À prendre ou à laisser -...

508

Transcript of À prendre ou à laisser -...

Édition originale parue aux États-Unisen 2012

sous le titre Love ‘Em or Leave ‘Em auxÉditions Montlake Romance.

Publié par

AmazonCrossing, Amazon Media EUSARL

5, rue Plaetis, L-2338, LuxembourgNovembre 2015

Copyright © Édition originale 2012

par Montlake RomanceTous droits réservés.

Copyright © Édition française 2015

traduite par Pascale Voilley

Conception de la couverture par :bürosüd° München, www.buerosued.de

ISBN : 9781503949607

www.apub.com

TABLES DES MATIÈRES

CHAPITRE 1CHAPITRE 2CHAPITRE 3CHAPITRE 4CHAPITRE 5CHAPITRE 6CHAPITRE 7CHAPITRE 8CHAPITRE 9CHAPITRE 10CHAPITRE 11

CHAPITRE 12CHAPITRE 13CHAPITRE 14CHAPITRE 15CHAPITRE 16CHAPITRE 17À PROPOS DE L'AUTEUR

CHAPITRE 1

Emportée dans sa limousine, Ashleyessayait de se rappeler comment diableelle s’était fourrée dans ce guêpier. Lesféeriques demeures qui bordent lesplages de la côte sud de la Californiedéfilaient sous ses yeux. Elle alluma sontéléphone et appuya sur la toucheRappel. Au bout de quelques secondes àpeine, une voix lui répondit.

« Tu n’as pas le droit de m’appelermaintenant. Tu n’es même pas censée

avoir un portable.— Kelli, qu’est-ce qui m’est passé

par la tête ? Comment t’ai-je laissée meconvaincre de faire ça ? »

Kelli était son amie la plus proche, laseule qui connaissait tout de sa vie, ycompris ses secrets les plusembarrassants.

« Où es-tu, Ashley ? Où exactement ?— Tu sais pertinemment que je ferais

n’importe quoi pour toi, mais là, çadépasse les bornes. »

Le téléphone coincé contre l’oreille,Ashley contemplait avec incrédulité lemagnifique fourreau de soie noirequ’elle venait d’enfiler pour la premièrefois et les ravissants escarpins quiornaient ses pieds. Leurs fines lanières

noires étaient des plus élégantes, et leursfaux diamants brillaient comme desvrais.

« Ashley ?— Je suis dans la voiture, je veux

dire, dans la limousine. On traverse unquartier très chic. J’ai peur de vomir. »

Dans quelques instants à peine, elleallait arriver sur le plateau de ladernière version d’une émission de télé-réalité intitulée À prendre ou à laisser.

« Tu sais à quel point je déteste cegenre d’émission.

— Bien sûr que je le sais, mais tu esen passe de me faire une faveurimmense. J’ai une dette colossale enverstoi. De la taille d’un cocktail géant auchocolat. »

Elle était tout simplement en train desauver la carrière de Kelli. À ladernière minute, une des candidatesavait débarqué sur le plateau avec unescarlatine carabinée. La malheureuses’était enduit le visage d’une tonne demaquillage, mais en vain. Malgré toutesses protestations, les producteurs étaientrestés inflexibles. Et c’est ainsi queKelli, pour ne pas perdre son boulot dedirectrice de casting, en avait été réduiteà supplier Ashley de remplacer la filleau pied levé.

Ashley se laissa aller contre labanquette arrière et essaya de sedétendre. Le ciel nocturne luisaitfaiblement à travers la vitre teintée dutoit ouvrant.

« Qu’est-ce que je fabrique là ? Hierje traquais une offre d’emploi dans lespages des petites annonces, etaujourd’hui je me retrouve au milieud’un groupe de jeunes gourdes qui sebattent pour la main d’un célibatairen’aspirant qu’à s’envoyer en l’air ou àvivre son quart d’heure de gloiremédiatique.

— Reprends-toi. Tu peux très bien yarriver. Tu te souviens de notre plan ?Tout ce que tu dois garder à l’esprit,c’est de ne pas faire de vagues et de nepas te faire remarquer.

— Je sais, et comme ça, je quitterail’émission dès la fin de la soirée. Leproblème, c’est que ce genre d’émissionva à l’encontre de toutes mes valeurs.

Depuis quand est-il normal de se pointersur le plateau d’un jeu télévisé pourdécider de son avenir ? De tomberamoureuse en l’espace de six semainespour amuser les foules ? Ça n’a pas desens. Qui peut bien accorder du crédit àde telles émissions ? »

Ashley avait suffisamment observé letravail de Kelli en amont du tournagepour savoir que ces parodies étaientplanifiées dans leurs moindres détailsafin d’éviter tout pépin. Chaque Barbiede ce harem provisoire avait étésélectionnée pour une raison bienprécise.

« Je comprends très bien ce que turessens, mais tiens le coup, et si tout vacomme prévu, demain tu ne feras plus

partie de l’émission.— Ça me fait gerber !— Je sais, et je suis vraiment

désolée. Si j’avais eu une autre option,crois-moi, je l’aurais prise. Tu es maplanche de salut, et tu as droit à mareconnaissance éternelle. Maintenant,écoute-moi bien. Prends sur toi, et toutse passera très bien. Tu es splendide. »

Ashley n’en croyait pas ses yeux.Sans égard pour ses états d’âme, Kelliavait transformé l’apparence de sonamie en un tournemain.

« Je te rappellerai plus tard pourcontinuer mes jérémiades et t’arracherde nouvelles excuses.

— Pas question ! Range-moi cetéléphone, et ne laisse personne

s’apercevoir que tu l’as en tapossession. Respire profondément etprofite de la soirée. Tu es belle commeun cœur ! Essaye de t’amuser un peu.

— Aucune chance. Je compte sur toidemain. Savoure mes souffrances et meshumiliations parce que c’est bien ladernière fois que je me laisse piéger. »

Sur ce, elle referma son téléphone etle glissa dans son minuscule sac à main,respira à fond plusieurs fois et se remit àcontempler ses pieds.

Grâce à une séance chez le pédicure,ses orteils avaient fière allure. Un géniedu maquillage avait fait de son visagetrès banal de copine sympa un véritablechef-d’œuvre. Toutefois, le coiffeuraurait eu besoin de plus de temps pour

aboutir à un résultat parfait. D’ordinaire,elle se maquillait très peu et n’était pasdu genre à se pomponner. Chez elle, ellene portait le plus souvent qu’un shortample, un T-shirt informe et deconfortables tongs orange. Pas vraimentla classe.

La limousine ralentit et se dirigeavers une superbe demeure de styleespagnol au bout d’une longue allée enbriques. On se serait cru dans les pagesd’un magazine.

Nom d’une pipe ! Il y avait descaméras partout. Comment avait-elle puoublier ce détail ? Elle se sentit encoremoins à son aise.

Pourvu que je survive à ce cirque !Pour ma dignité, c’est fichu, mais

qu’au moins je ne perde pas la tête.Ashley aurait préféré passer sa vieentière toute seule plutôt qued’apparaître devant les caméras dans lerôle de la débutante anxieuse à l’idée dedevoir plaire à tout prix. Pourvu que çase termine le plus vite possible !

La limousine s’arrêta entre deuxprojecteurs. Il y avait trois camérasvissées sur des trépieds et deuxmanuelles. À quelques mètres de laporte se détachait une silhouetteimposante.

Oh, non, le voilà.Il était très grand, plus d’un mètre

quatre-vingt, et large d’épaules. Unemain dans la poche de son pantalon, ilaimantait les regards. Avec ses hanches

étroites et ses longues jambes fines, ilavait l’air d’être en pleine forme. Ilrayonnait de confiance en lui, et le cœurd’Ashley se mit à battre plus vite. Elleétait encore trop loin pour distinguer sestraits, mais dans la pénombre ilparaissait séduisant.

Bon, peut-être que ça va aller aprèstout. Flirter avec un gars mignon àcroquer serait moins pénible.Franchement, ce n’était pas ce qu’elleavait connu de pire.

Ashley se demanda qui cela pouvaitbien être. Tout ce que Kelli avaitaccepté de lui révéler, c’était qu’il étaitcélèbre et très populaire.

Normalement, Ashley n’aurait jamaischoisi de sortir avec le genre de type qui

cherche la femme de sa vie à latélévision.

Son cœur battait la chamade et elleavait les mains moites. En proie à unstress terrible, elle sentit son ventre secontracter douloureusement et sedemanda sérieusement s’il ne valait pasmieux faire une crise de nerfs tout desuite.

La porte du véhicule s’ouvrit et lesflashs crépitèrent.

Le temps s’arrêta.Ashley était incapable de descendre

de la voiture. Tout le monde l’attendait,mais c’était plus fort qu’elle. Elle gonflases poumons et relâcha l’air lentement,dans un intense effort pour arriver à sepropulser hors de la limousine. Pas de

quoi en faire un fromage. Elle avait durépondant et ne se laissait pas abattre aupremier obstacle.

Avec un sourire de circonstance, elleparvint à s’extraire prudemment de lavoiture en prenant appui sur la porte etse dirigea vers le mystérieux célibataire.Le cercle des caméras se referma autourd’elle dans une aveuglante nuée deflashs.

Toto, nous ne sommes plus auKansas.

L’ombre de l’homme commença à sedessiner malgré les projecteurs, et ellecontinua à avancer dans sa directionavec un sourire qui se voulait amical.

Badaboum !Emportée par son élan, elle trébucha

dans un grand bruit de tissu qui sedéchire. Du coin de l’œil, elle vitMonsieur Le Barraqué se précipiter àson secours, mais trop tard. Elle avaitjoué la grande scène de « la Minette auras des pâquerettes ». Incroyable ! Pourquelqu’un dont le but était de ne pasfaire de vagues, elle avait réussi lenaufrage du Titanic.

Elle tomba la tête la première,comme un rugbyman qui marque unessai. Évidemment, ses paumes et sesgenoux en avaient pris un coup.

Il y a toutes les chances que j’aiedéchiré la robe qu’on m’a prêtée.

Les yeux fixés sur la paire dechaussures immaculées qui étaientvenues à sa rencontre, elle se demanda

comment tirer son épingle du jeu. Avait-on droit à une deuxième prise dans cegenre d’émission ? Elle eut la tentationde se réfugier dans la limousine avantqu’il ne soit trop tard et de filer àl’anglaise.

Elle grinça des dents en souhaitantardemment que la terre s’ouvre sous sespieds. Certes, ce n’était pas la premièrefois qu’elle se ridiculisait en public.Elle était douée pour ça.

Pendant qu’elle tentait de reprendreson équilibre, elle sentit que lemystérieux célibataire cherchait àl’aider.

Elle se retourna dans l’espoir quequelqu’un allait crier : « Coupez, onreprend tout ! », mais rien de tel ne se

produisit.Une voix grave et un peu rauque lui

chuchota : « Laissez-moi vous aider. »Elle y décela une pointe d’accent duSud, et une sincère compassion.

« Non, merci, tout va bien, » dit-elleen essayant en vain de se dégager de sonétreinte.

Maintenant qu’elle avait retrouvé laverticale, elle constata que le bonhommeétait vraiment grand.

Elle rejeta ses cheveux en arrière ets’aperçut que l’homme la soutenaitencore d’une pression rassurante. Leregardant enfin droit dans les yeux, ellerépéta : « Tout va bien. »

Ses yeux exprimaient une authentiquesollicitude, et Ashley, qui ne se sentait

pas prête pour cela, préféra détournerson regard. C’était à mille lieues del’impression qu’elle avait rêvée deproduire, mais au moins, il ne risquaitpas de l’oublier.

Juste à ce moment-là, il eut le culotd’éclater de rire. Oh, pas d’un gros rirejovial, mais il ne put réprimer une sortede gloussement. Ashley avait desmèches collées à ses lèvres par sonrouge, et quand elle essaya de serecoiffer, ses cheveux laissèrent deszébrures sur ses joues.

Il continuait à la maintenir parl’épaule pour lui éviter de reperdrel’équilibre, ce qui lui donnait une vueplongeante sur son maquillage deguingois.

Avec un clin d’œil malicieux, il luisouffla :

« Alors, on tombe déjà à mespieds ? »

Leurs yeux se rencontrèrent.Le corps d’Ashley se figea

complètement.L’homme qui se tenait devant elle

était Luke Townsend, la gloireincontestée des terrains de footballaméricain, avec sa célèbre mâchoireciselée recouverte d’une barbe de troisjours. Pourquoi un type aussi connuserait-il venu chercher l’amour sur unplateau de télé-réalité ? Mais après tout,peu importe.

Ashley le contemplait, bouche bée.Génial, il aura vu toutes mes caries

d’un seul coup.Conscient de l’impression qu’il

produisait sur elle, il éclata de rire.Ashley se mit à rire elle aussi et

s’aperçut que les producteurs luifaisaient signe de s’avancer versl’entrée de la maison. D’un air hébété,elle le précéda à l’intérieur, en seretournant plusieurs fois pour vérifierqu’il n’y avait pas erreur sur lapersonne.

Je viens de tomber aux pieds deLuke Townsend. C’était le stratège del’équipe des Green Bay Packers,l’équipe fétiche du Wisconsin et de toutle pays. Pas de doute, les dieux sepayent ma tête. De Madison àMilwaukee, en passant par Eau Claire et

La Crosse, absolument toutes lespersonnes de sa connaissance étaientdevant leur écran en ce moment même.Les fans des Packers étaient d’unefidélité légendaire à leur équipe. Jecrois que je vais me rouler en boule etmourir toute seule dans mon coin. Oui,c’est la meilleure solution !

À l’intérieur, il y avait encore plus decaméras et une flopée de jeunes femmestoutes plus ravissantes les unes que lesautres. Si une chose sautait aux yeux,c’était qu’Ashley n’était pas à sa placedans ce groupe.

Quand elle s’approcha de la cohuedes prétendantes, elle eut la surprise deconstater que l’ambiance n’était pas

hostile, mais plutôt bon enfant. Bien sûr,chacune jaugeait ses rivales, mais pourl’instant personne n’avait sorti lesgriffes.

« Vous l’avez vu ? » s’exclama unevalkyrie à la poitrine pigeonnante.

Ce à quoi une brunette tout enrondeurs et à la dentition parfaitecouina :

« Il est beau comme un camion !— Vous saviez que c’était un joueur

de foot ? » demanda une blonde platinéedont le décolleté descendait jusqu’à sonnombril percé.

Ashley se faufila, dans l’espoir detrouver un coin tranquille où seplanquer.

Une autre beauté, au corps d’une

extrême finesse, s’exclama : « Comments’appelle-t-il ? D’où vient-il ? Je n’aijamais entendu parler de lui, mais peuimporte. »

Plus la pièce se remplissait defemmes sublimes, plus Ashley essayaitde raser les murs. La plupart desconcurrentes ignorait qui était LukeTownsend, ce qui prouvait qu’elles neregardaient pas les retransmissionssportives du samedi après-midi.

Toutes ces filles auraient pu prétendreau titre de Miss Amérique, alorsqu’Ashley avait un look passe-partout.Et pourtant, elle s’en moquait et n’avaitpas de complexe. Dans ce groupe degravures de mode, je ne ferai del’ombre à personne.

Questions et bavardages continuèrentjusqu’à l’arrivée de la vingt-cinquièmeet dernière candidate. À ce moment-là,Clay Stevens, l’animateur de l’émission,fit son entrée. Clay avait l’air du typelambda qui essaye de se lancer àHollywood grâce à une émission detélé-réalité. Il était blond-roux, avec unecoiffure savamment gominée à la RyanSeacrest qui jurait avec son smokingnoir, lequel tombait mal sur ses épaules.

« Bienvenue à la Villa Séville,mesdemoiselles, dit-il avec sa voixfaussement hollywoodienne. Je suis sûrque vous brûlez d’envie d’en savoir plussur notre célibataire, alors je ne vais pasvous faire mariner plus longtemps.Mesdemoiselles, j’ai le privilège de

vous présenter le célèbre stratège desGreen Bay Packers, monsieur LukeTownsend. » Sur ce, Clay désigna laporte d’un grand geste du bras.

Avec un sourire décontracté, Lukefranchit la porte et descendit les marchesqui menaient au grand salon où toutes lesfemmes étaient debout comme descierges sur leurs talons aiguilles.

« Bonsoir, mesdemoiselles, c’est unplaisir de faire enfin votreconnaissance, » dit-il en survolant lapièce d’un air un peu gauche.

Ashley savait que chacune de cesfemmes espérait recevoir une de sesquinze roses en fin de programme.

« Je dois dire en vérité que je n’aijamais été en aussi belle compagnie. »

Plusieurs femmes se rengorgèrent etlui lancèrent des œilladesreconnaissantes. Certaines souriaientnerveusement et murmuraient desparoles de bienvenue. D’autres, plusdélurées, n’hésitèrent pas à aller lesaluer de plus près et même à luiprendre la main ou à se frotter contre luipour qu’il ne les oublie pas.

Ce n’était pas du tout ce que cherchaitAshley. Elle aspirait à rester dans sontrou et à rentrer chez elle le plus vitepossible le soir même. La télé-réalité« spontanée », elle en avait eu sa dose.

Clay ordonna à tout le monde des’asseoir ou de rester debout en cercleautour de Luke pour lui permettre desaluer toutes les reines de beauté, les

arrivistes et les sirènes caressantes.« À vrai dire, ça me rend un peu

nerveux d’être tout seul au milieu devous toutes, dit Luke en jetant un regardcirculaire. Comme vous le savez, je n’aipas l’habitude d’attirer l’attention surmoi. »

Des cris de joie accueillirent cepropos. De son regard bleu acier, Lukecontinuait à observer les visages quil’entouraient. Beaucoup de femmesn’hésitaient pas à se pencher pour mieuxle voir et se faire remarquer. Une vénusbrune habillée de rouge, qui se trouvaitdroit dans sa ligne de mire, jouait de sesjolies jambes et de son décolleté avec leplus grand succès.

Assise à côté de la cheminée, Ashley

gardait les bras croisés et préféraitobserver le comportement des autresplutôt que de chercher à attirer l’œil deLuke.

Une blonde incendiaire qui s’étaitperchée sur le dossier d’un sofa étaitsuspendue à ses lèvres. Dans sa robe enlamé, elle paraissait tout droit sortie dela couverture de Vogue. Franchement,elle était à la limite de l’indécence. Uneautre, mince comme un rayon de lune,tripotait sa soyeuse chevelure noire en lefixant avec une convoitise manifeste.

« Je suis né et j’ai grandi à WhiskeyBayou, en Louisiane. J’ai un frère et unesœur, dit-il en faisant le tour de la pièce.J’ai consacré toute ma vie au football, etmaintenant je suis en fin de carrière. »

Des hochements de tête servilesaccueillaient chacune de ses paroles. Onaurait dit des chiens qui salivent àl’arrière d’une voiture.

« Comme vous vous en doutez, letemps passé à m’entraîner et à disputerdes matchs ne m’a pas laissé le loisir dem’occuper de ma vie sentimentale. C’estpourquoi, à trente-deux ans, j’ai bienl’intention de rattraper le temps perdu. »

Un soupir d’excitation parcourut lasalle, et certaines poussèrent de petitscris de guenons.

« Donc quand l’occasion derencontrer d’un seul coup tant de femmescharmantes s’est présentée, je me suisdit : pourquoi pas ? Mon but est detrouver la femme de ma vie et de me

consacrer à mon couple. En fait, ceserait l’aboutissement idéal d’unecarrière de rêve. »

À l’idée de devenir la femme de sesrêves, plusieurs femmes ouvrirent grandleurs quinquets. L’ambition luisait dansplus d’une paire d’yeux. Ashley nevoulait surtout pas être la femme de sesrêves.

« Je me réjouis de faire connaissanceavec chacune d’entre vous au fil desjours et des semaines que nous allonspasser ensemble. Alors, que la fêtecommence ! » acheva-t-il en se tournantvers Clay.

Sur ce, un orchestre se mit à jouer un airentraînant. Comme les femmes étaient

agglutinées autour de Luke, Ashleyn’avait aucun effort à faire pour resterhors de sa vue. Certaines lui faisaientune cour éhontée, tandis que d’autresessayaient des approches plus subtiles.C’était rigolo de voir les diversesstratégies déployées pour attirer sonattention.

Pendant ce temps, au buffet, malgrél’atmosphère un peu factice, Ashleyréussit à lier conversation avec deux outrois filles sympathiques. En dépit de sasilhouette élégante et de ses yeux enamande, Liz lui parut agréable et sansartifice. Elle en était à la rédaction deson mémoire de thèse et espérait passerquelques mois en Europe quand elle yaurait mis le point final. Rachel avait

l’air solide. C’était un tout petit brin defille, avec une coupe de lutin espiègle, etqui paraissait bien dans sa peau. Elleconfia à Ashley que participer à cetteémission n’était pour elle qu’uneaventure de plus. Elle avait traversé lePanama sac au dos l’été précédent etallait économiser son cachet pourfinancer une année en Nouvelle Zélande.Ça, c’est une vie qui me plairait. À l’encroire, elle n’avait posé sa candidature àl’émission que pour rigoler. Elle n’avaitpas eu de chance avec les garçonsjusqu’à présent et s’était dit que, dans lemeilleur des cas, elle pourrait se dégoterun beau mec avec du fric grâce àÀ prendre ou à laisser.

« Et toi, qu’est-ce qui t’amène ici ?

lui demanda Liz. Tu n’as pas l’air dugenre de fille qui cherche à se propulserà Hollywood par le biais de la télé-réalité.

— Non, en effet, » acquiesça Ashleyen survolant du regard toutes ces femmesqui rêvaient de devenir des vedettes.

Comment répondre à Liz sans trahirle secret de Kelli ?

« C’est une décision que j’ai prisesur un coup de tête, après avoir perdumon boulot et mon copain, avoua-t-elleen faisant mine de revivre cesexpériences pénibles. Ou disons que,dans un moment où ça n’allait pas trop,j’ai répondu à l’annonce pour meremonter le moral. J’ai pensé que sil’homme idéal existait, c’était dans cette

émission que je risquais de lerencontrer. »

Qu’elle se soit fait larguer par soncopain, ce n’était que trop exact, maisl’histoire de rencontrer l’homme idéal,c’était du pipeau.

« Alors, tu as le cœur en miettes,poursuivit Rachel. Quel dommage. Est-ce que c’était sérieux, toi et le gars enquestion ? »

Ashley n’avait aucune envied’aborder ce sujet douloureux. Il luiavait fallu trois ans pour s’apercevoirque Ken voyait d’autres filles, alorsqu’elle se considérait comme quasimentfiancée. Ses mauvais souvenirs luiremontaient à la gorge.

« Il m’a tellement trompée que je

n’avais plus qu’à tenter ma chanceailleurs.

— Quel salaud ! » commenta Rachel.À cet instant précis, Ashley était

d’avis que tous les mecs étaient dessalauds.

« Ma pauvre, finalement tu t’en sorsbien quand même. Et si tu l’avaisépousé ? Il valait mieux limiter lacasse, » fit remarquer Liz.

Liz et Rachel firent assaut desympathie envers Ashley, ets’accordèrent pour dire que la VillaSéville était le meilleur endroit pour sedétendre, cuver sa colère et flirter avecun beau mâle en attendant de passer àl’étape suivante. Le hic, c’est qu’ellen’avait envie de flirter ni avec Luke, ni

avec personne d’autre.« Mais au fond, comment vous le

trouvez, notre célibataire ? demanda Liz.— Pas vilain garçon, mais un peu

trop grand pour moi, répondit aussitôtRachel.

— Moi, sa taille ne me dérange pas,répliqua Liz avec un grand sourire. Enfait, de ce point de vue-là, il est parfait.J’aime les types grands. C’est chouettede devoir lever les yeux au lieu d’êtreau même niveau que son mec. Laquestion que je me pose, c’est s’il a dela matière grise. En général, plus le typeest beau, moins il est intelligent. Laperfection, ça n’existe pas.

— C’est vrai, on ne peut pas toutavoir. J’espère qu’il a le goût de

l’aventure, soupira Rachel.— Tu veux rire ? Les athlètes ont

toujours le sens de l’aventure. Ils sonttoujours à la poursuite d’un nouveautrophée, littéralement. C’est l’ambitionqui les fait avancer. Il leur faut toujoursun nouveau défi.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit quand il t’aaccueillie à l’extérieur ? demanda Liz.

— Il a été absolument charmant. Ils’est présenté et m’a souhaité labienvenue dans l’émission, dit Rachel.

— Et toi, Ashley, quelle a été tapremière impression ? »

Ashley se mordit les lèvres avant derépondre à cette difficile question.

« J’avais envie de vomir. »Liz et Rachel éclatèrent de rire, ce

qui attira l’attention de leurs voisines.« J’aurais bien aimé voir ça. Quelle

entrée en scène ! » dit Rachel.Ashley ne savait pas comment

dissimuler sa réticence à participer àl’émission.

« J’ai vraiment la phobie descaméras, et l’idée de faire desconfidences à un inconnu devant desmillions de téléspectateurs me donne lanausée. Et puis, j’ai l’impression d’êtreun jouet, une sorte de nouvelle voitureque le gars va tester avant de déciderlaquelle il achète. Franchement, ça nevous donne pas la chair de poule àvous ? ajouta-t-elle un ton plus bas.

— Tu as raison, mais ça peut êtrerigolo quand même, et de toute façon tu

n’es pas obligée d’accepter sa rose s’ilte la donne, dit Rachel d’un air mutin.

— Ça, c’est faux. Tu ne te rappellespas ce qu’on nous a expliqué aubriefing ? C’est le célibataire quicommande. Tu n’as pas le droit derentrer chez toi, même si tu en meursd’envie. C’est dans le contrat qu’on asigné. De toute manière, qui voudraitfiler en douce ? Ça va être marrantcomme tout, et je tiens à ma rose. Jeveux observer le show jusqu’au bout,voir qui il choisit, et qui il élimine.C’est une leçon de psychologie sanséquivalent, asséna Liz.

— Pour en revenir à nos moutons,Ashley, qu’est-ce qu’il t’a dit quand ilest venu vers toi ? reprit Rachel après

cette envolée.— « Ça va ? » répondit Ashley à

contrecœur.— Comment ça ? Il t’a juste dit : « Ça

va ? » demanda Liz qui trouvait bizarrela réponse d’Ashley.

— Tu ne lui as quand même pas vomidessus ? demanda Rachel pour lataquiner.

— Non, je me suis quasimenteffondrée à ses pieds. C’était l’arrivéedu siècle. Combien crois-tu qu’il y a defilles dans cette salle qui se sont casséla figure devant le type qu’elles sontsupposées impressionner ? En fait, j’aimême déchiré l’ourlet de ma robe. Vousn’auriez pas des ciseaux, par hasard ?Tel que c’est parti, je risque de

trébucher et de faire un jeu de massacreautour de moi, confessa-t-elle enrougissant.

— Pas possible ! Tu t’es vraimentcassée la figure devant lui ! C’estincroyable, dit Rachel sans pouvoircontenir son hilarité, qui se révélacontagieuse, y compris pour Ashley elle-même.

— Et ce n’est pas tout, regardez mesorteils, » ajouta-t-elle en leur montrantle vernis à ongles râpé dans sa chute.

Leur amitié fut scellée par d’autresanecdotes sur leurs grands moments desolitude. Toutefois, Ashley était la seulepour qui ce genre d’incident se soitproduit à l’antenne.

Au fil de la soirée, les producteurs

veillèrent à ce que chaque candidatediscute en tête-à-tête avec Luke avant lacérémonie de la remise de la rose.Ashley fit un vœu pour qu’il l’oublie.

« Ashley ? cria un des producteursdepuis l’autre côté de la pièce.

— Oui ?— Ça va être à toi, » lui annonça le

gringalet.Elle posa son verre et alla vers lui.« Par ici, s’il te plaît. »Le moment tant redouté arrivait. Le

producteur la conduisit vers une autresalle. Le cœur d’Ashley s’était remis àbattre à cent à l’heure, et elle avait biendu mal à garder son calme apparent. Cen’est pas la mer à boire. Il suffit que jesois assez godiche pour qu’il n’ait pas

envie de me garder, sans pour autantme couvrir de ridicule devant le paysentier.

Une confortable causeuse en rotin setrouvait sous une véranda d’où il y avaitune vue spectaculaire sur San Diego.Des lumignons scintillaient dans lesbranches des arbres du jardin de lavilla, et l’odeur entêtante de lavégétation en fleur flottait dansl’atmosphère.

Une caméra était braquée sur levisage de Luke, et l’autre sur le siègevide à côté de lui. Il y avait du matérielpartout, et Ashley trembla de peur enenjambant le fouillis de câbles quiencombrait le sol.

« Re-bonjour, » lui dit-il en lui tendantla main. Bien qu’il se soit levé pourl’accueillir, elle était presque à sahauteur, grâce à ses talons.

Elle perdit tous ses moyens et, au lieud’un simple bonjour, elle se mit àbafouiller. Cette fois, c’était sa langue etnon sa robe qui la trahissait. Mortifiée,elle le fixa du regard.

« Devrais-je être sur mes gardes, aucas où vous essayeriez de me plaquer ausol ? » l’interrompit-il pour la mettre àl’aise.

Elle devait tenter de détourner laconversation sur le sujet le plus neutre etle plus ennuyeux qui soit.

« Vous savez que je m’appelle Luke,mais je n’ai pas saisi votre nom quand

vous êtes arrivée tout à l’heure, dit-il ense penchant vers elle comme pour boireses paroles.

— C’est parce que je ne l’ai paslancé comme un ballon ! Vouscomprenez la blague ? »

Bien qu’elle fût décidée à vaincre satimidité, tout ce qu’elle parvenait àfaire, c’était à avoir l’air hystérique.

Luke la regardait sans savoir où ellevoulait en venir.

Pourvu qu’il n’aille pas s’imaginerqu’elle avait fait exprès de tomber à sespieds ! Tout mais pas ça.

Consciente de la présence descaméras tout autour d’eux, Ashley nesavait plus comment s’en tirer. Elle seracla la gorge et fit une nouvelle

tentative pour avoir une conversationbanale avec Luke.

« Ashley, Ashley Reynolds. Commele célèbre papier d’alu. »

Manifestement, Luke ne passait passes journées en cuisine, et la marque nelui évoquait rien.

« Ravi de vous rencontrer, AshleyReynolds, » dit-il prudemment, commesi elle avait vraiment perdu un boulon.

Cependant, il lui prit les mains dansses pognes musclées qui avaient gagnéle Super Bowl plusieurs fois, et laregarda au fond des yeux, comme s’ilvoulait graver son image en lui pour lasuite.

« D’où êtes-vous ?— Du Wisconsin.

— Sans blague. Alors, on est du paystous les deux. De quel coin duWisconsin ?

— Madison. Ce n’est pas la porte àcôté.

— Mais quand même, vous devezbien connaître les Packers, » dit-il ens’étirant et en se carrant confortablementdans son siège.

Bien sûr, il était impossible d’avoirpassé son enfance dans le Wisconsinsans connaître l’équipe et ses milliers desupporters. La presse et la télé suivaientpas à pas chaque saison de l’équipemythique, et Luke se taillait la part dulion. Il était le chouchou de l’équipe,jeune, sexy en diable et sûr de lui.

« Avez-vous jamais assisté à un

match ? »Ses yeux se mettaient à briller dès

qu’il évoquait son équipe.« Oui, évidemment, répliqua-t-elle en

souriant malgré elle.— Ça vous a plu ?— Oui et non. C’était il y a environ

trois ans, en automne, et il faisait unechaleur à crever.

— Je vois, dit-il en la contemplantavec intérêt.

— J’y suis allée en car avec unebande de copains. Ce n’était pas joli àvoir. On a fait la fête jusqu’à Madison,et puis on a pique-niqué sur le parkingdu stade. Du coup, on a failli manquer lecoup d’envoi. J’ai honte de vousraconter ça.

— Pas du tout, ça m’intéresse.— Je crois me rappeler qu’on a aimé

le match, mais pour être honnête je neme souviens pas de grand-chose, si cen’est qu’on hurlait chaque fois quel’équipe marquait un point. Ça devaitêtre un sacré match parce qu’on s’estvraiment égosillés. »

Pour ne pas trop flatter sa vanité, quin’en avait absolument pas besoin, elle secrut obligée d’ajouter :

« En réalité, je suis surtout fan desCowboys, et c’est pour eux que je suisallée à ce match. Tony Romo, il estcanon ! »

Et elle fit semblant de s’éventer ausouvenir de ce joueur qui avait grandidans le Wisconsin.

« Les Cowboys ! Vous me faitesmarcher.

— Mais l’ambiance avant le matchétait d’enfer. Je ne m’étais jamais autantamusée.

— C’est toujours comme ça. Monfrère me raconte la même chose. Il a descentaines d’anecdotes. Je vois ça quandj’arrive au stade, des heures avant lematch. Parfois je meurs d’envie desauter par-dessus la barrière et d’allerm’amuser moi aussi, mais mon boulotest d’assurer le spectacle. Enfin, ça faitplaisir quand même de voir les fans quiapportent leur barbecue, des tonnes debouffe, des banderoles, et même parfoisde petits orchestres pour animer leparking. »

Il croisa les jambes avec une énergievirile.

« Parfois, je me demande si toutesces coutumes ne sont pas plusimportantes pour les fans que le matchlui-même.

— C’est vrai que les fans desPackers savent faire la fête, mais ils ontaussi un grand nombre de vraiestraditions, ajouta Luke.

— Il faut bien trouver un moyen de nepas peler de froid.

— Je suis content de savoir que çavous a plu, même si vous ne voussouvenez ni de mon jeu ni du match. Moinon plus, je n’ai aucun souvenir devous, » acheva-t-il plaisamment.

Ashley se laissait envahir par son

aura. Grâce à son physique et soncomportement, il dominait les autreshommes de cent coudées. Grand, large,musclé, il avait la carrure d’uncapitaine, dans la vie comme sur leterrain. Et pourtant, à part ça, il avait latête d’un gentil voisin et même unelégère cicatrice sur la lèvre supérieure.Si on regardait le tout, c’était vraimentune belle bête. Au fil des ans, elle avaitvu des dizaines de photos de lui dans lesjournaux, mais il était mieux en chair eten os. Ce soir-là, il avait vraiment fièreallure avec son col roulé et sa vestesombre. Après tout, ça valait sans doutela peine de rester dans l’émission, justepour se rincer l’œil.

Le producteur lui fit signe que c’était

le moment de laisser la place à la fillesuivante.

« J’ai été heureuse de faire votreconnaissance et de rencontrer l’hommequi se cache derrière toutes ces photos.

— Eh bien, à plus tard Madison. »Elle se demanda ce qu’il entendait

par là. « À plus tard ? » Il avait doncl’intention de lui donner une rose ?Pourvu que non… enfin, peut-être pas.Finalement, c’était une chance d’avoirpassé un moment à bavarder avec lecélèbre Luke Townsend. Il avait l’aircool.

Et surtout, il était vraiment sexy.

CHAPITRE 2

Ashley n’avait jamais vu une tellegalerie de visages aussi parfaitementpoudrés et maquillés. La beauté de cesfemmes était absolument incroyable, etelles étaient toutes habillées comme sielles allaient à la remise des Oscars. Lesalon rempli de bouquets splendides etde femmes qui l’étaient plus encoreaurait pu faire la couverture de VanityFair.

En dehors des candidates, il y avait

une foule de caméramans, deproducteurs, et d’assistants en tout genreoccupés à bouger les meubles. Lesproducteurs, eux, veillaient à ce quechacune des vingt-cinq prétendantes soitdans le collimateur d’au moins une desmultiples caméras. De l’autre côté de lapièce, Luke faisait face au groupe avecun panier de roses rouges à sadisposition sur une table. L’excitation etla tension ne cessaient de croître.

Un homme d’une cinquantained’années se racla la gorge avant de seprésenter. Aussitôt le calme revint dansla salle.

« Bonsoir, puis-je avoir votreattention, s’il vous plaît ? Je m’appelleJim Davis, et je suis le producteur en

chef de cette émission. Je voudrais toutd’abord vous souhaiter la bienvenue surle plateau de notre première saison, dontnous attendons beaucoup. Revenonsrapidement sur un ou deux points debase. Il faut vous habituer à la présencedes caméras, qui seront partout afin defilmer tout ce que vous faites. »

À cette annonce, qui leur rappelait levoyeurisme intrinsèque de l’émission,les femmes échangèrent des regards à lafois inquiets et coquins.

« Le seul endroit où il n’y a pas decaméras, c’est la salle de bains. Je saisqu’au début vous trouverez un peubizarre d’être filmées en permanence,mais je vous garantis que d’ici un jourou deux vous n’y prêterez plus

attention. »Mon œil ! Ashley ne voyait vraiment

pas comment elle pourrait oublier uneseconde la présence de cette foule degens, avec tout leur matériel volumineuxsur lequel on pouvait trébucher à toutinstant.

« Nos caméramans sont desprofessionnels. Leur boulot est de filmertout ce qui se passe d’amusant sanstraîner dans vos pattes. Mais je doisinsister sur un point : ils n’ont pas ledroit de vous parler, et vous n’avez pasle droit de leur adresser la parole. Sivous avez un problème, mais seulementen cas d’urgence, c’est à moi ou à l’unde mes assistants que vous devez vousadresser. Le but est que vous vous

comportiez au maximum comme si nousn’étions pas là. Et pour finir, je voudraisvous rappeler que vous avez signé uncontrat qui vous engage à participer àl’émission jusqu’à ce que notre invitévedette vous libère. Nous avons deformidables images de l’arrivée dechacune d’entre vous. Au nom de toutel’équipe, je vous félicite pour ce débutprometteur. Maintenant, c’est à vous dejouer. Détendez-vous, amusez-vous bien,et soyez vous-même. »

Hélas, Ashley avait déjà eu l’occasiond’être immortalisée sur pellicule, et laplupart du temps, ce que la caméraconservait pour la postérité n’était pasvraiment glorieux.

Au lycée, elle avait été victime d’uncanular. Tom Hanson était le gars le plusmignon de la terre, et elle était folle delui. Malheureusement, ça agaçait Tom.Quand il s’aperçut qu’elle lui vouait unvéritable culte, il décida de l’humilier,et comme il était le photographe officieldu journal de l’école, son appareildevint son arme de prédilection. Ilcommença par lui infliger unehumiliation inoubliable lorsqu’il publiadans le journal en question une photod’elle avec la légende : SOS relooking !

Et ce n’était que le début. Des photoshorribles d’elle paraissaientconstamment. Une fois, dans lesvestiaires, il la prit par surprise alorsqu’elle était en train d’essayer son

costume pour la pièce de fin d’année. Àl’époque, elle avait une poitrineminuscule, et être vue avec son soutien-gorge pathétique lui avait donné uneexpression de chien battu. Il laphotographia en train de se moucher oude sortir des toilettes avec du papierWC collé à ses chaussures. Ça ne rataitpas : chaque fois qu’elle faisait uneboulette, il était là pour l’immortaliser.Ce petit salaud avait placardé desphotocopies de ses sous-vêtements danstoute l’école, et les autres garçonsprenaient un malin plaisir à les garderdans leur casier, pour se marrer. Il n’yavait aucun moyen d’enrayer lephénomène. Il avait même réussi àintercaler des diapositives d’elle dans

un diaporama prévu pour un cours desciences naturelles. À l’issue de cetteamère expérience, Ashley avait tout faitpour fuir les photographes en se jurantqu’elle ne montrerait plus jamais à ungarçon qu’il lui plaisait.

Jusqu’ici elle avait déjà réussi à seridiculiser une fois en se prenant lespieds dans sa robe, mais heureusementelle ne s’était pas cassé la mâchoire.Elle était plus déterminée que jamais àéviter les caméras. Dans un groupe aussinombreux, ça ne devrait pas être tropcompliqué de se planquer. Il lui suffiraitde passer ses journées dans la salle debains.

Elle avait l’impression qu’elle étaitau garde-à-vous depuis des heures, et

elle avait très mal aux pieds.Le discours de Jim Davis terminé, les

producteurs pouvaient passer à la suite.Sous les feux des projecteurs, ClayStevens fit son entrée, la mine grave,comme s’il allait présenter unastrophysicien plutôt qu’une émission detélé-réalité.

« Mesdames, je ne doute pas quevous vous êtes régalées en compagnie deLuke, et que vous avez tiré parti de votretête-à-tête avec lui pour vous montrersous votre meilleur jour. Luke, êtes-vousprêt ? »

Luke acquiesça de la tête tout enexaminant Clay d’un œil critique. Ilparaissait fasciné par sa coiffure hyperélaborée, une vraie meringue. Dire qu’il

devait dépenser une fortune pour cerésultat désolant.

