vote alors la suspension des membres minoritaires et l'envoi au Secrtariat international (SI) de la IVe d'une lettre expliquant cette suspension. Marcel

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Pseudonyme de Pierre Boussel n en 1920. Pseudonyme de Lucienne Abraham. 3 Maurice Rajfus dcrit ce local au pages 133 et 134 de son ouvrage Une enfance laque et rpublicaine, Paris, Manya, 1952. En particulier, il se souvient de "l'atelier de duplication o quelques ronos antiques bruissaient du matin au soir". 4 Entretien avec M. Lequenne le 21 dcembre 2005.

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Gibelin1, le prsident de sance majoritaire, demande aux membres suspendus de se retirer. Devant leur refus, les majoritaires partent poursuivre la runion au local du Parti. L, ils dcident de placer hors du Parti la minorit du comit central ainsi que tous les militants du PCI qui sen solidarisent. Ils lisent un nouveau bureau politique, l'instance excutive du comit central, et prparent le congrs prvu les 13 et 14 juillet2. Ce 29 juin, l'organisation qui regroupait la quasi-totalit des trotskystes franais vient de se couper en deux. Cette rupture constitue l'issue d'une lutte fractionnelle qui dure depuis le dbut de 1951. Il faut maintenant revenir en arrire pour en comprendre les origines, connatre les positions des deux parties puis dresser un tat des lieux de cette organisation au lendemain de la scission.

Le mouvement troskyste dans l'impasseAvant tout, le PCI constitue une des sections de la IVe Internationale fonde par Lon Trotsky en septembre 1938 avec seulement quelques milliers de partisans. Pour L. Trotsky, Joseph Staline est le chef tout-puissant dune caste bureaucratique qui dirige ltat sovitique et lInternationale communiste (IC). La IVe internationale vise remplacer l'IC considre comme passe du ct de lordre bourgeois. Lors de son congrs de fondation, elle adopte le texte de Trotsky connu sous le nom de Programme de transition. Ce texte nonce une srie de revendications dites transitoires qui doivent aider les masses passer de leurs revendications immdiates au programmme de la rvolution socialiste. Il est ncessaire d'en rappeler quelques ides forces : - Tout dpend du proltariat, c'est--dire au premier chef de son avant-garde rvolutionnaire. La crise historique de l'humanit se rduit la crise de la direction rvolutionnaire3. Les organisations ouvrires mnent une politique de trahison des intrts ouvriers. Les trotskystes doivent constituer la nouvelle direction rvolutionnaire qui mnera le proltariat la victoire. Pour cela ldification de partis rvolutionnaires nationaux, sections de la IVe internationale, est la tche centrale de l'poque de transition4.

N en 1920, dans le compte-rendu il est nomm sous le pseudonyme de Bailly. Ce pseudonyme a t identifi par lauteur suite la lecture des documents internes du PCI majoritaire de juin septembre 1952. 2 Le rcit de cette journe du 29 juin est fait dans AC3, Compte rendu du comit central du 29 juin , 6 p. 3 L. Trotsky, Programme de transition , Bulletin de lOpposition, n66-67, 1938, p. 3. Il est fait rfrence ici la version disponible sur le site web marxists.org. 4 Ibid, p. 7.

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- utilisation du mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan pour dmasquer les partis et organisations qui s'appuient sur les ouvriers et paysans et qui refusent de rompre avec la bourgeoisie. Ce mot d'ordre permet aussi de dployer une agitation inlassable autour des revendications transitoires qui devraient, notre avis, constituer le programme du gouvernement ouvrier et paysan 1. - les militants trotskystes doivent militer dans les syndicats mais il n'est pas moins criminel de tolrer passivement la subordination du mouvement rvolutionnaire des masses au contrle de cliques bureaucratiques 2. Les sections de la IVe internationale doivent constamment s'efforcer [] de crer, dans tous les cas o c'est possible, des organisations de combat autonomes qui rpondent mieux aux tches de la lutte des masses contre la socit bourgeoise 3. Ce document constitue une vritable boussole pour tous les groupes trotskystes. Trotsky escomptait que la guerre mondiale qui approchait provoquerait une puissante vague rvolutionnaire. Effectivement, partir de 1943 une nouvelle monte rvolutionnaire commence en Europe. Pour mieux en tirer profiter en France, les trotskystes franais, jusqualors diviss, s'unifient dans le Parti communiste internationaliste (PCI) en fvrier-mars 19444, quelque mois avant le dbarquement des allis. L'organisation recrute les annes suivantes mais elle ne dpasse pas le millier de membres. Par contre, les grandes organisations ouvrires tiennent le haut du pav dans l'Europe libre. En France, cest particulirement le cas pour le Parti communiste. Comme les conditions de vie des travailleurs saggravent (rationnement, hausse des prix), partir de 1947 les luttes sociales denvergure reprennent. La plus importante est la grve la Rgie Renault davril-mai 1947 qui provoque le dpart du PCF du gouvernement. Lopposition des communistes ce dernier devient de plus en plus forte, en mme temps que la tension crot entre l'URSS et le camp occidental. La guerre froide commence. Le PCF et l'organisation syndicale qu'il chapeaute, la CGT, appellent dsormais les travailleurs la grve et la lutte pour amliorer leur sort. A la fin de lanne 1947, des syndicalistes quittent la CGT pour constituer une nouvelle confdration CGT-Force Ouvrire5. FO se dfinit comme rformiste et trs hostile aux communistes. Les trotskystes condamnent cette scission. Pour eux, la nouvelle

Ibid, p. 16. Ibid., p. 7. 3 Ibid., p. 7. 4 A lexception du petit groupe Lutte de classe qui refuse la fusion. Lutte Ouvrire se considre comme lhritire de ce groupe. 5 Elle sera identifie par le sigle FO dans ce mmoire.2

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confdration est domine par les fonctionnaires chevronns du syndicalisme rformiste 1. Ils tentent de constituer dans la CGT une tendance syndicalistervolutionnaire. Malgr leur faible nombre, les trotskystes franais essayent dintervenir dans les luttes sociales qui recommencent. Ils y parviennent au cours de la grve Renault o le groupe Lutte de classe et le PCI jouent un rle important. Comme les divisions politiques et syndicales nuisent aux combats des travailleurs, les trotskystes appellent la constitution la base de comits d'unit d'action dmocratique et font de la propagande pour un front unique PC-PS. Il faut expliciter cette expression de front unique. La tactique de front unique fut labore en 1921-1922 par lInternationale communiste. Cette dernire constatait que les jeunes partis communistes demeuraient minoritaires dans la classe ouvrire face aux organisations rformistes. LIC prconisait aux PC de proposer publiquement ces organisations de lutter ensemble pour satisfaire des revendications syndicales et politiques communes tous les travailleurs. En fait, cet appel constituer un front unique visait aussi dmasquer les dirigeants rformistes devant les proltaires. A partir de 1947, le front unique prconis par le PCI est purement propagandiste vu sa faiblesse numrique. Il cherche lutter contre la politique de division des organisations ouvrires. Les trotskystes gagnent quelques militants ouvriers entre 1946 et 1948, surtout des mtallurgistes2. Stphane Just adhre cette poque. Entre juillet et septembre 1946, le PCI constitue chez Caudron sa premire cellule dentreprise3. Peu aprs, il cre dautres cellules dentreprise. Les plus actives sont Renault, Chausson et Unic4. Dans les annes suivantes, le PCI considrera toujours ce dbut dimplantation ouvrire comme un progrs important. Nanmoins, le PCF demeure - de trs loin - hgmonique au sein de la classe ouvrire. Surtout, ces progrs du PCI sont contrebalancs en 1948 par le dpart de sa tendance dite droitire 5. Elle prnait la rvision du programme trotskyste et la constitution dun regroupement large avec dautres organisations. Cette tendance regroupait prs de la moiti des militants. A la mme poque, Cornlius CastoriadisJ. Simon, Au congrs CGT-FO , La Vrit, n217, 16 avril 1948. Selon S. Michelet, Lexclusion de la Section Franaise de la Quatrime Internationale - 1952, mmoire de matrise sous la direction dAntoine Prost, Universit Paris I, 1980, p. 290. 3 S. Minguet, Mes annes Caudron une usine autogre la Libration (1944-1948), Paris, Syllepse, 1997, p. 85. 4 Ibid., p. 111. 5 Elle est surnomme ainsi par les autres tendances du PCI.2 1

