AGATA, plongée dans les états extrêmes de la matière nucléaire

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AGATA PLONGÉE DANS LES ÉTATS EXTRÊMES DE LA MATIÈRE NUCLÉAIRE En 2014, le Grand Accélérateur National d’Ions Lourds (GANIL) de Caen accueillera le spectromètre AGATA . Le spectromètre AGATA est actuellement exploité dans l’accélérateur d’ions lourds GSI à Darmstadt en Allemagne. ENTRETIEN La quête des extrêmes : mieux comprendre la structure interne des noyaux Interview croisée d’Amel Korichi de l’IN2P3 (CNRS) et de Christophe Theisen de l’IRFU (CEA) TECHNOLOGIE Spectromètre AGATA : comment ça marche ? Un véritable défi informatique PROSPECTIVE Une communauté scientifique à l’unisson Cahier réalisé en collaboration avec l’IN2P3-CNRS (Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS) et l’IRFU-CEA (Institut de Recherche sur les lois Fondamentales de l’Univers) © GANIL/J.-M. PIEL - INFN/BY CENTIMETRI - A. ZSCHAU, GSI HELMHOLTZ- ZENTRUM FÜR SCHWERIONENFORSCHUNG Les atouts des supercalculateurs pour la recherche fondamentale

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En partenariat avec l'IN2P3-CNRS, l'IRFU-CEA et HP

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AgAtAPlongée dans les états extrêmes

de la matière nucléaire

En 2014, le Grand Accélérateur National d’Ions Lourds (GANIL) de Caen accueillera le spectromètre AGATA .

Le spectromètre AGATA est actuellement exploité dans l’accélérateur d’ions lourds GSI à Darmstadt en Allemagne.

entretienla quête des extrêmes : mieux comprendre la structure interne des noyaux Interview croisée d’Amel Korichi de l’IN2P3 (CNRS) et de Christophe Theisen de l’IRFU (CEA)

tecHnologie spectromètre agata : comment ça marche ?

un véritable défi informatique

ProsPectiVeune communauté scientifique à l’unisson

cahier réalisé en collaboration avec l’in2P3-cnrs (institut national de physique nucléaire et de physique des particules du cnrs) et l’irFu-cea (institut de recherche sur les lois Fondamentales de l’univers)

© GANIL/J.-M. PIEL - INFN/BY CENTIMETRI - A. ZSCHAU, GSI HELMHOLTZ-ZENTRUM FÜR SCHWERIONENFORSCHUNG

Les atouts des supercalculateurs pour la recherche fondamentale

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la quête des extrêmes : mieux comPrendre la structure interne du noyau

Le spectromètre AGATA permet de suivre à la trace les rayons gamma émis par des noyaux atomiques mis dans des états extrêmes grâce aux accélérateurs de particules. Pourquoi étudier ces rayons gamma ?Amel Korichi : Cette émission de rayonnements gamma est une sorte de message codé délivré par le noyau. En déchiffrant ce message, nous obtenons des informations sur la structure interne du noyau, par exemple sur sa forme précise. Comparé aux multidétecteurs précédents, AGATA va repousser les limites d’observation de plusieurs ordres de grandeurs. Cela nous permettra de sonder le noyau atomique aux extrêmes : moment angulaire, énergie d’excitation, masse, charge et isospin1. AGATA, qui met notamment en jeu une nouvelle technologie nommée « tracking gamma » (d’où le nom Advanced GAmma Tracking Array), nous permettra d’explorer

des nouveaux champs de la connaissance du noyau. AGATA est de fait conçu pour répondre à des questions brûlantes dans le domaine de la recherche en structure nucléaire.

Quels grands champs d’investigation AGATA permettra-t-il d’explorer ?Christophe Theisen : Le premier concerne les degrés de liberté extrêmes en moment angulaire. Il s’agit d’explorer diverses formes du noyau en rotation rapide (jusqu’à 1020 tours/s) : « octupolaire » en forme de poire, « oblate » ou aplatie comme une citrouille, « tétraédrique » en forme de pyramide, « superdéformé » comme un ballon de rugby et, encore plus allongé, « hyperdéformé » (comme un cigare). À l’heure actuelle, l’observation des noyaux hyperdéformés constitue un véritable défi : on pense que, au mieux, 10– 6 des noyaux formés

est physicienne au centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse (csnsm-cnrs) à orsay.

est physicien à l’institut de recherche sur les lois Fondamentales de l’univers (irFu-cea) à saclay.

