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3 LES PHONÈMES 3.1 DÉFINITION Nous suivrons, dans cette esquisse, la définition du phonème donnée par les linguistes du cercle de Prague dans les années 1930, comme « l’ensemble, le faisceau, la totalité des propriétés phonétiques concurrentes qui servent à distinguer des mots de significations différentes » (Jakobson, 80, 30). Chaque phonème sera décrit individuellement, en tant qu'élément d'un système et de sous- systèmes, comme un ensemble de traits pertinents permettant de le distinguer des autres éléments du système et comme un ensemble de réalisations phoniques conditionnées par son environnement immédiat. Ainsi, chaque phonème sera défini, d'une part par opposition aux autres phonèmes et d'autre part, par l'ensemble de ses réalisations phoniques les plus significatives. Le concept d'opposition de phonèmes appelle une précision, puisqu'il ne s'agit pas d'opposer un phonème à tous les autres membres du système. La définition de chaque phonème doit se placer dans le cadre du projet plus global qui consiste à définir les systèmes des consonnes et des voyelles de la langue. Ainsi, le système des phonèmes consonantiques sera-t-il constitué de sous-systèmes tels que ceux des ordres de phonèmes, correspondant aux différents points d'articulation, et ceux des séries de phonèmes, correspondant aux différents modes d'articulation. Le système des phonèmes vocaliques sera aussi constitué de sous systèmes d'ordres de phonèmes, correspondant aux différents degrés d'avancement de l'articulateur des voyelles qu'est la langue (correspondant à la forme arrondie ou non arrondie des lèvres), et de sous-systèmes de séries de phonèmes, correspondant aux différents degrés d'abaissement de la mandibule. Dans les deux systèmes, chaque phonème sera défini par opposition aux autres membres des sous-systèmes dont il fait partie, soit ordre ou série ou à ses voisins les plus proches dans l'ordre ou la série. On distingue en dzùùngoo des phonèmes vocaliques et des phonèmes consonantiques. Alors que les premiers fonctionnent comme noyau ou centre de la syllabe, les seconds fonctionnent comme attaque de la syllabe.

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3 LES PHONÈMES

3.1 DÉFINITION

Nous suivrons, dans cette esquisse, la définition du phonème donnée par les linguistes du cercle

de Prague dans les années 1930, comme « l’ensemble, le faisceau, la totalité des propriétés

phonétiques concurrentes qui servent à distinguer des mots de significations différentes » (Jakobson,

80, 30). Chaque phonème sera décrit individuellement, en tant qu'élément d'un système et de sous-

systèmes, comme un ensemble de traits pertinents permettant de le distinguer des autres éléments du

système et comme un ensemble de réalisations phoniques conditionnées par son environnement

immédiat.

Ainsi, chaque phonème sera défini, d'une part par opposition aux autres phonèmes et d'autre part, par

l'ensemble de ses réalisations phoniques les plus significatives.

Le concept d'opposition de phonèmes appelle une précision, puisqu'il ne s'agit pas d'opposer un

phonème à tous les autres membres du système. La définition de chaque phonème doit se placer dans

le cadre du projet plus global qui consiste à définir les systèmes des consonnes et des voyelles de la

langue. Ainsi, le système des phonèmes consonantiques sera-t-il constitué de sous-systèmes tels que

ceux des ordres de phonèmes, correspondant aux différents points d'articulation, et ceux des séries de

phonèmes, correspondant aux différents modes d'articulation. Le système des phonèmes vocaliques

sera aussi constitué de sous systèmes d'ordres de phonèmes, correspondant aux différents degrés

d'avancement de l'articulateur des voyelles qu'est la langue (correspondant à la forme arrondie ou non

arrondie des lèvres), et de sous-systèmes de séries de phonèmes, correspondant aux différents degrés

d'abaissement de la mandibule. Dans les deux systèmes, chaque phonème sera défini par opposition

aux autres membres des sous-systèmes dont il fait partie, soit ordre ou série ou à ses voisins les plus

proches dans l'ordre ou la série.

On distingue en dzùùngoo des phonèmes vocaliques et des phonèmes consonantiques. Alors que les

premiers fonctionnent comme noyau ou centre de la syllabe, les seconds fonctionnent comme attaque

de la syllabe.

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Chapitre 3

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3.2 CLASSEMENT DES PHONÈMES

3.2.1 Classement des voyelles

Les 12 phonèmes vocaliques sont définis comme suit :

/i/ non-arrondi fermé oral

/��/ " " nasal

/e/ " mi-fermé oral

/�/ " mi-ouvert oral

/��/ " " nasal

/u/ arrondi fermé oral

/u�/ " " nasal

/o/ " mi-fermé oral

/�/ " mi-ouvert oral

/��/ " " nasal

/a/ ouvert� oral

/a�/ "� nasal

Le tableau ci-dessous présente les phonèmes du système vocalique.

voyelles non-arrondies arrondies

orales i u

fermées

nasales �� u�

mi-fermées e o

orales � �

mi-ouvertes

nasales �� ��

orale a

ouvertes

nasale a�

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Les phonèmes

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3.2.2 Classement des consonnes

Les 26 phonèmes consonantiques sont définis comme suit:

/p/ obstruant occlusif non-voisé labial /t/ " " " alvéolaire /c/ " " " palatal /k/ " " " vélaire /kp/ " " " labio-vélaire /b/ " " voisé labial /d/ " " " alvéolaire /�/ " " " palatal /�/ " " " vélaire /�b/ " " " labio-vélaire /ts/ " affriqué non-voisé alvéolaire /dz/ " " voisé alvéolaire /f/ " fricatif non-voisé labial /s/ " " " alvéolaire /'/ " " " palatal /x/ " " " vélaire /v/ " " voisé labial /*/ " " " palatal /m/ non-obstruant nasal labial /n/ " " antérieur /�/ " " palatal /+/ " " vélaire /+m/ " " labio-vélaire /w/ " oral labial /l/ " " alvéolaire /j/ " " palatal

Le tableau des consonnes ci-dessous présente en abscisse cinq ordres correspondant à cinq points

d'articulation et en ordonnées deux séries correspondant à l'absence ou à la présence d'obstacle à un

point donné du conduit vocal sans autre facteur de compensation (obstruante vs. non-obstruante).

Chacune de ces deux séries se subdivise encore. Les obstruantes se subdivisent en occlusives, en

affriquées et en fricatives qui chacune se subdivisent en voisées et non-voisées. Les non-obstruantes

quant à elles se subdivisent en orales et nasales.

On remarquera que les labio-vélaires sont classées dans le voisinage des vélaires plutôt que dans celui

des labiales. La raison en est phonotactique, les labio-vélaires partageant avec les vélaires la propriété

de conditionner le trait d'arrondissement de la voyelle brève la suivant dans les mots de structure

[CV -�a], [CV -na], [CV -�aN] ou [CV -na �N] où V - est une voyelle fermée i ou u (cf. : 3.3.2.1 page 62).

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Chapitre 3

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Labiales Alvéolaires Palatales Vélaires Labio Vélaires

non-voisées p t c k kp Occlusives

Voisées b d � �b

non-voisées t s

Affriquées Voisées dz

non-voisées f �

Fricatives s x

Obstruantes

voisées v �

Nasales m n � � �m Non-Obstruantes

Orales w l j

L'analyse du mot phonologique permet de remarquer que les phonèmes consonantiques n'ont pas tous

les mêmes types de distribution. Certains, ainsi, n'apparaissent pas en position intervocalique ou ont

une distribution limitée. Les tableaux suivants reprennent le tableau des phonèmes ci-dessus en se

limitant à la position non initiale, intervocalique, et en distinguant les occurrences dans la classe des

verbes et celles dans la classe des noms. Nous avons, en effet, relevé certaines différences de

comportements entre les deux.

(V)C(V) Nms Labiales Alvéolaires Palatales Vélaires Labio Vélaires

non-voisées t k kp Occlusives

voisées b d �

non-voisées t s

Affriquées Voisées dz

non-voisées

Fricatives f s �

Obstruantes

voisées

Nasales m n � � Non-Obstruantes

Orales l j

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Les phonèmes

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Le premier de ces tableaux ci-dessus donne les phonèmes consonantiques intervocaliques réservés

aux seuls noms simples. Les cases grisées sont celles des phonèmes absents.

Le deuxième donne les phonèmes consonantiques intervocaliques réservés aux seuls verbes simples :

(V)C(V) Vbs Labiales Alvéolaires Palatales Vélaires Labio Vélaires

non-voisées k Occlusives

voisées b d �

non-voisées

Affriquées Voisées

non-voisées

Fricatives f s �

Obstruantes

voisées

Nasales m n � �m Non-Obstruantes

Orales l j

Le troisième enfin résume la situation des phonèmes consonantiques en position intervocalique

commune aux noms et aux verbes :

Labiales Alvéolaires Palatales Vélaires Labio Vélaires

non-voisées t k kp Occlusives

voisées b d �

non-voisées t s

Affriquées Voisées dz

non-voisées

Fricatives f s �

Obstruantes

voisées

Nasales m n � � �m Non-Obstruantes

Orales l j

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Chapitre 3

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La première remarque qui s'impose à l'examen de ces trois tableaux est que le trait de voisement de

toute la série des obstruantes fricatives n'est plus pertinent en position intervocalique. C'est la raison

pour laquelle nous avons déplacé /f/ et /'/ sur la même latitude que /s/.

La rareté de certains phonèmes se trouve soulignée, comme celle de /p/ ou des labiovélaires et en

particulier de /�b/.

Nous devons aussi préciser que nous avons exclu toutes les occurrences appartenant à des mots

d'emprunt. Ainsi, s'il se trouve dans la langue des lexèmes dans lesquels les phonèmes /p/, /c/, /�b/ et

/v/ apparaissent en position intervocalique, il s'agit chaque fois de mots d'emprunt comme /p�/npe0/

"pompe" ou /l�1vu�ru�/ "livre".

3.3 PROBLÈMES D'INTERPRÉTATION VOCALIQUE

On distingue en dzùùngoo de Samogohiri 7 phonèmes vocaliques oraux et 5 phonèmes

vocaliques nasals. L’analyse du système vocalique du dzùùngoo doit rendre compte de deux

difficultés d’interprétation, d'une part le statut phonologique de la nasalité vocalique et d'autre part

celui de la longueur vocalique.

3.3.1 La nasalité

Ainsi que nous avons déjà pu le signaler en 2.2 (La syllabe), la nasalité ne caractérise pas

uniquement le système des voyelles, mais elle est aussi lièe à la structure syllabique. C'est, en fait, la

nécessaire analyse de la nasalité qui permet de mettre à jour des alternances à certaines frontières

morphologiques qui à leur tour ne peuvent être expliquées que si on pose l'existence d'un élément

nasal en position de coda de syllabe.

Si nous plaçons cette analyse au chapitre des problèmes d'interprétation vocalique plutôt qu'à celui de

la structure de la syllabe, c'est que, ainsi que nous pourrons le constater, elle peut nous aider à

comprendre la nasalité vocalique.

Un premier examen de l'inventaire lexical, qui ne tiendrait pas compte de la structure syllabique des

mots, pourrait établir une nasalité vocalique attestée par de nombreuses oppositions dans toutes sortes

de contextes consonantiques, nasal aussi bien qu’oral.

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Les phonèmes

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Exemples 5 :

[dz�4�] "bouche" [dz����] "enfant"

[tsj�0] "couper" [tsj���] "remplir"

[�ba�] "antichambre" [�ba��] "parcelle"

[x��] "os" [x���] "nez"

[ku�] "plante" [ku��] "sorte"

Pourtant, l'analyse morphologique révèle que l'opposition de 5 voyelles orales à 5 voyelles nasales ne

suffit pas à expliquer certains phénomènes d'alternance apparaissant aux frontières de morphèmes.

Ainsi, dans la flexion de certains noms à voyelle finale non fermée (c'est-à-dire appartenant à

l'inventaire [e, �, ��, o, �, ��, a, a�]), on observe des alternances dans la forme de morphèmes tels que le

pluriel défini ou le démonstratif.

Pour ne prendre que le pluriel défini, de forme canonique [–�e/e/]12, il peut être réalisé [-�e/e/] ou [-ne/e/]

sans raison apparente. Dans le cas des voyelles non fermées, une voyelle orale ou nasale finale de

radical nominal peut être suivie de l’une ou l’autre des deux réalisations du pluriel.

Exemples 6 :

[6���] [6��� �e�e/] "nez – les nez "

[dz���] [dz��� ne/e/] "sol – les sols"

[ka/] [ka/ �e/e/] "griot – les griots"

[ka�] [ka� ne/e/] "fleur – les fleurs"

[�o0o0] [ �o0o0 �e/e/] "oignon – les oignons"

[�o/o0] [ �o/o0 ne/e/] "champ – les champs"

Ce qui constitue une différence notoire de comportement par rapport aux voyelles fermées (c'est-à-

dire, celles appartenant à l'inventaire [ i, ��, u, u� ]) pour lesquelles la nasalité de la voyelle est en

relation directe avec la forme de la variante du morphème "pluriel", [-�e/e/] étant associé aux voyelles

orales et [-ne/e/] aux voyelles nasales.

