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La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1 er février 2012 10 report age ous croyez qu’il y a de la Wi-Fi ?”, “Tu peux me passer tes écouteurs?” “Eh, les filles, vous avez pris un sèche-cheveux?” À peine installés dans le TGV pour Paris, en ce vendredi de décembre, quatorze élèves en seconde au lycée Joliot-Curie de Sète tentent de se connecter au plus vite. Pendant les deux prochaines années, ce sont pourtant des questions un poil plus existentielles qui vont oc- cuper leurs neurones, tendance littéraire ou scien- tifique: “Pourquoi a-t-on besoin des hommes poli- tiques?”,“Les énergies renouvelables peuvent-elles sauver la planète?” Car ces ados ne “montent” pas à la capitale que pour ramener des porte-clés en tour Eiffel: ils se sont portés volontaires pour participer à un programme d’égalité des chances, “Perspectives” (voir p. de droite) destiné à mieux les préparer aux méthodes des études post-bac. Un système de tutorat sur deux ans, conçu par une grande école parisienne, “Normale Sup’” (ENS), spécialement pour des lycées “sensibles” de “petites villes de province”. Sur la corniche à Sète, Joliot-Curie est un des quatre lycées sélectionnés pour cette première promo expérimentale. Mais pour l’heure, le dé- roulement de cette semaine d’introduction à Paris reste un mystère. Même les profs, montés en gare de Montpellier, n’en savent rien. Wagon d’ambitions En revanche, à quinze ans, on sait parfaitement ce qu’on veut faire dans la vie. Sarah cinéaste, Camille journaliste “ou un truc comme ça”, et Natacha publicitaire pour L’Oréal, “parce que j’aime décider!” Dans leur carré, elles picorent des chips et des M & M’s en commentant un film romantique. Lenny, devant son ordi bardé d’au- tocollants, se voit déjà architecte d’intérieur. Face à Lucie, branchée marketing et battle dance, Soon ambitionne de devenir avocate. Voire dé- putée européenne. À sa droite, la discrète Jessica vise la neurochirurgie. Tout en noir “PJ” (Pierre- Julien) joue à Minecraft . Il a “guerroyé” pour tenir le coup à l’école malgré sa dyslexie. Au top, il s’ima- gine chercheur en robotique. “Faire des études éle- vées, ça peut me sortir de mes problèmes familiaux, mais je ne fais pas de plans sur la comète.” Gare de Lyon, arrivée à Paris. “C’est tout gris ici!” Cohorte de doudounes flashy, tickets bloqués et course de valises énormes, au milieu du flot de voyageurs: la virée en métro prend des airs d’ex- pédition. “On dirait une fourmilière!” À la sortie, une rue Cabanis. Et un grand bâtiment vitré. Le FIAP, un centre d’accueil top design du 14 e . Accueil logistique. Pauline, la “directrice du campus”, ré- partit filles et garçons dans les chambres. Cartes d’accès à trous, badges au cou, et cérémonie de remise de bracelets jaune fluo. “Ça me rappelle le camping du Castellas”, s’amuse Camille à la cafet’. Figeac, Évreux, Épinal: les Sétois se mélangent - un peu - avec des lycéens d’ailleurs. Entrecoupées d’ “Allo maman”, “Allo papa”, les inévitables ses- sions d’accents comparés virent parfois au drame: “C’est pas vrai, on n’a pas d’accent!” Quatorze lycéens de Joliot-Curie à Sète participent à “Perspectives”, un programme expérimental pour les préparer aux études supérieures. Reportage à Paris, pendant une semaine de visites et de cours. Entre délires d’ados et motivations studieuses. V Quatorze ados en quête d’excellence 1 Chacun ses écouteurs pour Pierre -Julien, dit “PJ”, et Antoine, dans le TGV Sète-Paris. 2 Dans le réfectoire, profs de lycée et doctorante préparent le cours sur la légitimité politique. 3 Délire de groupe et canettes de Red Bull sous les arcades de l’école Normale Sup’. 4 Cris et ola: sur le bateau-mouche, Émilie et Olivia se pren- nent au jeu des “saluts” festifs. 5 Épuisé et enrhumé, Manu s’attelle à décrypter le texte d’auteur sur la politique. 6 Face à lui, Maxime cogite sur la question 9. Il rêve de deve- nir gestionnaire d’hôtel. 7 Débats sur moquette et crises de rire : Natacha et Sarah explorent de nouvelles méthodes de travail. 8 Dimanche, 22h: les profs de science planchent encore pour aborder “l’énergie” de façon pédagogique. 9 “Et s’il n’y a plus d’uranium?” Émilie, Antoine et Olivia phosphorent à partir des textes et graphiques. 10 Les lycéens enchaînent les visites, de métro en RER. En groupe de 60, une véritable expédition. 11 Pas de cours “tout faits”: Frédéric, prof de maths à Joliot- Curie, stimule les questions des élèves. 12 Bluffées, Camille et Natacha. Par l’Assemblée nationale… et par François Barouin qui passe dans la pièce. 1 2 10 9 8 5 6 7 3 4 11 12 010-011-Reportage_268SETE_010_011 03/01/12 14:37 Page10

