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Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations avril 2010 Contacts A.C.C.E.S. 28, rue Godefroy-Cavaignac 75011 Paris Tél. : 01 43 73 83 53 Fax : 01 43 73 83 72 Mail : [email protected] Site : www. acces-lirabebe.fr Comité de rédaction : Ourida Aliouane, Sylvie Amiche, Marie Bonnafé, Zaïma Hamnache, Claudine Lefebvre Maquette : Les lastics n°32 actualités bulletin d’information de l’association A.C.C.E.S. C ’est au rythme d’une fois tous les quinze jours que je me suis rendue à la Nursery de Fleury- Mérogis, une aile de la MAF un peu à l’écart, avec mes caisses d’albums. Murs colorés, affiches d’albums pour enfants… l’atmosphère de ce lieu tranche avec l’austérité générale. D’un côté les cellules mère-enfant, de l’autre, celles des femmes enceintes. Elles sont ouvertes de 8 h à 12 h et de 14 h à 18 h. Pendant ce temps, mères et bébés peuvent circuler librement dans l’espace nursery. Les fenêtres des cellules donnent sur un jardin intérieur avec une pelouse, quelques arbustes et des jeux d’extérieur. Dans la salle de jeu qui ouvre sur le jardin, on trouve un toboggan, une piscine à balles, divers coins de jeux, des trotteurs, quelques livres, ainsi qu’une salle de bain pour les bébés et un petit dortoir. J’interviens à la demande de l’associa- tion “Lire c’est vivre” qui gère neuf bibliothèques sur l’ensemble du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, le plus grand d’Europe. Ce centre com- prend trois maisons d’arrêt dédiées aux hommes, aux femmes et aux mineurs et jeunes adultes. Les mai- sons d’arrêt sont, en principe, réser- vées aux détenus effectuant de courtes peines et aux prévenus en attente de jugement, contrairement aux maisons centrales qui accueillent les condam- nés à de longues peines. Le code de procédure pénal (article D-401) stipule qu’une mère incarcérée peut garder son enfant auprès d’elle jusqu’à ses 18 mois, dans des établissements dont les locaux sont spécialement aména- gés. Certaines femmes accouchent pendant la durée de leur détention. Si les mères ne sont pas libérées lorsque l’enfant atteint l’âge de 18 mois, Des animations-lecture à la nursery de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis C’est à la demande de l’association “Lire c’est Vivre” que, depuis 1998, une animatrice d’A.C.C.E.S. se rend une à deux fois par mois à la nursery de la Maison d’Arrêt des Femmes (MAF) de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne. Danielle Demichel, animatrice à A.C.C.E.S., est intervenue pendant 6 ans auprès des mères détenues et de leurs bébés. Elle retrace ici ce projet et son expérience.

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Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations

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Contacts A.C.C.E.S. 28, rue Godefroy-Cavaignac 75011 ParisTél. : 01 43 73 83 53 Fax : 01 43 73 83 72Mail : [email protected] : www. acces-lirabebe.frComité de rédaction :Ourida Aliouane, Sylvie Amiche,Marie Bonnafé, Zaïma Hamnache,Claudine LefebvreMaquette : Les lastics

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actualités

bulletin d’information de l’association A.C.C.E.S.

C’est au rythme d’une fois tousles quinze jours que je me suisrendue à la Nursery de Fleury-

Mérogis, une aile de la MAF un peu àl’écart, avec mes caisses d’albums. Murs colorés, affiches d’albums pourenfants… l’atmosphère de ce lieutranche avec l’austérité générale.D’un côté les cellules mère-enfant, del’autre, celles des femmes enceintes.Elles sont ouvertes de 8 h à 12 h et de14 h à 18 h. Pendant ce temps, mèreset bébés peuvent circuler librementdans l’espace nursery. Les fenêtresdes cellules donnent sur un jardinintérieur avec une pelouse, quelquesarbustes et des jeux d’extérieur. Dans la salle de jeu qui ouvre sur lejardin, on trouve un toboggan, unepiscine à balles, divers coins de jeux,des trotteurs, quelques livres, ainsiqu’une salle de bain pour les bébés etun petit dortoir.