« La cérémonie peut commencer. »

L’atmosphère redevint électrique, et lesvisages se tendirent. Certainescandidates affichaient une confiance àtoute épreuve, alors que d’autressemblaient supplier Luke de lesregarder.

Mm… mm… mm…Qu’est-ce que c’est que ce

bourdonnement ? Ashley se tourna verssa gauche, où elle imaginait qu’unecaméra avait un problème technique.

Mais pas du tout : sa voisine, poingsserrés, le visage figé dans uneexpression de concentration absolue,

marmonnait en boucle : moi, moi, moi.Une blonde qui se tenait au premier

rang se retourna d’un bloc et lui jeta :« La ferme ! ». Puis elle reprit la pose,poitrine en avant et sourire enjôleur auxlèvres.

Ashley effleura le poing serré de lamalheureuse tétanisée par son désird’être sélectionnée et lui murmura :

« Ça va aller, ne t’en fais pas.La fille sembla se calmer un tout petit

peu. »Ashley fixa le bout de mur au-dessus

de la tête de Luke en essayant de prendrel’air le plus détaché possible, sans sefaire remarquer. Si elle parvenait à sefondre dans le paysage, il ne lachoisirait pas. C’était comme à l’école :

Quand on réussissait à s’asseoir juste àcôté du prof, celui-ci ne vous voyait paset ne vous interrogeait pas.

Son plus cher désir était de rentrerchez elle, mais elle devait respecter lapromesse faite à Kelli.

Le processus de sélection commença.Luke annonça les noms un par un. Lesunes après les autres, les filless’avançaient vers lui, et toutes, sansexception, acceptaient la rose. Lindsey,Kate, Jenny… Rachel… Liz… Ashleyfut contente que ses nouvelles copinessoient retenues. Elle ne pensait plus qu’àune chose : changer de chaussures.

Gwen, la fille aux poings serrés,Melissa, Meg. Arrivé aux trois dernièresroses, Luke ralentit le rythme. Avait-il un

problème de mémoire, ou hésitait-ilentre les candidates restantes ?

Pour ce dernier carré, la tension étaità son comble, et certaines avaient dumal à conserver leur dignité alors que lachaleur et l’angoisse les faisaientabondamment transpirer. Pour Ashley,c’était l’inverse : la liberté était en vue.Encore quelques instants pénibles àpasser, et elle pourrait rentrer chez elleet réfléchir à ce qu’elle allait exiger deKelli en échange de cette soirée.

Mais la cérémonie traînait enlongueur, le producteur cherchant àvarier les angles et les cadrages. Ashleyn’en pouvait plus, et elle ferma les yeuxsans même s’en apercevoir. C’était àdormir debout, littéralement.

Encore deux ou trois noms et c’estbon.

« Ashley. »Tout le monde se tourna vers elle. Liz

et Rachel tentèrent d’attirer sonattention. Luke fit une petite moueironique et répéta son nom, cette fois surun ton interrogatif :

« Ashley ? »Ashley était livide, en proie à une

panique indescriptible.Luke fronça les sourcils.« Oh, je suis vraiment désolée, dit-

elle en s’avançant enfin vers lui, rougede confusion.

— Pas de souci. Vous n’êtes pasobligée d’accepter, dit-il en cachant larose derrière son dos avec une

coquetterie affectée.— D’accord, » répondit Ashley avec

un grand sourire.Avant même qu’elle ait pu faire demi-

tour, Luke lui agrippa le bras pour ladeuxième fois de la soirée.

« Acceptez-vous cette rose ?— Oh, et puis pourquoi pas, après

tout, » dit-elle en haussant les épaules.Leurs regards se croisèrent de

nouveau lorsqu’elle tendit la main pourprendre sa rose, et ils échangèrent unsourire complice. Ashley retourna dansle camp des « vainqueurs », où Liz etRachel l’accueillirent avec le « V » dela victoire. Sur vingt-cinq prétendantes,il n’en restait plus que quinze à l’issuede cette première hécatombe.

Les dix filles éliminées firent leursadieux à Luke avant de quitter la salle.Clay déboucha le champagne et tout lemonde porta un toast à la réussite decette aventure. En fin de compte, Ashleyétait d’excellente humeur. La soiréeavait été épuisante mais passionnanteaussi. Elle était soulagée d’avoir deuxbonnes copines qui l’aideraient à ne pasperdre la boule pendant l’étape suivante.

Le soleil inondait la chambre,empêchant Ashley de continuer à dormirtranquillement. Elle avait beau enfoncerson visage dans l’oreiller, la lumièreétait trop vive.

De l’autre côté de la porte, des genscouraient, criaient, glapissaient. Pas

moyen de se rendormir avec ce chahut.Peu à peu, Ashley commençait à serappeler où elle était. Elle n’avait pasperdu son boulot, et elle n’allait pas êtreexpulsée. Elle était dans une grandemaison, une sorte de palais, au milieu defilles qu’elle ne connaissait ni d’Ève nid’Adam, et qui jouaient à se poursuivredans les couloirs comme des gamines dedix ans.

« Ashley, debout ! » cria Liz entambourinant sur la porte.

Ashley envoya valser l’oreiller etouvrit les yeux. Cette fois-ci, elle y était.Elle venait de passer la nuit dans unendroit inconnu avec un grouped’inconnues, et elle se faisait passerpour une femme prête à tout pour séduire

le célibataire, qui n’était autre quel’adorable Luke Townsend.

Pas question ! Son but était de quitterl’émission en douce, d’encaisser sonchèque et de décrocher un boulotrespectable.

Ashley examina la pièce où elle setrouvait. Par chance, Liz et Rachell’avaient entraînée avec elles au momentde l’attribution des chambres, pourqu’elle ne se trouve pas en mauvaisecompagnie.

La quatrième de la chambrée étaitGwen. Quand elles étaient enfin montéesà l’étage, Ashley était tellement épuiséequ’elle s’était effondrée tout de suitedans son lit.

Maintenant, c’était l’heure des

comptes. Hier soir, pendant la ruée pourprendre possession de la plus joliechambre, Ashley était restée en arrière.Les chambres qui donnaient sur l’océanou sur la piscine étaient les plusconvoitées. Par conséquent, Ashley seretrouvait dans une toute petite chambreà quatre lits, dont trois avaient sansdoute été ajoutés pour les besoins dutournage. Il y avait deux petitescommodes, une pour chaque paire delits. Le carrelage coloré était agrémentéde carpettes tissées à la main de styleespagnol. Dans un coin se trouvait unpetit bureau et dans un autre se dressaitun gigantesque ficus en pot. Un placardpresque symbolique était censé abriterquatre garde-robes. Heureusement, il y

avait un petit balcon meublé d’une tableet de deux chaises. Certes, il donnaitessentiellement sur le parking, mais onvoyait aussi de la verdure et despalmiers. Ce n’était pas si mal en fait.

La porte s’ouvrit et Rachel passa latête par l’entrebâillement.

« Bouge-toi ! Tu es en train de toutrater. Le courrier est arrivé, et il y a untruc ce soir.

— Oh, super ! répondit Ashley enfeignant une excitation qu’elle était loinde ressentir.

— Dépêche-toi, » dit Rachel avant defiler.

Allez, en route, le cirque vacommencer, pensa Ashley. Elle se levapéniblement en mimant diverses

mimiques d’enthousiasme.

En bas, c’était le chaos. Le salon étaitplein de filles en slip et en débardeurqui avaient l’air de s’éclater. Avec leurchevelure superbe et leur bronzage, ellescomposaient un tableau vivant à lagloire de la lingerie de luxe. Ashley, quin’avait pas pris le soleil depuis un bonmoment, eut le réflexe de tirer sur son T-shirt informe pour dissimuler sa peautrop blanche.

Tami, la grande brune qui, la veille,arborait la robe fendue la plusprovocante, agitait la lettre comme undrapeau. Son haut réduit à sa plus simpleexpression laissait voir son nombrilorné d’une grosse pierre couleur rubis.

Tami avait une chevelure de rêve,épaisse et naturellement ondulée.Chaque fois qu’elle brandissait la lettre,elle déclenchait une nouvelle crised’hystérie chez ses camarades. Leproducteur fut obligé de hurler pour sefaire entendre :

« Attendez que les caméras soientprêtes ! »

Finalement, il lui donna le feu vertpour déchirer l’enveloppe, et Tami lut lemessage suivant :

Bonjour à toutes. J’espère que

vous avez bien dormi.Aujourd’hui, seulement avec

quelques amies,Jenny, Shelby et Rachel aussi,

Je pars au zooPour faire des photos.

Les cris recommencèrent de plus belle,ponctués de soupirs et de gémissementsde la part de celles qui n’avaient pas étéretenues. C’était notamment le cas deTami, qui se mit à bouder dès qu’elleconstata que son nom ne figurait pas surla liste.

Liz et Ashley coururent embrasserRachel pour s’associer à sa joie.

« Pas possible ! Je n’arrive pas àcroire que je suis dans les premières. Ildoit me trouver à son goût. C’est tropchouette. Vous croyez que c’est vraimentlui qui m’a choisie ? Vous croyez que jelui plais ? Il est tellement sexy ! Qu’est-

ce que je vais bien pouvoir mettre ? »Liz et Ashley ne purent s’empêcher

d’éclater de rire. La veille, Rachel avaitfait semblant de prendre cette aventure àla légère. Soi-disant, elle ne convoitaitque le chèque qui devait lui payer sonprochain voyage, et nullement l’athlètemacho au centre de toute l’affaire.

« Je ne sais pas ce que tu as à temettre, mais dans tous les cas, mets destalons, sinon, il ne te verra même pas,répondit Liz en caressant le crâne deRachel, dont la taille n’atteignait pas unmètre soixante.

— Ne te fais pas de souci, quoi quetu mettes, tu es la plus mignonne de noustoutes. Je suis sûre qu’il va craquer pourtoi, ajouta Ashley.

— Super, à t’entendre je suisadorable comme un chaton. Ce n’est pasça qui fait fondre un mec, » dit tristementRachel.

Deux heures plus tard, les trois filleschoisies étaient prêtes à partir. Luke vintles chercher au volant d’une voiture desport. Avec son short kaki, son polocrème et ses sandales Teva, il avaitl’élégance naturelle des hommesauxquels tout va comme un gant. Il fit unsigne amical à toutes celles qui étaientexclues de la fête et embarqua sespassagères qui, sans en avoir l’air, sebattaient pour avoir la meilleure place.

Une par une, il les prit par la main etles fit monter en voiture. Rachel lui

décocha un sourire timide, suivie parJenny qui n’hésita pas à se jeter dans sesbras et à lui faire un gros baiser baveuxsur la joue. Berk !

Shelby monta la dernière et battit despaupières quand il lui tendit la main.Avec son fort accent du sud, elle lui dit :

« Je meurs d’envie de mieux teconnaître, mon chou. »

Et elle se débrouilla pour lui fourrersous le nez sa généreuse poitrinesiliconée.

En voyant le sourire d’abruti de Lukeà cet instant-là, Ashley pensa qu’il étaittombé dans le panneau.

Les filles restant à la villa agitèrentleurs mouchoirs, et Shelby se pencha parla fenêtre pour leur jeter un dernier au

revoir.Debout sur les marches de la maison,

la douzaine de filles délaissées regardaitdisparaître la voiture. Pour Ashley,c’était un soulagement. Pour le reste dela journée, les caméras allaient seconcentrer ailleurs.

Liz et Ashley s’éloignèrent du groupe.« Fais le bon choix, hurla Ashley.— Ne lui roule pas une pelle, »

compléta Liz.En riant à gorge déployée, elles se

mirent à quatre pattes pour éviter lacaméra qui faisait un travelling surtoutes les filles.

Le groupe retourna à l’intérieur de lavilla.

« Heureusement que je n’ai pas été

sélectionnée. Peu importe combiengagne Luke, moi, les animaux, je m’entape, affirma Tami.

— Comme je te comprends ! Je nesuis pas venue ici pour être traitéecomme une gosse. Le pop-corn et lesesquimaux, très peu pour moi. Je comptebien me faire inviter dans desrestaurants qui ont de la classe, ajoutaLindsey.

— Écoute-moi cette pimbêche ! Ellese prend pour la Princesse de Monaco,ma parole, » murmura Ashley àl’intention de Liz, ce qui leur déclenchaun nouveau fou rire.« Allo ?

— Il m’a donné une rose.— Quoi ?

— Kelli, tu m’avais dit qu’il ne meregarderait même pas. Que si je restaissur mon quant-à-soi, je pourrais rentrerchez moi le soir-même. »

Ashley était accroupie dans lestoilettes. Pour couvrir sa voix, elle avaitouvert le robinet de la douche et dulavabo, et le ventilateur tournait à pleinrégime.

« Sans blague ! Tu as étésélectionnée ! C’est trop chouette !

— Ce n’est pas chouette du tout ! J’aisuivi tes instructions à la lettre. J’ai misla robe et je me suis donné du mal pourarriver à l’heure. Je me suis ridiculiséedevant les caméras et Dieu sait combiende spectateurs. Je n’en peux plus. Tum’avais promis que ça ne durerait

qu’une soirée ! »Ce n’était pas évident de hurler dans

un téléphone sans élever la voix.« Ma chérie, j’ai dit « probablement

pas plus d’une soirée ». Ce n’est pasmoi qui tire les ficelles. Tu lui as plu, ouen tout cas, il a eu envie de te revoir. Oùest le problème ?

— Où est le problème ? Pourcommencer, je n’ai même pas assez desous-vêtements pour rester un jour deplus. Qu’est-ce que je suis censée faire ?Je n’en ai pas la moindre idée. »

Elle passa la main sur le miroirembué, et son visage anxieux lui apparut.

« J’ai l’air d’une idiote à côté desautres filles. Tu les as vues ? Elles sontbelles à tomber. Pas mignonnes : belles

à tomber, tu m’entends ! »Elle fit demi-tour pour ne plus voir

son reflet dans la glace.« Je le sais très bien, Ashley, puisque

j’ai participé aux sélections. Mais arrêtede te croire moche. Et puis, pourquoim’appelles-tu ? Tu sais bien que c’estinterdit.

— J’ai besoin d’avoir un contactavec le monde extérieur. Kelli, je tepréviens, si ça tourne mal pour moi, cesera ta faute.

— OK. Mais souviens-toi quepersonne ne doit se douter que tu n’espas là de ton plein gré. Si lesproducteurs en étaient informés, jeserais virée. Toutes les autres filles ontsubi des tests, on a mesuré leur QI, on a

vérifié qu’elles ne se droguaient pas,etc. Puisque tu vas rester quelques jours,il faut que je remplisse ta fiche, au casoù un producteur s’aviserait d’y fourrerson nez.

— Kelli, pourquoi est-ce que je t’ailaissée me convaincre de faire ça ?

— Parce que tu m’adores et que tuferais n’importe quoi pour moi.

— Ouais, ouais, je sais. Espèce deteigne. Tu vas me devoir mon poids enchocolat.

— Je te promets de passer lacommande dès que tu sortiras de lavilla. Peut-être dès ce weekend, en fait.

— J’y compte bien ! Tu n’imaginespas ce que c’est que d’être enferméeavec une quinzaine de reines de beauté à

la recherche du grand amour. Elles merendent dingue.

— Ça va aller. Tu sais t’adapter àtout. Et puis, il y en a quelques-unes quisont vraiment sympas. Je suis sûre que tuvas te faire une ou deux copines.

— Oui, c’est possible. Il y en a deuxque j’aime bien, mais je te jure, lesautres ! Il y en a une qui a l’air tout droitsortie d’un bordel à l’ancienne. Ah, etpuis il y a Cricket. Ses parents méritentle peloton d’exécution. Appeler leurfille Cricket !

— De son vrai nom, elle s’appelleCharlotte, et elle vient d’une famille trèssympa de la côte est. Écoute, je dois tequitter, mais essaye de t’amuser un peu.T’a-mu-ser. Ce n’est pourtant pas la mer

à boire. »Ashley raccrocha son téléphone.

S’amuser. OK. Mais pourquoi avait-elleune boule à la place de l’estomac sic’était aussi simple que cela ?

Quand Rachel revint du zoo, prête àpartager tout ce qu’elle avait appris aucours de la journée, elle trouva Ashleyassise en tailleur sur son lit.

« Shelby, en fait, est une vraie reinede beauté, dit-elle en se laissant tomberà côté d’Ashley.

— Ce n’est pas la révélation dusiècle, commenta Liz.

— Elle vient d’une banlieue deDallas, et elle a écumé les concours dereine de beauté pendant toute sonenfance. »

Ashley n’en était pas surprise outremesure. Shelby avait un corps de Barbieet entretenait ses cheveux à laperfection.

« Son père est chirurgien esthétique,et il lui offre toutes les opérationsqu’elle veut. »

Liz et Ashley haussèrent les sourcils.« Son exquis petit nez, c’est le cadeau

qu’elle a eu pour ses seize ans. »Il était évident que, sur ce point,

Ashley ne pouvait pas rivaliser. Engénéral, pour son anniversaire, son pèrealcoolique et sa conquête du momentl’invitaient dans un boui-boui. Danscertains cas, la conquête en questionn’avait que quelques années de plusqu’Ashley. Une fois, Ashley avait reçu

une rose de la part de l’une d’entreelles. Naturellement, cette fille était tropbien pour son père, et elle ne l’avaitjamais revue. Quand Ashley eut vingt etun ans, elle en eut marre et depuis, ellene voyait plus son père qu’aux mariageset aux enterrements.

« Quant à Jenny, elle l’a pelotépendant toute la sortie. Elle ne l’a paslâché d’une semelle, une vraie ventouse.

— Elle doit avoir un sacré déficitaffectif, dit Liz en rigolant.

— Sans blague. Au zoo, elle s’estcarrément collée à lui, et l’a forcé àmarcher bras dessus bras dessous avecelle.

— Et toi, est-ce que tu as réussi àpasser une minute avec lui ? demanda

Ashley.— Pas vraiment. Les deux autres se

disputaient Luke comme des clébards unos, alors ce n’était pas évident. Mais ils’est quand même débrouillé pour êtreseul avec moi dans la cabine électriquequi survole le zoo, acheva Rachel avecun sourire de satisfaction.

— Nous y voilà ! Alors, raconte.Qu’est-ce qui s’est passé ? On veut tousles détails, » exigea Liz en se penchantvers Rachel.

Rachel se couvrit le visage de sesmains.

« C’était chouette. Il est vraimentmarrant. Il m’a dit qu’avec Shelby etJenny, il avait l’impression d’être un coqdans une basse-cour, et qu’il voulait

s’isoler avec moi pour vérifier que jen’étais pas muette, parce que je n’avaispas ouvert la bouche au milieu des deuxautres. »

Cette expérience avait troubléRachel, et Ashley ne reconnaissait plusl’intrépide baroudeuse d’hier dans cettejeune fille amoureuse.

« Il est si beau, et il fait attention àtous ceux qui l’entourent. Il a étécourtois avec tout le monde, en dépit descaméras et de l’attitude de Jenny etShelby qui essayaient de lemonopoliser. »

À tous les coups, c’est un Don Juanqui adore être au centre de toutes lesattentions. Quelle autre raison aurait-ilde participer à l’émission ? Riche et

séduisant comme il l’était, qu’est-cequi pouvait le motiver à participer àl’émission, si ce n’est sonnarcissisme ?

« Je suis contente que tu te sois bienamusée, » dit Ashley en prenant Racheldans ses bras. Et elle était sincèrementheureuse pour sa camarade.

En tout cas, Ashley avait eu laconfirmation que plusieurs desconcurrentes étaient déterminées àconquérir le cœur de Luke. Il étaitprobable que deux ou trois des plusbelles filles seraient à ses côtés enpermanence, ce qui lui permettrait degarder ses distances et de se faireoublier. Avec un peu de chance, elle nerecevrait pas de rose lors de la

prochaine cérémonie, et elle pourraitencaisser son chèque et rentrer chez elle.

« Alors, quoi de neuf, frérot ?

— Laisse-moi te dire que c’est pluscoton que de mettre une pile aux Vikings.

— Mon salaud ! Tu es entouré degonzesses sublimes, et tu penses auxVikings ?

— Non, je t’assure, c’est coton. Oùque je me tourne, il y en a une qui mefait de l’œil. Et certaines ne font pas dequartier aux copines. Je te jure qu’il y ades pénalités qui se perdent. »

Ça lui faisait du bien de bavarderavec Mike. Il adorait faire tourner sonfrère en bourrique.

Il entendit sa belle-sœur demander

s’il avait trouvé une fille qui lui plaisaitdans le lot.

« Susan veut savoir si tu t’en es faitune.

— Absolument pas ! »Luke entendit Susan crier : On dirait

que tu en as déjà ta claque. Allez, soissympa, dis-nous la vérité : tu t’en es tapéune ?

« Non, mais il y en a une ou deux quifont des pieds et des mains pour ça.C’est tout l’intérêt du match. »

Il avait parié qu’il pourrait avoirn’importe laquelle des filles, s’ilvoulait. Mais c’était toute la question :en avait-il envie ? Depuis sept ans, ilavait eu des amourettes à la pelle. Sa vieétait trop superficielle, trop prévisible.

D’un autre côté, il ne se prenait pas latête et restait son propre maître.

« Tu as une de ces veines ! Pourquoiest-ce que c’est toujours toi quit’amuses, et moi qui bosse ?

— Si ma mémoire est bonne, Mike,c’est toi qui m’as forcé la main. »

Au départ, Luke en avait voulu à sonfrère de son coup tordu, mais ensuite, ils’était dit que c’était peut-être unebénédiction déguisée. S’il le voulait, dumoins. Le problème, c’est qu’il ne savaitpas ce qu’il voulait.

« Oui, je t’ai forcé la main, et j’ensuis fier. Tu me remercieras un jour.

— Compte là-dessus et bois de l’eau.— Bon, alors, est-ce que dans le tas

il y en a une que tu pourrais envisager

d’épouser ?— Pourquoi cherches-tu toujours à

me caser ?— Il n’y a pas de raison que je sois

le seul crétin à avoir la corde au cou. »Mike était l’homme le plus heureux

du monde. Il avait rencontré Susan surles bancs de la fac, et leur amour n’avaitpas pris une ride. Ils se disputaient sansarrêt, mais n’auraient pas pu vivre l’unsans l’autre.

—« Et moi je suis le crétin quin’arrête pas de se demander pourquoi ona perdu dans les séries éliminatoires.

— Arrête un peu. Tu as perdu tonpari, et maintenant tu es dansl’obligation d’être à la hauteur de taréputation et de faire de ton mieux pour

trouver la perle rare. Honnêtement, si tune trouves pas ton bonheur parmi cesfilles-là, tu ne le trouveras jamais.

— Ouais, ça reste à voir. Je joue lejeu, qu’est-ce que tu voudrais de plus ?

— Je ne me plains pas, mais jevoudrais que tu tires parti de lasituation. Dis-toi bien que la femme detes rêves est peut-être dans cette villa.

— Je doute sérieusement que lafemme de mes rêves existe. Mais j’aipigé : vous voulez tous que je me case etque j’entre dans la vie adulte.

— Oh, ça fait longtemps que tu y esentré, mais avoue que tu as du mal àrester dans une relation. »

Luke ne pouvait pas dire le contraire,mais les relations, justement, ce n’était

pas son fort.« Je n’ai jamais trouvé quelqu’un

avec qui j’avais envie de rester, un pointc’est tout. Et j’ai bien le temps.

— Maman craint que tu ne te mariesjamais. Selon elle, depuis Crystal, tu aspeur des femmes.

— Oh, je t’en prie, ne recommencepas avec ça. »

Au début de sa carrière, une très joliefemme l’avait bien eu. Il la croyaitparfaite, mais il s’était avéré que c’étaitune arriviste alléchée uniquement par sagloire et sa fortune naissantes. Il avaitété à deux doigts de l’épouser et defonder un foyer, mais heureusement, ilavait compris à temps à qui il avaitaffaire. La bague de fiançailles lui avait

coûté mille cinq cents dollars, maisc’est surtout son orgueil qui en avait prisun coup. Depuis lors, il n’accordait pasfacilement sa confiance.

« Dis à Maman que tout va bien, etque la seule chose qui me manque, c’estla chaîne sportive et le golf. Commentveux-tu que je souffre de solitude ? Iln’y a jamais moins d’une demi-douzainede filles autour de moi, et vu commentelles s’habillent, tu as les yeux qui tesortent de la tête.

— Mon salaud !— J’ai une veine de cocu, qu’est-ce

que tu veux que je te dise ?— Mais il n’y en a vraiment aucune

qui sort du lot ?— Si, mais c’est trop tôt pour en

parler. Je te promets que tu seras lepremier au parfum. Bon, je dois y aller.La voiture est arrivée, et j’emmène deuxfilles au match des Padres.

— C’est ça, et moi j’attends manavette spatiale d’un instant à l’autre.

— Salut. »

CHAPITRE 3

Combien de bombes sexuelles faut-ilpour faire chavirer un athlète ?

Luke était dépassé par le nombre, etbientôt il serait dépassé tout court s’il nefaisait pas gaffe. Jenny ne le lâchaittoujours pas d’une semelle. Où qu’ilaille, elle le suivait avec des yeuxd’épagneul et des bras aussitentaculaires que ceux qu’une pieuvre.Et autour d’eux, le cercle des femmesqui se battaient pour attirer l’attention de

Luke ne se desserrait jamais.Tranquillement installées de l’autre

côté de la piscine, Liz, Rachel et Ashleyprofitaient du spectacle.

—« Ça va barder, dit Rachel enpointant du doigt Tami, qui se dirigeaitdroit sur le harem.

— Celle-là n’a pas froid aux yeux, »opina Ashley.

Tami, affriolante au possible dans unbikini noir recouvert d’une tuniquetransparente, s’approcha de Luke enfaisant claquer ses talons. Ses sandalesauraient été plus à leur place dans undéfilé de mode qu’au bord d’unepiscine. Tami fit lentement glisser satunique de ses épaules et la jeta en boulesur Luke.

« Tu veux prendre un bain ? J’aitellement chaud… » susurra-t-elle d’unevoix rauque.

Les lèvres de Luke s’entrouvrirent.Comme hypnotisé par Tami, il posa latunique sur les genoux de Jenny, se leva,enleva son T-shirt et le jeta par-dessusla tête des filles qui l’entouraient. Le T-shirt tomba sur une chaise vide. Il pritTami par la taille et l’entraîna vers legrand bain. Ils échangèrent un sourirequi voulait clairement dire : je sais trèsbien où tu veux en venir, et plongèrentensemble.

Ça, c’est du boulot de pro.« Vous avez vu ça ? C’est à cause de

ce genre de fille que les hommesméprisent les femmes, dit Liz en se

redressant d’un coup sur sa chaise.— Je n’aurais jamais cru que

quiconque pourrait l’arracher des pattesde Jenny, ajouta Rachel.

— Je n’ai jamais vu des femmes seridiculiser autant qu’ici. On dirait untroupeau de vaches qui languissentd’amour, dit Ashley.

— Merci bien. Alors comme ça, tume prends pour une vache. »

La passion de Rachel pour Luke neconnaissait plus de bornes.

« Mais non, je ne parlais pas de toi.Tu ne passes pas ton temps à le tripoter.Regarde-les ! On croirait que leurmeilleur ami vient de mourir. Ça nem’étonnerait pas que Gwen fonde enlarmes. »

Gwen, qui partageait leur chambre,était vraiment amoureuse de Luke. Avecses immenses yeux bleus et ses cheveuxblonds qui lui descendaient jusqu’à lataille, elle ressemblait à un personnagede dessin animé japonais. Elle aurait faitn’importe quoi pour attirer l’attention deLuke, mais jusqu’à présent il n’avait passemblé le moins du monde sensible àson charme. Gwen n’était pas assezbagarreuse pour la rude concurrencequ’elle avait. Comme toutes les autres,elle souffrait de voir Luke batifoler dansl’eau avec Tami, mais elle n’avait pasl’audace de les rejoindre dans le bassin.

« Comment veux-tu que je fasseconcurrence à Tami ? C’est à caused’elle qu’il ne fait pas attention à moi,

dit Rachel d’un ton amer en contemplantsa rivale, dont le délicieux petit derrièreémergeait à l’instant de l’eau.

— Toi, au moins, tu es mignonne,bronzée, et tu as du cran. Moi, j’ail’impression d’être le vilain petitcanard, rétorqua Ashley.

— Oh, s’il vous plaît. Vous êtesbelles toutes les deux à votre façon, ditLiz.

— Ça alors, c’est un coup bas.Bientôt tu vas vanter ma personnalitéinimitable, gémit Ashley. Je sais bienque je ne suis pas un canon, mais j’aitout de même d’autres atouts que mapersonnalité.

— Mais non, elle veut dire que tu asune beauté naturelle, n’est-ce pas, Liz ?

— Exactement. La plupart de cesfilles sont complètement artificielles.Elles ont des seins en silicone, desextensions de cheveux, et leur bronzagene vient pas du soleil. Je parie que lamoitié d’entre elles restent minces envomissant.

— J’espère que tu te trompes. C’esttellement affreux de faire ça ! Ça nevous est jamais arrivé, au moins ?demanda Ashley avec un frissond’horreur.

— Tu es folle ? Mon corps, je l’aimérité. Il suffit de se bouger. Et puisvoyager sans le sou, ça aide aussi, ditRachel.

— Moi, c’est à mes parents que jedois mon métabolisme super efficace et

ma silhouette. »Ashley admira le long corps svelte de

Liz, qui devait mesurer un mètresoixante-dix, et qui n’avait pas ungramme de graisse. D’un autre côté, àl’école, elle avait dû se faire traiter degrande asperge.

« Bon, en tout cas, je ne vais paslaisser des idiotes refaites au bistouridécider de mon destin. C’est à moi deprendre les choses en main, » conclutRachel en se levant de sa chaise.

Elle se débarrassa de ses lunettes desoleil, et plongea pour rejoindre Luke etTami.

Pour ne pas être en reste, les autressuivirent le mouvement, et même Liz,l’intello, décida d’être de la partie.

« Allez, viens avec nous, Ashley, »dit-elle avant de plonger.

Ashley resta néanmoins sur la toucheet les regarda s’ébattre en riant. Tout lemonde semblait s’amuser, y comprisLuke qui, n’étant plus monopolisé parune personne en particulier, pouvaitjouer comme un gosse.

Ashley profita de cette occasion pours’offrir un répit loin des caméras. Elleprit sa serviette et s’éclipsa. Elle avaitbien besoin d’échapper à cet universfactice et frénétique.

La fête durait depuis deux heures, et lasono continuait à déverser une musiquetonitruante. Le buffet avait piètre allure,avec ses verres à moitié vides et ses

restes de nourriture qui commençaient àprendre des teintes glauques.Normalement, cette fête promettaitd’être formidable, mais Luke en avaitmarre d’être constamment entouré dejeunes beautés suspendues à son sourire.Il avait besoin d’être seul.

« Excuse-moi, chérie, je reviens toutde suite, » dit-il à Jenny en s’extrayantavec difficulté de son étreinte sous leprétexte d’aller aux toilettes.

Une fois loin du bruit et de la foule, ilse sentit mieux. La concurrence féroceque se livraient ces filles le stupéfiait.C’était gratifiant d’être désiré, mais là,ça dépassait les bornes. C’était pire quele jour de la fête annuelle avec lessupporters à Lambeau Field. Enfin,

presque. Au moins, là-bas, il y avait desagents de sécurité pour contenir la foule.Ici, il avait été jeté dans la fosse auxlions.

Luke déambula dans la vastedemeure, en direction du salon quidonnait sur l’océan. Regarder les vaguesmourir sur le sable lui communiqua ungrand sentiment de paix. Du côté de lapiscine, les candidates et lesproducteurs attendaient impatiemmentson retour. Avec un peu de chance, ilpouvait se permettre de rester encorecinq minutes avant que son absence neprovoque des remous. Il y avait trop defilles, et toutes étaient des canons. Quevoulait-il de plus ? Juste un peud’espace au lieu de ces œillades

aguichantes et de ces roucouladespermanentes. Cette émission étaitbeaucoup moins facile que ce qu’il avaitimaginé.

Il jeta un regard derrière lui pourvérifier que personne ne le suivait et filavers la plage en vitesse. Il faisait untemps magnifique, et l’air marin étaitvivifiant. Un peu plus loin, il aperçut unparasol. C’était le refuge idéal. Il avaitbesoin de quelques minutes de solitudepour se ressourcer auprès de l’océanavant de subir encore plusieurs heuresde flirt intensif.

Quand il fut plus près, il s’aperçutqu’en fait, sous le parasol, il y avait unejolie blonde plongée dans un roman, etqu’elle avait l’air parfaitement heureuse

dans son petit paradis. La brise jouaitavec sa chevelure.

Ne voulant pas renoncer à profiter duparasol, Luke s’accroupit à côté d’elle.Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il lareconnut.

« Eh ! vous n’êtes pas la fille quis’est jetée à mes pieds l’autre soir, parhasard ? »

Ashley sursauta et renversa le sodaqu’elle avait emporté dans sa retraite.Elle essaya de ne pas perdre la facetandis que la boisson se répandait entreses jambes et faisait une mare autourd’elle.

Son ermitage était découvert.« Lancée plutôt que jetée, je dirais.

Au fait, je voulais vous dire que vousportiez de très jolies chaussures ce soir-là. »

Elle faisait tout pour ne pas donnerl’impression d’avoir déserté son poste.

Luke croisa ses bras sur la poitrine.« Vous ne devriez pas être du côté de

la piscine avec les masses laborieuses,occupée à essayer de deviner mespensées les plus intimes et à vouspréparer pour la phase suivante ? »

Ashley fut sensible à l’intonationironique de sa voix, mais plus encore aucharme puissant qui émanait de toute sapersonne. Luke se redressa, obligeantAshley à pencher la tête en arrière pourle regarder. Il se tenait entre elle et lesoleil, et un halo doré entourait sa peau

bronzée. Son maillot de bain luidescendait sur les hanches.

« Touchée ! Je suis incapable dementir. Je me suis dit qu’il y avaittellement de filles à la piscine qu’unpiranha en moins ne se remarqueraitpas. »

Elle avait la bouche sèche rien qu’àregarder ce type splendide debout à côtéd’elle. Pour retrouver une certainecontenance, elle se mit à éponger le sodaqui avait coulé sur sa chaise longue.

« Et puis, je comptais bien qu’aucunedes filles ne me dénoncerait. Uneconcurrente de moins, c’est toujours çade gagné, » ajouta-t-elle avec une onced’amertume.

Cette pointe de cynisme fit hausser

les sourcils de Luke. Ashley était enverve.

« Pour vous aussi, c’est un cadeau :une personne de moins sur votre liste. »

Elle espérait qu’il la prendrait au motet ferait demi-tour.

Au lieu de ça, il prit son temps pourl’observer de haut en bas, sans paraîtreaccorder d’importance à ce qu’ellevenait de dire.

« Vraiment ? À mon avis, vous êtesvenue là pour bronzer incognito.D’ailleurs, il y a du boulot. Vous vivezdans une cave le reste du temps ? »

Ashley se réjouit d’avoir emporté sonparéo et se débrouilla pour s’en couvrirles jambes. Effectivement, cela faisaitlongtemps qu’elles n’avaient pas vu le

soleil. À Madison, il n’y avait que deuxmois d’été, et le reste du temps c’étaitl’hiver, quoi qu’en dise le calendrier.

« J’adore le look cachet d’aspirine.Mais vous avez de la chance que je nesois pas hypersensible, sinon vousauriez failli me faire de la peine, dit-elleen essayant de cacher au mieux sonanatomie sous son paréo.

— Toutes mes excuses ! dit-il sansavoir l’air d’y croire. Ça vous embête sije reste là quelques instants ? J’ai enviede me faire oublier un moment.

— Alors, comme ça, c’est vous quivous cachez, en fait ! Vous en êtes déjàréduit à ça ? dit-elle d’un ton narquois.

— Non, ce n’est pas aussi horribleque ça, juste un peu trop intense. J’ai

l’impression d’être la dernière canettede bière pour tout un régiment, »répondit Luke d’un air las.

Il s’assit au bout de la chaise longued’Ashley et la contempla avec intérêt.

« S’il n’était pas évident que vousavez drôlement besoin d’une cure desoleil, je pourrais croire que vous jouezà cache-cache avec le célibataire. Enprincipe, vous êtes là pour le séduire etvous faire épouser, non ?

— Oui, c’est sûr. »Elle se demandait comment lui

donner le change. Elle avait eu beaucoupde chance de se trouver en tête-à-têteavec lui sans le chercher, et cela ne sereproduirait sans doute pas de sitôt.Autant en profiter pour le détourner

d’elle.« Je sais bien que j’ai l’air pathétique

mais, sans vouloir vous vexer, la vérité,c’est que vous n’êtes pas exactementmon genre, murmura-t-elle enl’observant du coin de l’œil.

— Ah, vraiment ? Ça me désespère.En fait, je vais être obligé de retournerdans la fosse aux lions pour me sentiraimé. »

Sa réflexion avait eu l’air del’amuser plus qu’autre chose.

« Ne vous gênez pas. C’était vraimentsuper de pouvoir échapper aux caméras,mais si vous restez ici plus longtemps,ils vont finir par vous trouver. Alors, siça ne vous dérange pas, je vous seraisreconnaissante d’aller vous faire aimer

ailleurs. »Sans la horde de filles autour de lui,

c’était plutôt marrant de discuter aveclui.

« Bon, je capitule, mais avant departir, je voudrais en savoir un peu plussur votre genre. Après tout, puisque jene vous plais pas, vous ne croyez pasqu’il serait juste de me dire ce que vousaimez ? À en juger par tous les tests quevous avez passés, vous devriez êtreparfaitement compatible avec moi, n’est-ce pas ? En fait, toutes les filles quirestent à la villa devraient l’être,acheva-t-il avec un petit souriregoguenard.

— Oui, c’est marrant. Le fait est queje triche toujours quand je remplis ce

type de questionnaire. Et cette fois-ci, ças’est retourné contre moi, et j’ai tiré lemauvais numéro. Mais puisque je n’ypeux plus rien, j’ai décidé qu’au moins,ça me ferait des vacances. Donc, vousvoyez, grâce à moi, vous avez une fillede moins sur le dos. En fait, je vous aifait une fleur, conclut-elle avec un grandsourire.

— OK, vous vous servez de moi pourvous payer des vacances. Mais dites-moi quand même, par curiosité, quel estvotre genre de mec, » demanda-t-il en serapprochant d’elle, et en faisant glisserses lunettes le long du nez pour mieux lafixer de son regard d’acier.

L’air de rien, il avait placé son molletcontre le sien.

Ashley soutint son regard et prit sarespiration.

« Voyons. Premièrement, je chercheun homme qui a une vraie carrière.

— J’ai une vraie carrière.— Je veux dire, quelqu’un qui a fait

des études et qui utilise sa matière grise.— Il vous a peut-être échappé que

j’ai un diplôme d’ingénieur del’université de Duke.

— Franchement, je n’aime pas lesgros bras, » dit-elle en essayant de nepas se laisser déstabiliser par le contactde sa jambe musclée contre la sienne.

Luke joua de ses biscoteaux, et avecun faux air de dépit, avoua :

« En vérité, par rapports auxattaquants, je ne fais pas le poids.

— Je n’aime pas les gars qui se laracontent. Je cherche un type plutôtintello, et fier de l’être, quitte à paraîtrenévrosé. Je trouve ça touchant. »

En réponse à cela, Luke enleva seslunettes de soleil, les remit à l’envers, etrécita d’une voix de robot :

« E = mc². »C’était tellement rigolo qu’Ashley le

tabassa avec son bouquin, jusqu’à ceque Luke le lui arrache des mains.

« Sérieusement, les types qui neroulent pas des mécaniques, c’estvraiment attirant. »

Luke lui lança un regard en coin.« Ouais, pas de doute là-dessus.— Et j’allais oublier : il faut qu’il ait

du fric, des tonnes de fric.

— C’est fondamental, acquiesça-t-ilavec un sourire suave.

— Je n’ai aucune intention de passerma vie avec un pauvre plouc. Je sais quevous gagnez bien votre vie, maisfranchement, je vise plus haut que ça.

