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Les publications de l’Académie sont réalisées avec l’aide du Conseil Départemental du Rhône et de la Ville de Villefranche ACADÉMIE DE VILLEFRANCHE ET DU BEAUJOLAIS LA LETTRE DE L’ACADÉMIE N°83 ACADÉMIE DE VILLEFRANCHE ET DU BEAUJOLAIS LA LETTRE DE L’ACADÉMIE N°83 Société des Sciences Arts et Lettres Membre de la conférence nationale des académies Mars 2021 Société des Sciences, Arts et Lettres Membre de la conférence nationale des académies Mars 2021 Photo J. Y. Tourneux Temple protestant de Villefranche Voir p. 8

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Les publications de l’Académie sont réalisées avec l’aide du Conseil Départemental du Rhôneet de la Ville de Villefranche

ACADéMIE DE VILLEFRANCHE ET DU BEAUJOLAISLA LETTRE DE L’ACADéMIE N°83

ACADéMIE DE VILLEFRANCHE ET DU BEAUJOLAISLA LETTRE DE L’ACADéMIE N°83

Société des Sciences Arts et LettresMembre de la conférence nationale des académies

Mars 2021

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Mars 2021

Photo J. Y. Tourneux Temple protestant de VillefrancheVoir p. 8

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Page 2 Académie de Villefranche et du Beaujolais - Lettre de l’Académie n°83 - Mars 2021

Nous transmettons un texte de Jean-Pierre Chan-tin et un texte de Jean-Pierre Giraud (voir p.4, 5, 6).Dans la prochaine Lettre nous en publierons deux autres : un de Jean-Pierre Giraud et un de Pierre Forissier

RappelL’année 2021 sera une « année Napoléon » avec l’exposition Napoléon à La Grande Halle de La Vil-lette prévue du 14 avril au 19 septembre 2021. Une exposition autour de « ce personnage autant admiré que controversé », « une immersion au cœur de mo-ments décisifs pour l’histoire de France ».La Lettre 62 de juin 2015 rappelait le passage de Napoléon à Villefranche le 13 mars 1815 et citait des extraits opportunistes des affiches du maire de Lyon à l’attention de ses administrés

La naissance d’Astor Piazolla ( 1921-1992) le 19 mars 1921, par Maurice Musso. Piazzolla est « l’inventeur de tango moderne » . Cette danse est in-scrite au patrimoine culturel immatériel depuis 2008. Voir le site de l’Académie.

La Commune de Paris ( 18 mars- 28 mai 1871) par notre confrère Bruno Fouillet. La communication est consultable sur le site de l’Académie et sera publiée dans le prochain bulletin.

LA VIE DE L’ACADéMIEET DE LA RéGION

PENDANT LA PANDéMIE

Le site de l’académie sur internet est régulière-ment alimenté. Le travail des académiciens continue, entre autres pendant les réunions mensuelles du comité Les permanences du mercredi matin sont main-tenues.

Les conférences publiques et les communica-tions privées sont reportées. Nous vous tien-drons informés.Notre collègue Jean-Pierre Giraud nous rappelle qu’après 2 reports, il est toujours prêt à nous faire visiter la maison éclusière de Port Bernalin.

Quelques nouvelles de la région- La pandémie n’élimine ni les autres maladies graves ni les hospitalisations qu’elles entraînent.Notre confrère Marc Gallavardin nous présen-tera dans la prochaine lettre l’association “Docteur Clown”, si efficace auprès des enfants hospitali-sés qui, par le rire, oublient un long moment leur souffrance.

Lorsque nous avons appris le 7 décembre dernier le décès de Gérard Bacot, créateur de la Lettre en 2000, la mise en page déjà faite nous a limités à une annonce. Hommage lui a été rendu sur le site de l’Académie et lui sera rendu dans le prochain Bulletin. Gérard aurait eu 93 ans le 14 février.

Les textes de cette Lettre s’organisent autour de deux grands thèmes :Anniversaires et commémorations et La vie de l’académie et de la région pendant la pandémie.

