À André ABAZA décident de réécrire leur...

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À A n d r é ABAZA

q u i a u r a i t p a s s i o n n é m e n t a i m é ce t t e é p o q u e o ù les p e u p l e s d é c i d e n t d e r é é c r i r e l e u r H i s t o i r e .

Communismes d'Asie Le crépuscule de l 'espoir

Du même auteur chez Sudestasie

Chine-Birmanie : Histoire d'une guerre secrète - 1949-1954, Paris 1990, 286 pages. (Ouvrage couronné par le Prix Auguste Pavie 1992 de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer).

© S u d e s t a s i e 1992

Photo de couverture : Manifestation s u r la Place Rouge à Pyongyang p o u r le 40ème anniversaire de la fondat ion de la République popula i re de Corée du Nord (photo de l'auteur).

RICHARD SOLA

Communismes d'Asie le crépuscule de l'espoir

(Histoire d'une perestroïka) 1985-1991

sudestasie

«

Lénine L'Etat et la Révolution

»

Abraham Lincoln Discours au Congrès américain, 1862

PRÉSENTATION

L ' Asie demeure désormais, mais pour combien de temps en- core, le bastion du communisme. Comment les dirigeants de ces contrées ont-ils réagi à l'implosion du système soviéti-

que en Occident ? Et comment vont-ils résister aux pressions dé- mocratiques ? L'Avenir nous le dira plus ou moins vite, compte tenu des conséquences d'ores et déjà visibles de la secousse séis- mique qui a ébranlé ces régimes. Pour l'heure on pourrait s'inter- roger avec quelque recul pour savoir si Mikhail Gorbatchev aura été le fossoyeur de l'Empire soviétique pour avoir imposé sa "glasnost" et sa "pesrestroika". La question n'appelle pas de ré- ponse définitive et laissons cette tâche aux historiens du long cours. Et voyons plustôt comment la perestroïka s'est inséré dans l'histoire du marxisme-léninisme en Asie.

Les quelques soixante dix ans de communisme dans les pays de l'Est auront été sans cesse secoués par des crises dont le moteur aura souvent été soit le débat entre la dimension nationaliste et in- ternationaliste des expériences socialistes nationales soit le débat sur l'essence stalinienne du communisme. C'est d'abord dans cette optique que la "révolution gorbatchévienne" doit être com- prise.

En opérant une relecture "léniniste" du développement d'une so- ciété socialiste, Gorbatchev a tenté depuis 1985 de libérer des énergies nouvelles capables de régénérer un système perclus par une administration monstrueuse parce que qualifiée, comme les comportements qu'elle génère, de stalinienne. Comme le souligne l'ancien conseiller américain à la Sécurité Zbigniew Brzezinski dans "The Grand Failure", la "perception soviétique contempo- raine du marxisme-léninisme a été déformée par l'ère stali- nienne" (1). Observateur attentif de la vie politique soviétique, le journaliste français Alexandre Adler, est encore plus précis : "Le point de départ de Gorbatchev, en histoire comme en politique, demeure bien sûr Lénine. Mais comme ceux (rares) qui ont lu Lé- nine le savent, le point de départ en question serait plutôt une vaste surface très hétérogène : chacun peut trouver un Lénine à sa

convenance... (mais) chez Gorbatchev, la révision de l'histoire ne se fera jamais au détriment du point de vue de la grandeur de l'URSS, de l'accroissement de sa puissance" (1). Affirmation im- prudente comme on le voit aujourd'hui mais qui pose la question de savoir pourquoi --malgré le risque de déstabilisation--, Mikhail Gorbatchev s'est engagé dans cette voie ?

Une tentative de sauvetage par la réécriture, d'aucuns diraient par la manipulation de l'Histoire, qui d'ailleurs n'est pas nouvelle si l'on se rappelle les tentatives entre 1956 et 1968 sous Kroutchev et Brejnev (2). Le but en est toujours le même : rendre "le sys- tème viable aussi bien à l'intérieur de l'Union, que dans l'Est eu- ropéen et à l'intérieur de la communauté socialiste" (3). "La politique d'intégration socialiste mise en œuvre au début des an- nées 70 (...) constitue la réponse aux problèmes ouverts par la dé- stalinisation; l'intégration cherche à allier les objectifs des deux périodes initiales : donner une portée universelle à l'expérience soviétique, la rendre viable" (4).