— C’est sûr que vous avez des goûtsde luxe, répliqua-t-il en lançant en l’airle roman qu’il lui avait arraché desmains.

— Ça n’aurait jamais pu marcherentre nous, » dit-elle pour changer desujet.

Il lui jeta un regard perçant, commepour la forcer à admettre qu’ellementait.

« Je suis vraiment désolée. Je nedoute pas que vous allez trouver la

personne qu’il vous faut, mais en ce quime concerne, je cherche quelqu’un d’unpeu plus… parfait.

— Je vois. Manifestement, j’ai dupain sur la planche avant de plaire à unefille aussi raffinée que vous. Mais,pardonnez-moi si je me trompe, enraison de votre présence vous avezpotentiellement éliminé de lacompétition la femme de mes rêves.Sans parler du fait que vous avez privéune gentille fille de l’occasion de fairema connaissance, dit-il en jetant unregard appuyé sur le livre de pochemaculé qui était retombé dans la flaquede soda tiède.

— C’est vrai, vous avez raison, maisd’un autre côté, moi, je vous fiche la

paix, et je ne passe pas mon temps àvous supplier de me choisir avec desmines de chiot affamé, dit-elle en imitantà merveille le plus mignon des 101dalmatiens.

— En réalité, ce n’est pas tant à monbon cœur que vos concurrentes onttendance à faire appel qu’à mon cœurtout court.

— Ah, c’est vrai que vous avez unesolide réputation de Don Juan, » dit-elleen essayant d’étouffer les battements deson propre cœur.

C’est à ce moment-là qu’elle aperçutune équipe de tournage qui courait dansleur direction.

« Super, ils ont retrouvé ma trace,enfin, je veux dire, votre trace. Partez,

partez tout de suite ! »Elle se leva de sa chaise longue

trempée et rattacha le paréo humideautour de ses hanches.

« Je fiche le camp tout de suite. »Elle lui jeta un dernier regard.« Merci de votre visite, Luke. Je vous

souhaite sincèrement de trouver l’âmesœur. »

Ashley prit son bouquin et sa serviette etfila le long de la plage avant que lescaméramans ne puissent la rejoindre.Luke la regarda prendre la fuite avec sonparéo souillé collé sur ses cuisses tropblanches. Il était venu sur la plage pourprendre l’air, mais sa visite lui avaitapporté beaucoup plus que cela. Il avait

rencontré une femme qui n’avait aucuneenvie de participer à l’émission.

Luke trouvait Ashley différente desautres qui n’avaient de cesse de seconfier à lui et d’apprendre à leconnaître. Ashley, elle, n’avait pashésité à lui dire en face qu’il n’était passon genre. Ça ne lui était jamais arrivé.C’était un tournant dans l’aventure. Sansle savoir, cette fille avait changé ladonne. Maintenant, elle n’avait qu’à biense tenir, parce qu’il allait lui montrer dequel bois il était fait.

Luke se demandait quelle était satactique. Tout le monde en a une. Peut-être la sienne était-elle de se fairedésirer. Quoi qu’il en soit, c’était plusagréable de bavarder avec elle qu’avec

les filles de la piscine. Néanmoins, il luien voulait un peu de son indifférence.

CHAPITRE 4

À chaque jour suffit sa joie.Heureusement qu’elle n’était pas de lapartie. Quand elle s’était réveillée,Ashley avait mal partout. Liz avaitéclaté de rire en la voyant, et Rachelavait hoché la tête d’un air compatissant.Arrivée devant la glace, Ashley avaitdécouvert que son visage était rougebrique, et que le coup de soleils’étendait à ses épaules. Seule la traceblanche de son soutien-gorge prouvait

qu’un jour, sa peau n’avait pas été de lacouleur d’un camion de pompiers.

Il ne lui manquait plus que ça pourrenforcer son complexe d’infériorité.Hier elle était la seule fille qui n’étaitpas bronzée, et aujourd’hui c’était soncoup de soleil qui allait attirerl’attention sur elle.

Tami déboula dans le salon en jouant descoudes, prête à exploser comme unecocotte-minute trop chaude.

« Qui m’a fauché mon baumehydratant ? Gwen, je te garantis que si jetrouve la moindre molécule de mongloss à la cerise sur ta petite bouchepincée, je l’arrache avec les ongles, etça fera toujours une fille de moins dans

la course ! »Ashley essaya de se frayer un chemin

dans la bousculade suscitée par lespréparatifs de la deuxième grandecérémonie de la rose. Gwen s’essuyaprestement la bouche avec l’ourlet de sarobe, en veillant à ne pas laisser detraces sur la partie visible. La soiréeallait être longue, et l’atmosphère étaitdéjà passablement électrique. Ashleymourait d’envie de s’isoler quelquesinstants pour supporter la pression.

Les filles s’espionnaient les unes lesautres pour voir qui portait quoi, et pourse piquer des idées de coiffure. Laplupart en rajoutaient toujours unecouche de trop et finissaientpeinturlurées comme des squaws.

Dans la plus grande des salles debains, Shelby monopolisait le miroir.Avec des bigoudis partout, elle avaitl’air d’une poupée grandeur nature, cequi n’était pas loin de la réalité. Dansson débardeur moulant, elle examinaitson physique avantageux sous tous lesangles, sans égard pour Kate, qui tentaitd’appliquer son mascara sans se creverun œil.

« À ton avis, est-ce que j’ai le seingauche plus haut que le droit ? luidemanda-t-elle en soupesant chaquemamelon. Tu vois, celui-là ne rebonditpas autant que l’autre.

— Fais-leur un procès, » suggéraKate d’un ton sceptique.

Ashley n’aurait jamais imaginé que la

perspective de l’élimination de cinqcandidates pouvait provoquer une tellecacophonie. Ça lui paraissait bizarrequ’un aussi grand nombre partent si vite,alors que la plupart d’entre ellesn’avaient même pas fait une sortie enpetit comité avec Luke.

« Comment peut-il prendre unedécision juste, sur la base d’une seulesortie ? s’insurgea Jenny.

— Plains-toi, au moins tu as eu droità une sortie, toi, se lamenta Melissa.

— Tu parles, je n’ai pas réussi àl’avoir une seconde à moi toute seule.Comment veux-tu que je lui fasse unebonne impression dans des conditionspareilles ?

— Qu’appelles-tu « une bonne

impression » ? demanda Kris.— Ne fais pas l’idiote, ma puce, le

genre d’impression qui compte pour unhomme, bien sûr, » répliqua Jenny enprenant son air le plus sensuel.

Ashley en avait sa claque. Sefaufilant à travers la foule, elle seréfugia dans sa chambre et alla prendrel’air sur le balcon. Enfin une oasis depaix. Elle respira à pleins poumons pourse calmer les nerfs et contempla lecoucher de soleil au-dessus desfrondaisons. L’harmonie des couleursétait somptueuse, et le parfum des lilasembaumait l’air. Au bout de quelquesminutes, Ashley se sentit mieux.

À l’intérieur, le vacarme étaittoujours aussi audible, mais ça lui était

égal. Même ses camarades de chambre,qui avaient les pieds sur terre,commençaient à perdre la raison. Rachelétait tombée amoureuse de Luke dès lepremier jour et ne parvenait pas à lecacher. Ashley espérait vraiment qu’ellerecevrait une rose. Rachel était intrépideet rigolote, et ce jeu l’avait totalementprise au dépourvu.

Quant à Ashley elle-même, son pointde vue n’avait pas changé, et ellecontinuait à trouver l’émissionrépugnante ainsi que la plupart desprétendantes qui représentaient toute lagamme des pires travers féminins.Shelby, par exemple, pour qui la vieentière n’était qu’un gigantesqueconcours de beauté. Gagner à tout prix

était son unique objectif, et la qualité desa relation éventuelle avec Luke était lecadet de ses soucis. Ashley espérait queLuke n’était pas dupe d’une fille aussisuperficielle.

Luke lui-même était une énigme. Ilavait l’air sympathique, modeste et sansprétention. Certes, il avait un corpssublime, mais pouvait-on lui en vouloirpour ça ? Ashley en tremblait encorequand elle le revoyait au bord de lapiscine, beau comme un dieu grec dansson maillot de bain qui lui glissait surles hanches.

Il était gentil avec tout le monde,malgré la bousculade autour de lui.Ashley était sensible à son sourire et àson sens de l’humour. Depuis le début de

l’émission, et plus encore depuis leurrencontre accidentelle sur la plage,Ashley avait eu de nombreusesoccasions de le voir sourire.

Le mystère, c’était pourquoi il avaitaccepté de participer à une émissionaussi bidon. Pourquoi s’infliger lacompagnie pathétique d’un groupe defilles faisant assaut des ruses les plussournoises pour l’appâter, alors quedans la vie, il n’avait que l’embarras duchoix ? Et pourquoi rechercher les feuxde la rampe, alors qu’il était déjàcélèbre ? Était-il de ceux qui ont besoind’être en permanence au centre de tousles regards ? Ce n’est pas l’impressionqu’il lui donnait, mais qui sait ? Peut-être son intuition la trompait-elle.

Elle demanderait à Liz ou à Rachelde découvrir ce qui avait vraimentpoussé Luke à s’engager dansl’émission. Ashley était à peu près sûrequ’au moins l’une de ses deuxcamarades resterait plus longtempsqu’elle à la villa. Pour sa part, elleespérait bien qu’après avoir clairementmontré à Luke combien elle s’intéressaitpeu à lui, elle s’était assuré un départdans la prochaine charrette. Il étaittemps pour elle de retourner dans lemonde réel, loin des caméras et desfemelles hystériques, et de décrocher unvrai boulot. Elle brûlait d’impatience deretrouver sa vie privée, et cetteperspective l’aiderait à supporter lacérémonie de la rose qui était sur le

point de commencer.

Luke était tranquillement assis sur lebalcon de sa résidence. Il n’avait pas àse plaindre. L’endroit était un peutapageur à son goût, avec trop de métalet de verre, mais le grand balconrachetait tout. Et quelle vue ! La côte etl’océan s’étendaient à perte de vue. Lamaison était remplie de gigantesquesfougères qui apportaient une ambianceinformelle. Le mobilier avait été choisiavec soin, et il ne manquait pas defauteuils à bascule et de petites tablespour s’installer et lire les pagessportives.

Luke buvait un verre en admirant lecoucher de soleil. Il lui restait environ

une heure avant la cérémonie de la rose,et il se disait que les choses n’avaientpas du tout tourné comme il s’y attendait.Lorsque son frère Mike l’avait forcé àsigner pour l’émission, à l’issue d’unpari, Luke avait d’abord été contrarié. Ilen avait ras le bol de voir sa famille etses amis se mêler de sa vie affective.Après tout, il était encore jeune, alors oùétait l’urgence de se marier ? C’est vraiqu’il menait une vie de bâton de chaise,mais pour un athlète de son niveau, latentation était permanente.

Une brise tiède faisait danser les potssuspendus comme des navires amarrés.Au-dessus de l’eau, les pélicansplanaient en guettant le moment pourplonger sur leur proie – un peu comme il

allait devoir le faire dans quelquesminutes pour satisfaire les producteurs.

Luke soupira. Jusque-là, il s’étaitbien amusé. C’était un privilège d’avoirdeux douzaines de femmes servies sur unplateau. Le seul problème, c’est quedésormais, il en connaissait certaines, etil ne savait pas trop comment s’yprendre. Il n’avait pas l’habitude de voirune femme aussi souvent, si peu detemps après la première rencontre.Pendant la saison, sa vie était rythméepar les entraînements, les matchs et lesdéplacements. Le reste du temps, iljouait au golf avec ses potes, ouapparaissait à des galas de charité enfaveur des dizaines de causes qu’ildéfendait. La liste des gens qui

sollicitaient son soutien était longuecomme le bras, et il faisait constammentde nouvelles rencontres. Comme iln’était pas obligé d’y passer beaucoupde temps, il lui était commode de caserdes amourettes ici et là. La règle du jeuétait claire : pas d’engagement. C’était àprendre ou à laisser. Sa devisepersonnelle faisait écho au titre del’émission.

Et ce soir, que faire ? La solution laplus évidente consistait à garder les plusjolies filles. Ça ne fait jamais de mald’avoir de quoi se rincer l’œil. Ensuite,ce serait utile de garder les plussportives, qui seraient susceptibles departager sa passion pour le golf et legrand air en général. La vie regorgeait

d’aventures, et il voulait à ses côtés unecompagne active et audacieuse.

Voilà qui réglait la question pour lamajorité des roses, mais que faire pourcelles qui restaient ? Il avait horreur desfemmes maniaques ou autoritaires. Unefille devait pouvoir mettre en avant saféminité sans pour autant minauder à toutbout de champ. Le soleil disparutderrière l’horizon dans un feu d’artificeaux couleurs somptueuses. Dans leWisconsin, il n’avait jamais vu une telledébauche de pourpre, d’incarnat et devermillon.

Luke but encore une gorgée et se mit àsourire. Pourquoi ne pas y avoir penséplus tôt ! La meilleure solution, c’étaitde garder les femmes les plus

stimulantes. Il finit sa boisson et se leva,prêt à annoncer ses choix.

La partie ne faisait que commencer.

Ashley entra dans la pièce remplie decaméras et de projecteurs. Le souvenirde la première soirée lui revint enmémoire, quand tout était nouveau etintimidant. Maintenant, elle trouvaittoujours cela pénible à supporter, maiselle connaissait la marche à suivre. Aulieu d’une robe de bal comme cellequ’elle avait arborée le premier soir,elle avait choisi une petite robe à fleursqui lui arrivait au genou, et mettait doncses jambes en valeur, tout en restantdiscrète. La robe lui marquait la taille,et un dos nu en forme de losange attirait

l’attention sur sa peau. Elle était plutôtsatisfaite du résultat, à l’exception deson visage, encore marqué par le coupde soleil de l’autre jour. Elle avait faitce qu’elle avait pu pour limiter lesdégâts, mais son nez avait pelé et sapeau tirait. Avec un peu de chance, Lukeaurait pitié d’elle et ne lui offrirait pasde rose. À l’écran, sa rougeur ne seraitque plus visible.

Les autres candidates étaienthabillées de façon très éclectique :certaines paraissaient revenir de laplage, et d’autres partir pour un cocktail.Comme Ashley s’y attendait, beaucoupde filles avaient abusé de la trousse àmaquillage, en particulier Jenny-pot-de-colle et Gwen l’éplorée. Gwen avait

tellement forcé sur le mascara que sijamais elle fondait en larmes, destorrents noirs abîmeraient sa petite roberose.

Liz et Rachel soupesaient les chancesdes unes et des autres.

— Regarde-moi ça, on dirait desvautours, s’exclama Rachel.

Les mains dans les poches, Luke setenait près de l’entrée, appuyé à larampe. Il portait un pantalon ocre et unechemise noire soyeuse qui soulignait sacarrure athlétique. Il avait vraiment l’aird’une gravure de mode. Il se penchapour écouter poliment Cricket, qui avaitquelque chose à lui dire, et lui réponditen souriant. Luke ne semblait pas du toutdéconcerté d’être entouré de femmes

prêtes à tous les stratagèmes pourrecevoir une rose. Il paraissait détenduet à son aise. Ashley ne se lassait pas dele regarder, et ce n’est que quand il luifit un grand sourire qu’elle s’aperçutqu’elle avait été démasquée. Elledétourna aussitôt les yeux. Son coup desoleil avait ceci de bon que personnen’avait pu la voir rougir.

Vingt minutes plus tard, lesproducteurs placèrent les candidates endemi-cercle, de façon à ce qu’il n’y aitpas d’angle mort pour les caméras.Ashley se retrouva au deuxième rang,derrière Rachel. Liz était sur la mêmerangée qu’Ashley, presque en faced’elle. Clay, le présentateur le moinscharismatique de l’histoire de la

télévision, avait rejoint Luke auprèsd’une petite table jonchée de roses.

Aux pieds, Ashley avait dessandalettes grises avec des lanières encuir tressé, infiniment plus confortablesque les talons aiguilles qu’elle portait lepremier soir. Elle espérait que lacérémonie durerait moins longtemps, etqu’elle ne se ferait pas d’ampoules.

« Bonsoir mesdemoiselles. Vous avezl’air absolument divines. Nous sommestrès excités par cette séanced’éliminatoires, n’est-ce pas, Luke, » ditClay en se frottant les mains. Il auraitmanifestement voulu que Lukerenchérisse, mais ce dernier garda lesilence. Clay avait un petit côté sadiqueet aimait tirer les choses en longueur,

mais puisque Luke ne se prêtait pas aujeu, il ne lui restait plus qu’à tendre lesroses une par une au champion.

Toutes les filles retinrent leur soufflelorsque Luke s’avança vers le groupeavec la première rose. Ashley en profitapour se cacher presque complètementderrière Rachel, qui titubait sur ses hautstalons.

« Tami, » annonça-t-il sans une onced’hésitation.

Pas étonnant que ce soit son premierchoix.

Tami se dirigea vers lui avec l’airsatisfait du chat qui vient d’attraper unesouris.

« Acceptes-tu cette rose ? luidemanda-t-il avec un regard de braise.

— Plutôt deux fois qu’une, montrésor » répondit-elle en lui rendant lapareille.

Au moment où il allait lui faire labise, elle détourna le visage pourl’embrasser sur la bouche. En prenantson temps.

Cette petite mise en scène eut l’effetdéstabilisateur escompté sur le reste desfilles. Tami repartit en se dandinant avecsa rose, tandis qu’un assistant seprécipitait pour nettoyer les lèvres deLuke.

La deuxième rose alla à Cricket, unefille jolie mais réservée, et la troisièmeà Jenny-pot-de-colle. Quand vint le tourde Rachel, elle sauta presque de joie.Ashley espérait que ça tournerait bien

pour sa copine, qui le méritait bien.Radieuse, Rachel s’approcha de

Luke, qui la récompensa avec un de sessourires inimitables. Lorsqu’ill’embrassa sur la joue, Rachel eut l’aird’avoir été visitée par le Saint-Esprit.Elle flottait comme sur un nuage.

Malheureusement pour Ashley,pendant cette séquence, elle se retrouvadans la ligne de mire de Luke, ce qu’elleévitait soigneusement depuis le début dela soirée.

Ensuite il appela Megan, Kate etShelby, la reine de beauté du Texas.C’était un choix curieux, car elle nesemblait pas lui correspondre, maispeut-être qu’au fond il aimait les fillestrès maquillées et pomponnées. Ou alors

c’était son accent qui lui plaisait.Certains types ont un faible pour lesfilles du Sud, et après tout Luke avaitgrandi dans le Sud. Oui, c’était ça plutôtque la choucroute gluante de laque quidevait lui plaire chez Shelby.

À ce stade de la soirée, il restait huitfilles et seulement trois roses, ce quisignifiait que cinq filles allaientreprendre l’avion dans les prochainesheures. Luke parcourut lentement legroupe du regard. À l’exception deGwen et Ashley, toutes faisaient de leurmieux pour avoir l’air à la foisirrésistibles et nonchalantes. Gwentremblait de tous ses membres etpétrissait sa robe de ses mains, tandisqu’Ashley s’efforçait toujours de se

rendre invisible.« Liz, » annonça Luke.Ashley se tourna vers sa camarade

pour la féliciter. Peut-être Luke était-illucide finalement, puisqu’il venait desélectionner Liz et Rachel pour l’étapesuivante.

Luke marqua une nouvelle pause. Illui restait deux roses à distribuer. Ilregarda Lindsey, qui ne s’intéressaitqu’au fric, et Gwen, constamment aubord des larmes. Ashley songea qu’il sedisait qu’entre deux maux il fallaitchoisir le moindre.

« Gwen, lança-t-il.— Oh mon Dieu ! Merci, merci,

merci ! » cria Gwen en se précipitantvers lui.

Elle lui arracha la rose des mains etaurait fait la roue s’il y avait eu la place.Oubliant la tradition de la bise, ellerepartit brusquement vers le groupe defilles sélectionnées, puis revint sur sespas et se haussa sur la pointe des piedspour planter un baiser sur le maxillairede Luke. Quand elle se calma enfin, ellesoufflait comme si elle avait accompliun véritable marathon.

Cette touchante petite exhibition fitsourire Luke.

Ralentissant encore le rythme, ilscruta le visage des six dernièresprétendantes.

Ashley aurait voulu regarder ailleurs,comme à l’école lorsqu’elle voulaitéviter d’être interrogée par la maîtresse.

Au lieu de cela, elle fixait le bout de seschaussures, en essayant de prendre l’airle plus neutre possible. Dans sonestomac, elle sentait des gargouillis.Elle se répétait en boucle : pourvu qu’ilm’oublie, pourvu qu’il m’oublie !Combien de temps ce supplice allait-ilencore durer ? Elle était éblouie par lesprojecteurs fixés sur elle.

Clay fit un pas en avant, et d’un airpénétré il confirma ce que tout le mondesavait pertinemment : « C’est la dernièrerose. »

Crétin.Luke se décida, contempla une

dernière fois Lindsey, puis tourna la têtevers Ashley. Il ferma un instant les yeux,comme absorbé dans ses pensées, puis

dit avec un sourire : « Ashley… » Les dents serrées, Ashley prit sur elle

et s’avança avec une mine faussementréjouie pour accepter sa rose.

Quand elle avança la main pourprendre la fleur, Luke haussa les sourcilscomme pour lui signifier : « Alors, je nesuis pas votre genre ? On va bien voir. »Et au lieu de lui faire la bise, il luimurmura à l’oreille : « Joli coup desoleil. »

Sur ce, il lui donna la rose. Pendantqu’Ashley rejoignait le camp des filles« victorieuses », Clay prit le micro pourremercier les participantes qui allaientdevoir faire leurs bagages, et leur offrirla possibilité de dire rapidement aurevoir à Luke.

Ashley, qui s’était crue à deux doigtsde quitter l’émission, était stupéfaite etdéçue. Plus cette sinistre plaisanteriedurait, plus elle perdait le contact avecle marché du travail.

Rachel courut à sa rencontre pour laféliciter.

« Tu te rends compte ! Il t’a choisie !— Oui, c’est super, mais ce qui gâche

ma joie, c’est d’être passée en dernièreposition, après la fontaine ambulante. »

Ashley ne pouvait s’empêcher d’êtreétonnée de la surprise que manifestaitRachel.

« Tu n’y comprends rien ! Il a gardéla meilleure pour la fin. »

Liz se joignit à elles, tout enobservant du coin de l’œil les filles

éliminées faire à regret leurs adieux.« Tu n’as vraiment pas de scrupules à

avoir. Regarde celles qui s’en vont.Lindsey n’en voulait qu’à son pognon, etça se voyait comme le nez au milieu dela figure. Quant aux autres, elles étaientsoit collantes, soit casse-pieds. Il a faitle ménage, un point c’est tout. Tu asencore toutes tes chances.

— Formidable, » répondit Ashley.Ça ne faisait pas ses affaires. Une

fois de plus, il allait falloir se résigner àrester.

CHAPITRE 5

Le tournage se prolongeait toujours tarddans la nuit, et lorsque le tohu-bohu sefut calmé, les filles restantes trinquèrentavec Luke à la prochaine étape del’émission. Tout le monde s’installaconfortablement dans le grand salonpour mieux faire connaissance. Jennys’assit carrément aux pieds de Luke afinde ne pas manquer la moindre mietted’attention qu’il pourrait lui accorder.Les autres prirent place sur des sièges

pour digérer les événements de la soiréeet jouir de la certitude que pour elles, lejeu continuait.

Sans avoir changé d’avis, Ashleyéprouvait quand même une pointed’orgueil d’avoir été choisie. Après sonlicenciement et l’humiliation d’avoir étélarguée par son copain, c’était valorisantde ne pas être rejetée. Tant que ça nedurait pas trop longtemps. Elle étaitpressée de reconstruire sa vie, loin descaméras, des projecteurs et des sportifsde haut niveau.

Le jour suivant, il ne se passa pasgrand-chose. Luke emmena Jenny etGwen au célèbre musée d’art de SanDiego. Luke n’avait pas l’air féru depeinture, mais peut-être Ashley n’avait-

elle pas encore fait le tour de sapersonnalité.

Liz, Rachel et Ashley étaient en traind’admirer l’océan lorsque Kate,l’étudiante en droit, passa la tête par unefenêtre pour annoncer l’arrivée d’unenouvelle invitation. Les trois amiesrejoignirent le reste du groupe dans lacuisine où Kate s’était installée sur lapaillasse. Sans faire de chichis, elledéchira l’enveloppe et lut le messagesuivant :

C’est le moment de chausser vos

skis.Cinq d’entre vous partent avec

moi.Nous allons à Vail, dès demain

matin :Megan, Cricket, Liz, Ashley et

Kate.

Le visage de Kate s’éclaira :« Chouette ! On part au ski. »

À l’annonce de son nom, Ashley neput s’empêcher d’être flattée. Aussitôt,elle chercha le regard de Liz, quiparticipait elle aussi à l’expédition.Quelle ne fut pas sa stupeur de voirl’expression de panique sur le visage deson amie !

« Qu’est ce qui ne va pas ? luidemanda-t-elle à mi-voix.

— Je ne peux pas y aller. Je ne saispas skier, » répondit Liz d’un aircatastrophé.

Avec la perspective du changement totalde paysage et de climat, la journée passatrès vite. La nervosité de Liz faisaitpeine à voir. Ayant eu un accident de skibénin lorsqu’elle était au lycée, Liz avaittotalement abandonné ce sport. Malgréson envie d’aller à Vail avec Luke, elleétait déterminée à ne pas mettre un piedsur une piste. À deux reprises elledemanda la permission aux producteursde rester à l’hôtel, mais ils refusèrent,pensant que sa terreur ajouterait dupiquant aux scènes qu’ils s’apprêtaient àtourner.

« Ne t’inquiète pas, j’ai un plan pourt’aider à te détendre, lui dit Ashley entapotant son bagage à main.

— Ah oui ? Tu vas provoquer unaccident d’avion ? répliqua Liz, qui n’enmenait pas large.

— Fais-moi confiance. »La limousine s’arrêta en bordure de

la piste où les attendait un jet privé. Ausommet de la passerelle, le pilote et unehôtesse leur faisaient des signes debienvenue.

« On se croirait dans un de ces filmsoù le nabab emmène sa fiancée déjeunerdans un endroit exotique, » dit Megan enmontant les marches quatre à quatre.

Tout à bord était en cuir ou en or. Lessièges étaient vastes et ergonomiques. Ily avait de belles appliques murales toutle long. À l’avant de l’appareil étaitaménagée une sorte de restaurant, avec

des sofas et des causeuses en cuir et depetites tables en bois de chêne. Il flottaitdans l’air une délicieuse odeur de café,de gâteaux à la cannelle et de croissantsfrais.

Ashley guida Liz vers des siègessitués deux rangées derrière ceux deLuke et Kate. C’était la meilleureplanque, et elle espérait ainsi pouvoirprofiter au maximum de ce cadeau de laproduction, tout en laissant le champlibre aux autres vautours.

Des turbulences forcèrent lespassagers à rester à leur place. Malgréles trous d’air, l’hôtesse leur servit desoranges pressées dans des verres encristal, et un succulent petit-déjeunerdans un service en porcelaine. Ashley

essaya de calculer combien tout celacoûtait à la chaîne, mais comme l’avionleur appartenait probablement, au fond,ça ne devait pas leur revenir très cher.

Aussitôt après l’atterrissage, un busles emmena jusqu’à la station de Vail. Ily avait de la neige sur les toits et lerebord des fenêtres, mais les rues et lestrottoirs étaient dégagés. Uneatmosphère de fête régnait dans levillage. Il y avait foule dans lesboutiques de luxe et dans les chalets quiproposaient un petit-déjeuner à touteheure.

Le producteur les conduisit dans unmagasin à la mode pour choisir tenues etaccessoires dernier cri. Une employée,prévenue de leur arrivée, les accueillit

cordialement. Non seulement il y avaittous les modèles de combinaisonpossibles et imaginables, mais aussitoutes sortes de vêtements en fourruredont Ashley se voyait mal s’affublerpour aller skier.

Après avoir essayé ce que lavendeuse avait sélectionné pour elle,Ashley ressortit de la cabine en faisantla grimace.

« Je ne peux pas porter ça.— Ça vous va à ravir, répliqua la

vendeuse.— Vous ne comprenez pas. D’où je

viens, on superpose le maximum decouches possible pour aller skier. Jeporte un pantalon rembourré et unedoudoune qui me couvre les fesses.

— Ah, mais ici, c’est très différent.Pour skier à Vail, il faut s’habillercomme à Vail, martela l’employée de savoix chantante.

— On porte aussi un bandeau trèslarge qu’on peut utiliser comme cache-nez ou même remonter pour se protégerle visage. »

La femme continuait à fixer Ashleyd’un air incrédule, tout en brossant de lamain son fourreau en lycra qui ne portaitpas trace de la moindre peluche.

« Bien sûr, on porte également unbandeau classique pour maintenir lescheveux en place et éviter de prendrefroid sur les tempes. Si on le placejudicieusement, on est méconnaissable.Dans le Wisconsin, on se fiche pas mal

de quoi on a l’air quand on va skier. »Sous la houlette des spécialistes de la

haute couture alpine, Ashley se rendit àl’évidence qu’elle n’était décidémentplus dans le Wisconsin. Ashley seretrouva avec un justaucorps de ski enlycra noir qui avait l’avantage de faireparaître sa poitrine plus généreuse, maisqui du coup attirait le regard endirection de celle-ci. Par-dessus, elleportait un col roulé moulant d’un orangeprofond qui était en harmonie avec lesreflets de ses cheveux. Enfin, elle enfilaune veste très ajustée qui lui descendaitjuste au-dessous de la taille, et dont lecol était orné d’un liseré de fourrurenoire. La fermeture Éclair ne montait pasjusqu’en haut, ce qui mettait sa poitrine

encore plus en évidence. Elle se sentaittoute nue !

« Vraiment, vous ne pourriez pas metrouver quelque chose de chez Lands’End ou Eddie Bauer ? Je ne suis pasfaite pour le haut de gamme. »

Sans un mot, la vendeuse admirait sacréation.

« Sérieusement, j’aimerais bien ungros pull en laine bien confortable. Jesuis hyper frileuse et j’ai vraimentbesoin de vêtements plus épais. »

La vendeuse ne voulait rien entendre.« Il fait un temps splendide. Dans

cette tenue, vous n’aurez pas froid, etvous ferez même fondre la neige. »

Manifestement, la boutique avait desfringues de grandes marques à écouler,

et elle comptait bien sur une bonne poirecomme Ashley pour s’en débarrasser.Au secours !

Pendant qu’Ashley boudait devantl’image de midinette des neiges que luirenvoyait la glace, Liz passa la tête danssa cabine pour lui faire admirer soninsolente tenue toute blanche. Le col etles manches de sa veste étaientrehaussés de fourrure, ainsi que sondélicieux petit chapeau. Pauvre petitlapin ! Cet ensemble étincelant mettaiten valeur sa longue chevelure noire, sesgrands yeux bruns et sa jolie bouchesensuelle.

« Ce n’est pas juste ! Tu as l’aird’une vraie star de cinéma, alors que jesuis ridicule, une vraie vamp de

troisième zone à la conquête de Vail !— C’est vrai que je suis à croquer !

Pour un peu j’en oublierais ma peur deskier, gloussa Liz en se pavanant devantla glace.

— Mais regarde-moi ! Cette tenue nem’épargne rien, gémit Ashley, quiregrettait amèrement de ne pas avoir faitun régime plus strict.

— Oh, du calme ! Tu es super sexydans cette tenue.

— Mais je n’ai pas la moindre envied’être sexy. J’ai envie de me cacher sousun rocher, ou mieux encore, sous unecouverture de cheval. Regarde, toi, tu asune veste qui te couvre les fesses. »

Le manteau de Liz était évasé à partirdes hanches, de telle sorte qu’on voyait

à peine son arrière-train. Liz n’arrêtaitpas de se tourner dans tous les sens pouradmirer sa transformation.

Les autres filles avaient l’air raviesdes fringues hors de prix dont on lesavait affublées. Ashley trouvait qu’ellesavaient toutes plus de panache qu’elle.Pour elle, c’était une torture de sortirdans la rue avec ces vêtements tellementdifférents de sa garde-robe habituelle.Elle en avait presque honte.

En traînant au fond de la boutiquepour retarder l’échéance, elle aperçutLuke dans le rayon hommes.

Nom d’une pipe ! Peut-être que çavaut la peine de porter un justaucorpsmoulant.

Luke lui-même portait une tenue qui

ne dissimulait pas grand-chose de sonanatomie. Sur son col roulé noir, ilportait un anorak bleu métallisé avec desmotifs sombres, qui mettait en reliefl’ossature de son visage bronzé. Ducoup, peut-être que passer la journéeavec un gars pareil, au fond, ne seraitpas une purge. À bien y réfléchir, il yavait pire.

Le groupe se rassembla au pied desremonte-pentes. Quand elle fut certaineque personne ne regardait de son côté,Ashley prit sa gourde et la dissimuladans le creux de sa veste.

De vaporeux nuages glissaient sur le ciellimpide. Le thermomètre affichait unetempérature positive. Cricket, Ashley et

Kate étaient parfaitement à l’aise sur lespistes. Luke avait avoué qu’il préféraitlargement le golf au ski.

Au remonte-pente, Luke et Kateétaient devant, suivis par Cricket etMegan, puis par Liz et Ashley. Il y avaitune équipe de caméramans en haut et uneautre en bas. Ashley espérait pour euxqu’ils savaient skier.

Quand ce fut leur tour, Liz eut unebouffée de panique.

« Je ne vais pas y arriver.— Bien sûr que si, je vais t’aider.

Prends ta respiration et vas-y. C’estcomme remonter à bicyclette.

— Ça m’a pris tout un été pourapprendre à monter à bicyclette.

— Regarde le couple devant nous.

Dès que le tire-fesses arrive à leurportée, ils se hissent dessus d’un simplecoup de bâton. C’est l’enfance de l’art.Il n’y a aucune raison que tu n’y arrivespas. »

Ashley essayait de la raisonnercomme une gosse.

« Tu es prête ?— OK, c’est bon.— Parfait, laisse-toi glisser. »Une fois embarquée sur le remonte-

pente, Liz laissa échapper un soupir desoulagement.

« Bon, après l’effort, le réconfort. »Ashley présenta à Liz la gourde

qu’elle avait cachée dans sa manche.« Bois-en une gorgée.— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Fais-moi confiance. C’est lapanacée. »

Liz lui jeta un regard soupçonneux.« Bois ça, et je te jure que tu ne le

regretteras pas. D’ailleurs, si tu n’as pasconfiance, je vais en prendre moi aussi.Avec les fringues que j’ai sur le dos, unpetit remontant ne me fera pas de mal.

— OK, je te fais confiance. »Liz prit la gourde d’Ashley et en

avala une gorgée.« C’est du chocolat ? lui demanda-t-

elle après une grosse quinte de toux.— C’est un mélange de chocolat en

poudre, de chocolat noir et de lait.— C’est délicieux, » dit Liz après en

avoir repris une gorgée.Ashley reprit la gourde et but à son

tour.« Rien ne résiste à ce traitement. »Elle se lécha les babines, rangea la

gourde dans sa manche et se prépara àsauter du remonte-pente.

Heureusement, le groupe se dirigead’abord vers une piste verte sansdifficultés. Plusieurs des filles n’avaientpas skié depuis longtemps, et ça lesarrangeait de commencer en douceur.L’air indécis, elles formèrent un cercleautour de Luke jusqu’à ce qu’il donne lesignal du départ en disant : « Bon sang,ce n’est que de la neige après tout ! »

Tout le monde lui emboîta le pas.Ashley resta à côté de Liz le tempsqu’elle retrouve ses marques. La

première colline n’avait rien d’effrayant,et elles la descendirent sans coup férir.Il faisait un temps idéal, presque sansvent. Ashley slalomait gracieusement, enjouissant de la caresse du soleil sur sonvisage et de la course du vent dans sescheveux. La vendeuse avait raison. Ellese sentait belle dans son ensemble noirtrès ajusté.

Quand les skieurs se retrouvèrent auremonte-pente, tout le monde était debonne humeur. Cette fois Luke s’installaà côté de Cricket, et Ashley resta auprèsde Liz. Dès qu’elles furent sur l’engin,Ashley ressortit sa gourde, et ellesburent deux bonnes rasades chacuneavant d’arriver au sommet. Liz se sentaitde plus en plus à l’aise sur ses skis,

peut-être en partie grâce au breuvagemagique. En tout cas, elle était moinsnerveuse.

En bas de la deuxième descente, ilsprirent un autre télésiège qui les emmenaplus haut dans le massif pour lesdéposer devant un magnifique chaletd’où la vue sur toute une chaîne desommets était époustouflante. PourAshley, qui avait grandi dans leMidwest, où il n’y a ni montagne, niocéan, ni désert, ce paysage majestueuxétait une révélation. Certes, leWisconsin avait sa beauté, mais rien decomparable avec ce qui s’offrait à savue dans le Colorado.

Ils ôtèrent leurs skis et entrèrent dansle chalet au décor suisse. Ils furent

accueillis par une joyeuse flambée dansla cheminée. Le bar occupait tout un pande mur, et des skis cassés servaient dedécoration.

« Et si on ajoutait les nôtres à cettecollection avant de partir ? suggéraAshley.

— Bien sûr, pourquoi pas ? »répondit Liz en riant.

Le groupe suivit l’un des producteursdans un salon privé au dernier étage dubâtiment où les caméras avaient étéinstallées. Les jeunes gens sedébarrassèrent de leurs gants, bonnets etautres protections. Ashley n’avait plushonte de sa tenue hyper sexy et enleva saveste d’un geste parfaitement naturel.Elle s’aperçut que Luke louchait dans sa

direction, alors même qu’il était en trainde parler à Megan. D’habitude, Ashleyrestait en retrait, mais dans cette tenue,elle ne pouvait pas passer inaperçue. Legrand air l’avait rendue euphorique, etelle devait avoir de belles couleurs.Pour être plus à l’aise, elle enlevaégalement ses chaussures de ski.

La serveuse monta prendre lescommandes.

Le déjeuner fut particulièrementjoyeux. Même si certaines des filles sebattaient dur pour capter l’attention deLuke, Liz et Ashley n’en avaient cure ettrouvaient l’ambiance plutôt cool.Naturellement, la conversation tournaautour des prouesses des uns et desautres, mais ça restait bon enfant et les

vannes n’étaient pas méchantes.Liz, Ashley et leurs camarades

abordèrent l’après-midi en grandeforme. Ce fut au tour de Liz de monter entélésiège à côté de Luke qui, en hommegalant, veillait à changer régulièrementde cavalière. Ashley fit un signed’encouragement à son amie, qui allaitenfin avoir l’occasion de montrer à Lukeles trésors de sa personnalité. Ashley nedoutait pas qu’il serait ensorcelé par Lizquand il aurait passé un peu plus detemps en tête-à-tête avec elle.

La piste suivante était plus longue etplus difficile que celles du matin. À mi-parcours, Ashley freina et décida defaire une arrivée spectaculaire enarrosant ses camarades d’une gerbe de

poudreuse. Elle reprit de la vitesse etdescendit tout schuss. Petit à petit, lesfilles qui l’avaient précédée prirent peuren la voyant débouler à toute allure.Ashley ne renonça pas pour autant à lesimpressionner en venant s’arrêter pile àleurs pieds. Elle décrivit un arc decercle qui projeta sur eux un rideau decristaux. D’habitude, quand elle selivrait à cette acrobatie, elle parvenait àstopper sa course exactement vingtcentimètres avant le skieur de son choix.Mais pas cette fois-ci. Elle percuta Lizde plein fouet.

Bon, c’est peut-être une légèreexagération.

Ashley essaya de réduire la violencedu choc, mais craignant de poignarder

Liz avec son bâton, elle retint son geste,et du coup, par un effet domino, Liztomba sur Cricket, qui tomba sur Kate, etainsi de suite jusqu’à Luke. En un clind’œil, il ne resta plus du groupe qu’untas de corps meurtris recouverts deneige. Les autres usagers du domaineskiable ne prêtèrent aucune attention àl’incident et les dépassèrent comme side rien n’était. Au lieu d’être horrifiée,Ashley piqua un fou rire, et Liz aussi semit à pouffer comme si c’était la blaguedu siècle.

En se relevant, Kate emmêla ses skisavec ceux de Megan. Ashley, qui était laseule à ne pas être imbriquée dans le tas,avait peur de faire pipi dans sonjustaucorps tellement elle riait. Luke

était enterré sous une épaisse couche decorps, de neige et de matériel de ski.