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(1922-1997) constitue dans le PCI un groupe dfinissant lURSS comme une formation sociale dun type nouveau : un capitalisme bureaucratique totalitaire et non un tat ouvrier dgnr comme le pensait Lon Trotsky. Ce groupe rfute le schma du parti lniniste et rompt avec le PCI lautomne 1948. Ensuite, il publie la revue Socialisme ou Barbarie. Le IIe congrs de la IVe Internationale se runit Paris en avril 1948. La rvolution socialiste si attendue n'a pas eu lieu mais cette organisation conserve la perspective du congrs de fondation : effondrement imminent du capitalisme et du stalinisme avec croissance du parti rvolutionnaire. Ainsi, le congrs souligne que les progrs des sections ne sont pas proportionns aux possibilits objectives et, moins encore, aux exigences historiques. Partout, la tendance gnrale est vers la transformation des organisations de la IVe Internationale en rels partis de masse 1. En fait, les effectifs des sections augmentent mais de manire limite2. Les congressistes sont influencs par le rcent tournant "gauche" effectu par les PC et l'ambiance de la guerre froide qui commence ; aussi l'Internationale envisage : En cas daggravation continue des rapports USA-URSS, de polarisation accrue des antagonismes sociaux et du maintien de limpuissance des partis ouvriers, il est probable que la menace ractionnaire se prcisera en France et en Italie. Dans ces conditions, il est probable galement que ces deux pays deviendront le thtre dune pre guerre civile mettant aux prises les forces de la dictature bourgeoise et les masses3. Au cours du mme congrs, la IVe se dote de nouveaux statuts trs prcis afin de lui assurer une direction ferme4. Entre les congrs souverains, l'organisation est dirige par un Comit excutif international (CEI) compos de reprsentants des sections nationales. Pour des raisons d'abord matrielles - lInternationale est trs pauvre et les dplacements sont alors difficiles - les sessions du CEI n'ont lieu que deux ou trois fois par an. Finalement, c'est un Secrtariat international (SI) d'une demi-douzaine de

R. Prager (sous la direction de), Les congrs de la Quatrime Internationale, tome 3 : Bouleversements et crises de laprs-guerre (1946-1950), Paris, Editions La Brche, 1988, p. 115. 2 En 1950, seules les sections de Bolivie, de Ceylan et des Etats-Unis dpassent le millier de membres selon S. Michelet, op. cit., p. 151. 3 Ibid, p. 107. 4 Le texte de ces statuts est dans R. Prager, op. cit., p. 296-307.

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membres qui dirige la IVe au jour le jour. Parmi eux, Michel Pablo1 a pris lascendant sur les autres membres. Une des raisons du conflit qui va surgir entre le PCI et le SI est que ce dernier, tabli Paris, prendra l'habitude de suivre de trs prs les activits de la section franaise. Selon la brochure Quelques enseignements de notre histoire : Aucune dcision nest prise par le bureau politique ou le comit central du PCI sans son aval. La direction franaise lui est compltement infode et participe ses intrigues, qui, bien souvent, tiennent lieu de ligne politique2. En septembre 1948, le Kremlin rompt brusquement avec le PC yougoslave. Le PCI et toute la IVe Internationale se mobilisent pour soutenir la Yougoslavie. Le PCI organise des brigades de jeunes qui font le voyage en 1950 et tmoignent leur retour des ralits de ce pays. Mais, en juillet 1950 alors que la guerre de Core vient de commencer la Yougoslavie s'abstient lors d'un vote stratgique l'ONU. Le mouvement trotskyste qui esprait se dvelopper en soutenant le rgime yougoslave connat un nouvel chec. En mars 1950, le PCI na plus que 253 militants3 alors que la rvolution vient de triompher en Chine et semble prte se propager mais les trotskystes ny ont jou aucun rle.

Une longue lutte fractionnelleEn novembre 1950, Michel Pablo, dirigeant effectif du Secrtariat international de la IVe, prsente au IXe plenum du CEI des "Thses sur les perspectives internationales" qui optent pour une nouvelle stratgie. Il constate : "Limprialisme s'est lanc dans la prparation acclre, militaire et politique, d'une nouvelle guerre mondiale"4. Cette constatation semble l'poque peu originale : beaucoup craignent alors le dclenchement d'une telle guerre. L'important, c'est que pour M. Pablo cette guerre [] se transformera ds le dbut en guerre civile internationale5 et il nest pas exclu que certains partis communistes puissent tre entrans avec le gros de leurs forces hors de la subordination stricte la bureaucratie sovitique et esquissent une orientation

De son vrai nom Michel Raptis (1910 - 1996). Quelques enseignements de notre histoire, Paris, Selio, 1979 (troisime dition), p. 79. Rappellons quil sagit dune brochure de lOCI. 3 AC17, Compte rendu du comit central du 26 mars 1950 . Le document prcise quen ce dbut danne 12 nouveaux militants ont t coopts alors que 89 militants nont pas repris leur carte. 4 R. Prager (sous la direction de), Les congrs de la Quatrime Internationale, tome 4 : Menace de la troisime guerre mondiale et tournant politique (1950-1952), Paris, Editions La Brche, 1989, p. 147. 5 Ibid,p. 148.2

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rvolutionnaire1. Quel est alors le rle de la IVe Internationale ? Selon M. Pablo, dans les pays o la majorit de la classe ouvrire suit les partis communistes il faut que les militants trotskystes se rapprochent de leurs bases pour prparer les volutions venir. Ses thses sont adoptes avec des amendements. La vision catastrophiste qu'a M. Pablo des annes venir ne choque pas les militants du PCI. Elle est alors partage par tous les trotskystes qui demeurent trs marqus par les prvisions de Trotsky et les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui par contre gne un grand nombre de militants, ce sont les conclusions qu'en tire M. Pablo : s'insrer dans les mouvements ou partis staliniens. Dans un article O allons-nous ? , crit en janvier 1951, il prcise ses ides. La guerre va dvelopper des tendances centristes2 dans les partis communistes, il suffit de les appuyer3. M. Pablo crit que la bureaucratie russe et les partis staliniens peuvent raliser une partie des objectifs dvolus la la IVe Internationale. Pour la majorit des dirigeants du PCI, une telle politique remet en cause la proclamation de la IVe Internationale et la construction de partis rvolutionnaires indpendants. En France, cela signifie pratiquer lentrisme dans le PCF. Pour une organisation, pratiquer lentrisme dans un parti politique consiste ce que ses militants y adhrent soit pour en modifier lorientation, soit pour y recruter des adhrents et en sortir plus nombreux. Le PCI est trs fier d'tre parvenu, depuis 1947, s'implanter dans quelques entreprises - chez Renault, la RATP - et de pouvoir y exposer ses ides malgr la rpression des communistes. Adhrer au Parti Communiste, conduirait les militants trotskystes annuler ces efforts dimplantation et se renier publiquement. Les 7 et 8 avril 1951, le comit central rejette les thses cites. Un long conflit commence entre la majorit de la section franaise et la direction de la IVe cest-dire le SI domin par M. Pablo. La minorit de la section franaise - dirige par Pierre Frank - est daccord avec la direction de la IVe. M. Bleibtreu4 est le principal dirigeant de la majorit du PCI. Il critique les Thses de M. Pablo partir du CEI de novembre 1950 o il a obtenu des amendements. Dans un

Ibid, p. 153. Dans la tradition lniniste, on appelle centriste un parti dont lorientation est intermdiaire entre une orientation rvolutionnaire et une orientation rformiste. 3 Ibid, p. 27-47. 4 Les dirigeants majoritaires sont prsents plus loin.2

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grand article de rponse O va le camarade Pablo ? 1, il refuse tout rle progressif la bureaucratie sovitique et aux PC infods au Kremlin2. Avec lui, la majorit du PCI conserve l'objectif "d'organiser une avant garde dtache des vieilles organisations, particulirement du PCF"3. Pierre Lambert rejoint clairement la majorit en juin 1951 : dans un bulletin interne il signe un article au titre explicite "Contre les menaces de liquidation". Pour lui, "le rapprochement prconis par la minorit vers les militants staliniens n'est pas autre chose que le rapprochement vers la politique stalinienne"4 aussi, "pour remplacer une tape donne le PCF comme direction, nous devons dvelopper une politique, une stratgie, une tactique, des formes de mobilisation et d'organisation autonomes de la direction bureaucratique 5. Ce dveloppement de structures indpendantes du PCF, P. Lambert la dj entrepris. Il joue un rle cl dans le regroupement syndical organis depuis l'anne prcdente qui publie le mensuel L'Unit. Ce regroupement associe aux trotskystes du PCI deux autres composantes : des anarcho-syndicalistes (Alexandre Hbert, Maurice Joyeux) et des rformistes de FO (Michel Morin,Yves Bellac)6. L'accord sest dabord fait sur le soutien la Yougoslavie qui aide financirement le journal. Il continue sur les mots dordre dunit d'action et de dmocratie ouvrire. LUnit est dit par une cooprative dirige par un bureau paritaire. Les postes au sein de ce bureau sont rpartis galement entre les trois tendances cites. Les trotskystes minoritaires critiquent L'Unit : "nous pouvons ds maintenant observer dans le journal des manifestations plus accuses des lments anti-communistes"7. Il est vrai que des rdacteurs de L'Unit comme M. Joyeux - anarchiste - ou M. Morin - rformiste - sont ouvertement anti-communistes.