Exemples 7 :

[dz���] [dz��� ne/e/] "graine – graines"

[v�7] [v�7 �e/e/] "chien – chiens"

12Le dzùùngoo est une langue tonale. Toutes les données de cette description sont transcrites avec les tons phonologiques qui peuvent être soit bas, soit moyen, soit haut. Nous avons choisi de transcrire le ton bas avec un accent grave, �ba� "case", le ton haut avec un accent aigu, �a� "miel", et de transcrire le ton moyen avec une barre

horizontale sur la voyelle, f ���� "culture". Précisons aussi que le son [�] n'est pas un phonème mais la réalisation non obstruante intervocalique du phonème occlusif obstruant /d/ (cf. 3.6.8.3 Réalisations phonétiques du phonème /d/)

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Chapitre 3

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L’analyse de ces phénomènes d’alternance révèle l'existence de sous-systèmes vocaliques caractérisés

par des processus phonologiques différents.

Une première remarque s'impose à propos de la nasalité vocalique en général. Quand on considère la

distribution des voyelles orales et nasales, on se rend compte que les voyelles orales n'apparaissent

jamais en position médiane de mot devant une consonne nasale. On peut dire que l'opposition

orale/nasale est neutralisée devant une consonne nasale comme le montrent les exemples suivant :

Exemples 8 :

[bla��ma�] "bleu"

[�a�$ne� ] "lieu"

[k���n���] "odeur"

[k����a���n���] "petit"

Si on considère ce qui se passe à la frontière des lexèmes dans la composition, on se rend compte que

la neutralisation de l'opposition orale/nasale impose là aussi des contraintes phonologiques. Une

voyelle orale finale de radical va être prononcée nasale si elle est suivie par une consonne nasale

initiale de la racine suivante dans la composition.

n�7� "bovin" # na� "mère" = [n��8�na�] "vache"

On peut poser un processus d'assimilation régressive du trait de nasalité de la consonne sur la voyelle

orale qui la précède à une frontière de deux formants d'une base composée. Un tel processus peut être

formulé par la règle : la voyelle orale finale du premier formant d'une base composée est nasalisée

lorsque la consonne initiale du second formant est une nasale. Cette règle peut être résumée selon un

formalisme transformationnel :

Règle : V → V [+nasale] / __ # C[+nasale]

Si nous revenons aux formes alternantes du morphème pluriel défini, on peut les associer au

phénomène inverse de celui décrit par cette règle d'assimilation.

Toutefois, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, les distributions des deux formes orale et nasale du

morphème pluriel semblent pointer vers une partition du système vocalique en quatre groupes de

voyelles.

1. les voyelles orales que n'accompagne aucune alternance nasale :

[i, u] → forme [-re/e/] "pluriel"

2. les voyelles nasales qui sont obligatoirement accompagnées de l'alternance nasale :

[��, u�] → forme [-ne/e/] "pluriel"

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Les phonèmes

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3. les voyelles orales qui peuvent être accompagnées d'une alternance nasale :

[a, e, �, �, o] → formes [-re/e/] ∼ [-ne/e/] "pluriel"

4. les voyelles nasales qui peuvent être accompagnées d'une alternance nasale :

[a�, ��, ��] → formes [-re/e/] ∼ [-ne/e/] "pluriel"

La question est de savoir pourquoi certains noms à voyelle non nasale finale nasalisent le morphème

du pluriel et pourquoi d'autres noms à voyelle finale nasale ne nasalisent pas le morphème pluriel.

3.3.1.1 LA NASALE N DE CODA

Les faits d'alternance nous prouvent que ce n'est pas la nasalité de la voyelle qui est à l'origine

de la nasalisation de la consonne d'attaque non obstruante du morphème pluriel. Nous devons donc

poser l'hypothèse d'un autre élément nasalisant extérieur à la voyelle qui serait responsable de la

nasalisation du morphème pluriel. Nous noterons cet élément avec un N, comme élément nasal,

flottant, sous-spécifié. Le processus d'assimilation progressive pourrait être formulé de la façon

suivante par la règle : la non obstruante orale est nasalisée dans le processus de suffixation lorsqu'elle

est précédée par la nasale flottante N en finale de radical.

C [-obstruante ; -nasale] → C [-obstruante ; +nasale] / VN + __

N n'apparaît pas en surface, du moins pas en isolation. Il appartient donc à une structure sous-jacente,

profonde de la syllabe finale du nom. Comme il n'est pas un segment à proprement parler, on va plutôt

parler d'autosegment ou de segment flottant.

L'hypothèse d'un élément N flottant nous oblige à considérer les phénomènes d'alternance relatifs à la

nasalité en dzùùngoo non plus de façon linéaire, sur le seul plan segmental (la distinction oral/nasal

s'avérant insuffisante), mais sur un palier de la syllabe directement relié au plan segmental. La théorie

autosegmentale développée dans la phonologie du charme et du gouvernement (Kaye et ali., 85)

permet de séparer un palier structurel syllabique d'autres paliers substantiels (segmental ou tonal, par

exemple) reliés entre eux par une ligne de positions squelettales. Le seul plan structurel est le plan

syllabique. La chaîne parlée y est décomposée en une suite de positions squelettales comme dans la

Figure 4 dont j'emprunte le schéma à Georges HERAULT (HERAULT, 89, 45).

À chaque position est affectée une fonction syllabique dominée par l'unité supérieure de la syllabe

représentée par le symbole σ. On distingue trois fonctions dans la syllabe, la fonction d'attaque (A), la

fonction noyau (N) et la fonction coda (C), ces deux dernières étant dominées par le nœud branchant

de la rime (R). L'architecture en paliers différents sert à distinguer les positions squelettales, qui sont

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dominées par des fonctions syllabiques, des unités phonologiques à proprement parler que sont les

segments ou les tons et qui vont se réaliser sur des paliers séparés du palier syllabique.

Figure 4 : représentation autosegmentale en paliers de la chaîne parlée

Nous posons ici l'hypothèse que l'autosegment N correspond à la position de coda dans les syllabes

CVN, CCVN, CVVN ou CCVVN présentées au chapitre précédent de la structure syllabique. Comme

il est flottant, il n'est a priori relié à aucune position squelettale. Il appartient à un palier nasal et n'a

d'existence que comme trait de nasalité sous-jacent. Il s'associe le plus souvent, dans un processus

morphologique de suffixation, sur la droite, à une position squelettale adjacente dans la mesure où

celle-ci correspond à une consonne non obstruante orale.

3.3.1.2 LES EFFETS DE LA NASALE N DE CODA

Si nous reprenons l'exemple de la flexion du nom au pluriel, on peut utiliser la représentation

en paliers pour détailler le processus.

Si la syllabe finale du nom est ouverte, la coda est vide. Que la voyelle soit orale ou nasale, la flexion

s'effectue sans passer par aucun processus phonologique autre que celui de l'affectation du ton sur

chaque noyau syllabique.

Palier syllabique σ σ σ

A R A R A R

N C N C N C

Palier segmental

Palier tonal

Squelette x x x x x x x x x

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Les phonèmes

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Voyelle orale Voyelle nasale

σ σ σ σ

A R A R A R A R palier syllabique N C N C N C N C x x x x x x x x x x squelette v �7 � e/ e/ 6 ��� � e/ e/ v i + � e e 6 �� + � e e palier segmental [v�7�e/e/] [6����e/e/] "les chiens" "les nez"

Dans le cas d'une syllabe fermée, avec une coda N flottante, appartenant au palier nasal et représentée

sur le palier syllabique par un C encerclé, la flexion provoque l'association de la nasale flottante à

l'attaque du suffixe de flexion. L'association est représentée par la ligne pointillée entre le palier nasal

et le palier segmental qui va de l'autosegment N à la non obstruante orale �.

Voyelle nasale Voyelle orale

σ σ σ σ

A R A R A R A R palier syllabique N C N C N C N C x x x x x x x x x x squelette c ��� n e/ e/ k a� n e/ e/ palier segmental c �� +� e e k a +� e e N N palier nasal [c���ne/e/] [ka�ne/e/] "les coins" "les fleurs"

On le voit, le processus reste le même, que la voyelle soit orale ou nasale. L'association correspond à

un processus d'assimilation progressive du trait de nasalité de l'autosegment sur la non obstruante

orale que nous pouvons formaliser par la règle : � devient n dans un processus de suffixation lorsqu'il

est précédé de la nasale flottante.

: + � → n

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Chapitre 3

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La voyelle de la base nominale est ensuite nasalisée.

L'existence de l'élément N est confirmée par ce qu'on observe au point de contact entre deux racines

nominales dans la composition. Il se matérialise sous la forme d'une consonne nasale si la consonne

initiale du deuxième formant de la composition est une occlusive.

dz��� : # ku�n�� "enfant + tête" dz���+ku�+�� "tête d'enfant"

En fait, la matérialisation de l'autosegment N devant une consonne occlusive se fait aussi en position

médiane de racine. Ainsi, le nom composé de l'exemple précédent est-il réalisé [dz ��� � k u� � � �]

"tête d'enfant". Même si le segment consonantique nasal obtenu est homorganique à la consonne

occlusive qui le suit, il appartient à la syllabe précédente et fonctionne comme coda. On peut formuler

ce processus d'épenthèse et d'assimilation par la règle suivante : la nasale flottante N se matérialise en

une consonne non obstruante nasale lorsqu'elle précède une occlusive, que ce soit à une frontière

lexicale dans la composition (exprimée par #), à une frontière morphologique de la flexion (exprimée

par +) ou même à une frontière syllabique à l'intérieur d'un lexème (exprimée par .). Cette consonne

nasale est homorganique à l'occlusive qui la suit. X point d'articulation exprime une variante qui aura

la même valeur des deux côtés de la frontière syllabique, soit labiale, soit alvéolaire, soit palatale, soit

vélaire, soit labio-vélaire.

+nasale # -nasale Règle : N → C -obstruante / __ . C +occlusive X point d'articulation + X point d'articulation

Pour revenir à la composition, si la voyelle finale de la première base est orale, la coda nasale

flottante N a pour effet de nasaliser la voyelle orale de sa syllabe.

b� : # s u "joue + poil" [b��su] "poil de barbe"

Ce processus rappelle, sans surprise, celui que nous avions évoqué en premier lieu, l'assimilation

régressive du trait de nasalité d'une consonne nasale sur une voyelle qui la précède. Le processus ici

est un peu différent. Il peut être formulé par la règle suivante : une voyelle orale est nasalisée par la

nasale flottante de sa coda de syllabe lorsque cette syllabe se trouve à la frontière de deux formants

d'une base composée.

Règle : V → V [+nasale] / __N # C

En fait, il est bien possible que cette règle puisse s'étendre à toutes les voyelles nasales non finales.

Nous posons donc l'hypothèse que toute voyelle nasale non finale appartient à une structure

syllabique fermée CVN, CVVN, CCVN ou CCVVN, et que sa nasalité n'est pas phonologique mais

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Les phonèmes

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phonétiquement conditionnée selon la règle d'assimilation ci-dessus, étendue de la frontière lexicale à

la frontière syllabique.

Selon la pratique générativiste transformationnelle, on devrait poser un certain nombre de règles

d'effacement de l'élément N. En fait, un formalisme autosegmental peut en faire l'économie si on

résume toutes ces règles dans les trois processus morphophonologiques en œuvre.

En premier lieu, on rendra compte des deux processus d'assimilation, pour lesquels la flottante nasale

de coda ne fait que propager le trait [+nasale], soit à droite, sur le segment consonantique, soit à

gauche, sur le segment vocalique.

- assimilation de la nasalité à la voyelle orale devant consonne obstruante :

σ σ σ σ

A R A R A R A R palier syllabique N C N C N C N C x x x x x x x x squelette V C V C palier segmental [-nasale] [+obstruante] [+nasale] [+obstruante] N palier nasal

- assimilation de la nasalité à la non obstruante orale dans la suffixation

σ σ σ σ

A R A R A R A R palier syllabique N C N C N C N C x x x x x x x x squelette V + C V C palier segmental [-obstruante] [-obstruante] [-nasale] [+nasale] N palier nasal

En second lieu, on doit rendre compte de l'épenthèse ou matérialisation d'une non obstruante nasale

devant une occlusive.

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Chapitre 3

54

σ σ σ σ

A R A R A R A R palier syllabique N C N C N C N C x x x x x x x x x squelette C C C palier segmental [+occlusive] [+nasale] [+occlusive] [X pt d'art.] [X pt d'art.] [X pt d'art.] N palier nasal

Ces deux dernières règles sont suivies de la nasalisation de la voyelle précédente par assimilation

régressive.

On signalera enfin que la nasalité vocalique qui ne s'accompagne pas d'alternance nasale (c'est à dire

celle des syllabes ouvertes) reste marginale par rapport à l'autre. En effet, ce n'est que dans la

catégorie des noms que les voyelles ouvertes et mi-ouvertes nasales appartiennent à des syllabes

ouvertes sans autosegment nasal de coda. Et sur une liste de 335 bases nominales simples à voyelle

nasale, on ne compte que 52 items (soit 16%), à ne pas être associés à la nasale flottante.