Il fallut un peu de temps pour quel’hilarité générale retombe et permette àchacun de se relever et de séparer lesskis enchevêtrés. Bien entendu, lescaméramans avaient filmé toute la scèneet avaient bien ri eux aussi. Quand toutle monde fut prêt à repartir, Luke fitsigne aux autres de prendre le télésiègeet resta en arrière avec Ashley.

« À votre tour, » dit-il en lui faisantsigne de le rejoindre avec un sourirecomplice.

Ashley avait l’impression d’avoir étéprise la main dans le sac. Elle prit placeà côté de lui dans la queue en faisant

comme s’il ne s’était rien passé despécial.

« Alors, quoi de neuf ? »Leurs visages se touchaient presque,

et elle ne pouvait guère se méprendresur l’expression amusée qui flottait surles lèvres de son compagnon.

« Je suis désolée, j’ai mal calculé madistance de freinage tout à l’heure,répondit-elle en regardant droit devantelle.

— Allez, dites-moi la vérité : à quoivous jouez ? » dit-il avec une mimiquede conspirateur.

Ashley feignit de ne pas comprendreoù il voulait en venir.

« À votre tour, » répéta-t-il quandleur télésiège fut à portée de main.

Ashley embarqua d’un mouvementsouple, sensible aux regards admiratifsque Luke jetait sur la tenue sijudicieusement choisie par la vendeuse.

Luke s’installa à ses côtés enl’observant de près. Soudain, voyant unobjet caché dans la manche d’Ashley, ilplongea la main dans sa veste et tira surle goulot de la gourde.

« Ah ! Ah ! je vois, lui dit-il d’un tonaccusateur.

— Ce n’est pas pour moi.— Vraiment ?— En réalité, c’est pour Liz. Elle

avait peur de se remettre au ski, et cetteboisson devait l’aider à se détendre.

— Elle n’est en tout cas pas la seuleà en avoir profité. »

Il était tout content d’avoir découvertun aspect insoupçonné de la personnalitéd’Ashley. Elle hocha la tête.

« Ma recette est super efficace. Vousavez vu comme Liz est plus à l’aisemaintenant qu’au début de la matinée ? »

Luke s’amusait de la voir essayer denoyer le poisson.

« Liz est vraiment faite pour le ski.Pas la moindre inhibition, » ajoutaAshley en faisant un grand geste desbras.

Craignant qu’elle ne perdel’équilibre, Luke fit un mouvementcomme pour l’empêcher de tomber dutélésiège.

« Eh, du calme ! Ce n’est pas lemoment de tomber.

— Pardon. J’ai un peu perdu lespédales. Je n’avais vraiment pasl’intention de renverser tout le monde.C’est le hasard. »

Luke lui mit la main sur l’épaule et sepencha sur son oreille, ce qui luipermettait du même coup de couler unœil dans l’échancrure de sa veste.

« Je suis déçu de ne pas avoir eu mapart. »

Il s’aperçut qu’elle était infinimentplus détendue quand ils étaient horscaméra.

Ashley lui fit un grand sourire.« Mais comment donc ! Ce qui est à

moi vous appartient de droit. Vous êtesl’invité d’honneur. Servez-vous… »

Elle dévissa le bouchon et lui tendit

le flacon. Luke inclina la tête en arrièreet laissa glisser le liquide dans sabouche, mais il avala de travers.

« C’est du chocolat chaud, sauf qu’iln’est plus chaud.

— Mais qu’est-ce que vous imaginiezque c’était ? demanda Ashley, espiègle.

— Je ne bois jamais seul, » dit-il enla défiant avec la gourde.

Ashley releva le défi, se lova dans lecreux du bras de Luke, et ouvrit labouche. Luke plaça délicatementl’orifice de la bouteille contre ses lèvreset inclina le récipient juste ce qu’ilfallait pour qu’Ashley puisse boireconfortablement.

Luke était stupéfait de la soudainecapitulation d’Ashley, qui se laissait

aller à profiter simultanément du goûtpuissant du cacao, de l’air pur descimes, et de ce bref instant d’intimitédans l’espace vierge.

Luke revissa le bouchon et remit laflasque dans le giron d’Ashley. Sepenchant vers elle, il scella leur accordd’un tendre baiser. Il sentit qu’elle étaitsurprise, puis qu’elle acceptait sesavances. Leur baiser avait un entêtantgoût de chocolat. Ashley poussa un petitgémissement de plaisir. Luke s’écartapour mieux la regarder. Les yeuxd’Ashley étaient grand ouverts etreflétaient une innocence angélique. Sonsouffle tiède lui chatouillait la joue.

Luke était sidéré par sa beautéunique. Elle ne faisait rien pour se

trouver en tête-à-tête avec lui et semblaitmême le fuir. Elle avait prétendu qu’iln’était pas son genre et qu’elle avait hâtede quitter l’émission. Et pourtant,chaque fois qu’il était seul avec elle, illa trouvait sexy et marrante.

« Alors, comme ça, je ne suis pasvotre genre ? »

Ils étaient arrivés au sommet. Ashleyse tourna vers lui, manifestementtroublée. Elle secoua la tête.

« À partir d’ici, c’est tout endescente. »

CHAPITRE 6

« J’aurais bien aimé que ce soit montour ce soir, » dit Gwen en trempant safourchette à fondue dans l’huilebouillante.

Les filles se régalaient d’une fonduebourguignonne, à l’exception de Liz etde Kate qui étaient sorties avec Luke. Lereste de la troupe en profitait pour sedétendre.

« Et moi donc ! Ce type me plaîttellement, » opina Shelby en mordant

dans une tranche de courgette biengrillée.

Eh bien, moi pas, songea Ashley, quiavait bien besoin d’un répit après leurconversation sur le télésiège. Elle sesentait percée à jour quand Luke laregardait au fond des yeux, et elle avaitété soulagée de retrouver les mursdésormais familiers de la Villa Séville.Le souvenir de leur baiser, del’incroyable douceur des lèvres de Luke,l’obsédait. Chaque fois qu’elle ypensait, elle avait des papillons dansl’estomac et envie de danser.

« J’aimerais tellement qu’ilm’embrasse, dit Jenny, les yeux perdusdans le vague, tout en enfilant desmorceaux de brocolis cuits à la vapeur

sur son pic à brochette.— Il ne t’a jamais embrassée ? »

demanda Shelby, sans pouvoirdissimuler la satisfaction que lui causaitcette révélation involontaire.

Elles semblaient toutes stupéfaitespar ce qu’impliquait le commentaire deJenny. Apparemment, il les avait toutesembrassées. Du coup, l’expérience dutélésiège paraissait bien moins enivranteà Ashley. Le gars ne se gênait pas pourdistribuer des baisers à droite et àgauche. Jenny était la seule exception.

« Oh, ça ne veut rien dire. Je suissûre qu’il n’embrasse pas tout le monde.Cricket, est-ce qu’il t’a embrassée ? »demanda Jenny, soudain sur ladéfensive.

Cricket gloussa et haussa les épaulesavec un petit air coupable.

Jenny avala sa salive et lutta pourcontenir les larmes qui lui montaient auxyeux.

« Oh, ma biche, n’en fais pas undrame. L’occasion n’a pas dû seprésenter, intervint Shelby, prise d’unmouvement de compassion.

— Shelby a raison, l’occasion fait lelarron. Évidemment, avec moi, il neperd aucune occasion, » confia Tamiavec son air de la ramener habituel.

Tami se laissa glisser contre lescoussins de la banquette en croisant lesjambes, et passa une langue coquine sursa lèvre supérieure gonflée au collagène.

« Laissez-moi vous dire qu’il sait y

faire, ce gars-là.— C’est lui ou c’est toi qui sais y

faire ? » demanda Shelby avec l’ironietypique des gens du sud.

Ashley fit un clin d’œil à Rachel. Unpoint pour Shelby ! Tami fusilla celle-cidu regard. C’était bien le cas de le dire.

« Ma foi, Tami, dit poliment Rachelen découpant sa viande, je ne sais pas ceque tu sais faire d’autre dans la vie,mais pour ce qui est de massacrer lesmoustiques, ça je peux témoigner que tusais y faire. Le jour où on a été à lapêche, tu t’es sacrément battue. Je peuxme tromper, mais il m’a semblé queLuke n’avait pas été aussi impressionnéqu’il l’aurait dû. »

Quelques jours plus tôt, Rachel et

Tami étaient allées à la pêche avec Luke.Ils s’étaient levés à quatre heures etdemie du matin pour partir au diableVauvert et rester assis dans un bateaupendant six heures d’affilée.

Tami s’était pointée avec un ravissantpetit débardeur et une mini-jupe. Elleportait aussi un parfum qui, à défaut desubjuguer Luke, s’était révéléirrésistible pour les mouches, lesmoucherons et les moustiques. Plusieursfois, Luke lui avait proposé son répulsif,mais Tami avait juré ses grands dieuxque jamais elle ne se vaporiserait avecun truc qui puait autant. À la fin del’expédition, Tami était couverte depiqûres, et même son maquillage n’avaitpas réussi à préserver son visage.

Luke et Rachel avaient eu toutes lespeines du monde à s’empêcher d’éclaterde rire en voyant Tami monter l’escalierde la villa quatre à quatre, en balançantà bout de bras son petit sac à main pourpasser sa colère.

Le reste du groupe buvait du petit laiten voyant Tami vexée comme un pou. Cespectacle inédit avait fait bien desheureuses.

Tami jeta un regard assassin endirection de celle qui osait lui rappelercette mésaventure.

La dégustation de la fondue sepoursuivit néanmoins. Après la fonduebourguignonne et la fondue au fromage,elles dégustèrent une bonne fondue auchocolat avec des fraises, des bananes et

une génoise. L’atmosphère redevintcordiale.

« En fait, que croyez-vous que Lukerecherche chez une femme ? demandaCricket qui se calait confortablement surun coussin en tenant son assiette de fruitsrecouverts de chocolat.

— Une plastique de rêve, réponditaussitôt Shelby en croquant une fraise.

— Un peu de cervelle, ajouta Rachelaprès réflexion.

— De l’affection, affirma Jenny, sansgrande conviction.

— Une personnalité hors ducommun ? » suggéra Gwen.

Il y eut un silence, puis tout le mondeéclata de rire, y compris Gwen.

« Il veut une femme qui soit proche

de lui, très proche, » reprit Tami enlaissant lentement glisser ses mains lelong de son corps.

Ashley n’avait pas de mal à la croire.Au fond, Luke n’était qu’un playboy. Cen’était pas du tout son genre, il ne fallaitpas qu’elle perde cela de vue.

« Qu’est-ce que tu en penses, toi,Ashley ? » demanda soudain Tami.

Ashley savait pertinemment que cettesorcière voulait lui faire admettrequ’elle partageait la fascination généralepour Luke, mais on n’attrape pas lesmouches avec du vinaigre. Ashleyn’avait aucune intention de livrer sessecrets en pâture aux autres, et encoremoins aux caméras tapies dans les coins.

« Je ne prends pas part au vote.

— Il cherche une femme qui soit à sabotte, comme ses coéquipiers desPackers.

— Ça, c’est bien vu ! approuvaJenny.

— Pas du tout. Il cherche une femmeà sa mesure, qui ne s’aplatit pas devantlui, » asséna Meg.

Meg était une fille intéressante,passionnée par tout ce qui était NewAge. Elle ramenait tout aux esprits et àl’énergie vitale, ce qui lui valait souventdes regards dubitatifs de la part du restedu groupe. Elle drapait sa magnifiquechevelure qui tirait sur le roux en unecurieuse tresse qui évoquait unepâtisserie à la cannelle.

« Rien de plat dans le secteur, » se

rengorgea Shelby en admirant sagénéreuse poitrine.

Sans lui faire l’aumône d’uncommentaire, Megan continua sonanalyse.

« Il cherche une femme sûre d’ellequi ne va pas trembler devant lui. Il veutune femme qui soit son égale. »Le groupe pesa le verdict de Meg. Peut-être était-elle dans le vrai.

« Peut-être même carrément unefemme qui n’a pas peur d’aller del’avant. Une femme qui trace son proprechemin, continua Meg, comme si elle secontentait de lire un mode d’emploi.

— Saperlipopette, » laissa échapperRachel.

Les déclarations de Meg avaient

réveillé le groupe.« D’où sors-tu tout ça ? demanda

Ashley pour en avoir le cœur net.— J’ai lu les cartes.— Hein ?— Oui, j’ai tiré les cartes l’autre

soir. Un genre de Tarot, mais pour lesaffaires de cœur. C’est lumineux. »

Ouais, vachement.Les filles se regardaient d’un air

sceptique.« Luke est quelqu’un de calme et de

décidé. »Jusque-là, tout le monde était

d’accord.« Mais c’est aussi quelqu’un de

sensible qui a besoin d’amour. Il a uncôté farfelu, mais au final c’est un type

responsable. Il veut ce qu’il y a demeilleur, conclut Meg en haussant lesépaules.

— Ça, ce n’est pas nouveau, déclaraTami.

— Dis-donc, tu es douée. Tu asvraiment lu tout ça dans les cartes ?s’extasia Cricket.

— Oh, c’est une questiond’interprétation, mais c’était assez clair.

— Je t’achète un jeu de ces cartes, »dit Gwen en levant les yeux au plafond.

CHAPITRE 7

Tami et Shelby s’étaient déjà installéesprès de la piscine pour perfectionnerleur bronzage et, accessoirement,préparer le terrain de leurs futursmélanomes, tandis que Liz, Ashley etquelques autres prenaient le petit-déjeuner dans la cuisine. Beaucoup nemangeaient que des fruits ou descéréales, mais Ashley, qui était tombéesur un paquet entamé de snacks aufromage, se régalait.

Soudain, au-dessus du brouhaha de laconversation, un vacarme énorme se fitentendre dans la pièce à côté, d’oùsurgirent trois caméramans bardés dematériel, suivis par Clay, avec sonhabituel sourire torve, et Luke,parfaitement réveillé et tiré à quatreépingles. Quelle que soit la surprise quise préparait, le célibataire était dans lesecret.

Ashley resta figée sur place, unbiscuit apéritif à la main. Le silence sefit peu à peu, tandis que les filleséchangeaient des regards interrogatifs.Comme Luke ne débarquait jamais àl’improviste, il était clair que quelquechose se tramait.

« Bonjour, les filles ! » dit Luke en

examinant les tenues négligées queportaient les candidates pendant lesheures paisibles du début de la matinée.Je me suis dit que ce serait rigolo defaire un tour pour voir ce qui se passeici quand je ne suis pas attendu.

Il s’empara d’une chaise, comme s’ilavait l’intention de se joindre à leurséance matinale de potins autour dupremier café.

Les autres filles, qu’un assistant avaitété cherchées, entrèrent par la porte dederrière. Meg commençait toujours lajournée par une heure de yogapurificateur sur la plage. Tami et Shelbyétaient invariablement les premières à lapiscine. Personne ne comprenait trèsbien de quoi il retournait.

« Vous avez l’air très en formeaujourd’hui, » dit Luke en admirant lescorps luisant d’huile solaire des deuxbombes.

Tami lui répondit par un sourireétincelant.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demandaMeg, plus terre-à-terre.

Clay en profita pour reprendrel’initiative face à la caméra.

« En réalité, Luke, nous ne sommespas ici pour voir les filles manger leursflocons d’avoine. Nous avons unegrande surprise à vous annoncer. »

Cette déclaration suscita quelquescris de joie, tandis que Luke, plusréservé, se contentait d’attendre la suite.

« Dans quelques minutes, il y aura

une cérémonie de la rose improvisée, etquatre d’entre vous rentreront chezelles. »

On aurait entendu une mouche voler.Les filles atterrées ne savaient commentaccueillir la nouvelle qui prenaitmanifestement Luke lui-même audépourvu.

« Donc, sans plus tarder, je vousdemande de bien vouloir me suivre dansle grand salon. Toute l’équipe estprête, » termina Clay.

Aussitôt s’éleva une cacophonie derécriminations et de questions.

« On a besoin de plus de temps pourse préparer.

— Je n’ai pas eu une seule sortiespéciale avec Luke !

— Pourquoi maintenant ? Je veuxaller me changer.

— Combien de roses y a-t-il ?— Pas question de me laisser filmer

sans m’être brossé les dents. »Clay avait l’air excité par ce déluge

d’objections.« Mesdemoiselles, je sais que c’est

une grande surprise, mais ça va être trèsrigolo. Vous êtes toutes magnifiquestelles que vous êtes, et ça donnel’occasion à Luke de vous voir aunaturel. »

Ashley jeta un coup d’œil sur sondébardeur jaune délavé et sur le shortqu’elle s’était taillé dans un vieuxsurvêtement gris. Elle ne portait pas desoutien-gorge, n’avait pas encore passé

le peigne dans ses cheveux, et commeelle s’était démaquillée à la va-vite, desrésidus de mascara ombraient ses joues.

« Moi je suis prête, allons-y, » ditfièrement Tami en jouant des hanchesdevant Luke. Dans son bikini rose etavec ses cheveux ramassés en chignonpour éviter le contact avec l’ambresolaire qui la recouvrait des pieds à latête, elle était à son avantage.

Luke poussa Clay dans un coin, l’air trèsmécontent. Dominé par l’athlète de latête et des épaules, Clay n’en menait paslarge.

« Qu’est-ce que c’est que cetteplaisanterie ? Pourquoi ne m’a-t-on riendit ? » grogna Luke en concentrant sa

rage sur Clay.« C’est une décision de la production.

Ce sera bon pour l’audimat, » réponditClay, qui tremblait véritablement dansses chaussettes en face de Luke.

« Il s’agit de ma vie, ni plus ni moins,espèce de larve. Je ne vais pas melaisser faire. La moindre des choses,pour elles comme pour moi, c’est quechacune ait sa chance. Commentpourrais-je en renvoyer encore chezelles ? Je ne suis pas prêt. Je n’y avaismême pas réfléchi, conclut Luke, quiavait bien du mal à ne pas sortir de sesgonds.

— C’est dommage, mais il va falloirpasser à la vitesse supérieure. Il suffitde garder les six plus jolies. En tout cas,

moi, c’est ce que je ferais. »Luke mourait d’envie de lui casser la

gueule.« Ne vous amusez pas à jouer avec

ma vie. Je ne vais pas me laisserridiculiser. Foutez-moi la paix !

— Mon vieux, adressez-vous à laproduction. Moi, je ne fais qu’exécuterles ordres, » se défendit Clay encherchant du regard l’aide d’un assistantou même d’un caméraman.

Jim, qui venait de s’apercevoir del’échauffourée, vint à la rescousse.

« Luke, calme-toi. Personne ne te veutdu mal. On est là pour s’amuser etsurtout, amuser le public. De toute façon,toutes les filles sont formidables. Tu nepeux pas faire un mauvais choix.

Luke fit un effort sur lui-même et tentade reprendre le contrôle de la situation.Dans le passé, cela lui avait toujoursréussi. Le producteur avait raison :aucune des filles n’était vraiment nulle.En tant que stratège de son équipe, ilavait l’habitude de prendre desdécisions.

Aujourd’hui, il allait devoir fairequelques balles d’entraînement.

Les filles furent conduites dans le salonen moins de deux, pendant que lestechniciens mettaient la dernière main auson et à l’éclairage. Le producteurinstalla les filles sur deux rangées. Ellesétaient toutes plus ou moins paniquées,n’ayant ni le temps ni les moyens de

soigner leur apparence.Rachel prit Ashley à part pour lui

demander de promettre de rester encontact à l’issue de l’émission.

« Mais ça coule de source. Pourquoime poses-tu la question ?

— Je sais que ça n’a pas tropaccroché entre Luke et toi, et tu n’as pasl’air d’avoir envie de rester. Ne te vexepas, je te trouve super, mais je voulaisêtre sûre d’avoir l’occasion de te direau revoir.

— OK, » répondit Ashley en allantprendre place, un peu perturbée par lespropos de Rachel, qui sous-entendaientqu’elle s’attendait à la voir éliminée lejour même. À voir !

Ashley se passa la main dans les

cheveux, sans illusions sur l’effetqu’elle produisait à côté de Tami etShelby. Les autres filles étaient plus oumoins négligées. Meg portait une tuniquebanale, alors que Kate arboraitl’ensemble Nike dans lequel elle partaitcourir tous les matins. Liz et Rachelétaient en pyjama, mais au moins elless’étaient brossées les cheveux avant dequitter leur chambre.

Ashley se retrouva au premier rang,totalement humiliée. Un par un, elle suçases doigts graisseux qui avaient traînédans le paquet de biscuits au fromage.En relevant les yeux, elle s’aperçut queLuke avait les yeux fixés sur elle. Çasemblait l’amuser énormément de la voirse lécher les doigts. Elle n’aurait jamais

cru que se lécher les ongles était torride,surtout quand ils sont couverts demiettes collantes, mais à en juger parl’expression moqueuse de Luke, songeste pouvait être interprétédifféremment. Elle arrêta de se sucer lesdoigts et les essuya le plus discrètementpossible sur son short. Luke rigolaitdoucement.

« Alors, mesdemoiselles, vous êtesplus photogéniques que jamais, ce matin,n’est-ce pas ? » aboya Clay d’un tonrailleur.

C’était le contraire d’un défilé demode. Leurs tenues éclectiques et sansapprêt faisaient un contraste dramatiqueavec les images de leur arrivée à lavilla, où elles étaient parées comme

pour le nouvel an viennois. Tami, àmoitié nue, était dans son élément.Ashley aurait été prête à parier qu’elleavait eu vent de ce qui se mijotait. Lescaméramans avaient du mal à détacherles yeux de sa plastique extraordinaire.

À ses côtés, Gwen avait déjà les yeuxpleins de larmes et la lèvre tremblotante.Elle paraissait exsangue sous sa pâlechevelure blonde. Sans maquillage, seslongs cils étaient quasiment transparents.Pire encore, ses yeux naturellement grisparaissaient ternes quand on avaitl’habitude de la voir porter des verresde contact teintés qui illuminaient toutson visage. Normalement, ses yeux bleusattiraient les regards. Aujourd’hui,Gwen n’avait aucun trait distinctif.

Ashley avait du mal à prendre l’airdétaché qu’elle affichait toujours lors dela cérémonie de la rose. D’habitude, elles’y préparait longuement, dans le butd’être éliminée. Cette fois-ci, sa seulechance de rentrer chez elle reposait surle fait qu’elle avait passé peu de tempsen tête-à-tête avec Luke, et qu’elle avaitl’air d’un chien mouillé dans ses vieillesfringues de nuit. Après tout, en dehors del’épisode du télésiège, ils s’étaient àpeine croisés, et elle n’avait pas eul’occasion de lui laisser une impressionindélébile.

Bien sûr, elle souhaitait toujoursquitter l’émission, mais il était difficilede ne pas céder à l’excitation générale.Et puis, elle ne détesterait pas que Luke

l’embrasse encore une fois. Elle nesavait plus où elle en était. Que voulait-elle vraiment ?

Luke les survola lentement du regard,comme s’il essayait de faire sa sélectiond’un seul coup. Ashley trouvait saposition peu enviable. Éliminer quatrepersonnes de but en blanc n’était paschose aisée.

Maintenant qu’il ne craignait pluspour sa peau, Clay avait repris son airarrogant.

« Mesdemoiselles, merci de votrecoopération pour cet événementimpromptu. Luke, à vous de jouer, » dit-il en cédant la place à l’invité vedette.

Luke prit une rose dans le panier et lafit tourner quelques instants entre ses

doigts d’un air pensif, tout en observantles filles habillées de bric et de broc quiétaient rassemblées devant lui.

« Avant de commencer, je voudraisvous dire que je suis aussi surpris quevous de la tournure des événements. Jen’ai pas eu le loisir de réfléchir à laquestion, et je ne me sens pas prêt pouréliminer quatre personnes. De plus, jeregrette de ne pas avoir passésuffisamment de temps avec certainesd’entre vous. En tant que stratège de monéquipe, j’ai l’habitude de devoir prendredes décisions instantanées, et c’est ceque je vais devoir faire ici aujourd’hui.Je ne veux blesser personne.Évidemment, vous n’êtes pas prêtes nonplus. Si j’avais le choix, je n’éliminerais

personne ce matin, mais puisque je nesuis pas libre de le faire, je vais essayerd’en finir le plus vite possible. »

Ashley était soulagée qu’il soitpressé. C’était sans doute bon signe pourelle. Elle éprouva un pincement deregret à l’idée de partir, mais quelsoulagement ce serait d’échapper à lasurveillance constante des caméras !Elle refusa d’imaginer que ce qu’elleressentait pouvait s’apparenter à unattachement pour Luke. Après tout, il luiétait indifférent.

Il commença à annoncer les noms unpar un. Kate. Cricket. Tami. Rachel. Lesquatre sélectionnées se blottirent dans uncoin sans oser donner libre cours à leureuphorie. Il ne restait plus que deux

roses. Drapée dans son paréo, Shelbyavait son allure habituelle de reine debeauté. Meg paraissait faire confiance àses ondes positives pour guider ladécision de Luke. Jenny le couvait duregard en battant des paupières. Gwentremblait de tous ses membres. Liz étaitsereine. Ashley attendait. Luke savaitqu’elle ne voulait pas de lui. Il savaitqu’elle ne tenait pas à lui – enfin, pasbeaucoup. Elle retint son souffle.

« Ashley. »Elle poussa un long soupir. Une fois

de plus, elle restait. À quoi jouait Luke ?Elle s’avança et accepta la rose.

Avant qu’elle fasse demi-tour, Lukel’immobilisa.

« Attendez. Vous avez des miettes de

Cheetos sur le front. L’orange, ce n’estpas votre couleur. »

Une fossette apparut sur sa jouetandis qu’il passait son mouchoir sur lefront d’Ashley.

« Merci. Je m’en souviendrai. »Elle aurait voulu disparaître sous

terre. Cette matinée était insupportable.Clay s’approcha de Luke et déclara

d’un ton sentencieux, comme s’ils’agissait de la remise du Prix Nobel :« Et maintenant, la dernière rose ! »

Quel abruti !Luke se passa la main dans les

cheveux, prit sa respiration et annonça :Jenny.

Ashley et Rachel se tournèrentaussitôt vers Liz, qui était dans le camp

des perdantes. Liz allait laisser un videdans leur chambrette minuscule. Elleavait l’air déçue, mais pas accablée.Elle leur envoya un baiser et leursouffla : « Bonne chance ! N’oubliez pasde m’appeler ! », avant de dire adieu àLuke.

Après le départ de Liz et des troisautres, la fête avait un goût amer. Ashleyse sentait un peu sonnée et avait du mal àdigérer les événements. Le jeu luiéchappait, et elle ne savait pas comments’en sortir. Pourquoi Luke l’avait-ilgardée ? C’était la troisième cérémoniede la rose, et elle avait passé un tempsinfime avec lui. D’accord, le baiser voléen télésiège lui avait donné des ailes,mais ça ne voulait strictement rien dire.

Liz avait tellement plus d’atouts.Pourquoi la vie lui faisait-elle ce cadeauempoisonné ? Elle lui avait presque ditd’aller se faire voir ailleurs. En fait, ellen’avait pas mâché ses mots. Elle nevoulait pas continuer à perdre son tempsdans cette émission.

Qu’allait-elle faire ? Elle ne voyaitpas du tout comment elle pouvaitreprendre le contrôle de la situationpour la faire tourner à son avantage. Auminimum, elle en avait encore pour troisjours.

« Qu’est-ce que tu fabriques ?— Tu vois bien, je mets de l’ordre,

répondit Ashley, qui ne voyait pas oùRachel voulait en venir.

— Tu te fous de ma gueule ou quoi ?

À quoi joues-tu ? dit Rachel d’un tonagressif. Depuis le début tu nousrabâches que Luke n’est pas ton genred’homme et que tu te moques del’émission, mais à chaque éliminatoiretu tires ton épingle du jeu. »

Ashley déposa les verres dansl’évier. Mais où veut-elle en venir ?

« C’était ton plan dès le départ,avoue. Toutes, on avait notre plan debataille, et toi, le tien, c’était de jouerles saintes-nitouches. »

Rachel faisait les cent pas d’un airfuribard. Soudain elle s’immobilisa enface d’Ashley et lui mit son index sousle nez. Ses accusations prenaient Ashleytotalement au dépourvu.

« Tu t’es bien payé notre tronche avec

l’histoire de ta chute au début del’aventure. Quel baratin ! Tu t’es laisséetomber devant lui exprès pour qu’il teremarque d’entrée de jeu, et tu t’esservie de nous pour qu’on te facilite latâche. »

Ashley tenta d’intercepter Rachel, quis’était remise à marcher de long en largecomme un lion en cage.

« Ce n’est pas vrai. C’est lui qui m’achoisie, pas l’inverse.

— C’est la première fois que jetombe amoureuse, et tu vas tout gâcher.

— Oh, Rachel, ne dis pas ça. Tu ne leconnais même pas. Ça fait moins dedeux semaines que nous sommes là. Tut’imagines que tu l’aimes, mais lasituation est complètement artificielle.

— Pas pour moi, rétorqua Rachel ense dégageant, le visage ravagé par lechagrin.

— Ma chérie, je ne veux pas te voirsouffrir.

— J’avais confiance en toi, mais tum’as trahie dès le début.

— Non, ce n’est pas vrai.— Si, c’est la pure vérité, mais peu

importe. Tu ne l’auras pas. Ce quej’éprouve pour lui est authentique, et tun’y peux rien. Je le sens en moi, et jesais qu’il le sent aussi. »

Rachel tourna les talons, laissantAshley sans voix. Désormais seule avecle caméraman qui avait enregistré toutela scène, elle baissa instinctivement latête.

Les choses allaient de mal en pis, etelle ne voyait aucune issue. Elle espéraitque Rachel allait se calmer et qu’ellespourraient reprendre la discussion àzéro plus tard. Ashley quitta la cuisine etla méprisable caméra qui continuait àtourner imperturba-blement. Elleretraversa le salon pour monter dans sachambre. Au passage, elle aperçut Tamiqui, appuyée contre le chambranle de laporte, semblait ne pas avoir manqué unemiette de la dispute et se réjouissait decette discorde.

Quand elle arriva dans sa chambre,Ashley vit que Rachel avait récupéré sesaffaires et changé de dortoir. Ashley sesentit aussi triste et nue que les tiroirsvidés à la hâte par son ancienne

camarade. Cet endroit exigu où elleavait malgré tout connu des fous riresmémorables était l’image même de ladésolation.

Elle s’allongea et contempla leplafond, trop déboussolée pour faire satoilette. Le seul point positif de cetteexpérience sordide avait été sarencontre avec Liz et Rachel, etmaintenant elles étaient parties toutes lesdeux.

Était-elle condamnée à resterincomprise et à l’écart ?

Elle savait que ça ne servait à rien des’apitoyer sur son sort, mais elle nevoyait pas comment continuer sa routesans le soutien affectif de ses amies.

Il fallait absolument qu’elle quitte

l’émission.

Luke se détendait sous la douche. Ilavait laissé couler l’eau chaude pourque la vapeur s’accumule dans la cabinecomme dans un bain turc. Le souvenir dela déception gravée sur le visage detoutes celles qu’il avait éliminées lehantait.

Il suffoquait.Pourquoi est-ce que cela m’obsède ?

Je m’en moque. Ce n’est pas lapremière fois que je largue une fille.Est-ce que c’est parce que ça passe à latélé ?

Il appuya le front contre la paroi enmarbre, incapable de se débarrasser deson sentiment de culpabilité. Est-ce que

j’ai toujours fait autant de peineautour de moi ? Est-ce que c’est tout cedont je suis capable ? Pourquoi n’ai-jejamais réussi à être fidèle ?

Cette émission était censée êtrerigolote. Il y avait une super ambiance etdes filles magnifiques mais, comme dansla vie, il laissait tomber des filles quis’étaient attachées à lui. C’était toujoursle même scénario. Pourquoi secomportait-il ainsi avec les femmes ?

Ce jeu n’était plus drôle du tout, et iln’était pas sûr de vouloir gagner, nimême de vouloir continuer la partie.

CHAPITRE 8

« Voilà le courrier ! »Ashley, planquée sur le patio arrière

qui avait vue sur l’océan turquoise, levales yeux de son livre. Une fois de plus,elle s’était évadée dans un roman degare, dont la couverture était ornéed’une silhouette de Viking musclé.L’ombre d’un catalpa la protégeait descoups de soleil, et comme d’habitude,elle avait une canette de Coca Light àportée de main.

« Ashley, où es-tu ? »La voix aiguë de Jenny lui parvenait

de l’autre côté de la maison.« J’arrive, » annonça Ashley sans

enthousiasme.Fin de la récréation.« Dépêche-toi, Jenny a déjà déchiré

l’enveloppe.— Ne vous mettez pas la tête à

l’envers, j’arrive. »Ashley abandonna le calme du patio

pour le cirque qui régnait dans le salonchaque fois que Luke envoyait uneinvitation. Les filles se faisaienttacitement concurrence pour être lapremière à trouver la lettre et partager labonne nouvelle avec les camaradesconcernées. Sans chercher à être la

première à la boîte aux lettres, Ashleyétait tout de même curieuse d’apprendreà qui s’adressait le message du jour.

Maintenant qu’il ne restait plus quesix prétendantes, les enjeux étaientélevés. Manifestement ses efforts pourse rendre invisible avaient échoué, maismême s’il était urgent qu’elle se remettesur le marché du travail, elle devait bienavouer qu’elle était contente d’avoirsoufflé un peu. Elle lisait beaucoup,faisait la grasse matinée et avait pris debelles couleurs. Comme elle neparticipait guère aux activités, lescaméras la laissaient relativementtranquille. Globalement, elle n’avait pasà se plaindre, ce qui voulait dire qu’elleferait probablement partie de la

prochaine expédition.Jenny agitait la carte en l’air avec des

cris perçants.« C’est une partie de golf ! Il y a trois

filles invitées !— Mais qui y va ? demanda Tami

avec agacement. Donne-moi la carte. »Et elle se fit un devoir de jouer les

tambours de ville. Il y aura du sable, mais ce n’est

pas la plage,Beaucoup d’herbe, et pas de

rivage.Prenez vos clubs et prenez vos

tees,Et joignez-vous à la partie :Ashley, Tami et Cricket,

Vous entrerez sans ticket.

Tami prit un air suffisant, comme si ellen’avait pas douté une seconde que sonnom figurerait sur la liste. Sa morgueimpressionnait tout le monde. Rachelavait l’air écrasée sous le poids de ladéception. Elle détourna la tête et quittala pièce.

Kate et Ashley, quant à elles,semblaient sincèrement contentes pourCricket, qui était très douce et réservée.Pour le peu qu’elle savait sur elle,Ashley la trouvait sympathique. Ellefaisait peu de cas de son corps superbeet donnait l’impression d’être solidemalgré ses airs timides.

Ashley était ravie d’avoir une

nouvelle occasion de quitter lepérimètre étroit de la villa, même auprix d’une rencontre avec Luke. De toutefaçon, elle ne serait pas seule avec lui.Et puis, elle était curieuse de voir où enétaient les choses entre elle et lui.

Mais le golf ? Ashley n’y avait jouéque deux ou trois fois avec des amis il ya longtemps, et une fois avec un ex, maisça l’avait barbée, et elle n’avait paspersévéré. Le plus souvent, son swingratait la balle. Elle ne se rappelait mêmeplus la terminologie du jeu, mais parcontre, elle avait un souvenir précis desa concentration et de sa frustrationlorsque le club effleurait le sommet dela balle et ne déplaçait que de l’air.

Elle ne s’était amusée que lorsqu’elle

jouait avec des copines qui n’yentendaient rien non plus. Quand ellesloupaient un coup, ellesrecommençaient, ou rapprochaient toutsimplement la balle du trou. Pourvu quece soit comme ça demain.

La limousine vint les chercher dès septheures du matin. Luke les attendait déjàsur le green.

« Bon sang, ce qu’il est sexy ! »s’exclama Tami en le dévorant des yeux.

Ashley était bien d’accord là-dessus.Luke portait un short beige et un polod’un blanc étincelant avec le logo deWhistling Straits, le célèbre parcoursde golf du Wisconsin. Le tissu très fin dela chemise accentuait ses pectoraux. Il

était encore plus bronzé que dans sonsouvenir. De toute évidence, il passaitbeaucoup de temps en plein air. Avecses chaussures de golf, il paraissaitencore plus grand. Il était dans sonélément, et avait l’air parfaitement à sonaise.

Luke vint à leur rencontre et leur fit labise. Les choses commençaient bien.Ashley se caressa la joue qu’il venait detoucher du bout des lèvres. Ils entrèrentdans le magasin, et on leur distribua toutle matériel nécessaire. Chacune avaitchoisi la tenue qui lui paraissait la plusappropriée. Ashley portait un shortbeige de chez Dockers et un haut noirsans manches, mais pas échancré. Elleavait une queue de cheval et une visière

noire toute simple.Tami, quant à elle, avait mis ses

longues jambes bien en valeur dans unshort blanc riquiqui. Évidemment, ellen’allait pas se priver. Son haut rosemoulant avec un col en V était des plussuggestifs. Elle n’avait pas attaché sescheveux, et son fameux baume pour leslèvres rendait son sourire encore pluscapiteux. Ses lunettes de soleil devaientcoûter une fortune, et l’ensemble auraitété plus à sa place sur un tapis rouge quesur un green de golf. Luke, tout commeles caméramans et le personnel du club,n’arrivait pas à détacher son regard decette créature de rêve.

Cricket était celle qui était habilléepour la circonstance des pieds à la tête.

Elle fit le tour de la boutique avec uneassurance née de l’habitude. Sa visièreétait assortie à sa chemise de golfcouleur nectarine, et, quand elle sepencha pour examiner les clubs d’un œilexpert, un gant de golf tomba de sapoche.

Pas de doute, Cricket était à sonaffaire.

Ashley sentit son inquiétude grandir.À l’extérieur, il y avait deux

voiturettes de golf à leur disposition. Àl’arrière de l’une d’entre elles étaitattaché un grand sac noir. Tami prit Lukepar le coude et lui demanda lapermission de monter dans la mêmevoiture que lui, sous prétexte qu’elleavait besoin de quelques conseils de

pro.Ashley aurait bien quelques conseils

de son cru à lui donner, mais inutiled’épiloguer.

Après avoir fait quelques coupsd’entraînement, Ashley ne se sentait pasmieux. Certes, elle avait réussi à frapperla plupart des balles, mais elles étaientallées mourir quelques mètres plus loin.Elle fit équipe avec Cricket et essaya dene pas perdre courage. Cricket lui jetaun regard de biais.

« On dirait que tu ne joues passouvent au golf, je me trompe ?

— Ça se voit tant que ça ?— Disons que tu aurais besoin d’un

tuyau ou deux.— Tu parles, Charles ! Ce qu’il me

faudrait, c’est un sosie qui sache jouerau golf. Tu aurais ça en magasin, parhasard ?

— Oh, ne te fais pas de bile, ça vaaller. Je ne veux pas me mêler de ce quine me regarde pas, mais je crois que situ corriges deux ou trois trucs, tu aurasde bien meilleurs résultats.

— Vraiment ? Tu crois que tu seraiscapable de m’aider ? Je suis tellementnulle au golf. Pourquoi est-ce que je nesuis pas tombée sur le match debaseball, ou la sortie au zoo ? » gémitAshley en contemplant d’un air morne lepaysage qui s’étendait devant elle.

Cricket lui sourit gentiment.« Ne te fais pas de souci. Je vais

rester avec toi et on va voir ce qu’on

peut faire pour améliorer ton swing.— Merci d’avance. Je te promets que

je te revaudrai ça. Au besoin je temasserai les pieds. Si tu m’aides à nepas me ridiculiser devant les camérasaujourd’hui, je suis ton amie pour la vie.

— Pas de problème. Ça me faitplaisir de te donner un coup de main, etle service est gratuit, » dit Cricket enriant.

Arrivé au tertre de départ, Lukeenfonça son tee profondément dansl’herbe, puis fit quelques swingsd’échauffement. Ses mouvements étaientparfaitement fluides, et son regard fixaitavec précision l’endroit où il avaitl’intention d’envoyer sa balle. D’ungeste parfaitement maîtrisé, il la frappa

si fort qu’elle sembla rester en l’airpendant une éternité, avant de retomberexactement à l’endroit prévu.

