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Carrefour des Gestions Locales de l’Eau
Plénière de clôture
Jeudi 30 janvier – 14h30 – 16h00
Produits phytosanitaires : comment en sortir ?
Ouverture Denis Cheissoux
Bienvenue à tous à la plénière organisée par la Région Bretagne, avec un
sujet tout à fait concret : celui des phytosanitaires. Peut-être que nous
n’aurions pas pu en parler il y a quelques années. C’est un sujet fort et
d’actualité.
On a besoin de nos agriculteurs. On aime nos agriculteurs. On a besoin d’une
agriculture forte en France et en Bretagne en particulier. Aujourd’hui, il faut
tout de même pouvoir parler de nos modes de production. Comment sortir
des produits phytosanitaires ? C’est un sujet délicat et extrêmement
important pour la société. C’est un sujet social, environnemental, agricole,
économique. Comment combiner tous ces enjeux avec les attentes mais aussi les contradictions des
citoyens et des consommateurs, que nous sommes ?
A cette table-ronde :
Thierry Burlot, Vice-Président du Conseil régional de Bretagne, en charge de l’environnement, de
l’eau, de la biodiversité et du climat
Martin Gutton, Directeur général de l’Agence de l’eau Loire Bretagne
Alexandra d’Imperio, médiatrice scientifique, chercheur et consultante indépendante.
Gilbert Le Maignan, représentant de l’association Consommation Logement Cadre de Vie
Christophe Rousse, Président de Solarenn
Julien Collin, agriculteur, éleveur de vaches laitières dans le secteur de Bédée
Yann Raineau, coordinateur du projet VitiREV, Région Nouvelle Aquitaine
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ENCART - Définition - Pesticides, produits phytosanitaires, produits phytopharmaceutiques,
biocides – comment s’y retrouver ?
Un pesticide est une substance utilisée pour éliminer une espèce nuisible.
L’origine du mot pourrait provenir du terme anglais « pest » signifiant insecte nuisible ou alors du
français « peste », ces deux termes provenant du latin « pestis » désignant le fléau au sens général.
Le suffixe « cide » qui a pour origine le verbe latin « cadeo, cadere » signifie « tuer ».
Les pesticides peuvent être classés selon leur mode d’action : insecticides, fongicides, herbicide.
Leur utilisation a permis de limiter le développement de maladies et a révolutionné l’agriculture.
Pourtant, la mise en évidence de leurs effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement a
progressivement rendu ces substances impopulaires. Le mot pesticide a donc fait place
progressivement à d’autres termes comme les produits phytosanitaires ou les produits
phytopharmaceutiques.
Les produits phytopharmaceutiques sont définis par la directive 91/414/CEE abrogée par le
règlement n°1107/2009 du 21/10/09, comme les substances actives et les préparations contenant
une ou plusieurs substances actives destinées à :
- Protéger les végétaux contre les organismes nuisibles
- Exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, pour autant qu’il ne s’agisse pas
de substances nutritives (par exemple, les régulateurs de croissance)
- Assurer la conservation des produits végétaux
- Détruire les végétaux indésirables
- Freiner ou prévenir une croissance indésirable de végétaux.
Les pesticides sont également inclus dans les biocides, terme désignant l’ensemble des substances
destinées à détruire ou rendre inoffensif tout organisme nuisible. Outre les pesticides, les biocides
intègrent les antibiotiques médicaux ou vétérinaires, les désinfectants ou encore les produits
contenus dans les matériaux (par exemple : les charpentes traitées contre les termites, les
peintures antifouling, les vêtements ou meubles contenant des antifongiques, les traitements
antipuces et antipoux…). Ils dépendent de la directive 98/8/CE du 16 février 1998.
Source : Fascicule « Les pesticides » - Collection AESN – PIREN Seine
Pesticides ou produits phytosanitaires ou produits
phytopharmaceutiques
Insecticides
Fongicides
Herbicides
f
Antibiotiques médicaux ou vétérinaires
Désinfectants
Produits contenus dans les matériaux
Biocides
Pesticides
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Propos introductif d’Alexandra d’Imperio, médiatrice scientifique, chercheur et consultante
indépendante1
Je vous propose un retour historique sur la controverse autour des
pesticides.
Il y a encore 50, 60 ans, les pesticides étaient perçus comme un progrès
extrêmement important pour l’humanité. Ils étaient présentés comme un
produit presque miraculeux, et pour certains pesticides, comme un produit
sans danger, jusqu’aux années 60, avec la publication du livre de Rachel
Carson, « Printemps silencieux ». Rachel Carson était déjà à l’époque une
autrice de vulgarisation scientifique très connue et elle a publié ce livre en
1962. Dans ce livre, elle explique les bases du concept d’écosystème, qui en
était à ses balbutiements, même dans la communauté scientifique et grâce à ce concept, elle explique
à ces lecteurs que les humains ne sont pas complètement séparés de leur environnement et que eux
aussi, ils peuvent être affectés par un certain nombre de pesticides et notamment le DDT. C’est à partir
de là que les discours sur les pesticides commencent à changer et que l’inquiétude commence à
monter au sein de la population. Au moment où Rachel Carson publie son ouvrage, il était encore
commun de laisser les enfants jouer et se laisser asperger par des engins agricoles qui pulvérisaient du
DDT par exemple.
A partir de ce moment-là monte une importante controverse sur les pesticides aux Etats-Unis mais
aussi en Europe. Le DDT est finalement interdit au début des années 70 aux Etats-Unis et en France et
rapidement, il ne viendrait plus à l’esprit de laisser ces enfants jouer avec des produits phytosanitaires.
Au même moment dans les années 70, en Bretagne, apparaît le problème des algues vertes. Les algues
vertes, ce n’est pas le sujet de la plénière aujourd’hui, mais c’est un problème qui fait que l’opinion
publique commence à se poser de plus en plus de questions à propos des intrants agricoles et de leurs
impacts sur la qualité de l’eau. C’est d’ailleurs à ce sujet que Brice Lalonde, lorsqu’il était Ministre de
l’environnement en 1990 a parlé pour la première fois des agriculteurs pollueurs.
Une nouvelle étape dans l’évolution des discours sur les pesticides est franchie avec le Grenelle de
l’environnement en 2007. A partir de ce moment-là, les pesticides font l’objet d’un plan d’envergure
nationale, le plan Ecophyto, qui vise à réduire de 50% la consommation française en pesticides, avant
2018 si possible. Des sociologues vont étudier la manière dont évolue la consommation de pesticides
en France : Alexis Aulagnier et Frédérique Goulet mettent en évidence que la simple question des
indicateurs qui vont suivre l’évolution du plan Ecophyto est déjà au centre d’un rapport de force
politique. Le premier indicateur proposé est la quantité de substance active. C’est un indicateur
défendu dans un premier temps par les industries regroupées au sein de l’UIPP (Union des Industries
pour la Protection des Plantes) et par la FNSEA. C’est un indicateur qui aurait permis d’argumenter en
faveur de mesures assez peu contraignantes parce que les nouvelles substances mises sur le marché
sont de plus en plus efficaces à des doses de plus en plus faibles. L’indicateur qui va finalement être
retenu c’est le NODU pour nombre de doses unité, qui était défendu par les acteurs scientifiques et
les ONG environnementales. Cet indicateur prend en compte la concentration et l’efficacité des
produits.
