À l'école de la Bijouterie de la rue du Louvre, Phosphore, Avril 2013

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assionnée et volontaire. Ce sont les qualificatifs qui caractérisent le mieux Laura, 21 ans. «Petite, je faisais déjà des bijoux en terre pour moi, ma famille et mes amis.» Au collège, elle commence à se renseigner sur la filière bijouterie-joaillerie, et découvre la prestigieuse École de la rue du Louvre, à Paris, qui forme ses étudiants pour les grands noms du secteur, depuis plus d’un siècle et demi. «J’aurais pu intégrer l’école après la 3 e , mais j’ai préféré pousser jusqu’à un bac général. Je ne me sentais pas assez mûre pour me former à un métier à 14 ans…» Mûre cependant, elle l’est suffi- samment pour venir visiter l’école située à deux pas de la place Vendôme, lors des journées portes ouvertes, et poser mille et une questions. « J’y suis allée quatre fois ! Résultat, le jour du concours, les profs me connaissaient déjà…» Pour se donner les moyens de réussir, quelques mois avant son bac, Laura consacre ses vacances de printemps à préparer les épreuves écrites et pratiques, lors d’un stage intensif de deux semaines proposé par l’école. «Ça ne s’impro- vise pas, car c’est assez difficile et technique. Il y a des épreuves de sciage, de volume technique, de géométrie, de dessin d’art. » Laura est prise et, son bac L en poche, entame son CAP. À la surprise générale. «Autour de moi, les gens ne comprenaient pas mon choix. Pour eux, un CAP, c’était pour les mauvais élèves. Mais dans mon domaine, c’est un passage obligé pour apprendre les bases du métier: dessin technique et d’art, respect des côtes, découpage, limage, soudage, polissage, sertissage, etc. On a aussi des cours d’histoire de l’art, de gemmologie (étude des pierres précieuses).» Laura enchaîne avec un BMA (Brevet des métiers d’art), pour approfondir sa technique. «Mais je m’arrêterai là. Le DMA (Diplôme des métiers d’art), qui est le niveau au-dessus, est réservé à ceux qui veulent faire de la pure création. Moi, je veux surtout travailler la matière, en atelier. D’ailleurs, chez moi, j’ai un établi sur lequel je réalise toujours des bijoux pour mon entourage. Je suis très sollicitée!» Laura a surpris sa famille en choisissant un CAP après son bac L. Mais elle a appris les gestes essentiels de la bijouterie-joaillerie, et entame désormais un Brevet des métiers d’arts, qui lui permettra de travailler pour les plus grands joailliers. P Découpage, polissage… J’aime travailler la matière, dans un atelier Portes ouvertes Par Sandrine Pouverreau. Reportage photo Éric Larrayadieu En bijouterie joaillerie à l’École de la rue du Louvre PHOSPHORE ‹ 70 › AVRIL 2013

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assionnée et volontaire. Ce sont les qualificatifs qui caractérisent le mieux Laura, 21 ans. « Petite, je faisais déjà des bijoux en terre pour moi, ma famille et mes amis. » Au collège, elle commence

à se renseigner sur la filière bijouterie-joaillerie, et découvre la prestigieuse École de la rue du Louvre, à Paris, qui forme ses étudiants pour les grands noms du secteur, depuis plus d’un siècle et demi. « J’aurais pu intégrer l’école après la 3e, mais j’ai préféré pousser jusqu’à un bac général. Je ne me sentais pas assez mûre pour me former à un métier à 14 ans… » Mûre cependant, elle l’est suffi-samment pour venir visiter l’école située à deux pas de la place Vendôme, lors des journées portes ouvertes, et poser mille et une questions. « J’y suis allée quatre fois ! Résultat, le jour du concours, les profs me connaissaient déjà… » Pour se donner les moyens de réussir, quelques mois avant son bac, Laura consacre ses vacances de printemps à préparer les épreuves écrites et pratiques, lors d’un stage intensif de deux

semaines proposé par l’école. « Ça ne s’impro-vise pas, car c’est assez difficile et technique. Il y a des épreuves de sciage, de volume technique, de géométrie, de dessin d’art. » Laura est prise et, son bac L en poche, entame son CAP. À la surprise générale.« Autour de moi, les gens ne comprenaient pas mon choix. Pour eux, un CAP, c’était pour

les mauvais élèves. Mais dans mon domaine, c’est un passage obligé pour apprendre les bases du métier : dessin technique et d’art, respect des côtes, découpage, limage, soudage, polissage, sertissage, etc. On a aussi des cours d’histoire de l’art, de gemmologie (étude des pierres précieuses). »