Dans les catégories des verbes, des adjectifs, des adverbes et des catégories mineures, les voyelles

nasales s'accompagnent toujours de nasalisation aux frontières morphologiques. On signalera juste

que ces opérations morphologiques dans lesquelles intervient la nasale de coda sont plus rares que les

opérations nominales. Ainsi, pour les verbes, c'est le morphème de l'inaccompli, dans le contexte très

restreint d'une phrase interrogative, et lorqu'il est directement suivi du morphème de l'interrogation,

qui réalise sa forme canonique /-da// dans une forme alternante nasale [–na/] (cf. 11.1.1.1).

Exemple 9 : Verbe ka��N "s'opposer" : a � ka � na � ! �

3S s’opposer�IAC ?

"est-ce qu'il s'oppose ?"

Pour les autres catégories, c'est soit les morphèmes nominaux comme le pluriel, soit des postpositions

comme /-da/ ou /-de/ qui prennent une forme alternante nasale.

Exemple 10 : Déterminant p��$N "nul" : m o �o � p��#n ne � t s% &% &

gens nul GEN cour

"la cour de personne"

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Les phonèmes

55

L'analyse des processus à l'origine des alternances nasal / oral aux frontières de morphèmes aboutit à

poser une dimension syllabique à la nasalité qui a des effets, non seulement sur les consonnes non

obstruantes, mais aussi sur les voyelles orales. Il est donc nécessaire de compléter cette analyse par

une analyse des distributions des voyelles orales et nasales dans les syllabes ouvertes et fermées.

3.3.1.3 LES DISTRIBUTIONS DES VOYELLES ORALES ET NASALES

Nous avons déjà posé que, dans un mot de plus d'une syllabe, toutes les voyelles nasales non

finales appartiennent à des structures syllabiques fermées et sont des phonèmes vocaliques orals

nasalisés par l'élément N de coda. Il est en effet impossible de savoir si la nasalité de telle ou telle

voyelle lui est inhérente ou si elle est conditionnée par son environnement. Il n'est que certains noms

composés pour lesquels on puisse affirmer que la voyelle du premier formant est réellement nasale.

Exemple 11 : /ta�$a�$/ # /b����/ � [ta�$a�$mb�0�0] "vieille" = "femme vieux"

Mais, ainsi que le montre l'exemple ci-dessus, la nasalité vocalique a aussi cette propriété de

prénasaliser l'occlusive initiale du deuxième formant d'une base composée, rendant ainsi impossible la

tâche de distinguer, dans cette position, entre voyelle proprement nasale et voyelle nasalisée, pour

toute autre unité lexicale que des noms composés dont on est sûr de la nature nasale du premier

formant.

Pour les syllabes finales ou pour les monosyllabes, nous avons déjà signalé que ce ne sont que les

voyelles nasales ouvertes et mi ouvertes qui peuvent apparaître dans des syllabes ouvertes. Les

voyelles nasales fermées sont toujours accompagnées de la variante nasale de morphèmes tels que le

pluriel défini. Elles appartiennent donc exclusivement aux syllabes fermées.

On peut dès lors poser pour l'inventaire V des syllabes C(C)V(V) :

i u

e o

�� � � ��

a� a

Les voyelles fermées orales i et u n'appartiennent pas aux types syllabiques fermés. Tous les autres

phonèmes vocaliques peuvent en revanche être associés à la nasale de coda N. On peut donc poser

pour l'inventaire V des syllabes C(C)V(V)N :

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Chapitre 3

56

�� u�

e o

�� � � ��

a� a

On notera toutefois une exception à la non compatibilité des voyelles fermées orales aux syllabes

fermées. Il s'agit du cas où, dans une syllabe CVVN, la voyelle fermée appartient à une diphtongue

fermante dont la voyelle principale est une mi fermée.

Exemples 12 : do�u/n "intérieur" se��4n "calebasse"

te/�7n "monter"

Nous verrons par la suite que ce type de diphtongue se comporte plus comme une voyelle longue (cf.

3.5.3). Elle est de fait réalisée comme voyelle longue par certains locuteurs, et elle se comporte

comme tel dans la flexion nominale du défini et dans la flexion verbale de l'inaccompli.

Exemples 13 : do�u/n � do�o/ "intérieur" � "l'intérieur" se��4n � se�e/ "calebasse" � "la calebasse"

te/�7n � a/te/e� "monter" � "il monte"

3.3.1.4 PERSPECTIVE COMPARATIVE

Denis Creissels, dans son ouvrage sur les structures phonologiques des langues africaines

consacre tout un chapitre au fonctionnement de la nasalité. A la page 99, il écrit: «… on peut

distinguer dans les parlers mandingues deux types de nasalité vocalique, tant du point de vue

synchronique que du point de vue diachronique :

- certains parlers ont créé à partir de séquences *VN ou *VNC des voyelles nasales qui

généralement entrent dans divers types d'alternances qui justifient jusque dans la description

synchronique de les interpréter comme acquérant leur trait de nasalité au contact d'une consonne sous-

jacente;

- d'autres parlers ont créé par contraction de séquences *VNV des voyelles nasales qui se

distinguent par leur stabilité absolue et leur absence d'influence sur leur environnement.

Dans le cas des parlers mandingue, c'est la comparaison dialectale qui montre que des voyelles

nasales ne se comportant pas synchroniquement comme celles issues de séquences *VN où N

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Les phonèmes

57

appartient à la même syllabe que V ont vraisemblablement leur origine dans la contraction de

séquences *VNV.»

Même si le dzùùngoo n'appartient pas au groupe des parlers mandingues, il est intéressant, dans une

perspective comparative mandé, plus large, de se pencher sur les langues les plus proches du

dzùùngoo que sont le duun du Mali, le sembla et la variété de jula parlée dans la province du

Kénédougou qui s'apparente peut-être plus au bambara.

Dzùùngoo français autres langues mandés

v �' v �

dz��n enfant de� (dioula), d�� (duun), du�nu� (sembla)

vu�n herbe b�� (dioula), vu� (duun), bu� (sembla)

n����n langue n�� (dioula) n�d�� (duun)

���n danse d�� (dioula) �u;�� (duun)

kpa�n saison sèche kpa�a� (duun)

�ba�n parcelle wala� (dioula)

sa�n branche c�� (sembla) sau� (duun)

Cette première liste concerne des noms avec une voyelle nasale accompagnée de la nasale flottante N

et qui présentent donc des phénomènes d'alternance nasale à leur frontière. Elle fait correspondre les

noms en dzùùngoo avec leurs équivalents dans les autres langues mandés où existe des corrélats. On

voit dans ces exemples se dégager une correspondance entre voyelle nasale alternante en dzùùngoo et

voyelle nasales dans ces langues.

v ' v � ou v '

k�in oiseau k�n� (dioula), ka� (sembla), ka (duun)

sw�in étoile cos�n (duun)

c�n sein s�� (dioula), c��na (duun)

cen panier s��s�� (dioula), fo�o� (sembla)

fon goître f�l�� (dioula)

s�n coeur s�� / s� (dioula)

kan fleur ka� (Samogogouan & duun)

baan balafon bala� (dioula), ba�a� (duun)

Cette deuxième liste concerne les noms avec une voyelle orale accompagnée de la nasale flottante N

et qui présentent donc des phénomènes d'alternance nasale à leur frontière. On voit dans ces exemples

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Chapitre 3

58

se dégager une correspondance entre voyelle orale alternante en dzùùngoo et voyelle nasale ou en

contexte nasal dans les autres langues.

Dzùùngoo français autres langues apparentées

v � v 'v, vgv

my�� fer +=m��;�� (duun), mo+�� (sembla)

tsy�� arachide ti�� (dioula), 'i;�� (duun)

fa� force fa��a (dioula), fe+a (sembla) fa;a� (duun)

�a� nid �a�a (dioula) �a� (duun)

ta� tamarin tomi (dioula) ta�a� (duun)

m�� sorgho m�� (sembla)

s�� prix s���� (dioula) s��;�� (duun)

s�� éléphant su+�� (Samogogouan)

Cette troisième liste concerne les noms avec une voyelle nasale sans alternance nasale à la frontière.

On voit dans ces exemples se dégager une correspondance entre voyelle nasale en dzùùngoo et

séquence VNV ou VgV ou encore V: dans les autres langues.

Cet exercice de comparaison linguistique semble confirmer l'observation faite sur les parlers

mandingues. Dans le cas du dzùùngoo et de ses voisins, les voyelles, nasales ou non, qui

s'accompagnent de phénomènes d'alternance correspondent généralement à des voyelles nasales dans

les autres langues, alors que les voyelles nasales qui ne s'accompagnent pas de phénomènes

d'alternance correspondent dans les autres langues à des séquences VNV ou VgV ou à une voyelle

longue.

3.3.2 La longueur vocalique

L'analyse de tout corpus dzùùngoo met facilement à jour l'importance de la longueur vocalique.

La Figure 5 ci dessous le confirme par l'analyse instrumentale opérée sur une paire de mots

opposables par la longueur vocalique13, et prononcés tous deux dans les mêmes conditions

d'élocution. La Figure 10 en page 67 illustre la même opposition de longueur sur une autre paire. Or,

en traitant de la longueur vocalique, on doit considérer séparément deux phénomènes bien distincts,

d'une part le phénomène des voyelles ultra brèves et d'autre part celui des voyelles longues.

13 La paire minimale n'est toutefois pas minimorum puisque le premier mot est à ton moyen alors que le second est à ton bas.

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Les phonèmes

59

Figure 5 : oscillogrammes des mots ba � "latex" et ba �a � "poison", longueur comparée de la voyelle brève a = 134 ms et de la voyelle longue a: = 215 ms 14

3.3.2.1 VOYELLE ULTRA BRÈVE VS. VOYELLE BRÈVE

On rencontre les voyelles ultra brèves (symbolisées V -) dans deux types de contextes différents :

dans les mots de structures [CV -1�V -2] [CV -1�V -2N] et [CV -1nV -2N] (exemples : ba (�) a (� "causerie" t ! (�n! (�#n

"étranger"), et dans les mots de structure [CV -�a], [CV -na], [CV -�aN] ou [CV -na �N] où V - est une voyelle

fermée i ou u (exemples : % *&) a �n "rire", kpu(�na �#n "ronier").

Figure 6 : oscillogramme du mot ba (�) a (� "causerie", longueur de la voyelle ultra brève a

14 Les oscillogrammes reproduits dans le présent travail ont été produits à partir d'enregistrements en direct traités sur le champ par un programme informatique développé par la SIL, WinCECIL Vs 2.2 (Computerized Extraction of Components of Intonation in Language). On notera que, sur l'axe horizontal du temps, la transcription de chaque segment correspond au début de réalisation phonique du segment. Messieurs Traoré Fabé et Traoré Kari de Samogohiri ont gracieusement prêté leur voix à ces enregistrements.

b a � a

Longueur a = 72 ms

b a b a�

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Chapitre 3

60

♦ Dans le premier type de contexte, V1 est identique à V2 des deux côtés du ) ou du n, orale avec )

(ba (�) a (� "causerie") (voir Figure 6 ci-dessus) et nasales avec n (t ! (�n! (�#n "étranger"). Les mots qui

présentent ces structures syllabiques illustrent les restrictions distributionnelles des voyelles

orales et nasales dans les syllabes ouvertes et fermées. Les voyelles fermées orales n'appartenant

pas aux syllabes fermées, V ne peut être ni i ni u dans les mots de structure [CV -1�V -2N]. Les

voyelles e� et o� n'existant pas, V ne peut être ni e ni o dans les mots de structure [CV -1nV -2N].

Exemples 14 :

b�4-�i-4 "petite termite"

c��-ni-�n "ruche"

ke-��e-� "tourterelle"

te-0�e0-n "redresser"

f�-/��-/ "tendon"

k�-0��-0n "récolter"

kp��-$n�-�$n "arbre (sp.)"

ba-/�a/- "causerie"

pa-/�a-/n "seau"

ma-�na-��n "bête"

��-/��/- "sécher"

k�-���-�n "tige"

f�-0n�-��n "singe"

to-��o�- "oreille"

so-��o-�n "sursauter"

fu-�u- "mariage"

vu-�nu��-n "foie"

♦ Dans le second type de contexte, la voyelle brève V - se limite aux seules voyelles fermées

i, ou u et la voyelle de la deuxième syllabe est exclusivement la voyelle ouverte soit orale soit

nasale.

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Les phonèmes

61

Exemples 15 :

f�-/na/ "suie"

ts�-/na/ "aîné"

tsi>0�a0 "feuille"

�i>4�a�n "rire"

m�/-na�$n "ver intestinal"

kpu-/na�$n "ronier"

Ces deux groupes correspondent à deux types de conditionnement différents.

Dans le premier contexte, il est possible d'opposer voyelle ultra brève à voyelle longue (exemples :

ba () a ( "causerie" vs. ba + ) a "travail", comparer les relevés des longueurs de voyelles des Figure 6 et

Figure 7) (autres exemples : se (�) e (�n "iguane" vs. se �+ ) e �n "chaussure", f ! (�n! (�, "singe" vs. f ! �+ n! �, "vomir"...).