ANNIVERSAIRES ETCOMMéMORATIONS

Pierre Prunet nous a transmis sur le site l’interview au journal Le Monde de Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de France et président de la commis-sion France Mémoire. Il souligne l’aspect parfois épineux du choix des commémorations officielles.Dans le domaine littéraire qui ne devrait plus soulever de polémiques, on peut rappeler le bicentenaire de la naissance du poète Charles Baudelaire ( 9 avril 1821) et de l’écrivain Gustave Flaubert ( 12 décembre 1821). En 1857, tous deux comparurent en justice, Baudelaire pour Les Fleurs du Mal, Flaubert pour Madame Bovary. Les deux œuvres étaient considérées comme outrages à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs.Xavier Darcos évoque les 400 ans de la naissance de Jean de la Fontaine ( 8 juillet 1621) qui sera célébré cette année. Les aspects élégamment licen-cieux de ses Contes n’ont pas frappé les censeurs de l’époque.

Les académiciens et quelques anniversairesDes académiciens ont choisi de commémorer :La mort de Marius Audin (1872- 1951) le 15 janvier 1951 par Claude Michel (voir p. 7).L’excommunication de Martin Luther ( 1483-1521) le 3 janvier 1521 par Jean-Pierre Chantin (voir p.8). La mort de Napoléon 1er ( 1769- 1821) le 5 mai 1821 et son passage à Villefranche le 13 mars 1815 ont inspiré nos confrères.

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- Jean-Jacques Boyer, nouveau sous–préfet de Villefranche et Président d’honneur de l’Académie, a pris ses fonctions le 1er mars 2021. Il succède à Pierre Castoldi, qui était en poste depuis 2016.- L’association Les Amis du Geopark Beaujolais s’est créée. Elle est présidée par Daniel Paccoud, récent membre associé de l’Académie.- La mairie du Val d’Oingt a voté l’achat de deux parcelles de terrain sur les anciennes carrières de la tuilerie de Prony à Oingt. Bruno Rousselle, con-servateur du musée de l’Espace Pierres Folles et membre émérite de l’Académie, souligne l’intérêt géologique de cette acquisition et son intégration au site de Geopark Beaujolais.-La Fête des conscrits :Après avoir été reportée au mois de juin, elle a été fixée au 3 octobre 2021.Jean-Pierre Chantin nous rappellera dans la prochaine lettre qu’il y a eu d’autres Fêtes des con-scrits reportées.- Et encore…Des fouilles archéologiques à Montbrison, cité thermale antique d’Aquae Segetae, ont mis à jour de riches vestiges datant du 1er au 4ème siècle.L’information nous a été communiquée par notre confrère Louis Peyron.

ILS NOUS ONT QUITTéS

Eva Simonet ( 1938- 2020), descendante de Georges Antoine Simonet, inventeur de la mous-seline à Tarare. Actrice, sœur de l’acteur Jacques Perrin, elle était aussi la mère de Christophe Barra-tier, réalisateur du film Les Choristes, dont la bande originale avait été enregistrée dans les studios de l’Hacienda à Tarare.Pierre Tamain (1949-2020). Homme original, «écrivain gouleyant à la barbe fleurie », il formait avec son frère Michel un cou-ple fidèle à tous les salons du livre, entre autres à celui d’Arnas organisé par l’association Des Livres et des Histoires, dont plusieurs académiciens sont membres.Ennemond Durieu ( 1929- 1921)Très actif dans la vie économique et culturelle ca-ladoise, il avait joué un grand rôle à l’académie. En témoigne le Bulletin N°1 de 1968 : le Président Robert Pinet remercie Messieurs Durieu et de Longevialle qui se sont occupés de la parution du premier Bulletin.En témoigne aussi le Bulletin N° 3 de 1970, où Robert Pinet rend hommage au dévouement du secrétaire adjoint Ennemond Durieu.