Incroyable ! Ashley n’avait jamais vupersonne jouer comme ça. Certes, ellen’avait jamais hanté les clubs de golf.Parmi ses ex, aucun n’avait brillé dansce sport. En fait, comparés à Luke, ilsjouaient comme des bœufs.

Luke invita ses compagnes à selancer. Tami ne se fit pas prier et posa saballe en cambrant les reins.

Quelle frimeuse !Ashley aurait donné beaucoup pour

frapper sa balle comme Tami. Mais pourêtre honnête, elle aurait donné encoreplus pour avoir la silhouette de Tami.

Quand ce fut au tour de Cricket, le

spectacle fut encore plus gracieux. Ellefrappa la balle tout en souplesse et luidonna une trajectoire parfaite. C’était dela poésie en mouvement.

« À vous, dit Luke, comme pourréveiller Ashley, qui faisait mine de nepas bouger.

— Oui, pardon, » bafouilla-t-elle.Malgré tous ses efforts pour paraîtrenonchalante, elle n’en menait pas large,surtout avec les caméras rivées sur elle.

Soudain elle se retourna vers legroupe, et s’appuya sur son club commesur une canne.

« Écoutez, je ne sais pas du tout jouerà ce truc. Même au minigolf, je suisnulle.

— Ce n’est pas grave. On est là pour

s’amuser. Il n’y a aucune obligation derésultat, » s’empressa de dire Luke avecun sourire rassurant.

S’amuser. Elle est bien bonne.Elle se concentra sur la balle et tenta

de respirer normalement.S’amuser. Il n’y a que ça de vrai

dans la vie.Elle inspira largement une nouvelle

fois.Bon, c’est reculer pour mieux sauter.

Frappe cette balle et qu’on n’en parleplus.

Finalement elle lâcha son swing etparvint à garder les yeux sur la balle aulieu d’épier la réaction du groupe. Parmiracle, son club ne rata pas sa cible,mais son euphorie fut de courte durée,

car la balle partit sur la gauche. Aumoins, elle avait couvert une distancerespectable.

Elle ramassa son tee et rejoignit lesautres.

« Très amusant, c’est vrai. »Luke ne put s’empêcher de sourire.Cricket et Ashley partirent dans la

direction opposée à celle prise par Lukeet Tami.

« Bon, on achève bien les chevaux.Loge-moi un plomb dans la cervelle, parpitié.

— Tu en fais toute une histoire !Franchement, ce n’était pas si mal.

— Facile à dire. Toi, tu swinguescomme tu respires. Comment c’estpossible d’avoir une telle maîtrise ? Où

est-ce que tu as appris à jouer ?— Tu sais, j’ai grandi dans ce milieu.

Avec mes parents, on passait l’été àjouer au golf et au tennis, » réponditCricket d’un petit air gêné.

Comment ne s’en était-elle pasaperçue plus tôt ? Avec son élégancediscrète et ses manières impeccables,Cricket avait été élevée pour briller surles terrains de golf, contrairement àAshley, qui était née pour accumuler lesgaffes. Au moins, elle avait de l’humilitéà revendre. Comment faire autrementquand on était aussi godiche qu’elle ?

Arrivée au trou suivant, Ashleyadressa une courte prière à sa camarade.

« OK, Miss Country Club, je vous ensupplie, aidez-moi à survivre à cette

épreuve. »Elles échangèrent un sourire

complice, et Cricket commença sacarrière de monitrice en montrant àAshley comment positionner ses pieds etoù placer les mains sur le fer.

Peu à peu, sans accomplir deprodiges, Ashley obtint de meilleursrésultats.

De l’autre côté du fairway, Tami nemanquait pas une occasion d’exhiber sescharmes devant Luke. Son comportementdonnait des haut-le-cœur à Ashley.Chaque fois qu’elle faisait de l’œil àLuke ou qu’elle s’esclaffait à sesblagues, Cricket et Ashley pouffaient derire.

Cette sortie à quatre ne profitait qu’à

une seule.Au bout de six trous, Luke

s’approcha.« Eh, Ashley, si on permutait ?

J’aimerais bien jouer avec vous.— Je ne crois pas que ce soit une

bonne idée, répondit-elle en sentant denouveau la panique l’envahir.

— Et pourquoi ça ? demanda-t-il ens’emparant de son sac.

— Vous avez vu mon niveau de jeu ?C’est lamentable. Je sais que les bonsjoueurs de golf s’ennuient avec ceux quidébutent. Je ne veux pas vous ralentir,ajouta-t-elle en le suivant à contrecœur.

— Ne vous inquiétez pas, ça n’estjamais arrivé, » dit-il en baissant seslunettes de soleil pour qu’elle voie son

regard.Et il se remit en route en lui faisant un

clin d’œil.Ashley resta enracinée sur place,

bouche bée et les joues en feu.Tami rejoignit Cricket en boudant tant

et plus. Ashley prit place à côté de Luke,qui faisait semblant de n’avoir rienremarqué.

« Que vous soyez prête ou non, on yva. »

La voiturette bondit en avant, etAshley dut s’accrocher pour ne pas êtredéséquilibrée. Luke était du genrepressé, du moins au volant.

Jouer avec lui fut moins terriblequ’elle ne l’avait craint. Elle manquaitde puissance, mais visait juste, et le

badinage de Luke l’aidait à ne pas tropse crisper sur son club. Chaque foisqu’il frappait la balle, Ashley étaitéperdue d’admiration. Il alliait si bien laforce et la grâce qu’elle se prenait àrêver d’être serrée dans l’étau de sesbras musclés.

« Vous êtes bon comme ça dans tousles sports ?

— Oh, absolument. Dans quellediscipline voulez-vous me tester ? »murmura-t-il en se penchant vers elle.

Déchirée entre l’envie d’avoir uneréponse à sa question et celle de legifler pour ses sous-entendusprovocateurs, Ashley décida de le punird’un regard sévère et remonta envoiture.

« Je parle de « sports », Luke. Jevous ai demandé si vous étiez bon danstous les sports.

— J’aime à peu près tous les sportsde ballon, le baseball, le tennis, le foot,le golf, dit-il en désignant le terrainvallonné qui s’étendait à perte de vue.

— Et le football américain,évidemment.

— Bien sûr, c’est un de mes sportspréférés, mais j’aime aussi la pêche aulancer et le balltrap. J’adore les sportsde plein air.

— Et y a-t-il des sports où vous êtesnul ?

— Voyons voir. Il y a des sports où jesuis médiocre, mais totalement nul, je necrois pas.

— C’est toute la différence entrenous, lui fit-elle remarquer en sautant duvéhicule.

— Je ne parlais pas de vous.— C’est vrai. Mais qui d’autre est

super nulle au golf à part moi ? Je nepige vraiment pas. Comment se fait-ilque vous soyez bon en tout ? Vouspratiquez à peu près tous les sports,vous êtes plutôt futé pour un athlèteprofessionnel, et vous êtes agréable àregarder. Ce n’est pas juste. »

Pourquoi n’avait-elle pas tourné salangue sept fois dans sa bouche avant deparler ? Luke débordait de confiance enlui. Pourquoi lui passer de lapommade ?

« Vous trouvez que je suis agréable à

regarder ? » lui demanda-t-il sanslaisser passer une si belle occasion.

Elle lui aurait volontiers fracassé lamâchoire à coups de club, mais jugeaplus sage de masquer son embarras en seconcentrant sur sa balle.

« Non, franchement, je suis surpris.Vous aviez dit que je n’étais pas votregenre, que je vous laissais froide,ajouta-t-il pour ne pas perdrel’avantage.

— Oh, vous êtes formidable, etmodeste avec ça ! »

Dans sa rage, Ashley réussit sonmeilleur swing, et expédia la balle à unedistance tout à fait respectable.

« Pas mal, concéda-t-il. Vous devriezvous mettre en colère plus souvent. Mais

je n’y peux rien si vous avez lancé lesujet. Pour être franc, j’avais envie devous en parler. J’aimerais savoir ce quevous entendez exactement quand vousdites que je ne suis pas votre genre.

— Vous n’allez pas recommencer !— Comment pouvez-vous savoir si je

suis votre genre ou pas, puisque vous neme connaissez pas ? Nous n’avons passéque quelques minutes ensemble depuisle début de l’émission. Commentpouvez-vous juger quelqu’un d’office ?

— Vous avez raison, maisréciproquement, vous ne me connaissezpas non plus. Alors pourquoi m’avez-vous gardée alors que vous ne m’avezpas proposé de rendez-vous en tête-à-tête ? Vous avez passé beaucoup plus de

temps avec certaines filles.— C’est exact, mais est-ce que vous

avez songé que peut-être, c’est parceque je sais déjà très bien qui m’intéressele plus, et que je veux seulement donnerune chance aux autres de montrer ce dontelles sont capables ? »

Ce n’était pas la réponse qu’elleespérait. En fait, il semblait être en traind’avouer que c’est à elle qu’ils’intéressait. Après avoir vérifié qu’iln’y avait aucune caméra à proximité,elle décida de lui expliquer son point devue.

« Vous savez, si j’étais à votre place,j’aurais commencé par éliminer lespersonnes avec qui je n’ai pas d’atomescrochus.

— Ah bon ?— Et ensuite, les personnes qui

lorgnent sur le fric. Vous ne voulez pasêtre aimé pour votre argent, n’est-cepas ?

— Très juste, opina Luke, ce quiencouragea Ashley à continuer. Lukeralentit, parce que tant qu’ils roulaient,les caméras ne pouvaient pas suivre leurconversation.

— Après, il y a les enquiquineuses,celles qui ont des manies agaçantes. Parexemple, celles qui hennissent quandelles rient, ou qui puent des pieds, ouqui jacassent tout le temps, acheva-t-elleen essayant de voir comment il prenaitses paroles.

— Je vois, mais où est-ce que vous

voulez en venir ?— Ce que je me tue à vous expliquer,

c’est que vous vous y prenez très mal.— Ah oui ?— Absolument. D’abord, vous avez

gardé la fille la plus cupide que j’aiejamais rencontrée. »

Il la regarda d’un air de doute.« Et vous avez aussi gardé certaines

des filles les plus irritantes de la terre.Ça ne vous rend pas chèvre de voir Katebattre des cils en permanence ? »

Ashley lui donna une idée de sestalents d’imitatrice en singeant Kate.

« Quant à Tami, elle vous met sesseins ou ses fesses sous le nez à toutbout de champ. »

Luke ne put s’empêcher de rire.

« Mais la pire, c’est Jenny. Elle voustraite comme son caniche. Ça ne vousdérange pas ? Moi, ça me ferait perdrela boule. Comment peut-on supporterd’être étouffé comme ça ? Moi, j’aibesoin qu’on me laisse respirer, etj’aurais cru que c’était le cas pour vousaussi. Je vous vois comme quelqu’un quia son jardin secret. »

Luke descendit de voiture en souriant. Ilétait impressionné par la lucidité et laperspicacité d’Ashley, sans parler dufait qu’elle n’avait pas marqué lamoindre hésitation.

« Au fond, peut-être que vous aimezêtre couvert de femmes. Vous avez uneréputation de Don Juan après tout, dit-

elle en choisissant un club dans le sac.— Seriez-vous jalouse, par hasard ?

dit-il en espérant faire mouche.— Jalouse ? Oh, je vous en prie. Je

sais très bien quand je ne suis pas dansla course, et en l’occurrence je suistellement larguée que je ne sais mêmepas où est la ligne de départ. »

Pour la seconde fois de la journée,elle réussit une très belle frappe. Lukesuivit la balle des yeux, puis reporta unregard plein de stupeur sur Ashley.

« Qu’est-ce qui vous fait dire quevous n’êtes pas dans la course ?

— Pour commencer, je ne suis pascoulée dans le même moule que lesautres. Toutes les filles ici sont belles,intelligentes, riches, douées en sport et

pourraient défiler pour Versace, dit-elleen désignant Tami et Cricket quisautillaient un peu plus loin. Alors quemoi, je suis une fille quelconque. Signedistinctif : néant. »

Elle rattacha les mèches qui s’étaientéchappées de son élastique.

« Alors, qu’est-ce que vous faitesdans l’émission ? »

Il admirait sa beauté sans apprêt et safougue. Contrairement aux autres, ellen’avait que faire des ornements.

« Si je suis toujours là, c’est de votrefaute. Je vous propose un marché, dit-elle pour éviter d’expliquer commentelle avait intégré le casting.

— Un marché ?— C’est très simple : vous

m’éliminez à la prochaine cérémonie dela rose.

— Mais qu’est-ce que j’aurai à ygagner ?

— Comment ça ?— Un marché, c’est donnant-donnant.

Vous, vous rentrez chez vous, et moi,qu’est-ce que je gagne ?

— Qu’est-ce que vous aimeriezgagner ? dit-elle d’un ton soupçonneux.

— Qu’est-ce que vous m’offrez ?susurra-t-il d’un air suggestif.

— Vous n’êtes qu’un mufle !s’exclama-t-elle en le giflant avec songant de golf.

— Pas de doute là-dessus, »continua-t-il sur le même ton enreprenant le volant.

Elle le gifla de nouveau. Luke éclatade rire et lui chipa son gant. Elle se mità le pincer et soudain éclata de rire elleaussi.

S’apercevant brusquement qu’il allaitdroit dans un bunker, Luke fit uneembardée sur la gauche qui projetaAshley la tête la première dans le sable.Sa visière valsa à plusieurs mètres, etelle se retrouva couverte de sable despieds à la tête.

Derrière eux, l’équipe de tournagen’avait rien perdu de la scène.

Luke descendit de voiture pourlaisser libre cours à son hilarité. Ashleylui aurait volontiers dit sa façon depenser, mais se ravisa en voyant lecaméraman faire un gros plan sur elle.

Elle se releva comme si de rien n’étaitet remonta prestement en voiture.

« Allons-y, dit-elle en regardant droitdevant elle.

— Je suis vraiment confus. Ça va ?Vous avez du sable plein les cheveux,dit-il en essayant maladroitement deréparer les dégâts du bout des doigts.

— Allons-y, s’il vous plaît, » répétaAshley en repoussant sa main.

Luke réalisa seulement alors qu’elleétait gênée par la présence des caméras.

« Je comprends, ça vous embêtequ’ils aient filmé votre cabriole.

— Mais non, je m’en fiche. Allons-y,je vous en prie, » le supplia-t-elle à mi-voix.

Il remit le contact et s’éloigna des

caméras.« Écoutez, je suis sincèrement désolé.

Je ne l’ai pas fait exprès, et je n’avaisaucune intention de vous mettre dans unesituation embarrassante.

— Je m’en moque, je vous dis. Maisavoir des caméras sur le dos tout letemps, ça me casse les pieds.

— Si les caméras vous gênent, vousdevez souffrir le martyre, dit-il, aucomble de la perplexité.

— Ce n’est rien de le dire, » lâcha-t-elle dans un souffle.

Luke était complètement dérouté parla métamorphose d’Ashley. Un instantauparavant, elle flirtait avec luigaiement, insouciante et spirituelle. Etsoudain, elle lui apparaissait sous un

jour nouveau, et il ne la reconnaissaitplus. Qui était-elle vraiment ?

« Pourquoi est-ce que les camérasvous gênent ? » demanda-t-il en coupantle moteur.

Ashley sauta du véhicule, choisit sonputter, et alla se mettre en position. Lecaméraman zooma sur elle alors qu’ellelui tournait le dos et regardait droitdevant elle.

L’arrivée de Tami et Cricketinterrompit Luke dans ses réflexions surle comportement bizarre d’Ashley. Tami,qui était au volant, klaxonna pour attirerl’attention de Luke.

« Vous avez vu mon lob ? »Tami s’arrêta et se précipita en

direction de Luke d’un air de triomphe.

« Regardez-moi ça ! Et au troisièmecoup seulement ! »

Tami espérait manifestement que Lukela prendrait dans ses bras pour laféliciter.

« Formidable. Je suis navré d’avoirmanqué le spectacle. »

Il était soulagé de voir Ashley plusdétendue depuis que la caméra s’étaitreportée sur Tami.

« OK Tami, on va examiner le greenensemble pour que vous ne fassiez pasd’erreur, » lui dit-il en l’entraînant endirection du trou pour libérer Ashley dela présence des caméras.

Le trou suivant était un par 5, et d’uncôté du fairway, l’herbe était haute.

Comme hypnotisée par l’obstacle,Ashley envoya sa balle droit dans lerough.

« Allons la chercher, » dit Luke enbondissant dans la voiturette.

Ashley s’était remise de la paniquequi l’avait envahie quand les camérasavaient filmé sa chute spectaculaire.

« On ne va jamais la retrouver.— N’en croyez rien. J’ai un œil de

lynx. J’ai suivi votre balle des yeux, etj’ai une idée de la zone où elle esttombée, la rassura-t-il en lui tapotantgentiment la jambe. Bon, c’est là que çadevient rigolo. Prenez votre wedge.C’est le seul club que vous puissiezutiliser pour déloger votre balle. »

Ashley suivit son compagnon qui

quadrillait déjà la zone du regard.« Il n’y a pas une règle sur le temps

qu’on peut prendre pour retrouver saballe ?

— Pas mal, pour quelqu’un quiprétend ne rien connaître au golf. Vousavez parfaitement raison : on a droit àcinq minutes.

— Je m’en voudrais de gâcher votreplaisir, mais je suis sûre qu’on alargement dépassé les cinq minutes.

— Pas du tout, et puis où sont passésvotre sens de l’aventure et votrecombativité ? »

Luke semblait indifférent aux herbeshautes qui griffaient ses mollets.

« Je les ai laissés dans lalimousine, » murmura Ashley.

Luke laissa tomber en douce uneballe de sa poche et s’exclama en riant :

« Voilà votre balle !— C’est pas croyable ! Bravo,

Sherlock Holmes, s’extasia Ashleyquand elle arriva enfin à sa hauteur, enplein milieu du fourré. Mais je ne voispas comment je vais la sortir de là. Leplus simple, c’est de la lancer à lamain. »

Sa balle se trouvait à six ou septmètres de la partie tondue. Luke éclatade rire et la menaça d’un indexfaussement sévère.

« Pas question ! Ce serait de la triche,très peu pour nous !

— Très peu pour vous, peut-être,mais moi je triche tout le temps, surtout

dans ce genre de situation. »Les mains sur les hanches, elle

semblait le défier de l’empêcher deramasser la balle. Luke trouvait trèsdrôle qu’elle se fasse passer pour unetricheuse.

« Ça m’étonnerait. Et puis, ce n’estpas si difficile que ça. Je vais vousaider. Il faut commencer par aplatirl’herbe pour que vous ayez de laplace. »

Ils se mirent à écraser les mauvaisesherbes à coups de talon pour créer unepetite clairière autour de la balle.

« Parfait, dit-il d’un ton grave,comme s’ils étaient sur le point decommencer une opération à cœur ouvert.Maintenant, essayez d’évaluer la force

nécessaire pour déloger la balle. »Ashley haussa les sourcils, mais

suivit ses instructions tout enapostrophant la balle.

« Alors, ma chère petite balle,comment ça va ? Contente de te revoir.Bon, je suis là pour assurer tonsauvetage. Qu’est-ce que tu en penses ?As-tu un conseil à me donner, parhasard ? Oh, je vois, tu veux que je teprenne gentiment dans ma petite menotteet que je te lance de l’autre côté ? » dit-elle en se penchant vers la balle.

Luke l’intercepta par le poignet, etune onde de choc la traversa tout entière.Ce fut une sensation éphémère, car Lukelâcha aussitôt son bras pour lui faire unedémonstration, et Ashley frissonna.

« Pas question. Vous allez faire çadans les règles de l’art. Le truc, c’est defléchir les genoux un peu plus qued’habitude, et de ne pas frapper à partirdes épaules, mais d’effectuer seulementun petit coup de poignet. Comme ça, laballe va monter en cloche et ne partirapas trop loin. »

Elle lui jeta un regard vide.« Vous pouvez y arriver. Ayez

confiance en vous. »Ashley se mit en position et fit

quelques flexions de genou en semordillant les lèvres. Puis elle s’avança,les yeux rivés sur la balle. Lukel’observait avec amusement, mais aussiune certaine admiration, car il était clairqu’elle faisait un effort prodigieux, et

l’intensité de sa concentration étaittouchante.

Elle prit sa respiration et lâcha soncoup, mais l’angle d’attaque et la vitesseétaient mal calculés, et la balle restadans les herbes hautes.

Elle se tourna vers Luke.« Je vous avais prévenu. »Dépitée, elle jeta son club et se

croisa les bras. Luke se morditl’intérieur des joues pour s’empêcherd’éclater de rire.

« Ce n’est pas drôle.— Non, vous avez raison, mais vous,

vous êtes drôle. »Ashley fit la grimace.« OK, venez là. »Il ramassa le club et lui fit signe de se

placer devant lui. Quand elle se fut miseen position, il lui tendit le club.

« Montrez-moi comment vous letenez. Non, pas comme ça. Avec unwedge, il faut une prise différente. »

Il essaya de faire glisser les doigtsd’Ashley le long du manche, mais elle sedéroba comme s’il lui avait fait mal.Surpris, Luke chercha à comprendre. Illui prit la main et en examina la paume,qui était couverte d’ampoules.

« Bon sang ! Pas étonnant que vousayez des difficultés. Pourquoi nem’avez-vous rien dit ? » murmura-t-il enexaminant tendrement ses blessures.

Ashley abandonna avec délice safrêle main dans les siennes.

« Vous êtes trop crispée sur le

manche, » dit-il en suivant du doigt letracé de chaque ampoule.

Ashley en eut la chair de poule. Luken’était pas étonné qu’elle ne se soit pasplainte. C’était typique de cette fille dese lamenter de mal jouer, mais d’êtrestoïque devant la douleur.

« Il faut tenir le club comme si c’étaitun oisillon.

— Un oisillon ?— Oui, quelque chose de très fragile,

qu’il faut éviter de broyer. Regardez, jevais vous aider. »

Il se plaça derrière elle, enl’enveloppant comme un cocon tiède.Les cheveux d’Ashley lui chatouillaientles narines.

« Voilà comment il faut tenir le

club. »Il fit glisser les mains d’Ashley plus

haut sur le manche. C’était grisant desentir la douceur de sa peau.

« Rappelez-vous, le mouvement doitpartir du poignet. »

Il lui fit répéter le geste plusieurs foispour qu’elle s’y habitue.

« N’oubliez pas non plus de garder laprise souple. On va frapper la balleensemble, OK ? »

C’était tellement plus agréable detenir Ashley dans ses bras que Tami, quien profitait invariablement pour ledraguer. Ashley se laissait guidertranquillement.

« Vous êtes prête ?— Allons-y. »

Il sentait qu’elle était hyperconcentrée, même si elle ne savait pasdu tout ce qu’il fallait faire.

Le coup partit, et la balle franchit lalimite des herbes hautes avant de roulersur le green.

« On a réussi ! s’exclama-t-elle en seretournant vers lui.

— Eh oui, on a réussi. »Il mourait d’envie de l’embrasser,

mais il était bien conscient que lescaméras étaient en train de tourner lascène. Non loin de là, Tami et Cricketles attendaient. Ils avaient un public, etil savait que ce n’était pas ce qu’Ashleyvoulait.

Quand il l’embrasserait, il voulaitque ce moment ne soit qu’à eux.

CHAPITRE 9

« Kelli, ça devient plus en plus dur. »Ashley était assise au bord de son lit,

et chuchotait dans le téléphone, même sielle avait pris la précaution deverrouiller la porte de sa chambre.

« Que se passe-t-il ?— Hier ils ont renvoyé trois filles.— Eh bien, ils ne perdent pas de

temps. Lesquelles ?— Jenny, Kate et Rachel. »Ashley était catastrophée à l’idée que

son amitié avec Rachel ne survivrait pasà ce jeu débile.

« Mais toi, tu es toujours dans lecoup ?

— Eh oui, soupira-t-elle.— Et quel effet ça te fait ?— Je ne sais plus très bien où j’en

suis.— Raconte-moi tout, ma puce. J’ai du

temps devant moi. »Ashley se leva et se dirigea vers la

porte du balcon, qui était ouverte. Elleregardait dans le vide, incapable defixer son regard.

« Tu sais combien cette émissionm’irritait au départ. Eh bien, au boutd’un moment, j’ai commencé à meprendre au jeu. Je me suis fait deux

bonnes copines, Liz et Rachel. Enfin,j’ai eu deux bonnes copines, parce quemaintenant je n’en suis plus sûre du tout.En fait je crois que Rachel me déteste,parce qu’elle s’imagine que je me suisservie d’elle et de Liz pour merapprocher de Luke.

— Si seulement elle connaissait toutel’histoire !

— Sans blague. Et maintenant quej’ai passé du temps avec Luke… »

Elle s’arrêta pour trouver les motsjustes.

« Il commence à me plaire. Il estsympa, sensible et intelligent. Il a unsuper sens de l’humour, et il est mignonà croquer.

— Bien sûr.

— Kelli, je crois que j’ai le béguinpour lui. »

Elle eut un petit sourire gêné.« Tu m’en diras tant !— Eh oui, il n’y a pas à tortiller, j’ai

le béguin.— Il n’y a pas de quoi en faire un

drame, tu sais. C’est un type super, et lebut de l’émission, c’est que les fillestombent amoureuses de lui. C’estl’inverse qui serait bizarre.

— Tu crois ?— Absolument. Tu n’as rien à te

reprocher. Fais ce qui te chante.— OK, mais tu vois, je suis dans le

trio final. Ça commence à me donner lesjetons.

— N’y pense pas. Vis au jour le jour

et savoure chaque instant. Reste toi-même, OK ?

— OK.— Alors, qu’est-ce qui va se passer

maintenant ?— Tu ne vas pas me croire ! »Ashley se mit à faire les cent pas.« Dis-moi tout !— On part en voyage ensemble !— Où ça ?— Au Costa Rica, tu te rends

compte ! On va marcher dans la jungle.— Ma parole ! De quoi te plains-tu ?— De rien, en fait. »

CHAPITRE 10

« Ne regarde surtout pas en bas. Quandtu es prête, tu n’as qu’à sauter. »

Mon Dieu ! Comment est-ce que jeme débrouille pour me retrouver dansdes situations pareilles ?

Ashley se mordit les lèvres et puisadans ses réserves de courage, mais elleavait beau fixer l’horizon, rien n’yfaisait. Elle avait les mains moites, etses genoux s’entrechoquaient. Chaqueseconde lui paraissait une éternité.

OK, c’est maintenant ou jamais.Elle prit sa respiration et sauta, en

poussant le hurlement le plus aigu de savie.

Elle eut l’impression d’être en chutelibre pendant plusieurs minutes, mais enréalité la tyrolienne se tendit en l’espacede quelques secondes, et elle se mit àsurvoler la canopée à toute allure. Petità petit elle commença à admirer lemajestueux spectacle qui s’offrait à elle,et sa terreur fit place à l’émerveillement.La tyrolienne se trouvait à une centainede mètres au-dessus de la vallée, etmesurait près de cinq cents mètres delong. Ashley avait l’impression d’être unoiseau planant dans l’azur. Très loinsous elle, les plantes géantes et les

arbres avaient l’air de bonzaïs, et larivière d’un simple filet d’eau.

En quelques instants, elle arriva envue de la plateforme à l’autre bout ducâble, et le serra de ses mains gantées,selon les instructions de la vidéo, ce quilui permit de ralentir suffisamment pourque le guide l’aide à prendre pied surles planches.

« C’est génial ! Muy bien ! » dit-elleau guide local.

Il la détacha prestement de latyrolienne avant de la rattacher au filinde sécurité de la plateforme.

Elle entendit des cris de Sioux, et setourna juste à temps pour voir Luke larejoindre. Il traversait l’espace commeun boulet de canon.

« Luke, freine ! Tu vas trop vite !— Freinez, freinez ! » renchérit le

guide en mimant le geste que devait faireLuke.

Au dernier moment, Luke pressa lecâble entre ses mains gantées et s’arrêtajuste au niveau du dispositif de sécurité.Son corps continua à osciller plusieurssecondes comme une enseigne par grandvent.

« Quelle expérience fantastique ! »Le guide l’aida à monter sur la

plateforme et accrocha sa longe au troncd’arbre.

« Comment as-tu trouvé ça ?— Au début j’étais terrorisée, et puis

après j’ai trouvé ça super. C’esttellement haut ! Je n’en revenais pas

d’être au-dessus des oiseaux.— N’est-ce pas ? Quelle vitesse ! Je

ne me doutais pas qu’on allait aussi vite.— Est-ce qu’on peut recommencer ?— Bien sûr ! Il y a une douzaine de

tyroliennes dans tout le parc. »Ils passèrent les deux heures

suivantes à les essayer l’une aprèsl’autre. Chaque câble partait d’un grandarbre au sommet d’une colline etdescendait vers la vallée. Le caméramanfilmait en alternance leur départ et leuratterrissage sur la plateforme suivante.Soit il les précédait, soit il allait lesattendre à l’arrivée, mais Ashley nefaisait même plus attention à lui, tantcette expérience était excitante en elle-même, et plus encore parce qu’elle ne la

partageait qu’avec Luke. À la fin duparcours, ils se débarrassèrent de leurharnachement de sécurité.

« Je n’aurais jamais pensé faire untruc pareil. En fait, je ne savais mêmepas que ça existait, avoua Ashley.

— Ça te donne des ailes, non ? »Leurs yeux se rencontrèrent et ils

communièrent dans leur reconnaissancepour ce moment magique.

« C’est sûr ! Je me sens capable detout !

— Par exemple ?— Je ne sais pas : sauter à

l’élastique, descendre des rapides enrafting, faire de la via ferrata. »

Avec Luke, elle était prête à partir surla lune. D’où cette idée pouvait-elle

bien lui venir ?« Eh, du calme. Je vais me prendre

pour le docteur Frankenstein, plaisantaLuke.

— Qu’est-ce qui est prévu pour lasuite ?

— Allons le demander à Jim. »Ils allèrent à la rencontre du

producteur, qui faisait ses adieux àl’équipe des guides locaux.

« Alors, qu’est-ce qu’on faitmaintenant ?

— Dès que vous aurez votre matériel,on pourra se mettre en route. On vas’enfoncer dans la forêt pour atteindre lecamp où vous êtes attendus pour la nuit.C’est une randonnée magnifique, quidevrait vous prendre environ deux

heures à pied. En voiture, ça en prend ledouble. Vous allez tomber à la renversetellement c’est beau. Je vais vous donnerun kit de survie, juste au cas où il yaurait un pépin, » acheva-t-il en leurtendant à chacun un sac à dos.

Ashley était avide de se jeter danscette nouvelle aventure, que la présencede Luke rendrait certainementinoubliable. Ils échangèrent un sourire,pressés de profiter du reste de lajournée.

Quel paysage extraordinaire ! Ashley nese rappelait pas avoir vu de plus belendroit dans sa vie. Il avait cessé depleuvoir, et la végétation encore humidebrillait de mille feux. Du sol spongieux

montait l’odeur entêtante de la terregrouillante de vie.

La plupart des producteurs et destechniciens étaient restés en Californie,sans parler des sorcières de la VillaSéville.

C’était le paradis.Ils marchaient depuis environ une

heure quand le sentier devint glissant ettraître, en partie à cause de la récenteaverse. En enjambant une crevasse,Ashley entendit Roger, le caméraman,pousser un juron. Le reste du groupes’arrêta pour le voir s’effondrer sur lechemin détrempé en se tenant le genou.

Luke fit demi-tour et lui offrit sonaide.

« Laissez-moi voir ce qui ne va

pas. »Jim débarrassa Roger de sa lourde

caméra et la posa délicatement sur lesol.

Luke palpa la jambe du blessé d’unemain experte. Roger continuait àmaugréer.

« Quel est votre diagnostic, docteur ?demanda Ashley en se penchant par-dessus l’épaule de Luke.

— Je n’en mettrais pas ma main aufeu, mais je pense que vous vous êtesfoulé le ligament croisé antérieur.

— Roger, tu peux marcher, ou est-cequ’on va devoir te porter ? demandaJim.

— Je n’en sais rien. Je vais voir ceque je peux faire, répondit le technicien,

qui était élancé et robuste. Luke et Jiml’aidèrent à se relever, et il posa le piedpar terre avec précaution.

— Jusque-là, ça va, dit-il.— Faites un pas en avant, » ordonna

Luke.Roger s’éloigna de quelques pas et

revint vers eux, le visage crispé par ladouleur.

« On voit souvent ce genre deblessure pendant les matchs. Tant quevous ne pivotez pas sur votre jambe,vous devriez pouvoir marcher.

— Que va-t-on faire ? demandaAshley, qui commençait à redouterl’impact de cet incident sur la suite duprogramme.

— On dirait qu’on va devoir

abandonner la randonnée et revenir surla piste, dit Jim. On fera du stop.

— Est-ce que ça signifie que notreexpédition tombe à l’eau ? demandaAshley, effondrée. Tout avait si biencommencé !

— Non, pas du tout. Dès qu’on aurafait examiner Roger par un médecin, onverra à quel moment la reprise del’aventure est envisageable. Peut-êtredemain. En fait, il y a un autre accès aucamp qui pourrait nous permettre d’yarriver dans la matinée. C’est un peulong, mais ça devrait marcher. »

Luke prit l’initiative.« Je suis d’accord. Il faut que Roger

voie un docteur le plus vite possible,mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire

de modifier le reste du programme. Çanous a pris des heures pour arriverjusqu’ici, et je sais qu’il a tourné desimages superbes quand nous étions surles tyroliennes. »

Roger acquiesça.« Ashley et moi ferions aussi bien de

continuer jusqu’au camp. Jim est assezcostaud pour porter la caméra pendantque Roger rejoindra le départ du sentier.Vous n’en aurez pas pour très longtemps.Tout ce qui manquera, c’est notre arrivéeau camp, mais on pourra filmer çademain matin. Les spectateurs n’yverront que du feu. »

Ashley partageait totalement son avis.De cette façon, ils pourraient profiter deleur soirée sans être espionnés. Elle

croisa les doigts derrière son dos.« Je ne crois pas que ce soit une

bonne idée, Luke. Tout le but de cetteexcursion, c’est qu’elle figure dansl’émission.

— Non, le but de cette excursion,c’est qu’Ashley et moi passions assez detemps ensemble pour mieux nousconnaître. Jusqu’à présent, tout s’estbien passé, mais je ne veux pas quedemain, nous soyons obligés de fairesemblant d’avoir passé la soiréeensemble. Ce n’est juste ni pour elle nipour moi. Ce n’est arrivé avec aucunedes autres filles, donc ça fausserait ladonne. »

Ashley avait du mal à estimer si lesarguments de Luke portaient.

« Non, je ne crois vraiment pas quece soit une bonne idée.

— Écoutez, Jim, j’ai avalé pas malde couleuvres et j’ai joué le jeu chaquefois qu’on m’a imposé des changementsde dernière minute. Cette fois-ci, j’exigequ’on s’en tienne au programme prévu.Je suis désolé, mais c’est comme ça etpas autrement. »

Ashley retint sa respiration. Jimdévisagea successivement Luke, Ashley,puis Roger, et capitula.

« Bon, ça ne m’enchante pas, mais jevous fais confiance.

— C’est la bonne décision. »Si Luke était fier d’avoir eu gain de

cause, il n’en laissa rien paraître, mais ilprit la main d’Ashley et la serra très

fort.« L’équipe a dû partir, mais vous

devriez trouver tout ce dont vous avezbesoin sur place. Souvenez-vous qu’iln’y a pas de réseau. En y réfléchissant,si jamais l’un de vous deux avait unaccident…

— Jim, je sais ce que je fais,l’interrompit Luke avec irritation.Voulez-vous qu’on vous raccompagne audébut du chemin ?

— Non, ça devrait aller. Qu’en dis-tu, Roger ? Tu veux un coup de main ? »

Pendant cette discussion, Roger avaitcontinué à tester sa jambe.

« Non, je crois que Luke a raison.Tant que je ne fais pas de mouvementscirculaires, je ne souffre pas trop.

— Vous en êtes sûr ? demanda Ashleyavec une sollicitude non feinte.

— Pas de problème. Profitez du restede la journée, » lui répondit-il avec unclin d’œil.

En retour, elle lui fit un sourireradieux.

« Regarde où tu mets les pieds. »

Le chemin montait de plus en plus, etune couche de feuilles rendait le solboueux encore plus glissant.

« C’est bon. Heureusement pourRoger qu’il n’a pas été obligé de noussuivre. Je ne vois pas comment il auraitpu passer par là avec tout son barda,commenta Ashley en se servant d’unebranche pour contourner un gros rocher

éboulé.— Sans blague. Ce sentier, ce n’est

pas la Cinquième Avenue. »Le soleil était au zénith, mais il

soufflait une légère brise. Ashley étaitravie de marcher en paix.Progressivement, le terrain devenait plusaccidenté, et la montée plus ardue.

« Regarde cette falaise !— Nom d’une pipe ! Ce n’est pas le

moment de trébucher, balbutia-t-elle.— Tu parles ! Tu te casserais le cou.

Tiens, donne-moi la main. »Ashley plaça sa main dans celle de

son compagnon, qui l’aida à négocierune partie du sentier érodé par la pluieet réduit à sa plus simple expression.

« Tu es sûr qu’on ne s’est pas

égarés ?— Non, je crois que le chemin

continue par là », dit Luke en luimontrant une trouée dans la végétationoù le sentier redevenait plus plat et pluslarge.

Ashley porta son regard dans ladirection qu’indiquait Luke.

« Je vois ce que tu veux dire, maisavant d’atteindre cet endroit, il y a touteune portion qui a été emportée par leseaux. Comment va-t-on s’y prendre ?

— Il faut redoubler de prudence.Suis-moi. »

Il lui reprit la main et la guida jusqu’àl’endroit où le sentier avait carrémentdisparu sur plus d’un mètre. Sur lagauche, la déclivité était

impressionnante. Sur la droite, la paroiétait presque verticale, et la présenced’une source expliquait pourquoi lechemin avait été particulièrementendommagé à cet endroit-là.

« Qu’est-ce qu’on fait ? demandaAshley après avoir examiné le problèmesous tous les angles.

— On saute.— Tu te fiches de moi ?— C’est la seule solution. La fortune

sourit aux audacieux, » lui répondit-ild’un air de défi.

Ashley scruta attentivement les lieux,afin de déterminer le meilleur endroitpour se réceptionner.

« OK, on y va, dit-elle en passantdevant Luke.

— Une seconde ! Je passe le premier.— Non, je vais sauter d’abord. »Luke mit les poings sur ses hanches et

la dévisagea longuement, comme s’ilévaluait ses chances de réussir lamanœuvre.

« C’est toi qui es le chef depuis ledépart. Cette fois, c’est mon tour. Etpuis, tu as bien raison, la fortune souritaux audacieux, et je cherche fortune, dit-elle avec un sourire crâneur.

— OK, vas-y.— Parfait. »Elle se concentra sur l’obstacle et se

prépara à prendre son élan.« La fortune…— Tais-toi ! Tu m’as fait peur, lui

cria-t-elle.

— Pardon. Est-ce que tu as besoind’aide, chef ?

— Pas du tout. Si tu pouvais juste lafermer, ça irait très bien.

— Excuse-moi. Je pensaissimplement que tu devrais… »

Sans plus faire attention à lui, Ashleyprit son élan et sauta. Elle retrouvafacilement son équilibre et se retournavers Luke avec un sourire victorieux :

« Les doigts dans le nez ! »À cet instant, il y eut un glissement de

terrain, et elle culbuta en hurlant dansl’abîme.

CHAPITRE 11

Le cœur battant, Luke se précipita versle rebord de la crevasse qui venait des’élargir, et se tordit le cou dans tous lessens pour essayer de localiser Ashley.

« Ashley ! Ashley ! Où es-tu ? »Pas un bruit. Même les oiseaux

s’étaient tus.Pris de panique, il cherchait à

distinguer sa chevelure blonde.« Ashley ! cria-t-il plus fort. Sa

panique allait en grandissant. Il scrutait

chaque millimètre du cratère qui s’étaitouvert sous les pieds de la jeune fille,mais l’enchevêtrement de la végétationet des mottes de terre arrachées rendaitla tâche malaisée. Il se mit à plat ventreet pencha le buste dans le trou.

— Ashley ! » hurla-t-il, au comble dela terreur.

Quand une petite voix lui réponditenfin, son cœur fut inondé dereconnaissance.

