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L’érosion de la biodiversité D’après une contribution originale de François RAMADE Les mutations socio-économiques du dernier demi-siècle se sont accompagnées, en France, comme dans les autres pays industrialisés, d’un déclin de la biodiversité. L’étude des espèces menacées se trouve confrontée à de nombreuses limites, dues à une connaissance insuffisante des écosystèmes et de certaines espèces, ainsi qu’à la vitesse de production des données qui permet au mieux de mesurer les changements tous les dix ou vingt ans ; il est cependant possible d’évaluer l’état de la biodiversité en France à l’aide d’indicateurs tels que ceux qu’utilise l’UICN, distinguant parmi les espèces menacées, espèces en danger et vulnérables ; il s’agit ensuite de mettre en évidence quelques facteurs importants de ces transformations, puis d’envisager l’évolution du patrimoine naturel français dans les décennies à venir. DE QUOI PARLE-T-ON ? Le terme de biodiversité, synonyme de diversité biologique, est un néologisme apparu au début des années 1980 au sein de l’UICN, Union Mondiale pour la Nature ; mais son usage ne s’est largement répandu qu’à partir de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement organisée par les Nations Unies en 1992, qui représente un tournant majeur dans la prise de conscience des enjeux du patrimoine naturel. En son sens le plus large, il désigne la variété des espèces vivantes qui peuplent la biosphère. Mais une définition plus restreinte conduit à préciser ce concept en fonction de trois niveaux différents d’organisation du monde vivant : on distingue généralement la diversité génétique — ou diversité au sein des espèces —, la diversité spécifique — ou diversité des espèces —, et la diversité écologique des écosystèmes ou habitats 1 . RETROSPECTIVE DE LA BIODIVERSITE EN FRANCE La France possède une biodiversité écologique remarquable, due à la possession de départements et territoires d’outre-mer, mais aussi à la situation géographique du territoire métropolitain où se rencontrent quatre des cinq grands domaines biogéographiques 2 européens : celui-ci regroupe une zone atlantique, une zone d’influence centre européenne de climat continental, une zone de climat orophile (habitats d’altitude alpins et pyrénéens) et une zone méditerranéenne, qui représente à peine 15 % de la surface de l’hexagone mais dont le patrimoine naturel est particulièrement riche. La biodiversité de la France métropolitaine est ainsi, après celle de l’Espagne, la plus élevée de l’Europe occidentale. Faune et flore françaises représentent une part importante du patrimoine naturel de l’ensemble du continent : les espèces connues en France métropolitaine sont au nombre de 972 pour les vertébrés, et de 38 750 pour les invertébrés dont 34 600 sont des insectes ; une grande partie de ceux-ci restent mal connue, mais on estime que leur nombre total est d’environ 40 000, ce qui correspond à la moitié de la faune européenne. La France comprend près de 40 % de la flore européenne de plantes supérieures ; elle compte environ 6 020 espèces actuellement connues et 15 % de la flore spontanée est endémique 3 ou subendémique. Cependant l’intensification, au cours du dernier demi-siècle, des pressions diverses sur la nature a renforcé les menaces qui pèsent sur la biodiversité, que son importance exceptionnelle en France rend d’autant plus préoccupantes. En effet, son érosion s’est notamment manifestée à travers l’extinction d’un certain nombre d’espèces, qui devient significative si l’on remonte au XIX e siècle : ainsi, depuis le début de ce siècle-ci, au moins 12 espèces d’oiseaux ont disparu dans les Dom Tom ; sur le territoire métropolitain, 8 espèces de vertébrés ont définitivement disparu en tant qu’espèces reproductrices depuis 1850 ; 34 espèces végétales depuis le début du XX e siècle, la dernière en date étant le statice de Duby sur la rive du lac d’Hossegor dans les Landes ; plus récemment, depuis 1970, l’on dénombre deux espèces connues en moins : le phoque moine sur la côte méditerranéenne et l’érismature à tête blanche en Corse. 1 Habitat : milieu biologique qui rassemble les conditions dans lesquelles s’épanouit une espèce. 2 Domaine biogéographique : domaine défini par un ensemble de conditions de répartition des habitats, telles que les variations du climat, des sols, et des grands types de végétation. 3 Espèce endémique : espèce caractéristique d’une région exiguë. Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) 37.