Mais "comment, s'interroge l'historienne Hélène Carrère d'En- causse, de ce refus du modèle exporté (comme l'avait dit Lénine), l 'URSS en est-elle venue à son exportation systématique ? Et pourquoi ? Il est juste de souligner qu'avant 1945, en dépit des protestations de Staline, deux précédents éclairent la conception soviétique réelle de l'extension de la Révolution. Au début des an- nées 20, la Mongolie n'est nullement un terrain révolutionnaire. Conquise par l'Armée rouge, elle se voit cependant imposer des structures politiques, et un modèle économique imités de l'URSS. Il en va de même en 1940 pour les Etats baltes, même si l'avan- cée allemande arrête rapidement la soviétisation commencée" (5).

En fait "en dominant l'Europe jusqu'en son centre, la Russie (...) a confirmé et fait légitimer son statut de puissance européenne. En projetant l'Europe vers l'Asie, en lui ouvrant les espaces mari- times à l'Est et au Sud, Léonid Brejnev l'a, pour la première fois de son histoire, vraiment étendue à l'Asie et installée en Asie. Les

vieux déchirements, le conflit historique, cèdent désormais la place à la synthèse des deux desseins. L'URSS n'a plus à s'interroger pour savoir où est sa place : En Europe ou en Asie ?" (6)

La question devenait en effet inutile, l'imperium soviétique "mé- tastasant" sur tous les continents -- en particulier en Asie dès la deuxième moitié des années soixante dix (intervention en Afgha- nistan, adhésion du Vietnam au Comecon en juin 1978). Les di- rigeants du Kremlin n'allaient-ils pas faire mentir le titre du célèbre ouvrage de Jean-Baptiste Duroselle :"Tout Empire péri- ra" (7). L'Institut français des Relations internationales (IFRI) organisait d'ailleurs du 4 au 6 juin 1982 un colloque intitulé "L'Expansion communiste : continuité et diversité", durant le- quel de nombreux experts tentèrent de répondre à la question : "Existe-t-il un système communiste mondial dont les modes de prise et de consolidation du pouvoir sont les mêmes sur tous les continents ?" (8). Question qui, dix ans plus tard, montre com- bien le monde a basculé, l'Union soviétique ayant perdu jusqu'à sa dénomination pour ne plus être --momentanément d'ailleurs-- qu'une union de Républiques souveraines (9). Encore que leur solidarité vis-à-vis de la Russie Centre soit désormais plus vo- lontaire même si fondée avant tout sur des nécessités économi-

ques et non plus sur la grande utopie messianique du socialisme.

Comment donc expliquer qu'en l'espace de dix ans, un tel em- pire, à vocation planétaire, ait pu chanceler sur ses bases consti- tutionnelles, trébucher sur les pays baltes et renoncer à ses engagements internationalistes comme dans le cas de ses rela- tions avec la Corée du Nord ?

L'objet de ce livre n'est pas d'étudier les causes internes à l'URSS qui ont pu mener Mikhail Gorbatchev à instaurer sa "perestroïka" (10) , mais plutôt de voir en quoi, comment et jusqu'où cette po- litique de réforme a affecté les relations entre Moscou et les pays socialistes d'Extrême-Orient.

Encore que les conséquences de la contamination des différentes composantes de l'oikoumenê socialiste-communiste soient di- verses : le régime mongol a ainsi révélé une étonnante capacité à appliquer la "Réforme" afin de couper l'herbe sous les pieds de son opposition. En revanche, la nomenklature nord-coréenne mise en place par l'Année rouge a un peu plus verrouillé les frontières de son pays pour le protéger de ce qu'elle considère comme une véritable trahison des idéaux léninistes dont elle avoue, à l'instar de son voisin chinois, s'être affranchie pour pouvoir édifier un communisme répondant aux spécificités nationales, dans un cas le "juche", dans un autre le maoisme.