R. Prager, op. cit., p. 71-93. Par contre, il estime que des dveloppements centristes sont possibles au sein dorganisations communistes qui ont rompu ou qui sloignent du Kremlin (Yougoslavie, Chine). Ainsi il critique les trotskystes chinois qui nont pas pratiqu lentrisme dans le PCC. e 3 AC1, Discussion prparatoire au VII congrs du PCI , Supplment La Vrit n277 - juin 1951, p. 6. 4 Ibid, p. 13. 5 Ibid, p. 11. 6 Sur LUnit, voir Pluet-Despatin (Jacqueline), La presse trotskyste en France de 1926 1968, Paris, Maison des Sciences de lHomme/Presses Universitaires de Grenoble, 1978, p. 139 et AC3, Lettre aux cooprateurs de lUnit et aux abonns du journal , 1 p. e 7 Discussion prparatoire au VII congrs du PCI , op. cit., p. 7.2

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En juillet 1951, lors du VIIe congrs du PCI la majorit - oppose au SI - lemporte avec 13 membres lus au comit central contre 7 la tendance Frank. Elle dcide de se constituer en tendance internationale. Le IIIe congrs mondial de la IVe Internationale se tient en aot 1951. Il adopte les thses de M. Pablo tant sur limminence de la guerre que sur la ncessit d'intgrer les organisations de masse qui vont se radicaliser1. Les majoritaires franais sont trs isols mais leur opposition oblige M. Pablo un compromis : il est dcid que le bureau politique du PCI et le SI mettront au point une rsolution d'orientation pour la section franaise sur la base des travaux du congrs. Si la direction franaise ne suit pas la ligne du congrs, " le CEI et le SI seront chargs de prendre toutes mesures organisationnelles pour redresser la situation dans le PCI "2. Il y a l une menace peine voile. Le compromis labor entre les majoritaires du PCI et le SI va rapidement se rvler inapplicable cause dun vnement inattendu. Le 10 septembre, le bureau confdral de la CGT envoie une lettre aux autres centrales syndicales proposant : une runion commune en vue de mettre au point nos revendications communes et les mthodes daction propres les faire aboutir 3. A la suite de cette lettre, Benot Frachon - secrtaire gnral de la CGT et dirigeant communiste signe dans LHumanit une srie darticles appellant lunit daction de la base au sommet4. Comme la direction de FO rejette catgoriquement les propositions de la CGT, Benot Frachon crit dans LHumanit le 15 septembre 1951 : Si les dirigeants de FO ont cru mettre un point final nos propositions de runion communes, [ ] ils se sont tromps Nous en poursuivrons la ralisation jusqu' ce que les opposants soient convaincus ou submergs par laction des travailleurs y compris leurs propres adhrents 5. La majorit comme la minorit du PCI approuvent la dmarche de la CGT. Elles jugent absolument corrects les commentaires de B. Frachon6. Par contre, les rdacteurs de LUnit sont diviss. Certains articles expriment des rticences ou de lhostilit la

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Les Thses et rsolution sur les perspectives internationales et lorientation de la IVe Internationale sont votes par 39 voix contre 3 (2 majoritaires franais et un minoritaire vietnamien) et labstention du dlgu suisse daprs le procs-verbal reproduit dans R. Prager, op. cit., p. 124-125. 2 R. Prager, op. cit., p. 331. 3 Cit par La Vrit dans larticle de R. Garreau Convaincus ou submergs , n 282, 11 octobre 1951. 4 Voir en particulier LHumanit des 12 et 15 septembre 1951. 5 Cit dans larticle de R. Garreau, op. cit. 6 Ibid.

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dmarche de la CGT1. Du coup, le SI rclame que le PCI modifie sa politique syndicale. Devant les rticences et les atermoiements de la majorit du comit central, le SI lui fixe la politique suivre dans une lettre du 14 janvier 1952 : Cette politique, dfinissons-la encore une fois clairement : il sagit de pratiquer dans un pays comme la France, de plus en plus une sorte de politique entriste sui generis2 par rapport aux organisations et ouvriers influencs par les staliniens. Cela veut dire quau fur et mesure que nous approchons de la guerre, une partie de plus en plus importante de nos forces doit sinvestir dans les diffrentes organisations politiques et syndicales diriges ou influences par les staliniens, y compris dans le PCF, y rester et y travailler selon une tactique adapte la nature de chacune de ces organisations et subordonne au principe dun travail longue chance. 3 Selon la lettre, cet entrisme sui generis doit tre de longue dure et clandestin. Les trotskystes doivent cacher leurs opinions et apparatre aux responsables du PCF comme des militants zls. Si un secteur indpendant du PCI subsiste, ce ne sera que pour aider le travail entriste. Cet entrisme est trs loign de celui pratiqu par les trotskystes franais dans la SFIO en 1934-35 : drapeau dploy et pour une dure limite. Pour les majoritaires, cette orientation conduirait la disparition de leur Parti. La runion du comit central des 19 et 20 janvier 1952, laquelle participe M. Pablo, n'est qu'un dialogue de sourds l'issue duquel la majorit des membres rejette la consigne du SI. M. Pablo suspend les membres majoritaires du comit central qui refusent cette dcision. La runion dramatique des 19 et 20 janvier constitue un tournant. La marche la scission est commence. Le Xe plenum du CEI en fvrier 1952 raffirme la ncessit d'une politique entriste en France et labore un nouveau compromis. Ce compromis exige des majoritaires qu'ils se rsignent l' entrisme sui generis dans le PCF et qu'ils acceptent lors du prochain et VIIIe congrs du PCI de seulement discuter les modalits d'application de cette ligne. Une bonne partie des majoritaires dsapprouvent ce compromis. De son ct, M. Pablo considre que les majoritaires ne respectent pas les statuts et la discipline de la IVe. Il

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Voir les ditoriaux de M. Morin dans le n 27, 1er octobre 1951 et surtout dans le n 26, 15 septembre 1951 Les stratges et nous . M. Morin essaye de justifier le refus de FO ces propositions. Voir aussi larticle de M. Joyeux Coucou ! les revoil dans la tribune libre du n 28, 15 octobre 1951. Ce militant anarchiste ne voit dans les propositions de la CGT quune manuvre stalinienne pour imposer des syndicats uniques. 2 La traduction la plus approprie de sui generis est : spcifique (Petit Robert). 3 Prager, op. cit., p. 401.

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veut en finir avec eux. En juin 1952, le XIe plenum dcide que le comit central et le bureau politique issus du VIIIe Congrs du Parti seront composs dune majorit de camarades qui, ds avant le Congrs, aurait dfendu la ligne du Xe Plnum dans le parti1. Cette rsolution exaspre les majoritaires : ils considrent quon les empche de mener la lutte politique dans le PCI et dans lInternationale. Cependant, ils se divisent sur la conduite tenir2. Les minoritaires prennent les devants en dmnageant l'appareil technique du Parti. Cet acte provoque la rupture finale. Le dbat thorique sur les perspectives internationales a dgnr en conflit sur la proprit des ronos et machines crire. La scission est consomme. Il faut examiner maintenant qui dirige cette organisation ampute, dans quel environnement elle se situe et enfin quelles sont ses forces et ses faiblesses.

Les dirigeants majoritairesIls proviennent du courant "gauche" du PCI qui s'est constitu dans les annes 19451947 dans la lutte contre les "droitiers" et qui a vaincu ces derniers3. Le courant "gauche" a certes des dbats, par exemple sur la question yougoslave, mais il demeure uni jusqu' ce comit central d'avril 19514. Au cours de la discussion des Thses de M. Pablo, ce courant se coupe en deux. Il faut prsenter les responsables qui se rangent du ct des majoritaires5. On peut regrouper ces dirigeants en trois catgories : Les "anciens" opposs au pablisme mais qui veulent rester dans la IVe.