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La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012

10 reportage

ous croyez qu’il y a de la Wi-Fi?”, “Tu peux mepasser tes écouteurs?” “Eh, les filles, vous avez prisun sèche-cheveux?”À peine installés dans le TGVpour Paris, en ce vendredi de décembre, quatorzeélèves en seconde au lycée Joliot-Curie de Sètetentent de se connecter au plus vite. Pendant lesdeux prochaines années, ce sont pourtant desquestions un poil plus existentielles qui vont oc-cuper leurs neurones, tendance littéraire ou scien-tifique: “Pourquoi a-t-on besoin des hommes poli-tiques?”,“Les énergies renouvelables peuvent-ellessauver la planète?” Car ces ados ne “montent”pas à la capitale que pour ramener des porte-clésen tour Eiffel: ils se sont portés volontaires pourparticiper à un programme d’égalité des chances,“Perspectives” (voir p. de droite) destiné à mieuxles préparer aux méthodes des études post-bac.Un système de tutorat sur deux ans, conçu parune grande école parisienne, “Normale Sup’”(ENS), spécialement pour des lycées “sensibles”de “petites villes de province”.

Sur la corniche à Sète, Joliot-Curie est un desquatre lycées sélectionnés pour cette premièrepromo expérimentale. Mais pour l’heure, le dé-roulement de cette semaine d’introduction à Parisreste un mystère. Même les profs, montés engare de Montpellier, n’en savent rien.

Wagon d’ambitionsEn revanche, à quinze ans, on sait parfaitementce qu’on veut faire dans la vie. Sarah cinéaste,Camille journaliste “ou un truc comme ça”, etNatacha publicitaire pour L’Oréal, “parce quej’aime décider!” Dans leur carré, elles picorentdes chips et des M & M’s en commentant un filmromantique. Lenny, devant son ordi bardé d’au-tocollants, se voit déjà architecte d’intérieur.Face à Lucie, branchée marketing et battle dance,Soon ambitionne de devenir avocate. Voire dé-putée européenne. À sa droite, la discrète Jessicavise la neurochirurgie. Tout en noir “PJ” (Pierre-Julien) joue à Minecraft. Il a “guerroyé” pour tenir

le coup à l’école malgré sa dyslexie. Au top, il s’ima-gine chercheur en robotique. “Faire des études éle-vées, ça peut me sortir de mes problèmes familiaux,mais je ne fais pas de plans sur la comète.”Gare de Lyon, arrivée à Paris. “C’est tout gris ici!”Cohorte de doudounes flashy, tickets bloqués etcourse de valises énormes, au milieu du flot devoyageurs: la virée en métro prend des airs d’ex-pédition. “On dirait une fourmilière!” À la sortie,une rue Cabanis. Et un grand bâtiment vitré. LeFIAP, un centre d’accueil top design du 14e. Accueillogistique. Pauline, la “directrice du campus”, ré-partit filles et garçons dans les chambres. Cartesd’accès à trous, badges au cou, et cérémonie deremise de bracelets jaune fluo. “Ça me rappelle lecamping du Castellas”, s’amuse Camille à la cafet’.Figeac, Évreux, Épinal: les Sétois se mélangent-un peu - avec des lycéens d’ailleurs. Entrecoupéesd’“Allo maman”, “Allo papa”, les inévitables ses-sions d’accents comparés virent parfois au drame:“C’est pas vrai, on n’a pas d’accent!”