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dans une réaction nucléaire seraient hyperdéformés. Il est donc nécessaire d’avoir un détecteur de haute efficacité ! De plus, ces réactions de synthèse (fusion-évaporation) produisent beaucoup de rayonnements gamma : 30 à 50 par réaction. Ces deux contraintes imposent à AGATA de disposer de nombreux détecteurs afin de pouvoir extraire l’aiguille dans une botte de foin. La découverte potentielle de l’hyperdéformation est un défi pour la validité des modèles nucléaires en termes de robustesse des effets dits « de couches ».A. K. : Le deuxième cas concerne les degrés de liberté extrêmes en masse et en charge qui permettent de sonder la matière subatomique très loin de la stabilité, vers l’îlot hypothétique de stabilité des noyaux superlourds. Ce sont des espèces très faiblement produites : dans le cas de l’élément 104 (256Rf) étudié récemment par spectroscopie

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1. Isospin : nombre quantique introduit par W. Heisenberg en 1932 servant à distinguer les deux états distincts du nucléon, le proton et le neutron.

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très particulières, ces noyaux vont émettre leurs photons en vol et sont donc soumis à l’effet Doppler qui est néfaste en termes de résolution. C’est là qu’AGATA devient l’instrument clé : avec cet outil aux performances inégalées, une résolution de 30 keV 2

aujourd’hui deviendra 3 keV demain. Dans les trois cas cités, on voudra utiliser des intensités de faisceaux les plus élevées possible afin de collecter le plus de données sur les états rares et extrêmes recherchés. On ajoute ainsi une contrainte supplémentaire : il faut un taux de comptage maximum des détecteurs et donc un traitement digital des signaux.

En résumé, quelles grandes découvertes pourrait générer AGATA ?A. K. : Ces exemples montrent le potentiel de découvertes avec AGATA. Tout d’abord, l’hyperdéformation… autrement dit jusqu’où peut-on allonger et faire tourner un noyau sans rupture (cassure en deux qui correspond à la fission) ? Il s’agit à la fois d’un défi théorique et expérimental. AGATA permet aussi d’étudier les noyaux les plus lourds possibles : un espoir pour comprendre les noyaux superlourds et identifier l’îlot de stabilité. Ces thématiques – hyperdéformation, noyaux superlourds et noyaux exotiques – sont cruciales pour ©

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tester la robustesse des effets de couches. Dans tous ces cas extrêmes, les théories divergent ; des mesures expérimentales s’imposent donc pour percer certains mystères et établir la vérité.

Pour atteindre ces objectifs de détection, quelles ruptures technologiques AGATA met-il en œuvre ?Ch. T : AGATA met en œuvre la seule possibilité : une boule de germanium3 avec une couverture angulaire maximum pour l’efficacité. Mais les rayonnements gamma ont une fâcheuse tendance à ne pas être absorbés en un point unique de la boule : ils peuvent diffuser en divers points avant d’être finalement absorbés… ou malheureusement s’échapper et donc être perdus. Il s’agit d’un jeu de piste que nous devons reconstituer afin de remonter aux rayonnements gamma émis par le noyau. Un jeu un peu compliqué car plusieurs dizaines de rayonnements se joignent à la partie. Afin de faire ce « tracking », il faut déterminer les points d’interaction à quelques millimètres près, ce qui nous permet, de plus, d’obtenir la granularité requise. On utilise pour cela des détecteurs segmentés et une analyse de forme des signaux. D’où une électronique digitale et des moyens de calcul considérables pour analyser les signaux et résoudre ce jeu de piste.

