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La guerre et la libération : deux points de vue différents Point de vue de Yvette CHARRAUDEAU, née QUIRAC ..... Yvette QUIRAC est née en 1937 et avait donc 7 ans lorsque les effets de la guerre se sont fait ressentir dans sa ville de Bergerac. Cette ville fut plusieurs fois bombardée à cause de sa poudrerie. Quel est le premier souvenir qui te revient à l'esprit quand je te parle de la guerre ? Le bombardement de la poudrerie de BERGERAC Qu'est-ce qui t'a marquée ? On habitait près de la poudrerie. C'était un bombardement de nuit, donc mes parents n'ont pas entendu les sirènes ni rien, donc les bombes sont tombées et un pan de mur de notre maison est tombée donc ma mère nous a fait vite fait habillés et on est parti dans les champs sans savoir trop où on allait on a dû s'arrêter dans un fossé, et on s'est abrité comme on pouvait. Et on avait l'impression que dans le fossé on risquait rien, une bombe qui est tombée pas très loin, elle n'a pas explosé, heureusement, voilà ce que je me souviens, puis des cris des gens, puis de la peur, la peur. Vous aviez peur de mourir ? Oui, malgré que je n'avais que 7 ans. Je me rendais compte que c'était quand même dangereux. Donc tu avais 7 ans ? Figure 1 La poudrerie de Bergerac en 1939 bien avant les bombardements

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Témoignages Points de vue sur la guerre 39-45

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La guerre et la libération : deux points de vue différents Point de vue de Yvette CHARRAUDEAU, née QUIRAC.... . Yvette QUIRAC est née en 1937 et avait donc 7 ans lorsque les effets de la guerre se sont fait ressentir dans sa ville de Bergerac. Cette ville fut plusieurs fois bombardée à cause de sa poudrerie. Quel est le premier souvenir qui te revient à l'esprit quand je te parle de la guerre ?

Le bombardement de la poudrerie de BERGERAC

Qu'est-ce qui t'a marquée ?

On habitait près de la poudrerie. C'était un bombardement de nuit, donc mes parents n'ont pas entendu les sirènes ni rien, donc les bombes sont tombées et un pan de mur de notre maison est tombée donc ma mère nous a fait vite fait habillés et on est parti dans les champs sans savoir trop où on allait on a dû s'arrêter dans

un fossé, et on s'est abrité comme on pouvait. Et on avait l'impression que dans le fossé on risquait rien, une bombe qui est tombée pas très loin, elle n'a pas explosé, heureusement, voilà ce que je me souviens, puis des cris des gens, puis de la peur, la peur.

Vous aviez peur de mourir ?

Oui, malgré que je n'avais que 7 ans. Je me rendais compte que c'était quand même dangereux.

Donc tu avais 7 ans ?

Figure 1 La poudrerie de Bergerac en 1939 bien avant les bombardements

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Oui

C'était donc en 1944, euh que s’est-il passé avant les bombardements, as-tu d'autres

souvenirs ? Avant les bombardements, nous étions en zone libre soit disant,

Vous n'étiez pas occupés par les allemands ?

Nous n'étions pas encore occupés par les allemands euh nous avions donc beaucoup de privations, c'est sûr, mes parents avaient un petit jardin, on se nourrissait du peu de légumes, nous avions très peu de nourriture, il fallait des tickets, et mes parents étant ouvriers, on avait pas, il y avait le marché noir, mais on pouvait pas faire du marché noir. Ma mère faisait des kilomètres et des kilomètres pour récupérer des fois que 3 oeufsdans des fermes.

Donc tu souffrais beaucoup de la faim ?

Oui on était obligés de cacher la nourriture parce que nous enfants, on se rendait pas compte que les parents faisaient attention à tout ce qui était à mettre sur la table.

As-tu eu d'autres privations que la faim ?

Les vêtements, les vêtements, le froid les vêtements qu'on pouvait pas acheter euh les chaussures qui n'étaient pas à notre pointure, des fois trop petites qu'il fallait enfiler quand même de force quand on allait un peu à l'école, on allait très peu à l'école parce qu'il y avait, ben il y avait quand même des bombardements de-ci delà, mes parents nous gardaient plutôt à la maison donc, quand on allait à l'école, j'allais avec ce que j'avais sur le dos. On n'avait pas de gants, on se faisait chauffer des cailloux sur la cuisinière et on partait avec le caillou dans la main bien chaud et on partait avec une petite gamelle avec peut-être une pomme de terre dans la gamelle qu'on faisait réchauffer sur le poêle de l'école. Nous avions quand même quelques kilomètres pour aller jusqu'à l'école.

Donc tu n'as pas vraiment eu d'enfance ?

Figure 2 Yvette QUIRAC enfant

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Si, dans un sens, on ne se rendait pas trop compte, nous autres enfants, comme on était 5 frères et sœurs, et bien, on s'amusait entre nous de peu de choses.

Comme ?

Comme se faire des poupées avec des marrons, des morceaux d'assiette, c'était la dinette. Et quelquefois, en revenant de l'école j'avoue que ben si on pouvait aller prendre une pomme dans un verger, on le faisait, on se faisait disputer bien sûr par les paysans mais on le faisait, on courait, on trouvait des noix, des fois sur le chemin, on mangeait des noix, on n'était pas, on arrivait à manger un peu, voilà

Mais pas toujours à ta faim ?

Non pas toujours à ma faim Comment cet événement, bombardements et la guerre, a été perçu par ta mère et tes frères et

sœurs ? Comment ils ont réagi ? Je pense que, je me souviens pas très bien de comment, ils ont réagi bon, après ce bombardement là, notre maison étant démolie, nous avons dû aller habiter dans les bois, une petite maison dans les bois.