Nous avons reçu à l’Académie par Jean-Pierre CHANTIN

Daniel ROSETTA, L’Académie de Villefranche en Beaujolais sous l’Ancien régime, 1677-1793, Villefranche-sur-Saône, éditions du Poutan, 2020, 216 p. Notre confrère Daniel Rosetta nous propose une histoire des origines de notre Académie, dès avant sa reconnaissance par Louis XIV en 1695. Elle subit ensuite bien des vicissitudes qui la font durer par éclipses successives jusqu’à la suppression de ces compagnies dans les débuts de la Révolution. Mais l’auteur y ajoute une histoire des académies depuis l’Antiquité jusqu’au Siècle des Lumières, le contexte social et économique caladois lors de la création, qui explique notamment le peu de suivi de l’entreprise car la ville est bien petite pour regrouper assez de membres actifs. Il y décrit le fonctionnement de cette société savante, qui transmet les connaissances de l’époque, les thèmes qui y sont discutés, et brosse quelques rapides portraits de ses membres les plus éminents, le tout appuyé sur les quelques sources subsistantes. On se permettra d’ajouter que la communication faite en 2012 par Damien Chantrenne (pa-rue en 2013 dans le bulletin de l’Académie) avait pour thème « Les décors des cérémonies de l’Académie de Villefranche-en-Beaujolais sous la protection de Camille de Neuville (1680-1695) », travail déjà réalisé grâce aux articles du Mercure galant qui relate depuis Paris à cette époque ce que sont les activités de “notre ancêtre”.

David BESSENAY, Beaujolais. Gloire et déboires. Enquête sur un vignoble entre faillite et résurgence, Le Per-réon, éditions Héraclite, 2020, 333 p. David Bessenay, dit parfois « journaliste en presse agricole » mais surtout connu pour ses écrits sur le Beaujolais (romans et histoires), signe ici une enquête choc, autant comme observateur que comme témoin. La question qu’il pose est assez simple : comment ce terroir viticole, après avoir connu un grand succès populaire, a-t-il pu connaître ce que l’auteur nomme « un accident industriel » ? C’est ici que le talent de D. Bessenay se révèle, lorsqu’il passe en revue toutes les causes possibles. Mais il y ajoute fort heureusement une lueur d’espoir qui montre qu’une réorganisation, qui était nécessaire, est aujourd’hui à l’œuvre. Le travail est détaillé, les arguments convaincants et la dose d’humour dans l’écriture vient ajouter un peu de légèreté (très beaujolaise) à ce qui aurait pu n’être qu’un « écrit noir ». Il s’agit aussi de la dissection d’une page de l’histoire récente de notre région, méticuleuse et argumentée, saluée d’ailleurs en préface par le réputé journaliste spécialiste du vin (et bourguignon), Jacques Dupont.

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à L’OCCASION DU BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLéON Ier : LE PASSAGE DE L’EMPEREUR à VILLEFRANCHE EN 1815.