J’interviens à la demande de l’associa-tion “Lire c’est vivre” qui gère neufbibliothèques sur l’ensemble ducentre pénitentiaire de Fleury-Mérogis,le plus grand d’Europe. Ce centre com-prend trois maisons d’arrêt dédiéesaux hommes, aux femmes et auxmineurs et jeunes adultes. Les mai-sons d’arrêt sont, en principe, réser-vées aux détenus effectuant de courtespeines et aux prévenus en attente dejugement, contrairement aux maisonscentrales qui accueillent les condam-nés à de longues peines. Le code deprocédure pénal (article D-401) stipulequ’une mère incarcérée peut garderson enfant auprès d’elle jusqu’à ses18 mois, dans des établissements dontles locaux sont spécialement aména-gés. Certaines femmes accouchentpendant la durée de leur détention. Si les mères ne sont pas libéréeslorsque l’enfant atteint l’âge de 18 mois,

Des animations-lecture à la nursery de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-MérogisC’est à la demande de l’association “Lire c’est Vivre” que, depuis 1998, uneanimatrice d’A.C.C.E.S. se rend une à deux fois par mois à la nursery de laMaison d’Arrêt des Femmes (MAF) de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne. Danielle Demichel, animatrice à A.C.C.E.S., est intervenue pendant 6 ansauprès des mères détenues et de leurs bébés. Elle retrace ici ce projet et sonexpérience.

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il est confié à la famille ou placé chezune assistante maternelle relevant del’Aide Sociale à l’Enfance. C’est dans le cadre d’une conventionentre l’Administration pénitencière,le Conseil Général de l’Essonne etl’Hôpital d’Evry que, depuis septembre2004, l’Unité Mobile Mère Enfant(U.M.M.E.), émanation de l’Hôpitald’Évry, travaille à la Nursery deFleury-Mérogis avec l’équipe des sur-veillantes. Cette unité comprend unepsychologue, coordinatrice du projet,une puéricultrice et deux éducatricesde jeunes enfants à mi-temps, pré-sentes en alternance, avec une demi-journée en commun pour assurer letravail de liaison.Leur modalité d’intervention à laNursery est conçue comme unaccompagnement à la parentalité.

Des animations-lecturecomme ailleursLes éducatrices de jeunes enfantsorganisent régulièrement diversesanimations dans la salle de jeu. C’estlà que se déroulent les animations-lecture proposées par A.C.C.E.S. Lesmères viennent librement et l’anima-tion se passent comme partoutailleurs : les livres sont étalés sur lestapis, les enfants jouent et déambu-lent, les lectures se font à lademande. Les mères sont particulièrementdemandeuses ! Dans ce lieu clos, lesrelations vont de suite à l’essentiel.Les mères se connaissent assez viteentre elles : elles se côtoient toute lajournée et sont obligées de vivreensemble. Des affinités se révèlent,des inimitiés aussi. Parfois desgroupes naissent et se transforment,au gré des départs et des arrivées.Venant de l’extérieur, je ne peux quesentir les connivences ou les ten-sions, et m’adapter. Comme dans lesanimations-lecture à l’extérieur, je neconnais rien de l’histoire de l’enfantet de sa mère.