Laura enchaîne avec un BMA (Brevet des métiers d’art), pour approfondir sa technique. « Mais je m’arrêterai là. Le DMA (Diplôme des métiers d’art), qui est le niveau au-dessus, est réservé à ceux qui veulent faire de la pure création. Moi, je veux surtout travailler la matière, en atelier. D’ailleurs, chez moi, j’ai un établi sur lequel je réalise toujours des bijoux pour mon entourage. Je suis très sollicitée ! »

Laura a surpris sa famille en choisissant un CAP après son bac L. Mais elle a appris les gestes essentiels de la bijouterie-joaillerie, et entame désormais un Brevet des métiers d’arts, qui lui permettra de travailler pour les plus grands joailliers.

PDécoupage, polissage…

J’aime travailler la matière, dans un atelier

Portes ouvertes

Par Sandrine Pouverreau. Reportage photo Éric LarrayadieuPar Sandrine Pouverreau. Reportage photo Éric LarrayadieuPar Sandrine Pouverreau. Reportage photo Éric LarrayadieuPar Sandrine Pouverreau.

En bijouterie joaillerie à l’École de la rue du Louvre

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Il faut être minutieux et patient : on peut travailler 35 heures

sur une pièce, et tout rater à la fin…

« Dans ma promo, on est 17 élèves, dont 16 possèdent comme moi au moins le bac (général ou techno). Et il y a seulement deux garçons. Ce métier, qui était à l’origine

masculin, se féminise. Jusqu’à un certain point : lorsqu’on va en stage dans les ateliers de bijouterie-joaillerie, on tombe encore dans des ambiances masculines un peu machos ! »

« Le plus souvent, on travaille avec du maillechort, un

alliage aux propriétés proches de celles de l’or. Nous

devons réaliser des pièces imposées, qui sont notées.

Basiques en première année, elles deviennent de

plus en plus complexes. Nous possédons nos propres

outils – près de 1 500 € à investir en entrant ici. »

« Sur 36 heures de cours hebdomadaires, j’en passe 16 en ateliers (réalisation technique, modelage, sertissage). Aujour d’hui, je réalise un “bijou de cheveux” sur le thème des fonds marins. À partir de mes croquis, je fabrique une pièce en plasticine, que je sculpte avec une spatule. J’irai ensuite la faire fondre avec de l’argent. Puis je ferai le sertissage avec une perle de Tahiti. »

« Certaines de nos créations participent à des concours.

L’année dernière, nous devions réaliser une broche

en forme d’orchidée, pour une compétition organisée

par la maison Cartier, qui parraine notre promotion.

Les cinq premiers (j’en faisais partie) ont pu visiter

leurs ateliers. C’était très impressionnant. Et puis,

on y retrouve plein d’anciens de l’école. »

« Nerveusement, ces études sont diffi ciles. Il faut être minutieux – on travaille au millième de mètre près –, patient, et avoir une grande capacité de concentration : on peut travailler 35 heures sur une pièce, et tout rater à la fi n ! Enfi n, on travaille des matières qui coûtent cher. La première fois que j’ai travaillé de l’or, j’ai eu peur ! »

« Ce métier traditionnel utilise aussi les nouvelles technolo-gies. Ici, on apprend à modéliser les bijoux avec des logiciels spécifi ques de CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur). On peut transmettre les données numériques à une imprimante laser 3D qui sculptera une maquette en cire. »« Pour créer un bijou, il faut de l’inspiration, explique

Laura. Récemment, on a travaillé sur le thème des

buildings. À partir de photos, j’ai enchaîné une série de

croquis jusqu’à imaginer un bijou (un collier en cristal

de roche). Je l’ai peint à la gouache, en me disant

qu’il devait pouvoir être fabriqué. J’ai donc intégré

fermoirs, points de soudure, charnières, etc. »