Où le spectromètre AGATA est-il localisé ?A. K. : AGATA est un instrument nomade convoité par les meilleurs laboratoires européens. La phase de démonstration à Legnaro en Italie a prouvé la faisabilité du tracking, et une campagne de physique a lieu actuellement à GSI en Allemagne pour l’étude des noyaux exotiques. En 2014, AGATA sera accueilli en France, sur un site privilégié pour l’étude du noyau subatomique

aux trois extrêmes : le Grand Accélérateur National d’Ions Lourds (GANIL) CNRS/CEA, à Caen qui est l’un des plus gros complexes de ce type en Europe. GANIL est en effet un laboratoire en plein essor avec la construction du nouvel accélérateur SPIRAL2. Ce dernier délivrera des faisceaux stables de ultra-haute intensité, ainsi

que des faisceaux exotiques (radioactifs) de haute intensité. Rendez-vous donc en 2014 pour

l’arrivée d’AGATA au GANIL !

gamma en Finlande, seuls cinq noyaux sont identifiés par heure. De plus, ils sont noyés dans un bruit de fond dû à la fission : seuls 745 « bons » photons gamma ont pu être extraits sur un total de 1012, soit un rapport d’environ un sur un milliard ! Encore une fois, c’est une histoire d’aiguille dans une botte de foin. Pour cela, un détecteur efficace combiné à une technologie de réjection du bruit de fond est indispensable. Ces études imposent des contraintes sévères pour les différents modèles théoriques qui divergent pour les noyaux les plus lourds. Ch. T. : Enfin, le troisième cas concerne les degrés de liberté extrêmes en isospin. Il s’agit ici d’étudier des noyaux présentant, par exemple, un excès en nombre de neutrons. Ils sont précieux pour expliquer les processus de nucléo-synthèse, et vont nous permettre de comprendre l’abondance des éléments de notre système solaire. Ces espèces éphémères naissent dans les étoiles, et nous tentons de les reproduire en laboratoire : elles représentent aussi un test sévère pour les modèles théoriques. Encore une fois un problème des effets de couches. Mais leur production est très difficile : nous avons besoin d’efficacité, donc de beaucoup de détecteurs. Mais ce n’est pas le point crucial : leur production se faisant souvent avec des réactions

Version démonstrateur d’AGATA (15 cristaux) sur le site de Legnaro en Italie.

DEs CAmérAs GAmmA POur L’imAGEriE méDiCALE

Les technologies développées pour AGATA pourraient déboucher sur la mise au point de caméras « gamma » constituées de cristaux semi-conducteurs multisegmentés. Elles permettraient d’obtenir une résolution beaucoup plus élevée des images produites avec certaines techniques d’imagerie médicale. Il s’agit des tech-niques dites de tomographie par émission de positons (TEP) et d’imagerie « SPECT » (Single Photon Emission Computed Tomo-graphy). Ces techniques permettent de mesurer en 3D l’acti-vité métabolique d’un organe, après injection d’un produit ra-dioactif dans l’organisme du patient. Grâce à ces caméras, la dose de produit radioactif nécessaire et le temps du test pourraient éga-lement être réduits. À l’université de Liverpool, le projet « Smart-Pet » développe cette application d’imagerie médicale sur de petits animaux.

un mEiLLEur COnTrôLE DEs mATièrEs rADiOACTivEs

Les technologies du projet AGATA pourraient aussi être mises à profit dans le domaine des contrôles de sécurité des matières radioactives, par exemple pour les cargos servant à leur transport. La lutte contre le terrorisme nucléaire est également concernée : des techniques issues du pro-jet AGATA pourraient être développées pour repérer des rayonne-ments extrêmement faibles. À Berkeley (États-Unis), des scienti-

fiques travaillent sur ce type d’application.

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Diagnostic médical par TEP

Camion transportant des matières radioactives

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agata, Plongée dans les états extrêmes de la matière nucléaire - la recHercHe - sePtembre 2012 63 .

2. KeV : Kilo-électron-Volt = 1 000 électrons-Volts 3. Germanium : Cristallogène semi-conducteur.

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AGATA permettra de détecter les rayonnements gamma avec une sensibilité et une efficacité jusqu’ici inégalées. Au cœur du dispositif : des détecteurs à base de germanium hyperpur.

sPectromètre agata : comment ça marcHe ?

