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    ABEILLES, POLLINISATION ET PESTICIDES________________________________________________________________________________________________

    Copyright Acadmie dAgriculture de France. Sance du 16 fvrier 2005.1

    ABEILLES ET POLLINISATION

    par BernardVaissire1

    En Europe, la pollinisation des plantes fleurs, cest--dire le transport du pollen des anthres productrices aux stigmates rcepteurs, est ralise principalement par auto-pollinisation passiveainsi que par le vent (anmophilie) et les insectes (entomophilie). Mais lauto-pollinisation passive,et son extrme la clistogamie, ne constitue que rarement le mode de pollinisation dominant (mmesi cest le cas chez le bl et le soja), et le vent nest le vecteur de pollen principal que chez 10 % des plantes fleurs, et ce sont les insectes qui pollinisent toutes les autres espces de faon exclusive oudominante (Buchmann & Nabhan 1996, Allen-Wardell et al. 1998).

    Beaucoup dinsectes floricoles se nourrissent de pollen et/ou nectar sans intervenir dans la pollinisation. Les insectes pollinisateurs comprennent certains coloptres (nitidulids et Magnolia ),lpidoptres (papillons de jour pour les illets Dianthus sp. et papillons de nuit pour les Daturasp.), et diptres (mouches) comme les syrphes (alliaces et ombellifres), mais ce sont surtout lesabeilles (hymnoptres) qui ont une relation indissociable avec les fleurs (Faegri & van der Pijl1971). En effet, la morphologie des abeilles (prsence de poils branchus sur le corps), leur rgimealimentaire (nectar et pollen exclusivement) et leur comportement de butinage (fidlit une espcede plante lors dun voyage) en font des vecteurs de pollen particulirement efficaces et prcis(Michener 2000). Le mutualisme (relations mutuellement bnfiques) qui lie abeilles et fleurs aconduit la co-volution et la diversit des espces que lon connat aujourdhui (Crepet 1984):Plus de 20 000 espces dabeilles dans le monde contribuent la survie et lvolution de plus de80 % des espces vgtales (Burd 1994, Buchmann & Nabhan 1996, Allen-Wardell et al. 1998,Michener 2000).

    La pollinisation effectue par les abeilles est remarquable sur le plan quantitatif et qualitatif.En effet, les abeilles transportent couramment des dizaines de milliers de grains de pollen sur leurscorps et elles en dposent de grandes quantits sur les stigmates, avec pour consquence uneslection gamtique efficace des tubes polliniques. Et sur le plant qualitatif, en allant de fleur enfleur, les abeilles transportent du pollen issu dindividus gntiquement diffrents et le dpt dallo- pollen permet la fcondation croise et la reproduction de toutes les espces auto-incompatibles.

    Lorsque lon parvient liminer ou quantifier laction des autres vecteurs comme lauto- pollinisation passive et/ou la pollinisation par le vent, on ralise combien le rle des abeilles estimportant. Ainsi une mthodologie rcente a montr par exemple quen parcelles de production, la pollinisation par les abeilles contribue pour 66 % de la production de semences chez loignon porte-graine en varit population. Au-del du simple rendement, la qualit germinative des graines issuesdes fleurs visites par les abeilles est suprieure de plus de 10 % celle des graines produites par lesfleurs pollinises sans intervention des insectes. Les abeilles interviennent dans la pollinisation detrs nombreuses cultures, comme les rosaces fruitires (abricotier, amandier, cerisier, fraisier, pcher, poirier, pommier, prunier), les cucurbitaces (courgette, melon, pastque), les solanes(tomate, poivron), le kiwi, les cultures olagineuses (colza, tournesol) et protagineuses (fverole),

    1 Charg de recherche, Unit mixte de recherche "cologie des invertbrs" INRA-Universit d' Avignon, Avignon (tl.04 32 72 26 37 , ml [email protected])

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    et les cultures porte-graine de nombreux lgumes et condiments (artichaut, chou, fenouil, oignon, persil, poireau, scarole et frise) et espces fourragres (luzerne, trfle). Quand on y regarde de prs,il est difficile dimaginer un seul repas auquel les abeilles ne soient pas associes de prs par leur activit pollinisatrice !