Un climat particulierIl y a quelques années, les incarcéra-tions étaient plus longues, les mèress’inscrivaient dans un temps défini etconnu d’elles. Maintenant, elles restent moinslongtemps, mais sans terme précis.Elles sont en attente permanente, nepeuvent se projeter dans un avenirflou, éprouvent de la difficulté àinvestir le moment présent. Lenombre d’enfants accueillis à laNursery a presque doublé ces cinqdernières années, avec une forte pro-portion de nourrissons. Tous ces élé-ments influent sur le climat desanimations-lecture.Le libre choix de venir ou non àl’animation-lecture ne revêt pas lemême caractère qu’à l’extérieur.L’animation leur est proposée, maiselles n’ont pas forcément envie dese réunir. Certaines ne compren-nent pas le français et n’imaginentpas que ces lectures puissent lesconcerner.Et pourtant, elles forment un groupe,avec sa dynamique. L’ennui et ladouleur font que, parfois, tout cequi peut rompre la routine estbienvenu. D’autres fois, c’esttrop lourd, et il leur est dif-ficile de sortir de leursproblèmes. Elles neviennent pas, ou, sielles sont présentesphysiquement, leuresprit et leur cœursont absents.Dans l’éventail des ani-mations proposées, la lecturen’est pas l’activité la plusévidente, qui plus est la“lecture à des bébés”, quirenvoie à des souvenirs d’en-fance, agréables ou difficiles, à desinquiétudes sur leur compétence deparent, de lectrice. Les réactions quenous rencontrons habituellementailleurs sont ici comme exacerbées.Telle maman se rétracte, agacée,parce qu’elle “ne sait pas lire” et com-prend mal le français ; telle autremeurt d’envie de chanter mais n’osepas, parce qu’elle “va faire pleuvoir

tant elle chante faux”. Peu à peu cer-taines prennent confiance, se lan-cent, se saisissent d’un livre. Mais ilsuffit d’une mauvaise nouvelle oud’un moment de déprime pourremettre en cause ces premiers pas.

La préparation del’animation-lectureAu moment de préparer la caisse delivres pour l’animation-lecture, il nefaut pas oublier l’imagier photos pourcette maman qui veut montrer des“animaux en vrai” à sa fille, ni Les

Trois Brigands (Tomi Ungerer,L’École des Loisirs) qui avaitmanqué la dernière fois. Indispensable Beaucoupde beaux bébés (DavidEllwand, Pastel) que lesmères transmettent elles-mêmes aux nouvelles arri-vées (“tu vas voir, regardeton bébé, il va aimer !”).Bien sûr des comptines, carles bébés les aiment beau-coup, et le recueil Alors je

chante (Florence Simonet Isabel Gautray,Passage Piétons) pourque nous puissions chan-

ter toutes ensemble à leur demande. Aujourd’hui, il y aura en plus ungrand livre sur les camions pourYanis qui promène le sien dans toutela salle de jeu, quelques contes tradi-tionnels, demandés par des mères etque l’on peut lire lorsque les bébésdorment ou goûtent sur les genouxde leur maman.

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S’approprier la lectureà travers son enfant,vers une transmissionComme partout ailleurs, l’incrédulitéest souvent la première réaction d’unemère qui voit présenter des livres à unbébé de trois ou quatre mois.Ainsi, cette maman, qui a accouchépendant sa détention, et découvreémerveillée que Marie, son tout jeunebébé, à travers ses regards et ses ges-ticulations, est très sensible à la lec-ture de Beaucoup de beaux bébés. Quelques mois plus tard, elle mon-trera à une nouvelle venue, mère deJulie, 4 mois, le plaisir qu’éprouve unjeune enfant avec un livre : “Mais si,essaye, tu verras, moi ma fille, elle aadoré. Laisse la dame lire, et regardeta fille, elle va aimer !”. Et tout doucement, cette jeunefemme, d’abord sur la défensive, vapeu à peu être touchée par le compor-tement de son bébé, au point d’avoirenvie de participer à la lecture et d’yprendre un réel plaisir. Elle com-mente les pages, fait des relationsentre Julie et les photographies. Unjour, la maman de Marie, qui voitJulie de face, s’exclame :“Regarde, elle réagit plusquand c’est toi qui lis quequand c’est la dame !”.La maman de Julie continueseule la lecture. Puis elle enveut une autre. Je déploie lelivre accordéon Là, c’est moi(Jeanne Ashbé, AlbinMichel) en rond tout autourde la petite et je lis. C’est maintenant pour elle-même que la maman demande une histoire. Je lui propose Bébés chouettes (Martin Waddell,Kaléidoscope) qu’elle écoute avecgrande attention. Elle est touchée parce livre et l’associe à la situation dutout-petit qui se trouve séparé de samère. Elle explique alors que c’estpour être avec sa fille qu’elle avaitdemandé son transfert de Rennesvers Fleury.La plupart des mamans qui viennentà l’animation le font d’abord pour