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L’érosion de la biodiversité D’après une contribution originale de François RAMADE

Les mutations socio-économiques du dernier demi-siècle se sont accompagnées, en France, comme dans les autres pays industrialisés, d’un déclin de la biodiversité. L’étude des espèces menacées se trouve confrontée à de nombreuses limites, dues à une connaissance insuffisante des écosystèmes et de certaines espèces, ainsi qu’à la vitesse de production des données qui permet au mieux de mesurer les changements tous les dix ou vingt ans ; il est cependant possible d’évaluer l’état de la biodiversité en France à l’aide d’indicateurs tels que ceux qu’utilise l’UICN, distinguant parmi les espèces menacées, espèces en danger et vulnérables ; il s’agit ensuite de mettre en évidence quelques facteurs importants de ces transformations, puis d’envisager l’évolution du patrimoine naturel français dans les décennies à venir.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

Le terme de biodiversité, synonyme de diversité biologique, est un néologisme apparu au début des années 1980 au sein de l’UICN, Union Mondiale pour la Nature ; mais son usage ne s’est largement répandu qu’à partir de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement organisée par les Nations Unies en 1992, qui représente un tournant majeur dans la prise de conscience des enjeux du patrimoine naturel.

En son sens le plus large, il désigne la variété des espèces vivantes qui peuplent la biosphère. Mais une définition plus restreinte conduit à préciser ce concept en fonction de trois niveaux différents d’organisation du monde vivant : on distingue généralement la diversité génétique — ou diversité au sein des espèces —, la diversité spécifique — ou diversité des espèces —, et la diversité écologique des écosystèmes ou habitats 1.

RETROSPECTIVE DE LA BIODIVERSITE EN FRANCE

La France possède une biodiversité écologique remarquable, due à la possession de départements et territoires d’outre-mer, mais aussi à la situation géographique du territoire métropolitain où se rencontrent quatre des cinq grands domaines biogéographiques 2 européens : celui-ci regroupe une zone atlantique, une zone d’influence centre européenne de climat continental, une zone de climat orophile (habitats d’altitude alpins et pyrénéens) et une zone méditerranéenne, qui représente à peine 15 % de la surface de l’hexagone mais dont le patrimoine naturel est particulièrement riche. La biodiversité de la France métropolitaine est ainsi, après celle de l’Espagne, la plus élevée de l’Europe occidentale.

Faune et flore françaises représentent une part importante du patrimoine naturel de l’ensemble du continent : les espèces connues en France métropolitaine sont au nombre de 972 pour les vertébrés, et de 38 750 pour les invertébrés dont 34 600 sont des insectes ; une grande partie de ceux-ci restent mal connue, mais on estime que leur nombre total est d’environ 40 000, ce qui correspond à la moitié de la faune européenne. La France comprend près de 40 % de la flore européenne de plantes supérieures ; elle compte environ 6 020 espèces actuellement connues et 15 % de la flore spontanée est endémique3 ou subendémique.