Grave, ingénieur informaticien à l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay (IPNO 6). Au final, chaque interaction du photon sera localisée dans les trois dimensions de l’espace avec une précision inférieure à 5 millimètres.

un spectromètre adapté à la prochaine génération d’accélérateurs d’ions radioactifsConcrètement, la version finale du spectromètre sera capable de mesurer avec une excellente résolution les énergies des rayonnements gamma de quelques dizaines de keV 7 jusqu’à 10 MeV 8 et plus. Ce spectromètre ultime, d’une efficacité et d’une sensitivité inégalées (2 à 3 ordres de grandeurs supérieures à la génération actuelle), sera un instrument de choix adapté aux conditions expérimentales extrêmes de la prochaine génération d’accélérateurs d’ions radioactifs, comme par exemple SPIRAL2 9 au GANIL, FAIR10 à GSI11 et EURISOL12, ainsi qu’aux accélérateurs d’ions lourds stables de très forte intensité.

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Prévue pour 2020-2025, la version finale d’AGATA sera le premier spectromètre gamma

« 4π stéradian », autrement dit un détecteur capable de reconstruire la trajectoire des rayons gamma produits dans les réactions nucléaires, quelle que soit la direction dans laquelle ils sont émis. « Sa sensibilité de détection sera de deux à trois ordres de grandeur plus élevée que celle des spectromètres récents dédiés à la détection des rayonnements gamma tels Exogam 1, Jurogam 2, en Europe, et Gammasphère 3 aux États-Unis », indique Amel Korichi, physicienne au Centre de Spectrométrie Nucléaire et de Spectrométrie de Masse (CSNSM4) à Orsay. Le projet AGATA comme son concurrent, GRETA5 aux États-Unis, constitue un des plus grands défis technologiques depuis une trentaine d’années en spectroscopie nucléaire.

180 détecteurs composés de cristauxDans la pratique, la version finale du spectromètre aura la forme d’une sphère creuse constituée de 180 détecteurs. Ces derniers sont composés de cristaux hexagonaux de germanium de très grande pureté. Dans la version finale, ils seront assemblés en soixante triplets (voir p. 65 AGATA en images). Actuellement, la version d’AGATA exploitée auprès de l’accélérateur d’ions lourds allemand GSI est dotée de 25 cristaux. Dans l’accélérateur de particules, un faisceau d’ions lourds vient frapper une cible (plomb, tungstène…) logée au cœur de la sphère. Les noyaux ainsi formés dans ces collisions acquièrent des états extrêmes d’excitation. Pour se débarrasser de ce surplus d’énergie, ces noyaux émettent des rayonnements gamma. Ces photons gamma vont alors subir

une série de ricochets dans les détecteurs de germanium. « Jusqu’à présent, le germanium, très onéreux, était associé à d’autres matériaux de détection qui ne permettaient pas de suivre correctement ces rebonds, ce qui nuisait à la précision des mesures », indique Amel Korichi. En absorbant l’énergie du rayonnement gamma, le cristal de germanium hyperpurifié va s’exciter à son tour, ce qui va au final générer l’émission d’électrons (voir encadré « Trois mécanismes d’interaction avec le germanium », ci-dessous). « Ces électrons constituent une véritable trace laissée par les rayons gamma », explique Amel Korichi.

reconstruire la trajectoire des rayons gammaEnfin, grâce à des composants microélectroniques de pointe, ces signaux analogiques sont ensuite convertis en signaux numériques. « Puis ils sont traités par de puissants outils informatiques capables de reconstruire la trajectoire des rayons gamma : c’est le concept du “gamma-ray tracking” (voir p. 66 « Un véritable défi informatique ») », explique Xavier

1. Localisé au Grand Accélérateur National d’Ions Lourds (GANIL) à Caen (CEA/CNRS). 2. https://www.jyu.fi/fysiikka/en/research/accelerator/nucspec/jurogam/3. http://www.phy.anl.gov/gammasphere/index.html 4. Unité mixte de recherche CNRS / université Paris-Sud. 5. Gamma-Ray Energy Tracking Array. 6. Unité mixte de recherche CNRS / université Paris-Sud. 7. Kilo-électron-Volt = 1 000 électrons-Volts. 8. Méga-électron-Volt = 106 électrons-Volts. 9. www.ganil-spiral2.eu/spiral210. Facility for Antiproton and Ion Research. 11. Accélérateur d’ions lourds basé àà Darmstadt en Alle-magne.12. European Isotope Separation On-Line Radioactive Ion Beam Facility - projet de nouvel accélérateur.