A partir du Grenelle et du Plan Ecophyto, la question de la réglementation des produits phytosanitaires
prend de plus en plus d’ampleur dans les médias généralistes. On peut parler de l’exemple de
1 Vous pouvez consulter son blog : https://troisiemebaobab.com/qui-veut-la-peau-des-pesticides-9a40f35e6826
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l’agriculteur Paul François, qui a été probablement intoxiqué en 2004 par le lasso et qui est devenu
une forme de symbole des victimes des produits phytosanitaires parce qu’il a médiatisé son histoire et
porté plainte contre Monsanto. On a également le désormais célèbre documentaire de Cash
Investigation sorti en 2016. Dans ce documentaire, les journalistes se sont inspirés d’expériences de
tests sur des mèches de cheveux d’enfants. Il y a là une dimension émotionnelle forte et encore plus
forte avec le scandale des bébés nés sans bras dans l’Ain, dans le Morbihan et en Loire Atlantique. Les
causes de ces malformations sont encore non-identifiées mais la suspicion s’est tout de suite portée
sur les pesticides car il y a eu 3 enfants dans une commune du Morbihan qui sont nés sans avant-bras
en l’espace de quelques mois. A cette occasion, les experts ont dénoncé le manque de moyens alloués
par les autorités pour mener cette investigation. On pourrait aussi parler du scandale du chlordécone
aux Antilles, des interdictions de pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles et de l’interdiction et des
distances d’épandage du Maire de Langouët.
Dans toutes ces affaires, les associations et les lanceurs d’alerte s’appuient sur des nouveaux outils de
communication numériques, notamment Facebook ou des pétitions en ligne pour alerter l’opinion
publique. Il y a par exemple l’association Générations futures, qui à partir des années 2000 multiplie
les campagnes d’information, des rapports, contre-rapports, études indépendantes… Il y a aussi « Stop
pesticides, nous voulons des coquelicots ». C’est un collectif qui a réussi à rassembler plus d’un million
de signatures sur leur pétition en ligne pour l’interdiction totale de l’utilisation des pesticides de
synthèse. Il y aussi de plus en plus de chercheurs qui décident de prendre la posture de lanceurs
d’alerte. A titre d’exemple, une tribune publiée en 2009 par des chercheurs :
Ce sont globalement des acteurs qui prennent par des médias interposés l’opinion publique à témoin
pour pouvoir forcer les élus de tout niveau à prendre position. Cela confronte également les
agriculteurs à leurs pratiques.
Les associations ne manquent pas de faire remarquer le décalage qui existe entre les discours
politiques et la réalité agricole sur le terrain. On note le retrait de 38 substances jugées préoccupantes
au niveau européen entre 2018 et 2019 mais, si l’on regarde la courbe de suivi du NODU du plan
Ecophyto, on voit que le nombre de dose unitaire a largement augmenté depuis la mise en place du
plan, alors qu’elle devait diminuer de 50%.
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L’objectif est donc reporté à 2025 avec Ecoohyto 2. Pendant ce temps-là, les scientifiques et les
citoyens constatent que la faune des campagnes décline de façon alarmante. Quelques chiffres, non
exhaustifs, à l’appui :
- en 30 ans, l’Europe aurait perdu des centaines de millions d’oiseaux (421 millions), à cause du
changement climatique mais aussi à cause des pesticides
- le nombre d’individus de chardonnets a diminué de 25%. C’est extrêmement rapide.
- un certain nombre d’études européennes parle d’une diminution de 75 à 80% de la biomasse des
insectes volant sur le continent en l’espace d’un quart de siècle. Parmi eux, une disparition
particulièrement emblématique : celle des abeilles. De plus en plus d’études montrent que près de
30% des colonies d’abeilles disparaîtraient chaque année.
A chaque fois, il ne s’agirait pas uniquement des pesticides, mais d’une combinaison de facteurs, parmi
lesquels les pesticides joueraient tout de même un rôle important.
En ce qui concerne les humains, l’Organisation Mondiale de la Santé interpelle depuis de nombreuses
années la communauté internationale à propos d’une augmentation inquiétante de certaines maladies
chroniques comme le diabète, certains cancers, des maladies neurodégénératives et des troubles de
la reproduction. Ce sont des maladies, qui d’après l’OMS, pourraient être liées à une détérioration de
notre environnement.
Citons aussi un rapport de l’Inserm, publié en 2013 : « des associations positives ont été constatées
entre l’exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies, comme la maladie de
parkinson ou le cancer de la prostate ». Dans le même rapport, il est écrit : « il existe aussi un facteur
de risque pour le développement de l’enfant s’il est exposé pendant la grossesse de la mère et pendant
la petite enfance ».
Le problème est que c’est une menace sanitaire extrêmement difficile à cerner car la toxicité peut
dépendre de la dose journalière à laquelle les humains sont exposés mais aussi du stade de la vie
auquel ils sont exposés, du biais par lequel ils sont exposés (l’air, l’alimentation), du degré d’absorption
et même de la manière dont les produits peuvent s’accumuler ou persister dans le corps. Certains
produits peuvent présenter une toxicité importante immédiate mais être éliminés ensuite par
Note de suivi 2018-2019 du Plan Ecophyto, Janvier 2020.
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l’organisme. D’autres au contraire, peuvent présenter des substances en théorie moins toxiques mais
s’accumulent dans l’organisme et constituent un risque à long terme.
Face à ces constats, les pesticides sont devenus un des sujets jugés les plus inquiétants par l’opinion
publique par rapport à d’autres risques auxquels la population peut être exposée. L’IRSN (Institut de
Radioprotection et de Sureté Nucléaire) réalise tous les ans des sondages sur la perception des risques
par les français sur tout un tas de sujets, pas uniquement sur le nucléaire. Sur une liste de 35
propositions, les pesticides arrivent en troisième, derrière le cancer et le terrorisme. 70% des Français
considèrent que les risques liés aux pesticides sont élevés ou très élevés. Juste derrière, on retrouve la
pollution des rivières et des mers et la pollution des sols qui préoccupent près de 65% des français.
Dans notre région, les Bretons se déclarent préoccupés par la pollution des sols à 80%, d’après le
baromètre santé environnement Bretagne.
L’eurobaromètre de l’EFSA (l’Agence de sécurité sanitaire européenne) montre que les Français font
partie des européens les plus inquiets à propos des résidus de pesticides dans l’alimentation.