Pendant combien de temps ?

Peut-être 1 an et demi, mais disons qu'on était loin loin de tout, on n'allait pas à l'école bien sûr, et c'était une maison où il y avait une petite route qui passait, mais ce n'était pas une route goudronnée, euh il y avait un château peut être à deux kilomètres et le châtelain qui nous louait cette petite maison, mon père ne pouvait pas rentrer tous les soirs, parce qu’il travaillait à la poudrerie de BERGERAC donc il dormait sur place et dans la nuit, on entendait des fois, des voitures passer au ras de la maison, on avait très peur, et une fois une voiture, une traction s'est arrêtée et a frappé, ma mère a ouvert la porte, et disons que c'était la gestapo, qui demandait, où habitait, où se trouvait le château. Ma mère a expliqué le chemin et ils nous ont fait tous lever et ils nous ont dit que si ma mère ne disait pas la vérité, ils reviendraient et nous fusilleraient. Voilà on avait très peur. Le soir même, le lendemain plutôt, ma mère nous a conduit hors de la maison dormir dans les bois mais on avait aussi peur dans les bois que dans la maison, parce qu'en plus on entendait les bruits de la nuit, des bêtes et autres.

Donc c'est là que les allemands sont arrivés ou c'est après ?

Là, la Gestapo était déjà passée. Les allemands je les ais jamais vus. Vous étiez occupés ou pas dans ton village ?

Figure 3 Yvette QUIRAC avec ses frères et sœurs

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Dans le village, bon ben disons que, non, il faisait que de passer. Euh je sais que pour aller de l'endroit où on habitait jusqu'à BERGERAC il fallait des papiers, un laisser passer, euh c'était difficile de circuler, surtout que dans les bois il y avait des maquis, on ne savait pas des gamins, on ne se rend pas compte, euh il y avait eu aussi après, un parachutage dans un champ, dans un pré plus loin, ma mère avait pu récupéré un parachute qu'elle avait caché dans son grenier et de là elle a pu nous faire des petites chemises avec la toile du parachute. Elle ne se rendait pas compte de ce qu'elle pouvait risquer ayant pris ce parachute, parce que quelques temps après, après que , il y avait des maquis autour, après il y a certainement eu une dénonciation, et dans ce bois là on pense que c'est les allemands qui sont arrivés et tous les maquisards, plus ou moins, ont été fusillés. On entendait les balles depuis chez nous. Ma mère nous a fait rentrer dans la maison parce qu'on entendait les balles. On avait très peur. Voilà.

Est-ce que tu as d'autres souvenirs marquants à part ceux là qui sont déjà très marquants ?

Oui disons que les bombardements, la faim, le déménagement, la peur, la peur dans les bois, mon père qui n'était pas toujours là, il travaillait à cette poudrerie de nuit euh, je pense que c'était largement suffisant

Oui As-tu su quand la libération est venue ?

Oui Est-ce que t'as vu la différence entre

Il n'y avait pas tellement de différence parce que nous, on était quand même, dans un petit, petite ville mais disons que je sais que le 8 mai 1945 euh les gens criaient partout « la guerre est arrêtée » et il y en a un même qui s'amusait à tirer avec ce qui nous faisait peur aussi, tirer parce qu’ils étaient contents que la guerre était finie. Elle n'était peut être

Figure 4 La mairie de Bergerac, 2007

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pas complètement finie parce que je me suis rendue compte après en vieillissant qu'il y a eu des règlements de compte, euh des gens qu'étaient pas résistants, qu'étaient résistants au dernier moment, tout ça c'est venu après quand on a su que, tout ce qui se passait quoi; quand on a 7 ou 8 ans ou 10 ans, on ne se rend pas toujours compte de

Vous n'aviez pas d'informations ?

Ma mère, mes parents écoutaient les informations qui étaient interdites à écouter bien sûr. A la radio ?

A la radio. Et quelquefois ben ils disaient des choses et nous on essayait d'écouter, les gamins, parce qu'on essayait de nous cacher des choses plus on nous cache des choses plus on veut savoir

Est ce que à la libération, à part la peur des balles, après la guerre, pendant longtemps, est-

ce que ça t'as marqué ? Oui

Dans ta façon de voir les choses

Disons que ça m'a marquée, parce que quelque temps, enfin, 3 – 4 ans après la guerre je ne réalisais pas quand je voyais un uniforme, si c'était euh qu'on repartait dans la guerre ou si c'était des manœuvres de militaires français. Pour moi tout uniforme, c'était la guerre

Donc tu avais peur ?

Donc j'avais peur, je revenais en courant vers chez moi parce que j'avais peur. Après bien sûr, on m'a expliqué mais je me souviens la guerre quand le 8 mai, on a annoncé la fin de la guerre tout le monde était content mais bon, on s'est aperçu après qu'il y avait plein de choses qui s'étaient passées on a appris pour tout ce qui concernait la guerre, les camps de concentration, tout ça. On a appris tout ça en vieillissant bien sûr.

Tu ne savais pas pendant la guerre ?

Pendant la guerre ... Tu avais juste peur ce qui est déjà beaucoup

Oui Est ce que maintenant aujourd'hui, il t'arrive de penser encore à ça ?

Il m'arrive de penser à ça puisque j'en ai parlé à mes enfants et bien sûr à toi, qui es ma petite fille, mais je veux dire que j'en parle encore mais je suis peut être moins marquée que ceux qui ont beaucoup plus souffert que moi

Oui mais tu as quand même assez souffert ?