qu’on lise à leur bébé. Certaines veu-lent que l’enfant écoute les histoires,et le maintiennent éveillé. D’autresécoutent aussi l’histoire pour elles-mêmes. Une maman me demande si je peuxapporter d’autres petits livres“comme ça” en me montrant Boucled’Or et les Trois Ours (Père Castor,Flammarion). Cela lui rappelle sonenfance. Elle me confie aimer beau-coup les albums du Père Castor : elleles avait tous quand elle était petite.

Une autre maman évoque le souvenird’une histoire de chouette et de bébésqui lui avait été présentée dans unRelais Assistantes Maternelles. Ellereconnaît avec bonheur Bébés

Chouettes quand je le luimontre.La maman d’Armando,elle, n’a pas le souvenird’avoir lu à ses enfants(elle en a six), mais parlede son arrière-grand-mère qui racontait pourles enfants, lesquels redi-sent les mots de l’aïeule,et transmettent à leurtour.

Elle me demandera des contes, etnous nous retrouverons souventassises côte à côte, lisant Le PetitChaperon Rouge, ou Cendrillon, pen-dant qu’Armando, plutôt turbulentd’ordinaire, se fait discret dans lasalle de jeux, comme pour laisser samère profiter de l’instant. La curiosité et la ténacité des mèressont parfois très vives. La maman de Julia (6 mois) est sansarrêt en train d’apprendre, pose desquestions sur tout : un détail ou un

mot l’arrête et elle se renseigne toutde suite pour chercher à comprendre. La maman de Juan (5 mois) demandependant plusieurs animations lamême comptine “L’était un’ p’titepoule grise” (Une poule sur un mur,Didier Jeunesse) pour son bébé. Ellechante avec moi, puis reprend lelivre, seule. Elle dit la comptine pourelle-même, en aparté, me sollicite ànouveau : “Je sais que c’est pour lesenfants mais c’est pour moi que jeveux chanter. C’est parce que je veuxapprendre”. Avec son accent, elle bute sur la pre-mière phrase : “l’était une p’tite poulegrise”. Elle a du mal à élider, dit les“u” comme des “ou” et ne peut s’em-pêcher de prononcer toutes les syl-labes. Si bien que cela ne tombe pasjuste avec le rythme imposé par lamusique. J’écris la phrase dans uneécriture un peu phonétique qui luipermet de visualiser ce que l’onentend réellement. Nous allons pas-ser un long moment à reprendre lacomptine, en chantant chaque cou-plet. Elle fait d’énormes efforts – dansla plus grande joie et avec un largesourire – pour prononcer correcte-ment. Il y a une lutte en elle entre cequ’elle connaît de la langue françaiseet ce qu’elle entend, et à quoi elleveut se conformer. Je la félicitechaque fois qu’elle réussit, mais ellereprend inlassablement pour essayerd’atteindre la perfection.

Elle ressort la “traduction” que je luiai faite, la pose sur la page du livre ets’entraîne toute seule. Radieuse etenthousiaste, elle me regarde souventpendant qu’on chante ensemble côteà côte devant le livre, concentrée sur

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“Je sais que c’estpour les enfantsmais c’est pourmoi que je veuxchanter. C’estparce que je veuxapprendre”.