TrOis méCAnismEs D’inTErACTiOn AvEC LE GErmAnium

Les photons gamma peuvent interagir de trois manières avec le germanium. Si le photon gamma est de faible énergie (inférieure à 100 keV), l’interaction se fait par effet photoélec-trique et aboutit à la production d’un électron. Entre 100 keV et 1 MeV, l’interaction se fait principalement par effet Compton où une fraction de l’énergie du photon est absorbée en générant un nouveau photon mais aussi un électron. Enfin, au-delà de1 022 keV, se crée une paire de positon-électron. Dans tous les cas, des électrons sont produits et détectés par AGATA ; mais l’effet Compton étant dominant, le tracking gamma devient indispensable. Le germanium est un cristallogène semi-conducteur dont la structure cubique rappelle celle du diamant. C’est un matériau très rare. À l’heure actuelle, seules une cinquantaine de tonnes sont produites par an dans le monde. La version finale d’AGATA sera composée de 362 kg (pour 180 cristaux) de germanium très cher : un module avec un cristal de germanium d’AGATA coûte 200 000 €. Ce coût élevé inclut aussi la complexité de fabrication et segmentation dont le maître d’œuvre est la société CANBERRA en France.

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UNE SphèrE D’UN mèTrE DE DIAmèTrEAGATA aura la forme d’une sphère creuse composée de 180 cristaux hexagonaux de germanium ultrapurifié assemblés en triplets. Au centre de la sphère, une cible est bombardée par un faisceau d’ions lourds. Les noyaux formés lors de la collision entre la cible et le faisceau de particules accélérées sont alors très excités et émettent des rayons gamma.

UN DémoNSTrATEUr DE CINq TrIpLETSLes cristaux sont regroupés en triplets, et cinq triplets forment ce qu’on appelle le « démonstrateur ». Dans la version finale d’AGATA prévue pour 2020-2025, il y aura soixante triplets. En 2014, dans la version qui sera installée au GANIL à Caen, la sphère sera dotée de 15 triplets avec l’objectif d’augmenter leur nombre en fonction du financement échelonné sur plusieurs années.

UN CrISTAL DE GErmANIUm ULTrApUrIfIéComposé de 36 segments, chaque cristal est encapsulé dans une fine enveloppe en aluminium pour préserver sa surface. Les atomes de germanium absorbent l’énergie des rayons gamma et génèrent des électrons. Ces signaux analogiques sont ensuite numérisés et analysés par informatique.

agata en images

PLusiEurs GénérATiOns DE DéTECTEurs GAmmA AGATA est la suite logique d’une longue tradition de spectromètres gamma développés en Europe. Tout a démarré dans les années 1950 avec l’apparition de détecteurs dotés de scintillateurs, notam-ment à base de sodium et d’iode (NaI). Avec ce système, les élec-trons produits excitent les atomes et produisent de la lumière ; celle-ci est alors collectée par des photomultiplicateurs qui génèrent un signal. Mais le meilleur de ces détecteurs ne donne que 6 % de résolution à 1,33 MeV. Dans les années 1960 sont apparus des mo-dèles dotés d’un détecteur à base de germanium-lithium (Ge-Li). Le germanium procure en effet une excellente résolution : 0,15 % à 1,33 MeV. Puis dans les années 1970 ont été développés des mo-dèles de trois à quatre détecteurs Ge-Li dont l’utilisation est cepen-dant délicate. Les multidétecteurs à base de germanium hyperpur sont quant à eux apparus à la fin des années 1970. Le dernier en date avant AGATA est EUROBALL doté d’une centaine de détecteurs non segmentés mais entourés de boucliers « anti-Compton » ; ce qui

ne permet pas de couvrir tout l’espace en germanium.