Malheureusement, on a pu voir récemment dans les médias, un certain nombre de cas d’agriculteurs
qui auraient été agressés, notamment parce qu’ils épandaient des pesticides. Si l’on se réfère à une
communication des Chambres d’agriculture de France, d’avril 2019, « l’agression d’agriculteurs dans
l’exercice de leur métier reste des faits rarissimes. Cette actualité a pris une dimension démesurée
dans les médias grâce à la puissance des réseaux sociaux mais n’est absolument pas représentative
des relations entre les agriculteurs et la société. »
Pour illustrer cela, voici un extrait du baromètre d’image des agriculteurs de 2019 : on voit que 74%
des Français pensent que les consommateurs peuvent avoir confiance dans les agriculteurs. C’est un
chiffre qui augmente ces dernières années. Il avait énormément diminué en 2013 avec la crise de la
viande de cheval, qui ne concernait pourtant pas les agriculteurs français, mais leur image en avait
énormément pâti. Le chiffre remonte progressivement depuis. Au niveau européen, les agriculteurs
sont le type d’acteurs envers lesquels les Français ont le plus confiance : 69% des français (c’est aussi
la moyenne européenne) déclarent faire confiance aux agriculteurs en ce qui concerne la sécurité
alimentaire. Les agriculteurs font partie des 3 types d’acteurs en lesquels les Français ont le plus
confiance : les associations de consommateurs, les scientifiques et les agriculteurs.
Ce ne sont pas tant les agriculteurs qui sont critiqués mais le système agricole. La confiance pour les
agriculteurs reste haute mais pour les industries, ce n’est pas du tout le cas. La confiance envers
l’industrie agro-alimentaire est extrêmement basse. La France est le pays où la confiance envers
l’industrie agro-alimentaire est la plus basse de toute l’Europe. Seulement 16% des Français disent
avoir confiance dans les informations qui sont délivrées par l’industrie à propos de la sécurité
alimentaire. C’est le dernier pays sur les 29 étudiés. Ce qui laisse supposer que les agriculteurs
apparaissent d’avantage comme victimes que complices d’un modèle de production. Cette défiance
vis-à-vis de l’industrie est le résultat d’une multitude de scandales, qui remontent même jusqu’à
l’histoire de la vache folle dans les années 90 et qui ont durablement altéré l’image de l’industrie et
qui rejaillissent aussi sur la question des produits phytosanitaires. Si on prend le temps de décentrer
la question et regarder plus loin que les pesticides, on se rend compte que ce sont les pratiques de
l’industrie qui sont scrutées et qui sont discutées. Si les gens se méfient des pesticides, c’est aussi parce
qu’ils se méfient de tout un tas de pratiques de l’industrie.
Malheureusement la science a bien du mal à dire quoi faire, qu’il s’agisse des citoyens, des agriculteurs
ou des institutions publiques. C’est justement pour cela que la controverse est encore vive, parce que
la science n’est pas en mesure d’apporter une réponse claire à propos de la dangerosité des pesticides,
et cela pour plusieurs raisons. Au sein de la communauté scientifique, en fonction des disciplines, on
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va avoir différents critères choisis et on va donner plus ou moins de poids à certaines preuves en
fonction de nos standards propres. En 2015, le centre de recherche international sur le cancer a dit
que le glyphosate était un cancérigène probable. C’est un avis qui a été immédiatement contesté par
les agences de sécurité sanitaire française européennes. C’est un désaccord qui peut s’expliquer par
des différences méthodologiques. Le centre de recherche sur le cancer prend en compte uniquement
des études académiques alors que l’autorité européenne inclut aussi des bilans des industriels.
Un autre problème que rencontre la science c’est d’établir la toxicité combinée de certaines molécules,
qui correspond à « l’effet cocktail » et qui serait le résultat d’une exposition fréquente à différentes
molécules. Le problème est d’autant plus complexe que certaines molécules sont soupçonnées d’avoir
des effets sans seuil de déclenchement ; elles pourraient avoir des effets même à des doses très faibles.
Ce qui fait que l’approche scientifique qui a tendance à favoriser des études substance par substance
ou milieu par milieu (l’air, l’alimentation, l’eau) ne permet pas de prendre en compte les expositions
combinées. Si bien que les études scientifiques ne peuvent s’exprimer aujourd’hui qu’avec un certain
niveau d’incertitude, qui rejaillit ensuite sur les débats publics.
Dans les enjeux liés aux pesticides, il y a aussi beaucoup de questions éthiques et politiques. Les
sociologues et les philosophes des sciences le savent très bien : l’appréciation d’un risque est souvent
dépendante de la culture et des valeurs et cela fait référence à des raisonnements qui ne sont pas
forcément irrationnels ; ce sont d’autres modes de raisonnement qui ne font pas uniquement appel à
des preuves scientifiques.
Sommes-nous prêts à prendre le risque que les prochaines générations développent de plus en plus
de maladies chroniques pour continuer à bénéficier aujourd’hui de l’efficacité des produits
phytosanitaires ? Ou estimons-nous que le risque est inacceptable malgré les incertitudes ?
Faut-il favoriser les intérêts des humains quitte à imposer une extinction massive au reste du monde
vivant ?
Autrement dit : le jeu en vaut-il la chandelle ?
Là aussi, des sociologues et des psychologues étudient l’attitude des personnes face au risque et l’une
des questions qui influence le plus la perception d’un risque c’est : peut-on faire confiance aux
autorités et à leurs experts ?
Il y a un problème sur ce point : des citoyens pensent que les autorités et les institutions ont longtemps
laissé croire qu’un certain nombre de pesticides était sans danger et qu’elles maîtrisaient les risques
environnementaux et sanitaires induits par ces substances. On peut repenser à l’histoire du DDT
présentée au début de l’exposé. Des substances ont été déclarées sans danger, puis finalement
bannies. Aujourd’hui, on peut encore les retrouver dans l’environnement. De nombreux citoyens
mettent donc en doute la capacité des institutions à prendre les décisions adéquates. Devant les
incertitudes scientifiques actuelles, un certain nombre de citoyens craignent que les autorités
publiques ne finissent par favoriser les intérêts économiques immédiats des industriels au détriment
de la santé future des citoyens et de l’environnement. Ils en appellent de plus en plus au principe de
précaution.
Définition du principe de précaution
“En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne
doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir
la dégradation de l'environnement.”
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Déclaration officielle de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement,
Rio de Janeiro, 1992.
Les pesticides posent donc aujourd’hui des questions d’ordre démocratique. Dans notre système
démocratique, les citoyens ne supportent plus que des risques qu’ils jugent importants leur soient
imposés par des industriels ou des autorités publiques trop frileuses pour prendre position. C’est pour
cela qu’ils estiment pouvoir se saisir de ce sujet complexe. Des acteurs de la société civile se présentent
aujourd’hui comme des gardiens des bonnes pratiques et des gardiens de la République.