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ma prononciation et réceptive à mesencouragements. Parfois, plusieurs mères présentes àl’animation prennent conscience del’importance de cette lecture indivi-duelle au tout-petit. Il nous arrivealors d’échanger à ce propos, commeje peux le faire avec un groupe deprofessionnelles. Elles s’attachentensuite à lire elles-mêmes à leurbébé.Plus ou moins facilement suivant leparcours de chacune, les mamanss’approprient l’histoire pour mieux latransmettre à leur enfant et la languen’est pas nécessairement un obstacle. Une maman qui commence à peine àparler le français veut que je lui lisequelques livres pour comprendrel’histoire, afin de les utiliser avec sonbébé dans sa propre langue. Nousregardons ensemble Bonne nuit, BébéOurs et Réveille-toi, Bébé Ours(Grégoire Solotareff, Hatier).Le cheminement de la pensée etl’évolution des attitudes peuvent par-fois être très rapides : “J’ai essayéavec Victor de continuer l’histoiremême s’il s’en allait, comme vousl’aviez dit, et c’est vrai, il est revenuvers le livre au bout d’un moment.Depuis, je lui raconte souvent sansm’inquiéter de ses allées et venues.”Une maman a même économisé del’argent gagné grâce à son travail enprison afin que sa mère, à l’extérieur,puisse lui commander la Boîte àComptines (Nadja, L’École des loisirs)pour continuer à le raconter à sa fille,après sa sortie.

Langues et culturesUne maman basque qui m’a souventdemandé des lectures pour son bébé,a toujours manifesté un très grandintérêt pour les livres ainsi que ledésir d’apprendre la langue fran-çaise. Au fil des séances, nous nouscomprenons mieux ; elle veut desprécisions sur le vocabulaire ou surle sens d’une phrase. Par ailleurs, ellelit beaucoup de livres à son enfant,lui relit ce que j’ai lu dans la séance,mais dans sa langue maternelle. Un jour, elle apporte deux livres decontes en langue basque, qu’elle a pu

se faire envoyer par la famille : TroisPetits Cochons et Les Trois Ours. Enprenant son fils sur les genoux, ellenous fait la lecture, à lui et à moi, desTrois Petits Cochons. À la fin dechaque page, elle me traduit le texte.Son bébé écoute et regarde le livreavec attention.Un jour, s’établit autour du livre Descouleurs et des choses (Tana Hoban,L’École des loisirs) un échange en ita-lien, serbe, espagnol, anglais et por-tugais ! Alors que rien ne semblaitfaciliter la communication en débutde séance, ce livre fait émerger desdésirs d’expression. La glace au cho-colat, les fruits et légumes, les objetsde tous les jours, chacune veut lesnommer dans sa langue. Nous trou-vons des similitudes d’une langue àl’autre, devenant peut-être moinsétrangères les unes aux autres. Nuldoute que les bébés aussi ont profitéde ce rapprochement culturel autourd’un livre.

Les comptines,résurgence et partageLire à son bébé n’est pas toujours uneévidence, mais lui chanter des chan-sons ou les écouter avec lui reste leplus spontané et le plus demandé.Une nouvelle maman arrive. Elle a euune grossesse difficile et François,son bébé, est resté un mois à l’hôpitalaprès l’accouchement. Elle l’a retrouvédepuis une semaine. Quand elle entredans la salle de jeu, nous sommes entrain de chanter avec le livre de ber-ceuses À pas de velours (DidierJeunesse). François pleure dans sesbras et semble inconsolable. Elle leberce et finit par lui donner le sein.J’oriente le livre de comptines verselle de façon à ce qu’elle en profite.Elle fredonne volontiers. Quand j’ar-rive à la berceuse créole “Dodo Ti