Oui mais, la faim, la faim moi je me souviens d'avoir eu faim C'est le principal la faim

Oui la faim, d'avoir envie de manger quelque chose qu'on n'avait pas

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Et est ce que ça s'est stabilisé après

Oui, oui oui mais on a été longtemps après, disons que 1949 -50 on faisait encore très attention à ce qu'on mangeait peut être je ne sais pas parce qu’il n'y en avait pas assez, mes parents n'étaient que des ouvriers mais est ce qu'on pouvait pas acheter mais je pense qu'il y avait tout un ravitaillement à faire, heureusement mes parents ont toujours eu un petit jardin, je dis bien petit, on était quand même 5 enfants donc 5 ou 6 bouches à nourrir plus les parents, c'était énorme pour l'époque

Est ce que ça t'a fait du bien de parler ?

Oui j'en parle toujours parce qu’on ne doit pas oublier mais on en parle maintenant sans haine

Avant, tu en parlais avec haine ou tu n'en parlais pas du tout ?

Non parce qu'on ne se rendait pas tellement compte quand on est gamins. On avait peur des allemands, comme on aurait eu peur de quelqu'un d'autre qui nous aurait déclaré la guerre

Oui, donc les allemands tu ne les as pas vraiment côtoyés ?

On en voyait Tu les a juste vus

On les voyait mais disons que euh, on en avait peur voilà. On voyait, on savait qu'il y avait des choses qui s'étaient passées, on avait entendu, il y avait des personnes qui avaient été fusillées, on avait aussi appris bon ben les bombardements n'ont pas été fais par eux mais nous dans notre tête c'était eux qui avait fait ça dans notre tête d'enfants

Est ce que tu faisais la différence entre la milice et la gestapo ?

A ben là on ne pouvait pas faire, nous gamins, la milice la gestapo, on savait qu'ils étaient souvent avec un imperméable noir qu'ils n'étaient pas en militaires ce n’était pas allemands qui venaient, ils faisaient partie certainement des militaires allemands moi je ne sais pas moi, quand on est gamins, après on apprend

Est ce que de redire tout ça, il y a une certaine émotion qui revient ?

Oui bien sûr, c'est jamais très gai tout ça, mais bon les années passant, ça efface un petit peu la souffrance qu'on a eu à ce moment là

Et maintenant tu, tu le vis bien

Oui, oui, non, non, je le vis bien maintenant c'est sûr Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ?

Oui j'ai oublié de dire, qu'à la libération, ma mère avait acheté des petits rubans La joie, après la peur

La joie, oui, parce qu'on se disait qu'on va être plus libre mais ça n'a pas été tout de suite par endroit c'était pas toujours fini mais je veux dire qu'on s'est mis à se mettre du bleu

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blanc rouge un peu partout, je me souviens que ma mère avait été acheté des rubans où il y avait bleu blanc rouge avec la croix de lorraine dessus et on se mettait ça dans les cheveux on en mettait un petit peu aux corsages on était tellement contents on était français et voilà .

Vous êtes partis de BERGERAC vers quelle année ?

De BERGERAC on est partis, vers 1947 pour aller, on était mutés à la poudrerie de VONGES en Côte d'Or Toujours près des poudreries ?

Toujours près des poudreries Est-ce que globalement tous ces événements

ont marqué quelque part ta vie ou ta façon de voir les choses ou de penser ? Marquer mon enfance, sûr et de voir les choses, certainement aussi parce qu'on était gamins et après on vieillit et on se rend compte à quel point ça était difficile mais je te dis comme on était frères et sœurs, on se regroupait entre nous et nous étions quand même gais

Tu penses que t'as grandi plus vite qu'il ne faudrait ? A oui on était mûrs c'est sûr

A cause de la guerre ?

Oui, oui à cause de la guerre, et puis peut -être de beaucoup d'événements qui ont suivi la guerre on murissait plus vite, à 14 ans, souvent après ton certificat d'études, tu pouvais pas poursuivre tes études si tu n'avais pas les moyens donc automatiquement tu travailles donc automatiquement ça te murit. Il faut que tu travailles pour manger.

Est-ce que ça te dérange de faire ce témoignage ?

Non ça ne me dérange parce qu'il ne faut pas oublier c'est un passage de la vie de ma vie surtout

Pour toi, c'est important de le dire ?

Oui c'est important de témoigner de tout ce qui s'est passé à cette époque là.

Figure 5 Yvette QUIRAC avec sa jeune sœur, Paulette, devant la poudrerie de VONGES

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Point de vue de Paul GABORIAU..... Paul Gaboriau avait cinq ans lorsque la guerre éclata en 1939. Il habitait une maison au bord de la

Sèvre Nantaise. Son petit village du Longeron, village de Vendée, fût occupé pendant l’intégralité de la guerre. Le

Longeron avait à sa tête le maire Mulliez dont le parti était chrétien. Est-ce que tu aurais un souvenir qui t’aurait marqué dans le passé et dont tu voudrais bien

me raconter ? Oui, je vais essayer de revenir dans le passé … Oui je vois une chose qui m’a marqué, j’avais dix ans en 1944, et c’était la fin de la seconde guerre mondiale. Les allemands avaient occupé notre petit village le Longeron, de 2000 habitants à peu près, pendant toute la guerre. Ils sont arrivés ici au mois d’août 1939, je m’en souviens très bien : c’était la grande débâcle de l’armée française.

Tu avais donc 5 ans ?