Figure 7 : oscillogramme du mot ba+ ) a "travail", longueur de la voyelle longue a:

En revanche, on ne peut pas opposer une ultra brève à une normale. On doit donc conclure que, dans

le contexte de ce type de mot phonologique, précédant ) ou n, toute voyelle non-longue est réalisée

ultra brève.

Reste à discuter le statut phonologique des voyelles longues (cf.: 3.3.2.2).

Dans le deuxième contexte, de structures [CV -�a], [CV -na], [CV -�aN] ou [CV -na �N] où V - est une voyelle

fermée i ou u, il n'est pas possible comme précédemment d'opposer la voyelle ultra brève à une

b a� � a

Longueur de a: = 227 ms

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Chapitre 3

62

voyelle longue. Les mots de structure CVV.CV ou CVV.CVN avec ce type de séquence

consonantique et vocalique sont très rares et ne permettent pas d'opposition. En revanche, pour les

mots de structures CV.CV ou CV.CVN, on remarque que le timbre de la voyelle brève est

parfaitement prévisible : fermée étirée [i] si la consonne la précédant est antérieure ou centrale

[bilabiale, labiodentale, alvéolaire, palatale] (m�>/na�$n "vers intestinal", f�>/na/ "suie", s�>7�a/n "rêve",

ts�-/na/ "aîné", ��>�na� "souris"), et fermée arrondie [u] si la consonne la précédant est postérieure [vélaire,

labio-vélaire] (ku-/na/ "chance", k=pu-/na/ "ronier").

Au niveau perceptif, il est quelquefois difficile de se prononcer sur l'existence même de cette voyelle

ultra brève. Pourtant, lorsqu'on leur demande de transcrire ces mots, les locuteurs de la langue auront

toujours le réflexe de transcrire une voyelle entre les deux consonnes. Le timbre de la voyelle aussi

peut surprendre. On pourrait s'attendre à une corrélation entre le trait acoustique grave/aigu des

voyelles et des consonnes (Jakobson & Waugh, 80, 115 et suivantes). Ainsi, les consonnes labiales

graves [f, m] sont-elles associées à la voyelle fermée étirée aiguë [i] plutôt qu'à l'arrondie grave [u].

Le locuteur de la langue, en articulation ralentie, ne se trompe pas dans le choix du timbre qu'il donne

à la voyelle ultra brève entre les deux consonnes.

L'examen du spectre des ultra brèves des figures 8 et 9 confirment ces choix. Le spectre de la voyelle

ultra brève est représenté dans le cadre supérieur de droite et correspond à l'état de la voyelle au

moment marqué par le curseur, la ligne verticale qui traverse les deux autres cadres de

l'oscillogramme et du spectrogramme. En 8, les valeurs de F1 et F2, les deux premiers formants, sont

celles d'une voyelle aiguë et diffuse (270Hz et 1900Hz) et, en 9, celles d'une voyelle grave et

compacte (300Hz et 900Hz).

Une première approche de ces voyelles ultra brèves pourrait faire interpréter ces mots comme des

mots de structure C1C2V (cf. les types syllabiques page 38) où C2 = soit ) soit n. Une voyelle ultra

brève dont le timbre est conditionné par l'antériorité ou la postériorité du point d'articulation de C1,

est automatiquement introduite entre les deux consonnes. Les oscillogrammes (cadre supérieur de

gauche) des figures 8 et 9 illustrent l'extrême brièveté de ces voyelles qui pourraient nous faire tendre

vers une interprétation monosyllabique de ces mots. Une telle interprétation se heurte toutefois au fait

que la voyelle ultra brève est toujours porteuse de ton, soit celui de la voyelle brève de la syllabe

suivante, soit un ton différent comme dans +mu0na� "suer".

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Les phonèmes

63

Figure 8 : oscillogramme et spectrogramme du mot f % (�na � "suie" avec le spectre de la voyelle ultra brève i ( (longueur = 49 ms)

Figure 9 : oscillogramme et spectrogramme du mot kpu(�na �#n "ronier" avec le spectre de la voyelle ultra brève u(� (longueur = 26 ms)

270 Hz 1900 Hz

300 Hz

900 Hz

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Chapitre 3

64

Il nous semble ainsi préférable de poser le conditionnement phonologique suivant : dans toute

séquence CV1�V2 ou CV1nV215, si V1 et V2 sont de timbres différents, et que V1 est une voyelle

fermée, elle est prononcée ultra brève et de trait non arrondi, ou antérieur16 [i] si la consonne la

précédant est antérieure ou centrale [bilabiale, labiodentale, alvéolaire, palatale], et de trait arrondi ou

postérieur [u] si la consonne la précédant est postérieure [vélaire, labio-vélaire]. On notera comment,

dans ce conditionnement, la priorité est donnée à l'articulatoire sur l'acoustique : c'est le trait

d'antériorité qui conditionne le choix entre [i] et [u] plutôt que l'opposition grave / aigu.

3.3.2.2 VOYELLE LONGUE VS. VOYELLE BRÈVE

Comme nous l'avons vu précédemment, on peut opposer en position médiane des voyelles ultra

brèves à des voyelles longues (ba-/�a-/ "causerie" vs. ba0��a0 "travail", Figure 6 et Figure 7). L'opposition

brève - longue peut aussi se faire en position finale de mot (cf. Figure 5 : opposition ba0 "latex" et

ba/� "poison"). La longueur vocalique ne se limite pas aux seules positions médianes de mots17. Il est

donc important de se prononcer sur l'interprétation à donner à ce phénomène de longueur.

Typiquement, la longueur vocalique peut être interprétée de trois manières différentes. La longueur

vocalique peut être un trait distinctif soit au niveau segmental, soit au niveau syllabique soit au niveau

du mot. Nous passerons en revue ces trois interprétations possibles ainsi que leur validité à décrire la

réalité du système vocalique du dzùùngoo.

3.3.2.2.1 [V:] = /V:/ Les voyelles longues sont-elles des phonèmes à part entière ?

En position finale, on dénombre trois fois plus de voyelles brèves que de voyelles longues. En

position médiane, cette proportion est à peine un peu moindre (70% contre 30%). Le tableau ci-

dessous donne le décompte des fréquences des voyelles brèves et des voyelles longues en position

15 Nous préférons parler de séquence CV1�V2 ou CV1nV2 plutôt que de mot de structure CV1�V2 ou CV1nV2 parce que cette même structure peut apparaître aussi dans des mots de trois syllabes. 16 Nous rappelons ici que, dans la définition des phonèmes vocaliques, l'antériorité de la masse de la langue va toujours de paire avec le non arrondissement des lèvres et que la postériorité de la masse de la langue va toujours de paire avec l'arrondissement des lèvres. On peut dire que les deux paires de traits antérieur-postérieur et arrondi-non arrondi sont corrélatives. 17 Bien que l'analyse instrumentale sommaire ici présentée mette à jour des différences de valeurs moyennes assez prononcées, il conviendrait, dans une étude systématique de la quantité vocalique, de revoir de telles données dans le cadre du timing relatif de la voyelle dans les différents types de syllabes (CV, CCV, CVV, CCVV etc.). En effet, l'on a pu observer une compression / expansion naturelle des éléments vocaliques et consonantiques en fonction de divers contextes et conditions : les sons adjacents peuvent modifier la durée d'un élément, la position du mot dans l'énoncé peut influencer sa durée, la vitesse d'élocution a tendance à atténuer la durée des segments, etc.

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Les phonèmes

65

finale de lexème sur une liste de 2187 items lexicaux. Les voyelles sont classées par ordre décroissant

de fréquence des brèves.

On voit clairement se dégager une différence de fréquence d'un rapport minimum de 1 à 3 entre

voyelles brèves et voyelles longues. Les rapports sont les plus importants entre ��� et �� (1 pour 10) et

entre ��� et �� (1 pour 7). Ces différences de fréquence semblent indiquer une différence de statut

phonologique entre V: et V.

Voyelle brèves Nombre sur 2187 Voyelle longue Nombre sur 2187 Ratio

a 276 a� 94 3

e 250 e� 51 5

i 180 i� 54 3

�� 163 ��� 17 10

a� 140 a�� 26 5

u 136 u� 48 3

� 116 �� 36 3

o 112 o� 41 3

�� 109 ��� 29 4

�� 93 ��� 13 7

� 87 �� 27 3

u� 84 u�� 19 4

Total brèves 1746 Total longues 455 Ratio = 3,8

3.3.2.2.2 [V:] = /V.V/ les voyelles longues participent-elles à deux syllabes différentes ?

Il existe dans la langue des séquences non-ambiguës de deux voyelles qui, si elles ne sont pas

nombreuses, pourraient militer en faveur d'une interprétation des séquences de voyelles en structures

dissyllabiques.

sàó "volonté"

Cependant, ces mots sont très rares et clairement d'origine étrangère (sàó vient de sago "volonté" en

jula). Il existe aussi dans la langue des mots de structure CVV non-ambiguë parmi les verbes fléchis.

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Chapitre 3

66

de�o "disait" (au rétrospectif) � de/ "dire"

Du fait de leur structure morphologique fléchie complexe, on serait tenté de les analyser aussi sur le

plan phonologique comme des structures complexes dissyllabiques. De plus, une mesure

instrumentale montre que la durée de tels mots équivaut à celle de mots de structure dissyllabique

CV.CV.

La comparaison de la plupart des mots à voyelle longue avec leurs correspondants en jula, langue

mandé génétiquement relativement proche du dzùùngoo, indique, sinon une origine clairement

dissyllabique de ces mots, du moins un lien entre ces formes monosyllabiques et des formes

dissyllabiques. C'est le cas observable entre voyelle longue en dzùùngoo et structure dissyllabique

CV.CV en jula, où la consonne médiane est soit l, �, d soit � ou ?.

jula dzu/u/n�oo Français

n�?� no� "salir"

s���� s��$� "prix"

sa?a sa/� "mouton"

fodo fo��n "goitre"

d��� d�/� "dolo (bière de mil)"

sa�a sa�� "tabac"

k�l� ka�� "guerre"

Il est très possible d'envisager pour ces deux listes une liste de proto formes dissyllabiques.

Tout ce qui précède semble plutôt porter vers une interprétation dissyllabique de la longueur

vocalique. Il reste cependant à considérer la troisième interprétation.

3.3.2.2.3 [V:] = /VV/ Les voyelles longues appartiennent-elles à une même syllabe CVV ?

Les faits observés précédemment ne sont toutefois pas assez forts pour exclure l'analyse de la

longueur vocalique comme liée à une structure de syllabe CVV. En effet, une analyse dissyllabique

nous pousserait à poser pour un mot tel que no + "salir" une syllabe no et une syllabe o. Or la syllabe o

n'a pas d'existence propre dans la langue, que ce soit en forme isolée ou même en initiale de mot. Il en

va de même pour toutes les voyelles sauf pour les quatre voyelles a, e, i et ! qui sont des clitiques

personnels,

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Les phonèmes

67

a �- "3ème personne du singulier",

e �- "3ème personne du pluriel",

ou morphèmes grammaticaux

- % . "pluriel indéfini",

- ! � "interrogation".

La syllabe V est donc attestée par ces 4 morphèmes monosyllabiques ainsi qu'en initiale de quelques

mots rares de 2, 3 ou 4 syllabes : a �) / . "même", a �k/ �) / . "intelligence", a �) / ./ &n�� "paradis". Or tous ces

mots de structures V.CV, V.CV.CV et V.CV.CV.CV sont clairement des mots d'emprunt et, à chaque

fois, la syllabe V correspond toujours à la même voyelle a.

Figure 10 : oscillogrammes des mots c % . "to (mets traditionnel)" et c % .i "sommeil",

longueur comparée de la voyelle brève i=96 ms et de la voyelle longue i + = 223 ms

Il est difficile pour ces raisons de considérer les voyelles longues comme participant à deux syllabes

différentes. Nous avons vu premièrement qu'un examen statistique de la longueur vocalique permet

difficilement d'accorder un statut phonologique à V: au niveau segmental. Secondement, il n'est pas

possible non plus d'analyser la longueur vocalique au rang du mot. Il semble donc indiqué de le faire

au niveau de la syllabe. La voyelle longue sera au mieux analysée comme voyelle double noyau d'une

même syllabe. La syllabe à voyelle double sera ainsi analysée en mores, définies comme unités

prosodiques inférieures à la syllabe et dont la durée est équivalente à une brève. Dans la syllabe, la

more sera l'unité vocalique porteuse de ton.

Il existe dans la langue quelques mots qui présentent des séquences vocaliques ambiguës. Ces mots

aussi seront au mieux interprétés comme de structure CVV. La voyelle fermée de ces séquences

ambiguës est en effet chaque fois porteuse de ton et doit donc être interprétée comme more au même

titre que l'autre voyelle.

c i c i�

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Chapitre 3

68

Exemples 16 :

/s���u��n/ "biche"

/do0u/n/ "intérieur"

/kp������/ "vipère"

/p������n/ "décortiquer"

/da0le0�0n/ "engoulevent"

Nous verrons à la section des problèmes d'interprétation consonnantique (cf. 3.5.2) comment les

diphtongues participent à cette même structure de noyau syllabique.