"Couvrant" comme l'on dit dans le jargon journalistique, l'Asie et l'Extrême-Orient depuis plus de dix ans --principalement pour le Journal de Genève--, il nous a paru utile de rassembler une série de nos articles consacrés à la perestroïka et à ses conséquences en Extrême-Orient. L'intérêt étant qu'un recueil est à même de re- donner au lecteur, non seulement l'atmosphère politique du mo- ment mais aussi de faire revivre des évènements très ponctuels, forcément atténués ou plus exactement "écrasés" dans un ouvrage d'histoire classique contraint de prendre plus de recul avec les évènements. Or, nombre de volte-face, d'échecs ou d'avancées di- plomatiques ne peuvent se comprendre que s'ils sont, non seule- ment restitués dans leur contexte du moment, mais aussi expliqués. Sans eux, l'Histoire ne serait alors qu'une chronologie sans vie.

Paris, août 1992

Notes

(1) Zbigniew BRZEZINSKI, The Grand Failure : The Birth and Death of Communism in the 20th century Coll. Collier Books, Mac Millan Press., New- York, 1990, p. 49. Alexandre ADLER : "Gorbatchev, un revisionniste Libéra- tion.

(2) Guy SORMAN répond à cette idée dans son ouvrage Sortir du socialisme page 30 : «Boukharine, écrit-il, dans l'iconographie soviétique incarne "le socia- lisme à visage humain". Sa réhabilitation démontre que, sans Staline, un autre communisme était bel et bien possible et qu'il reste donc envisageable».

(3) Hélène CARRERE D'ENCAUSSE "Uniformité et diversité : les voies de dé- veloppement d'une communauté socialiste", Pouvoirs n° 21, 1982, p. 30

(4) Idem, p. 33

(5) Ibidem, p. 27

(6) Hélène CARRERE D'ENCAUSSE : "Du contre-impérialisme au nouvel Em- pire", Problèmes Politiques et Sociaux n° 550, La Documentation Française, Paris, 26 décembre 1988, p. 30

(7) Jean-Baptiste DUROSELLE, Tout Empire périra Edts Publications de la Sorbonne, 1981.

(8) "Les systèmes communistes : un monde en expansion" Institut Français des Relations Internationales, Paris, 1982, p. 9

(9) Voici le début du texte diffusé par l'agence TASS, de l'accord signé à Minsk, dimanche 8 décembre 1991, par les dirigeants de la Biélorussie, de la Fédération de Russie et de l'Ukraine : « Nous, Républiques de Biélorussie, Fédération de Russie et Ukraine, en tant qu'Etats fondateurs de l'URSS ayant signé le traité de l'Union de 1922, appelés ci-dessous les hautes parties contractantes, constatons que l'URSS en tant que sujet du droit international et réalité géopolitique n'existe plus ». De cet acte devait naître la Communauté des Etats Indépendants (CEI).

En moins de deux ans, les 15 Républiques fédérées de l'ancienne URSS ont pro- clamé tour à tour leur souveraineté, puis, à l'exception de la Russie et du Kazakh- stan, leur "indépendance". Deux d'entre elles (la Lituanie et la Géorgie) s'étaient déclarées indépendantes avant le coup d'Etat d'août 1991 (en mars 1990 et en avril 1991 respectivement) : Arménie souveraineté proclamée le 23 août 1990, in- dépendance ratifiée par référendum le 21 septembre 1991; Azerbaïdjan, souverai- neté déclarée le 23 septembre 1990, indépendance "restaurée" par le parlement local le 30 août 1991 ; Biélorussie, souveraineté déclarée le 27 juillet 1990, indé- pendance le 25 août 1991 ; l'Estonie, déclare le 30 mars 1990 la restauration de