Marcel Bleibtreu (1918-2001), mdecin, est trotskyste depuis 1934. Il est secrtaire politique du PCI. Il en est un des principaux dirigeants et mme, selon M. Lequenne, le plus important1. Il est le premier sopposer aux Thses de M. Pablo, lors du CEI de novembre 1950. Son article "O va le camarade Pablo?" veut alerter l'Internationale sur les dangers des positions de M. Pablo, et il devient une rfrence pour les militants. CePrager, op. cit, p. 449. AL, Lettre de Lucien Fontanel M. Lequenne du 10 juillet 1952. 3 Sur les droitiers voir le sous-chapitre Le mouvement trotskyste dans limpasse . 4 Voir sur ce point les remarques de M. Lequenne, Continuit et discontinuit du lambertisme (Contribution lhistoire dune dgnrescence) , Critique Communiste, n7, 1976, p.129 et S. Michelet, op. cit., p.115-116. A noter que M. Lequenne insiste sur les qualits de la direction franaise, op. cit., p. 126, alors quon a vu que la brochure Quelques enseignements de notre histoire tait trs critique son gard. 5 Sauf mention contraire, les informations biographiques qui suivent proviennent du Maitron.2 1

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texte sera ultrieurement publi par La Vrit sous le titre "Dfense du Trotskysme"2. M. Bleibtreu a t nomm directeur politique du bimensuel du parti, La Vrit, lors dun comit central tenu en septembre 1951. Le comit de rdaction de ce journal comprend plusieurs militants (L. Fontanel, D. Righetti) avec lesquels il est en accord politique, en particulier le rdacteur en chef Michel Lequenne3. Dans un entretien reproduit en annexe4, M. Lequenne voque ce comit de rdaction, solidaire de M. Bleibtreu. Il prsente aussi les dfauts de ce dernier5, son caractre difficile. Pour M. Lequenne : "Bleibtreu tait un type remarquable sur le plan politique, mais ce n'tait pas quelqu'un de trs facile vivre, et il attirait beaucoup d'antipathie. Et c'est trs mauvais en politique".6 Ce jugement rejoint celui dun historien, F-X. Breton : "Il tait reproch Bleibtreu de manquer de fermet sur les principes d'organisation - arrivant systmatiquement en retard aux runions par exemple".7 De son ct, Pierre Lambert (n en 1920) est contrleur des allocations familiales. A partir du premier procs de Moscou (juillet 1936), il devient un adversaire acharn du stalinisme8. Depuis 1937, il milite au sein du mouvement trotskyste. Cette anne-l, il rejoint le groupe de Raymond Molinier et Pierre Frank9. Pendant lOccupation, il continue de militer au sein de ce groupe tout en menant une activit syndicale de plus en plus importante. Il participe la constitution de syndicats illgaux. A la Libration, il accde des responsabilits au sein de la CGT. Cette exprience se rvle pour lui fondamentale10. P. Lambert considre lactivit syndicale comme primordiale. A la fin de 1947, comme les autres membres du PCI, il condamne la scission de FO. Nanmoins, il demeure en relation avec de nombreux militants de cette confdration11.

M. Lequenne, op. cit., p. 126. La lutte des trotskystes franais contre la pablisme liquidateur , Cahiers du Cermtri, numro 47, dcembre 1987, p. 26. 3 M. Lequenne, op. cit., p. 127. 4 Sixime page de lentretien avec M. Lequenne reproduit en annexe 1. 5 Ibid., p. 10. 6 M. Lequenne, entretien avec K. Landais, p.15-16. 7 F-X Breton, Scission du PCI (Parti communiste internationaliste) section franaise de la IVme Internationale en 1952, Universit de Bourgogne, 2001, p. 42. 8 J. Birnbaum, Leur jeunesse et la ntre, Stock, Paris, 2005, p. 54. 9 D. Gluckstein et P. Lambert, Itinraires, Ed. du Rocher, Paris, 2002, p. 132. 10 Ibid., p. 45-46 et P. Campinchi, Les lambertistes, un courant trotskyste franais, Paris, Balland, 2000, p. 147-148. 11 P. Lambert, op.cit., p. 58.2

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Rdacteur de la rsolution syndicale majoritaire pour le VIIe congrs (juillet 1951), il crit : La meilleure des politiques, si elle ne trouve pas les formes dorganisation pour se raliser dans les masses, apparat comme purement acadmique. 1 Tout cela explique quil soit - avec Marcel Gibelin - responsable de la commission syndicale (dite aussi ouvrire) du PCI et le promoteur du regroupement autour de L'Unit. Il a hsit avant de rejoindre les majoritaires. La brochure Quelques enseignements de notre histoire assimile l'attitude de P. Lambert celle de la commission ouvrire. Selon cette brochure : En fait, en 1950, les dirigeants ouvriers de cette commission ne mesuraient pas toute la porte de la lutte politique. [Mais la lutte politique s'aggrava et la commission ouvrire dut choisir ] d'un ct la capitulation, de l'autre la fidlit au programme en dpit du comportement petit-bourgeois du principal leader thorique de l'anti-pablisme 2. Ce texte indique que P. Lambert a hsit dabord cause du comportement de M. Bleibtreu. Selon M. Lequenne, P. Lambert a tent de ngocier avec M. Pablo la sauvegarde de L'Unit trs critiqu par le SI3. M. Pablo aurait accept cette ngociation puis laurait rvle en pleine assemble gnrale de la Rgion Parisienne. Cest pour cela que P. Lambert aurait rejoint la majorit. M. Bleibtreu voque une telle dnonciation en aot 1951 lors d'une runion de la commission franaise du IIIe congrs. Alors que M. Pablo prside, P. Frank aurait dnonc les alliances que P. Lambert passait avec les bureaucrates de FO autour du journal L'Unit4. P. Lambert joue un rle de plus en plus important parmi les majoritaires. Dans le cadre du compromis du Xe plnum, il devient secrtaire l'organisation du PCI5. Selon M. Lequenne, P. Lambert a aussi la haute main sur les finances du Parti et en particulier sur la petite entreprise de matriel lectrique dont le profit allait au PCI1. Dou pour l'organisation, il est ainsi le responsable de la souscription pour reconstituer l'appareil technique drob par les minoritaires. Ceci explique qu'en 1952 les majoritaires vont1 2

AC1, Discussion prparatoire au VII congrs du PCI , op. cit., p. 3. op. cit., p. 92-93. 3 M. Lequenne, op. cit., p. 125 et entretien avec M. Lequenne reproduit en annexe 1, p. 2. 4 M. Bleibtreu a fait un rcit de cette runion dans un texte Impressions de lt 1953 , FB, F delta 19202/4/4/7/3. et lors dun entretien rapport par F-X. Breton, op.cit., p. 37. 5 Note du secrtariat , Cahiers du Cermtri, numro 45, juin 1987, p. 29.

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tre dsigns par le SI sous le terme "tendance Lambert-Bleibtreu". Pourtant les deux hommes sont si diffrents que tout porte croire que leur coopration sera difficile. Les modrs qui veulent un compromis .

Marcel Gibelin2 (n en 1920) est un des principaux dirigeants du Parti. Avec M. Bleibtreu, il a reprsent les majoritaires du PCI au IIIe Congrs mondial. Davantage proccup des questions syndicales, il se range dans le camp de la majorit tout en demeurant modr. Las des luttes fractionnelles, lors du Comit central dramatique des 20-21 janvier 1952, il propose en vain aux majoritaires d'appliquer la dcision du SI et de faire appel au CEI3. Daniel Righetti (n en 1924) est un militant ouvrier de l'usine Chausson d'Asnires dont il a t licenci pour fait de grve. Membre du comit central4, il espre un compromis avec le Secrtariat international et lors de la runion dramatique du 29 juin, il dcide de se retirer de l'organisation5. Les "jeunes" engags dans cette lutte fractionnelle et dcids mener la lutte contre le pablisme jusqu' la victoire. La modration n'est pas le fort de Daniel Renard6 (1925-1988). Il reprsente le type mme du militant ouvrier que veut former le PCI. Ouvrier chez Renault, il a jou un rle trs actif pendant la grve de 1947. Animateur de la cellule Renault, il s'oppose quotidiennement aux communistes avec un trs grand courage. Il est exclu de la CGT en 1950 puis est licenci de chez Renault suite la grve du 12 fvrier 1952. Ds le dbut de la discussion, il s'oppose avec nergie aux thses de M. Pablo ce qui explique sa nomination au bureau politique en avril 1951. Il est trs critique envers les dirigeants majoritaires : Au commencement de la bataille, notre tendance tait bicphale, Marin [Gibelin] et F.B [Bleibtreu]. Une tte a disparu, Marin, et elle a vraiment disparu sans espoir de retour. Pendant tout un temps, nous avons essay de lutter contre les incomprhensions de Rig [hetti], et de Lambert. Nous navons pas russi.1 2

Entretien avec M. Lequenne reproduit en annexe 1, p. 6 et M. Lequenne, entretien avec K. Landais, p.8. Pseudos : Marin et Bailly. 3 Comit central des 19 et 20 janvier 1952 , Cahiers du Cermtri, numro 44, mars 1987, p. 10. 4 M. Lequenne, op. cit., p. 127. 5 AC3, Compte rendu du comit central du 29 juin , p. 3. 6 Pseudos : Garnier et Franois Tarrant.