Ayant donc établi que les voyelles longues V: sont interprétées comme des voyelles doubles plutôt

que comme des phonèmes à part entière ou comme appartenant à des syllabes différentes, elles seront

désormais notées VV dans la suite de cette description.

3.4 OPPOSITIONS DES PHONÈMES VOCALIQUES

Selon la définition du phonème que nous avons donnée à la section 3.1, nous présenterons pour

chacun des 12 phonèmes vocaliques de la langue, d'une part, les différents jeux d’opposition qui

permettent d’identifier chacun phonologiquement par rapport aux autres, et d'autre part, les différentes

réalisations phonétiques pertinentes. Chaque phonème sera ainsi défini comme un faisceau de traits

oppositionnels et comme un ensemble de réalisations phoniques.

Pour abréger cette partie, nous n'avons donné ici qu'un exemple pour chaque opposition de phonème.

On se reportera à notre mémoire de DEA (Solomiac, 03) pour l'ensemble de toutes les oppositions.

3.4.1 Phonème /i /

3.4.1.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /i/ ressort des oppositions suivantes :

/i/ ≠ /e / fii "fonio" fe0e0 "quoi"

/i/ ≠ /u/ dzi7 "colle" dzu/ "terre"

/i/ ≠ /%1/ dz�4 "éteindre" dz���n "dire"

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Les phonèmes

69

3.4.1.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /i/ se définit comme non-arrondi par opposition à /u/, fermé par opposition à /e/ et

oral par opposition à /��/.

3.4.1.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /i/ est réalisé comme une voyelle orale, antérieure, étirée d'aperture minima [i].

En position médiane, précédant une consonne nasale, l'opposition oral/nasal est neutralisée. /i/ est

réalisé nasal [��]. En position médiane dans les structures de forme /CV1dV2/et /CV1nV2N/où V1 est

identique à V2 le phonème /i/ est réalisé ultra bref soit [i>], soit [��>]. Le phonème /i/ est réalisé [j] dans

les diphtongues fermantes fonctionnant comme noyau dans les syllabes CVV, CCVV, CVVN et

CCVVN (voir discussion et exemples en 3.5.3).

3.4.2 Phonème /% 1/

3.4.2.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /��/ ressort des oppositions suivantes :

/%1/ ≠ /� �/ s��8n "donner" s��$n "semer"

/%1/ ≠ /u�/ ts��8��8n "sang" tsu�$u�$n "chenille"

/%1/ ≠ /i/ Voir : 3.4.1.1

3.4.2.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /��/ se définit comme non-arrondi par opposition à /u�/, fermé par opposition à /��/ et

nasal par opposition à /i/.

3.4.2.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /��/ est réalisé comme une voyelle nasale, antérieure, étirée d'aperture minima [��].

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Chapitre 3

70

3.4.3 Phonème /e/

3.4.3.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /e/ ressort des oppositions suivantes :

/e / ≠ /� / fe0e0 "quoi" f�0�0 "culture"

/e / ≠ /o/ de/ "dire" do/ "finir"

/e / ≠ /i/ Voir : 3.4.1.1

3.4.3.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /e/ se définit comme non-arrondi par opposition à /o/, mi-fermé par opposition à /i/

et à /�/.

3.4.3.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /e/ est réalisé comme une voyelle orale, antérieure, étirée d'aperture mi-fermée [e].

Il est réalisé nasal devant une consonne nasale [e�]. En position médiane dans les mots de forme

/CV1dV2/et /CV1dV2N/où V1 est identique à V2 le phonème /e/ est réalisé ultra bref [e-].

3.4.4 Phonème /�/

3.4.4.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /�/ ressort des oppositions suivantes :

/� / ≠ /a/ b�/�/ "nombril" ba/a/ "poison"

/� / ≠ /! / '�0 "sexe de la femme" '�0 "noix de palme"

/� / ≠ /� �/ fj�0 "souffler" fj��$n "demander"

/� / ≠ /e / Voir : 3.4.3.1

3.4.4.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /�/ se définit comme non-arrondi par opposition à /�/, mi-ouvert par opposition à

/e/ et à /a/ et oral par opposition à /��/.

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Les phonèmes

71

3.4.4.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /�/ est réalisé comme une voyelle orale, antérieure, étirée d'aperture mi-

ouverte [�]. Il est réalisé nasal devant une consonne nasale [��]. En position médiane dans les mots de

forme /CV1dV2/et /CV1nV2N/où V1 est identique à V2 le phonème /�/ est réalisé ultra bref soit [�-],

soit [��-].

3.4.5 Phonème /��/

3.4.5.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /��/ ressort des oppositions suivantes :

/� �/ ≠ /a�/ f���n "battoir" fa��n "crête"

/� �/ ≠ /! �/ '��� "héritage" '��� "voleur"

/� �/ ≠ /� / Voir : 3.4.4.1

3.4.5.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /��/ se définit comme non-arrondi par opposition à /��/, mi-ouvert par opposition à

/a�/ et nasal par opposition à /�/.

3.4.5.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /��/ est réalisé comme une voyelle nasale, antérieure, étirée d'aperture mi-ouverte

[��].

3.4.6 Phonème /a /

3.4.6.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /a/ ressort des oppositions suivantes :

/a/ ≠ /! / ba/ "étaler" b�/ "plumer"

/a/ ≠ /a�/ na� "mère" na�n "sauce"

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Chapitre 3

72

/a/ ≠ /� / Voir : 3.4.4.1

3.4.6.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /a/ se définit comme ouvert par opposition à /�/ et à /�/ et oral par opposition à /a�/.

3.4.6.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /a/ est réalisé comme une voyelle orale, centrale, d'aperture maximale [a]. Il est

réalisé nasal devant une consonne nasale [a�]. En position médiane dans les mots de forme

/CV1dV2/et /CV1nV2N/où V1 est identique à V2 le phonème /a/ est réalisé ultra bref soit [a-], soit

[a�-].

3.4.7 Phonème /a �/

3.4.7.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /a�/ ressort des oppositions suivantes :

/a�/ ≠ /! �/ fa��n "pente" f���n "fente"

/a�/ ≠ /a/ Voir : 3.4.6.1

/a�/ ≠ /� �/ Voir : 3.4.5.1

3.4.7.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /a�/ se définit comme ouvert par opposition à /��/ et à /��/ et nasal par opposition à

/a/.

3.4.7.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /a�/ est réalisé comme une voyelle nasale, médiane, d'aperture maximale, [a�].

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Les phonèmes

73

3.4.8 Phonème /!/

3.4.8.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /�/ ressort des oppositions suivantes :

/! / ≠ /o/ b���� "vieux" bo�o� "natte"

/! / ≠ /! �/ dz�/ "aubergine" dz��$n "sol"

/! / ≠ /� / Voir : 3.4.4.1

/! / ≠ /a/ Voir : 3.4.6.1

3.4.8.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /�/ se définit comme arrondi par opposition à /�/, mi-ouvert par opposition à /a/ et

à /o/ et oral par opposition à /��/.

3.4.8.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /�/ est réalisé comme une voyelle orale, postérieure, arrondie d'aperture mi-

ouverte, [�]. Il est réalisé nasal devant une consonne nasale [��]. En position médiane dans les mots de

forme /CV1dV2/et /CV1nV2N/où V1 est identique à V2 le phonème /�/ est réalisé ultra bref soit [�-],

soit [��-].

3.4.9 Phonème /! �/

3.4.9.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /��/ ressort des oppositions suivantes :

/! �/ ≠ /u�/ s���n "certain" su��n "jeûne"

/! �/ ≠ /! / Voir : 3.4.8.1

/! �/ ≠ /a�/ Voir : 3.4.7.1

/! �/ ≠ /� �/ Voir : 3.4.5.1

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Chapitre 3

74

3.4.9.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /��/ se définit comme arrondi par opposition à /��/, mi-fermé par opposition à /a�/ et

nasal par opposition à /�/.

3.4.9.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /��/ est réalisé comme une voyelle nasale, postérieure, arrondie et d'aperture mi-

ouverte [��].

3.4.10 Phonème /o /

3.4.10.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /o/ ressort des oppositions suivantes :

/o/ ≠ /u/ so� "rouille" su�u� "plume"

/o/ ≠ /! / Voir : 3.4.8.1

/o/ ≠ /e / Voir : 3.4.3.1

3.4.10.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /o/ se définit comme arrondi par opposition à /e/, mi-fermé par opposition à /u/ et

à /�/.

3.4.10.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /o/ est réalisé comme une voyelle orale, postérieure, arrondie et d'aperture mi-

fermée, [o]. Il est réalisé nasal devant une consonne nasale [o� ]. En position médiane dans les mots de

forme /CV1dV2/et /CV1dV2N/où V1 est identique à V2 le phonème /o/ est réalisé ultra bref [o-].

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Les phonèmes

75

3.4.11 Phonème /u /

3.4.11.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /u/ ressort des oppositions suivantes :

/u/ ≠ /u�/ fu/ "arracher" fu�$n "mélanger"

/u/ ≠ /o/ Voir : 3.4.10.1

/u/ ≠ /i/ Voir : 3.4.1.1

3.4.11.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /u/ se définit comme arrondi par opposition à /i/, fermé par opposition à /o/ et oral

par opposition à /u�/.

3.4.11.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /u/ est réalisé comme une voyelle orale, postérieure, arrondie d'aperture minima

[u].

En position médiane, précédant une consonne nasale, l'opposition oral/nasal est neutralisée. /u/ est

réalisé [u�]. En position médiane dans les mots de forme /CV1dV2/et /CV1nV2N/où V1 est identique

à V2 le phonème /u/ est réalisé ultra bref soit [u-], soit [u��-].

3.4.12 Phonème /u �/

3.4.12.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /u�/ ressort des oppositions suivantes :

/u�/ ≠ /u/ Voir : 3.4.11.1

/u�/ ≠ /! �/ Voir : 3.4.9.1

/u�/ ≠ /%1/ Voir : 3.4.2.1

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Chapitre 3

76

3.4.12.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /u�/ se définit comme arrondi par opposition à /��/, fermé par opposition à /��/ et

nasal par opposition à /u/.

3.4.12.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /u�/ est réalisé comme une voyelle nasale, postérieure, arrondie d'aperture minima

[u�].

3.5 PROBLÈMES D'INTERPRÉTATION CONSONANTIQUE

On distingue en dzùùngoo de Samogohiri 26 phonèmes consonantiques. L’analyse du système

consonantique du dzùùngoo doit rendre compte de deux difficultés d’interprétation à propos du statut

phonologique de deux types de segments.

1. Des segments que l'on peut interpréter soit comme une succession de deux consonnes soit comme

une seule consonne : monophonématisme vs. biphonématisme.

2. Des segments que l'on peut interpréter soit comme des voyelles soit comme des consonnes :

vocalisme vs. consonantisme.

3.5.1 Monophonématisme vs. biphonématisme

On distingue en dzùùngoo trois groupes de segments que l'on peut interpréter soit comme une

succession de deux consonnes soit comme une seule consonne :

♦ les occlusives labio-vélaires [k=p], [�=b] et [+=m], pouvant être interprétées /C/ ou /CC/,

♦ les affriquées alvéolaires [ts] et [dz], pouvant être interprétées /C/ ou /CC/,

♦ les palatales [c], [�], ['], [*] et [�], pouvant être interprétées comme phonèmes /C/ ou comme

alvéolaires palatalisées /Cj/.

Pour l'interprétation à donner aux deux premiers groupes, le premier argument avancé dans ce genre

de discussion sera celui de la structure syllabique canonique. Le type syllabique CCV est attesté dans

la langue (Exemple : bl a � "gros"...). Par contre, le schéma CCCV lui n'est pas attesté. Or il existe dans

la langue des mots comme k=pl a � "queue", �=bl a �,n "l'an passé", t sw��% 2 "salutation", dz je � "reste", mais

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Les phonèmes

77

tous sont ambigus. On doit donc poser /kp/, /�b/, /+m/, /ts/ et /dz/ comme phonèmes afin de respecter

la structure syllabique de la langue. De plus, le phonème /p/ est quasi inexistant dans la langue (moins

de dix mots). Le son [z], lui aussi très rare, n'a pas non plus d'identité phonologique. Il fonctionne,

nous le verrons plus tard (cf. 3.6.10.3), comme allophone du phonème /dz/. On ne peut pas non plus

interpréter kp et �b comme kw et �w puisque des mots en kp et �b existent à côté de mots en kw et

�w.

Exemples : k3p�� % 14n "poche" / kw�� % 14n "sifflement", �=b��#n "défense" / �w��#% 15n "flûte".