Cependant l’intensification, au cours du dernier demi-siècle, des pressions diverses sur la nature a renforcé les menaces qui pèsent sur la biodiversité, que son importance exceptionnelle en France rend d’autant plus préoccupantes. En effet, son érosion s’est notamment manifestée à travers l’extinction d’un certain nombre d’espèces, qui devient significative si l’on remonte au XIXe siècle : ainsi, depuis le début de ce siècle-ci, au moins 12 espèces d’oiseaux ont disparu dans les Dom Tom ; sur le territoire métropolitain, 8 espèces de vertébrés ont définitivement disparu en tant qu’espèces reproductrices depuis 1850 ; 34 espèces végétales depuis le début du XXe siècle, la dernière en date étant le statice de Duby sur la rive du lac d’Hossegor dans les Landes ; plus récemment, depuis 1970, l’on dénombre deux espèces connues en moins : le phoque moine sur la côte méditerranéenne et l’érismature à tête blanche en Corse. 1 Habitat : milieu biologique qui rassemble les conditions dans lesquelles s’épanouit une espèce. 2 Domaine biogéographique : domaine défini par un ensemble de conditions de répartition des habitats, telles que les variations du climat, des sols, et des grands types de végétation. 3 Espèce endémique : espèce caractéristique d’une région exiguë.

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Des efforts considérables ont cependant permis de sauvegarder et reconstituer les effectifs de quelques espèces de grands vertébrés. Au sein des mammifères, le chevreuil et le cerf — grâce à la gestion cynégétique — sont en expansion, de même que le chamois ou le castor. Le bouquetin, le lynx dans les Vosges et le loup dans les Alpes sont des espèces qui voient leur nombre augmenter à nouveau après avoir été réintroduites en France. L’exemple du loup, que la France s’est engagée à préserver au moment des accords internationaux de Berne et de Bonn, est un des plus connus. Ayant disparu en tant qu’espèce sédentaire de notre territoire probablement depuis le début des années 1930, il s’est spontanément réinstallé dès la fin des années 1980 à partir d’individus issus de la population italienne, dans le parc national du Mercantour, puis dans l’ensemble du territoire alpin. Sa croissance fut suivie avec efficacité, avec l’aide du programme Life financé par l’Union européenne à partir de 1997. Mais depuis deux ans, les effectifs stagnent autour d’une vingtaine d’individus, chasseurs et bergers cherchant à les éradiquer. Certaines espèces d’oiseaux ont pu également bénéficier de politiques de réintroduction ou de soutien à la croissance, comme par exemple le flamant rose, le gypaète barbu des Alpes, le vautour moine, ou le faucon pèlerin.

Cependant de nombreuses espèces de vertébrés, parmi lesquelles 24 mammifères, sont actuellement menacées. Un des exemples notoires est celui de l’ours des Pyrénées. Sa population française comptait près de 200 individus en 1930. En 1954, le docteur Couturier, spécialiste réputé de cette espèce, estimait son effectif à 70 individus. Celui-ci est tombé à 30 en 1967, époque où des mesures volontaristes de protection auraient facilement permis la reconstitution de cette population. Or elle ne comptait plus que 10 à 12 individus en 1976 et 7 en 2001.

Le déclin de l’avifaune est peut-être plus spectaculaire encore : 51 espèces sont actuellement menacées, selon les critères de l’UICN, et 155, soit près de la moitié des oiseaux régulièrement présents en France, sont recensés sur les listes rouges et oranges françaises, c’est-à-dire montrent un statut de conservation défavorable. Des espèces communes et très chassées autrefois comme la perdrix rouge, la perdrix grise et l’ortolan se sont considérablement raréfiées au cours du dernier demi-siècle. Le râle des genêts (improprement dénommé par les chasseurs “ roi des cailles ”), encore présent en nombre relativement important au début des années 1950 a si bien régressé qu’il est classé en danger d’extinction dans l’ensemble de l’Union européenne. Le faucon crécerelle, l’aigle de Bonelli, le grand tétras, et la bécassine des marais sont d’autres exemples, cette dernière étant une des espèces les plus menacées en France. Plus généralement, des groupes taxonomiques dans leur ensemble ont connu un déclin spectaculaire : on estimait ainsi que 300 000 Anatidés (canards) hivernaient en Camargue au début des années 1950 ; or ils ne sont plus que 150 000 aujourd’hui.