ses "droits souverains", assortie d'une "période de transition". L'indépendance, proclamée le 20 août 1991, est reconnue par le conseil d'Etat soviétique le 6 sep- tembre 1991, avant l'admission à l'ONU le 17 septembre ; Géorgie, indépendance proclamée le 9 avril 1991, à la suite d'un référendum tenu le 31 mars ; Kazakh- stan, souveraineté proclamée le 26 août 1990 ; Kirguistan, souveraineté proclamée en décembre 1990, indépendance le 31 août 1991 ; Lettonie, indépendance procla- mée le 20 août 1991, reconnue par Moscou le 6 septembre 1991, avant son admis- sion à l'ONU le 17 septembre ; Lituanie, indépendance proclamée le 11 mars 1990, "suspendue" le 30 juin 1990, réalisée le 26 août, avant sa ratification par Moscou le 6 septembre 1991 et son admission à l'ONU le 17 septembre suivant ; Moldavie, souveraineté proclamée le 23 juin 1990, indépendance le 27 août 1991, élection présidentielle en forme de référendum sur l'indépendance le 8 décembre 1991 ; Russie, souveraineté proclamée le 12 juin 1990 ; Ouzbékistan, souveraine- té proclamée en juin 1990, indépendance le 31 août 1991 ; Tadjikistan, souverai- neté proclamée en juin 1990, indépendance le 9 septembre 1991 ; Turkmenistan, souveraineté proclamée le 23 août 1990, indépendance le 27 octobre 1991 ; Ukraine, souveraineté proclamée le 16 juillet 1990, indépendance le 24 août 1991 (confirmée par référendum le 1er décembre 1991).

(10) En relisant l'article de Gérard WILD "Feu la perestroïka ?, Politique inter- nationale, n° 48, on verra combien il est difficile d'analyser sur le long terme la perestroïka. "Il est vrai, écrivait-il, que la première étape, turbulente, de la peres- troïka n'est pas achevée ; et que la lutte, entre d'un côté, les forcenés de l'exaspé- ration nationale et sociale et, de l'autre, les partisans du retour à l'ordre, peut rendre vain les espoirs mis dans la stabilisation. Il est vrai aussi que la dérive peut s'accélérer et renforcer le risque de glaciation, au lieu de se terminer par un 'atter- rissage en douceur. Ce scénario n'est pas exclu. Il n'est pas sûr, en tout cas, que l'Ouest, dont la capacité à aider l'URSS n'est pas à la mesure de l'ampleur des problèmes à régler, doive le préférer à celui de la stabilisation».

INTRODUCTION

D ès l'annonce par Gorbatchev de sa politique réformatrice (voir la chronologie en Annexe), les spécialistes de l'Ex- trême-Orient et de l'Asie du Sud-Est se sont interrogés sur

la portée de la perestroïka, tout spécialement au Vietnam, patrie du "communisme tropical" d'Asie.

Mais orientation surprenante, l'inclination à la diplomatie soviéti- que donnée par Gorbatchev dans son discours de Vladivostok de juillet 1986, vise avant tout à intensifier les relations de l'Etat so- viétique avec l'ensemble des pays asiatiques et tout particulière- ment les pays de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) (1). Ce qui amenait d'ailleurs le Premier ministre ma- laysien Mahathir à reconnaître, en juillet 1987, à l'URSS une identité "d'Asie-Pacifique". Sans que l'on puisse certifier que la revigorisation de la diplomatie soviétique ait permis l'instillation de la perestroïka en cette zone.

Une attitude qui n'est pas aussi surprenante qu'il pourrait y paraî- tre. L'analyse d'une diplomatie soviétique très dominatrice, est un constat "eurocentriste" que des ouvrages comme "Le Grand frère" d'Hélène Carrère d'Encausse, n'ont que renforcé. Analyse d'ail- leurs, ne serait-ce que pour l'Europe, qu'il aurait fallu relativiser (cas de la Roumanie) mais qui se vérifia d'autant plus en Asie, hormis peut-être, on l'a vu, dans le cas de la Mongolie.

Les relations "fraternelles" entre partis communistes et les suscep- tibilités "nationalistes" qui ont souvent dominé l'internationalisme prolétarien (2) (voir le schisme soviéto-chinois)(3) ont souvent empêché --certains communistes othodoxes le regretteront-- Moscou d'insuffler un véritable "ordre communiste". Une carac- téristique évidente de la période post-brejnévienne.

Une des explications, serait que les problèmes de développement dans le Tiers Monde asiatique auraient éloigné (plus tôt qu'on l'imagine) les communismes d'Asie de la matrice originelle mos- covite. Ce dont, du reste, les conseillers "bolchéviques" de la pre-

mière heure (4) n'avaient jamais douté et que les experts (les si- nologues en tête) de l'Académie des Sciences d'Union soviétique ne purent que constater au fil des années (5).