Paul Gaboriau enfant

Oui c’est ça, j’avais 5 ans et je me souviens très bien du début de la guerre : c’était un mois d’août en plein été, un très beau temps. Tout d’un coup l’après-midi les hommes sont remontés de l’usine en disant : « Ca y est c’est la guerre, il faut partir ! ». Quelques jours après, on a vu les soldats qui fuyaient devant l’armée allemande et qui jetaient leurs fusils dans les champs. L’armée française est passée dans le village et quelques jours après les allemands sont arrivés. Ils sont restés ici pendant toute la guerre. Les enfants ont eu de très bons rapports avec eux. Nous les enfants, on avait pas d’a priori sur eux alors que nos parents ou les anciens avait un a priori : c’est à dire que pour eux c’étaient les boches, les méchants. Alors que nous on ne les trouvait pas si méchants que ça. On a vécu avec une compagnie pendant toute la guerre. Nous habitions au bord d’un petit chemin qui menait à la rivière. A la libération, au mois d’août 44, une nuit on a entendu un brouhaha, des bruits de charrettes. Alors à ce moment là mon père s’est levé, il a ouvert la fenêtre et je me souviens très bien qu’il a dit : « ça y est c’est les allemands qui s’en vont ! » et ma mère lui a répondu aussitôt : « ferme la fenêtre, on ne sait jamais ! » : elle n’était pas très rassurée alors il a fermé la fenêtre. Les allemands fuyaient parce que les libérateurs, les américains, n’étaient pas très loin. Quelques jours après on a vu arrivé les libérateurs : il y avait des FFI et puis surtout des américains. Ils sont arrivés dans le village, et là, ce qui

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m’a beaucoup marqué, c’est qu’ils avaient dans leur camion deux des allemands qui avaient fuient quelques jours auparavant et qu’ils avaient rattrapé. Deux allemands qui étaient épuisés et qui étaient attachés au fond du camion. Ces FFI, ces libérateurs, pavanaient un peu, fier comme Artaban d’avoir attrapé les allemands. Tout le village s’est rassemblé sur la place de la mairie. Nous les enfants, on regardait, on écoutait.

Figure 6 La maison d’habitation

Est –ce que tu avais conscience de se qui se passait ?

On voyait bien que c’était une chose importante quand même : c’était la fin de la guerre et puis surtout la fin des privations. Nos parents nous disaient : « Quand la guerre sera finie on mangera, vous aurez du chocolat … !». On ne savait pas ce que c’était du chocolat mais il paraît que c’était très bon. On ignorait ce que c’était. On a souffert de la guerre à cause des privations. Tous les produits étaient rares. On vivait de nos produits du jardin et puis c’était tout. Alors pour nous du chocolat c’était quelque chose qu’on imaginait d’exceptionnelle. On avait donc conscience que la libération allait être la fin des misères. Sur la place de l’église toute la population était rassemblée. Moi je regardais surtout ces deux allemands qui faisaient pitié, qui était au fond du camion, attachés. Il faisait très chaud et je me souviens qu’il y en a un qui a demandé à boire. Aussitôt il y a un adulte qui s’est interposé en disant : « Non non, il peut crever ce boche, on lui donne pas à boire !! ». En voyant ces allemand on sentait que c’était la défaite, que c’était finit pour eux. Nous enfants, on a connu ces allemands pendant quatre ans dans le village. Nous on avait pas à s’en plaindre, eux, les adultes, étaient très retissent envers eux. En revanche, nous, enfants, on avait de très bons rapports avec eux. Par exemple : souvent le samedi ils jouaient sur la place de l’église un concert de très belle musique classique. Alors que les adultes, jamais ils ne seraient allé écouter leur musique. Avec plusieurs enfants on venait, on se mettait à côté et on écoutait. On avait aucun a priori envers eux !

Est-ce que tu savais pourquoi les adultes avaient cet a priori envers eux ?

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Non, on ne savait pas pourquoi les adultes haïssaient les allemands comme ça. Ils les mettaient tous dans le même sac. Nous, nous n’avons rien eu à nous plaindre d’eux pendant toute la guerre : avec nous ils étaient très gentils, avec les adultes il y avait des rapports très distants, à par quelques jeunes filles qui fricotaient un peu avec les allemands et ce qui était mal vu d’ailleurs. Par exemple, un matin en partant à l’école avec le sac sur le dos, je me souviens d’un allemand qui m’a interpellé en me voyant partir à l’école j’ai compris qu’il voulait me dire : « Moi aussi j’ai un petit garçon en Allemagne comme toi qui va à l’école » et puis il s’est mis à pleurer. On ne pouvait pas en vouloir à ces gens là : ils étaient comme les autres. Alors nous les enfants on ne comprenait pas pourquoi les adultes les trouvaient méchants.

Que faisaient les Allemands dans le village, quel était leur rôle ?

Ils ne faisaient pas grand chose. Ils occupaient le terrain et c’est tout. Il n’y a jamais eu de batailles.

Donc ils faisaient ça contre leur volonté …

Oui. De mon point de vue d’enfant, je sentais qu’ils auraient bien aimé retourner chez eux. Ils auraient bien aimé que la guerre se termine parce qu’ils étaient là par obligation. Par contre, les grandes personnes les traitaient de toutes sortes de noms. Evidement, eux, les adultes, ils pensaient à la guerre14. Hitler, nous, on ne savait pas tout ce qui se passait… J’en reviens à la libration : donc cette après-midi là, les allemands sont restés attachés dans le camion et puis là je me souviens très bien qu’un notable du pays est monté à la mairie, à l’étage supérieur. Il a ouvert la fenêtre et il a lancé dans la rue le portrait d’Hitler qui était affiché dans toute les mairies comme aujourd’hui pour le président de la République qui est affiché dans les mairies. Il a pris ce cadre qui était en verre et il l’a jeté d’un air conquérant, le cadre s’est brisé sur la rue et tout le monde a applaudit.