Pour finir, une illustration : la bannière du collectif « Stop aux pesticides, nous voulons des
coquelicots ». On voit bien la référence au tableau d’Eugène Delacroix, « La Liberté guidant le peuple »
de 1830, qui montre l’élan du peuple dans la lutte pour la démocratie. On voit très clairement comment
la lutte contre les pesticides est associée à une lutte pour la démocratie.
Pour comprendre la controverse qui touche les pesticides, il faut savoir regarder au-delà des pesticides
car cette controverse met en cause des enjeux politiques de fond, au-delà des molécules chimiques.
La position de l’Agence régional de Santé de Bretagne
Thierry Panaget, vous êtes ingénieur d’études sanitaires à l’ARS de
Bretagne. Les constats sur les pesticides sont aujourd’hui connus,
posés. Que pouvez-vous nous en dire ? Quelle est la position de
l’ARS ?
Cela a été dit, la société s’inquiète du lien entre santé et pesticides.
L’ARS Bretagne partage totalement cette préoccupation. Il existe en
effet des éléments probants en matière de toxicité aiguë : en témoignent les milliers de cas enregistrés
par les centres antipoison et par la MSA au travers du dispositif Phyt’attitude.
Les effets à long terme ont aussi été abordés juste avant : le rapport de l’Inserm de 2013 met en
évidence un certain nombre d’effets sanitaires. Il s’agit d’une expertise collective qui met à disposition
une synthèse de toutes les études alors disponibles et évalue le niveau de consensus.
Ce qui préoccupe l’ARS c’est l’exposition globale de la population générale. La population est exposée
au travers de l’air, de l’eau (seulement 2% selon les chiffres de l’ANSES), et majoritairement au travers
de l’alimentation. Ce qui inquiète également l’ARS c’est la part d’ombre qu’il y a dans la connaissance.
Il y a des informations toxicologiques sur les matières actives. Par contre, dans l’environnement, les
matières actives se transforment en plusieurs métabolites primaires, qui se transforment à leur tour
en métabolites secondaires, ce qui donne potentiellement dans l’environnement des milliers de
molécules, dont on ne sait rien.
On a constaté dans le cadre du suivi du plan Ecophyto, l’augmentation de 24% de produits
phytosanitaires l’année dernière. 85 000 tonnes aujourd’hui au lieu de 70 000 hier. On peut
l’expliquer par le climat peut-être. Mais quand même, cela ne baisse pas. Que peut faire le niveau
régional sur cette problématique ?
L’ARS essaye d’être la plus active possible au travers de 2 moyens :
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- le Plan Régional Santé Environnement, qui est co-piloté entre l’Etat, la Région Bretagne et l’ARS. En
2020, nous allons mener une étude avec l’EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique) pour
avoir une première photographie en Bretagne de la contamination des eaux par les co-formulants et
adjuvants de produits phytosanitaires.
- le Plan Ecophyto 2+ : l’ARS y prend toute sa part dans la gouvernance. Un système de recueil des
signaux pour toutes les intoxications qu’il pourrait y avoir en Bretagne sera mis en place.
Nous souscrivons à l’objectif de la Breizh Cop de tendre vers le 0 phytos à l’horizon 2040. Nous pensons
qu’une petite liste de molécules pourrait rester autorisées pour répondre aux urgences
phytosanitaires, avec l’autorisation du Préfet, comme cela se fait avec les maladies invasives dans les
vignobles.
La table ronde
Gilbert Le Maignan, vous êtes représentant de l’association Consommation Logement Cadre de Vie.
Qu’attendent aujourd’hui les consommateurs ?
Les consommateurs attendent évidemment des produits sains, qui ont du
goût et qui, si possible, sont accessibles à leur porte-monnaie. Mais ils
attendent aussi un environnement sain, c’est-à-dire que pour produire la
nourriture, l’air que nous respirons et l’eau doivent aussi être sains et non
pollués. Le tout doit être fait dans un paysage social apaisé. Cela ne va pas
être les uns contre les autres. Le prix du produit doit être acceptable et
accessible pour tous mais il doit aussi rémunérer le producteur.
On est aujourd’hui dans la quadrature du cercle : rémunérer à son juste niveau le producteur,
préserver l’environnement, avoir des produits sains, un prix socialement acceptable. Comment fait-
on ?
Pour CLCV, le prix n’est pas le facteur n°1. Le produit, sa valeur nutritionnelle et la sécurité sanitaire
du produit sont notre priorité, la façon dont il est produit, le processus également. Nous demandons
à ce que chacun puisse faire son choix et pour cela nous avons une proposition : l’étiquette. Elle doit
nous dire ce que l’on mange mais aussi comment le produit a été élaboré et d’où il provient.
Comment rassembler les attentes des consommateurs et le monde agricole ?
L’information est importante. Il ne faut pas forcément rechercher le plus mais le mieux. Nous utilisons
aussi des pesticides dans nos maisons. Nous sommes aussi responsables de la qualité de l’air que l’on
respire. Nous ne voulons pas stigmatiser telle ou telle profession. Il faut mener une réflexion collective.
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Pour poursuivre la réflexion sur comment faire, tournons-nous vers une coopérative. Christophe
Rousse, vous êtes le Président de Solarenn. Vous produisez également des tomates sous serre.
Comment vous orientez le travail, modestement sous serre, pour répondre à une demande
sociétale ?
Christophe Rousse ne cache pas qu’il a hésité à participer à la table ronde
car c’est un sujet très polémique. Les serres existent sur le bassin rennais
depuis plus de 50 ans. La coopérative a plus de 70 ans. Certaines personnes
découvrent les serres, et les perçoivent comme un outil technologique et le
décrient. Pourtant, les serres existent depuis plus de 50 ans et à l’époque
leur surface était plus importante. La ville a poussé l’activité. La coopérative
était historiquement basée à Rennes, puis Chantepie.
Il est vrai que la culture sous serre est un milieu un peu protégé ; on se
protège des intempéries. On a l’avantage d’éviter la pluie et de pouvoir
réguler l’hygrométrie dans les serres. Depuis plus de 30 ans, nous avons des ruches dans les serres,
avec des bourdons. La lutte biologique dans les serres existe depuis le début des années 90. On en
parle aujourd’hui un petit plus mais c’est une longue histoire. Nous n’avions pas communiqué sur le
sujet mais c’est une avancée : plutôt que de réaliser des traitements chaque semaine, on a choisi la
lutte biologique.
Au fil du temps, nous avons de plus en plus d’insectes qui ont aidé à se protéger des ennemis de la
tomate. Malgré cela, la serre a une mauvaise image ; c’est un milieu fermé ; on ne voit pas ce qu’il se
passe. Avec le passage au hors sol qui existe depuis les années 80, les serres étaient décriées. Les
producteurs ont souhaité réagir et communiquer. Des portes-ouvertes ont été organisées pour les
écoles, le grand public. L’action « ferme en ville » a été menée, les serres exposent. Nous nous sommes
aperçu que ce n’était pas suffisant.