Se sachant incapables de transfigurer le communisme -pour que de sa dimension eurocentriste il atteigne la dimension universelle- les responsables du Kremlin les plus réformateurs paraissent avoir abandonné tout espoir d'évolution consensuelle. Ils allaient alors provoquer un "putsch" idéologique : le cœur du système allait dé- montrer à l'Empire que le Léninisme, pourrait dans un dernier sur- saut audacieux (d'aucuns diront de prétention élitiste) mener à bien l'ultime réforme qui redonnerait la vigueur au système com- muniste pour lutter à armes égales contre le capitalisme.

Les évènements de 1990-1991 démontrèrent la vanité de la ten- tative et donnèrent des arguments "définitifs" aux satrapes des "ré- publiques populaires" d'Asie déjà frileux face aux processus démocratiques. Que ce soit à Pékin, à Pyongyang ou à Hanoï, si l'on avait eu des doutes quant à la capacité d'un parti communiste à survivre au multipartisme, l'effondrement de l'Allemagne de l'Est et de l'URSS confirmèrent ces doutes.

En coupant volontairement le cordon ombilical d'avec le reste de son Empire, le Kremlin a ouvert une ère nouvelle pour les PC des cinq continents. Désormais livrés à eux-mêmes, ils seront les ac- teurs déterminants de la nature du Communisme du XXIème siè- cle. Une expérience qui, si pour beaucoup d'Européens peut paraître exotique parce qu'extrême-orientale, n'en demeurera pas moins majeure car régissant près des deux tiers de la planète.

N o t e s

1) Nous reprenons l'idée centrale de la note de Robert Horn : "Changing soviet balance of interests in Southeast Asia ?", Asian Thought and Society, Vol. XIII, n° 39, octobre 1988, pp 218-223. Une des meilleures "sommes" sur l'histoire des nations d'Asie du Sud-Est est sans aucun doute l'ouvrage collectif sur L'histoire du XXème siècle : l'Asie du Sud-Est, tome I et II, Edts Sirey, 1970.

2) Pour une étude comparative des communismes européens et asiatiques, Henri Chambre, De Karl Marx à Lénine et Mao Tsé T o u n g Coll. RES, Edts Aubier Montaigne, 1976. De même de Jacques Leclerc et Max-Jean Zins : "Cambodge, Afghanistan et quelques PC d'Asie", dans, La crise du communisme et de l'Af- ghanistan vues de l'Asie, Revue française de science politique, Vol. 32, n° 3, juin 1982. Concernant la position de la Chine populaire face au mouvement gauchiste, Klaus Mehnert, Pékin et le Nouvelle Gauche, (version française), Edts Fayard, 1971.

3) Les relations soviéto-chinoises ont été amplement étudiées ; pour un point de vue soviétique et d'un journaliste, on lira d'Alexei Antonkin, Les chiens de faïence : témoignage d 'un correspondant de l 'agence Tass à Pékin, Edts de l'Equinoxe, 1983. Sur le "schisme", on lira le très classique ouvrage de Mario Bettati, Le conflit sino-soviétique, en deux tomes, Coll. U2, Edts Armand Colin, 1971 et de François FEJTÖ, Chine-URSS, de l'alliance au conflit : 1950-1972 Edts Seuil, Coll. Politique, 1973. Ainsi que de Tibor MERAY, La rupture M o s cou-Pékin, Edts Robert Laffont, Coll. l'Histoire que nous vivons, 1965.

4) Sur la présence des conseillers bolchévique durant la phase insurrectionnelle du maoisme, on consultera l'étude de Jean-Marie Bouissou, La révolution chinoise :

Seigneurs de guerre et officiers rouges, 1924-1927, Coll. L'Histoire à l'épreuve, Edts Mame, 1974.