Pour ce qui est des palatales, quand on examine le contexte consonantique de /j/ dans la syllabe CCV,

c'est à dire les consonnes d'attaque de la syllabe CjV, on constate que toutes les consonnes sauf les

consonnes alvéolaires, les consonnes palatales et les vélaires (plus quelques autres consonnes peu

fréquentes) peuvent se trouver dans la position C précédant /j/. On peut être tenté dès lors de poser

que la série des palatales ne serait que des alvéolaires palatalisées,

[c] < /tj/, [�] < /dj/, ['] < /sj/, [*] < /zj/ et [�] < /nj/, ce qui ferait l'économie de cinq phonèmes dans

le système18. Cependant, nous adopterons, comme précédemment, une interprétation

monophonématique des palatales pour les raisons suivantes.

♦ Premièrement, le même argument que précédemment peut s'appliquer ici. Si on devait pencher

pour l'interprétation biphonématique, il faudrait poser un nouveau type syllabique CCCVVN pour

des mots comme �w�� % 14n "nourriture"19. Or, ainsi que nous l'avons vu précédemment, un tel type

de syllabe ne présente pas d'exemple non ambigu.

♦ Secondement, les voyelles nucléaires de la syllabe CjV forment normalement un inventaire très

réduit. En effet, la voyelle de CjV appartient à l'ensemble restreint des voyelles non arrondies et

non fermées [e, �, ��, a, a�].

Exemples : v je �e � "lumière" t sj�� "couper" f j��, "vent" v ja � "tissu" bja �,n "excréments". Si les

consonnes palatales sont interprétées comme séquences Cj, alors l'ensemble des voyelles qui

peuvent apparaître dans la syllabe CjV se verrait plus que triplé. Dans ce cas, la voyelle de CjV

peut être n'importe laquelle de l'ensemble des voyelles de la langue

[i, ��, e, �, ��, a, a�, �, ��, o, u, u�].

18 Nous pourrions aussi opter pour une interprétation "consonne vélaire palatalisée" pour les palatales. Cette interprétation se heurterait cependant à plusieurs difficultés. La série des vélaires contrairement à la série des alvéolaires présente, dans la fricative sonore, une lacune par rapport à la série des palatales. De plus, si la palatalisation des occlusives vélaires, en tant que processus, paraît aussi naturelle que la palatalisation des alvéolaires, en revanche la palatalisation de la nasale vélaire l'est moins. 19 �w�� % 14n "nourriture" est un nom dérivé du verbe �!� "manger".

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Chapitre 3

78

♦ Troisièmement, qui découle du secondement, la fréquence d'apparition de la syllabe CCV est très

basse. Si les palatales sont des alvéolaires palatalisées, alors la fréquence des alvéolaires dans les

syllabes CjV sera exceptionnellement élevée, les consonnes palatales étant aussi fréquentes que

les autres consonnes, provoquant comme précédemment un déséquilibre dans le système des sons

de la langue.

♦ Quatrièmement, si [*] doit être interprété comme une alvéolaire palatalisée, alors, il faut donner à

[z] le statut de phonème. Le son [z], en effet, est un allophone de /dz/ devant voyelle ouverte

[a, a�], mais devant /j/, /dz/ continue de se prononcer [dz] et non [*] ni même [d*] (/dzje/ "reste"

[dzje]).

Toutes ces observations nous poussent à interpréter les labio-vélaires, les affriquées et les palatales

comme monophonématiques.

3.5.2 Vocalisme vs. consonantisme

Les segments que l'on peut interpréter soit comme des voyelles soit comme des consonnes sont

les deux semi-voyelles20 j et w. Dans la structure syllabique de base CV, ces deux segments peuvent

apparaître, comme les autres segments consonantiques, dans la position d'attaque. Ici encore, la

structure syllabique permet de trancher entre les deux interprétations. Il n'existe ni de structure

syllabique VV non ambiguë ni de structure de mot V.V. y et w doivent donc être interprétés comme

des consonnes et non comme des voyelles.

♦ [je�] "pronom personnel 2ème personne du pluriel" < /je�/ et non */ie�/

♦ [m�/j�0] "chemise" < /m�/j�0/ et non */m�/i�0/

♦ [w�/] "ville" < /w�// et non */u�//

♦ [ka/a/w��] "surveiller" < / ka/a/w��/ et non */ ka/a/u/��/

Précisons toutefois que les semi-voyelles sont les consonnes les plus sonores de tout le système et

qu'elles partagent beaucoup de traits communs avec les voyelles fermées. De fait, les sons [i] et [u]

alternent respectivement avec les sons [j] et [w] dans la flexion nominale du défini et dans la flexion

verbale de l'inaccompli.

20 Bien que le terme de semi consonne soit préféré par les phonéticiens, et bien que ces phonèmes forment système avec les consonnes, nous utilisons ici le terme de semi voyelle en accord avec la tradition africaniste et pour souligner la réalité de l'ambiguïté acoustique de ces phonèmes telle qu'elle apparaît dans ce chapitre.

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Les phonèmes

79

v�7 "chien" � [vja/] "le chien"

dzu� "faim" � [dzwa@] 21 "la faim"

L'analyse instrumentale spectrographique des segments n'aide pas vraiment à se prononcer sur le

statut plus consonnantique des semi-voyelles comme [j] par rapport aux voyelles fermées comme [i].

L'analyse spectrale des deux sons, illustrée par les Figure 11 et Figure 12, ne montre pas de différence

significative. Le spectre du segment est représenté dans le cadre supérieur de droite et correspond à

son état au moment marqué par le curseur, la ligne verticale qui traverse les deux autres cadres, de

l'oscillogramme et du spectrogramme. En Figure 11, les valeurs de F1 et F2 (350Hz et 1800Hz) de [j]

ne sont pas très éloignées de celles de [i] en 11 (300Hz et 2000Hz).

La seule différence physique observable entre les oscillogrammes (cadre supérieur de gauche) de

Figure 11 et Figure 12 est dans la forme de l'onde des deux sons. En Figure 11, l'onde sonore de [j] est

une onde creuse plutôt consonantique, même si elle anticipe l'intensité de l'onde vocalique de [��]. La

durée de [j] de 49ms aussi contraste avec celle de [ �� ] de 102 ms.

En Figure 12, en revanche, l'onde sonore de [i] est une onde ventrue vocalique au même titre que celle

de [�] (le creux entre [i] et [�] pourrait être interprété comme un [j] de transition). La durée de [i] de

86 ms est comparable à celle de [�] de 129 ms.

On conviendra toutefois que ce type de preuve demanderait à être étayé par plus d'exemples d'analyse

instrumentale.

Dans les types syllabiques CCV, CCVN, CCVV, CCVVN où j et w peuvent apparaître en position de

2ème consonne d'attaque, ils peuvent se substituer à la liquide l. Ils présentent donc les mêmes

distributions que des segments consonantiques. L'interprétation CiV et CuV des séquences CjV et

CwV renvoie à la discussion précédente de l'interprétation des consonnes palatales. Les mêmes

arguments peuvent être évoqués pour repousser cette interprétation.

21 L'accent circonflexe ^ sur le a indique un ton descendant qui n'apparaît que dans les mots fléchis. Ce ton descendant renvoit à une analyse morphophonologique que nous aborderons plus tard (cf. 6.5.2.3).

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Chapitre 3

80

Figure 11 : Oscillogramme et spectrogramme de [ m j�� ] "serpent" avec le spectre de la semi-voyelle [ j].

Figure 12 : Oscillogramme et spectrogramme de [ % .� ] extrait de la phrase [ �e % .� ] "nous marchons" avec le spectre de la voyelle [ i ].

350 Hz

1800 Hz

300 Hz

2000 Hz

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Les phonèmes

81

La discussion sur le statut phonologique des segments j et w ne serait pas complète si on ne signalait

pas le fait le plus important qu'ils n'ont pas le statut de more en ce qu'ils ne sont pas porteurs de ton.

Ils sont en cela distincts des voyelles i et u, comme on peut s'en rendre compte dans les exemples

suivants :

bj��n "fatiguer" bj���/ "fatiguer (inaccompli)"

p������n "décortiquer" p�����$ "décortiquer (inaccompli)"

Le verbe "fatiguer" ne possède qu'une more. Sa flexion de l'inaccompli se réalise donc comme un

rallongement de la voyelle à ton bas, saturant ainsi les positions moraïques du noyau syllabique. Le

noyau syllabique du verbe "décortiquer" en revanche est déjà saturé. Sa flexion de l'inaccompli se

réalise donc comme un ton bas sur la deuxième more de la syllabe.

On peut encore préciser le concept d'unité porteuse de ton (UPT). D'autres données acoustiques

instrumentales peuvent aider à voir quels sont les paramètres physiques en jeu.

L'examen des Figure 13 et Figure 14 ci-dessous permet d'illustrer ce propos. Ces deux tracés

proviennent des mêmes enregistrements que de ceux des Figure 11 et Figure 12. Les deux occurrences

étant sonores, il n'y a pas d'interruption de la courbe de variation de la fréquence fondamentale (Fo)22,

indiquant une activité constante de la glotte. La courbe de variation de Fo du premier tracé montre le

passage d'une valeur voisine de 170 Hertz sur le segment [j] à une valeur voisine de 180 Hertz sur le

segment [ �� ]. En fait, cette courbe montante n'est probablement pas perçue comme une mélodie

montante et évoque plutôt une courbe de séquence de deux sons homotones (à ton moyen en

l'occurrence).

En revanche, dans la Figure 14, le passage d'une valeur voisine de 148 Hertz sur [i] à une valeur

voisine de 166 Hertz sur [ � ], est lui, bien perceptible et correspond à une intention du locuteur de

marquer une différence entre la tonalité du premier segment vocalique (à ton bas) et celle du second

(à ton moyen). Ainsi, si l'on s'en tient au seul examen de la courbe de variation de la fréquence

fondamentale, il est difficile d'interpréter autrement le segment [j] que comme une unité porteuse de

ton, au même titre que l'unité [i] du tracé suivant.

22 La fréquence, F, est avec l'amplitude, A, et la durée, t, une des trois composantes physiques de tout son de la parole. La fréquence fondamentale, Fo, est la composante de base de toutes les fréquences identifiables dans un son voisé. Elle correspond grosso modo à la fréquence de vibration des cordes vocales. Elle constitue l'élément déterminant dans l'identification des tons des langues à tons telles que le dzùùngoo.

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Chapitre 3

82

Figure 13 : Variation de la fréquence fondamentale ou Fo (courbe supérieure en rouge) et de l'amplitude ou A (courbe inférieure en vert) de [ m j�� ] "serpent".

Figure 14 : Variation de la fréquence fondamentale ou Fo (courbe supérieure en rouge) et de l'amplitude ou A (courbe inférieure en vert) de [ % .� ]

extrait de la phrase [ �e % .� ] "nous marchons".

166 Hz

148 Hz

- 8 dB

- 5 dB Fo

A

86 ms 129 ms

170 Hz

180 Hz

- 12 dB

- 7,5 dB

Fo

A

49 ms 102 ms

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Les phonèmes

83

Il faut donc reconnaître que le paramètre physique qui permet de distinguer une unité phonologique

sonore porteuse de ton de toute autre unité phonologique sonore n'est pas la fréquence fondamentale

comme on aurait pu s'y attendre.

La durée du segment non plus ne sera pas le paramètre distinctif. En effet, nous avons déjà vu que des

voyelles ultra brèves peuvent porter un ton (figures 8 et 9 page 63). Ces voyelles peuvent atteindre des

durées de 49 millièmes de seconde aussi brèves que le [j] de la Figure 13 ci-dessus.

Il est donc tout à fait intéressant de se pencher sur la courbe de l'amplitude23 pour observer en quoi les

deux tracés diffèrent. En effet, on peut voir sur le premier tracé la variation d'amplitude rester sur une

sorte de plateau à –12 décibels sur le segment [j] avant de croître très sensiblement en un pic à –7,5

décibels sur le segment [ �� ]. Sur le second tracé, le segment [i] présente un pic d'amplitude sonore à –

8,3 décibels et il est suivi par le segment [ � ] qui présente un second pic d'amplitude sonore à –5,3

décibels. Les deux courbes d'amplitude sont très différentes. La première montre un plateau arrêté à

une amplitude relativement basse, suivie d'un pic correspondant à la voyelle. La seconde montre deux

pics correspondant aux deux voyelles adjacentes. Il semblerait donc que l'amplitude sonore joue un

rôle important dans la distinction entre unité porteuse de ton et autre unité phonologique sonore. En

fait, la courbe de variation de l'amplitude fait ressortir les voyelles, avec leurs pics d'amplitude qui

contrastent avec les consonnes qui présentent plutôt des creux d'amplitude sonore24.

Les semi-voyelles ne sont pas des unités porteuses de ton. Le paramètre physique de l'amplitude

sonore, combiné à l'impossibilité de présenter une courbe mélodique indépendante de leur

environnement, permet de les distinguer des voyelles. En effet, les voyelles, en plus de présenter des

pics d'amplitude sonore, ont la possibilité d'être articulées à une hauteur mélodique complètement

indépendante des segments sonores adjacents.