Les poissons d’eau douce sont caractérisés par une faible diversité biologique, contrairement au reste de la faune ; de plus, seuls les deux tiers environ des espèces présentes en France sont indigènes. Ce milieu est également affecté par l’érosion de la biodiversité : le saumon (présent dans la Loire et dans l’Allier), l’esturgeon d’Europe et l’apron, de la famille des perches, sont des espèces menacées, surtout en ce qui concerne ces deux dernières. Parmi les 6 espèces de reptiles menacées, on peut citer la tortue d’Hermann présente en région méditerranéenne, en voie d’extinction aujourd’hui.

Bien qu’il soit plus difficile de l’évaluer, la biodiversité des invertébrés apparaît elle aussi en déclin. Ceci est d’autant plus préoccupant pour les insectes qu’ils jouent un rôle indispensable dans la fécondation des plantes, la formation des sols, la défense des cultures et des forêts, ou encore pour la recherche médicinale. De nombreuses espèces autrefois très communes comme le hanneton ou, chez les papillons, la vulgaire piéride du chou, se sont considérablement raréfiées.

Pour l’ensemble de la France métropolitaine, on dénombre en juin 2001 123 sur 972 espèces de vertébrés menacées, dont 45 en danger, selon les critères de l’UICN ; 111 espèces d’invertébrés et 387 espèces de plantes menacées — qui sont surtout des espèces des pelouses, rochers et éboulis, puis des milieux humides et des bords de mer.

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LES CAUSES DU DECLIN DE LA BIODIVERSITE

La biodiversité est mise en danger par les pressions que la société exerce sur la nature, conséquences de politiques d’aménagement peu soucieuses de sa conservation, de l’urbanisation ou d’activités économiques relevant des différents secteurs. Mais il existe une autre menace, qui résulte de l’introduction incontrôlée d’espèces animales ou végétales : celles-ci colonisent les écosystèmes français, ce qui met en danger leur équilibre et réduit leur diversité écologique. Ce premier facteur est indirectement lié à l’activité humaine ; mais l’impact le plus négatif provient des effets directs de cette dernière.

Ainsi l’aménagement du territoire a souvent conduit à la destruction d’habitats voire d’écosystèmes entiers, en particulier lors de l’assèchement des zones humides. Celui-ci se poursuit encore aujourd’hui, en dépit des conventions internationales signées par la France. Un cas remarquable est celui du marais poitevin, qui a perdu son statut de parc naturel régional : en une dizaine d’années, plus de la moitié de sa surface marécageuse fut drainée pour être convertie en champs de maïs, et ceci avec l’aide de subventions régionales et nationales.

L’incohérence des pouvoirs publics concernant l’aménagement et la gestion des espaces naturels s’est aussi manifestée dans le cadre de la politique menée par l’office national des forêts. Celle-ci était fondée sur une recherche inconditionnelle de l’accroissement de la production ligneuse au détriment de la biodiversité des forêts. Elle a conduit à l’extension des “ champs d’arbre ”, constitués de plantations de conifères ou d’eucalyptus, et de très faible diversité écologique ; or ce type de forêt couvre aujourd’hui quelques centaines de milliers d’hectares et prédomine sur les forêts aux cycles sylvigénétiques4 qui représentent quelques dizaines de milliers d’hectares. Les forêts anciennes semi-naturelles restent cependant majoritaires avec 1,5 million d’hectares, et depuis dix ans les pouvoirs publiques privilégient la préservation de leur biodiversité.

La gestion du patrimoine naturel doit aussi faire contrepoids aux menaces que représente le développement économique. La pêche a ainsi fait l’objet de nombreuses réglementations européennes visant à préserver les stocks halieutiques. Exploitant préférentiellement certaines espèces, cette activité modifie les densités respectives des populations de chaque écosystème ; la mer du Nord en particulier a connu ainsi des bouleversements majeurs, même si leur ampleur fut moindre qu’en d’autres régions du globe. Il en résulte aussi un danger d’extinction à terme pour plusieurs espèces. Le merlu européen est à ce titre un exemple intéressant : exploité par la France, l’Espagne et le Royaume Uni à partir des années 1930, sa population a considérablement diminué, comme le montre l’effondrement du recrutement (c’est-à-dire du nombre de captures), en raison de prises importantes de juvéniles immatures et d’une activité trop intensive qui ne permet pas au stock de se renouveler. La mise en place de mesures destinées à éviter la surpêche est cependant l’objet de litiges entre les pays et s’accompagne du problème de leur mauvaise application.