Certains producteurs sont allés sur de la vente directe. Cela a été autorisé même si les producteurs
sont en coopérative. C’est une très bonne chose car les consommateurs sont venus dans les serres. Ils
ont été surpris par le mode de production : ils ont découvert les substrats minéraux et organiques,
l’absence de traitement… Les consommateurs se demandaient pourquoi les producteurs ne passaient
pas en bio. Cela n’est pas possible car il n’y a pas le lien au sol.
Par contre, Solarenn a été dans les premières entreprises françaises à obtenir le label HVE (Haute
Valeur Environnementale).
Vous travaillez avec Prince de Bretagne, avec Savéol. Vous êtes concurrents au niveau de la vente,
mais vous avez des méthodes en partage.
A nous trois, nous représentons environ 200 000 tonnes de tomates, c’est-à-dire presque les 3 / 4 de
la production française. La Bretagne est la première région légumière et en tomate également, la
tomate n’aimant pas tellement les températures extrêmes.
Nous avons tous démarré des méthodes un peu similaires : des cultures sans pesticides.
On a commencé chacun dans notre coin à travailler sur des cahiers des charges pour les producteurs
pour ne pas utiliser de pesticides. Chacun a commencé à vendre. On s’est aperçu que la grande
distribution a commencé à nous diviser en interrogeant les contenus des cahiers des charges. Les 3
coopératives ont alors décidé de rester concurrents sur le plan commercial, mais d’établir un cahier
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des charges commun. Les ingénieurs qualité, les techniciens et les producteurs se sont tous réunis pour
faire une alliance sur cette culture sans pesticides, qui aujourd’hui s’appelle « Saveurs et Nature » et
qui existe depuis l’année passée.
Cela permet de communiquer sur le fait que nous n’utilisons pas de pesticides, car aujourd’hui, on
communique très peu directement auprès du consommateur.
On se rend compte aussi que c’est l’environnement qui fédère. Il fallait que les hommes se mettent
d’accord. On a réussi à niveler le cahier des charges par le haut pour gommer nos différences.
L’alliance permet aujourd’hui des échanges. On progresse techniquement.
On répond à une demande du consommateur.
On constate que le lien a été coupé avec 70% de la population, qui maintenant est urbaine. D’où
l’importance de cette communication.
Le lien familial agricole s’est effectivement perdu en l’espace de 2 générations. Il y a une déconnexion
de la société avec le monde agricole, ce qui peut lui porter préjudice.
Aujourd’hui, on essaye de recréer ce lien. Il faut aussi arrêter d’opposer les systèmes : bio et non bio.
Partons en Nouvelle Aquitaine. Intéressons-nous au projet Vitirev, qui concerne la vigne.
En France, la vigne consomme à elle seule 40% des fongicides en France. Cela représente 4% de notre
agriculture française, mais avec un chiffre d’affaires extrêmement important.
Comment accompagner les changements au niveau sociologique et scientifique ? Qu’est-ce que la
science peut apporter ? Yann Raineau, vous êtes coordinateur de ce projet, Vitirev et chercheur en
économie comportementale
Le projet Vitirev est un projet collectif pour accompagner la transition agro-
écologique des vignobles néo-aquitains. La Nouvelle Aquitaine couvre
l’ancien Poitou – Charente, le Limousin et Aquitaine. Cela représente 12
départements, 10 sont viticoles.
On parlait de contestation sociale en introduction. La vigne en nouvelle
Aquitaine a subi une forte contestation sociale, une dégradation de son
image, qui ne sont pas sans répercussions économiques. Le monde des
institutions et la filière se sont rejoints sur un impératif d’agir et d’arriver à
des choses concrètes.
Les premières alertes remontent aux années 60. Cela représente presque 2 générations. Qu’est-ce qui
fait qu’on n’est pas allé plus vite ? Pourquoi les choses n’ont pas bougé ? Il y a une question de
temporalité ; il faut du temps pour le changement de pratiques.
Est-ce que cela viendrait du consommateur, qui ne serait peut-être pas en cohérence entre ses
déclarations (80% des consommateurs se disent inquiets par les pesticides) et les actes d’achat guidés
aussi par les aspects économiques.
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Du côté des producteurs, où se situent les blocages ?
Ce sont des questions de recherche que Yann Raineau a explorées.
L’Indice de Fréquence de Traitement sur la vigne a été analysé. Cela revient à regarder le nombre de
traitement rapporté à la dose et aux surfaces traitées. Lorsqu’on regarde les données des viticulteurs
d’une même zone, on a des IFT qui varient du simple au triple pour des viticulteurs pourtant voisins.
On peut donc s’interroger.
La notion de risque en viticulture est fondamentale. On utilise des pesticides, majoritairement des
fongicides, pour se prémunir de maladies qui ont des effets ravageurs sur les rendements et le revenu
direct des viticulteurs. On se protège, on s’assure vis-à-vis du risque. Mais la question est de savoir si
on s’assure au plus juste ou au-delà, voire trop. Cette part du risque pousse à la sur-assurance.
Ce que l’on a essayé de faire du côté de la recherche, c’est un « nudge » : l’idée est de donner des
références aux professionnels en les informant sur leur niveau de performance par rapport à l’IFT et
par rapport à ceux d’un groupe de référence autour. Nous avions travaillé avec une coopérative. On a
observé que cette simple information des viticulteurs sur leur IFT par rapport à l’IFT moyen du groupe
des viticulteurs, à un moment dans l’année, a pu jouer le rôle de déclencheur auprès des forts
utilisateurs, qui réduisent leur utilisation des pesticides l’année d’après. Certes ce n’est pas l’outil
public de demain, mais c’est une action toute simple à mettre en place et surtout elle montre qu’il
existe une marge de progrès.
L’information est nécessaire, autant du point de vue du consommateur que des producteurs. On
constate des asymétries d’information. On manque d’informations réelles sur les modes de
production, les modes d’achat, les performances des uns et des autres vis-à-vis d’objectifs pourtant
communs.
Le collectif est également très fort : le fait de mettre les agriculteurs ensemble, cela amène des
résultats.
Le projet Vitirev est né de cela : une approche collective. Cela s’appuie sur ce qui est déjà en place dans
le cadre d’Ecophyto, avec les fermes Dephy. Mais la question qui était à la base du projet Vitirev était
la suivante : actuellement, on a potentiellement plein de solutions techniques pour le changement de
pratiques, et réduire les traitements de 30% sans réduire les rendements et pourtant on y arrive pas.
Il y a vraiment un nœud sur l’adoption des bonnes pratiques : qu’est-ce qui déclenche le changement
ou non ? C’est là qu’interviennent les sciences humaines et sociales.