Et toi tu l’avais déjà vu Hitler en photo ?

Oui et les adultes nous avaient appris à haïr Hitler parce que c’était le pire des monstres. Nous ce qu’on connaissais des allemands c’était ceux qui étaient là et puis on trouvait pas qu’ils étaient si méchants que ça. Il y avait vraiment une grosse différence entre la vision des enfants et puis la vision des adultes. Alors ce fameux jour de la libération, les gens étaient contents. Ca y est la guerre est finit on va pouvoir manger, on va pouvoir acheter

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pleins de choses…..et manger du chocolat !

Est-ce tu as vraiment vu un changement entre l’occupation et la libération ? Non, le changement n’a pas été brutal justement. On s’imaginait que du jour au lendemain les magasins allaient être remplis parce qu’avant dans les magasins il n’y avait pas grand chose !

Pourquoi ?

C’était la restriction. On avait des tickets de rationnement : chaque famille avait des tickets pour avoir droit à une portion. Les choses comme le beurre étaient introuvables, la charcuterie était introuvable. Non, le changement ne s’est pas fait rapidement. Il a fallu des mois pour que ça change parce que la France était quand même dans un triste état…. La guerre était à peine finit, on était libéré, et puis il y avait le Japon qui continuait la guerre et je me souviens que j’ai beaucoup été marqué par l’explosion de cette fameuse bombe atomique.

Où est-ce que tu en avais entendu parler ?

Je me souviens que le jour où ils ont lancés ces deux bombes atomiques sur Nagasaki et Hiroshima, ça a été effrayant parce qu’aussitôt la radio en a parlé en disant que c’était affreux, une bombe abominable qui tue tout le monde. Alors ça nous, les enfants, ça nous faisait peur. Cette arme puissante qui détruit tout. L’explosion a eut lieu pour faire capituler le Japon…. Après la vie a repris tout doucement. On a vu revenir assez vite les prisonniers de guerre et les travailleurs forcés, les jeunes qui sont partis en Allemagne travailler. Alors on a vu des jeunes de vingt ans qui étaient partis depuis plusieurs années.

Ils habitaient au Longeron avant ?

Oui, c’étaient des jeunes du village, qui avaient été réquisitionné par les allemands pour le travail forcé. On les a vus revenir petit à petit.

Tu savais ce qui leur été arrivé ?

Ils ont travaillé en Allemagne. Ils étaient dans des usines d’armement. Quand on les a vu revenir on s’est dit que les allemands étaient vraiment partis, ils étaient battus… Mais le changement s’est fait très progressivement. Le fameux chocolat n’est pas arrivé si vite que ça. C’est a dire qu’il y avait encore pas mal de restrictions pendant un moment. Toute la France était à reconstruire. Tout était à refaire.

A refaire dans quel sens ?

Il n’y avait plus d’économie. Il y avait beaucoup de privations. Ceux qui ont le moins souffert c’est ceux qui étaient dans les fermes, qui avaient de quoi manger. Autrement, c’était assez privé. Le beurre n’existait plus. Il arrivait que mes parents ne savaient plus quoi trop nous donné à manger. L’électricité, il n’y en avait que très rarement. Pas d’électricité, donc on fabriquait des bougies avec de la graisse de bœuf qu’on mettait dans un verre avec une ficelle au milieu et puis on s’éclairait avec ça. On fabriquait des brosses pour laver le linge. Les hommes qui n’avaient pas de tabac plantaient dans leur jardin du tabac et puis ils fabriquaient des petites machines pour le couper. Il y avait pleins de choses ingénieuses ! Il fallait se débrouiller. Je me souviens d’une chose aussi : le café

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était introuvable pendant la guerre donc on faisait du café avec des glands de chêne qu’on faisait noircir dans la poêle et puis on écrasait avec un moulin. C’était de l‘eau noire mais ce n’était pas très bon. Comme il n’y avait pas de café pour le matin on mangeait de la soupe. De la soupe avec du pain trempé qu’on faisait bouillir dans une soupe assez épaisse. On a souffert des privations surtout, des privations de nourriture mais sinon on ne peut pas dire que les allemands nous ont fait souffrir.

Tu ne l’as pas mal vécut l’occupation alors … ?

Non, au contraire ! Je trouvais les allemands très sympathiques. Quand ils faisaient leur concert, on allait les voir ou quand ils faisaient des manœuvres militaires au bord de la rivière avec leurs canons qu’ils tiraient sur le coteau d’en face. On allait se mettre à côté. Jamais ils nous disputaient. On se bouchait les oreilles quand le canon éclatait.

Tu n’as jamais eu peur ?

Non, les allemands ne nous ont jamais fait peur.

Ils étaient armés ?

Oui, ils étaient armés mais ils savaient bien qu’il n’y avait pas de danger ici. Ici, ils n’étaient pas embêtés... Sauf une fois, une fois on a eut peur : les FFI, des civils qui se cachaient dans les bois, les ont attaqué pour les embêter. Un jour ils les sont attaqués et quelques allemands ont été blessés et ce jour là on a eut peur. On a vu les allemands en colère.

Mais tu n’as pas vu l’attaque ?