Un autre facteur d’érosion silencieuse de la biodiversité tient au développement incessant d’une agriculture industrielle qui privilégie les espèces les plus rentables au détriment des autres ; parmi lesquelles plusieurs ont disparu ou sont proches de l’extinction. À cela s’ajoute la pollution résultant d’un recours massif aux engrais chimiques et aux pesticides, dont l’action néfaste s’étend largement autour des zones de culture. Avec environ 95 000 tonnes de pesticides utilisées pour l’agriculture dans les années 1990, la France vient au second rang des pays de l’OCDE après les États-Unis. L’agriculture intensive n’est pas la seule responsable de la perte de biodiversité, celle-ci pouvant aussi résulter de l’embroussaillement accompagnant la déprise agricole.

Activités industrielles et urbanisation sont sources de fortes pressions sur la nature, que ce soit par la pollution qui en résulte ou par la perte d’espaces naturels. Celle-ci est estimée à 0,5 % par an pour le littoral et chaque année l’urbanisation gagne, sur l’ensemble du territoire, entre 50 000 à 60 000 hectares. La diversité biologique est également menacée par les pluies acides, qui contribuent à l’altération des forêts et des lacs ; or les précipitations en France demeurent légèrement acides (pH voisin de 5 en moyenne sur les cinq dernières années).

Le secteur tertiaire a aussi sa part dans l’érosion de la biodiversité avec le développement des activités de tourisme et de loisirs, qui exercent une pression très forte sur le littoral et les zones de montagne. La chasse, 4 Sylvigénétique : qui se maintient grâce à une dynamique interne naturelle.

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activité importante dans un pays qui compte environ 1,65 million de chasseurs, a pu représenter un danger important quant à la conservation de certaines espèces, mais aujourd’hui, d’après l’OCDE (dans l’Examen des performances environnementales en France), une législation plus stricte et une meilleur formation des chasseurs a réduit cette menace, permettant même à cette activité de jouer un rôle positif.

C’est en raison d’un manque de préoccupation pour la conservation du patrimoine naturel que l’activité humaine a eu des conséquences négatives sur la biodiversité. L’avenir dépend de l’impact que peut exercer la prise de conscience des enjeux d’une telle richesse sur l’efficacité des politiques d’environnement.

SCENARIOS POUR LES TROIS PROCHAINES DECENNIES

L’élaboration d’une prospective, même approximative, du devenir de la biodiversité, se trouve confrontée à de nombreuses difficultés, qui tiennent en premier lieu à l’incertitude des prévisions en ce qui concerne les politiques mises en œuvres dans ce domaine. L’OCDE dresse un bilan assez positif des mesures appliquées jusqu’à aujourd’hui. Les éventuels progrès ou régressions à venir restent difficiles à évaluer, dans la mesure où ils dépendent des fluctuations futures de la politique industrielle et agricole française dans les trois prochaines décennies, des budgets affectés à l’environnement, des modalités et de l’efficacité de la mise en œuvre des directives européennes, et des autres engagements supranationaux concernant la protection des espaces naturels. Les transformations institutionnelles du pays auront aussi un impact important ; en effet la décentralisation a conduit à privilégier les intérêts économiques au détriment de la préservation du patrimoine naturel ; celle-ci nécessite donc de nouvelles stratégies à définir dans le cadre régional et communal.