Le projet Vitirev fait cette promesse de replacer l’innovation ouverte avec tous les acteurs du territoire
dès l’origine, en s’appuyant sur la méthodologie du « living-lab2 ». On innove en faisant des living-lab
agricoles sur les territoires viticoles. On a appelé cela des laboratoires d’innovation territoriale. Dans
le cadre du projet Vitrev, on a réussi à en faire émerger 14. On retrouve toute la diversité des territoires
de Nouvelle Aquitaine : 1 sur le Haut Poitou, 3 dans le Cognaçais, 1 dans le Madiran, sans oublier bien
sûr le bordelais… Les acteurs des territoires, en tant qu’usagers des territoires viticoles, nous
remontent différentes problématiques et se placent ensemble pour la construction de l’innovation qui
va suivre. Dès lors que tout le monde se retrouve dans la construction de l’innovation et que l’on ne
suit plus le schéma traditionnel des problèmes qui viennent du terrain, qui sont envoyés au chercheur,
2 Le living lab est une méthodologie où citoyens, habitants, usagers sont considérés comme des acteurs clés des processus
de recherche et d'innovation.
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qui sont envoyés aux conseillers et qui reviennent au terrain… la question de l’adoption ne se pose
plus puisque tout le monde a co-construit des solutions.
Revenons en Bretagne, à Bédée, avec Julien Collin, éleveur de vaches laitières, sur 145 ha et en GAEC
avec ses parents. Vous êtes engagé dans les fermes Dephy. Vous avez 95 vaches et produisez 100 000
L de lait. Comment cela fonctionne ? Quel a été le mécanisme pour vous qui vous a amené à réduire
l’utilisation des pesticides sur votre exploitation ?
L’entrée dans le réseau Dephy a été un moyen de rencontrer des personnes
qui étaient dans le même cadre que moi et dans le même objectif, qui était
de réduire l’utilisation des phytosanitaires dans un premier temps. J’aime
en effet à dire « moi, j’en utilise, mieux je me porte ». Ce sont des produits
que j’utilise, certes, mais je n’ai pas envie de les utiliser en permanence.
Sur l’exploitation, nous avons réduit l’utilisation des produits
phytosanitaires grâce à différents leviers. A l’origine, nous étions déjà sur
une exploitation qui utilisait faiblement des produits phytosanitaires mais
pour pouvoir franchir un cap supplémentaire, nous avions besoin d’être à
plusieurs pour échanger sur nos pratiques entre agriculteurs. Au fil du temps, nous avons fait des essais
sur l’exploitation pour limiter les phytosanitaires. Nous sommes en « sans labour » (pas en technique
simplifiée de culture). Nous n’utilisons pas de glyphosate. Nous limitons également les fongicides en
mélangeant les cultures et en utilisant des variétés de blé différentes pour diviser le risque : si on a
une seule variété de blé, sensible à une maladie, et que la maladie survient, la culture peut être
touchée à 100%, mais si on mélange 4 variétés qui sont peu sensibles, on réduit ainsi le risque maladif.
Beaucoup de collègues utilisaient 3 fongicides dans notre groupe Dephy. Aujourd’hui, nous sommes
plutôt en moyenne à 2 et cette année, sur l’exploitation, nous n’avons fait qu’un traitement.
Par contre, cela a une incidence sur le temps de travail. Il faut passer plus de temps pour observer ce
qui se passe dans les champs pour adapter nos façons de faire. On redevient agronome en quelque
sorte. On ne fait plus du systématique, on fait du curatif quand il y a besoin. Certes, cela va peut-être
légèrement impacter les rendements mais on constate que la marge sur cette culture est restée la
même, voire a augmenté. On ne cherche pas à faire 100 quintaux. Nous faisons 80 quintaux en
moyenne par an et économiquement, cela fonctionne.
Personnellement, je me sens mieux car je sors moins mon pulvérisateur, je vais plus dans mes champs.
Tout seul, auriez-vous osé ?
Peut-être, mais je n’aurais pas franchi le pas tout de suite. Le réseau Dephy permet de se retrouver
entre collègues, d’échanger et d’expérimenter. Cela m’a permis de passer encore un stade et de
réduire les phytosanitaires sur les cultures de maïs. Auparavant, nous étions sur des rotations blé –
maïs. Nous avons allongé les rotations et incorporé de l’herbe pendant 18 mois. Ainsi, nous revenons
moins souvent ; les mauvaises herbes se développent moins. L’herbe est fauchée et ramassée pour les
vaches. Nous gagnons en autonomie alimentaire pour moins dépendre des intrants qu’on peut acheter
à l’extérieur. Nous avons aussi rajouté du trèfle sur les surfaces en herbe, ce qui permet d’avoir une
meilleure valeur alimentaire pour les vaches.
14
Sur le bassin laitier de Bédée, comment cela se passe ? Est-ce que les méthodes s’essaiment ?
On arrive effectivement à faire passer des messages. Avec le réseau Déphy, on réalise des portes-
ouvertes. On essaie de communiquer sur notre métier et nous aimerions toucher davantage le grand
public.
Sur l’exploitation, nous réalisons aussi du désherbage mécanique. Nous travaillons avec une CUMA
(Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole), ce qui nous a permis d’investir dans certains matériels
pour pouvoir avoir des alternatives au chimique. Cela fonctionne bien aujourd’hui, mais a aussi
demandé du temps pour que les choses s’organisent et que les exploitants les utilisent. Il a fallu
convaincre car le désherbage mécanique demande un temps de travail plus important que le
traitement chimique (¼ d’heure à l’hectare) et cela a aussi des bénéfices au plan agronomique. Sur
mon exploitation, j’ai fait le choix d’avoir une bineuse pour pouvoir intervenir sur le maïs au bon
moment. En CUMA, cela peut en effet être compliqué car les exploitants ont besoin du même matériel
à la même période.
Qu’est-ce qui vous anime profondément ? Pourquoi avez-vous fait ce choix ? On ressent le besoin
de reconnaissance du grand public. Quelle est l’étape suivante dont vous rêvez ? Quel
accompagnement vous faudrait-il ?
Si demain, je peux ne plus utiliser de pulvérisateur, je le fais. Nous avons aussi des impératifs
économiques. Il faut que l’exploitation puisse vivre, générer un revenu. Il y a aussi l’environnement de
l’exploitation : toutes les exploitations ne sont pas faites pour fonctionner en totalité à l’herbe. Il y a
des routes, des ruisseaux à traverser pour rejoindre les parcelles. L’accessibilité au pâturage peut
constituer un frein. Ce sont des choses qu’on ne peut pas maîtriser aujourd’hui.
Demain, nous n’excluons pas d’aller sur une exploitation bio mais il faudra encore du temps et acquérir
des connaissances.
Est-ce que d’autres exploitants viennent vous voir ?