5) Les attaques les plus violentes contre le communisme chinois émanèrent pro- bablement des communistes indiens : Shashi Bhushan, China on the way to fas- c i sm Edts peoples Sector Publications, New-Delhi, 1975. On se reportera aussi à notre étude : "Processus révolutionnaire et concept du pouvoir en Chine", Revue Défense nationale, décembre 1985, pp 109-126.

PREMIÈRE PARTIE

LA MUE SOVIÉTIQUE

Chapitre I

Quand les symboles tombent

Staline Pravda du 5 mars 1936

L ' A P R È S C E A U C E S C U

Fin du modè le et mor t d ' u n frère j u m e a u

L'exécution de Nicolac Ceaucescu signifierait, dit-on, la fin d'un modèle de gouvernement fondé sur le contrôle politique et la ré- pression policière. Une nouvelle qui devrait inquiéter les derniers tenants d'un système communiste dit de type stalinien (1). As- siste-t-on à la mort du père ou d'un frère jumeau ? Hormis l'Al- banie, Cuba et la Syrie, les derniers grands pays aux régimes totalitaires sont en Asie : la Chine populaire, la Corée du Nord, le Vietnam.

Les derniers satrapes s'inquiètent, c'est certain car ils se sentent trahis par le système central, père de la pensée communiste. Le Président nord-coréen Kim Il-sung s'est d'ailleurs précipité à Pé- kin au mois de novembre 1989 pour s'épancher auprès de Deng Xiaoping tandis que le Polilburo chinois se réunissait en cata- strophe dimanche soir 31 décembre pour établir une position face aux événements de Roumanie.

En reconnaissant mardi le nouveau pouvoir à Bucarest "en respec- tant le choix du peuple roumain", les dirigeants chinois ont dû ef- fectuer un grand écart douloureux. Pour s'en convaincre, il suffit de relire le message du Parti communiste chinois à son homolo- gue roumain réuni pour son 14ème Congrès. Le délégué chinois, Qiao Shi, chef des Services de sécurité, transmettait ses "chaleu- reuses félicitations" à "la Roumanie socialiste, ce merveilleux pays".

Article paru dans le Journal de Genève du 1er-2 janvier 1990

Le laisse-faire du Kremlin

Le trouble vient moins de ce que Ceaucescu est mort à la suite "d'un complot fomenté par les forces réactionnaires au service de l'impérialisme", qu'à la tendance au laisser-faire du Kremlin. La menace est en ce sens beaucoup plus directe car la matrice idéo- logique, ce qu'Hélène Carrère d'Encausse avait nommé "le Grand Frère", s'est faite le complice des meurtriers des tyrans (2).

Le seul véritable point commun entre les membres de cette fa- mille est un système politique reposant sur le quadrillage étroit (jusqu'au niveau familial) par le truchement d'indicateurs et de la répression sanglante. Incantateurs du pouvoir par le peuple, ces régimes ont tous été saisis par un sentiment obsidional et de la peur du coup d'Etat. D'où la constitution comme à Bucarest d'une garde prétorienne et d'un réseau de souterrains pour fuir. Etrange destin pour ces vieux autocrates qui ont fait leurs armes dans les années trente en luttant héroïquement contre le fascisme italien, le national-socialisme du 3ème Reich, l'impérialisme japonais et français.

Faute de pouvoir ouvertement afficher des sentiments commu- nistes et nationalistes, ces résistants devinrent pour un temps des communistes internationalistes. Moscou se fit jusqu'à aujourd'hui le complice obligé de leurs mensonges historiques. En réalité, le communisme, plus exactement le marxisme-léninisme, n'a pas de vocation planétaire car les contextes ne sont pas transposables. Le politologue Karl Wittfogel, ancien secrétaire de la "3ème Intema- tonale", l'avait pourtant déjà proclamé au tout début des années trente. Il fut chassé (3). Aujourd'hui, Gorbatchev qui n'a jamais renié l'analyse internationaliste et léniniste du communisme est contraint de sacrifier en partie le "glacis protecteur" édifié autour de l'Empire et ce, pour sauver les acquis de la Révolution.

Une analyse réaliste dont le pouvoir central pourrait cependant ne pas se remettre s'il ne bénéficiait pas du soutien de certains mi- lieux internationalistes américains et européens (4).