    Les abeilles sont aussi essentielles dans le maintien de la vgtation des milieux naturels et detoute la cascade trophique qui en dpend. Ainsi lorsquun sol nu est laiss en friche, les premiresespces qui le colonisent sont gnralement des plantes cycle court qui se dveloppent rapidementet dont la reproduction sexue ne fait pas appel aux insectes (mouron des champs, sneon, denombreuses crucifres comme la capselle bourse--Pasteur, et de nombreuses gramines). Cesespces ont des fleurs trs petites qui ne sont presque jamais visites par les abeilles. Au contraire,le terme final des successions vgtales en milieu tempr continental et plus encore mditerranencontient essentiellement des plantes prennes, majoritairement allogames, cest--dire ncessitantune fcondation croise. Beaucoup de ces espces dpendent largement ou exclusivement desabeilles pour assurer leur fcondation. On peut citer des essences forestires comme certaines

    rosaces (alisier, merisier, sorbier), des rables, des espces ligneuses comme les gents, les cisteset hlianthmes, des ricaces (airelle, arbousier, bruyre, callune), des lamiaces (romarin, thym),et aussi des espces prennes herbaces comme les sauges et orchides. Les abeilles contribuent lasurvie de toutes ces espces et de tout le cortge de vie sauvage (oiseaux, rongeurs, mammifres)qui leur est associe.

    En France, on compte prs de 1000 espces dabeilles (Rasmont et al. 1995), et la productionde 84 % des espces cultives en Europe dpend directement de la pollinisation par les insectes et, plus particulirement, par les abeilles (Williams 1994). La pollinisation des cultures entomophilesconstitue donc un service conomique bien visible, mais cest un service fragile qui dpend pour une large part de lagro-cosystme qui entoure les parcelles (Kremen et al. 2002, Ricketts et al.2004). En France, comme dans les autres pays industrialiss, les populations dabeilles sont enrapide dclin depuis une cinquantaine dannes et cette tendance semble sacclrer (Williams1986, Rasmont & Mersch 1988, Corbet et al. 1991, Day 1991, Banaszak 1995). Les facteursresponsables sont multiples et lon peut citer les changements de rotation (rduction des surfaces delgumineuses fourragres) et lintensification des pratiques agricoles (Banaszak 1995), leremembrement et la fragmentation des habitats (Steffan-Dewenter & Tscharntke 1999, Steffan-Dewenter et al. 2002), et les applications de pesticides (Kevan 1977, OToole 1993) avec desurcrot, pour labeille domestique, les ravages de lacarien parasiteVarroa destructor qui risquentde se renouveler si le coloptre des ruches Aethina tumida dj prsent en Amrique du Nordsinstalle en Europe. Aujourdhui labondance mais aussi la biodiversit des abeilles apparaissenttous deux comme des facteurs de production pour les cultures entomophiles (Klein et al. 2002,Roubik 2002). Il apparat donc essentiel de ne pas miser sur une seule espce de pollinisateurs et de prendre en compte limportance des interactions entre milieux naturel et cultiv pour la faune pollinisatrice comme pour la pollinisation des plantes cultives mais aussi sauvages (exemple desOphrys polliniss par leurre sexuel par des mles dAndrnes qui se nourrissent de nectar et pollensur dautres plantes dont des espces cultives). La biodiversit des pollinisateurs dans les parcellesagricoles est positivement corrle avec la proportion de milieu naturel dans lenvironnement et ladistance des parcelles aux zones de milieu naturel ou semi-naturel les plus proches (Kremen et al.2002 & 2004, Ricketts et al. 2004). Mais cette interaction est double tranchant car en Europe plusde 80 % des abeilles sauvages sont solitaires (Westrich 1989) et, pour ces dernires, les dosessubltales de pesticide, selon la terminologie employe pour labeille domestique, savrent

    gnralement ltales dun point de vue cologique puisque les insectes contamins nont pas dedescendance.

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    Pour mieux cerner lampleur et les consquences potentielles du dclin de la biodiversit sur les cosystmes europens, le programme intgr ALARM (AssessingLArge-scale environmentalRisks for biodiversity with testedMethods ;http://www.alarmproject.net) a pour objectif sur cinq ans (2004-2008) de quantifier les risques encourus par la biodiversit terrestre et aquatique ainsi que

    limpact potentiel de son dclin lchelle de lEurope. Avec 52 partenaires, ALARM constitue ce jour le plus important programme de recherche sur la biodiversit financ par lUnionEuropenne. Il comprend 4 modules (changements climatiques, produits chimiques, espcesinvasives et pollinisateurs) complts par un module transversal socio-conomique. Dans le cadredu module pollinisateurs, lobjectif est de dterminer lvolution rcente des populations dinsectes pollinisateurs et dvaluer limpact potentiel de leur dclin sur la flore sauvage et les cultures enEurope. En 1996, la FAO (Nations Unies) a lanc un cri d'alarme lattention de tous lesgouvernements pour sauvegarder cette faune pollinisatrice et favoriser la survie de ces auxiliairesqui contribuent notre menu quotidien aussi bien qu la beaut de nos paysages les plus chers.Aujourdhui les travaux de recherche doivent permettre de mobiliser de nouvelles connaissances pour y rpondre.

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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