C’est assez paradoxal mais les jeunes n’ont pas le temps : les exploitations ont grossi et le temps de
travail est très important. J’arrive à échanger avec des exploitants qui ont mon âge et sont déjà installés
depuis une dizaine d’années.
Quand on débute, on ne dispose pas de toutes les connaissances. On fait confiance aux techniciens qui
nous conseillent. Des conseillers vont pouvoir encourager les jeunes exploitants à attendre au
maximum avant de traiter. Par contre, d’autres conseillers vont vouloir beaucoup sécuriser les choses
et préconiser de réaliser systématiquement des traitements. Cela dépend des techniciens que l’on a
en face de soi.
Votre témoignage est intéressant car on voit qu’il y a des pistes possibles.
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Thierry Burlot, vous êtes Vice-Président à l’Environnement au Conseil régional du Bretagne, homme
défendant l’eau dans l’intérêt de tout le monde. Que souhaitez-vous dire sur la problématique des
pesticides que vous avez souhaitée aborder aujourd’hui ?
Même si c’est un sujet délicat, il est important d’en parler.
Je souhaite d’abord remercier tous les intervenants, pour leurs propos,
d’une grande qualité.
Au fond, la question que soulève Daniel Cueff, avec l’action qu’il a
entreprise cet été sur sa commune, est une vraie question. Ces pesticides
que l’on retrouve dans l’eau, dans l’air, dans notre corps, nos vêtements…
quelle que soit leur origine constituent un sujet de santé publique.
J’ai rencontré le Préfet Biche, rapporteur d’une mission d’évaluation du
Plan Ecophyto. En 2007, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, Nicolas Sarkozy demande la
diminution par 2 des produits phytosanitaires et met à disposition 3 milliards d’euros d’aide publique
au travers du plan Ecophyto. Le Préfet Biche, lors d’un déplacement dans une exploitation Dephy de
la Baie de Saint-Brieuc, a fait le constat que, même si des pratiques ont progressé, nous sommes face
à un échec retentissant : au lieu d’avoir diminué par 2 l’utilisation des produits, on l’a augmentée de
20%.
Aujourd’hui, on sent monter dans la population une inquiétude grandissante autour des pesticides. Et
d’ailleurs, je placerais les questions des résidus médicamenteux, des nanoplastiques au même plan :
ces particules qu’on ne voit pas et qui nous feraient du mal à tous.
On ne peut pas nier le sujet.
Comment peut-on en arriver là aujourd’hui ?
J’ai une certitude : nous ne ferons pas les uns sans les autres. Une deuxième certitude : nous ne ferons
pas contre quelqu’un, contre une profession. Il faut prendre la méthode bretonne, à l’image de ce que
nous avons vu ce matin, lors du prix zéro phyto : des communes portent fièrement l’ambition de ne
plus utiliser de produits phytosanitaires.
Il nous faut une ambition de sortie des pesticides. En plus, ce sera un vrai levier pour se différencier
demain. Cela fera la différence pour le consommateur.
En Bretagne, la difficulté est que nous sommes 3.5 millions de Bretons et que nous produisons pour
20 millions. La transition est donc énorme. L’agriculture bretonne, si elle veut se différencier, si elle
veut rester compétitive, ce n’est plus le volume qui doit faire la différence. Sinon, on sera battu par
des territoires qui ont peut-être plus de surface que nous, moins de contraintes environnementales, y
compris dans le marché européen. La différence on la fera sur la qualité de nos produits, la traçabilité
et la sécurité alimentaire.
Les propositions de la Région Bretagne : il faut se dire qu’on va sortir des pesticides et se dire comment.
Il nous faut nous engager résolument dans des solutions alternatives : dans des techniques alternatives
et dans des soutiens alternatifs. Au moment où nous allons parler climat, empreinte carbone sur la
Bretagne, amélioration de la qualité des ressources en eau, mobilisation sur des questions de
biodiversité, revenus des agriculteurs, parlons diminution des pesticides. Et si nous arrivions aussi à
considérer et rémunérer les services rendus par les agriculteurs. Peut-on réfléchir collectivement à la
rémunération des agriculteurs qui gèrent nos espaces ruraux, la nature, ce bien commun, dont on
profite tous ? Sans eau, nous ne pouvons pas nous développer. C’est bien le Centre Bretagne et les
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espaces ruraux, réservoirs d’eau, qui produisent de l’eau pour le littoral et les métropoles bretonnes.
S’est-on posé la question de savoir si les moyens de préservation mis en œuvre par les territoires
ruraux sont reconnus par ces territoires urbains, alors même que ce sont eux qui connaissent un
développement économique, des services plus forts ? N’y a-t-il pas des solidarités à repenser ? Les
services pour utiliser moins de pesticides, stocker du carbone, préserver la biodiversité doivent être
reconnus et rémunérés.
La Région Bretagne a sollicité la régionalisation de la PAC. Ce n’est pas pour un effet de manche, c’est
parce que l’on pense qu’au travers du deuxième pilier que l’on a mobilisé durant la dernière
contractualisation, cela a été un vrai levier pour faire du lien entre territoire, économie, écologie et
agriculture. En Bretagne, on a signé environ 5 000 contrats MAEC. Il existe environ 30 000
exploitations. L’idée pour sortir des pesticides, c’est le contrat.
Cela peut être un bon sujet de réconciliation. Parlons collectivement du sujet. C’est tout le travail que
le Conseil régional a engagé avec des auditions avec les scientifiques, et notamment le Centre de
Ressources et d’Expertise Scientifique sur l’Eau de Bretagne (Creseb), avec la profession agricole, les
associations, pour poser les bases d’une charte régionale.
Aujourd’hui, nous sommes au cœur du 11ème programme d’intervention de l’Agence de l’eau. Martin
Gutton, Directeur général de l’Agence de l’eau Loire Bretagne.
C’est un sujet que l’on partage régulièrement avec Thierry Burlot, Président
du comité de bassin Loire Bretagne. Cette discussion, nous l’avons sur
l’ensemble du bassin Loire Bretagne. En mars dernier, le comité de bassin
s’est emparé de la Politique Agricole Commune.
Je partage l’idée qu’on ne peut pas traiter le seul sujet des phytosanitaires.
Nous nous sommes tous engagés résolument dans le 1er puis le second
programme Ecophyto et nous sommes tous navrés, la profession agricole en
premier lieu, de voir que les résultats ne sont pas là. Pour l’agence de l’eau,
le juge de paix c’est la qualité de l’eau. Au-delà du suivi des NODU, on voit
bien que l’on retrouve encore, et dans certains secteurs toujours plus, de métabolites de
phytosanitaires dans l’eau. C’est un échec collectif de cette politique.
Comme le disait Thierry Burlot, c’est sans doute qu’il faut travailler sur l’ensemble du système agricole
et sur l’ensemble du système de production. J’ai été heureux d’entendre l’expérience de Julien Collin,
car c’est ce genre de démarches qu’il faut pouvoir multiplier et que nous devons pouvoir accompagner.