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Nous avons laiss Rig en route. Lambert, par un curieux retour des choses, et sans doute en compensation du pass, apparait comme le camarade le plus dcid et le plus consquent mener la bataille jusquau bout. Il est vrai que Marin a eu une attitude criminelle. Mais que dire de F.B. ? Son courage politique et ses vues prcises sur un certain nombre de questions nexclut pas le fait que, restant le seul dirigeant politique de la tendance, il na pas agit comme tel en maintes occasions. 1 On voit dans ce texte se dessiner un accord entre P. Lambert et D. Renard. Au mme moment, Michel Lequenne2 (n en 1921) est lu aussi au bureau politique. Il dpense la mme nergie que Daniel Renard dans la lutte contre les pablistes . Il est permanent du PCI et rdacteur en chef de La Vrit. M. Lequenne est trs li M. Gibelin et M. Bleibtreu qu'il considre comme ses ans3. R. Bern4 (1925 ou 1926 - 1955) est un jeune et brillant militant5, il est membre du bureau politique depuis fvrier 52. Sr de lui, il reproche publiquement Bleibtreu le compromis pass lors du Xe plnum avec les pablistes 6. Grard Bloch7 (1920-1987) est professeur de mathmatiques. Militant trotskyste pendant la seconde guerre mondiale, il a t dport et sa sant en a t affecte. En 1948, pour le Ve congrs du PCI, il rdige une rsolution o il envisage la possibilit pour les trotskystes dintgrer une autre organisation afin de construire le parti rvolutionnaire. Il propose aussi un travail en fraction dans le PCF. Cette rsolution est repousse8. Membre du comit central, il a immdiatement pris position contre M. Pablo. Il rside et milite Clermont-Ferrand. Sa correspondance avec R. Bern, D. Renard ou M. Lequenne montre quil joue dj un rle important. Stphane Just (1923-1997) est ouvrier la RATP. Forte personnalit, il anime la cellule Mtro du PCI. Il est le fils du Claude Just, vieux militant SFIO pass au trotskysme et qui veut rester fidle la IVe. Stphane Just, membre supplant du comit central,

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AC20, Lettre de D.Renard G. Bloch du 6-4-1952, p. 2. Pseudo : Maurin. 3 Voir lentretien avec lui en annexe 1. 4 Pseudonyme : Garrive. 5 Entretien avec M. Lequenne reproduit en annexe 1, p. 6-7. 6 Aux camarades de la confrence majoritaire du 22 juin , Cahiers du Cermtri, numro 45, juin 1987, p. 47-50. 7 Pseudos : Robert Monge et Pierre Lardes. 8 AC12, La vie du Parti , aot 1948, p. 2-3. Cit aussi dans Quelques enseignements de notre histoire, op. cit., p. 75-77.

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s'oppose publiquement son pre, ralli aux minoritaires, lors de la sance dramatique du 20 janvier 1952. Ces jeunes cadres opposs M. Pablo sont venus au trotskysme au cours de la guerre et dans l'immdiat aprs guerre. Ils remplacent des dirigeants minoritaires plus gs (P. Frank est n en 1905, Michle Mestre en 1911, Mathias Corvin et Jacques Grinblat en 1917) qui taient trotskystes avant la guerre et sont devenus dirigeants depuis celleci. Cest pourquoi la brochure Quelques enseignements de notre histoire peut indiquer que "la plupart des vieux cadres d'avant 1939 rejoignent le Secrtariat International []1. M. Bleibtreu indique aussi quune proportion notable des cadres expriments rejoint les minoritaires2.

Un environnement hostileDs le 1er juillet 1952, une rsolution du Secrtariat international reconnat le groupe minoritaire comme seule section de la IVe. Elle prvient que seul sera valide le VIIIe congrs que les minoritaires prparent. Les militants qui ne suivront pas les consignes du XIe plnum et celles de ce VIIIe congrs seront exclus de l'Internationale lissue de ce congrs3. Les majoritaires sont nomms sous le terme "fraction Bleibtreu-Lambert" dont toutes les actions et dcisions sont maintenant illgales pour la IVe internationale. La quasi-totalit des dirigeants de l'Internationale condamnent en effet le PCI. La section franaise a la rputation dtre peu discipline et souvent en crise4. On a vu que lors du IIIe congrs, les dlgus franais majoritaires taient trs isols. En fvrier 1952, Daniel Renard a crit James Patrick Cannon, le dirigeant du parti trotskyste amricain le Socialist Workers Party (SWP). Fond en 1937 sous l'gide de Trotsky, ce Parti jouit d'un trs grand prestige dans l'Internationale. Il ne peut plus formellement tre membre de la IVe internationale cause dune loi amricaine5. Dans sa lettre,1 2

op. cit., p. 94. FB, F Delta 1902 1 /1 (rdig en 1977). 3 R. Prager, op. cit., p. 474. 4 Quelques enseignements de notre histoire op. cit, p. 93 et M. Lequenne, Le trotskisme, une histoire sans fard, Paris, Syllepse, 2005, p. 237 voquent cette mauvaise rputation. 5 La loi Voorhis, vote juste avant la seconde guerre mondiale, interdit un parti politique amricain d'adhrer une organisation internationale. Le SWP dut en consquence dmissionner formellement de l'Internationale. Voir Pouvoir Ouvrier, Le SWP amricain pendant la Deuxime guerre mondiale , La Quatrime Internationale 1940-1953, disponible sur www.pouvoir-ouvrier.org/theorie/QI/index.html, 2002.

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D. Renard expose la position majoritaire dans le conflit avec le SI. La rponse de J. P. Cannon n'arrive pas avant mai. Il se dclare tout fait daccord avec la nouvelle tactique entriste labore au IIIe congrs mondial et prcise au Xe plenum. Il demande au PCI de lappliquer1. En juin 1952, les majoritaires ont comme seul soutien la minorit de la section vietnamienne et quelques militants sud-amricains argentins et chiliens2. Cet isolement est d'autant plus pnible, que le mouvement trotskyste est international, quasiment depuis ses origines. La IVe Internationale s'est voulue parti mondial et non fdration de partis. De plus, le PCI se trouve en butte la rpression du PCF qui veut l'empcher de s'exprimer dans la classe ouvrire. A cause du PCF, le PCI se trouve exil de ce quil considre comme sa propre classe. Michel Lequenne raconte la mise en place en 1950 des brigades pour la Yougoslavie : Et la lutte avec les staliniens a t dune violence inoue ! Inoue ! On a du mal imaginer a. Les cassages de gueules reprenaient !...Ctait extraordinaire : quand on allait porter la contradiction dans leurs propres runions, on se faisait casser la gueule. 3 Philippe Robrieux, un des responsables des tudiants communistes, se souvient dun pisode de 1957 : " Un militant trotskyste proposait des journaux la porte [de la Sorbonne]. Il tait jeune, dix-huit ans peut-tre, fris, frle et solitaire ; il me fit un peu piti. Je n'en donnai pas moins l'ordre de le "vider". Un de nos meilleurs militants, un "dur", un bagarreur s'avana alors vers lui [] et le somma de "dgager". Le malheureux tenta de discuter, invoquant les principes de libert. Mal lui en prit. Et je revois encore le visage livide de ce jeune trotskyste, injuri, bouscul et contraint la fuite. J'tais tout de mme mal l'aise, pas trs fier de moi. Mais je me persuadai que cette opration tait juste : n'taient-ce pas des "ennemis du parti", "des salauds ?". 4 Dans les entretiens, reproduits en annexe de cette matrise, M. Lequenne et F. de Massot se souviennent d'une grande agressivit des communistes leur gard au cours des annes cinquante. Daprs ces tmoins, elle s'attnue peut-tre un peu au fil des ans car

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Leurs deux lettres sont dans Cahiers du Cermtri, numro 45, juin 1987, p. 35-41. S. Michelet, op. cit, p. 153. 3 M. Lequenne, entretien avec K. Landais, p. 4. 4 P. Robrieux, Notre gnration communiste, Paris, Robert Laffont, 1977, p. 96.