Quatorze lycéens de Joliot-Curie à Sète participent à “Perspectives”, unprogramme expérimental pour les préparer aux études supérieures.Reportage à Paris, pendant une semaine de visites et de cours. Entre déliresd’ados et motivations studieuses.

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en quête d’excellence

1 Chacun ses écouteurs pour Pierre -Julien, dit “PJ”, et Antoine, dans le TGV Sète-Paris.2 Dans le réfectoire, profs de lycée et doctorante préparentle cours sur la légitimité politique.3 Délire de groupe et canettes de Red Bull sous les arcadesde l’école Normale Sup’.4 Cris et ola : sur le bateau-mouche, Émilie et Olivia se pren-nent au jeu des “saluts” festifs.

5 Épuisé et enrhumé, Manu s’attelle à décrypter le texted’auteur sur la politique.6 Face à lui, Maxime cogite sur la question 9. Il rêve de deve-nir gestionnaire d’hôtel.7 Débats sur moquette et crises de rire : Natacha et Sarahexplorent de nouvelles méthodes de travail.8 Dimanche, 22h : les profs de science planchent encore pouraborder “l’énergie” de façon pédagogique.

9 “Et s’il n’y a plus d’uranium ?” Émilie, Antoine et Oliviaphosphorent à partir des textes et graphiques.10 Les lycéens enchaînent les visites, de métro en RER. Engroupe de 60, une véritable expédition.11 Pas de cours “tout faits” : Frédéric, prof de maths à Joliot-Curie, stimule les questions des élèves.12 Bluffées, Camille et Natacha. Par l’Assemblée nationale…et par François Barouin qui passe dans la pièce.

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Pour les profs, une occasion d’enseigner autrementC

“Nous sommes là pour les faire réfléchir, pas pour leur apporter des cours d’enhaut. Et quand on les amène à se poser des questions, ils se montrent tout à fait

capables de comprendre.” Antonin Marc, prof d’histoire-géo, et Frédéric Beau, prof demaths au lycée Joliot-Curie de Sète, accompagnent les 14 élèves du programmePerspectives à Paris, et vont les guider pendant deux ans. “Conçus par les thésards deNormale Sup’, les programmes ne sont pas cloisonnés comme au lycée, ça oblige lesélèves à jongler entre plusieurs matières. La semaine d’introduction sert à les mettredans le contexte, la première année à comprendre les enjeux, et la deuxième (en 1re), àsavoir problématiser et argumenter. Nous sommes contents de bénéficier d’un cadre pourtravailler en petits groupes à partir de textes d’auteurs.”Une prof d’un autre lycée est moins emballée : “Tout est précipité. Nous avons été aucourant du contenu trois jours avant : pour le préparer à Paris, nous sommes obligés defaire un patchwork d’Internet, l’inverse de ce qu’on préconise aux élèves ! Les visitestouristiques ressemblent à une colonie de vacances : ni explication pédagogique, ni réelleintégration aux codes de l’école Normale Sup’… Ensuite, on les lance sur des questions-réponses contraires à la méthode “classe prépa”, sur un texte de 11 pages qui ne reprendpas les bases. Aucun responsable n’a le temps de venir assister aux cours. Dans cesconditions, les élites gardent leur monopole tout en se donnant bonne conscience. Maisça part d’une bonne idée, et ça peut s’améliorer.”