L’avenir du patrimoine naturel dépend en deuxième lieu de l’évolution du contexte socio-économique. La nature de certaines activités économiques peut se transformer radicalement. Il est possible par exemple que l’agriculture connaisse des changements majeurs suite au développement des OGM, dont l’impact sur la biodiversité fait aujourd’hui l’objet d’une controverse.

Les mutations de la biodiversité s’inscrivent en dernier lieu dans celles des grands cycles naturels, qui peuvent résulter des changements climatiques, de la variation en CO2 atmosphérique, des dépôts d’azotes, mais aussi des mutations économiques mondiales. Il est possible d’en prévoir l’impact sur le patrimoine naturel à l’aide d’indicateurs globaux de changements de la biodiversité, mais ceux-ci portent le plus souvent sur une échelle séculaire et non sur quelques dizaines d’années. On peut cependant évoquer ici une estimation à plus court terme de l’évolution des dépôts d’azote : les niveaux acceptables risquent d’être rapidement dépassé sur l’ensemble du continent européen ; en France 25 millions d’hectares seraient concernés en 2010, soit 92 % des écosystèmes, en particulier dans la partie Nord du pays.

Malgré ces incertitudes, il reste utile de tenter une évaluation approximative de l’évolution de la biodiversité en France dans les trois décennies à venir en fonction de l’efficacité plus ou moins grande des politiques mises en œuvre dans ce domaine, toutes choses égales par ailleurs. La brève prospective qui suit présente trois scénarios. Le premier est la simple prolongation de la tendance actuelle. Le second scénario se fonde sur l’application résolue des conventions internationales déjà ratifiées ainsi que des directives et des réglementations européennes mises en œuvre pour préserver la biodiversité ; ce scénario suppose aussi que les pouvoirs publics affectent au patrimoine naturel une part du budget national comparable à celle que lui attribuent les pays de l’Union les plus avancés en la matière comme la Suède. À l’opposé, le troisième scénario repose sur le renoncement des pouvoirs publics à poursuivre une politique de l’environnement, satisfaisant ainsi les groupes de pressions qui s’y opposent.

La poursuite de la tendance actuelle aurait pour conséquence une augmentation du nombre d'espèces animales et végétales menacées qui pourrait selon toute probabilité doubler par rapport à la situation présente, quelques animaux et une dizaine d’espèces végétales pouvant même disparaître d’ici cette date.

Dans la perspective du scénario optimiste, la situation connaîtrait une importante amélioration grâce à la reconstitution des effectifs des espèces classées vulnérables. Des espèces en danger immédiat de disparition, telles que l’ours et le loup, verraient leurs effectifs croître suffisamment pour passer au statut plus favorable

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d’espèces vulnérables. On peut prédire que le nombre d'espèces animales et végétales menacées soit au moins réduit de moitié et cela en conséquence seulement de mesures passives de conservation, sans tenir compte de l’effet bénéfique d'entreprises de sauvegarde active favorisant la reconstitution de populations en voie d'extinction.

Le troisième scénario, pessimiste, prévoit une poursuite de l'artificialisation du milieu naturel, déjà bien avancée en dehors des aires protégées qui ne couvrent que quelques pour cent du territoire ; il se peut que celle-ci conduise au cours des trente prochaines années à une perte annuelle moyenne de 5 % des habitats non protégés. De plus une mauvaise gestion des parcs naturels régionaux ou nationaux pourraient mener à la perte de leur statut. Ce qui laisse prévoir un quadruplement du nombre d'espèces vulnérables ou en danger immédiat d’extinction ainsi que la raréfaction des populations de 90 % des espèces constituant notre patrimoine biologique.

Malgré les nombreuses incertitudes portant sur l’évolution de la biodiversité au cours des trois prochaines décennies, il apparaît cependant que seul un renforcement considérable des actions de conservation passives et actives permettrait à la France de tenir ses engagements internationaux en matière de conservation de la biodiversité, et de redresser la courbe de son déclin.