Pitit’ Maman”, elle chante spontané-ment, manifeste une grande joie deretrouver une berceuse qu’elle avaitoubliée et qui lui rappelle le temps oùelle était petite fille. François s’apaiseet s’endort.La comptine, encore plus que la lec-ture, se partage. Ces femmes enconnaissent aussi, et parfois nousdonnent leur version, ou de celle deleur pays. La maman de Juan, si per-sévérante pour adapter sa prononcia-tion au rythme de la comptine de lapetite poule grise, m’offre, avant departir, une version espagnole de lacomptine “Un éléphant qui se balan-çait”. Cette fois-ci, c’est moi qui mesuis appliquée à être en concordanceavec le rythme et le texte. “Un ele-fante se balanceaba sobre la tela deuna araña…”L’envie de retrouver toutes ces comp-tines et chansons, remontées de l’en-fance ou ramenées de l’école par unaîné, n’est pas seulement de l’ordrede la transmission, c’est une résur-gence et un partage, qui font parfoiscontagion dans le groupe entier.Une maman me tend Alors je chante.Deux autres mères sont intéressées,dont celle qui a peur de faire pleuvoirsi elle chante. Elle n’ose pas faireentendre sa voix seule, mais se lanceau bout d’un moment, quand elleentend tout le monde le faire. Nouschantons pendant une heure, dont uncanon et une chanson à deux voix. Lelivre est réclamé pour la fois sui-vante, puis acheté par la nursery.Ces expériences de lectures qui asso-cient les parents montrent combiensont fondamentales les animationsque propose A.C.C.E.S., aussi biendans l’instauration d’un rapportdétendu à l’écrit et au récit, que dansla construction du lien mère-enfant. Ceci est d’autant plus vrai dans lesmoments difficiles que ces mères tra-versent avec leur bébé. Ce travail enmilieu clos met en lumière à quelpoint la disponibilité et la réceptivitéde l’adulte portent l’enfant dans sonappropriation du livre.

Danielle Demichel avec Ourida Aliouane et Édith Bargès

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« Mon chemin passa par une bibliothèque, avec deslivres qui furent de véritables pierres à ma recons-truction, je venais d’entrer dans le monde de la lit-térature sans en imaginer l’immensité. ». Ainsiparle un ancien détenu de la Maison d’Arrêt deFleury-Mérogis dans cet ouvrage singulier qui rendcompte du travail de l’association Lire c’est vivre. En 1983, une mesure du code Pénal mise en placepar le Ministre de la Justice Robert Badinter pres-crivait d’instaurer des bibliothèques en accès directdans les prisons. En 1987, des bibliothécaires pro-fessionnelles de l’Essonne créait l’association Lirec’est vivre qui aujourd’hui gère neuf bibliothèquesau sein du centre de détention de Fleury-Mérogis,forme des bibliothécaires détenus et organise descercles de lecture, des ateliers d’écriture, des ren-contres avec des écrivains, des artistes… L’auteur, Geneviève Guilhem, une des fondatricesde l’association, se fait l’écho de cette expériencequi s’appuie sur la conviction que « la beauté estplus forte que le malheur » et que, comme l’écritTzevan Todorov dans le prologue, « La littératurerelève non du superflu mais du nécessaire ».

Elle associe diverses voix, celles des détenus et descomédiens, des conteurs et des bibliothécaires quiont contribué à ce projet, à de nombreux textes lit-téraires : Cervantes, Shakespeare, Tabbuchi, ToniMorrison… Les poètes y tiennent une grande placetant la poésie s’est révélée vitale pour certains :poèmes que l’on écrit, poèmes que l’on choisit pourles dire… Les textes de Guy Lévis Mano, Desnos etGarcia Lorca côtoient ceux des détenus, « poètes dudedans ». L’acte de lire est prolongé par l’activitécréatrice : ateliers d’écriture, de théâtre. Dans un chapitre consacré à la médiation cultu-relle, l’article de la linguiste Françoise Rouard inti-tulé « Il rêve de fraternité dans une langueinconnue », la prison polyglotte : lieu de langues,de passages et de frontières, dégage de passion-nantes pistes de réflexion à partir de ce qu’elleappelle « la langue de la détention ». A partir de séances de travail avec les détenus auxi-liaires-bibliothécaires suivant la formation prépa-rant au Certificat de compétences en médiationculturelle mise en place avec le ConservatoireNational des Arts et Métiers, elle interroge les liensentre la langue de l’institution et les multipleslangues parlées par les détenus, entre oral et écrit,entre culture savante et cultures populaires, entreexpérience sensible et approche théorique.