La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012

réalisé par Raquel Hadida /photos Raquel Hadida /

118 PERSPECTIVES

8PERSPECTIVES• Un programme pédagogiquesur deux ans destiné aux lycéeséloignés géographiquement“culturellement” des grandesvilles.• Organisé par l’École normalesupérieure (ENS) d’Ulm à Paris,une “grande école” qui formedes enseignants-chercheurs.• Objectif: s’initier auxméthodes de travail et auxcodes de l’enseignementsupérieur pour se donner ledroit à des étudesépanouissantes, de haut niveau.Et ainsi gagner en maturité eten autonomie, prendre plaisirau travail: des facteursimportants de réussite.• 4 lycées participent à lapremière sessionexpérimentale: Sète, Figeac(Lot), Épinal (Vosges),Évreux (Eure).• 14 ados du bassin de Thau, enseconde au lycée Joliot-Curie deSète, y participent sur leurtemps personnel. Sélectionnéssur leur motivation et leurniveau au collège. Issus demilieux sociaux où les parentsn’ont pas toujours suivi desétudes supérieures.• Deux thématiques au choix:les hommes politiques ou lesénergies renouvelables,à travers plusieurs matièresscolaires.• Une semaine “d’intégration”à Paris avec 6h de coursd’introduction (lire ci-contre).• Suivie de six visio-conférencesmenées par des chercheurs-conférenciers, diffusées parinternet et projetées en salle declasse. Chaque groupe de septélèves la prépare collectivementavec son prof en 4 séances, puispeut poser des questions entemps réel via l’animateur dudébat, un doctorant de l’ENS.Chaque élève rend ensuite unesynthèse individuelle.• L’outil pédagogique endéveloppement: une plate-forme d’e-learning sur le Web,commune à tous les lycées.• Pas de note, mais un oral finalen fin de 1re.

Le week-end, visites. À Montmartre, les filles s’équi-pent de gants et de chapkas, essentiels quand “ilfait moins 50°C!”Enchaînement sur le Panthéon:impressionnés par les grands hommes. “JeanJaurès, c’est mon collège!” (à Mèze, NDLR). Puisenfin, la superbe cour historique de l’écoleNormale Sup’, dans le 5e.“C’est grand, c’est beau,ça fait vieux jeu.”“Et classe: ici, tu vois personne enjogging Lacoste!”.Riant sous le regard impassibledes bustes de Descartes, Corneille et Pascal, lesSétois s’attaquent aux canettes de Red Bull achetéesau 8 à Huit. “Pour être ici, faut bosser.”

Colonie parigote16h30: concert classique. Le premier pour Émilie,Antoine et Manu. Aux “Ouaiaiaiaiais!” enthou-siastes avant Gershwin, succèdent des poucesagités sur les mobiles allumés, et des têtes quipiquent du nez sur les danses de Brahms. Sarahest époustouflée, Lucie, laconique: “David Guettapasse à l’Arena en février.”Dans les rues de Paris, ambiance colonie, de nuit.Alors qu’Olivia et Maxime déambulent attachéspar l’oreillette, les lycéens en rang chantent durap, des dessins animés, “Akunamatata”, et mêmela populaire ”Boiteuse” sétoise. En plein RER,bonne nouvelle: “4-0 pour Montpellier!”s’exclameAntoine. Face à la somptueuse Notre-Dame-de-Paris illuminée, les ados sont totalement médu-sés… par la “Majestic princess”, une limousinerose bonbon à proximité. Sur le bateau-mouche,l’ambiance est à son paroxysme. Des cris de joie,des “ola” sous les ponts, des “c’est à bâbord qu’ongueule le plus fort”.