Non on a pas vu l’attaque mais ils s’étaient fait attaquer dans les bois à côté par des FFI. Moi je ne comprenais pas pourquoi on embêtait les allemands : ils ne sont pas méchants, ils ne font rien. Et puis ce soir là les hommes ont eut peur et ils n’ont pas voulut coucher à la maison, ils sont partis coucher dans la nature parce qu’ils ont eut peur des représailles. On n’imaginait pas que les allemands pouvait être méchants. On ne les connaissait pas mais on n’avait pas le passé des adultes. Ce sont des impressions d’enfants.

Mais maintenant est ce que tes avis ont changés ?

Maintenant je n’aurais pas les mêmes visions. Evidemment !

Comment tu aurais vu les allemands ?

Si j’étais un adulte ? Je ne sais pas du tout. Pour eux, les allemands c’étaient des boches, des doryphores, des bandits, ils les traitaient de tous les noms. Nous on ne comprenais pas ça… Ce fameux Hitler on nous en parlait tellement si bien qu’à la libération ils ont fabriquer un char avec un mannequin d’Hitler dessus. Je me souviens qu’ils avaient mis aussi la fameuse devise d’Hitler « got mit huntz » : « Dieu est avec nous ». Ils ont promené ce char dans tout le village et puis ils l’ont brûlé à la fin pour se décharger de toute la haine qu’ils avaient contre ce Hitler. Les gens avaient beaucoup de haine contre Hitler et les allemands mais ils n’en ont pas souffert. Ce n’était pas comme dans le nord de la France où ils ont beaucoup souffert. Les allemands ne nous ont pas fait de mal du

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tout.

Est ce que tu savais qui était le maire à cette époque ?

Si je sais, c’était un homme important. C’était un industriel qui était venu du nord, qui avait son usine et qui faisait vivre toute la population car toute la population était employée à l’usine et il était maire en même temps.

Quel était son parti ?

A l’époque c’était le parti chrétien. A notre époque ceux qui commandaient notre petit village était le maire et le curé : les deux têtes du village. Je me souviens d’une chose : ce maire pendant la guerre avait une grosse voiture noire, d’ailleurs c’était à peu près la seule du village à avoir une voiture, et puis on avait plus d’allumettes dans le village. Alors il est parti aller chercher des allumettes à Angers, à 80 kilomètres d’ici. Il est parti chercher tout un chargement d’allumettes avec sa grosse voiture. Et puis en revenant, manque de pot, il s’est fait mitrailler et du coup toute la voiture a flambée. Il est revenu dans le village et il racontait ça.

C’était une attaque volontaire ?

Non, mais il s’est fait mitrailler par je ne sais pas trop qui, des allemands peut-être ou par l’aviation. Alors comme la voiture était remplie d’allumettes, elle a bien brûlée.

Tu te rappelles de son nom ?

Oui, Mulliez, la grande famille du nord. C’était un homme du nord, de Roubaix, du textile. Il était là parce qu’au début de la guerre ils se sont réfugiés dans le nord à Roubaix où il y a eut l’invasion allemande et donc ils ont fuient et sont venus s’installer là dans cette usine de textile… quoi raconter sur la guerre ? Si il y a une chose qui me revient à l’idée : pendant la guerre il y a eut une fameuse vierge, paraît-il, qu’ils ont trouvés dans un bateau sur la mer, qu’ils appelaient la vierge de Boulogne. Cette statuette a fait tout le tour de la France pendant la guerre. Les gens l’accompagnaient, elle passait de village en village. Les gens marchaient pieds nus derrière en signe de pénitence. Le village voisin est venu nous l’apporter et puis nous l’avons gardé pendant une ou deux journées. Les gens priaient pour que les prisonniers reviennent et pour que la guerre s’arrête et qu’il n’y ait pas de morts. Puis on a été la reconduire au village suivant et ainsi de suite. Et cette vierge dans sa barque a fait le tour de la France. Ca me rappelle que ce maire qui était un aristocrate, un bourgeois, marchait pieds nus derrière par pénitence, sur les cailloux, sur le gravier pour que la guerre s’arrête.

A la libération tu as éprouvé quels sentiments ?

De sécurité quand même. A la fin on a eut un peu peur que les allemands, quand ils étaient attaqués, se vengent. On avait entendu parler justement d’Oradour. Un soir nos parents nous ont racontés, ils avaient entendu ça à la radio, le massacre d’Oradour. C’est un petit village où toute une section allemande a massacré tout le village et a enfermé tout le monde dans l’église, les ont brûlé. Tout le village a été exterminé. Alors nous à la fin, quand il y a eut des accrochages entre les allemands et les FFI on avait peur. Et le soir je me souviens, quand mon père était parti couché ailleurs parce qu’il avait peur que les

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allemands viennent se venger. Il a couché dans les coteaux pour se cacher. Nous on est resté à la maison. Si les allemands se vengent se sera les hommes.

Pas sur les femmes et les enfants ?

En général non mais on ne savait pas trop. On avait peur. La fin de la guerre ça nous a quand même soulagé un peu. Oradour ça nous avait beaucoup marqué. On s’est dit que c’était méchant… après on s’est dit la guerre est finie, petit à petit la nourriture va revenir et puis on aura pas à craindre une vengeance des allemands: c’est de ça qu’on avait peur. Moi, enfant, je trouvais que les FFI n’avaient pas raison d’aller embêter les allemands. Par exemple ils leur mettaient des clous sur la route pour crever leur pneus. Je trouvais ça un peu bête. Ils risquaient rien eux et puis après les allemands, ils se vengeaient, eux. Les FFI se sauvaient. Enfin c’était mon point de vue qui n’est peut-être pas juste. C’est pour ça qu’à la fin de la guerre on s’est dit maintenant c’est finit. Les prisonniers vont revenir.