Il y a deux cents ans, le 5 mai 1821, à 17h49, l’ancien empereur des Français, Napoléon Ier meurt dans la propriété de Longwood sur l’ile britannique de Sainte-Hélène, à presque 2.000 kilomètres des côtes de Namibie. Notre cité de Villefranche avait vu passer l’illustre personnage six ans auparavant, le 13 mars 1815, lors de son périple du retour de l’île méditerranéenne d’Elbe, en marche sur Paris pour reprendre le pouvoir durant cette période que l’on a nommée « les Cent-Jours ». Il n’est pas inutile de replacer cet épisode dans son contexte, quelque peu oublié. Napoléon et ses 800 hommes ont débarqué près d’Antibes le 1er mars, à 5h du matin. Le 7 il est à Grenoble après avoir emprunté la route qui porte désormais son nom, et il y reçoit le ralliement du général caladois Théodore Chabert, en disgrâce auprès de l’empereur depuis 18121 . L’étape lyonnaise est ensuite un tournant. Epaulé désormais par 8 000 soldats, arrivé à 19h le 10, il s’y déclare seul souverain du pays, rétablit le drapeau tricolore et convoque l’Assemblée Nationale qui doit se réunir à Paris. Il quitte la ville le 13, vers midi, non sans avoir fait placarder une affiche qui se conclut par « Lyonnais, je vous aime ». C’est alors qu’il fait route pour la capitale du Beaujolais, sous-préfecture du Rhône, et que la légende entre en action car les versions divergent quelque peu. L’empereur arrive en Calade en tout début d’après-midi sans qu’il soit possible de déterminer à quelle heure. La plaque commémorative apposée sur l’ancien Hôtel-de-Ville par la municipalité sur la suggestion de notre confrère Henri Burnichon, en septembre 1963, rue Royale ou Impériale en cette péri-ode de transition politique (Nationale aujourd’hui), indique qu’il y a été acclamé par « 60 000 personnes de la Calade et des environs2 » puis qu’il y a déjeuné, ce qui est faux. Pour Robert Pinet, qui mentionne un souvenir lu dans un numéro du Réveil du Beaujolais, l’empereur a harangué une foule nombreuse venue des alentours depuis le balcon de la vieille auberge du Faucon, à l’angle de la rue du même nom, la mai-son étant gardée par des grenadiers, il aurait déclaré: « Mon pouvoir est plus légitime que celui des Bourbons car je le tiens du peuple3 ». La municipalité, dirigée par Pierre-Mathieu Laurent depuis 1813, était venue au-paravant se soumettre au nouveau souverain auto-proclamé en lui donnant en public les clés de la ville, « le pain, le sel et un verre d’eau sur un plateau » et la foule avait crié « Vive l’Empereur ». Puis, Napoléon aperçoit un de ses anciens officiers retiré à Beaure-gard dans le pays de son épouse, et lui lance : « Com-mandant Pinchinat, es-tu des nôtres ? ». La réponse est nette : « Oui Sire, le temps de faire mes adieux à ma famille et je vous suis 4» . La légende dit aussi que Napoléon a fait un repas frugal, et que deux paysans auraient payé fort cher les os du poulet qui y avait été servi5 — un facétieux journaliste du Progrès (et gendre de Paul-Hubert Popy, président de l’Office du Tourisme de Villefranche) avait alors imaginé qu’ils avaient été mis aux enchères ! Pour l’anecdote, l’auberge du Faucon, qui est mentionnée à Villefranche depuis le 16e siècle, est un relais de poste avec neuf chevaux et deux postillons ; elle est alors tenue par Claudine Desgoutte, veuve Caillot, qui y est épaulée par son fils Joseph, le chef de cuisine étant Antoine Lucotte, de Marcigny (71), futur gérant6 . Mais la visite est brève puisque le soir même Napoléon Ier est à Mâcon où il va sermonner la ville pour sa mauvaise défense face aux Autrichiens en 1814. L’empereur a surtout trouvé en Calade une ville qui a durement subi l’occupation du prince de Hesse-Hombourg l’année précédente, et a même failli être rasée après l’assassinat d’un de ses officiers. Son industrie textile avait auparavant été

1 Sur lui, lire Henri Burnichon, Théodore Chabert, le général salpêtre. Du Beaujolais au Grésivaudan, éditions du Poutan, 2010. Merci à mon confrère pour les informations qu’il m’a aimablement communiquées pour compléter cet article.

2 Au recensement de 1806 Villefranche compte 5095 habitants et son agglomération 9978. Le chiffre est donné par Joseph Balloffet (voir plus loin, note 4).

3 Cité par Bruno Benoît dans Le Progrès, édition du Beaujolais, 12 mars 2015. 4 Vieux Villefranche ma Calade, éditions du Cuvier, 1957, p. 37-38, note 8. Il s’agit de Pierre-Antoine Pinchinat, originaire de la Somme, chef de bataillon en Espagne, chevalier de la Légion d’Honneur, chevalier de l’Empire, congédié avec solde de retraite en 1811. Il meurt à Beauregard en 1836 (blog Soldats Samariens sous la Révolution et l’Empire).

5 Rapporté par Joseph Balloffet, Histoire de Villefranche, capitale du Beaujolais, réédition de 1980 de celle de 1932, p. 296.