Apprendre par soi-même24h plus tard, après un aller-retour au châteaude Versailles, grosse fatigue. Surtout pour les lit-téraires, qui doivent plancher sur “la légitimitédu politique” à travers un texte de l’historien etphilosophe Marcel Gauchet. À plat ventre ou assissur leurs draps bleus.Lundi matin, à Normale Sup’. Les filles calligra-phient leur nom en rose, Lenny le dessine en 3D.Après une allocution de Thierry, le responsabledu programme Perspectives, et des rencontresavec des étudiants en master autour de l’orien-tation, les groupes “Politique” et “Énergies” se sé-parent. Par trois, les lycéens discutent d’un dossierde cinq documents pour en tirer l’essentiel. Bruitde trousses, grattage de papier. Murmures, sur-ligneurs en hyper-activité. Olivia apprécie: “Onse pose soi-même les questions, donc on comprendmieux.” Échanges d’idées avec les profs, organi-sation autonome pour l’exposé commun: “Quifait la conclusion?” “Moins cadré qu’au lycée”, letravail de groupe leur semble une révolution.Et quitte à jouer les étudiants, autant tester leresto universitaire. File d’attente sans fin, “Vousavez droit à 6 points”, dont une saucisse verdâtre.Pour Camille, “ça fait usine à manger pour les étu-diants”. “L’ambiance est pourrave, mais c’est bienpour les petits budgets”, convient Sarah.Après des après-midi Louvre, Tuileries et muséedes Arts et Métiers, et une soirée au théâtre duSplendid - “trop drôle” -, retour en salle de classeen matinée. Les “Politique” explorent le parcoursd’une loi. “La loi sur la cigarette dans les lieux pu-blics, elle est passée comme ça?”Avant la visite del’Assemblée nationale, au pas de course. “Ça sentle vieux”,s’extasient les ados, les yeux écarquillésface à la splendide bibliothèque. Dans l’hémicycle,un député interpelle une secrétaire d’État. “C’estplus petit qu’à la télé”, “il n’y a personne!” Dernière soirée façon “anges et démons” pour mi-mer les soirées déguisées des grandes écoles… aujus d’orange, avec de la musique années 90. “Nulle.”N’empêche, les lycéens gardent un souvenir “gé-nial”de leur séjour parisien. Et créent sans tarderun groupe “Perspectives” sur Facebook. Où circu-lent des rumeurs d’un deuxième voyage estival.

SON-THIERRY LY,24 ANS, CHARGÉ DU PROGRAMMEPERSPECTIVES AU PÔLE PESU(PROGRAMME D’ÉGALITÉ SCOLAIRE ETUNIVERSITAIRE) DE L’ÉCOLE NORMALESUPÉRIEURE D’ULM À PARIS. DOCTORANTEN ÉCONOMIE SUR LES QUESTIONSD’INÉGALITÉ SCOLAIRE.

La Gazette “L’ascenseur social” des étudesest-il bloqué?Son-Thierry Ly D’après les enquêtes dispo-nibles, les inégalités scolaires ne se seraientpas aggravées depuis 50 ans. Elles se sontdéplacées. Si la durée d’études s’est allongéepour tous, les élèves d’origine populairecontinuent à ressortir moins diplômés. Cesinégalités proviennent de trois formes de

ségrégation: les milieux populaires sont sou-vent orientés vers des filières pro et techno,moins valorisées, et n’accèdent ni aux lycéescotés des quartiers “aisés”, ni aux “bonnesclasses” créées par les établissements… pourretenir les bons élèves. Un vrai dilemme.Après le bac, les milieux populaires se re-trouvent à la fac. Alors qu’à Normale Sup’,sur 75 places, 60 sont prises par les classesprépa parisiennes d’Henri-IV et Louis-Legrand…

Pourquoi avoir choisi Sète pour le programmePerspectives?Avec l’association d’école que je présidais,nous avions lancé un premier programmede tutorat, Talens. Notre cible : les petitesvilles de province, délaissées par les dispo-sitifs existants. Parmi dix lycées, identifiésselon leurs profils sociologiques et les pour-centages de réussite, seul Joliot-Curie à Sètes’est montré motivé. Il a intégré Talens en2008, je m’y suis rendu trois fois par an.Logique, ensuite, d’expérimenter Pers -pectives avec un de nos lycées de cœur!

Pensez-vous étendre ce dispositif pédago-gique?Oui. Mais pour le généraliser, le tutorat étu-diant bénévole s’avère limité. Nous nous ap-puyons donc sur les profs, présents sur placeet proches des élèves. En espérant, à terme,faire financer leurs heures sup’ par les aca-démies, l’Éducation nationale est censée leuren donner des moyens! D’autre part, les confé-rences à distance, en “tchat”, ainsi que la plate-forme Internet, permettent en théorie la par-ticipation de nouveaux lycées, sans limite.Bien sûr, nous devons affiner les modalitéspratiques et la formation des profs.

“Les inégalités scolairestouchent les petites villesde province”

Chapka et rirefacile, Lucie etNatachaenvisagent descarrières dansle marketing.

Sensible à la photo,la peinture,la musique classique,Sarah s’imaginecinéaste…à New York.