Mais tu savais qu’ils allaient revenir les prisonniers ? Tu savais où ils étaient partis ?

Oui, on savait qu’ils étaient en Allemagne et ils écrivaient, tous les travailleurs forcés écrivaient. Ça y est ils vont revenir, la guerre est finie, tout va aller…on va pouvoir manger du chocolat. Alors on ne savait pas trop comment il était fait ce chocolat.

Sinon, tu m’avais déjà dis que pendant l’occupation, il y avait des couvre-feux…

Oui c’est vrai. Le soir, il ne fallait pas qu’il y est de lumière de la maison qui paraisse dans la rue. Il fallait fermer les volets et ne pas ouvrir les portes à cause de l’aviation afin qu’il n’y ait pas de repères. Ça me rappelle un souvenir : on avait une maison avec une grosse porte de bois et puis un soir la porte était un petit peu entre-ouverte. Je suis parti la fermée et avant de la fermée j’ai aperçu juste derrière un allemand qui était là avec son fusil parce qu’il y avait des sentinelles qui patrouillaient toute la nuit, qui patrouillaient dans les rues justement pour que le couvre-feu soit respectés. Alors j’entrouvre un petit peu la porte et je vois cet allemand. En plus il avait une figure très vilaine. Il était vraiment très vilain au point qu’il nous faisait peur. Il n’était pas méchant mais il nous faisait peur cet allemand là. Et puis justement c’était lui qui était derrière la porte avec son fusil. Alors j’ai claqué la porte et ma mère m’a demander : « Qu’est ce qu’il y a ? ». Non mais c’est vrai le soir il y avait le couvre-feu alors il ne fallait pas éclairer.

C’est donc pour ça que ta mère a eut peur lorsque ton père a ouvert les volets la nuit de la

fuite des allemands ? Oui, elle a eut peur parce qu’on ne sait jamais ce qu’ils pouvaient faire. Les allemands sont partis par ce chemin cette nuit là où ils ont quitter le village. Ils avaient réquisitionné des charrettes, des chevaux pour mettre tout leur armement dessus.

Personne ne se doutait qu’ils allaient partir ?

Non, on ne savait pas. Ça nous a surpris.

Mais comment ils ont été informés eux ?

Ils savaient que les américains n’étaient pas loin et qu’il fallait partir. En fait, ils se

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sauvaient. On a entendu les roues des charrettes et le lendemain en passant sur le pont de la rivière ils ont jeter dedans un gros stock d’armement pour ce débarrasser parce qu’ils fuyaient à toute vitesse. Deux trois jours après, les deux prisonniers qui

étaient dans le camion ont été obligé, par les libérateurs, de

monter sur le pont et puis de plonger dans la rivière pour récupérer toutes les mines qu’ils avaient lancé dedans. Nous on

était à côté, pas très loin, et puis on regardait ça et je trouvais qu’ils étaient courageux ces allemands, qu’ils n’avaient pas peur. Je les admirais plus qu’autre chose. On sentait qu’il fallait qu’ils obéissent car maintenant ils étaient battus, ce n’était plus eux qui dominaient. Ils me faisaient plutôt pitié. C’était deux allemands qui étaient avant dans le village et qui avaient été rattrapés. Ils étaient fatigués, ils avaient dû marcher pas mal. Ils étaient extenués, découragés. Ils ne demandaient qu’une chose c’était de retourner chez eux.

Tu sais ce qu’ils sont devenus ?

Ça on en sait rien. Ils sont peut-être restés en France en tant que travailleurs. J’en sais rien.

Et ton père a su tout de suite que c’était la Libération ?

Non, je me souviens qu’il a dit : « Les allemands s’en vont ! ». Ils étaient là depuis quatre ans. On sentait que les allemands paniquaient, qu’il fallait se sauver.

Mais vous l’avez ressenti déjà quelques jours auparavant ?

Non, on ne s’en était pas rendu compte. En fait on ne savait pas parce qu’on avait pas de moyen d’information. Il n’y avait qu’un ou deux postes dans le village qui étaient camouflés : c’était interdit. Alors on n’avait aucune information, on ne savait pas ce qui se passait. On ne savait pas trop où en était la guerre. On avait su quand même qu’il y avait eut le débarquement en juin. Petit à petit les alliés avançaient :on savait bien qu’un jour ou l’autre on serait libéré. Mais la nuit où les allemands ont fuit le village, on ne s’y attendait pas.

Comment as-tu réagi quand on t’a dit que les allemands fuyaient ?

Rien de plus, ça ne m’a rien fait.

Tu ne comprenais pas ?

Figure 8 Le chemin qui conduit à la rivière,

Figure 7 Le pont

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Non, je sais pas. Ça m’a plutôt fait pitié quand quelques jours après ils étaient au fond du camion. On avait l’impression de gens qui subissaient la guerre. C’était des appelés ces jeunes allemands, ce n’étaient pas des SS, des nazis. Ils étaient là par obligation et puis ça faisait quatre ans qu’ils étaient loin de chez eux…. Tout ça c’est une vision d’enfant qui n’était pas celle d’adultes.

Est-ce que ces quatre ans de ta vie ont eut un impact sur ta vie future ? Est-ce que cela t’a

apporté quelque chose ou enlevé quelque chose ? Si, on voyait que nos parents étaient malheureux du fait de la privation, du fait qu’ils ne pouvaient pas nous donner à manger comme il faut.

Ils culpabilisaient de ne pas pouvoir faire leur possible … ?