6 Abel Besançon, Vieux logis de Villefranche-en-Beaujolais, Ed. Jean Guillermet, 1929, p. 46-53.

Inauguration de la plaque commémorative à Villefranche, 15 septembre 1963, photo P. Eymin

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JEAN-PIERRE CHANTIN

ruinée par le Blocus continental établi de 1806 à 1814 par l’hôte illustre du 13 mars… On peut ajouter deux autres anecdotes régionales. Lors de son exil vers Sainte-Hélène, Napoléon se serait arrêté dans une auberge du col du Pin-Bouchain avant de descendre sur Tarare et Lyon. Il s’y serait plaint à la fille du maître du relais de poste, Sophie Vallier, du prix trop élevé des œufs qui lui étaient servis en omelette en présageant de leur rareté dans ces contrées, ce à quoi elle aurait répondu : « Non, pas les œufs, Sire, mais les empereurs oui 7» . Mal-heureusement, cette anecdote est fausse, et d’ailleurs répétée en maints autres endroits. En revanche, sur la route de l’exil vers l’île d’Elbe, Napoléon est bien passé au printemps 1814 par Machézal, au pied du col et peut-être conduit par ladite Sophie, où il a d’ailleurs été salué par sa mère Laetitia et son oncle, le cardinal Fesch archevêque de Lyon, réfugiés au couvent des Bénédictines de Pradines : un buste de l’exilé rap-pelle cette équipée. Quant à la statue qui trône sur le carrefour du col des écharmeaux, elle est l’œuvre en 1865 du sabotier Jean Molette fils, qui y clame en vers son admiration pour le grand homme au moment du règne de son neveu de qui il s’est vu attribuer un bureau de tabac8 . Contrairement à ce que croient quelques automobilistes pressés, ou des internautes peu attentifs, nul passage de Napoléon ici. Mais il est vrai que les lieux mémoriels dédiés à l’Empereur ne manquent pas en France et même ailleurs9 .

7 Sandrine Vadrot, Le Progrès, édition de la Loire, 26 juillet 2019. Elle aurait conduit ensuite la troupe à travers le brouillard et la neige et aurait reçu ensuite six tasses d’argent gravées d’un nom (le sien, celui de l’empereur ?).

8 Paul Leutrat, Jean Molette, sculpteur naïf, plaquette du Syndicat d’Initiative de la vallée d’Azergues, 1869. La statue est inachevée. 9 Florent Barraco, « Napoléon, prof d’histoire et de géographie », Le Point, 17-24 décembre 2020, p.88-90.

L’ancienne auberge du Faucon à Villefranche, photo P. Branche

IL Y A 200 ANS : MORT DE L’EMPEREUR NAPOLéON 1ER

Napoléon appartient à notre histoire locale, petite et grande. En 2015, nous avons commémoré devant l’ancien hôtel de ville de Villefranche, son arrêt en ce lieu lors des 100 jours. à Anse, il aurait auparavant changé de cheval et mangé un oeuf au relais de poste. 6 ans plus tard, le 5 mai 1821, dans sa résidence de Longwood à Ste Hélène, « au crépuscule, alors que la tempête soufflait sur l’île de Ste Hélène, s’éteignait le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine. » (Chateaubriand)Un ami, président de la commission mémoire du conseil départemental de Corse du sud, a écrit au député de sa circonscription : « Tous les écoliers de la France d’hier savaient qu’à cette île était attaché le nom de Napoléon. En août 1969, pour le bicentenaire de sa naissance, la France entière s’était « napoléonisée ». Le président Georges Pompidou était en effet venu dans la cité impériale le 15 août 1969, pour célébrer en grande pompe le personnage le plus important dans la construction de notre Nation. Depuis, les men-talités ont bien changé pour faire place à la repentance et au rejet des grands hommes de notre histoire. » Il est à craindre, en effet, que la commémoration à venir en mai prochain, soit très loin de revêtir le même faste que celle du 15 août 1969. Officiellement, l‘Empereur est décédé d’un cancer à l’estomac. Il serait très long d’évoquer la polémique autour d’un éventuel empoisonnement à l’arsenic, réfutée par plusieurs historiens spécialistes de Napoléon. Intéressons-nous plutôt au retentissement de sa mort en France et ailleurs.