« Nerveusement, ces études sont diffi ciles. Il faut être minutieux « Nerveusement, ces études sont diffi ciles. Il faut être minutieux « Nerveusement, ces études sont diffi ciles. Il faut être minutieux

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f En 2de Attiré(e) par un métier d’art ? Optez pour l’enseignement d’ex ploration de 6 h/semaine intitulé « Créa-tion et culture design ». Il vous mènera vers le bac STD2A (Sciences et technologies du design et des arts ap-pliqués), puis un BTS Arts appliqués ou un DMA. En revanche, si vous n’êtes pas sûr(e) de votre future orienta-tion, choisissez plutôt

l’enseignement d’exploration intitulé « Création et activités artistiques ».

f En 1re et Tle Pour prouver votre motiva-tion à rejoindre une fi lière menant à un métier d’art, n’hésitez pas à prendre des cours, ou à faire des stages durant vos vacances – en rapport, avec le métier visé (dessin, design textile,

menuiserie, travail du verre, etc.). C’est important de vous créer vos pro pres références et de développer votre créativité. Enfi n ce n’est pas parce que vous êtes un as du dessin que les écoles feront l’im-passe sur vos autres résultats. Alors, dès la classe de 1re, faites attention à vos notes et aux appréciations de vos profs.

Comment s’y préparer dès le lycée ?

p Sur le site de l’Institut des métiers d’art, vous trouverez des infos sur tous les métiers d’art, et les formations qui y mènent. p Les 5, 6 et 7 avril 2013, ne manquez pas les Journées européennes des métiers d’art (JEMA) qui se déroulent dans toute la France et en Europe. L’occasion de visiter des ateliers et des centres de formation, de rencontrer des professionnels, etc. www.institut-metiersdart.org www.facebook.com/institutmetiersdart @metiersdart

Les métiers d’art en questions

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f C’est quoi un métier d’art ?Les métiers d’art ont pour point commun de mettre en œuvre des savoir-faire complexes, souvent longs à acquérir, fondés sur la trans-formation d’une matière (bois, métaux, cuir, textile, etc.). Ces savoir-faire ont pour objectif de créer, transformer, restaurer ou conserver des ouvrages ou des objets produits en tant que pièce unique ou en petite série. On dénombre 217 métiers d’art, du bijoutier-joaillier au vitrailliste, en passant par le céra-miste, l’ébéniste, le tapissier d’ameublement, l’horloger, le facteur d’ins truments, le relieur, etc.

f L’artisanat d’art après un bac général, c’est possible ?Seul le bac STD2A (Sciences et technologies du design et des arts appliqués) permet d’accéder directement en Diplôme des métiers d’art (DMA) ou en BTS des métiers d’art. Mais si vous êtes en bac général ou techno (hors STD2A), tout n’est pas perdu ! Vous pouvez suivre une Manaa (Mise à niveau en arts appliqués) ou, plus rare, une Manma (mise à niveau spécifi que au DMA) avant de postuler en DMA ou BTS. Vous pouvez aussi faire un CAP après votre bac général ou technologique. Selon les spécialités, vous l’effectuerez en un ou deux ans, et vous serez ou non dispensé(e) de l’enseignement général.

f Quels sont les diplômes nécessaires pour intégrer cette filière ?Le CAP (Certifi cat d’aptitude profes-sionnelle) reste le diplôme de base des métiers d’art, car il permet d’apprendre les gestes des différents métiers (par exemple, sciage, limage, découpage, soudage… en bijouterie-joaillerie). Il en existe près de 80 qui se préparent en deux ou trois ans après la classe de 3e, ou la Tle. Mais actuellement, le CAP est rare-ment suffi sant pour trouver tout de suite un emploi. Une poursuite d’études en BMA (Brevet des métiers d’art, de niveau bac) ou en bac pro, voire ensuite en DMA (Diplôme des métiers d’art, de niveau bac +2), est fortement conseillée, notamment si vous envisagez de vous mettre un jour à votre compte, ou si vous souhaitez simplement prendre des responsabilités en entreprise. Si ce n’est pas le cas, vous avez aussi la possibilité d’élargir vos connais-sances par un second CAP dans un domaine proche (par exemple un CAP Arts du bois option Marqueteur, après un CAP Ébénisterie).