« Ashley ! Ça va ?— Rien de cassé, je crois.— Où es-tu ?— Là au fond. »De rire, Luke se cogna le front par

terre.« Merci de l’info ! Je sais bien que tu

es au fond de ce trou, mais oùexactement ? Je ne te vois pas.

— Du côté de cette colline,j’imagine. »

Cette nouvelle lui fit pousser unsoupir de soulagement.

« Est-ce que tu peux grimper ?— Je ne sais pas. Je vais essayer. »Luke essaya de voir où elle était,

mais elle restait dérobée à sa vue. Deson côté, Ashley avait beaucoup de malà avancer. Après une minute qui lui parutune éternité, il reprit la parole.

« Comment ça va ?— Pas trop mal, et toi ?— Ashley, est-ce que tu avances ?— Lentement. C’est très glissant, il y

a de la boue partout.

— Est-ce que tu peux te servir de tesongles ?

— C’est ce que j’essaye de faire. »Luke souffrait de ne pouvoir lui venir

en aide, et priait pour qu’elle puisseremonter.

« Luke ?— Oui ?— Je me suis cassé un ongle.— Écoute, concentre-toi sur

l’essentiel. Tant que je ne vois pas où tues, je ne peux pas t’aider, lui dit-il encherchant à distinguer d’où venait savoix.

— Ah, les hommes ! Toujours enpétard dès que les choses vouséchappent.

— Ashley ?

— Ouais.— Tais-toi et bouge.— D’accord, mais je maintiens que…

Aaaah !— Ashley ! ! ! »Silence. Luke se releva, prêt à

descendre pour lui porter secours.« Luke ? »Sa voix était redevenue anxieuse.

Soulagé quand même de l’entendre, Lukese pencha aussi loin qu’il pouvait lefaire sans tomber la tête la première.

« Ça va ?— Je crois que je vais avoir besoin

d’aide pour m’en sortir. J’ai glisséencore plus bas.

— Ne t’en fais pas. Reste où tu es, letemps que je trouve un plan. Est-ce que

tu sais si tu es de mon côté de la failleou de l’autre ?

— Attends une seconde. Je te vois !Luke, je te vois !

— Agite la branche la plus proche detoi. »

Luke pria pour que le mouvement dela végétation lui permette de localiser sacompagne.

« Ça y est ! Je t’ai repérée. Ne bougeplus, » exulta-t-il.

À cette distance, le visage d’Ashleyparaissait tout petit et vulnérable. Elleétait à environ cinq mètres en contrebas.Luke examina la crevasse qui faisaitdésormais près de deux mètres. Il reculaautant que possible, prit son élan etpiqua un sprint. Il réussit à franchir le

creux béant, et se colla tout de suitecontre la paroi, afin d’éviter de tomberen arrière comme Ashley.

« Tu as sauté ?— Oui. »Il y eut un silence.« Frimeur.— Écoute-moi bien. Regarde autour

de toi et décris-moi précisémentl’endroit où tu es. À quoi est-ce que tu tetiens, et qu’est-ce que tu as sous lespieds ? Y a-t-il un palier jusqu’où tupourrais ramper ? »

Luke se mit à fouiller dans son sac àdos pour voir s’il contenait quoi que cesoit d’utile dans une telle circonstance.

« Voyons voir… Il y a des plantespartout, et je suis accrochée à un tas de

racines. »Luke fit l’inventaire : deux bouteilles

d’eau, une barre de céréales, un sprayrépulsif, des allumettes, un couteausuisse et de l’écran total.

« On dirait qu’il y a des rochers ducôté où tu es.

— OK, et quoi d’autre ? »Au fond du sac, il finit par trouver un

kit de premiers secours, une torche et,Dieu merci, une corde.

« La pente est raide.— Qu’est-ce que tu as sous toi ? »Il déroula la corde pour en vérifier la

longueur. Elle devait mesurer environsix mètres.

« Je suis sur un arbre, un arbrisseau,plus exactement. »

Il leva la tête.« Comment ça ? Qu’est-ce que tu

veux dire ?— Cet arbre sort à angle droit de la

colline, et je me suis perchée sur la basede son tronc.

— Et qu’y a-t-il sous l’arbre ? »Ashley semblait avoir repris du poil

de la bête, mais la description de sonrefuge ne lui inspirait pas confiance.

« Eh bien, en fait, sous le tronc, il y ale vide. L’arbre s’est couché dans levide quand la colline s’est effondrée.

— Ne bouge surtout pas. J’ai unecorde. »

Luke suait d’angoisse, et son cœurbattait à tout rompre. Il fallait qu’il lasorte de là, et vite.

« Oh, tu sais, je suis bien où je suis.Je n’ai pas vraiment la bougeotte.

— Bon. Agite encore une fois labranche la plus proche, mais sois trèsprudente. »

Elle suivit ses instructions, et ilaperçut de nouveau son petit visagelivide de terreur rentrée.

« Je te vois, cria-t-il.— Moi aussi, lui répondit-elle en se

forçant à sourire.— Je vais lancer la corde dans ta

direction. Essaye de l’attraper. »Il fit plusieurs tentatives, mais à

chaque fois la végétation interceptait lacorde ou faisait dévier sa trajectoire.

« Luke ?— Oui, Ashley ?

— Je croyais que tu étais le stratègede l’équipe. C’est normal que tun’arrives pas à me lancer cette corde ?

— En fait, oui, parce que cette corden’est pas un ballon, et tu n’es pas monailier droit.

— Ouais. Fais quand même un petiteffort, et envoie-moi cette corde. »

Cette fois-ci, le bout de la cordeatterrit sur la branche à laquelle elles’agrippait.

« Contente ?— Pas trop tôt, l’entendit-il

grommeler. Malgré la précarité de saposition, Ashley n’avait rien perdu deson culot.

— Écoute-moi. Je veux que tut’attaches la corde autour de la taille.

Est-ce que tu peux y arriver ?— Pas de problème ! Attends une

seconde. »Luke tenait fermement l’autre

extrémité de la corde, fine comme unecorde à linge.

« OK, c’est fait, mais je ne suis passûre que le nœud va tenir. J’ai fait duscoutisme, mais dans la section desfilles, on n’apprenait pas à faire desnœuds.

— Pourrais-tu l’enrouler aussi autourde ton bras ? »

Il était tellement pressé de la serrerdans ses bras, saine et sauve, qu’il larudoya.

« Alors, tu es prête, oui ou non ?— Je suis prête.

— Bon, alors accroche-toi bien. Jevais te tirer tout doucement vers moi.Tiens la corde des deux mains et utilisetes pieds pour t’aider à grimper. Trois,deux, un, zéro, on y va. »

Par sécurité, Luke s’était enroulé lacorde plusieurs fois autour du poignet, etil la tirait lentement et régulièrement.

« Comment ça va ?— OK, répondit-elle sans conviction.— Arrête-toi une seconde. Je vais

changer de position et tirer plus fort. »Il se cala contre un gros rocher pour

avoir une meilleure force de traction. Lacorde lui brûlait la peau.

« Ça va toujours ? »Elle était à peu près à mi-parcours.« Ouais, » dit-elle en ahanant.

Luke continuait à ramener la corde àlui. Il avait jeté tous ses muscles dans labataille, et les veines saillaient sur sesbiceps. Sa panique avait fait place à uneimplacable détermination. Il allait lasauver et tout irait bien. Toute autreissue était inimaginable.

« Stop !— Qu’est-ce qu’il y a ? »Il interrompit sa manœuvre, tout le

poids d’Ashley pesant au bout de lacorde.

« La corde me scie la main. Il fautque je la desserre un tout petit peu. Jesuis contre un rocher. »

Luke pencha la tête et vit qu’ellen’était plus qu’à un mètre de lui. Sonvisage était crispé par la souffrance,

mais elle se força à rattacher la cordeautour de son avant-bras. Des pierresaux arêtes tranchantes obstruaientl’espace entre eux.

« Ok, je repars. »Luke ajusta sa prise et recommença à

tirer. Il entendait la respiration saccadéed’Ashley arc-boutée contre la paroi.Soudain, elle fut à portée de sa main.

« Lève les yeux vers moi, Ashley, jepeux t’attraper. »

D’un mouvement vif, il saisit sa mainmeurtrie dans la sienne, et poussa unimmense soupir de soulagement. Il latira vers sa poitrine, et ils se laissèrentglisser sur les fesses, collés l’un contrel’autre. Il la serra convulsivement contrelui, au comble de la joie, puis s’écarta

un peu pour examiner dans quel état elleétait.

« Mais qu’est-ce qui t’arrive ? »Ashley tremblait des pieds à la tête et

avait les yeux brillant de larmes. Il luiprit délicatement la tête entre ses mains.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »Ashley laissa libre cours à ses

sanglots nerveux, et s’essuya le visagede sa manche.

« La corde m’échappait. J’ai cru quej’allais tomber et…

— Jamais je ne t’aurais laissétomber. »

Il la reprit dans ses bras puissants etla berça comme un petit enfant. Tous lesmuscles d’Ashley se détendirent d’uncoup, et elle s’abandonna à cette

rassurante étreinte.Presque sans le vouloir, Luke posa

ses lèvres sur les siennes, et inhala sonsouffle. Il se pencha pour l’embrasser àpleine bouche, et fut bouleversé de lafaçon dont elle lui rendit son baiser. Ilcaressa ses cheveux défaits et éloignason visage de quelques millimètres pourmieux la regarder. Elle ouvrit les yeux etémit un petit gémissement, comme si ellese réveillait en sursaut.

Luke était aux anges.Soudain, il revint à lui et prit à regret

conscience de la situation.« Tu me rends fou, ma douce.— Qu’est-ce que tu dis ? » marmonna

Ashley, qui n’était pas encore tout à faitredescendue sur terre.

Il rit de son embarras.« Rien du tout. Faisons le point et

voyons dans quel état tu es. »Luke se mit à genoux et examina les

blessures d’Ashley. Son bras avait étésérieusement lacéré par la corde. Il nes’était pas pleinement rendu compte del’urgence de la situation. Elle avait aussides écorchures aux articulations et surtout l’avant-bras. Il fronça les sourcils.Il réalisa qu’il avait sous-estimé ladifficulté de son ascension. Elle avaitfait preuve de beaucoup de courage etaffiché une désinvolture qu’elle étaitloin de ressentir. Quand il voulutexaminer sa main droite, elle la cachaderrière son dos.

« Je m’en suis servie pour amortir ma

chute.— Laisse-moi constater les dégâts. »Elle lui tendit sa main couverte de

boue séchée et se laissa faire. Il lacaressa délicatement du bout des doigts.Elle avait la peau douce, et en dehors dequelques vilaines égratignures, il nesemblait pas y avoir de lésions internes.Il réchauffa ses doigts dans les siens,comme s’il espérait la guérir par magie.Au bout de quelques instants, il porta samain à ses lèvres et la couvrit debaisers.

« Ça va mieux ?— Beaucoup mieux. »Il remarqua alors que ses genoux et

ses tibias étaient aussi couverts deplaies.

« Tu n’as pas vraiment fière allure. »D’un doigt, il lui caressa les jambes.« Tu as fait une sacrée chute. Tu ne

vas pas avoir un super look en short, etencore moins en maillot de bain. »

Elle examina ses membres inférieurs.« Tu as raison, mais il faut voir le

bon côté des choses : je ne vais plus êtreobligée de me raser les jambes pendantun moment. Du coup, je perdrai moinsde temps sous la douche, » dit-elle avecoptimisme.

Luke hocha la tête. Décidément, elleavait du cran et ne s’avouait jamaisvaincue.

« Bon, si tu penses que tu peuxmarcher, je crois que ce serait lemoment de nous remettre en route. Il

faudrait essayer de trouver ce coin deparadis dont on nous a parlé, dit-il enl’aidant à se relever.

— Tout à fait d’accord. »

Moins d’une demi-heure plus tard, leterrain devint plus facile, et ilscommencèrent à descendre dans unepetite vallée. Ce fut un grandsoulagement pour eux quand ilsarrivèrent en vue d’une clairière quiavait tout pour satisfaire le souveraind’un royaume miniature.

« Enfin la terre promise, on dirait, »commenta Luke en allongeant le pas versle havre qui s’offrait à eux.

D’un côté de la clairière se trouvaitune tente en soie blanche, à côté d’une

falaise dans les anfractuosités delaquelle poussaient toutes sortes deplantes. Sur les côtés, les moustiquairesavaient été relevées pour mettre envaleur le grand lit recouvert de draps ensatin et d’une montagne de coussins detoutes les tailles.

Ils échangèrent des regards gênés eteurent toutes les peines du monde àrester impassibles.

L’abside était décorée de fleurs, etdes pétales de rose avaient été répandussur le couvre-lit. De chaque côté du lit ily avait un fauteuil confortable et un valetsur lequel était pliée une robe dechambre en lin blanc. Plus loin, ilstrouvèrent une table avec des piles deserviettes blanches, des savons

parfumés, et tout ce qu’il fallait pour selaver.

Dans un autre coin de la clairièreétait aménagée une salle à manger à cielouvert. Ils se dirigèrent vers deuxchaises longues de couleur ivoireséparées par une table sur laquelle setrouvaient des verres à vin et desbougies. Tout près de là, il y avait unepiscine naturelle alimentée par uneravissante cascade. Là encore, des pilesde serviettes épaisses avaient étédisposées sur le tapis moussu quientourait la vasque.

« C’est magnifique, » s’exclamaAshley en examinant la table ronde, dontla nappe était assortie au tissu deschaises longues.

En son centre se dressait un énormebouquet de fleurs et de plantes de larégion. Deux grandes bougies blanchesattendaient d’être allumées.

À moitié dissimulés par un rideau deplantes se trouvaient un grand panier depique-nique et deux glacières.

« J’en suis encore à admirer le décorque toi, tu te jettes sur la nourriture.

— Mais je meurs de faim, dit-elle enouvrant les glacières pour voir quelstrésors elles recélaient.

— Moi aussi en fait, » dit-il en sonfor intérieur tandis qu’il la regardaitdéballer les victuailles.

Confortablement installée dans unechaise longue, Ashley dégustait une

brochette de poulet.« Dis-moi, Luke. »Elle s’essuya les doigts sur une

serviette et saisit son verre de vin rouge.« Oui, quoi donc ?— Comment c’est ?— Quoi ? »Lui aussi se sentait à l’aise, une

bouteille de bière presque vide à lamain.

« Le football. Ton travail.— Tu veux savoir comment c’est de

jouer au football ?— On a passé toute la journée

ensemble, et je suis curieuse. Il y atellement de choses que j’ignore à tonsujet. À quoi ça ressemble de mener unevie où on est soumis à une telle pression

médiatique ? Comment fais-tu pour teconcentrer sur le ballon, quand il y a unedemi-douzaine de caméras qui tefilment, y compris quand tu te grattes lenez ? »

Ses questions le firent rire.« Non, je suis sérieuse. Quoi que tu

fasses, les gens te jugent. Le moindre detes faits et gestes est analysé et disséquéà la télé, à la radio, dans la presse. Çame rendrait dingue ! Je ne pourrais pasm’y faire.

— Hum ! C’est une questionintéressante. »

Il se demanda s’il allait lui donner laversion courte, qui suffisait amplementaux supporters et aux journalistespressés, ou une réponse venant du fond

du cœur. Lui dire combien c’étaitfrustrant d’être critiqué à tort, quandc’était le gars qui devait recevoir lapasse qui était en faute. Ou combienc’était dur d’être en butte à des attaquesincessantes, comme s’il était une vedetted’Hollywood.

D’un autre côté, il avait une vie derêve. Il adorait le sport qu’il pratiquait,les responsabilités qu’il exerçait, latension extrême des fins de match.C’était la vie la plus exaltante qu’ilpouvait imaginer. Il avait eu tellementd’expériences extraordinaires qu’il n’yavait aucun regret à avoir.

Cela dit, le revers de la médaille,c’était que le public était obnubilé par lefric et les femmes qui étaient l’apanage

des grands joueurs, et qu’il ne luiaccordait pas le droit de se plaindre dequoi que ce soit. Mais après tout, ceserait obscène de se plaindre avec unsalaire comme le sien.

« Être disponible pour les médias, çafait partie de mon boulot. Je serais déçusi ça ne se passait pas comme ça.

— Tu veux rire ? Ça te paraît normald’être traité comme ça ?

— C’est le monde où on vit. Si tujoues bien, tu fais la une des journaux. Situ joues mal, la presse se déchaîne deuxfois plus. Les journalistes adorent tefourrer le micro sous le nez quand ça neva pas.

— Je ne pourrais pas le supporter.Déjà, j’ai du mal avec les caméras dans

cette émission. Ça fausse tout. Quelindividu sain d’esprit voudrait vivrecomme ça ? »

Luke la regarda repartir vers lesglacières et en extraire deux nouvellesassiettes.

« En fait, chaque fois que je vois unede ces stupides caméras pointée dans madirection, j’ai envie de coller unchewing-gum sur l’objectif, ou de direau gars de se barrer. Je sais qu’ils nefont que leur boulot, mais je déteste ça.Je déteste vraiment ça. »

Elle posa une coupe remplie dechocolats entre eux, ainsi que descrevettes et des fraises.

« Vraiment ? Ça m’étonne.— Pourquoi ? lui demanda-t-elle en

lui tendant une crevette.— Merci. Parce que tu as l’air bien

dans ta peau. Tu dis ce que tu penses, ettu as l’air de te moquer complètementdes enjeux de l’émission.

— Je suis trop facile à déchiffrer,alors ?

— Non, ce n’est pas ça. Tu es toi-même en toutes circonstances. Tu es lapersonne la plus authentique que jeconnaisse. Tu fais ce que tu veux,comme tu veux. Tu ne prends pas degants, tu ne lèches les bottes depersonne. Tu te fiches de ce que les genspensent.

— Il n’y a pas de quoi s’en vanter.— Au contraire.— Je ne voulais vraiment pas me

faire remarquer. Je voulais me fondredans la masse et rester moi-même. Jouerà la poupée Barbie, ça n’est pas du toutmon truc. Ça ne te casse pas les pieds,toutes ces bonnes femmes qui te cajolenten permanence ? »

Il la regarda de travers.« C’est bon, tu n’es pas obligé de

répondre. Je sais : tu es au septièmeciel. Quel mec n’aimerait pas êtreentouré de nanas sublimes suspendues àses lèvres et lui disant tout ce qu’il croitavoir envie d’entendre ? »

Réticent à se livrer, Luke pesa sesmots et prit une crevette pour gagner dutemps.

« En réalité, j’en ai marre.— Vraiment ? »

Il s’aperçut qu’il faisait confiance àAshley et qu’il voulait lui dire le fondde sa pensée.

« Au début, je n’étais rien. LukeTownsend, personne ne connaissait.J’étais un môme qui s’amusait bien etqui s’attirait des ennuis. Je faisais tropla fête, et j’accumulais les bêtises. Et dujour au lendemain, tout s’est arrangéparce que j’étais devenu une star dufootball. J’ai passé ma vie à jouer aufootball. Quand j’étais gamin, jem’entraînais à signer des autographes,pour être prêt, le jour où je seraiscélèbre.

— C’est extraordinaire ! Tu asréalisé ton rêve de gosse. Il y a si peu degens à qui ça arrive ! Combien ça te

rapporte, chaque fois que tu signes tonnom ? En fait, est-ce que tu as encore lesdroits sur ta propre signature ?

— Oui, j’ai gardé les droits. Tu veuxmon autographe ? Pour toi, c’est gratuit.

— Merci du cadeau ! Mesdames etMessieurs, le grand Luke Townsendvient de m’offrir un autographe. C’estgentil, mais je peux m’en passer. Lesautographes, ce n’est pas ma tasse dethé. Pas plus que les gens riches etcélèbres.

— Je suis vexé à mort, dit Luke en luijetant la queue de sa crevette d’un airfaussement boudeur. Ashley la ramassaet la lui renvoya.

— C’est la première fois quequelqu’un refuse mon autographe. Tu te

rends compte de ce que ça te rapportait,si tu le mettais en vente sur eBay ? »

Pas grand-chose, en fait, reconnut-ilen son for intérieur. Il y avait pléthored’objets avec son autographe encirculation. Sa cote ne pouvait quebaisser.

Ashley fit une mimique de dégoût.« Tu as vraiment la grosse tête. Ça ne

te ferait pas de mal de te prendre unrâteau.

— Vas-y, ne te gêne pas, dit-il avecun sourire diabolique.

— Bon, pas tout de suite. Continueton histoire, dit-elle en changeant detactique.

— Eh bien, d’un seul coup, je me suismis à attirer l’attention des médias et à

avoir des tas de fans. Où que j’aille, il yavait des gens qui voulaient me payer unverre, me serrer la main, sortir avec moiou… n’importe quoi, » dit-il avechésitation.

C’était la grande vie, tout était gratuit,il n’avait de comptes à rendre àpersonne.

« C’est incroyable le nombre deportes qui s’ouvrent à toi quand tu es ausommet de ta gloire. »

Il avala une dernière gorgée de bière.« D’un autre côté, c’est comme si tu

vivais sous un microscope. Tu croisavoir des secrets, et le lendemain, ilsfont la une des journaux. Ou pire encore,un reporter te pose une questionembarrassante devant une salle pleine de

journalistes. Des trucs que tu croyais àtoi, des choses sacrées, sont déballés auJT. C’est l’horreur. Et du coup ça revientaux oreilles de ta famille. Au début, jepensais que ma famille n’aurait jamaisvent de mes contraventions et de mesfrasques, mais ce n’était pas vrai. Ils onttout su.

— Ça n’a vraiment pas l’air rose.— Et puis tu sais quoi ? Je déteste

qu’on soit obligés de jouer quand on estblessés. Le matin, la moitié de l’équipeest dans un état lamentable, à peinecapable de marcher. Et on y va quandmême, on se donne à fond sur le terrain.On prend des coups, on ramasse desbeignes incroyables. On essaye decacher qu’on a subi une commotion

cérébrale et de ne pas sortir du terrainen boitant. »

Luke jouait avec sa bouteille commeavec un ballon.

« Moyennant quoi, les journalistes tesautent dessus pour te demanderpourquoi tu as fait la passe à untel et pasà tel autre. Tu t’es donné un mal dechien, tu tiens à peine debout à l’issuedu match, et on t’assomme de questionsidiotes sur « les phases de jeu ». Etencore un truc. Il faut cirer les pompesdes journalistes, parce que si ta réponseest aussi stupide que leur question, ils sedébrouilleront pour te faire passer pourun crétin. Ils ont le chic pour déformertout ce que tu dis et te faire passer pourle roi des imbéciles.

— Je n’avais pas la moindre idée detout ça. Tu as toujours l’air tellement àl’aise en interview. Je ne sais pascomment tu fais. S’ils étaient après moi,je me cacherais dans un trou de sourisjusqu’à ce qu’ils se découragent. Jen’achèterais plus jamais le journal, et jejetterais ma télé par la fenêtre.

— Je dois t’avouer que j’évite lespages sportives des journaux locaux.C’est chouette de lire les articles quandon a bien joué, mais les critiques ne meservent à rien. Crois-moi, quand j’ai faitun match pourri, je n’ai pas besoin del’analyse d’un journaliste pour mel’apprendre.

— Tu vois, voilà encore une raisonpour laquelle on ne pourrait jamais

vivre ensemble, toi et moi. Je détestequand les médias fourrent leur nez dansla vie privée des gens. Je ne pourraisjamais surmonter ça, et les entendre direce qu’ils attendent de moi. Je péterais unplomb. Ça tournerait mal et je mecouvrirais de ridicule. Mes secretsseraient sur la place publique. Je frémisrien que d’y penser. Je ne sais vraimentpas comment tu survis à tout ça, répétaAshley en triturant une fraise.

— J’ai la peau dure. Mon père étaitplutôt du genre strict, et mon frère veilleà me rabattre le caquet quand il faut. Iln’a pas son pareil pour remettre lespendules à l’heure. Mais pour en revenirà toi, pourquoi es-tu venue dans cetteémission si tu méprises les médias à ce

point ? Tu ne te rends pas compte de lapublicité qu’il va y avoir quand ce seradiffusé ? lui demanda-t-il en la regardantdans les yeux.

— Ça ne m’avait même paseffleurée, » dit-elle en s’étranglant àmoitié avec son fruit.

Luke la vit pâlir d’angoisse.« Je n’ai pas regardé le calendrier en

détail, mais il va falloir assurer lapromotion. Je suis sûr que c’est dans lecontrat.

— Non ! Je n’y avais pas songé uneseconde. Autant me tirer une balle toutde suite, dit-elle en avalant une gorgéede vin.

— Qu’est-ce que tu entends par là ?— Si cette caméra de malheur était

devant moi, je ne dirais rien de tout ça. »Luke hocha la tête.« Comment te dire ? Je suis quelqu’un

de très réservé. Pas par misanthropie,évidemment. J’ai beaucoup d’amisformidables et je mène une vie normale,mais je ne supporte pas l’idée que meshistoires soient jetées en pâture à desgens que je ne connais ni d’Ève nid’Adam. Pour tout te dire, venir danscette émission a été une surprise, unedécision de dernière minute. Je n’avaisjamais rien fait de tel, et je nem’attendais pas du tout à me retrouverun jour sur un plateau de télé. Une foisque j’ai été embarquée là-dedans, sansvouloir te vexer, j’ai tout de suite vu quenous n’étions pas faits l’un pour

l’autre, » acheva-t-elle en croquant unchocolat.

Luke la dévisagea d’un air sceptique.Il ne croyait pas une minute à sonhistoire. Ce qui se passait entre eux étaitplus fort que tous les mots.

« Au milieu de toutes ces nanassublimes, je ne fais pas le poids, etfranchement, ça m’est égal. Je n’ai aucungoût pour ce genre de compète. »

En se rappelant la détermination dontAshley avait fait preuve au golf malgréson manque de pratique, Luke éclata derire. Apparemment, elle ne se rendaitpas compte de la pugnacité dont elleétait capable.

« Ça ne m’intéresse pas de me battrepour séduire quelqu’un. Les autres filles

ne te connaissent pas, mais ça ne lesempêche pas de se jeter sur toi en seprétendant folles d’amour. Quelleblague ! On ne tombe pas amoureux dequelqu’un en trois jours. Ce n’est qu’unjeu, et je n’aime pas les jeux, conclut-elle en prenant un autre chocolat.

— Mais alors, comment t’es-tudébrouillée pour rester jusqu’à la phasefinale ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.J’avais l’intention de me fondre dans ledécor et d’être éliminée au plus vite.Mais c’est toi, dit-elle en le désignantd’un doigt accusateur, qui esresponsable, parce que c’est toi quim’as donné une rose à chaque fois. Jet’ai demandé de ne pas le faire. Alors, à

toi de me le dire : pourquoi ne m’as-tupas éliminée, alors que tu sais très bienque tu ne m’intéresses pas ? »

Luke la regarda rougir en luiracontant ce bobard. Depuis le baisersur le bord de la crevasse, il savaitqu’elle s’intéressait à lui, et c’étaitréciproque. Ce baiser n’était pas anodin,ni pour elle ni pour lui.

« OK, laisse-moi résumer ce que tuviens de m’expliquer. Tu t’es inscritepour une émission à laquelle tu ne croispas. Tu as décidé que j’étais un pauvretype, et que tu souhaitais partir au plusvite. Par conséquent, tu as décidé de « tefondre dans le décor » pour aboutir à tesfins. Et maintenant que je t’ai choisie etinvitée à venir avec moi au Costa Rica,

tu oses prétendre que tu n’as pas changéun tout petit peu d’avis ? »

Comme il avait l’intuition qu’Ashleyne voudrait en aucun cas lui faire de lapeine, Luke n’avait pas hésité à essayerde la culpabiliser au maximum. Ellepouvait être extrêmement sarcastique,mais contrairement à beaucoup d’autresfilles qu’il avait renvoyées sans aucunétat d’âme, elle avait bon fond.

« Ce n’est pas que tu ne m’intéressespas, mais comment dire ? Tu n’es pasmon genre, et je ne suis certainement pasle tien, balbutia-t-elle.

— Ne me dis pas ce que je ressens.Tu n’es pas journaliste, tout de même !

— Excuse-moi, mais nous sommes sidifférents, toi et moi. Tu as une vie

publique, et je suis quelqu’un de trèspudique. C’est à cause de ta professionque ça ne pourrait pas marcher entrenous. Ne le prends pas mal.

— C’est un boulot comme un autre,protesta-t-il.

— Presque. Écoute, j’appréciebeaucoup ta compagnie, et il n’y a pasde raison de se priver de ce que nousoffre cette émission. Le caméraman et leproducteur se sont évaporés dans lanature. Pourquoi ne pas explorer ce querecèle ce paradis terrestre ? »

Avec toi, c’est bien le paradis.Il plissa les yeux et lui lança un défi.« Le premier sous la cascade !— Tope là !— OK. Un… deux… oh, mince !

L’équipe est de retour, » dit-elle enpointant son doigt vers l’autre bout de laclairière.

Pendant que Luke, violemment déçu,se retournait vers l’endroit indiqué,Ashley cria :

« Trois ! »

CHAPITRE 12

Ashley se leva d’un bond, et son assietteatterrit dans l’herbe.

Luke se lança à sa poursuite à lavitesse du jaguar, survolant les obstaclesavec la grâce d’un authentique athlète.Ashley jeta toutes ses forces dans labataille pour conserver sa maigreavance, mais elle n’était pas aussi douéeque lui pour éviter les buissons et lescailloux. Juste avant qu’elle n’atteigne lachute d’eau, Luke parvint à l’attraper par

la taille et à l’immobiliser dans ses braspuissants.

« Ce n’est pas juste, j’y étais presque,protesta-t-elle avec véhémence, en sedébattant comme un beau diable. Maisrien n’y faisait, Luke était le plus fort.

— Petite tricheuse ! lui murmura-t-ildans le cou.

— Repose-moi par terre, exigea-t-elle en riant. Le contact de ses pectorauxcontre ses omoplates la faisait frissonnerde plaisir.

— Tu ne vas pas t’en tirer commeça. »

Il la jeta en l’air comme une poupéede son avant de la récupérer dans uneautre position, ses jambes emprisonnéesdans le creux de son bras.

« Lâche-moi ! gronda-t-elle.— Il faut punir les tricheurs.— C’est hors de question ! »Luke se dirigea vers la cascade.« Tu ne vas tout de même pas oser !

Luke, j’exige que tu me lâches. Ce n’estpas drôle, » dit-elle en se contorsionnantsans succès pour lui échapper.

Luke fit semblant de trébucher, etl’espace d’une seconde elle se retrouvasuspendue dans l’air devant lui. Ellepoussa un cri, puis se mit à rire ens’accrochant à son cou.

« Tu cries comme une vraie gamine,tu sais.

— Et toi, tu es une vraie brute ! »Le cœur d’Ashley battait la chamade.Arrivé au bord de la vasque, il fit

semblant de l’y jeter, mais elles’accrocha plus fort à son cou.

« Voyons voir. Comment va-t-onfaire ? »

Il prétendit réfléchir à la meilleurefaçon de la précipiter dans l’eau sans semouiller lui-même. Ashley faisait lesgros yeux.

« Je n’ai que l’embarras du choix,dit-il en lorgnant vers la piscine.

— Pose-moi par terre. Là-bas, dit-elle en montrant l’endroit où la mousseformait un tapis épais. Souviens-toi queje suis blessée. Je viens de vivre uneexpérience traumatisante. »

Il fit comme si de rien n’était.« Il y a deux méthodes : la rapide ou

la lente. En ce qui me concerne, je

penche pour la première, parce que tupèses une tonne. »

Il commença à entrer lentement dansl’eau.

« Brrr ! Rien de tel que l’eau glacéedes cimes.

— S’il te plaît, je ne veux pas abîmerma montre, lui dit-elle en désignant sonpoignet d’un geste suppliant.

— C’est tout ce que tu as trouvé ? »Le cadran de sa montre avait été

pulvérisé dans sa chute.« Tout le monde descend ! » annonça

Luke triomphalement en la jetant si viteà l’eau qu’elle n’avait aucune chance detrouver une parade.

Maintenant je sais ce que ressent leballon quand il fuse à l’autre bout du

terrain. Elle but la tasse et coula avantd’avoir pu articuler un son.

« Elle est chaude ! » bafouilla-t-elleen sortant la tête de l’eau. Elle n’enrevenait pas que la température de l’eausoit aussi agréable.

Luke avait l’air content de lui.« Tu le savais ! Tu m’as fait marcher,

espèce de sale type, dit-elle en essayantde reprendre son équilibre malgré sesvêtements trempés qui lui collaient aucorps. Elle réussit à faire un pas enavant, mais glissa et s’affala de nouveaudans l’eau.

— Sale type ! » répéta-t-elle enl’éclaboussant de toutes ses forces.

Luke ôta sa chemise et entra dansl’eau. En quelques brasses, il fut dans la

zone où il n’avait pas pied.« Pas trop mal, non ? »Elle était sur le point de dire

exactement la même chose, mais de toutefaçon, elle n’était pas en état de parler :dans l’intimité de cette piscine en pleincœur de la jungle, la vue de la poitrineruisselante de Luke lui donnait despalpitations.

Il lui expliqua ce que les producteurslui avaient dit au sujet de la sourcechaude qui alimentait ce bassin. Lanappe phréatique de toute la région étaitchauffée par un volcan en activité, et lessources chaudes étaient légion dans lesecteur.

« Il doit y avoir des minérauxparticuliers dans cette eau, » murmura

Ashley en se vautrant avec délices dansle liquide tiède et bienfaisant. Elle avaitl’impression que la nature elle-même lacaressait tendrement.

Ils s’installèrent directement sous lacascade et se laissèrent masser par lachute d’eau, puis firent la planche enadmirant les nuances du ciel à traversles branches qui ombrageaient la source.La magie de l’eau était infinie, et laréverbération des sons avait un effethypnotique.

Luke ne semblait pas conscient dutrouble que son physique sculpturalprovoquait en elle.

Ashley s’amusait à recueillir de l’eaudans le creux de la main, et à la laisserfuir entre ses doigts.

Luke vint la rejoindre sur la pierrelisse qui lui servait de siège et lui tintcompagnie sans un mot. Il rompit lesilence par une petite pique sansméchanceté :

« Tu sais, de toutes les filles que jeconnais, je crois que tu es celle qui criele plus. »

Ashley l’éclaboussa.« Eh oui, je ne suis pas un garçon

manqué, je ne suis pas sportive, et jen’ai pas l’esprit de compétition. Aufond, je suis une fille plutôt féminine, sil’on excepte mon apparence.

— Tu es plus jolie que la plupart desautres filles de l’émission.

— La dernière fois qu’un garçon m’apoursuivie comme toi tout à l’heure,

c’était à la maternelle. Le grand jeu,c’était d’attraper une fille pourl’embrasser. »

Déjà à cette époque-là, elle n’étaitpas indifférente quand un garçon luicourait après. Elle ressentait la mêmechose aujourd’hui.

« Et tu te faisais souvent attraper ?— De temps en temps, dit-elle en se

rappelant cette époque lointaine. C’étaittoujours Gerald Newton qui m’attrapait.

— Gerald ? Ça sonne bien, pour unmoutard de cinq ans.

— Tu ne crois pas si bien dire. »Elle revoyait le petit bonhomme

sanglé dans sa chemise empesée etboutonnée jusqu’en haut.

« Il avait les cheveux taillés en

brosse et de grosses lunettes à monturenoire.

— C’est pure invention !— Non, je te jure, c’est la vérité.

C’était le fort-en-thème de naissance.J’imagine que c’est de là que vient mafascination pour ce genre de gars. »

Ashley continuait à jouer avec l’eau.« Et que faisait Gerald le fort-en-

thème quand il réussissait à t’attraper ?— Il m’aplatissait contre le mur de

briques de l’école et me bécotait. »Luke se coula en face d’elle, la

bloquant sur le rebord de pierre entreses bras.

« Puisque je t’ai attrapée, est-ce queje n’ai pas droit au même traitement ? »

Ashley se trémoussa, indécise. Les

baisers de Luke étaient aussi doux quel’eau de cette source magique. C’étaitcomme une drogue dont elle devenait deplus en plus dépendante. Refusant decéder à son cœur et à ses sens, ellerépondit :

« Je ne crois pas que ce soit unebonne idée.

— Moi, au contraire, je pense quec’est une excellente idée. On est dans uncadre magnifique et qui plus est, on a lachance d’être loin des caméras pendantquelques heures. »

Le timbre de sa voix lui donnait lachair de poule.

« Mais, Luke…— Tais-toi, dit-il en mettant le doigt

sur les lèvres. Puisque tu as laissé

Gerald t’embrasser devant tout le mondedans la cour de l’école, la moindre deschoses, c’est que tu me laissest’embrasser ici, où il n’y a personne. »

Il n’avait pas tort. C’était le momentoù jamais d’en profiter.

Il leva très lentement sa bouche versla sienne et y déposa un baiser d’uneincroyable douceur.

Ashley cessa de lutter pours’abandonner à l’irrésistible sensualitédu moment. Il semblait à la foisparfaitement détendu et compact commeun félin prêt à bondir.

« Viens ici. »Ashley le suivit sans résistance vers

le centre du bassin où l’eau était plusprofonde. D’un doigt, Luke caressa

l’ovale de son visage, comme pour enmémoriser les contours. Ashley avait lesjambes en coton. Il la serra contre sapoitrine et l’embrassa de nouveau. Lecœur d’Ashley battait à tout rompre.

CHAPITRE 13

Je vais recevoir une rose, et ça me faitvraiment plaisir. Qui l’eût cru ?

« Tu as l’air de bonne humeur,commenta Cricket, en s’asseyant à côtéd’Ashley sur un transat rembourré decoussins.

— Ça se voit tant que ça ? demandarêveusement Ashley, qui ne pensait plusqu’aux moments incroyables qu’elleavait passés avec Luke.

— Tu parles ! »

Ashley remarqua que Cricket n’étaitpas en reste question bonne mine.

« Toi aussi, tu sembles plutôtcontente.

— C’est vrai. On a eu droit à uncours de voile pendant notre croisière lelong de la côte. Quel bateau ! Et Luke esttellement marrant. Il m’a fait rire sansarrêt.

— Il a un don, n’est-ce pas ? »Ashley se sentait inondée de bonheur

chaque fois qu’elle pensait à Luke.Elles continuèrent à bavarder en

attendant que le producteur vienne leurfaire le briefing pour la prochainecérémonie de la rose. À l’approche ducrépuscule, l’air fraîchissait lentement.

« On dirait des jumelles, s’esclaffa

Tami en les rejoignant de sa démarcheondulante. Ça me fend le cœur de vousle dire, mais l’une de vous deux varentrer chez elle ce soir. Après notre nuità South Beach, Luke est à moi. En fait,vous pourriez aussi bien partir en mêmetemps. »

Tami se laissa tomber sur une chaiselongue avec un air béat.

Ashley et Cricket échangèrent unregard dubitatif.

« Vraiment ? »Ashley savait que Tami n’allait pas se

faire prier pour tout leur raconter.« Luke, j’en fais ce que je veux,

renchérit Tami en agitant son petit doigten l’air.

— Où c’est, South Beach ? demanda

poliment Ashley.— À Miami, espèce d’andouille,

répondit Tami en relevant sa robe pourfaire admirer ses longues jambesbronzées. Tu n’es vraiment jamais sortiede ta cambrousse. South Beach est unendroit super branché. Le rendez-vousdes mannequins vedettes et des plusgrandes stars. C’est là qu’il faut être vu.En fait, ça ne m’étonnerait qu’à moitiéqu’on fasse la couverture de Star. »

Ashley haussa les épaules. Pourquoiconnaîtrait-elle South Beach ? Sonterrain de prédilection, c’était StateStreet, à Madison, voire Rush Street, àChicago.

« Je ne vous ai pas dit ce qui s’estpassé sur la plage ? Ça n’a pas traîné :

le temps de l’enduire d’ambre solaire, ilétait à moi.

— Alors tu t’es bien amusée ?demanda Cricket.

— C’est le cas de le dire.— Et à part vous enduire

mutuellement d’huile solaire, qu’est-ceque vous avez fait d’autre ? »

Les confidences de Tami donnaient àAshley des crampes d’estomac. Lesmoments qu’ils avaient vécus au CostaRica avaient été tellement intensesqu’elle ne pouvait pas supporter l’idéeque Tami ait connu une expérience aussiextraordinaire que la sienne. Pourvu quece ne soit que de l’intox.