Le /j/ et le /w/ ne peuvent pas fonctionner comme unités porteuses de ton parce qu'ils ne peuvent pas

présenter différentes courbes ou valeurs tonales qui correspondront, dans un contexte identique à des

différences de sens d'unités significatives. On peut dire que leur rôle tonal est tout transitoire, c'est-à-

dire qu'en tant que segments sonores, ils servent de transition graduelle et sans nuance à la voix pour

23 Courbe désignée par A sur les tracés, et de couleur verte. Il s'agit d'une courbe de variation d'amplitude non absolue, c'est-à-dire mesurée en décibels (dB). L'intérêt d'une telle mesure est qu'elle permet de faire abstraction de facteurs physiques d'amplitude liés aux conditions d'enregistrement pour ne mesurer que les variations relatives à la chaîne parlée. 24 Comme pour la question de la longueur vocalique, nous tenons à préciser qu'il conviendrait, dans une étude systématique des caractéristiques acoustiques des semi voyelles, de revoir et compléter ces données instrumentales.

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Chapitre 3

84

se placer, de façon continue, d'une valeur neutre ou nulle de la consonne d'attaque de la syllabe à la

valeur tonale de la voyelle qui constitue la rime ou du moins le noyau de la syllabe.

3.5.3 Semi-voyelle / j / de coda ou voyelle fermée /i / de diphtongue

La semi-voyelle /j/ présente un autre défi d'interprétation. Sa réalisation [j] apparaît en position

de consonne de coda dans des syllabes que l'on pourrait interpréter comme des syllabes fermées de

types CVC, CVCN, CCVC, CCVCN, CVVC et CCVVC.

Ces syllabes fermées ne constituent pas un phénomène isolé caractérisant une seule catégorie ou un

nombre limité de lexèmes. Près de 200 items présentent cette particularité, appartenant à presque

toutes les catégories, les noms, 143 items, les verbes, 31 items, les adjectifs, 7 items, les adverbes, 5

items, les postpositions, 4 items, les idéophones, 4 items, les pronoms, 2 items, les particules et les

numéraux, 1 item.

Exemples 17 :

CVC b�0j "cochon"

CVCN k�/j25 "oiseau"

CCVC swe�j "certains"

CCVCN mj��$j26 "petit"

CVVC m����j "tomber"

CCVVC vj�/�/j "craindre"

Or, si cette interprétation en syllabe fermée correspond à une réalité phonétique, en revanche, les six

types syllabiques fermés, qu'il faudrait ajouter à la liste des neufs autres déjà présentés, sont

caractérisés par des restrictions tant phonétiques que lexicales et syntaxiques qui constituent de

grandes difficultés d'intégration à l'ensemble du système phonologique de la langue.

25 [k�/j] "oiseau" est de structure CVCN, c'est à dire marqué par la nasale flottante, parce que sa forme "pluriel

défini" est [k�/jne�e/] et non [k�/j�e�e/]. 26 Comme pour [k�/j] "oiseau", la forme "pluriel défini" de [mj��$j] "petit" est [mj��$jne�e/] et non [mj��$j�e�e/].

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Les phonèmes

85

3.5.3.1 RESTRICTIONS PHONÉTIQUES DES "SYLLABES FERMÉES"

On observe en premier lieu des restrictions sur l'inventaire des voyelles nucléaires : V∈ {e, �, ��} pour

les types CVC, CVCN, CCVC et CCVCN. V∈ {e, �} pour les types CVVC et CCVVC.

On note ensuite que la semi-voyelle palatale /j/ est le seul segment qui puisse apparaître en position

de coda de ces types syllabiques. Nous avons déjà pu nous rendre compte que les données acoustiques

sont difficilement utilisables pour trancher sur le caractère plus vocalique ou consonantique des

segments analysés. Les son [i] et [j] sont en effet acoustiquement très proches, et il faudrait étudier en

détail les phénomènes de variance dans les données instrumentales.

Au-delà du rang de la syllabe, on observe encore d'autres restrictions dans la distribution de ces types

syllabiques dans le mot. Dans une base simple (non dérivée et non composée), les syllabes fermées se

rencontrent surtout en finale de mot. Les rares exceptions sont des mots d'emprunts ou des noms dont

on ne peut pas garantir qu'ils ne soient pas composés à l'origine.

Exemple 18 : �be�$j'e/e/ "cassia sieberiana, ou casse flûte".

Les syllabes fermées sont peu fréquentes en position non finale de bases non simples dissyllabiques

ou trisyllabiques. Il s'agit essentiellement de noms composés (30 items), de noms dérivés (12 items),

d'un adverbe composé (1item) et de verbes composés ou dérivés (7 items), en tout 54 items lexicaux

sur une base lexicale de plus de 2500 entrées, soit 2% du lexique.

L'autre restriction lexicale est que les types syllabiques CVVC et CCVVC caractérisent

exclusivement la catégorie des verbes. Dans cette catégorie, il est de plus impossible de les contraster

avec les types CVC et CCVC, ce qui permet de poser pour tous les verbes de structure syllabique

fermée une voyelle orale et longue.

Figure 15 : le verbe "tomber" (prov 011) (fin de proposition) réalisé [ m �+ j]

92 ms 59 ms

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Chapitre 3

86

Au-delà du rang du mot, dans la phrase, la consonne de coda n'est prononcée que devant pause

syntaxique ou syntagmatique, c'est-à-dire, soit en isolation, soit en finale de phrase, de proposition

dans une phrase complexe, soit de constituant syntaxique. L'analyse acoustique ci-dessus (Figure 15)

montre comment la voyelle finale orale [�] du verbe "tomber" est suivie d'une constriction vocalique

antérieure [ i / j ] qui se manifeste acoustiquement par un écartement des deux premiers formants

(représentés par les lignes pointillées rouges) : le 1er est rabaissé et le 2ème est rehaussé par rapport à

leur position.

Figure 16 : le verbe [ m �+ j] "tomber" nominalisé [ m ��+ . m a �+ ] "chute" (prov 041)

Dans tout autre contexte non final, cette consonne est amuïe, mais la perte de la consonne est

compensée par un rallongement vocalique comparable à une séquence VV. Ainsi, l'analyse acoustique

du verbe m����j "tomber" nominalisé en m����ma/a/ "chute" (Figure 16) ne présente-t-elle plus de segment

aigu diffus (écartement des deux premiers formants) après sa voyelle [�], mais un rallongement

vocalique.

On pourrait aussi considérer cette restriction en terme d'alternance : les types syllabiques fermés

CVC, CVCN, CCVC, CCVCN, CVVC et CCVVC alternent avec des types CVV, CVVN, CCVV et

CCVVN en contexte non final. En termes segmentaux, une séquence Vj alterne avec une séquence

VV. Mais l'alternance peut aussi être vocalique : une séquence Vi alterne avec une séquence VV.

La question est de savoir si le son [j] est la réalisation du phonème /j/ en position de coda de syllabe

fermée ou s'il est allophone du phonème [i] en position de seconde voyelle de noyau complexe de type

diphtongue dans une syllabe lourde.

3.5.3.2 ANALYSE COMPARATIVE ET ORIGINE DES "SYLLABES FERMÉES"

On doit premièrement observer que ces types syllabiques caractérisent en particulier les noms dérivés

de type : base verbale + suffixe –i. Ce suffixe sert d'opérateur morpho-sémantique pour construire le

sens de "fait de …" ou "action de …" par rapport à la base verbale à laquelle il s'ajoute.

106 ms 93 ms

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Les phonèmes

87

Base verbale Nom dérivé Type syllabique

f�7 "acheter" [f�7�7] "achat" CVV

se0n "prendre" [se0jn] "bagage" CVCN

fj��$ "demander" [fj��$jn] "demande" CCVCN

ta� "chauffer" [t��j] "préparation" CVC

t�/ "savoir" [tw�/j] "connaissance" CCVC

���� "manger" [�w���jn] "nourriture" CCVCN

bo� "suffire" [bwe�j] "suffisance" CCVC

bu�u/bu/u/ "se frotter" [bu/bu/�7] "miette" CVV

On remarquera la variété des formes alternantes des dérivés selon la voyelle finale de la base verbale.

Si cette voyelle est la voyelle fermée non arrondie (ou non labiale) /i/, la voyelle du dérivé est

logiquement allongée par l'adjonction du suffixe –i. Si elle est fermée arrondie (ou labiale), le dérivé

présente une diphtongue fermante /ui/. Pour toute autre voyelle finale, la base verbale va présenter des

formes alternantes révélant un certain nombre de contraintes de type vocalique au niveau de la

syllabe. Au niveau des processus phonologiques, on peut dire que ce sont les traits de fermeture et de

non labialité27 de la voyelle du suffixe /-i/ qui vont les déclencher sur la voyelle finale labiale28, ou

ouverte de la base verbale. On peut identifier les quatre processus suivants :

� La voyelle ouverte /a/ est fermée d'un degré d'aperture en [�] par assimilation du trait de

fermeture et d'antériorité de la voyelle du suffixe29.

L'association de la voyelle postérieure labiale de la base verbale à la voyelle antérieure non labiale

fermée du suffixe provoque deux processus simultanés :

� la voyelle nucléaire de la syllabe finale de la base verbale assimile le trait de non labialité du

suffixe et conserve son trait d'aperture et de nasalité :

� i � � i

�� i � �� i

o i � e i

� simultanément, et par phénomène de compensation, dans le passage de voyelle labiale à

voyelle non labiale, la protrusion labiale, n'est pas totalement perdue puisqu'elle se manifeste

27 Trait corrélatif au trait d'antériorité qui intervient dans les processus d'asssimilation. 28 Trait corrélatif au trait postérieur. 29 On peut comparer ce processus avec celui, bien connu, de l'évolution de la diphtongue [ai] en [�] en ancien français.

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Chapitre 3

88

dans l'épenthèse de la non obstruante orale labiale30 [w] avec fonction de seconde consonne

d'attaque.

� le suffixe vocalique /-i/, dans le processus, perd sa qualité de segment vocalique [i] pour se

réaliser comme coda de syllabe fermée [j]31.

Une approche comparative de cette question va nous montrer que les processus phonologiques, à

l'origine des restrictions phonétiques sur les syllabes fermés des noms dérivés, ne sont pas étrangers à

la situation de toutes les autres syllabes fermées de la langue.

On notera ainsi que le pendant jula de la dérivation nominale en -i du dzùùngoo s'opère avec un

suffixe -li, -ri ou -ni dans sa variante nasale. À peu de choses près, on peut comparer les différences

vocaliques entre dérivé jula et dzùùngoo avec les alternances observées dans le processus de

dérivation du dzùùngoo.

Base verbale Nom dérivé dzùùngoo Nom dérivé jula

t�/ "savoir" tw�/j l�n�� "connaissance" < l�n "savoir"

Ayant posé cette correspondance avec le jula dans la liste des noms dérivés, on remarque la même

correspondance dans la liste des verbes. Une grande proportion des verbes dzùùngoo de structure

CVVC et CCVVC correspondent à des verbes jula en -ri ou -li. On peut même préciser que les verbes

CVVC correspondent à des verbes qui ont une voyelle ouverte non labiale

(k���/j ≈ kari 6jurer6), alors que les verbes de structure CCVVC correspondent à des verbes jula

à voyelle mi ouverte ou mi fermée labiale (sw�/�/j ≈ sori "être matinal"), selon les mêmes processus

que ceux décrits pour la dérivation nominale.

D'une manière générale, on observe une correspondance assez régulière entre dzùùngoo et jula : là où

le dzùùngoo a une syllabe fermée, le jula à deux syllabes ouvertes ou plus.

Dzùùngoo Jula Français

so/swe�j sosoni moustique

Mais on remarque aussi dans les listes, des correspondances entre monosyllabes en jula et

monosyllabes en dzùùngoo :

30 Le processus semble indiquer une contrainte combinatoire propre au stade actuel de la langue visant à éviter une diphtongue "voyelle labiale non fermée – voyelle non labiale fermée" [�i] ou [oi], l'épenthèse assimilante intervient pour laisser une trace de la voyelle de la base verbale d'origine dans le nom dérivé. 31 Les noms dérivés ont la même propriété d'amuissement de la consonne de coda en position non finale que les bases simples (voir page 86).

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Les phonèmes

89

Dzùùngoo Jula Français

n���j n�� langue

kp���j �be� Clou à jouer

L'examen des correspondances dans d'autres langues mandé plus proches que le jula permet de

formuler une hypothèse quant à une origine possible de la syllabe fermée. Le nom "langue" se dit

/n�d��/ en duungoma32 et /n�/ndi/ en jeri (Kastenholz, 01). On peut reconnaître, dans ces deux mots, un

nom composé d'une base /n�/ ou /n�/n/ signifiant "langue" et d'une autre /d��/ ou /di/ signifiant "enfant,

unité". Le correspondant dzùùngoo au deuxième composant est /dz��/ "enfant, unité" qui entre aussi

dans la composition de noms complexes de parties du corps de petite taille comme ja�a�dz��� "œil",

�a0a0ka0dz��� "côte" ou tsu0dz��� "testicule". On pourrait penser que le mot pour langue en dzùùngoo a pu

être lui aussi un nom composé comme en duungoma ou en jeri. Néammoins, le sémantisme de dz�� va

mal avec celui de la langue, qui est unique dans l'ensemble des parties du corps alors que /dz��/

"enfant, unité" a vraiment le sens d'unité dans un groupe de plusieurs, comme les côtes ou les yeux.