De la place des bibliothèques et de la littérature en prison

Dans ma cellule j’ai fait le tour du soleil

la littérature en terre in-humaine Sous la direction de Geneviève Guilhem.Coédition Lire c’est vivre et Associationpour l’art et l’expression libres. 24 euros.

Ourida Aliouane

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Animations-lectures

En 2009, les animatrices-lectrices d’A.C.C.E.S. sontintervenues dans des bibliothèques, des écoles etdes centres de loisirs maternels, des PMI, des relaisd’assistantes maternelles, des centres sociaux, descrèches, des haltes-garderies, des pouponnières, deslieux d’accueil parents-enfants à :Athis-Mons (91), Aubervilliers (93), Bondy (93), Brétigny-sur-Orge (91), Colombes (92), Épinay-sous-Sénart (91), Épi-nay-sur-Seine (93), Grigny (91), Les Mureaux-Val-de-Seine(78), Lisses (91), Massy (91), Palaiseau (91), Pierrefitte-sur-Seine (93), Saint-Ouen-l’Aumône (95), Villemoisson-sur-Orge (91), Vitry-sur-Seine (94) ainsi qu’à la nursery de laMaison d’Arrêt des femmes de Fleury-Mérogis (91).

Séminaires

Les notes et commentaires recueillis par les anima-trices au cours des séances de lecture font l’objetd’analyses et de discussion dans un séminaireanimé par Marie Bonnafé (psychiatre psychana-lyste) et Evelio Cabrejo-Parra (psycho-linguiste).Ces séminaires sont réservés aux professionnelsresponsabilisés dans des projets « Livres et PetiteEnfance »Réservation obligatoire Dates et renseignements : [email protected] ou par téléphone au 01 43 73 83 53

Stages A.C.C.E.S. 2010

STAGES DE SENSIBILISATION :

> Les livres c’est bon pour les bébés. Pourquoi,Comment ? lundi 27 et Mardi 28 septembre 2010

> Lire à des bébés lundi 22 novembre 2010

STAGE D’APPROFONDISSEMENT :

> Mener des projets Livres et Petite Enfancedu lundi 11 au mercredi 13 octobre 2010

Programme détaillé sur demande par courrier ou mail :[email protected] ou sur www.acces-lirabebe.fr

Formations et interventions

En 2009, l’équipe d’A.C.C.E.S. est intervenue à lademande > des Bibliothèques Départementales de Prêt du Bas-Rhin,de l’Essonne, du Finistère, de l’Hérault, de Savoie et deHaute-Savoie et du Lot,> des Conseils Généraux du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis,> du CNFPT 1ère Couronne Ile-de-France, de l’AssistancePublique-Hôpitaux de Paris,En partenariat avec les bibliothèques municipales deCanteleu (76), Mulhouse (67), Limoges (87) et Chambéry(73). Au Festival « Par Monts et par Mots » (59)Au Salon du Livre et de la Presse jeunesse en Seine-Saint-Denis (93).

En région parisienne, en partenariat avec les bibliothèques municipales à : Arpajon (91), Chatou (78), Chevilly-Larue (94), Corbeil-Essonnes (91), Évry (91), Gonesse (95), Perreux-sur-Marne(94), Massy (91), Marcoussis (91), Palaiseau (91), Vigneux-sur-Seine (91), Vitry-sur-Seine (94), Paris (75), Othis (77),Pierrelaye (95).

À l’étranger : > En Tunisie au Salon du Livre de Jeunesse de Sfax, > À Brasilia à l’occasion du colloque Culture et PremièreEnfance dans le cadre de l’année de la France au Brésil, > À Quito pour la mise en place d’un travail en communentre les bibliothèques des villes frontières entre l’Équa-teur, le Pérou et la Colombie > En Colombie au Congrès National sur la lecture à Bogota

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Contacts A.C.C.E.S., 28 rue Godefroy Cavaignac 75011 Paris Tél : 01 43 73 83 53 Fax : 01 43 73 83 72 Mail : [email protected] : www.acces-lirabebe.fr

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Comité de rédaction :

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