« Eh bien, on a marché le long de lamer. Il portait un bermuda divin qui

mettait ses abdominaux en valeur. Toutesles femmes qui nous croisaient seretournaient sur lui, je vous jure, maistant pis pour elles, puisqu’il était à moi.Je portais mon maillot de bain doré, etje peux vous dire que nous ne sommespas passés inaperçus. Les mannequinsanorexiques et les lutteurs de foirepeuvent aller se rhabiller. Ensuite, on afait les boutiques, et je me suis faitdérouler le tapis rouge. Dès que j’ai faitsavoir à ces gourdes de vendeuses quipayait l’addition, elles se sont mises àramper devant moi. C’est quand mêmeagréable de sortir avec quelqu’un decélèbre. »

Ashley et Cricket n’en croyaient pasleurs oreilles. Tami avait un sacré culot.

« Et en fin de journée, on est allés àNikki Beach. Tu en as entendu parler oupas, Ashley ? »

Ashley secoua la tête.« Mais d’où sors-tu, ma pauvre ?

Nikki Beach, c’est le clou de SouthBeach. C’est sur la plage, évidemment,mais au lieu de tables et de chaises, il ya des lits. J’y ai passé toute la nuit avecLuke, à danser et à bavarder. Le pauvre,il me désire à s’en rendre malade. »

Tami se caressait les bras du bout deses ongles effilés. De là où elle était,Ashley voyait très bien que Tami avait lachair de poule.

« Ma parole, que tu es superficielle !s’exclama-t-elle.

— Quoi ? Il me mange dans la main.

Je peux faire de lui ce que je veux. C’estmoi qui commande. Je veux son fric, etlui, il me veut, moi, dit-elle avec unsourire assassin.

— On voit que tu ne le connais pastrès bien.

— Suffisamment. C’est une bête destade qui a besoin qu’on décide pour lui.À l’amour comme à la guerre… »acheva Tami en repartant vers la villatout en se déhanchant.

Ashley fit un geste d’impuissance.« Pourquoi est-ce que je laisse cette

dinde me faire marcher ? Je tombe dansle panneau à chaque fois.

— C’est sa seule arme. Ne t’en faispas. Elle est tellement égocentriquequ’elle en est aveugle.

— Peut-être, mais elle me fait douterde Luke.

— Oui, moi aussi. J’étais plutôtheureuse de la tournure des événements,jusqu’à ce que cette bécasse vienne nousseriner. Maintenant, je ne sais plus quoipenser. Que sera, sera. Si c’est vraimentTami qu’il veut, tant pis pour lui.

— Parfaitement de ton avis. »Les insinuations de Tami avaient

secoué Ashley, mais c’était finalementsans importance. Tami n’était qu’unesemeuse de trouble et rien de plus.Enfin, probablement.

Le contraste avec la première soiréeétait saisissant. Avec seulement troisfilles devant Luke, le grand salon

paraissait désert. Les caméras étaient enplace, et la tension maximale. Ashley sesentait au comble de l’anxiété.

Jusqu’ici, son seul désir avait été dequitter l’émission, mais aujourd’hui, ellevoulait à tout prix rester avec Luke. Leurvoyage au Costa Rica l’avaitprofondément chamboulée. Une réelleentente s’était instaurée entre eux, et ellene voulait pas que cela s’arrête. Elle nevoulait pas croire un mot de ce qu’avaitraconté Tami. Était-il possible que Lukejoue sur les deux tableaux ? Et quid deCricket ? Ashley refusait d’y croire,mais le doute s’était insinué en elle.

Luke regarda tour à tour les troisfilles avec un grand sourire chaleureux.Il prit une rose et prononça un nom :

« Cricket. »Nom d’un chien ! Pourquoi ne l’avait-

il pas appelée d’abord ? Néanmoins,Ashley se réjouissait pour Cricket, quiavait tellement de qualités. La blonde unpeu timide accepta sa rose avec grâce.

Il ne restait plus en lice que Tami etAshley, aussi différentes l’une de l’autreque le jour et la nuit. La vamp maléfiquecontre la bonne copine. Luke tenait ladernière rose et paraissait sérieuxcomme un pape, quand soudain un petitrictus lui déforma le visage.

« Ashley. »Hourra ! Pendant un instant, elle avait

douté de lui, et l’expérience avait étédouloureuse. Euphorique, elle se dirigeavers lui en souriant de toutes ses dents.

Elle lui plaisait. Il la voulait. Ce n’étaitpas un sentiment éphémère.

« Veux-tu accepter cette rose ? luidemanda-t-il en tenant la fleur serréecontre sa poitrine.

— Oui, je l’accepte. »Elle n’avait jamais rien vécu de

semblable. Quand elle prit la tige, ilplaça son autre main sur la sienne. Uncourant magnétique passa entre eux.Luke se pencha et déposa un baiseraérien sur sa fossette. Elle retourna à saplace comme sur un nuage, et porta untoast à Cricket avec sa rose.

Les yeux étincelant de fureur, Tamialla se planter devant Luke.

« Espèce d’ordure ! Tu nereconnaîtrais pas la femme idéale, même

si tu l’avais sous le nez. »Luke piqua un fou rire.Ashley était au comble du bonheur.

Luke regarda dans sa direction et lui fitun clin d’œil complice.

CHAPITRE 14

Ashley regarda par le hublot. Ellen’avait jamais rien vu de tel. Un paysagede collines et de vallées boiséess’étendait à perte de vue. C’était doncça, la Louisiane ? Ashley n’avait faitqu’un seul voyage au sud de sa régionnatale, au cours de son adolescence, àOrlando. C’était beaucoup plus vaste etmajestueux qu’elle ne l’avait imaginé.

C’était dans cette région que Luke, lavedette des stades, avait vu le jour et

avait grandi.Jusqu’ici, elle avait admiré son

affabilité envers tout le monde. Laplupart du temps, il était suivi par descaméras quand il venait à la villa ousortait avec des filles. Cette fois-ci, ilserait sur son propre terrain, entouré desa famille. Ashley se demandaitcomment il se comporterait. Serait-il unautre homme ? Comment vivait-il le faitde la présenter à sa famille ? Cetteperspective la rendait nerveuse.

Il y avait des turbulences, et n’ayantpas pris de petit déjeuner, elle se sentaitau bord de la nausée. Rencontrer lafamille de Luke et s’engager un peu plusdans cette relation lui faisaient peur.

Une relation. Était-ce bien le mot ?

C’était ce qu’elle avait l’impression devivre, mais en réalité, ils se livraient àun jeu idiot en face des caméras.Cependant, quand ils étaient ensemble,elle ne se sentait jamais nerveuse niidiote. Elle avait Luke dans la peau, etelle aimait ça. Il la faisait rire, et pourune bête de stade, il était infiniment pluscomplexe qu’elle ne l’aurait crupossible.

L’avion sortit bruyamment son traind’atterrissage, et Ashley s’arrêta derêvasser. Au loin, elle distingua un toutpetit aéroport. Ils étaient sur le pointd’arriver à Whiskey Bayou, la villenatale de Luke. Ashley essaya dereprendre le contrôle d’elle-même, et secomposa le masque qu’elle avait mis au

point pour l’émission. Des véhicules lesattendaient, avec des caméras prêtes àtourner. Elle avait eu de la chance de nepas être suivie par une caméra pendantle vol. Apparemment, puisque Luke nefaisait pas partie du voyage, lesproducteurs avaient estimé qu’il n’yavait rien à filmer. À propos de Luke, oùétait-il donc ? Sur le tarmac, il n’y avaitpas d’autres voitures que celles de lachaîne. Ashley se demanda s’ils avaientrendez-vous chez ses parents. Pourvuque non !

L’appareil se posa en douceur ets’immobilisa près des caméras. Quandla porte s’ouvrit, le pilote coupa lemoteur. En proie à des sentimentsmitigés, Ashley sortit sur la passerelle

en cherchant Luke des yeux, mais sanssuccès. Au moment où elle commençaità descendre l’escalier, elle entendit lerugissement d’une moto.

Elle s’arrêta et regarda le motardvenir vers elle, vêtu d’un jean délavé etde bottes noires. Quand il enleva soncasque, elle reconnut Luke, quil’accueillit d’un clin d’œil.

« J’ai pensé que tu aimerais peut-êtrefaire ton entrée en grande pompe, » luidit-il en désignant l’engin, à l’arrièreduquel était arrimé un deuxième casque.

Ashley dévala les dernières marcheset se jeta dans ses bras. Il la soulevacomme une plume et lui fit faire un tourcomplet avant de la reposer sur sespieds.

« Tu m’as manqué, chuchota-t-il enappuyant son front contre le sien.

— Toi aussi tu m’as manqué.— Jim, on peut y aller, maintenant ?

demanda Luke en tournant la tête vers leproducteur.

— Bien sûr, mais ne roulez pas tropvite. Il faut qu’on puisse vous suivre. »

Luke aida Ashley à attacher soncasque, puis lui montra comment montersur la moto, qui n’était pas neuve, maistrès chouette, et bien au-delà de sonbudget à elle.

Une fois Ashley confortablementinstallée, Luke tourna les manettes,replia la béquille, et lui tapota la jambe.À cause du bruit du moteur et de soncasque, elle ne comprit pas ce qu’il lui

disait.Luke effectua un démarrage

acrobatique et Ashley s’agrippa à Lukepour ne pas tomber. Quand la moto secabra, elle le serra par la taille de toutesses forces. C’est ce qu’il avait dû luirecommander à la dernière minute.

La moto retomba dans l’axe et Lukemit les gaz. Ashley oscillait entrel’excitation et la terreur. C’étaitseulement la deuxième fois de sa viequ’elle chevauchait une moto, et lapremière fois ne lui avait pas laissé unbon souvenir. Ces gros enginsl’effrayaient. Ils étaient trop puissants etoffraient trop d’occasions de se crasher.Cependant, quelque chose dans la façondont Luke contrôlait sa moto lui inspirait

confiance.Au bout de la piste d’atterrissage,

Luke s’engagea sur une route decampagne, et Ashley constata que lescaméramans n’arrivaient pas à lessuivre. Il était clair que Luke avaitl’intention de les semer, et Ashleyjubilait. Son rêve allait se réaliser.

Comme ils empruntaient des routespeu fréquentées à travers la forêt,Ashley se détendit et Luke, la sentantplus confiante, lui tapota la main. Leurcommunication muette la fit sourire.C’était comme s’ils pouvaient lire dansles pensées l’un de l’autre.

Ils roulaient à vive allure contre unebrise tiède. Au bout de vingt minutes, ilralentit et prit un embranchement sur une

route secondaire qui montait vers unplateau au prix de nombreux virages.Luke finit par s’engager sur une pistemenant vers une grande clairière. Arrivéau sommet du monticule, Luke coupa lesgaz, ôta son casque et passa la main dansses cheveux. Puis il descendit de moto etaida Ashley, qui avait du mal à défairela boucle du sien.

Leurs yeux se rencontrèrent. Ilsétaient seuls. Il lui prit la main et l’aidaà descendre. Serrés l’un contre l’autre,les mots étaient inutiles.

Elle ne s’était jamais sentie aussibien. Qu’avait-elle fait pour mériterpareil bonheur ? Luke était tout ce dontune femme pouvait rêver.

Il baissa les yeux vers elle et

embrassa ses lèvres ardentes.« Je veux te montrer un truc, dit-il en

la guidant vers l’endroit d’où la vueétait dégagée dans toutes les directions.Le paysage était grandiose. D’un côté dela clairière, le terrain descendait enpente douce vers une petite crique.

— Que c’est beau, balbutia-t-elle,émue par la beauté de la nature.

— C’est à moi, dit-il fièrement. C’estlà que je vais construire ma maison.Juste là, au sommet de cette colline. »

Sans lui lâcher la main, il commençaà lui décrire en détail ce qu’il avait entête.

« On creusera les fondations cet été,et si tout va bien, d’ici la fin de lasaison, je pourrai emménager. »

L’excitation de Luke était palpable. Ilallait enfin s’installer dans un endroit àl’abri des curieux, où il pourrait profiterde la nature. Et il avait choisi de lamettre dans le secret.

« Ça va être formidable. Quellechance de pouvoir construire la maisonde ses rêves, et dans un cadre aussimagnifique ! »

Elle se pencha pour cueillir unbouquet de fleurs des champs.

« Je t’imagine déjà, assis sur lavéranda, au coucher du soleil, une bièrefraîche à la main. Je te vois aussi taillerdes petits objets en bois, et mêmechiquer du tabac et roter toute la nuitpour faire peur aux insectes.

— Très drôle.

— J’aime beaucoup ces fleurs, dit-elle en ramassant une fleur mauve.

— Ce n’est qu’une mauvaise herbe.— Pas du tout, c’est de la chicorée,

une fleur sauvage.— Comme tu voudras.— J’ai un faible pour cette plante,

dit-elle en admirant son bouquet.— Je suppose qu’on ferait mieux de

retourner voir l’équipe et de passer auxchoses sérieuses, suggéra-t-il enretournant vers sa moto.

— Seulement si on ne peut pas faireautrement.

— Je ne veux pas que Jim se mette encolère, et puis j’ai beaucoup d’autreschoses à te montrer. Tu vas voir, on vapasser une super journée. »

Ashley n’avait aucun doute là-dessus.Elle remonta en selle et se serra toutcontre lui.

« Attention à vous ! » cria Mike enlaissant tomber une écrevisse sur leplancher du bateau ponton. Il y eut unbruit mat au moment où la bête toucha lebois, suivi d’un crissement quand elletenta de s’échapper en zigzaguant.

Chaque fois que le frère cadet deLuke en attrapait une, Ashley ne pouvaits’empêcher de pousser une exclamationde dégoût. Les vilaines petites bêtesfaisaient environ dix centimètres, avecde gros yeux globuleux et de longuesantennes. Au fur et à mesure, Luke lesramassait et les jetait dans un seau,

éclaboussant Ashley au passage.« Gare à la tête ! » annonça Mike en

lançant une nouvelle prise en directiondu seau. Il s’en fallut de peu qu’Ashleyne prenne le crustacé dans la figure.

Mike était plus petit que son frère, etbeaucoup plus râblé. Il n’avait pas lalangue dans sa poche et devait plaire auxfilles.

« On les servira en apéritif, dit Lukeen comptant les prises, tandis que Mikeremontait à bord du bateau.

— Vous allez manger ça ? demandaAshley avec une moue de dégoût. Ellemourait de faim, mais n’avait aucuneenvie de goûter à ces affreusesbestioles.

— Et comment ! Nous allons nous

régaler, répondit Mike en passant unbras dégoulinant autour des épaulesd’Ashley.

— Bien sûr. Maman va sauter de joie.On les fera bouillir dès qu’on arrivera àla maison, » confirma Luke.

Soudain, Ashley sentit quelque choselui pincer les fesses.

« Aïe ! »Elle se retourna et vit Mike prendre

un air faussement innocent.« Qu’est-ce qui se passe ? demanda

Luke en levant la tête.— Rien, une bestiole m’a pincée, dit-

elle en s’éloignant de Mike.— On va les faire cuire sans tarder.

Tu te vengeras en mangeant la première,lui proposa Luke.

— Non, merci. Je ne sais même pascomment ça se mange, dit-elle, rassuréed’être hors de portée des pinces deMike.

— Je te ferai une démonstration.C’est simple comme bonjour : tu mordsdedans, tu croques, et tu craches. Pasvrai, Luke ? » dit Mike, en mimant toutela scène sans la quitter des yeux.

Quel goujat !

« Alors, Ashley, ça vous plaît, parici ? » lui demanda Gus, le père deLuke.

C’est de son père que Luke avaithérité sa belle carrure. Gus était unesorte de géant, alourdi par les kilos quiviennent avec l’âge. Assis au bout de la

table, il dominait l’assemblée de sa fortepersonnalité.

« Oui, je vous remercie. C’est unerévélation pour moi. Je n’étais jamaisvenue dans la région, et j’ignorais à quoiça ressemblait. C’est tellement sauvage.Vous devez adorer vivre ici.

— C’est le cas. Pour vous dire lavérité, la famille Townsend est installéedans cette région depuis deux centcinquante ans. Nous sommes fiers de nostraditions, n’est-ce pas, Luke ? dit-il endésignant de sa fourchette son fils aîné.Notre fiston, c’est une perle rare. Il n’y apas beaucoup de gars du cru qui font unecarrière comme la sienne. »

Ashley hocha la tête en souriant. Gusavait raison, Luke était une perle rare, le

genre de personne qu’on ne croise passouvent dans une vie.

« Des comme lui, on n’en trouve pasà tous les coins de rue. »

Pour la première fois de sa vie,Ashley goûta des haricots cornille.

« À ce propos, intervint Maxine, lamère de Luke, ça fait longtemps quevous cherchez à dégotter un gentilgarçon comme notre Luke ?

— Pardon ? » bafouilla Ashley ens’étouffant.

Était-ce l’effet de la question ou desharicots ?

« Je ne cherche pas exactement à« dégotter » quelqu’un.

— Ah bon ? Mais alors, qu’est-ceque vous faites dans cette émission ? »

répliqua Gus.Ashley se demanda comment Luke

souhaitait qu’elle réponde à cettequestion, mais il se contenta de hausserles épaules, lui laissant la responsabilitéde ce qu’elle allait dire. Elle avala unecuillère de ces haricots infâmes pour sedonner le temps de la réflexion.

« Eh bien, je suis venue passer un peude temps avec Luke. Ça a étémerveilleux d’apprendre à le connaître,et j’ai été heureuse qu’il m’invite à fairela connaissance de vous tous. J’ai passéune excellente journée. »

Ils la dévisagèrent en silence. Est-cequ’elle avait bavé en ingurgitant sesharicots ? Se faisait-elle des idées, ou lesilence était-il réellement oppressant ?

Impavide, Luke continuait à manger unde ces légumes bizarres dont Ashleyignorait jusqu’à l’existence.

« Mais pourquoi participer àl’émission si ce n’est pas pourdécrocher le célibataire et sa tirelire ?C’est bien le but du jeu, non ? »demanda Mike.

Comment leur dire la vérité ? Certes,le but du jeu était de décrocher un mari,mais elle n’avait pas fait exprès de venirdans l’émission, et elle ne voulait pas semarier. Pas avant longtemps, en tout cas.Que leur dire ? Tapies dans les moindresrecoins, les caméras enregistraientchacune de ses paroles. Ashley prit sarespiration et pria pour qu’on sente lasincérité dans sa voix.

« C’est vrai, j’ai choisi de participerà cette émission, et pour la majorité descandidates le but est en effet, comme l’adit Mike, de décrocher le célibataire etsa tirelire. Mais en ce qui me concerne,je crois que c’est différent. »

Mike n’avait pas l’air convaincu.« J’avais envie de tenter une nouvelle

aventure, de vivre quelque chose dedifférent, et l’émission m’a apporté ça,je dois dire. Tu n’es pas d’accord,Luke ?

— Oh, que si ! On a eu notre contentd’aventures, et vivre avec toi, c’est sûrque ça me change, » acquiesça Luke enlui jetant un regard malicieux.

Fallait-il prendre ça pour uncompliment ou non ?

« Et donc, qu’est-ce que vous faitesdans la vie ? demanda Maxine.

— Eh bien, en fait, je participe à uneémission de télé-réalité, » avoua-t-elleen rougissant.

Mike hocha la tête d’un air entendu.Dans l’espoir d’alléger l’atmosphère,

elle ajouta :« Je suis en train de changer de

carrière, et j’ai voulu profiter de ce jeupour m’amuser un peu pendant ce temps.

— Alors, si je comprends bien, vousavez mené mon fils en bateau pendanttoute l’émission ? Ça vous amuse devous payer sa tête ? demanda Gus.

— Ce n’est pas du tout ça ! J’enserais bien incapable. Luke et moi avonspassé de très bons moments ensemble, et

je crois que nous avons beaucoup depoints communs. »

Luke grogna de rire. Ashley n’encroyait pas ses oreilles. Qu’est-cequ’elle avait dit de si drôle ?

« Tu ne crois pas que tu exagères unpeu ? Tu ne joues pas au golf, tu nechasses pas, tu n’es pas sportive, et tu aspeur des animaux. Ashley, je sais qu’ona quelques trucs en commun, mais tu necrois pas que tu en rajoutes ? »

Était-ce le même homme que celui dece matin ? Était-ce la présence de safamille qui avait une influence sur lui ?Ashley se sentait perdre les pédales.

« J’avais l’impression qu’on avait lemême sens de l’humour et qu’on aimaitdiscuter des mêmes choses.

— C’est vrai, et c’est à peu près toutce qu’on a en commun, » dit Luke en luifaisant un clin d’œil appuyé.

Avant qu’elle ne puisse placer unmot, Mike ajouta son grain de sel.

« Luke a toujours eu du succès auprèsdes filles. Même auprès des moches. Jedois dire que, de la façon dont tu m’asregardé tout à l’heure, j’ai cru mon heurearrivée. Ce serait bien la première foisque je battrais mon frère à quoi que cesoit, » dit-il en lui faisant également unclin d’œil.

Étaient-ils tous bigleux dans cettefamille ?

« Si Luke ne te choisit pas, peut-êtreque tu te contenteras de moi. »

Elle le regarda, bouche bée, puis

tourna la tête vers Luke pour qu’il calmele jeu. La plaisanterie allait trop loin.Luke fusilla son frère du regard.

« Ne le prenez pas mal, intervintMaxine. Avec Luke, ça arrive tout letemps. Aucune fille ne lui résiste.N’ayez pas honte de faire des pieds etdes mains pour le séduire. On comprendça, on a l’habitude.

— Vous savez que vous devrez signerun contrat prénuptial si vous gagnez ceconcours ? ajouta Gus. Il ne faut pascroire que tout le fric sera pour vous.

— Mais je m’en fiche de son fric ! »s’exclama Ashley.

Que ce type était grossier ! Pourquoiavait-il dit une chose pareille ? Etcomment Luke pouvait-il tolérer le

comportement de ses parents ?« Si ce n’est pas l’argent qui vous

intéresse, qu’est-ce que vous luivoulez ?

— Rien ! Je ne lui veux absolumentrien. »

Cette fois, ça dépassait les bornes.Elle se leva, et s’adressa à Maxine :

« Merci pour ce délicieux repas. »Puis, se tournant vers le reste de la

famille, elle ajouta :« Et merci de votre hospitalité. Bon

appétit. »Et sur ce, elle quitta la table sans se

retourner. En passant dans le hall, ellerécupéra son sac à main et claqua laporte.

« Mais vous êtes dingues ou quoi ?s’écria Luke.

— Tu nous as dit qu’on pouvait lataquiner, qu’elle avait le sens del’humour, se défendit son frère.

— J’avais dit « taquiner » oui, pas« bizuter. »

Gus, Mike et Maxine ne savaient plusoù se mettre.

« Je suis désolée, mon chéri, finit pardire sa mère. On ne pensait pas à mal.Elle a l’air très sympathique. À notredécharge, je dois t’avouer que leproducteur nous a conseillé de lachahuter un peu, dans l’intérêt del’émission. Il a dit que sinon, ce seraitrasoir pour les spectateurs.

— Tandis que là, on s’est bien

marrés, peut-être ? Vous vous rendezcompte que vous avez eu l’air d’unebande de tarés ? Des ploucs de premièrecatégorie.

— Ouais, tu as raison. Susan va metraîner plus bas que terre quand elle vaapprendre comment ça s’est passé,soupira Mike.

— Maintenant je comprends pourquoita femme m’a fait faux bond. Elle étaitau courant de votre plan débile.

— Tu devrais aller rejoindre Ashley,dit Maxine. Elle doit être déjà loin. »

Luke envoya valser sa chaise enfonçant vers la porte.

« Toi, j’aurai deux mots à te dire,hurla-t-il à l’adresse de son frère avantde quitter la pièce.

— Mais qu’est-ce que je t’ai fait ?— Mike, ferme-la, » dit son père en

lui donnant une taloche.Luke prit ses jambes à son cou.

Ashley avait déjà atteint la limite de lavaste propriété de la famille Townsendquand Luke parvint à la rattraper.

« Ashley, attends une seconde ! »Sans même ralentir, Ashley s’engagea

sur la route principale.« Je t’en supplie, ne pars pas, dit-il

en lui mettant la main sur l’épaule.— Fiche-moi la paix, siffla-t-elle en

se dégageant.— Ce n’était pas sérieux, plaida

Luke, pétri d’inquiétude.— Pas sérieux ? s’écria-t-elle, au

comble de l’exaspération. Ouvre lesyeux, Luke : ils me détestent, et ils mel’ont bien fait sentir. Et ils veulent que tuen sois conscient, toi aussi.

— Mais non, ils adorent asticoter lesgens. C’est leur façon d’être. Ne te faispas de souci, ils t’aiment bien, dit-ild’un ton suppliant.

— Oh oui, ils m’adorent, même.Surtout Mike, qui n’a pas arrêté de mepincer les fesses et de me draguerchaque fois que tu avais le dos tourné.J’ai cru que j’allais péter un plomb ! Oului mettre mon poing dans la figure. Enfait, c’est ce que j’aurais dû faire, hurla-t-elle, le souvenir affligeant de l’après-midi en bateau ravivant son indignation.

— Ne fais pas attention à Mike. Il

peut être soûlant, parfois.— Pas question ! Il a été vulgaire, et

je ne supporte pas qu’on me traitecomme ça. Je suis désolée, je sais quec’est ton frère et que tu l’aimes, maisc’est un grossier personnage. »

Le long du chemin, il y avait destouffes de chicorée à foison.

« Voyons, Ashley, calme-toi. Tu necrois pas que tu y vas un peu fort ?

— Un peu fort ! Tu trouves que j’yvais un peu fort ? Tu n’as encore rien vu,mon vieux, dit-elle en le menaçant d’unindex tremblant. Ne me pousse pas dansmes retranchements, Luke. Je ne suis pasd’humeur. »

Et elle poursuivit sa route endirection de la ville, le visage tordu par

la colère.« Ashley, arrête-toi. Il faut qu’on

parle.— Tu veux qu’on parle ? Eh bien

allons-y, dit-elle en faisant volte-face,les poings sur les hanches. Ton pèrepense que je me paye ta tête et que jen’en veux qu’à ton fric. Ton frère penseque je vais lui tomber dans les bras, et tamère me prend pour une poufiasse. Jedevrais m’estimer heureuse que le chienne m’ait pas mordue !

— Ashley, ils ne parlaient passérieusement, et tu prends ça trop àcœur. Calme-toi, s’il te plaît.

— Je prends ça trop à cœur ? bégaya-t-elle, incrédule. Tu es resté là sans riendire, et c’est ma faute ? Quand on me

tire dessus, je saigne, tu comprends ? Etquand on m’accule dans un coin, je medéfends. Ta famille ne m’a pas fait dequartier, et sans me vanter, j’ai encaissépoliment, au lieu de rendre coup pourcoup. Si quelqu’un doit faire son examende conscience, c’est eux, et c’est toi ! »

Elle repartit dans l’autre sens, puisrevint se planter devant lui.

« Et puis encore une chose : mercipour ton soutien sans faille. Surtoutquand tu as dit : « Je sais qu’on aquelques trucs en commun, mais tu necrois pas que tu en rajoutes ? »

Le caméraman les avait rejoints et neperdait pas une miette du spectacle.

« Tu ne comprends pas…— Non, c’est toi qui ne comprends

pas ! Tu ne comprends rien du tout ! Ladernière chose que je voulais, c’était deme ridiculiser dans cette émission. Tu lesavais mieux que personne, et qu’est-ceque tu as fait ? Tu es resté tranquillementassis à manger tes haricots dégueulassespendant que je perdais la boule. Tu aslaissé ta famille me traiter de tous lesnoms devant les caméras. Je suis foutue.Grâce à toi, j’ai complètement perdu laface. »

Luke s’était changé en statue de sel.« Regarde-moi bien, Luke ! Je suis

dans une émission grand public, et lemonde entier va se payer ma tronche ! Jevais devoir me cacher pour le restant demes jours. Maintenant je suis la dinguequi a failli gagner le jackpot sur À

Prendre ou à laisser, mais qui a étédémasquée juste à temps. »

Luke encaissa le coup.Ashley aurait voulu s’arrêter, mais la

tension accumulée au fil des semainesétait trop forte, et c’était comme si unedigue avait craqué en elle.

« Dis-donc, ma performance va faireexploser l’audimat ! reprit-elle sur unton d’ironie cinglante. Qu’est-ce que tudois être fier d’être à la fois dans unegrande équipe de foot ET dans uneémission à succès ! Génial ! C’est sûrqu’avec ça, tu ne vas pas avoir de mal àtrouver « la femme de tes rêves ». Maisn’oublie pas de lui faire la leçon sur lecontrat prénuptial avant que ton pères’en mêle. Il ne faudrait pas que la

gentille petite tombe de haut. Qui saitcomment elle pourrait le prendre ?

— Ashley, je t’en prie, » répéta Luke,impuissant à endiguer sa crised’hystérie.

Il voyait bien que la caméra ne leslâchait pas d’une semelle, et qu’il n’ypouvait strictement rien.

« Ashley, dit-il de nouveau, en luiposant la main sur l’épaule pour laprotéger de la caméra.

— « Calme-toi ? », c’est ça que tuvas me dire ? »

Elle pleurait à chaudes larmes et étaitcomplètement échevelée à force decourir et de gesticuler.

« Fais-moi une faveur, tu veux ? Justeune ?

— Bien sûr, tout ce que tu veux, dit-ilavec sollicitude.

— À la prochaine cérémonie de larose, ne me choisis pas. Je ne veux plusvoir une rose de ma vie. »

Luke ne savait que dire. Il était prêt àtout pour mettre fin au suppliced’Ashley, mais ne voulant pas la perdre,comment lui faire la promesse qu’elleexigeait ?

« Ne me dis pas que tu ne peux mêmepas faire ça pour moi !

— OK, marmonna-t-il. Je ne tedonnerai pas de rose.

— Les roses, ça pue. Tu n’es pas aucourant ? »

Voyant approcher un camion horsd’âge, Ashley lui fit signe de s’arrêter.

C’était le vieux Walker qui allait enville, comme tous les soirs. Elle luidemanda de la prendre en stop et montadans le véhicule sans attendre saréponse. Walker consulta Luke duregard, et le jeune homme lui fit signed’y aller. Le papy serait gentil avec elle,et elle n’aurait pas pu mieux tomber.Ashley chaussa ses lunettes de soleil etpartit sans ajouter une syllabe.

Luke suivit des yeux le camionbrinquebalant jusqu’à ce qu’ildisparaisse à l’horizon. Il poussa ungros soupir et retourna chez lui, têtebasse, le caméraman toujours sur sestalons. Que s’était-il passé ? Commentla situation avait-elle pu se retourner sivite qu’il n’avait rien vu venir ? Il n’en

voulait nullement à Ashley. Sa famillelui avait fait un procès d’intention etl’avait blessée dans son orgueil, sousl’œil goguenard des producteurs. Hélas,Ashley avait cent fois raison : lesproducteurs allaient se frotter les mains,et elle allait passer pour une idiote. Et iln’y pouvait strictement rien. Qui plusest, il était obligé d’amener Cricket chezses parents dans deux jours. Quel gâchis.

Et cette émission était censée êtrerigolote.

Ashley prit un car à Podunk, enLouisiane et sanglota tout le long duchemin jusqu’au Tennessee. Après avoirchangé de car, elle somnola presquejusqu’au Wisconsin. Elle ne songea

même pas à avaler quoi que ce soit.

« Qu’est-ce que tu fabriques àMadison ? On m’a dit qu’à cause de toi,l’émission a pratiquement été arrêtée.Que se passe-t-il ?

— J’ai abandonné, Kelli. C’est fini,répondit Ashley d’une voix atone.

— Qu’est-ce que ça veut dire,« fini » ? Raconte-moi. Explique-moi.

— Non, je ne vais rien t’expliquer.J’ai été complètement ridiculisée, unpoint c’est tout. »

Sans parler du fait qu’elle avait lecœur brisé. Elle était folle de Luke.Rachel et Gwen auraient pu lui faire laleçon. Elle s’était mise à nu devant Lukeet avait l’impression d’avoir été foulée

aux pieds par toute l’équipe desPackers. Sa blessure était sans remède.Peut-être sa douleur s’estomperait-elleavec le temps, mais pas son humiliation.Une fois que les médias s’empareraientde l’histoire, elle serait traquée sansmerci, et elle n’avait même pas terminél’émission.

« Je suis sûre que tu exagères leschoses. Tu as été très secouée.

— Va voir les rushes, Kelli. Tout estlà, en technicolor, dit-elle en s’apitoyantà plaisir sur son sort. Je me rappelle trèsbien ce que j’ai fait et ce que j’ai dit, ettes charmants patrons ne vont pas segêner pour en diffuser l’intégralité.

— Ce n’est pas grave, » réponditKelli.

Ashley ne releva même pas.« Je ne vais pas revenir.— Je suis désolée, Ashley, mais tu

n’as pas le choix.— Si. Cette fois, il faut que je prenne

les choses en main. Je me suis fait avoirplus souvent qu’à mon tour, et j’ai étéune vraie poire. Maintenant, je disstop. »

Ashley se mit à faire les cent pasdans sa minuscule cuisine, un bras repliécomme pour parer les coups.

« Tu sais que je t’aime beaucoup, etque je ferais n’importe quoi pour toi,mais là, ça dépasse les bornes. Je n’aijamais signé de contrat. En dehors de laparole que je t’ai donnée, je ne dois rienà personne. Maintenant, c’est à toi de

faire quelque chose pour moi : je neveux pas que la scène en question soitdiffusée. »

C’était vraiment son plus cher désir.« Écoute, je ne demanderais pas

mieux que de te laisser partir, mais jen’en ai pas le pouvoir. Tu es un élémentessentiel de l’émission. Tu es dans lafinale. Tu n’es pas comme les autresconcurrentes, et les producteurs disentque le public va t’adorer, que tu vasavoir un succès fou.

— Tu parles ! Je ne supporte pas lescaméras et je n’ai pas l’intention defaire la moindre promotion. »

Elle marqua une pause pourrassembler ses forces.

« Chez Luke, je me suis totalement

ridiculisée. Je lui ai fait une scèneépouvantable, comme une vraiemaniaque, et le caméraman a toutfilmé. »

Le souvenir de cette débâclel’asphyxiait littéralement.

« Je suis sûre que tu exagères.— Je t’assure que non, Kelli. J’ai

poussé le cri qui tue, avoua-t-elle enrevivant l’épisode dans toute sonhumiliante horreur.

— Non !— Hélas oui ! Je vais avoir ma statue

chez Madame Tussauds, dans la sectiondes Grands Détraqués de l’Histoire.

— Je suis désolée, tu peux me croire,je suis vraiment désolée, mais je t’ensupplie, Ashley, tu ne peux pas partir

maintenant. Si tu t’en vas maintenant, ilne nous reste plus rien. Tu es le pivot del’émission. Il faut que tu reviennes, » ditKelli d’une voix cassée.

Ashley était au paroxysme del’angoisse. Après tout ce qu’elle avaitenduré, comment pourrait-elle supporterde nouvelles humiliations ? Et surtout,comment pourrait-elle faire face àLuke ?

« Kelli, je ne sais pas si j’en suiscapable. Je comprends très bien que cesoit crucial pour ta carrière, et Dieu saitque je ne veux pas te nuire, mais je n’aiplus rien à donner. Je ne vois pas oùpuiser la force pour retourner à la villa.

— Ne t’inquiète de rien, dit Kelli enreprenant espoir. Je m’occuperai de tout,

et je veillerai au grain. Les producteursauront des instructions précises etgarderont leurs distances. Il ne reste quequelques jours, et ça se passera endouceur. »

Elle laissa Ashley méditer sesparoles, puis elle joua son va-tout.

« Il veut que tu reviennes.— Quoi ?— Luke. Il veut que tu reviennes.— Non ! Je ne te crois pas. Oh, Kelli,

pourquoi me parles-tu de lui ?— Primo, parce que c’est la vedette

de l’émission, et deuxio, parce qu’iltient à toi.

— Tu me permettras d’en douter.— Il est effondré par ce qui s’est

passé. Ce sont les producteurs qui

avaient demandé à sa famille depimenter le spectacle.

— Au piment de Cayenne, sans doute.— Voilà ce que je te propose.

L’émission est presque terminée. Il nereste que trois jours avant la cérémoniede clôture. Cricket et toi allez sortir unefois de plus en tête-à-tête avec Luke, etpuis c’est fini. »

Ashley était au bord des larmes.« Ok, je tiendrai jusqu’au bout, mais

s’il te plaît, ne m’en demande pas plus.Je suis à bout. »

Sa voix se brisa. Elle avaitl’impression d’être infinimentvulnérable et fragile, comme unestatuette de verre en équilibre précaireau bord d’une étagère.

« Aide-moi à tenir le coup et ne medemande plus jamais rien.

— C’est promis. Je sais très bien queles choses ont pris des proportions quenous n’avions imaginées ni l’une nil’autre, et je suis désolée des avaniesque tu as subies, mais quand même,Ashley, sois honnête : tu t’intéresses àLuke, non ? Vous avez passé beaucoupde temps ensemble, finalement. »

C’était là le nœud du problème. Elles’intéressait beaucoup à lui. Beaucouptrop. Ça la rendait vulnérable, et elledétestait ça. Elle avait tenu à faire bonneimpression à sa famille, mais ça n’avaitpas marché, et ils l’avaient attaquée. Ilsl’avaient ridiculisée. Elle en était encorerouge de honte.

Comment Luke pourrait-il vouloird’elle après son numéro ?

« Je ne tiens pas assez à lui poursubir de nouvelles humiliations.

— S’il te plaît. Il ne reste que troisjours. Tu n’as qu’à te rendre àl’aéroport, et tu trouveras un billet aucomptoir de la compagnie. Tu ne verraspas le temps passer.

— OK, mais donnant-donnant.— Qu’est-ce qu’il te faut ? Une loge

plus grande ?— Grosse maligne. Non, je veux que

la scène chez les parents de Luke soitcoupée !

— Mais enfin, Ashley, c’est unescène formidable.

— Écoute, Kelli, est-ce que tu serais

capable d’oublier ta carrière pendantdeux minutes, et de te mettre à maplace ? Je me moque que ça soitformidable pour l’émission. Je ne veuxpas que le monde entier me voie commeça, un point c’est tout.

— OK, je vais en parler au monteur,mais il faut que tu tiennes parole et quetu reviennes tout de suite.

— Et encore une chose : je veuxgarder mes distances avec Luke. Plus degrandes soirées ou de jeux-tests. Je veuxbien sortir avec lui une dernière fois,mais que ça reste simple. On ne passepas la nuit ensemble, on ne va pas chezlui, on nous épargne les surprises.

— Ça marche.— Parfait. Et une fois que ce sera

fini, je veux qu’on me fiche la paix. Pasd’interviews, pas de séances photos, pasde prolongations d’aucune sorte.Rideau. »

Elle venait de se rappeler ce queLuke lui avait appris sur les opérationsde promotion qui allaient de pair avecce genre d’émission, et il lui paraissaitessentiel de poser clairement sesconditions.

« Kelli, c’est bien simple : c’est àprendre ou à laisser. J’ai remplacé unecandidate à la dernière minute, et je n’aijamais signé de contrat. Ce n’est pas unequestion d’argent. Qu’ils ne perdent pasleur temps à m’offrir un pactole. Je veuxjuste qu’on me fiche la paix. C’estcompris ?

— OK, je vais faire tout ce qui est enmon pouvoir. Maintenant, va te reposer.Je te rappelle dès que j’ai ta réservation.Tu sais, ajouta-t-elle après un instantd’hésitation, je n’aurais jamais imaginéque ça se passerait comme ça.

— Je m’en doute bien.— Et tu sais ?— Quoi ?— Je suis désolée.— Moi aussi. »

CHAPITRE 15

En dehors du fait qu’elle était presquedéserte, rien n’avait changé à la villa.Cricket était partie en Louisianerencontrer les parents de Luke, ce qui nesuscitait aucune jalousie chez Ashley. Àson retour, elle avait d’abord voulu seterrer dans sa chambre, avant definalement changer d’avis en se disant« à quoi bon ? ». Si les caméramansavaient envie de la suivre de pièce enpièce, grand bien leur fasse. Elle n’avait

plus rien à cacher.Elle trouva un coin près de la piscine

où la violence du soleil était tamisée parla végétation. L’ombre y était tiède etparfumée comme un cocon protecteur.De cet endroit idyllique, Ashley pouvaitprofiter de ce que le jardin avait de plusbeau à offrir. C’était un petit morceau deparadis dans un monde tumultueux.