Une nouvelle au retentissement limité qui met deux mois à parvenir aux FrançaisEn effet, la dépêche du gouverneur Hudson Lowe n’embarque sur le HMS Heron que le 7 mai. Ste Hélène étant perdue dans l’Atlantique sud, le navire n’accostera à Portsmouth que le 3 juillet. Londres étant en-core distante de 100 km, ce n’est que le lendemain que le roi George IV apprendra la nouvelle. Le même jour, elle est en possession des ambassades et des journaux londoniens, mais le roi Louis XVIII n’en aura connaissance que le 5 juillet, soit deux mois jour pour jour après le décès. D’après l’ouvrage de Thierry Lentz, directeur de la fondation Napoléon, paru en janvier 2019 aux éditions

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Perrin : « Bonaparte n’est plus », l’émotion réelle ou affectée ne dépassa guère en France le cercle des ses fidèles, en particulier les anciens de la Grande Armée. En Italie, l’émotion fut palpable. A Rome, le pape fit donner des messes pour le défunt. C’est en Angleterre que la nouvelle produisit une impression plus générale et plus profonde. Dès le 7 juillet, des placards affichés dans les rues invitaient « tous ceux qui admirent le talent et le courage de l’adversité » à prendre le deuil à l’occasion de la mort prématurée de Napoléon Bonaparte. » Mais nulle part, l’annonce de cette disparition n’eut alors le retentissement que nous imaginerions volontiers aujourd’hui : la légende impériale n’était pas encore née.

La nouvelle affecte ses prochesL’impératrice Marie-Louise (1791-1847) n’a pas suivi son mari en exil. Le 2 mai 1814, en quittant la France, elle écrit dans son journal : « Je souhaite de bonnes choses à la pauvre France. Qu’elle puisse profiter de la paix dont elle a besoin depuis tant de temps et qu’elle éprouve de temps à autre un peu de compas-sion pour une personne qui lui est restée affection-née. » Devenue duchesse de Parme, Marie-Louise prend le deuil et le fait prendre pour trois mois à sa cour. Elle écrit à l’Aiglon, son fils qui a 10 ans : “Je suis sûre que vous ressentirez cette douleur profondément, comme je la sens moi-même, parce que vous seriez un ingrat si vous oubliez toute la bonté qu’il a eue pour vous dans votre petite enfance, je suis aussi certaine que vous chercherez à imiter ses vertus, tout en évitant les pièges qui ont fini par le perdre”.Elle écrit également à Mme de Crenneville : « J’avoue que j’en ai été très affligée. Je ne puis oublier qu’il est le père de mon fils et qu’il m’a toujours témoigné tous les égards, seule chose que l’on puisse désirer dans un mariage politique. » Marie-Louise commanda donc mille messes à Parme, autant à Vienne mais ses voiles de veuve dissimu-laient opportunément son état de grossesse. Neuf jours après, elle devenait mère (elle n’a que 30 ans) d’un fils du comte de Neipperg, second des trois enfants qui naquirent de cette union secrète et jusqu’alors adultère. Devenue veuve, Marie-Louise peut légaliser sa relation avec Neipperg, gouverneur du duché de Parme. Elle l’épouse le 8 août suivant : c’est un mariage morganatique, le rang de son mari étant inférieur au sien, mais les enfants de Marie-Louise peuvent alors venir habiter dans une annexe du palais ducal. Neipperg décèdera en 1829, mais Vienne interdira à Marie-Louise, pourtant très touchée par la mort de son deuxième mari, de porter publiquement le deuil. Ses enfants de ce second mariage seront toujours con-sidérés à la cour comme illégitimes. Souveraine éclairée, la « bonne duchesse » comme l’appelaient ses sujets, s’éteindra en 1847.L’ex-roi de Rome quant à lui, devenu duc de Reichstadt, est resté à la cour de Vienne. Il n‘a que 10 ans au décès de son père qu’il pleure longuement. Dans sa famille viennoise, personne ne vient adoucir la douleur de son deuil. Mais apprenant le remariage de sa mère, il suspendra toute correspondance avec elle. En 1828, à 17 ans, il débute une carrière dans l’armée autrichienne mais il tombe malade. Les mé-decins l’auraient soigné à tort pour le foie (incompétence ou malveillance ?) alors qu’il était atteint de la tuberculose. Le chancelier Metternich refuse qu’il rejoigne l’Italie et sa mère, ce qui aurait peut-être pu le sauver. Mourant, Napoléon II constate amèrement : « Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire. Entre mon berceau et ma tombe, il y a un grand zéro ». Il s’éteindra le 22 juillet 1832. ***Pour Thierry Lentz : « La mort de Napoléon alluma bien une mèche lente dont la combustion progressera lente-ment, embrasant au passage la légende de l’empereur libéral, romantique et même social, jusqu’à l’explosion des an-nées 1840 avec le renouveau de la doctrine et la naissance d’un véritable parti bonapartiste, peaufinés et guidés par une nouvelle génération, nourris autant que soutenus par la vague romantique. » Mort, l’Empereur est donc devenu un mythe dont bénéficiera à plein son neveu Louis-Napoléon en 1848. Certains, dans les masses rurales croiront même alors voter pour son oncle. Cette mort dont le retentisse-ment fut moindre qu’espéré fonda cependant bien des choses…..