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• Politique critique“Les puissants, faudrait qu’ils la mettent en sour-dine”, suggère Lenny. Mal assurés pour parlerpolitique, les ados ne mâchent pourtant pasleurs mots. “À Versailles, le Roi-Soleil ne deman-dait pas l’accord du peuple. Aujourd’hui, on n’apas notre mot à dire non plus. Mais si on faisaitla révolution, faudrait pas que ce soit par la force.”Manu et Maxime s’interrogent sur la “concur-rence de Sarko” aux présidentielles : “Depuisqu’on a choisi ce thème, on fait plus attentionaux hommes politiques.” Soon montre un peud’espérance: “Des fois, on prend pas trop leuravis, aux gens. Mais j’aimerais être député pourvoyager et régler les problèmes un peu partout.”Pierre-Julien, “PJ”, se veut plus cynique: “Leshommes politiques, ça sert pas à grand-chose.Sarko ne sait que jeter de l’argent par la fenêtrepour l’inutile, comme prendre dix Boeings pouraller en Chine. Pour la planète, il y a plein de so-lutions techniques, les éoliennes, les courants, lastratosphère, mais au niveau budgétaire, on nefait rien pour l’utile. On fait des manifs, on a beaugueuler, on nous sert tout le temps les mêmes dis-cours, et on fait des lois qui les arrangent eux,pas nous. Le peuple, on l’écoute mal.”• Crise galèrePour les ados, la vision de la société est plusnoire que rose. “La crise, ça nous concerne. Maisje ne comprends pas pourquoi il y a la crise, d’oùelle vient, pourquoi elle dure si longtemps et lesprix qui augmentent…” “Pauvre ou riche, on ga-lère. Des gens ont des difficultés à boucler leursfins de mois. C’est pas cool pour eux, tout le mondedoit être égaux (sic). La France ne va pas bien.”• Médias people“Avec ma cousine, on s’amuse à critiquer les starssur les magazines, c’est le jeu de l’été! Mais Closer,Voici, et à la télé, à la radio, c’est toujours lesmêmes articles, traités différemment…”, analyseCamille, la future journaliste. Pas dupes, lesados. “Dans l’affaire DSK, ils en ont trop fait ! Jene savais même pas qu’il existait, avant.” Pour

Sarah l’artiste, “la vie des people, on s’en fout :ce qui importe, ce sont leurs œuvres”.Mais à regarder “la faim dans le monde, dansune société dite moderne”, “les dictateurs” et “lesviols”, “pas assez punis”, les ados préfèrent en-core se plonger dans des BD ou des clips d’hu-mour, dans des livres fantastiques. “Heu -reusement qu’on a ça”, souffle PJ. Antoine, lui,se concentre surL’Équipe, dès le matin. Normal,pour un futur kiné de club de foot.• Nouvelles technos à gogoÇa tripatouille son portable en permanence,avec dextérité, ça parle téléchargement, wi-fi,bons plans du Web et mots de passe. À l’inversedes trentenaires, “le mail, on ne s’y est pas encoremis, on utilise plus les textos.” Facebook, “c’estimportant pour garder le contact avec des amisde partout”. Camille l’a toujours allumé, Sarahle coupe pour travailler, et Natacha en revient:“J’y suis trop allée… Les gens racontent toute leurvie!” Lucie achète tout sur Internet: “Je trouvedes vernis à ongles léopards.” Mais clics et vidéosà gogo coexistent avec des modes d’expressionplus traditionnels: “J’aimerais bien apprendreà jouer au poker, à des jeux de société”, avoueSarah. Camille reste fidèle au courrier: “Avecma meilleure amie, on s’envoie des lettres tousles jours en vacances. Et j’adooore la photo: j’aiparticipé au roman-photo avec Cétavoir.”• Amour toujoursLe romantisme a encore de belles heures devantlui. Les filles restent pendues au téléphone avecleur petit ami, et se pâment devant les cadenasamoureux attachés au pont des Arts: “C’est beaude montrer son amour !” Cadenas = “Empri -sonné”?, “Envie de s’amuser”? Non, tous pré-fèrent “la version jolie”. Même les garçons etleurs bisous extra-sétois sans lendemain nesont pas contre. En revanche, le mariage: pointd’interrogation. “On est trop jeunes pour y pen-ser.” PJ porte une vision plus décalée: “Une fa-mille stable? Ça n’existe pas pour moi. L’amourrend aveugle et le mariage rend la vue.”