Pour éviter de ruminer sur la situationcatastrophique à laquelle elle avaitabouti, Ashley se plongea dans une pilede romans de gare. Elle buvait du PepsiLight et se nourrissait de fruits et debiscuits salés. Le plus souvent, ellesomnolait, à l’abri dans son havre depaix. Elle avait l’impression de tournerà vide, et elle savait qu’il allait lui

falloir beaucoup d’énergie lorsque Lukeet Cricket reviendraient. Elle ne voyaitaucun autre moyen pour se préparer àl’ultime épreuve.

Si jamais le caméraman avait eul’intention de filmer « la Dinde duWisconsin amuse le monde entier », ildevait périr d’ennui. La chaîne aurait pufaire des économies et lui accorder uncongé spécial. Elle n’allait pas seridiculiser de nouveau.

L’après-midi du deuxième jour,Cricket rentra de Louisiane. Ashley étaitau bord de la crise de nerfs.

« Ça va, Ashley ? Tu n’as pas l’airdans ton assiette.

— Non, tout va bien, répondit Ashley,en essayant de masquer son émotion.

— Tu en es sûre ? Tu fais une drôlede tête. Il s’est passé quelque chose ?

— Non, rien je t’assure, bégaya-t-ellesans pouvoir retenir ses larmes.

— OK, comme tu veux, dit Cricketd’une voix compatissante.

— Tout baigne, confirma Ashley,stoïque jusqu’au bout.

— OK, OK, » dit Cricket en laprenant tendrement dans ses bras.

Pour se donner une contenance, Ashleyenvoya plusieurs pichenettes contre lerebord de sa coupe de Margarita. Assiseen face de Luke dans un restaurantmexicain rustique, elle évitait avec soinson regard. Luke n’avait pas touché à sabière, et il avait l’air extrêmement

anxieux. Les voyants rouges des camérasréparties dans la pièce empêchaientAshley d’oublier ne serait-ce qu’uninstant, qu’ils n’étaient pas seuls. Dansun angle du Tex-Mex, un orchestre sepréparait à jouer.

« Ashley. »Elle arrêta de faire tinter son verre.« Laisse-moi t’expliquer ce qui s’est

passé avec ma famille.— Non, dit-elle en donnant du poing

sur la table.— Il faut qu’on parle.— Ce n’est pas nécessaire. »D’un haussement de sourcil, elle

désigna les caméras, et ajouta à voixbasse :

« Pas devant eux. »

Comprenant ce qu’elle voulait dire,Luke se détendit et se laissa aller contrele dossier de sa chaise. Quandl’orchestre se mit à jouer, l’atmosphèredu restaurant devint plus gaie. Ashleysirota une gorgée d’eau glacée, soulagéeque Luke n’insiste pas. Elle battait dupied en cadence. Les yeux de Lukes’éclairèrent, et il mit sa main sur lasienne. Ashley se contracta.

« Allons danser, » lui dit-il ensouriant.

Ashley n’hésita qu’un instant. Le bruitde l’orchestre couvrirait facilement leurconversation, et il valait mieux parleravec Luke que de passer la soirée àjouer à cache-cache avec lui.

Luke la conduisit sur la piste de

danse au moment où l’orchestre attaquaitun nouveau morceau, « Mambo N° 5 ».Il la fit pirouetter avec brio, puis l’attiracontre lui.

« Quelle aisance, » dit-elle en guisede commentaire.

Il lui fit faire quelques pas qui ne luiétaient pas familiers. Elle eut un peu demal à suivre son rythme, mais Luke s’yconnaissait, et il la guida sans effort.C’était agréable de tournoyer avec lesmains de Luke sur ses hanches. Elle sesentait protégée et alerte, et finit par enoublier non seulement la présence descaméras, mais aussi les événementstraumatisants de la semaine précédente.Détendue, elle se laissa aller aumarivaudage de Luke pendant une

succession de morceaux au tempoenlevé.

Quand l’orchestre joua un slow, Lukela plaqua tout contre lui. Ashley lui mitles bras autour du cou, et appuya sonfront contre sa joue. Les battements deson cœur résonnaient sur la poitrine deLuke, sans qu’elle sache si c’était cetteproximité, ou simplement leurstournoiements endiablés quiprovoquaient l’accélération de sonrythme cardiaque. Le parfum de sonaftershave lui rappelait de douxsouvenirs, et elle éprouvait une véritablebéatitude à se réfugier dans la chaleur ducorps ferme du jeune athlète.

Il ne la quittait pas des yeux.Ashley le sentit et releva la tête.

« Où est-ce qu’un gars comme toi aappris à danser aussi divinement ?

— Qu’est-ce que ça veut dire, « ungars comme moi » ? dit-il en haussantles sourcils.

— Tu sais très bien ce que je veuxdire. Comment une grosse brute devient-elle un parfait danseur mondain ?

— Les cours Arthur Murray,naturellement, dit-il en la faisanttournoyer.

— Tu te payes ma tête. Je ne te voispas du tout suivre des cours de danse.

— Tu as raison. Quand j’étais jeune,du côté de chez moi, il y avait toujoursdes animations en ville pendant l’été.Les bals en étaient le clou. Les garsvenaient de loin pour avoir l’occasion

de rencontrer des filles. Personne nevoulait rater ça !

— Tu m’étonnes ! »Luke lui fit faire un tour complet sur

elle-même, et Ashley s’accrocha plusfort à lui pour ne pas perdre l’équilibre.Cet homme exerçait sur elle unevéritable fascination. En dépit de tout cequi s’était passé, elle se sentait bienavec lui et pouvait s’abandonner.

Luke se pencha sur son oreille etchuchota :

« Je suis désolé de ce qui est arrivédans le bayou.

— S’il te plaît, je ne souhaite pas enparler, » répondit-elle en s’écartantbrièvement de lui.

Après un instant d’hésitation, il hocha

la tête, l’embrassa sur le front et la serrade nouveau dans ses bras. Ils dansèrentdeux slows. Luke n’arrêtait pas de luichatouiller le cou avec le bout de sonnez en lui racontant des choses qui lafaisaient rire.

Adossé contre la tête du lit, Luke zappaitsur la télécommande et notait le scoredes matchs au passage.

Il était habillé mais ne se sentait pasprêt. Il avait pris une bonne douche,s’était rasé avec soin et avait mis du geldans ses cheveux. L’odeur agréable deson aftershave préféré lui chatouillait lesnarines. Mais il n’était pas prêt pourautant.

La télé ne lui servait à rien. Il sortit

son portable de sa poche et pressa latouche Rappel. La tonalité résonnaplusieurs fois.

« Allô ?— Salut, Mike.— C’est fini ?— Ça n’a pas commencé.— Mince alors !— Comme tu dis.Luke ralluma la télé. »« Alors, qui vas-tu choisir ?— Je n’en ai pas la moindre idée.— Sans blague. »Il y eut un silence.« Mike, tu te souviens quand tu as dû

choisir entre le boulot qui t’intéressait àAtlanta et Susan ? Comment as-tu faitpour prendre ta décision ?

— Je n’en sais rien.— Allez, Mike, essaye de me donner

un coup de main.— Suis ton instinct. Parfois, dans la

vie, ce n’est pas ce que tu veux quicompte, mais ce dont tu ne peux pas tepasser. Même si tu ne sais pas ce quivaut le mieux pour toi, tu sais que tuauras des regrets pour le restant de tesjours si tu ne vas pas au bout de quelquechose.

— Ouais, grogna Luke.— Bon, je les ai rencontrées toutes

les deux, mais décris-moi comment tules vois.

— Cricket est douce et intelligente.Elle joue super bien au golf, elle estsportive, et sa famille est chouette. Ils

ont de l’argent, donc elle a l’habitudedes contraintes que ça impose. Avec ça,elle a envie d’être institutrice. C’est lafemme parfaite.

— Eh bien alors, tu n’as qu’à lachoisir.

— Quant à Ashley… »Luke avait plus de mal à définir les

sentiments qu’elle lui inspirait.« Elle a le sens de la répartie, et elle

me fait beaucoup rire. Elle n’aime pas lesport, mais elle a un cœur en or. Safamille est dysfonctionnelle, et elle n’estpas à l’aise en public. C’est un peu uneénigme pour moi, cette fille. »

Une des choses qui turlupinait Luke,c’est qu’il n’était pas sûr qu’Ashley aitla capacité de s’adapter à sa vie très

médiatisée.« Tu compliques les choses pour rien,

Luke. Laquelle des deux te rendheureux ? Avec qui as-tu envie de teréveiller le matin, jour après jour ?C’est la seule chose qui compte.

— Mmm, grommela Luke.— Et si tu n’arrives toujours pas à te

décider, choisis celle qui embrasse lemieux.

— Gros malin, va. Si c’est tout ceque tu as à me dire… »

Luke raccrocha son téléphone et lejeta sur le lit. Il se dirigea vers le miroiret mit sa cravate. Quand il ajusta lenœud, il eut l’impression de s’être passéla corde au cou.

CHAPITRE 16

Les abords de la piscine avaient étéaménagés en un jardin regorgeant defleurs, et des lumignons avaient étédisposés dans les arbres et les massifsafin de diffuser une lumière d’ambiance.Des azalées et des hortensias avaient étéalignés des deux côtés de l’alléeconduisant au belvédère, qui était ornéde rosiers grimpants. Le parfum capiteuxde toutes ces fleurs embaumait l’air. Auloin, on entendait le bruit du ressac qui

faisait écho aux sensationscontradictoires dans la poitrined’Ashley. Sous son apparente sérénité,elle attendait le début de la prochainecérémonie avec angoisse.

Sa raison lui disait que le cauchemartouchait à sa fin, et qu’elle allait bientôtquitter cet univers dément, mais au fondd’elle-même, elle ne voulait pas êtreséparée de Luke. C’était un êtreexceptionnel, et elle ne voulait pasperdre ce qu’ils partageaient.

Elle devait se préparer pour ledernier acte, après quoi elle serait librede remettre de l’ordre dans sa vie, loindes regards indiscrets et des caméras.

La porte de sa chambre s’ouvrit, etKelli entra d’un air hésitant.

« Ça va ?— Ça va, répondit Ashley en luttant

pour conserver son sang-froid.— Tu es sûre, ma puce ? »Kelli s’assit à côté d’elle sur le lit et

lui prit la main.« Honnêtement, je n’aurais jamais cru

que je me retrouverais là avec toi le soirde la finale.

— Moi non plus. Alors, quelle est mafeuille de route ? J’en ai encore pourcombien de temps à être torturée avantde pouvoir tirer ma révérence ?

— Ça ne va plus être long. »Kelli regarda sa montre et reprit son

ton professionnel.« Le décor est prêt, l’éclairage est au

point, et en fait, on n’attend plus que

toi. »Ashley eut un frisson de panique et

vit l’inquiétude se peindre sur le visagede son amie.

« C’est presque fini… Encore un petiteffort ! Je souhaite que tes vœux seréalisent, dit Kelli en se dirigeant versla porte. Descends dès que tu es prête.Et encore une fois, merci pour tout.C’est énorme, ce que tu as fait pourmoi. »

Les paroles de Kelli lui restaient entête : « Je souhaite que tes vœux seréalisent. » Si seulement elle avait pusavoir ce qu’elle voulait vraiment !Malgré son désir d’échapper à la torturede l’émission, son instinct lui disaitqu’elle partageait quelque chose de réel

et de rare avec Luke.Pourtant, jamais elle n’accepterait

qu’il lui donne la rose. Il l’avaithumiliée et par sa faute, ses côtés lesmoins attachants avaient été donnés enpâture aux caméras. Elle ne voulait pasêtre traquée par les journalistes avidesde détails sur ce qui s’était passé entreeux pendant l’émission. Il choisiraitCricket qui était une fille formidable etbeaucoup plus faite pour lui.

Ashley se leva, prête à affronter lescaméras, et jeta un dernier coup d’œildans la glace. Il n’y avait pas de doute :elle était très en beauté, grâce à son toutnouveau bronzage. Sa robe cuivrée àbretelles lui allait comme un gant etmoulait sa poitrine sans vulgarité.

Pas mal ! Au moins, je pourrai êtresatisfaite de ma dernière apparition.

Au rez-de-chaussée, c’était le branle-bas de combat. On lui donna sesdernières instructions, et le tournagecommença. Pour la dernière fois, ellepassa la porte qui donnait sur l’arrièrede la villa, aveugle au spectaclemagique créé par les décorateurs autourde la piscine. Elle prit une profonderespiration et fit signe qu’elle était prête.

Les caméras se mirent en route.

« Ashley, Luke vous attend au belvédère.C’est le moment tant attendu ! dit Clayde son ton cabotin. Vous allez enfinsavoir si Luke vous déclare sa flamme,

ou s’il vous dit adieu à jamais. »Clay fit un pas de côté pour céder la

place à Ashley, et la laisser marchervers son destin.

Chaque pas la rapprochait du verdictet de la conclusion de cette incroyableaventure. En s’avançant vers Luke, ellereprit confiance. Quoi qu’il arrive, ellene se couvrirait pas de ridicule, et dansquelques minutes, tout serait fini. Elleavait fait l’amère expérience que la télé-réalité n’offre pas de seconde chance.

Quand elle contourna le ficus, elle vitLuke, debout au centre du belvédère. Ilavait l’air sûr de lui dans son pantalonnoir et sa chemise crème, qui mettaienten valeur son physique extraordinaire etses cheveux blonds. Les lumières

tamisées créaient une ambianceromantique. À côté de lui, sur unecolonne blanche, il y avait une uniquerose rouge.

Luke lui fit un sourire chaleureuxmais empreint de lassitude. Il était clairqu’il n’était pas à la fête lui non plus.

« Salut, » dit-il en lui tendantgalamment la main.

Ashley plongea les yeux dans lessiens. Son visage était grave. Qu’est-ceque cela signifiait ?

À ce moment-là, elle trébucha.Luke se pencha à sa rescousse et

l’aida à reprendre son équilibre pourqu’elle ne tombe pas une nouvelle fois àses pieds.

Incroyable ! Comment faisait-elle son

compte ? Préoccupée de déchiffrer sonavenir dans les yeux de Luke, elle enavait oublié de relever le bas de sarobe. Elle aurait dû se sentir humiliée,mais la coïncidence la fit éclater de rire.

« Tu as fait des progrès.— Je me suis entraîné à mes moments

perdus. Heureusement pour toid’ailleurs, dit-il en lui prenant le coude.Bon, autant entrer dans le vif du sujetavant qu’il n’y ait une émeute chez lesproducteurs.

— Je suis prête » dit Ashley avec uneassurance feinte.

Soudain l’air lui parut lourd et lachaleur oppressante. La présence descaméras lui donnait une sensation declaustrophobie. Comme s’il lisait dans

ses pensées, Luke lui prit les mains dansles siennes et chercha à la rassurer d’unelégère pression.

« Quelle aventure ! soupira-t-il.Lorsque je me suis engagé dans cetteémission, je ne savais pas à quoim’attendre. J’espérais rencontrer lafemme de ma vie, mais je n’y croyaispas vraiment. »

Ashley ne voyait pas où il voulait envenir.

« Depuis dix ans, j’ai souvent fait laune de l’actualité. Parfois pour debonnes raisons, et parfois pour demauvaises. De temps à autre, cela m’acompliqué l’existence, mais j’ai fini paravoir beaucoup de respect pour les gensdont le travail consiste à faire des

reportages et à capturer l’événement enimages. Comprends-moi bien : bien sûrque par moments, ça me tape sur lesnerfs. Mais c’est leur boulot, commec’est le mien de jouer au foot. Je te disça parce que je suis bien conscient queles choses sont très différentes pour toi.Quand tu es arrivée ici, tu n’avais pasréalisé ce que représentait le fait d’avoirune caméra qui filme tout ce qui t’arrive,que ce soit sur un parcours de golf oulorsque tu rates une marche devant desmillions de téléspectateurs. »

Il lui serra les mains plus fort.« Ashley, tu as gagné mon cœur… »Elle le regarda avec tendresse.« Tu as gagné mon cœur, parce

qu’avec toi, je ne sais jamais à quoi

m’attendre, et que tu me fais sourire. »Il se laissa aller en arrière sur sa

chaise et arbora l’expression insolentequ’elle trouvait irrésistible.

Ashley ne savait que penser. Ladésirait-il aussi fort qu’elle le désirait,lui ? Pouvait-il oublier la scène idiotequ’elle lui avait faite en Louisiane ? Elleavait l’impression que son cœur toutentier était dans sa main. Serait-ellecapable de refuser la rose, s’il la luioffrait ? Que voulait-elle réellement ?

« Merci pour tout ce que tu as apportéà cette histoire de cinglés. Tu es uneauthentique star. Tu es culottée. Tu distoujours les choses comme elles sont, ettu ne louvoies jamais. Dans les milieuxque je fréquente, c’est une qualité rare.

Tu es la sincérité même, et tu ne saurasjamais tout ce que tu représentes pourmoi. »

Il s’interrompit et se passa la languesur les lèvres, comme s’il pesait unedécision difficile. Il prit sa respiration etparut la supplier du regard. Le cœurd’Ashley débordait de reconnaissance.Elle comptait vraiment aux yeux deLuke, et ça la rendait radieuse.

« Comme je te l’ai dit tout à l’heure,au début j’étais sceptique sur lapossibilité de rencontrer l’âme sœurdans cette émission, même si jel’espérais secrètement. Ashley, ça atoujours été un plaisir d’être en tacompagnie, et je n’ai pas assez tenucompte de tes sentiments. »

Ashley secoua la tête.« Si, c’est vrai. Tu m’as tout donné,

sans rien me demander en échange. Et demon côté, je t’ai mise dans l’embarras etje t’ai poussée dans tes derniersretranchements. C’est impardonnable,mais maintenant je sais de quel bois tues faite. »

Ashley ne savait pas commentinterpréter cette confession.

« Et tu es vraiment une personnesolide, mais… même l’acier le mieuxtrempé finit par casser. J’avais demandéà ma famille de te taquiner un peu, pourvoir comment tu réagirais. Et de leurcôté, les producteurs leur ont demandéde te harceler de questions. J’ignoraistotalement que ça irait aussi loin, et j’en

suis sincèrement désolée. Eux aussi. »Ashley n’en revenait pas. C’était

Luke qui leur avait demandé del’attaquer. Il lui avait tendu un piège, etelle était tombée dedans. Ils devaient laprendre pour une vraie débile mentale.

Il lui était douloureux d’être près d’elle.La brise faisait chatoyer la peau cuivréed’Ashley et ses cheveux couleur de miel.Tout en elle correspondait à un idéalqu’il n’était même pas conscient d’avoirrévélé. Elle était parfaite.

Luke était déchiré entre ce qu’il avaitenvie de faire, et ce qu’il pensait devoirfaire. Quelle que soit la voie danslaquelle il allait s’engager, est-cequ’elle lui pardonnerait ? C’était

impossible à savoir. Il y avait tantd’hésitation dans son regard. Il avaitpeur que sa décision soit une nouvelleépreuve pour elle. L’émission n’avaitpas encore été diffusée, mais il savaitque les retombées en seraient énormes.Elle était tellement adorable. Il était sûrque le public s’attacherait à elle etvoudrait tout savoir d’elle. Sa décisionn’en était que plus difficile à prendre.

« Nous avons atteint la fin du voyage.Merci pour tout, et maintenant, ajouta-t-il d’une voix rauque en la regardant aufond des yeux, je te libère. Tu peuxquitter cet univers de paillettes. »

Ashley resta interdite, les yeux rivés surles siens. Leurs doigts étaient encore

entrelacés, et il venait de lui dire adieu !Pas de rose pour elle, pas d’avenir

pour eux.Mais c’était ce qu’elle voulait, n’est-

ce pas ? Combien de fois ne l’avait-ellepas supplié de ne pas lui donner derose ? Il le lui avait promis, et il avaittenu parole. Ou peut-être ne lui avait-iljamais donné son cœur.

Luke la couvait du regard et semblaitguetter sa réaction avec inquiétude. Elle-même ne savait pas ce qui se passait enelle. Était-elle soulagée ou anéantie ?

Elle se secoua et le regarda enrefoulant une larme. Puis elle se penchavers lui et murmura : « Merci… »

Tandis qu’il lui pressait les mains unedernière fois, elle se força à les

soustraire à leur douce étreinte. La têtedroite, elle redescendit lentement lesmarches et s’éloigna définitivement.

C’était fini.Son vœu avait été exaucé. Elle

quittait l’émission. Elle pouvait tournerla page et repartir à zéro.

Sauf que maintenant, Luke allaitdonner la rose à Cricket, et à cettepensée, son univers chavira.

Le reste de la soirée se déroula dans unbrouillard. Comme tétanisée, Ashley selaissa guider vers la limousine qui allaitl’arracher du paradis pour la déposersur un trottoir quelconque, dans lemonde banal qui n’avait rien d’uneréalisation hollywoodienne.

À un moment, elle vit Kelli du coinde l’œil, mais préféra éviter son amie.Elle ne se sentait pas capable desupporter la moindre parole deconsolation ou de gratitude. Il fallaitqu’elle s’en aille le plus vite possible.Un des producteurs et un caméramanmontèrent en voiture avec elle, dansl’espoir de lui arracher des confidenceséplorées sur son grand amour déçu.

En réalité, elle était en état de choc.Elle aimait Luke, et elle l’avait perdu.

Le producteur l’assaillit de questions.Comment se sentait-elle ? Était-ellesurprise ? Qu’est-ce qu’elle allait fairemaintenant ?

Avec un sursaut de volonté, elleregarda le caméraman bien en face, et

feignit de se réjouir de la tournure desévénements.

« Ça a été une grande chance pourmoi de participer à cette émission et derencontrer tant de gens formidables, dit-elle mécaniquement. Je souhaite à Lukeet Cricket tout le bonheur du monde. Ilssont faits l’un pour l’autre, et les chosesne pouvaient pas mieux se terminer. »

Après cette déclaration, elle se muradans le silence. Elle avait donné plusd’elle-même qu’elle n’en avait jamaiseu l’intention. Si les producteurs n’enavaient pas pour leur argent, tant pispour eux. Elle en avait fini avec cetteémission.

Deux heures plus tard, le tournage

s’arrêta. L’issue n’avait pas été celleque les producteurs escomptaient, maisl’émission aurait certainement dusuccès.

Luke jeta un coup d’œil circulaire surla piscine déserte, qui lui rappelait tantde souvenirs. Les techniciens avaientéteint les projecteurs et quitté la villa.

Luke aperçut la rose qui se fanaitlentement sur la colonne blanche. Il laprit et en inhala le parfum, puis il lacoupa en deux et la jeta par terre.

Ashley avait raison. Les roses, çapue.

CHAPITRE 17

Un mois plus tard

Ashley entra chez elle et jeta ses clefssur la table à côté de la porte. Elle avaitles bras encombrés de paquets, et soncourrier était coincé sous son menton.En allant à la cuisine, elle poussa lebouton de son répondeur pour écouterses messages, et entendit la voix deKelli, qui l’appelait constamment. Sonamie se sentait responsable du chagrin

d’Ashley. Certes, Ashley n’aurait jamaisparticipé à l’émission si Kelli ne le luiavait pas demandé, mais elle n’était pasfâchée et ne lui en voulait pas. Il y a descoups durs, dans la vie, un point c’esttout. Mais Kelli ne l’entendait pas decette oreille, et s’était fixé pour but detirer Ashley de son marasme. Malgrétoute l’affection qu’elle avait pour Kelli,Ashley avait besoin de temps pour seremettre, et voulait qu’on la laissetranquille.

Malheureusement, elle espéraittoujours un appel de Luke. Il n’avaitjamais promis de l’appeler, et elle ne lelui avait pas demandé, mais leurs adieuxavaient beaucoup laissé à désirer. Elleaurait voulu lui exprimer sa

reconnaissance pour toutes les bonneschoses qu’il avait dites au cours de leurdernier entretien au belvédère. C’étaitcourageux de sa part de prendre sur luila responsabilité de toutes les dérives del’émission, mais elle n’avait pas eul’occasion de lui faire savoir combienelle avait été touchée par sa gentillesse.Elle était tombée follement amoureusede lui, mais elle n’avait à s’en prendrequ’à elle-même si elle avait laissé sonorgueil les séparer. Maintenant, elle étaitseule, et Luke était avec Cricket. Elleluttait au quotidien pour étouffer sessentiments et vivait comme un robotpour s’en protéger.

Ashley effaça le message de Kelli.Elle la rappellerait quand elle aurait la

force de revenir sur son histoire, maispour l’instant il fallait qu’elle seconcentre sur son avenir. Elle avaittrouvé un travail intéressant et voulaits’y consacrer à fond pendant quelquetemps. La campagne de pub pourl’émission avait débuté, et la diffusionétait sur le point de commencer. Ellevoulait garder la tête dans le guidonpour que personne ne s’aperçoive de sonlien avec l’émission. Avec un peu dechance, sa notoriété ne seraitqu’éphémère.

Trois mois plus tard — Ashley, il faut que tu voies ça, insistaKelli pour la centième fois.

— Pas du tout, répondit Ashley d’unton opiniâtre. Je me suis farci le truc unefois, et je ne vais pas recommencer. Tune comprends pas que j’essayed’avancer, pas de rembobiner la bande !

Ashley se trouvait dans la suite del’hôtel de Kelli. Depuis quelquessemaines, À Prendre ou à Laissergagnait en popularité, et les chosesétaient devenues de plus en plusdifficiles pour elle. Quand Ashley faisaitses courses ou qu’elle prenait del’essence, les gens la reconnaissaient, etil n’était pas question d’avoir une viesociale. Les producteurs avaient insistépour qu’elle ne fréquente aucun garçonavant la diffusion du dernier épisode. Cen’était pas ça le plus dur.

Elle souffrait encore, même si laplupart du temps elle parvenait à sementir à elle-même et à prétendre quetout allait bien. En réalité, elle n’arrivaitpas à faire son deuil de Luke. C’était lapersonne la plus exceptionnelle qu’elleavait jamais rencontrée. Avec lui, elleavait l’impression d’être enfin entière,comme s’il lui avait manqué quelquechose avant de croiser sa route. C’étaitstupide et banal, un vrai béguind’adolescente. La situation qu’ilsavaient vécue n’avait rien de normale.Alors, pourquoi ne parvenait-elle pas àle chasser de son esprit et de son cœur ?

Depuis quinze jours, Kelli latarabustait pour regarder ensemblel’épisode final. Ashley n’avait qu’une

envie, c’était de rester chez elle, commel’ermite qu’elle était devenue, et demanger des cookies avec du beurre decacahuète. En désespoir de cause, elleavait cédé quand Kelli lui avait affirméque ça l’aiderait à refermer laparenthèse. Ashley ne demandait pasmieux, mais elle redoutait de se voir àl’antenne avec Luke, surtout lors de leurdernière conversation. Au moins, elleavait raté l’épisode où elle hurlaitcomme une dingue. Ses nouveauxcollègues n’avaient pas fini de lacharrier avec ça.

Ce qu’elle appréhendait le plus,c’était de voir Luke avec Cricket. Elleaimait bien cette fille, malgré son nomd’insecte. Luke méritait une chic fille

comme elle. Il était difficile de savoir sileur couple serait durable, puisqu’engénéral ce n’était pas le cas pour lesgens qui se rencontraient dans le cadred’une émission de télé-réalité, maisCricket n’était pas une candidate banale.Elle savait comment se comporter avecles gens riches, les journalistes, et toutle reste. Ashley aurait voulu luiressembler, mais c’était sans espoir.

« OK, je vais regarder, mais j’aibesoin de chocolat avant que tu allumesla télé. Et où est la glace au chocolat ?Je comprends ton histoire de parenthèse,mais ne t’attends pas à ce que je fassepreuve d’héroïsme. J’ai bien l’intentionde me rendre malade, et si je vomiscomme un chien, tant mieux. Ce sera ma

façon de me purger. »Ashley regarda l’émission en laissant

le chocolat lui fondre dans les mains. Audébut, elle s’observa avec un certaindétachement. Elle trouvait que son nezparaissait trop gros, et qu’elle avait unevoix bizarre. Mais au bout d’un moment,elle se retrouva transportée dans lepassé, au cœur de cette fameuse soiréeoù elle avait éprouvé tant de terreur… etd’espoir.

En se voyant marcher vers lebelvédère, l’expérience lui apparut sousun jour différent. À l’écran, elleparaissait belle et confiante. Le nezpresque collé sur l’appareil, elleobserva le comportement de Lukependant qu’il attendait qu’elle le

rejoigne. Qu’il était beau ! Malgré lanonchalance qu’il affichait, elle savaitqu’il avait souffert lui aussi. Puis, quandelle avait manqué la marche, il l’avaitrattrapée et sauvée… enfin il avaitsurtout sauvé le vernis de ses orteils !C’était un bon souvenir, et le visaged’Ashley se fendit d’un large sourire enrevoyant cet incident. Kelli ne quittaitpas son amie des yeux.

La cérémonie de la rose se terminapar le discours émouvant de Luke qui luirendait sa liberté. Maintenant qu’elleétait à l’abri des caméras, Ashleypouvait s’offrir le luxe de pleurer àchaudes larmes en revoyant leur scèned’adieux.

Elle souffrait toujours.

Ashley profita d’une page depublicité pour aller chercher un kleenex.C’était dur de revivre ça, mais c’étaitformidable de voir Luke, et de pouvoirscruter ses gestes et ses changementsd’expression. Il émanait de lui une forcetranquille dont il n’était même pasconscient. Comme Kelli avait enregistrél’émission, Ashley savait qu’ellepourrait la visionner à volonté.

Ashley était dans la salle de bainsquand Kelli lui cria de revenir.

Comme elle n’était pas sûre desupporter le spectacle de Luke offrant larose à Cricket, Ashley traîna les pieds.

Quand elle rentra dans le salon,Cricket se trouvait sur le siège qu’elle-même avait occupé quelques minutes

auparavant. Elle avait beaucoup deprestance, et elle était très élégante.Ashley regarda Luke lui dire combien ilavait apprécié son caractère et lesmoments merveilleux qu’ils avaientpassés ensemble. Ils rirent tous les deuxen évoquant leurs souvenirs.

Puis le ton changea, et Luke devintgrave. Il la regarda au fond des yeux, etlui expliqua que l’émission avait eu uneffet considérable sur sondéveloppement personnel.

Ashley tomba des nues lorsqu’elleentendit Luke déclarer :

« Mais après toutes ces semaines, jene me sens pas capable de donner moncœur. »

Elle se rapprocha du poste de télé,

comme si le son n’était pas assez fort.Avait-elle bien entendu ?

« Ce n’est ni ta faute, ni la leur, maisla mienne. Je me croyais prêt pour cettenouvelle étape, mais je n’ai pas trouvéce dont je rêve. Prolonger notre relationserait injuste envers toi. Je te remerciepour cette expérience extraordinaire. Jen’oublierai jamais notre amitié, et je tesouhaite de réussir ta vie. »

Il l’embrassa sur la joue, et Cricketlui fit calmement ses adieux. Il étaitmanifeste qu’elle était déçue, mais onvoyait qu’elle accueillait sa décisionrespectueusement et sans amertume.

Bouche bée, Ashley n’en croyait passes oreilles.

« Il n’a pas choisi Cricket. Il n’a

choisi personne, » murmura-t-elle,incrédule.

Pour y voir plus clair, elle se tournavers Kelli.

« Kelli, il devait la choisir. Il y étaitobligé. Que s’est-il passé ? »

Ça n’avait pas de sens. Depuis troismois, elle s’imaginait qu’il était avecCricket, et ce n’était pas le cas du tout. Ilétait obligé de choisir Cricket, ne serait-ce que pour satisfaire les producteurs. Ilaurait très bien pu continuer à sortiravec elle et rompre discrètement par lasuite.

Ahurie, elle demanda à Kelli :« Tu étais au courant ?— Oui. C’est pour ça qu’il était

important que tu voies l’émission de tes

propres yeux, » répondit prudemmentKelli.

Ashley ne savait que penser. Pour unefinale, c’était une finale.

Kelli se pencha vers son amie et luimit le bras sur l’épaule.

« Je réalise la terrible épreuve que tuas vécue, et je me sens responsable det’avoir entraînée dans cette situation. Jen’avais jamais pensé que les chosesiraient aussi loin, ni que tu tomberaisamoureuse à ce point.

— Merci de ta confiance !— Tu sais très bien ce que je veux

dire. Tu étais là pour m’aider. Je n’avaispas réfléchi à ce qui pouvait se passerau cours de l’émission. Comme tun’avais pas passé les tests préliminaires,

je supposais qu’ayant un parterre defilles sélectionnées pour lui plaire, Lukene te remarquerait pas, et que tuquitterais très vite le plateau. Quoi qu’ilen soit, je voulais que tu connaissestoute l’histoire. Après la dernièreséquence tournée avec toi, tu as disparu.J’ai compris que tu avais besoin det’isoler. Tu étais amoureuse. Mais c’estimportant que tu saches ce qui s’estpassé par la suite. »

Épuisée par cette accumulationd’émotions, Ashley se laissa tomber à larenverse sur le lit et contempla leplafond.

« Qu’est-ce que ça veut dire ?— Qu’est-ce que tu crois que ça peut

vouloir dire ? répliqua Kelli.

— Je n’en ai pas la moindre idée. Jecroyais qu’il était obligé de choisirquelqu’un.

— Oui, il y était obligé, mais il arefusé de le faire. »

Ashley se leva et se mit à faire lescent pas. Depuis trois mois, elle étaitpersuadée qu’il vivait heureux avecCricket. Cricket aussi était amoureuse deLuke. Il était difficile de résister à soncharme.

« Je dois partir, dit-elle brusquementen ramassant son sac. J’ai besoin detemps pour digérer tout ça. Je vaisrentrer chez moi à pied.

— Ça va ?— Oui, je crois. J’ai besoin de

prendre l’air et de réfléchir à tout ça.

— Tu promets de m’appeler si tu asbesoin de quoi que ce soit ? demandaKelli, inquiète.

— C’est bon. Ça va passer, comme lereste, » répondit Ashley en lui faisant unpâle sourire. Elle sortit sur la pointe despieds et referma tout doucement la portederrière elle.

Ashley rentra par le chemin desécoliers, qui faisait une boucle de plusde deux kilomètres. Elle longea le lac enprenant son temps. Des images del’émission lui revenaient en mémoiredans le désordre, et la conclusion lalaissait dans une totale perplexité. Était-elle avant tout heureuse, triste, ousoulagée ? Pour l’instant, la surprise

dominait. Si le but de cette soirée étaitde fermer la parenthèse, de tourner lapage, le résultat était diamétralementopposé.

Apparemment, Luke avait été aussidéchiré qu’elle. Avant le désastreuxincident chez ses parents, elle aurait juréque leur attachement était mutuel, maisen quelques instants l’irréparable s’étaitproduit. Elle avait totalement perdu lecontrôle d’elle-même, et dans un réflexed’auto-défense, elle l’avait rejeté et luiavait fait promettre de ne pas lui donnerla dernière rose. Par conséquent, elle nesaurait jamais s’il avait eu l’intention dela lui offrir ou non. Pour se consoler,elle pouvait toujours imaginer que c’estce qu’il aurait fait si elle l’en avait

laissé libre, mais ce n’était qu’un vainfantasme, et elle vivait dans le monderéel. Pas le monde illusoire de la télé-réalité, mais bien le monde réel. Ilsavaient eu de beaux moments ensemble,et grâce à lui, elle avait découvert desaspects d’elle-même dont elle ignoraitl’existence. Elle l’aimait plus que toutau monde, et c’était réciproque. Il luiavait beaucoup donné, il tenait à elle…et elle l’avait repoussé.

Le froid devenait plus vif. Elle quittale bord du lac et se dirigea vers sonappartement. La lune était presquepleine, comme lors de leur nuit au CostaRica.

Après les orages qu’elle avaittraversés, il ne lui restait plus qu’à

nettoyer les dégâts et passer à autrechose. Jusqu’à la prochaine catastrophe.

Ashley arriva devant chez elle. Qued’émotions en une seule soirée ! Sansparler des quatre mois qui venaient des’écouler. Elle était certaine d’être à unmoment charnière de sa vie. Elle sortitses clefs de son sac et ouvrit la porte.Au moment où elle jetait le trousseau àsa place habituelle, une odeurinaccoutumée frappa ses narines.

Elle alluma la lumière et vit que sonappartement était rempli de fleurs. Il yavait des vases partout : des pieds-d’alouette pourpres sur la table basse,des marguerites et des iris dans lacuisine, et des hortensias bleus devant latélé. Il y avait des paniers de lys et de

pivoines de toutes les teintesimaginables, des freesias, des gerberaset des tulipes. Des orchidées exotiquesdécoraient les angles, et une gerbe delavande se dressait à côté du sofa. Il yavait du lilas, et de mignons petits potsde jacinthes et de jonquilles.L’appartement croulait littéralement sousles fleurs, et le parfum lui donnait letournis. Soudain, elle perçut untressaillement dans un coin.

C’était lui.

Appuyé contre le chambranle de la portede la cuisine, Luke la regardaitcontempler en silence cette débaucheflorale. Avec son air de bicheeffarouchée, elle était adorable à voir.

Ses yeux se remplissaient de larmes,tandis qu’un sourire se formait sur seslèvres. Elle porta la main à son visagepour dissimuler son émotion, mais rienn’y fit.

« Tu es là ? murmura-t-elle.— Oui, je suis là, dit-il en s’avançant

vers elle.— Je croyais que tu avais choisi

Cricket.— Je sais.— Je croyais que je ne te reverrais

jamais.— Je n’aurais jamais renoncé à toi. »Ashley ne voyait plus que lui, le

gentil géant de son jardin secret. Ilcueillit une fleur dans un des bouquets etla lui tendit.

« Comme j’ai promis de ne plusjamais t’offrir de roses, accepteras-tucette fleur à la place ? »

Ashley vit que c’était de la chicorée.« Mais c’est une mauvaise herbe !

s’exclama-t-elle en riant.— Je sais, mais tu as dit que tu

aimais cette plante. »Qui d’autre que Luke se serait

rappelé ce détail et aurait fait l’effort deramasser une brassée d’herbes folles ?

« Alors, acceptes-tu cette fleur, jeveux dire, cette mauvaise herbe ? Je nepeux plus me passer de toi. J’ai souffertle martyre ces dernières semaines.

— Tu veux bien de moi ? luidemanda-t-elle, incrédule.

— Oui, enfin, si tu veux bien de moi.

Je sais que je fais beaucoup de bêtises,et que tu devras faire preuve depatience. En fait, je n’ai pas souvent étéamoureux et livré à moi-même, je nevaux pas grand-chose. Pourras-tu jamaisme pardonner ? acheva-t-il en lui tendantla chicorée en guise de rameau d’olivier.

— Oui, Luke, je te pardonne etj’accepte avec joie ce brin dechicorée. »

Il la prit dans ses bras et l’embrassa.Ce fut entre eux un moment de purecommunion.

« Je ne veux jamais plus te perdre,c’est clair ? dit-il d’un ton faussementsévère en la regardant au fond des yeux.

— C’est exactement ce que jesouhaite, lui répondit-elle.

— Et je m’engage à démolir lapremière caméra qui osera s’approcherde toi.

— Ce n’est pas la peine. Grâce à toi,je n’ai plus peur de rien. »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Le rêve d'Angie Stanton n'était pas d'êtreécrivain, mais de faire partie desRockettes, et de se produire à RadioCity. Néanmoins, ayant passé sonenfance à la campagne, avec les cochonsde ses frères comme animaux decompagnie, l'occasion d'apprendre ladanse ne se concrétisa pas. Par contre,ayant du temps à revendre pour cultiverson imagination, elle se mit peu à peu àcoucher ses histoires sur le papier, et on

connait la suite. Sa recette préféréeconsiste à tremper ses frites dans uneboisson chocolatée. Son cœur chavirepour les comédies musicales et les filmsqui racontent des catastrophesnaturelles.

Quand elle n'est pas en train d'écrire,Angie essaie de réaliser ses autresrêves, comme d'obtenir de bonnesplaces pour un spectacle à Broadway oude convaincre sa famille de louer uncamping-car pour traverser le pays. Pourl'instant, elle n'a pas encore eu gain decause.

Angie est très fière d'avoir étéfinaliste du National Readers ChoiceAwards et du Golden Quills Awards,deux prestigieux prix littéraires.