JEAN-PIERRE GIRAUD

Jean-Baptiste Mauzaisse, Napoléon Ier sur son lit de mort, une heure avant son ensevelissement, 1843, Musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.

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2021 : ANNéE AUDINLe 15 janvier 1951 mourait Marius Audin à Lyon. Il était né à Beaujeu en 1872 et s’il a vécu essentiellement à Lyon, il n’a jamais oublié son Beaujolais natal. Il est bien souvent revenu à Beaujeu et une grande partie de son œuvre est tournée vers la défense et illustration de notre région. Il y a 70 ans, il s’éteignait après une vie bien remplie.

Cet autodidacte a commencé par s’intéresser à la botanique, a constitué un herbier du Beaujolais important et s’est illustré dans ce domaine par de nombreuses communications savantes. La viticulture a également été un de ses domaines de prédilection, non seulement du point de vue de la littérature scientifique, mais aussi et surtout du point de vue eth-nographique.La botanique et l’amour de sa terre natale, qu’il regretta d’avoir quittée si longtemps, l’amènent à s’intéresser naturellement aux hommes et à leurs activités. Marius Audin, ethnologue et historien du Beaujolais, est sans conteste celui qui a le plus marqué notre région. Il consacra tous ses loisirs à parcourir la campagne beaujolaise, à dépouiller les fonds d’archives, à photographier et à interpréter les paysages. Il crée le Mu-sée d’arts et traditions populaires de Beaujeu, inauguré en 1943, qui ren-ferme toutes les richesses accumulées au fil des années, illustrant la vie paysanne, les pratiques quotidiennes des habitants. On doit associer au nom du créateur celui de Marise Durhône, conservatrice du musée de 1967 à 2019, mais aussi, entre autres, maire de Beaujeu de 1971 à 1995 et fondatrice du CCAB. Elle a pieusement poursuivi ce travail de souvenir

et ne l’a quitté qu’à regret. Elle a continué, développé son œuvre et fait rayonner le musée et le Beaujolais au-delà de nos frontières.

Parallèlement, Marius Audin mena une vie professionnelle d’imprimeur, et se montra un maître dans ce domaine comme dans tous ceux qu’il a abordés. Aujourd’hui encore, ses écrits font autorité. Il exerça ce mé-tier à Lyon pendant toute sa vie active et ce n’est pas un hasard si son fils Maurice a repris le flambeau, si la rue de l’imprimerie Audin porte aujourd’hui son nom et si le Musée de l’imprimerie (aujourd’hui nommé Musée de l’Imprimerie et de la Communication graphique), créé par Maurice Audin en 1964, se trouve à Lyon, vieille terre d’imprimeurs, qui, au XVIe siècle, a vu naître le livre en France. L’autre fils de Marius, Amable, archéologue, a également suivi la voie tracée par son père en créant en 1975 le Musée gallo-romain de Lyon (aujourd’hui Lugdunum), l’un des plus beaux de France par son architecture et ses collections, digne de la capitale des Gaules.

À la fin de sa vie, Marius Audin s’intéressa aux patois beaujolais et il laisse un fichier d’au moins 13000 fiches patiemment rédigées en 1949 et 1950. Il est conservé au musée et mérite d’être connu de tous, comme les 70 cahiers concernant l’histoire du Beaujolais et l’ethnographie beaujolaise, qu’il n’a pas eu le temps de publier.