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les travailleurs acceptent moins cette violence et les trotskystes - diviss - semblent moins dangereux aux responsables communistes1. Sur le plan syndical, voici la position du PCI, rappele par les majoritaires dans leur orientation de travail pour le VIIe congrs : "Notre travail dans la CGT, qui reste la plus importante des Centrales syndicales, men par la quasi-totalit de nos militants est un lment essentiel de la construction du parti ouvrier trotskyste."2 Les trotskystes appellent la runification syndicale au sein de la CGT. Cette statgie sexplique dabord par les effectifs de la CGT : ils sont bien plus importants que ceux de FO et de la CFTC. En 1952, elle regroupe environ deux millions et demi de syndiqus3. Les sources indiquent que les trotskystes essayent dabord de militer dans cette confdration. Par exemple, A. Hbert se souvient qu cette poque les trotskystes nantais taient la CGT4. L'article La lutte des trotskystes franais contre le pablisme liquidateur de G. Bloch et R. Bern (octobre 1953) rappelle qu'en 1951 " 90 % des membres salaris sont effectivement dans la CGT5". Mais, la suite la campagne du PCI pour la Yougoslavie, les trotskystes ont de plus en plus de mal demeurer dans cette confdration. Toute une srie de militants en sont exclus la fin de l'anne 1950 et au dbut de 1951 : D. Renard, S. Just, P. Lambert, Raymond Florence, Jean Maertens6 Ces militants nadhrent pas un autre syndicat mais mnent une campagne pour leur rintgration dont La Vrit se fait priodiquement lcho7. Les hritiers politiques de Trotsky ne sont gure couts. Trotsky lui-mme devient une sorte dauteur maudit. Son vieux compagnon Alfred Rosmer prouve les plus grandes peines trouver des diteurs pour publier ses ouvrages8. Plus gnralement, l'ambiance de 1952 est peu favorable aux ides d'extrme gauche. Depuis l'chec des grandes

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M. Lequenne p. 12-13 et F. de Massot p. 7 de leurs entretiens respectifs. e AC1, Discussion prparatoire au VII congrs du PCI , op. cit., p. 8. 3 D. Andolfatto, La CGT : audience et organisation dans les annes 1950 , dans La CGT dans les annes cinquante, p. 213. 4 A. Hbert, entretien avec K. Landais, p. 3. 5 Cahiers du Cermtri, numro 47, dcembre 1987, p. 27. 6 Cheminot. 7 Surtout dans La Vrit, n304, 4 dcembre 1952. 8 C. Gras, Alfred Romer et le mouvement rvolutionnaire international, F. Maspero, Paris, 1971, p. 444445.

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grves survenues en 1947-1948, la classe ouvrire est sur la dfensive. Ses grandes organisations sont divises. Du coup, la droite progresse lors des lection lgislatives de 1951. Le 8 mars 1952 Antoine Pinay constitue le gouvernement le plus droite depuis la Libration : 27 dputs gaullistes votent son investiture. Au premier semestre 1952, le PCF mne une lutte trs dure (grves, manifestations quasi-insurectionnelles) contre les prparatifs de guerre et contre le gouvernement. Il naboutit qu renforcer ce dernier. Aprs lchec de la manifestation des communistes contre la venue Paris du gnral amricain Ridgway le 28 mai, le gouvernement se permet mme demprisonner pendant un mois Jacques Duclos, le principal dirigeant du PCF pendant labsence de M. Thorez.

La dmoralisation des militantsLa longue lutte fractionnelle a t trs dure vivre pour les militants. Andr Fichaut raconte une runion houleuse de la cellule trotskyste de Brest o J. Grinblat et M. Bleibtreu sont venus prsenter les positions de chaque tendance : "Ils en arrivent presquaux mains et ne se parlaient qu'en s'appelant "Monsieur" ce qui ne faisait gure partie de nos traditions".1 Lambiance du parti devient dtestable. M. Lequenne se souvient : "Quant nous, majorit, nous y allmes [vers la scission] les yeux ouverts mais la mort dans l'me : l'Internationale n'tait-elle pas notre seule "patrie" ? "2 Des cadres de premier plan partent, tels que Marguerite Bonnet ou Jeanne Danos3. Cadre communiste venu au trotskysme, Marcel Thourel quitte alors le PCI, excd par ce long conflit interne4. Quel camp choisissent ceux qui restent ? Comme le dbat est difficile suivre, les militants se dcident gnralement sur un seul critre. A. Fichaut opte pour les minoritaires afin de rester dans la IVe5. F. de Massot, exclu

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A. Fichaut, Mmoires dun ouvrier trotskyste breton, Paris, Syllepse, 2003, p. 64. M. Lequenne, Notes sur notre histoire- II : La grande scission (1951-1952) , Critique Communiste, n149, p. 70. 3 M. Lequenne, Le trotskisme, une histoire sans fard, Paris, Syllepse, 2005, p. 252. 4 M. Thourel, Itinraire dun cadre communiste 1935-1950 , Privat, 1980, Toulouse, p. 300. 5 A. Frichaut, op. cit., p. 62.

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douloureusement du PC, se refuse pratiquer lentrisme dans cette organisation1. Pierre Brou2 (1926-2005) adopte la mme attitude3. Selon M. Bleibtreu : La crise laisse les militants dsenchants, souponneux lgard de la pense thorique et des intellectuels 4. Dans sa matrise, S. Michelet a estim au mieux lvolution du nombre de miltants : "D'environ 250 militants au dbut 51 l'effectif du PCI passe 130 et mme moins car au printemps 52 les militants se dcouragent, ne comprennent pas l'ardeur des luttes fractionnelles. Ils quittent le PCI par dizaine. 5 Aprs la scission, combien sont les militants du PCI majoritaire ? Il y a 82 votants lors de l'lection des dlgus au VIIIe congrs comme le montre un comptage par cellule6, la structure de base du parti. La prparation du congrs s'tant faite dans une atmosphre de crise et des militants ntant pas arrivs dans l'urgence se dcider entre deux congrs rivaux, on peut penser que le nombre rel de militants du PCI est un peu suprieur. Ainsi, deux futurs membres du comit central majoritaire n'ont pas vot : P. Brou7 class avec les cellules absentes et Lucien Fontanel alors au sanatorium. En ajoutant quelques militants qui n'ont pas pu participer au vote ou qui ne sont pas jour de leurs cotisations, nous arrivons la centaine de militants propose par Quelques enseignements de notre histoire8 et S. Michelet9. Notons que les trois quarts des militants habitent la rgion parisienne (RP). Il y a l une volution continue : avec la rduction du nombre de militants la proportion de la rgion parisienne augmente10. En octobre ou novembre 1952, une note interne indique quil y aurait 74 membres de lorganisation dans la RP11. Cela confirme le chiffre total d'une centaine d'adhrents. La

Entretien en annexe 2 avec F. de Massot, p. 1. F. de Massot (n en 1932) a pour pseudonyme Franois Forgue. 2 Pseudonyme : Scali. 3 P. Brou, entretien avec K. Landais, p. 6. 4 FB, F Delta 1902 1 /1 (rdig en 1977). 5 S. Michelet, op. cit., p.151. 6 Reproduit en annexe 8. 7 Il a eu un accident de moto. 8 op. cit., p. 94. 9 S. Michelet, op. cit., p. 157. 10 Cette proportion tait de 43 % en 1947 et de 52 % en 1950 selon AC17, Compte rendu du comit central de mars 1950 . 11 AC4, Liste des militants de la RP en retard de paiement de leurs cotisations-phalanges , 2 p.

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perte est donc bien considrable. A la veille du VIIIe congrs, la situation parat bien sombre pour le PCI. Il possde nanmoins quelques atouts.

Les atouts du PCI majoritaireTout d'abord les minoritaires se rvlent peu nombreux. Ds fvrier, R. Bern constate avec satisfaction : "Avec le local, le journal, toutes les activits du parti, nous jouons sur un terrain solide. 1 Les majoritaires conservent le local, vaste et situ en plein centre de Paris, et La Vrit, le priodique cr en 1929 sous l'gide de Trotsky. Lorganisation de jeunesse du PCI, le Mouvement rvolutionnaire de la jeunesse (MRJ) qui tient son congrs le 12 juillet 1952, se rallie massivement aux majoritaires2. Les militants restants constituent un autre atout. Ils sont bien forms et gnralement trs actifs3. Au VIIIe congrs, cinq informations ont t demandes chaque dlgu ou membre du comit central sortant : nom, ge, profession, date d'entre au trotskysme et ancienne organisation politique4. Les rsultats obtenus portent sur 41 militants. On notera que ces militants sont jeunes : 28 ans d'ge moyen avec 7 ans comme dure moyenne d'appartenance au PCI. Le doyen est Charles Margne (41 ans) et le benjamin Franois de Massot (20 ans). Par ailleurs ils appartiennent la classe ouvrire au sens "large" : nous dnombrons 33 ouvriers, employs, cheminots ou travailleurs des PTT (employs d'tat proches de la classe ouvrire). Ces rsultats confirment que les militants plus gs sont plutt partis chez les minoritaires5. Seuls 8 des 41 rpondants ont adhr au trotskysme avant la fusion de 1944. Les majoritaires ont conserv la plupart des militants ouvriers. Dj connus comme trotskystes dans leurs entreprises, ils auraient eu du mal se renier publiquement pour essayer dentrer dans le PCF. ParmiAC20, Lettre de R. Bern G. Bloch, 6 fvrier 1952, 3p. AC5, Compte rendu du plenum du comit central des 27 et 28 septembre 1952 , 15 octobre 1952, p.4 et La Vrit, n298, 5 juillet 1952. 3 Ce point est largement dvelopp dans le chapitre 4. 4 Les donnes individuelles proviennent de AC4, Fiche statistique sur le VIIIe congrs , 3 p. Ces donnes individuelles sont reproduites en annexe 8. A partir de ces donnes individuelles, la commission des mandats du VIIIe congrs a tabli un tableau statistiques publi dans AC5, Compte rendu du VIIIe congrs du PCI , p. 5. Il y a de lgres diffrences entre ce tableau et les statistiques calcules par lauteur du prsent mmoire. 5 Par contre, selon M. Lequenne, les tudiants du PCI ont plutt ralli M. Pablo comme Flix Guattari (entretien du 21-12- 2005).2 1

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les prsents au VIIIe congrs, 20 militants ont dj appartenu une organisation politique : soit socialiste (PS, JS, JSOP), soit communiste (PCF, JC, UJRF) galit.