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Afin de récupérer efficacement les signaux émis par les interactions des photons gamma dans le germanium, le projet AGATA mobilise un dispositif électronique et informatique de pointe.

un Véritable déFi inFor matique

Les cristaux de germanium constituent un élément central du spectromètre AGATA. C’est en effet en

leur sein que les rayons gamma interagissent pour générer des électrons. Le dispositif électronique et informatique joue un rôle clé pour récupérer ces signaux, les numériser, les traiter et au final reconstruire la trajectoire des photons. Dans la pratique, les impulsions des 36 segments de chaque cristal sont pré-amplifiées puis numérisées en continu – toutes les 10 nanosecondes – par un numériseur avec une résolution de 14 bits. « Très proche du détecteur, cette numérisation génère environ 8 Go/sec de données par cristal, ce qui correspondra à environ 1.5 To 1/sec pour la phase finale d’AGATA ! », illustre Éric Legay, ingénieur informaticien au Centre de Spectrométrie Nucléaire et de Spectrométrie de Masse (CSNSM).

Traitement des données en ligneCes signaux numériques sont ensuite envoyés vers des cartes électroniques « pre-processing » qui déterminent l’énergie et l’instant de chaque interaction

des rayons gamma. Ces données sont alors transmises à un système d’acquisition hautement distribué déployé sur des serveurs fournis par HP ; chaque unité possède 12 cœurs de calcul et 24 Go de RAM.Ce système d’acquisition (appelé NARVAL2) gère le flot de données provenant de l’ensemble des cristaux au travers de différentes étapes. Les données issues de chaque cristal sont traitées par un filtre « PSA » (Pulse Shape Analysis) « Là, des algorithmes permettent de déterminer la position précise de chaque interaction dans l’espace », explique Xavier Grave, ingénieur informaticien à l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay (IPNO).L’étape suivante consiste à rassembler les flux provenant de chaque cristal en un flot de données global. « L’objectif est de regrouper l’ensemble des interactions ayant eu lieu dans tout le détecteur dans une fenêtre en temps de quelques microsecondes, précise Xavier Grave. Tout cela se fait “en ligne”. » Enfin, des algorithmes de « tracking » traitent le flot de données et reconstruisent la trajectoire de chaque photon. Ces événements reconstruits sont stockés localement avant

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d’être envoyés sur la grille EGI3. « L’ensemble du traitement nécessite l’exécution de plus de 100 applications distribuées sur les serveurs. Le physicien doit pouvoir contrôler l’expérience en temps réel », explique Éric Legay. AGATA est le premier multidétecteur nécessitant un traitement des données en ligne aussi complexe (auparavant un ordinateur PC suffisait). Au final, seules les données pertinentes pour le physicien sont conservées. Ainsi, le démonstrateur d’AGATA génère environ « seulement » 10 To de données par semaine au lieu de 70 000 To avant filtrage !

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De gauche à droite : un détecteur Triple Cluster d’AGATA ; scientifiques travaillant sur le traitement de données AGATA ; équipement informatique nécessaire à AGATA.

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Laurent Grandguillot, responsable des ventes HPC chez HP France

quel rôle joue HP dans le projet agata ?Notre centre de compétence « High Performance Compu-ting » (HPC) a notamment fourni 32 serveurs de calcul, et leur nombre pourrait atteindre 250 à 300 d’ici à trois ans. Chaque serveur est muni de deux processeurs capables d’effectuer 332 milliards d’opérations à la seconde ! Nous avons également fourni un logiciel d’analyse et de diagnostic.

comment se sont déroulés vos échanges avec les membres du projet ?Les membres d’AGATA nous ont expliqué les aspects techniques du projet et ses enjeux scientifiques. Ces échanges passionnants nous ont permis de leur proposer la solution technique la plus adaptée à leurs besoins et à leur budget.

Plus globalement, quelle est la stratégie « HPc » d’HP ?Depuis plusieurs années, HP met en œuvre tous les moyens nécessaires pour répondre aux besoins grandissants de ses clients en matière de calcul intensif. En France, plus de 100 personnes travaillent au sein de notre centre de com-pétences HPC, à Grenoble et près de Paris.

1. To, téraoctet = 10 12 octets.2. Nouvelle Acquisition temps Réel Version 1.14.3 Avec Linux : système d’acquisition développé par l’IPNO et le CSNSM. 3. European Grid Infrastructure.