Il y a un certain nombre de conditions réglementaires qui doivent être assurées. Cela est du ressort de
l’Etat. Et puis il y a ce que nous pouvons faire en termes d’incitation. C’est le métier des Agences de
l’eau. Nous avons accompagné massivement les programmes de maîtrise des pollutions d’origine
agricole, et en particulier sur l’Ouest de la France pour les élevages. Aujourd’hui, notre métier c’est
d’accompagner, avec les Régions dans leur rôle de chef de file du secteur économique, les évolutions
de l’agriculture et les prises de risques inhérentes à ces évolutions. Il faut qu’il puisse y avoir des outils
financiers pour couvrir ces risques. On le fait pour la Conversion à l’Agriculture Biologique, aux côtés
des Régions et de l’Etat, des Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (notamment les MAE
système qui ont été fortement accompagnées en Bretagne), plus généralement l’agro-écologie.
Les Agences de l’Eau ont été missionnées par le gouvernement pour expérimenter les PSE : Paiements
pour Services Environnementaux. Toutes les Agences de l’Eau ont lancé des appels à initiatives pour
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identifier des territoires volontaires ; il y a pas mal de candidatures sur le territoire breton. On va
essayer de soutenir ces territoires pour en faire des réussites et inspirer demain la prochaine PAC,
comme le souhaite le MTES. Il faut en effet être au rendez-vous car la PAC, c’est 9 milliards d’euros
chaque année, qui peuvent accompagner les changements de systèmes agricoles et participer à leur
sécurisation.
Echanges avec la salle
Laurent Géneau, Directeur de la collectivité Eau du bassin rennais.
Merci pour l’ensemble des interventions. Nous partageons cette volonté de s’inscrire dans un discours
positif, non culpabilisateur et non stigmatisant vis-à-vis notamment du monde agricole. Pour
compléter les propos, nous nous intéressons également à la question des débouchés. Il y a tout un
travail sur l’évolution de l’offre agricole à faire, en accompagnant les agriculteurs à changer leurs
pratiques, mais il y a aussi un enjeu à diversifier les productions pour allonger les rotations, à
accompagner la structuration de l’offre agricole en filières et à soutenir la demande. C’est la réflexion
engagée dans Terres de Sources. Il y a une vraie responsabilité des collectivités sur le sujet de la
restauration scolaire. Les acteurs, syndicats, collectivités en charge de la GEMAPI, des politiques d’eau
potable, des politiques territoriales de l’eau doivent se rapprocher des collectivités gestionnaires de
cantines scolaires pour activer ces dispositifs de partenariat pour soutenir la demande locale de
produits issus de pratiques agricoles vertueuses. Nous pensons aussi que de donner de la visibilité à
ces produits en passant par des labels est importante. Il faut en effet pouvoir apporter la charge de la
preuve et expliquer aux consommateurs les choses en certifiant les produits et les démarches par des
cahiers des charges, contrôlés par des tierses expertises. Pourquoi ne pas imaginer au niveau national
un label de production respectueuse de la qualité de l’eau ? Ce label aurait des déclinaisons
régionales ? Pourquoi pas demain un label Terres de Sources Bretagne, Terres de Sources Massif
central, Terres de Sources Gironde ; sinon, nous ne parviendrons pas à massifier ce mouvement.
Une personne dans la salle
Le bilan du Plan Ecophyto est effroyable : 3 milliards d’euros dépensés pour une augmentation de
l’utilisation des produits phytosanitaires. N’y a-t-il pas un problème de méthode ? J’ai participé par le
passé au suivi de projets par l’innovation. Ces projets d’innovation bénéficient d’aide, aux niveaux
européen, national, régional, et les entreprises qui s’engagent dans ces projets font l’objet d’un suivi.
Les aides sont conditionnées à l’avancement du projet et aux résultats du projet. Ne pourrait-on pas
faire la même chose pour la réduction des phytosanitaires ?
Marcel Denieul, polyculteur, éleveur :
Deux plans ont été lancés en même temps : Ecophyto et Eco-antibio. Eco-antibio a fonctionné, a donné
des résultats, même au-delà des objectifs avec une diminution de 37 % des antibiotiques en élevage
et Ecophyto n’a pas fonctionné. Cela mériterait qu’on fasse un travail d’analyse : pourquoi un plan a-
t-il fonctionné et pas l’autre ? Je ne pense pas que ce soit un problème de bonne ou mauvaise volonté
de la part des agriculteurs.
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La question du temps de travail a été évoquée ; en effet, la taille des exploitations a augmenté afin
d’augmenter la marge structurelle. Le temps de travail a fortement augmenté nous imposant des
astreintes sur certaines périodes, au détriment de week-end et de temps passé en famille, entre amis.
Si nous voulons encourager des jeunes agriculteurs, il va falloir se pencher sur cette question.
Laurent Kerlir, Président de la Chambre d’agriculture du Morbihan
Merci pour les témoignages, que je trouve équilibrés. On voit qu’il y a de jolies expériences qui
avancent. Je n’aurais pas un avis si négatif sur Ecophyto 2 car même si les chiffres des ventes ne sont
pas bons, les expériences montrent que cela part d’Ecophyto et que les choses avancent petit à petit
malgré tout. Maintenant, il faut qu’on aille au-delà dans les résultats de consommation de pesticides
évidemment pour comprendre et trouver des réponses au fait que les résultats ne sont pas là.
Je rebondis sur les propose de Thierry Burlot et insiste sur le « faire ensemble ». On a réussi le défi de
la qualité de l’eau nitrates en travaillant ensemble ; aujourd’hui, nous avons d’autres défis ; les
Chambres d’agriculture doivent accompagner les agriculteurs dans ces nouveaux défis, qui sont
nombreux : climat, carbone, pesticides, organisation du travail, transmission des exploitations… Du
temps est nécessaire et il est important de ne pas faire les uns sans les autres.
Mot de conclusion par Thierry Burlot
Laurent Kerlir a dit l’essentiel : on ne fera pas les uns sans les autres.
Aujourd’hui, je suis très inquiet par la radicalisation de certaines postures. Je ne suis pas le seul ;
Nicolas Hulot le disait hier matin lors de son interview sur France Info. Si on veut faire face à ces
discours radicaux, il faut qu’ensemble, on trouve des solutions, selon la « méthode bretonne ». Le
Président du Conseil régional y sera très attentif au travers de la concertation. C’est l’objet des
auditions qui ont démarré. Nous allons y travailler. Merci à tous et à toutes d’avoir permis cette après-
midi apaisée autour d’un sujet compliqué ; merci aux participants, merci au Directeur de l’Agence de
l’eau et toute son équipe pour ce beau partenariat pour le Carrefour des Gestions Locales de l’Eau,
merci à Catherine Yerlès, Responsable du service de l’eau et son équipe. Rendez-vous l’année
prochaine pour la 22ème édition !