Il faut examiner maintenant ce quil va advenir du PCI. Comme le dit Pierre Brou : La traverse du dsert commenait : il fallait tout recommencer zro, subir un long isolement. 1

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P. Brou, Raoul , Cahiers Lon Trotsky, n 56, juillet 1995, p. 64.

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CHAPITRE II REORGANISATION ET NOUVEAU CLIVAGE (juillet 1952 - mars 1953)

Le 13 juillet 1952 au matin, le VIIIe congrs du PCI commence. Lassemble des majoritaires a lieu dans une salle de l'Htel des chambres syndicales au premier tage du 10 rue de Lancry dans le Xe arrondissement de Paris1. Il y a 57 prsents2 : dlgus titulaires et supplants, auditeurs et membres du comit central sortant3. Il n'y a qu'une dlgation trangre, reprsentant la minorit de la section vietnamienne4. Le congrs des minoritaires a lieu les mmes jours et dans le mme immeuble mais au rez-dechausse5. Malgr cette proximit, un seul incident se produit entre les deux groupes : S. Just frappe E. Mandel dans lescalier car les minoritaires ont t chercher Claude Just son domicile6. Vu limportance dun congrs pour une organisation lniniste comme le PCI, nous allons en examiner les interventions et dcisions majeures ainsi que le principal dbat qui la anim.

Le VIIIe congrsD. Renard prononce le discours d'ouverture o il insiste sur l'importance de ce congrs. Ce dernier constitue pour lui un sursaut du trotskysme contre la stratgie du Secrtariat international (SI) quil nomme le pablisme rvisionniste . Sur sa proposition,AC5, Note du secrtariat dorganisation , juillet 1952. AC4, Tableau des prsences au VIIIe congrs . 3 Normalement un membre du comit central sortant ne peut pas tre dlgu au congrs mais il y a des exceptions. 4 AC5, Compte rendu du VIIIe congrs du PCI , 10 p. 5 A. Fichaut, op. cit., p. 64. 6 M. Lequenne approuve cet acte. Il donne un rcit chaud de ce congrs dans AL, Lettre L. Fontanel, 19 juillet 1952, 2 p.2 1

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lassemble vote une rsolution mettant hors du parti tout militant qui ne condamnerait pas le vol de l'appareil technique. Au cours de la journe, E. Mandel veut intervenir au nom du SI mais, comme il ne reconnat pas la reprsentativit du congrs, il en est empch. M. Bleibtreu prsente la rsolution politique - rdige ds mars 1952 par la majorit1 et un complment crit en juillet 52 qui l'actualise2. La rsolution reconnat qu'avec le gouvernement dA. Pinay "la bourgeoisie a pris un regain d'assurance du fait de l'incapacit du proltariat3". Cette situation est momentane car la bourgeoisie franaise est en chec en Indochine et les rcents vnements en Tunisie ouvrent la nouvelle vague rvolutionnaire en Afrique du Nord. Le PCF dirige l'avant-garde ouvrire. Les pablistes croient en un resserrement des militants du PCF autour de leur direction qui se radicaliserait. Pour se lier ces militants, ils veulent que le plus grand nombre possible de trotskystes entrent au PCF et se montrent des militants dvous et exemplaires. Pour les majoritaires : Les pablistes affirment que pour la premire fois dans l'histoire le gauchissement du PCF est un processus parallle la radicalisation des masses. Cette affirmation rvisionniste s'appuie sur une falsification de la ralit du mouvement ouvrier et sur une idalisation mensongre de la politique stalinienne"4. La rsolution politique constate avec satisfaction lerreur des pablistes . Depuis juin 1952, le PC entame un virage droitier aprs les checs de la manifestation contre le gnral Ridgway du 28 mai et de la grve du 4 juin. Maintenant, le PCF s'oriente "vers un nouveau Front national de collaboration des classes pour l'indpendance"1. Selon la rsolution, l'avant-garde ouvrire repartira tt ou tard au combat contre la bourgeoisie, elle s'opposera alors la direction du PCF. Il est ncessaire qu'un parti indpendant existe pour aider les ouvriers avancs prendre conscience de la politique contrervolutionnaire du PCF. Ce parti trotskyste restera fidle ses mots d'ordre de front unique des partis ouvriers et d'unit d'action des travailleurs, de la base au sommet. Mais le parti rvolutionnaire ne se construira pas par une simple croissance linaire du1 2

AC3, Rsolution politique pour le VIIIe congrs , BI n191, 23 p. Complment la rsolution politique du VIIIe congrs , Cahiers du Cermtri, n45, juin 1987, p. 5558. 3 Rsolution politique pour le VIIIe congrs , op. cit., p. 6. 4 Complment la rsolution politique du VIIIe congrs , op. cit., p.56.

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parti trotskyste, le PCI. Il se btira pour beaucoup avec des militants actuellement communistes et via des formes d'organisation transitoires impossibles prvoir. Il faut combiner la construction du parti indpendant avec un travail de fraction dans le PCF pour mieux exploiter la crise venir de cette organisation. Ce travail de fraction est trs diffrent de l'entrisme sui generis : il s'agit d'un travail clandestin de type conspiratif. Il ne pourra tre effectu que par quelques militants de haut niveau non connus publiquement comme trotskystes2. Nous avons prsent les points les plus importants de la rsolution politique. Trois remarques peuvent tre faites. Dabord, cette rsolution manifeste un grand pessimisme par rapport lconomie franaise et ses possibilits de dveloppement. Elle insiste sur les faiblesses de lappareil de production du pays et son retard technologique3. A lpoque, tous les trotskystes pensent que lconomie franaise ne peut pas connatre une croissance importante dans le cadre du systme capitaliste. En consquence, la condition ouvrire ne samliorera gure. Ensuite, la rsolution approuve Benot Frachon, secrtaire gnral de la CGT, pour ses propos bien plus unitaires que ceux des autres dirigeants du PCF (Auguste Lecoeur, Franois Billoux)4. Enfin, la rsolution contient cette affirmation : Les responsables staliniens sont des ennemis infiniment plus habiles et capables que ne le sont les bureaucrates rformistes 5. Cette remarque sous-estime la bureaucratie rformiste mais surtout montre le poids crasant du PCF pour les majoritaires. Ils ont limpression que la bureaucratie rformiste ne fait plus le poids ct des communistes. Quelle attitude adopter face au PCF qui domine ainsi la classe ouvrire ? La rsolution prne un travail de fraction dans ce Parti. Il ne sagit pas dune concession aux pablistes : M. Bleibtreu juge ce travail indispensable6.

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Ibid., p. 57. La partie "Travail indpendant et travail fractionnel" de la Rsolution politique est trs importante car elle dcrit prcisment chacun des deux types de travail. Elle correspond aux pages 17 23. 3 Rsolution politique pour le VIIIe congrs , op. cit., p. 5. 4 Ibid., p. 6. Voir le chapitre I sur les propos unitaires de B. Frachon en septembre 1951. 5 Ibid., p. 19. 6 M. Lequenne rassure L. Fontanel sur la volont de M. Bleibtreu que ce travail soit effectu dans AL, Lettre de M. Lequenne L. Fontanel du 19 juillet 1952.