Émouvants, hésitants, percutants, perspicaces, loquaces…ou pas : sur la vie et la société, les ados de Joliot ne s’enlaissent pas conter. Confidences lors de petits moments volés.

Paroles d’ados

Le match Paris-Sète: 14-1C

“Les filles, vous êtes Sète ?” “Non, on estneuf.” Un poil susceptibles sur leur

accent “du Sud”- peu prononcé, d’ailleurs-, etpeu armés pour le froid et la pluie“nordiques”, les ados du bassin de Thau neclament pas leur amour pour Sète. “La ville, çava, concède Natacha la Montpelliéraine. Maisles gens sont vraiment spécial (sic). Ils jouentbeaucoup sur l’apparence, parlent dans le dos,j’aime pas !” Camille fait la moue : “Les Sétoisse promettent beaucoup, s’insultentbeaucoup.” “Le pire”, poursuit Sarah, “ils seconnaissent tous ! Si je vais au ciné avec monpetit copain, je rencontre… les amis de mesparents. Ils sont au courant, mais quandmême.” Et pour Camille, idem à Frontignan.Alors les ados se laissent séduire par lescharmes parisiens. Côté paysage, “le montSaint-Clair n’a rien à voir avec Montmartre :Sète, c’est un peu la campagne…”, faitremarquer Lenny. La mobilité urbaine étonneaussi : “Même sur le sol mouillé, ils font de latrottinette !” “Il faudrait qu’il y ait autantd’arceaux pour garer les deux-roues à Sète”,propose Antoine.Face aux ponts parisiens, pour Sarah, Sètepeut aller se rhabiller : “Les ponts en pierresont moches. Et comme on les voit tous lesjours, on s’en fout.” Sans concession. Surtoutqu’à Paris “dans les rues, il y a de beauxspécimens masculins. En tous cas, mieux qu’àSète”. Normal, fait remarquer Olivia, “Paris estla ville la plus romantiiique du monde !”Côté ambiance, Sète ne fait pas non plus lepoids : “C’est mort le soir. Ici, à Paris, il y atoujours un café ouvert, des bandes d’amis, debelles petites boutiques chics, du mondepartout dans le métro.” Lenny s’émeut : “Je suissuper content d’être ici.” “À Sète, personne nefait “Olé !” sur les quais. C’est ça qui est bon !”,s’enthousiasme Émilie. TGV retour,retrouvailles avec Sète : “Chaud !”, “J’ai sentil’air salé, perçoit-elle, ça fait du bien de revoirle soleil…” Allez, sans rancune.

“Y a des limites!”C

“No limit”, les ados ? Pas ceux que La Gazette a suivis à Paris. Niintellos coincés, ni rebelles déjantés. Pierre-Julien semble addict aux

jeux vidéo et bien maîtriser les programmes, mais “je ne suis pas un grosgeek ! Certains ne dorment pas la nuit, juste pour jouer : il y a des limites !”En talons hauts et microjupe, des Parisiennes de sortie choquent Émilie :“Elles s’habillent comme des prostituées ! Court, d’accord, mais à mi-cuisse,pas ras-la-culotte !” Lucie rêve d’évasion, pas d’indépendance : “Onpourrait faire les boutiques, rien que pour rêver… mais accompagnées,sinon on va se perdre !” Le long des quais, des groupes de jeunes boivent des bières : pour Manu,“de bonnes soirées entre potes, avec bière et feu de camp, ça peut êtresympa, mais pas tous les soirs, et pas avec de la drogue !” Et lasurconsommation des jeunes ? Ça les indigne : “En primaire, à 10 ans, lespetits ont déjà Facebook, le portable, le Longchamp, le rouge à lèvres et lefond de teint : c’est trop !” Tout est relatif.

Dans le hall design ducentre de séjourparisien, cool attitudepour les 14 lycéenssétois. Qui n’empêcheni leur motivation sansfaille pour travaillerplus, dans le projet“Perspectives” d’égalitédes chances. Ni desréflexions perspicacessur la société.

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