Nos parents souffraient de nous voir souffrir. Je me souviens qu’on raclait le petit bout de beurre à six ou sept. Ça leur faisait souffrir de voir que leur enfants n’avaient pas ce qu’il fallait, de voir qu’ils étaient privé.

Et dans ta vie adulte est-ce que ces quatre ans ont eut un impact ?

Oui, ça m’a permis de dire que faire la guerre c’était idiot, que c’est une histoire de grande personne. Moi je pense que c’est ça, la guerre c’est une histoire de grande personne parce que s’il n’y avait que les enfants, ils ne feraient pas la guerre. Je pense que c’est de l’orgueil, une domination de grande personne qui veut dominer les autres alors que c’est inutile. J’ai compris que la guerre était bête. Après quand il a fallut que j’aille en Algérie faire la même chose, je n’étais pas d’accord.

Par rapport à ça …

Oui, par rapport à ça parce que du fait que j’avais compris de 39 à 45 que la guerre détruit, qu’elle apporte du malheur, de la souffrance. Il faudrait trouver une autre solution : s’il y a un problème, qu’on discute, qu’on cherche une solution. Mais je ne veux pas justifier, c’est un fait que le nazisme c’est mauvais.

Mais toi tu ne l’a pas vécu de la même manière….

Oui, on n’était pas au courant des camps de concentration, tout ce qui se passait en Allemagne.

D’ailleurs, dès que tu as fait le rapprochement entre ce que tu as vécu et ce qui s’est passé

en Allemagne, ça ne devait pas être la même guerre pour toi ? Non. Et on ne pouvait pas laisser Hitler envahir le monde comme ça et faire toutes ces horreurs, toute la Shoa : il fallait réagir. Il aurait fallu le méditer avant cette guerre parce qu’Hitler est venu en 33. C’est avant qu’il aurait fallu tout faire pour éviter ça. Je fais la comparaison avec l’Algérie : l’Algérie c’est pareil, elle s’est déclarée en 54 mais c’était bien avant qu’il aurait fallu étudier le problème de façon à l’éviter et puis il n’aurait pas eu tous ces morts, tous ces massacres. Moi je crois qu’on peut éviter la guerre. Les

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enfants ne comprennent pas la guerre. Quand il y a un problème, avant de faire la guerre, il faut essayer de discuter. La grand Einstein qui a inventé la bombe atomique a dit qu’il avait regretté après. Il a dit la guerre n’arrivera jamais a solutionner les problèmes mais on ne solutionnera que par la compréhension. Il était anti-militariste.

Est ce que tu avais perçu un changement entre la vie quotidienne et l’arrivée des

allemands ? Non, j’étais trop jeune, je n’avais que 5 ans. Si je me souviens très bien que le jour où la guerre a commencé, les cloches ont sonné : c’était le signe du malheur. Et je me rappelle que tous les hommes de l’usine sont remontés à toute vitesse et puis les femmes sont sorties en disant « La guerre commence ». Deux trois jours après on a vu les soldats français qui fuyaient.

Est ce que tu avais déjà raconté cela à quelqu’un ?

Non et puis les visions d’enfants c’est différent.

Tes parents travaillaient pendant la guerre ?

Il n’y avait pas de chômage mais c’était quand même une économie au ralenti. J’ai déjà parlé des tickets de rationnements et puis il fallait nourrir l’armée allemande qui était là aussi. On vivait avec nos produits.

Et toi tu allais à l’école ?

Oui, à l’école primaire. Les allemands me faisaient l’impression de gens très civilisés par rapport aux gens du village et cultivés. Ils avaient une tenue.

Les allemands étaient là pour uniquement surveiller …

Ils ne faisaient pas grand chose, ils occupaient c’est tout.

Où habitaient-ils ?

Ils logeaient chez les habitants. Les officiers avaient réquisitionné des chambres chez les habitants.

Les gens les laissaient entrer comme ça ?

Ils étaient obligés. Ils avaient réquisitionné des logements de force… Ils occupaient les locaux de la paroisse. Autrement ils faisaient des manœuvres. J’avais l’impression qu’ils s’ennuyaient. J’ai un souvenir qui me revient : on était souvent au bord de la rivière et puis un jour on les a vus arriver avec une voiture amphibie, qui va dans l’eau. On les a vus arriver avec une sorte de Jeep et tout d’un coup on les a vus descendre les coteaux et ils fonçaient dans la rivière. La voiture s’est mise a flottée et ils sont sortis de l’autre côté. On ouvrait des grands yeux et on trouvait ça magnifique, on était émerveillé, de même avec leur concert. Ils sont extraordinaires. Les adultes nous les présentaient comme des sauvages, des bandits, des voyous, des méchants. Nous on trouvait qu’ils étaient bien

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éduqué bien évidemment on ne savait pas toutes ces cruautés qu’ils faisaient par ailleurs. Mais localement, nous n’avions pas à nous plaindre. Même les jeunes filles au café du village, elles allaient les fréquenter, ce qui n’était pas très bien vu.

Est-ce qu’à vous, les enfants, on vous a imposé l’avis des adultes (envers les allemands) ?

Non pas du tout, enfin si ... Les adultes les traitaient de « sales doryphores » alors un matin en partant à l’école avec mon copain, on est passé à côté d’un allemand et il s’est mis à lui dire « Sale doryphore ». Evidement l’allemand n’a pas compris. Moi j’avais peur qu’il nous tape dessus alors je lui ais dit qu’il ne fallait pas dire ça. C’était les adultes qui nous apprenaient à les haïr. Bien sur après j’ai compris qu’ils n’étaient pas tous recommandables.