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Le dbat qui suit lexpos de M. Bleibtreu porte sur le travail en fraction dans le PCF. Cette discussion constitue le moment le plus important du congrs1. M. Gibelin soppose ce travail. Depuis la rcente scission des trotskystes, il ne croit plus au Parti. Pour lui, le trotskysme est discrdit auprs des ouvriers2. Ce dirigeant propose que le Parti se contente dune action syndicale. P. Lambert exprime aussi son scepticisme sur le travail en fraction dans le PCF : lorganisation est trop faible, il n y a plus de militants disponibles. Ces deux responsables de la commission ouvrire plaident pour un repli sur les activits syndicales. M. Bleibtreu et G. Bloch les accusent de dviation syndicaliste et soutiennent la ncessit de ce travail de fraction. Ils obtiennent gain de cause : les textes prsents sont vots lunanimit moins une abstention. Par contre, le congrs adopte une rsolution prsente par D. Renard qui demande la poursuite de la discussion sur le travail de fraction, selon des modalits fixer par le comit central. Surtout, le ton agressif de M. Bleibtreu et de G. Bloch a dplu aux congressistes3. Il faut rorganiser le parti trs affaibli. Le congrs dcide plusieurs mesures organisationnelles : augmentation des cotisations, relances dcoles du militant4 Une mesure importante porte sur la restructuration des dix-huit cellules du Parti, saignes blanc par la lutte fractionnelle et la scission. Le congrs dcide de grouper les militants par cellule dentreprise ou de corporation. Il donne la priorit au travail ouvrier et syndical. Tous les responsables du PCI considrent que, depuis la Libration, le mouvement trotskyste franais est enfin parvenu recruter des militants ouvriers. Le congrs, qui veut continuer dans cette voie, lit comme nouveaux membres titulaires du comit central des militants de ce type : S. Just, Roger Marchand5, Georges Nouvel6 et Jean Maertens7. Onze membres du comit central restent en place : Henry Baratier8,

Ce dbat est comment dans quatre lettres (AL, Lettres de M. Lequenne L. Fontanel du 19 juillet et du 7 aot 1952 ; AC20, Lettre de M. Lequenne G. Bloch, 28 juillet 1952 et AC20, Lettre de P. Lambert G. Bloch, fin juillet 1952) et dans l article de M. Lequenne de 1976, op. cit., p. 130-131. Le compterendu se contente de dire que le dbat a t riche. La lettre de P. Lambert est reproduite en annexe 6. 2 Entretien avec M. Lequenne en annexe 1, p. 2. 3 Dans sa lettre du 28 juillet, M. Lequenne, trs proche de M. Bleibtreu, leur donne raison sur le fond et tort sur la forme. 4 Ces mesures seront voques plus prcisment dans la quatrime partie Militer au PCI . 5 Pseudo : Paulo. 6 Mtallurgiste nantais, G. Nouvel est militant CGT. 7 Cheminot. 8 Ouvrier de Renault et syndicaliste CGT. Il a pour pseudo Pags.

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M. Bleibtreu, G. Bloch, Robert Chramy1, Ren Dumont2, R. Bern, M. Gibelin, P. Lambert, M. Lequenne, J. Lefvre3 et D. Renard. Le compte rendu du congrs dans La Vrit4 insiste sur la forte reprsentativit ouvrire de cette instance5. Le comit central lu tient sa premire runion le 14 juillet. Lors de llection du bureau politique, M. Bleibtreu refuse que M. Gibelin en soit membre, cause de son orientation de repli syndical . Cet ostracisme jette le trouble dans la runion6. Finalement, les lus au bureau politique sont (par ordre dcroissant) : M. Bleibtreu, P. Lambert (les deux premiers cits galit), D. Renard, M. Gibelin, M. Lequenne, R. Bern et Jean Lefvre. P. Lambert choue constituer un bureau politique tendance commission syndicale oppos au travail dans le PC7. Parmi les militants qui lui sont proches, seul Jean Lefvre est lu au bureau politique. S. Just et Robert Chramy sont battus. Les dirigeants se rpartissent les responsabilits de la manire suivante : La Vrit M. Bleibtreu, lorganisation M. Lequenne, lducation G. Bloch, les jeunes R. Bern, Fraction P. Lambert et les activits syndicales J. Lefvre8. P. Lambert est remplac, contre son gr, par M. Lequenne au poste stratgique de secrtaire lorganisation. Il se voit attribuer la place une curieuse responsabilit Fraction . M. Lequenne sen inquite : Je suis aussi pour que Lambert retrouve des attributions bien dtermines et ne soit pas un factotum9 ( comme dit R. Bern qui parle latin comme Pablo luimme)10. M. Lequenne estime que les tiraillements la direction constituent le principal danger pour le parti1. G. Bloch lui prodigue le conseil suivant : Ne te laisse pas dtruire (par Lambert) et tche mme de me rpondre 2.Robert Chramy (1920-2002) est agrg dhistoire et militant syndical au SNES (FEN). Pseudos : Leroi ou Leroy. 2 R. Dumont est photographe et responsable syndical FO la Bibliothque nationale. 3 N en 1920, J. Lefvre est militant trotskyste depuis 1942. Il est dessinateur industriel chez Renault. 4 La Vrit, n299, 18 septembre 1952. 5 Jeannine Weill, Louis Eemans et Annie Cardinal sont lus par le congrs la commission de contrle. Annie Cardinal a pour pseudonyme Gilles, elle est lpouse de Daniel Renard. Louis Eemans (pseudo : Pelo) est employ de banque et milite la CGT. J. Weill (pseudo : Claude) travaille aux PTT. 6 Ce fait est voqu dans les lettres pr-cites de M. Lequenne et P. Lambert. Les deux dirigeants jugent lattitude de M. Bleibtreu dplorable et reprochent G. Bloch son soutien M. Bleibtreu. Il est rare que M. Lequenne et P. Lambert soient ce point daccord. 7 AL, Lettre de M. Lequenne L. Fontanel du 7 aot 1952, p.2. 8 AC3, Comit central du 14/7 . 9 Factotum : celui dont les fonctions consistent soccuper de tout dans une maison (selon Le Robert). 10 AC20, Lettre de Michel Lequenne G. Bloch, 28 juillet 1952.1

Agir au sein de la classe A lissue du VIIIe congrs, M. Bleibtreu parat tre le leader du PCI majoritaire.

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Il faut noter que lattitude adopter par rapport au PCF gnre aussi un clivage dans le congrs minoritaire. Les militants qui croient en la possibilit dun redressement du PCF (M. Mestre, M. Corvin) sopposent ceux qui veulent conserver une organisation trotskyste indpendante (P. Frank, J. Grinblat)3. Le Monde rend dabord compte trs succinctement du congrs minoritaire4. Puis le lendemain, le journaliste reconnat son erreur : il y a eu deux congrs trotskystes. Ce journaliste ne comprend pas les divergences entre les deux groupes. Il les attribue des querelles de personnes. En dehors des militants et de quelques sympathisants, ce VIIIe congrs parat avoir eu peu dimpact.

La remise en routeM. Lequenne, nouveau secrtaire lorganisation, crit G. Bloch : Nous remettons en route le parti, trs rapidement : intrieur et extrieur la fois. 5. Le PCI majoritaire na pas de temps perdre. Le PCI minoritaire na que 25 militants en rgion parisienne6 mais le SI le soutient. Il publie partir de juillet La Vrit des travailleurs7 et envoie le premier numro tous les abonns de La Vrit. Par manque dargent, La Vrit ne reparatra pas avant le 18 septembre. En attendant, une lettre est envoye aux abonns pour leur expliquer la situation et leur demander de rester fidles lorgane du PCI majoritaire8. Lorganisation a des dettes et sa situation financire est juge prilleuse . M. Lequenne se plaint que limprimeur lui rclame avec insistance le rglement de ses travaux9. Les majoritaires doivent rapidement trouver de largent. G. Bloch propose M. Bleibtreu une manire originale de rcolter des fonds : des camarades de Renault achteraient des 4 CV pour les revendre bon prix en Espagne10.1 2

AL, Lettre de M. Lequenne L. Fontanel du 7 aot 1952. AL, Lettre de G. Bloch M. Lequenne du 16 juillet 1952, p. 3. 3 R. Prager, op. cit., p. 494. 4 Les trotskystes franais souhaitent un gouvernement socialo-communiste , Le Monde, n 2324, mercredi 16 juillet 1952. 5 AC20, Lettre du 26 aot 1952. 6 Selon G. Marquis rapport par G. Grzybek, Les trotskystes dans les organisations communistes franaises pendant les annes cinquante, mmoire de matrise, Universit de Paris VIII, 1975, p. 59. 7 Dans ce premier numro, P. Frank crit Les premires tapes de la rvolution franaise se feront sous la direction du PCF , p. 2. 8 AC4, Lettre aux abonns de La Vrit . 9 AL, Lettre de M. Lequenne P. Lambert du 31 juillet 1952. 10 FB, F Delta 1902 1/4/4/2, Lettre de G. Bloch M. Bleibtreu du 19 novembre 1952.

Agir au sein de la classe

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Nous ignorons les suites de cette suggestion. La cotisation mensuelle moyenne par militant est porte 500 francs minimum1. Le secrtariat insiste pour que cette cotisation soit rgle avant le 10 du mois. En octobre ou novembre 1952, une liste des retardataires avec les mensualits non payes est diffuse dans lorganisation2. La situation fin