Sans grande illusion sur les capacités de ses alliés à instaurer de véritables démocraties populaires, le Kremlin a assisté, en plus de la naissance de versions nationales européennes staliniennes (Al- banie et Roumanie) et à leurs versions "ottomanes" (avec l'Irak et la Syrie) à la naissance d'un véritable "communisme tropical", en Chine, à Cuba et en Indochine. L'image pourra paraître facile et pourtant on constatera combien se ressemblent les sociétés cu- baine, vietnamienne, chinoise, voire birmane.

Les f o r m e s d é v i a n t e s

Les ouvrages soviétiques ne manquent pourtant pas, tel celui de Delyusin sur "L'essence sociologique du maoïsme" qui ont dé- noncé ces formes monstrueuses du communisme : "Les vues du maoïsme, écrit Delyusin, sont diamétralement opposées aux thèses marxistes-léninistes concernant les classes laborieuses en tant que force dirigeante du progrès social, ainsi qu'au sujet de l'alliance de la classe des travailleurs et de la paysannerie". La re- vue "Far Eastem Affairs" de l'Académie des Science sociales de Moscou écrivait déjà il y a 15 ans que le communisme chinois était non scientifique et se serait transformé en une dictature mi- litaro-bureaucratique et chauvine.

On comprend mieux l'attitude ambiguë de Gorbatchev lors de sa visite en Chine au mois de mai 1989. Salué par les étudiants chi- nois comme un réformateur, le numéro un soviétique n'a jamais pu se rendre sur la place Tian An Men où il aurait probablement voulu s'exprimer. La perestroïka est trop dangereuse pour des Deng Xiaoping ou des Nguyen Van Linh (au Vietnam) car elle exigerait d'eux qu'ils formulent de façon moderne leur droit à l'erreur.

Dès l'annonce de la mort de Ceaucescu, les membres de la "Fé- dération pour la démocratie en Chine" qui rassemble les dissidents chinois exilés, ainsi que leurs homologues birmans, ont fait part de leur espoir de voir la vague de fond démocratique renverser leurs dictateurs.

Le temps joue en faveur de la liberté : seule exception pourtant, la Corée du Nord demeure imperturbable, tout au moins en appa- rence. Les convulsions de l'Europe de l'Est sont dans la logique des ressacs historiques. L'imposture du dogme économique mar- xiste, puis celle de la dictature léniniste du parti unique arrivent tout simplement à leur terme. Le seul véritable modèle commu- niste tel qu'auraient pu en rêver des Rosa Luxembourg ou des Lé- nine, est le régime nord-coréen. Parce qu'historiquement Kim Il-sung a pu recréer un régime totalement collectiviste sur les dé- combres d'un pays ravagé, il n'est pas certain que l'option com- muniste soit irrémédiablement condamnée. Seul l'avenir le dira... Un constat qui déplaît d'ailleurs aux Soviétiques qui -aud-delà de leurs intérêts stratégiques supportent mal ce modèle nord-coréen trop achevé : heureusement Kim Il-sung a un défaut, il a choisi son fils comme successeur !

Le thème du modèle léniniste, voire stalinien a été un quiproquo : celui du rapt de l'histoire par un groupuscule agissant au nom de la justice. Mais il s'agissait d'une vision européenne que les sa- trapes locaux ont abandonnée au fil des ans pour ne plus conser- ver que les moyens totalitaires du collectivisme. Ce qui effraie le plus Hanoi, Pékin voire Ulan-Bator, c'est moins la fin du modèle communiste que la disparition de l'alibi historique pour conserver leur pouvoir.

Notes

(1) Thomas Berstein : "How Stalinist was Mao's China ?", Problem of Commu- nism, Vol. XXXVI, n° 2, mars-avril 1985, pp 1 18-125.

(2) Hélène Carrère d'Encausse, Le grand frère, Edts Flamarion, 1983.

(3) Karl Wittfogel, Le despotisme oriental, Coll. Arguments, Edts de Minuit, 1977.

(4) Jean-François Revel : "Faut-il aider le communisme à mourir ?", Politique In- ternationale, n° 46, 1989-1990, pp 97-122.

Chapi t re II

La f in de l ' o rd re de Yalta