Ont participé à la rédaction de ce numéro :Jean-Pierre Giraud, Jean-Pierre Chantin, Jean-Yves Tourneux Rédaction : Simone Vogelgesang.Composition : Philippe Branche.

CLAUDE MICHEL

Marius Audin dans son imprimerie

Page 8: ACADéMIE DE VILLEFRANCHE ET DU BEAUJOLAIS LA ...academie-villefranche.fr/mapage/lt-83.pdfmars 1921, par Maurice Musso. Piazzolla est « l’inventeur de tango moderne » . Cette danse

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Il y a 700 ans : la condamnatIon de luther

Rappel Le 12 octobre 2002, Yvette Cochin avait fait une conférence publique à l’Académie :« à l’occasion du centenaire du temple protestant de Villefranche, l’histoire d’une minorité : la communauté réformée de Villefranche ». Et si les circonstances le permettent, le 9 octobre 2021, M.Krumenacker a prévu de faire une conférence sur le protestantisme en Bourgogne et en Beaujolais.Le temple protestant de Villefranche figure en couverture de cette Lettre, dans une optique historique, tout comme en décembre 2019 la couverture de la Lettre illustrait l’article « Notre-Dame des Marais temple de la raison » sous la Révolution.

C’est le 3 janvier 1521 qu’est excommunié le moine augustin, docteur et professeur de théologie à Wit-tenberg (Saxe), Martin Luther. L’histoire commence en fait quatre ans plus tôt lorsque ce dernier publie ses 95 thèses dans lesquelles il fait des propositions pour réformer les pratiques du haut-clergé catholique, et principalement la papauté, et surtout mettre fin à la pratique de l’achat d’indulgences, une habitude mise en place par l’église afin d’assurer une place au Purgatoire, et bien plus prosaïquement financer les travaux de construction de Saint-Pierre à Rome. Or, Luther est contre non seulement la pratique finan-cière mais l’idée même qu’il existe un Purgatoire : pour lui l’homme doit accepter son état de pécheur, ce qui ne l’exempte pas des pénitences nécessaires à tout bon chrétien. Mais dans ce cas l’église n’a plus la même utilité et d’ailleurs, pour ce théologien déjà réputé, seule la Bible est la source légitime de l’autorité chrétienne dans le domaine de la foi. Un de ses contemporains a af-firmé, qu’outre l’envoi de son texte à l’archevêque de Mayence, les 95 thèses ont aussi été placardées sur la porte de l’église de Witten-berg le 31 octobre 1517, veille des populaires fêtes de la Toussaint, ce qui lance publiquement la controverse.Quoi qu’il en soit, après de nombreuses tractations, une première bulle du pape Léon X menace Luther d’excommunication le 15 juin 1520 s’il ne rétracte pas 41 de ses propositions avant le 10 décem-bre, et ses livres sont brulês. à la date dite, le récalcitrant rompt très officiellement avec Rome en brûlant la bulle en public, ce qui lui vaut comme prévu son excommunication, avec ses disciples, le 3 janvier suivant. Luther est aussi mis en avril 1521 au ban de l’Empire germanique par la majorité des états qui le composent et par l’empereur Charles Quint, mais il est protégé par son souve-rain, l’électeur de Saxe, qui le cache dans le château de la Wartburg. C’est là que le théologien banni traduit la Bible en allemand, et qu’il peaufine son programme de ce qui devient la Réforme « protestante », un nom donné en 1529 par ses opposants qui rail-lent les princes qui « protestent » contre le ralliement au catholi-cisme imposé alors par l’Empereur.

Au 17ème siècle, Pierre Louvet, dans son Histoire du Beaujolais, évoquait en ces termes les conséquences religieuses et politiques du luthérianisme : « ….au temps que l’impie apostat Luther semait la zizanie dans la maison de Jésus-Christ, que les princes chrétiens s’entre-dévoraient et que l’ennemi capital de de la chrétienté, profitant de leurs désordres, s’empara de la Hongrie et de l’île de Rhodes, et fit des courses assez proches de l’Italie…»Mémoires de Louvet, volume 1, par Léon Galle et Georges Guigue, p.164 . NDLR

JEAN-PIERRE CHANTIN

Martin Luther