Sélection bibliographique et sites

• IFEN. L’Environnement en France. Paris : La découverte, 2002

• Muséum national d’histoire naturelle : www.mnhn.fr

• Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles : www.iucn.org

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Tableau 1. Espèces animales et végétales menacées en France métropolitaine

Nombre d’espèces menacées Nombre d’espèces connues 1

dont en danger dont vulnérables

Vertébrés Mammifères Oiseaux 2 Reptiles Amphibiens Poissons et cyclostomes continentaux 3 Poissons et cyclostomes marins

123 357 38 38 65

351 e

9 22 2 3 8 1

15 29 4 8

13 9

Invertébrés Insectes Crustacés Mollusques Echinodermes

34 600 e 2 500 e 1 400 e 250 e

77 1 3 1

18 2 9 0

Plantes vasculaires 6 020 e 97 290

Source : Museum national d’histoire naturelle (SPN), juin 2001 1 Espèces dont la présence est connue et non occasionnelle 2 Oiseaux nicheurs et autres oiseaux séjournant sur le territoire métropolitain 4 Espèces pouvant éventuellement fréquenter les eaux marines une partie de leur vie e : estimation Tableau 2. Bilan patrimonial historique de l'évolution du nombre d'espèces de vertébrés en France

Disparitions définitives Disparitions temporaires Introductions par l'homme avant la 1ère

moitié du XIXe s.

2e moitié du XIXe et XXe s.

avant le XXe s.

réapparition naturelle au XXe s.

Réintroductionstotales *

Apparitions naturelles

avant la 1ère moitié du XIXe s.

2e moitié du XIXe et XXe s.

Mammifères -4 -3 -5 +5 0 0 +4 +6

Oiseaux -2 -2 0 0 0 +15 +1 +5

Reptiles 0 -1 0 0 0 0 +1 0

Amphibiens 0 0 0 0 0 0 0 +3

Poissons d'eau douce

0 -2 0 0 0 +2 +2 +13

Sous-total -6 -8 -5 +5 0 +17 +8 +27

Nombre total d'espèces -14 0 0 +17 +35

NB : Hors espèces à la reproduction non prouvée, occasionnelle ou très localisée. * Concernerait des espèces ayant disparu de la faune de France, non réapparues naturellement, mais

réimplantées par l'homme de façon durable à l'état sauvage. Source : Maurin et al, 1994.

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Tableau 3. Statut des espèces de la flore sauvage en France selon les catégories UICN

Catégorie du Livre rouge de l'UICN Éteint

Présumé éteint

En dangerVulnérable Rare Indéterminé Total

Endémique stricte du territoire national

6 5,6 %

1 0,9 %

16 15 %

67 62,6 %

16 15,0 %

1 0,9 %

107 100 %

Subendémique (France et un pays généralement limitrophe)

1 1,5 %

1 1,5 %

14 20,9 %

35 52,2 %

14 20,9 %

2 3,0 %

67 100 %

Subendémique rare et / ou menacé dans les deux pays concernés

0 0 %

0 0 %

2 33,3 %

2 33,3 %

2 33,3 %

0 0 %

6 100 %

Total des endémiques 7 3,8 %

2 1,1 %

32 17,8 %

104 57,8 %

32 17,8 %

3 1,7 %

180 100 %

Ensemble des catégories 9 1,8 %

16 3,3 %

97 20,0 %

290 59,7 %

70 14,4 %

4 0,8 %

486 100 %

Source : Olivier et al, 1995.

Graphique 1. Les captures et la mortalité par pêche du merlu

Sources : Ifen, Conseil international pour l’exploration de la mer

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Graphique 2. La population de merlus

Sources : Ifen, Conseil international pour l’exploration de la mer

Graphique 3. Estimation du nombre de loups présents en France

Sources : Ifen, d’après les rapports d’activités d’activités du programme Life-Nature “ Le retour du loup dans les Alpes françaises ”, Office national de la chasse et de la faune sauvage, parc national du Mercantour.

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