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ESPAGNE

FRANCE

POLOGNE

SUÈDE

TURQUIE

ROUMANIE

BULGARIE

HONGRIE

FINLANDE

DANEMARK

ALLEMAGNE

ROYAUME-UNI

ITALIE

Dossier spécial réalisé en collaboration avec : le CSNSM-CNRS, l’IPNO-CNRS, l’IRFU-CEA et HP France, Rédaction en chef : Grégoire Bradier Conception graphique et réalisation : A noir,

AGATA mobilise treize pays, une quarantaine de laboratoires et 350 scientifiques. Ce projet européen d’envergure implique une organisation performante : à l’image d’un grand orchestre, chacun apporte des compétences bien spécifiques et joue un rôle très précis.

une communauté scientiFique à l’unisson

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La collaboration AGATA est européenne : elle regroupe treize pays dont les principaux bailleurs sont l’Allemagne,

l’Italie, la France, le Royaume-Uni et la Suède. Le coût du projet est évalué à 80 millions d’euros (hors main-d’œuvre), et une quarantaine de laboratoires sont impliqués. Ces équipes de physiciens et d’ingénieurs européens travaillent en commun pour construire l’instrument. Un exemple : les capsules de germanium sont fabriquées en France, puis assemblées en Allemagne avec une électronique française, anglaise et italienne.

En France, le projet est géré par le Cnrs et le CEACôté français, le projet est géré par le CNRS, via l’IN2P3, et par le CEA. Sept laboratoires sont impliqués dans le projet : le CSNSM (Orsay), le GANIL, l’IPHC (Strasbourg), l’IRFU (Saclay), l’IPNO (Orsay), l’IPNL (Lyon) et LPSC (Grenoble). Un responsable scientifique gère le projet au niveau national. Il est entouré d’un coordinateur technique et de sept responsables scientifiques issus de chaque laboratoire.

En Europe, le projet est géré par trois comités de pilotageL’organisation du projet est pilotée par trois grandes entités. Tout d’abord, le comité de direction ou « AGATA Steering Committee (ASC) » est responsable de la coordi-nation et de la politique scientifique du projet. Cette instance est consti-tuée d’un ou plusieurs membres de chaque pays. Pour la France, le CNRS et le CEA sont représentés. Comme pour tous les grands projets, un MoU (Memorendum of Under-

standing) est signé par toutes les institutions impliquées dans le projet. Ce MoU définit les différentes ins-tances nécessaires pour le projet en termes scientifiques et financiers. Le coût des différentes phases y est évalué et les engagements de chaque pays en termes de capital sont claire-ment mentionnés. Le conseil de la collaboration (AGATA Collaboration Council ou ACC) est, quant à lui, constitué d’un représentant de chaque laboratoire impliqué dans le projet. Son rôle principal est de conseiller l’ASC sur les aspects scientifiques du projet.Enfin, l’AGATA Management Board (AMB), bureau de direction en français, pilote la conduite du projet selon les lignes directrices de l’ASC, sous la conduite du responsable de projet (Project Manager) ; ce dernier est entouré d’un responsable

des finances (Ressource Manager) et de responsables de groupes de travail : « Acquisition des données » dont Amel Korichi est en charge, « Détecteur », « Électronique », « Analyse des données », « Simulations » et « Infrastructure ». Chaque groupe de travail est lui-même subdivisé en équipes : il y en a actuellement vingt, dont cinq gérées par des Français tels Xavier Grave et Éric Legay. AGATA étant nomade, un Local Project Manager est désigné lors de chaque campagne de physique pour la coordination et le suivi local.

9 avril 2010 Inauguration du démonstrateur à 15 cristaux au Laboratoire national de Legnaro (LNL) en Italie

2010-2011 Campagne de mesures au LNL

2012-2013 Exploitation de la version post-démonstrateur au GSI (Allemagne)

2014 Exploitation de la version 45 cristaux au GANIL à Caen

2020-2025 Version finale du spectromètre dotée de 180 cristaux

Les 13 pays européens impliqués dans la collaboration AGATA.

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