En revanche, on peut penser que la dérivation diminutive a très bien pu être à l'origine d'un nom

comme langue. Les exemples de correspondance ne manquent d'ailleurs pas entre noms à syllabe

fermée en dzùùngoo et noms dérivés diminutifs en jula, ainsi qu'on peut s'en rendre compte dans la

liste suivante :

Dzùùngoo Jula Français

d���j d��n�� Un peu

dz���j��j de���n�� Bébé

f���fw���j f��f��n�� Serpent

k�j k�n�n�� Oiseau

ko/m��$j ka�belen�� Jeune

m���s���j miseli aiguille

so/swe�j soson�� Moustique

twe/j tu�un�� Butte

On retrouve entre ces deux listes les mêmes alternances vocaliques que dans la dérivation nominale

en –i. Il n'est pas déraisonnable de poser à l'origine d'un nom comme n���j "langue" un nom dérivé

diminutif. On peut ainsi envisager, dans le processus, une forme diminutive d'origine dont la dernière

syllabe a été progressivement privée d'accent, ce qui la distingue des formes diminutives actuelles du

dzùùngoo où, au contraire, le dérivatif -r�1�1 correspond à la syllabe accentuée du nom.

Dzùùngoo Jula Français

'�1r�1�1 siran�� piste (petite route)

32 Communication personnelle de Jacqueline et Bart Eenkhoorn.

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Chapitre 3

90

Dans le cas de mots comme n���j "langue", le jula a conservé de la forme d'origine une forme simple,

non dérivée, alors que le duungoma et le jeri ont évolué vers une forme composée et le dzùùngoo vers

une forme dérivée diminutive. Cette hypothèse d'évolutions différentes entre jula et dzùùngoo peut

d'ailleurs être confirmée par des noms composés comme "vésicule biliaire" ou "tabatière" qui

présentent la même composante "gourde, calebasse" en jula bara et en dzùùngoo bon. La forme du

nom dzùùngoo présente les caractéristiques de la dérivation diminutives des formes précédentes, alors

que les formes jula sont non dérivées.

Dzùùngoo Jula Français

p�1bwe0jn kunakunabara Vésicule biliaire

sa0a0bwe0jn sarabara Tabatière

On peut s'arrêter encore sur les correspondances avec le duungoma pour relever que là où le dzùùngoo

a assimilé les traits de non labialité ou de fermeture de la voyelle ouverte, le duungoma a conservé

une forme diphtonguée avec la voyelle non assimilée.

Dzùùngoo Duungoma Français

b�0j baj Cochon

bwe/j boj Soleil

ku�$�w��$j xw��j Cheveu

k����j kaj Casser

fwe�e�j foj Bouillir

Cette liste nous montre que les deux langues, à partir d'un même matériau lexical dissyllabique de

départ, ont évolué toutes deux vers des monosyllabes. Mais le dzùùngoo impose en plus des

restrictions sur les séquences vocalique au sein de la syllabe, alors que le duungoma semble plus

tolérant ou conservateur sur le type de séquence vocalique dans les syllabes lourdes.

Ces quelques exemples tirés de langues mandé voisines du dzùùngoo ont pu confirmer que les

restrictions observées sur les types syllabiques fermés n'étaient pas fortuites. En résumé :

� La dérivation en -i nous donne des indications sur les contraintes de type syllabique imposées

sur les séquences vocaliques tolérées dans les syllabes lourdes.

� La comparaison avec les langues les plus proches du dzùùngoo pointe elle aussi vers des

processus phonologiques associés à la dérivation.

� Parmi les processus phonologiques associés à la dérivation, celui de la consonantisation de la

voyelle i est lié au contexte final ou non final d'énonciation. Il alterne avec un processus de

rallongement vocalique. Il appartient plus au domaine de la forme étique qu'au fond émique

des unités lexicales.

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Les phonèmes

91

Nous préférerons donc considérer les syllabes fermées comme des réalisation phonétiques de syllabes

lourdes à noyau vocalique de type diphtongue.

Ainsi, on peut intégrer les types syllabiques fermés comme réalisations des types existants selon le

tableau suivant :

Syllabe de type diphtongue réalisée

CVV = CVi CVj

CVV = CVi CVVj (verbes)

CVVN = CViN CVj

CCVV = CCVi CCVj

CCVV = CCVi CCVVj (verbes)

CCVVN = CCViN CCVj

Nous signalerons pour terminer le numéral mu/e0�1n "soixante" qui présente l'unique cas de triphtongue

CVVVN de la langue et dont la réalisation phonétique oscille entre [mu�$e��j] et [m/we�����].

3.6 OPPOSITION DES PHONÈMES CONSONNANTIQUES

3.6.1 Phonème /p /

3.6.1.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /p/ ressort des oppositions suivantes :

/p / ≠ /b / pa/da/n "seau" ba/da/ "causerie"

/p / ≠ /f/ p���n "nul" f���n "battoir"

/p / ≠ /v/ p�4 "bile" vi7 "chien"

/p / ≠ /m / pa/da/n "seau" ma/da/ "garder"

/p / ≠ /w/ p���n "nul" w������n "crédit de culture"

/p / ≠ /kp / pa/da/n "seau" kpa/da/n "animal féroce"

/p / ≠ /t/ pa/da/n "seau" ta/da/ "gagner"

en variation libre dans :

s�t� "tous" sap� "tous"

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Chapitre 3

92

3.6.1.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /p/ se définit comme obstruant par opposition à /m/ et à /w/, occlusif par

opposition à /f/, labial par opposition à /t/ et à /kp/ et non-voisé par opposition à /b/.

3.6.1.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /p/ est réalisé comme une consonne occlusive bilabiale non-voisée [p]. Le

phonème /p/ fait partie des phonèmes les plus rares de la langue. Il est inexistant dans toute position

autre que celle d'initiale de radical sur des syllabes à attaque non branchante. Il apparaît en position

médiane de mots d'emprunt comme /p�0npe0/ "pompe à vélo", /la0npa0/ "lampe" ou d'adverbes expressifs

idéophoniques comme /pa0npa0da0pa0/ "face à face" ou dans des structures redoublées comme le verbe

/pa/n�o0pa/n�o0/ "agiter".

3.6.2 Phonème /b /

3.6.2.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /b/ ressort des oppositions suivantes :

/b / ≠ /f/ ba� "fleuve" fa� "farine

/b / ≠ /v/ bu0nu��n "moisissure" vu�nu��n "foie"

/b / ≠ /m / b��8��8n "près de" m������n "ici"

/b / ≠ /w/ b�0�1 "cochon" w������n "crédit de culture"

/b / ≠ /� b / b�0�1 "cochon" �b�0�1 "arbre (sp.)"

/b / ≠ /d/ be/ "aller" de/ "dire"

/b / ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

3.6.2.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /b/ se définit comme obstruant par opposition à /m/ et à /w/, occlusif par

opposition à /v/, bi-labial par opposition à /d/ et à /�b/ et voisé par opposition à /p/.

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Les phonèmes

93

3.6.2.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /b/ est réalisé comme une consonne occlusive bilabiale voisée [b]. Il est réalisé

labialisé [bw] devant une voyelle postérieure: /b�/t��/ "sac" � [bw�/t��]. Le phonème /b/ est un des plus

fréquents de la langue autant en position initiale qu'intervocalique de radical, même s'il n'est pas

associé au plus grand nombre de phonèmes vocaliques (il ne se rencontre en particulier ni avec /��/, ni

avec /u�/).

3.6.3 Phonème /f/

3.6.3.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /f/ ressort des oppositions suivantes :

/f/ ≠ /v/ fi7 "arbre (sp.)" vi7 "chien"

/f/ ≠ /m / fa/ "père" ma/ "corps"

/f/ ≠ /w/ fu/ "lever" wu/ "être bien"

/f/ ≠ /s / f��d��n "lécher" s��d�� "taillader"

/f/ ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

/f/ ≠ /b / Voir : 3.6.2.1

3.6.3.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /f/ se définit comme obstruant par opposition à /m/ et à /w/, fricatif par opposition

à /p/, labial par opposition à /s/ et non-voisé par opposition à /v/.

3.6.3.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /f/ est réalisé comme une consonne fricative labio-dentale non-voisée. Le phonème

/f/ est un des phonèmes les plus fréquents autant en position initiale qu'intervocalique de radical.

Avec les phonèmes /m/ et /dz/, il présente la particularité d'être associé à tous les types syllabiques.

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Chapitre 3

94

3.6.4 Phonème /v /

3.6.4.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /v/ ressort des oppositions suivantes :

/v/ ≠ /m / vu��n "herbe" mu��n "moi"

/v/ ≠ /w/ vu0 "tuer" wu/ "être bien"

/v/ ≠ /s / vw������n "guêpe" sw������n "étoile"

/v/ ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

/v/ ≠ /b / Voir : 3.6.2.1

/v/ ≠ /f/ Voir : 3.6.3.1

3.6.4.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /v/ se définit comme obstruant par opposition à /m/ et à /w/, fricatif par opposition

à /b/, labial par opposition à /*/ et voisé par opposition à /f/.

3.6.4.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /v/ est réalisé comme une consonne fricative labio-dentale voisée. Il fait partie des

phonèmes moyennement à rarement fréquents de la langue. Il est inexistant dans toute position autre

que celle d'initiale de radical.

3.6.5 Phonème /m/

3.6.5.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /m/ ressort des oppositions suivantes :

/m / ≠ /w/ mo/o/ "vingt" wo/ "pronom logophorique"

/m / ≠ /�m / ma0a0 "jeter" +ma/a/ "écarter"

/m / ≠ /n/ mu/u/ "plonger" nu/u/ "sucer"

/m / ≠ /�/ m��� "sorgho" ���$ "fétiche"

/m / ≠ /�/ mo/o/ "personne" +o�o� "arthrite"

/m / ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

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Les phonèmes

95

/m / ≠ /b / Voir : 3.6.2.1

/m / ≠ /f/ Voir : 3.6.3.1

/m / ≠ /v/ Voir : 3.6.4.1

3.6.5.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /m/ se définit comme non-obstruant33 par opposition à /p/, /b/, /f/ et /v/, nasale par

opposition à /w/ et labial par opposition à /n/, /�/, /+/ et /+m/.

3.6.5.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /m/ est réalisé comme une consonne nasale bilabiale [m]. Le phonème /m/ est un

des plus fréquents de la langue autant en position initiale qu'intervocalique de radical. S'il n'est pas

associé au plus grand nombre de phonèmes vocaliques (il ne se rencontre en particulier avec /e/ que

dans un nom d'emprunt), en revanche, c'est lui qui, avec les phonèmes /dz/ et /f/, est associé au plus

grand nombre de types de syllabes différentes.

3.6.6 Phonème /w /

3.6.6.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /w/ ressort des oppositions suivantes :

/w/ ≠ /kp / w������n "crédit de culture" kp������n "clou à jouer"

/w/ ≠ /� b / w������n "crédit de culture" �b�0�1 "arbre (sp.)"

/w/ ≠ /�m / w������n "crédit de culture" +m������n "arbre (sp.)"

/w/ ≠ /l/ wa�d�4 "argent" latsi "conseil"

En position initiale, /w/ et /l/ sont en distributions complémentaires sauf dans le cas de wa�d�4 qui est

un mot d'emprunt.

- Distribution de /w/ : wV ⇔ V appartient à [�, ��, a, �, o, u]

- Distribution de /l/ : lV ⇔ V appartient à [e, a, a�]

33 "L'articulation des non-obstruantes se caractérise par l'absence d'un obstacle ou par l'existence d'autres mécanismes ayant pour effet d'atténuer les perturbations que peut subir le flux d'air du fait d'une occlusion ou d'une constriction… (Il s'agit des) approximantes… nasales… vibrantes… ingressives… Du point de vue acoustique, les non-obstruantes peuvent être qualifiées de résonnantes." (Creissels, 94, p. 107)

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Chapitre 3

96

Les phonèmes /w/ et /l/ s'opposent l'un à l'autre essentiellement dans la position de seconde consonne

d'attaque.

mw������n "riz" mle0n "pomme cannelle"

/w/ ≠ /j / w�/ "ville" j�/ "filet"

vw�/�7 "courir" vj�/�7 "craindre"

/w/ ≠ /k/ wo/ "pronom logophorique" ko/o/ "sel"

/w/ ≠ /� / w�/ "ville" ��/n "cynocéphale"

/w/ ≠ /x/ w�/ "ville" x�� "os"

/w/ ≠ /�/ w������n "crédit de culture" +������n "tige"

/w/ ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

/w/ ≠ /b / Voir : 3.6.2.1

/w/ ≠ /f/ Voir : 3.6.3.1

/w/ ≠ /v/ Voir : 3.6.4.1

/w/ ≠ /m / Voir : 3.6.5.1

3.6.6.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /w/ se définit comme non-obstruant par opposition à /p/, /b/, /f/ et /v/, oral par

opposition à /m/ et labial par opposition à /l/ et /j/.

3.6.6.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /w/ est réalisé comme une semi-voyelle labio-vélaire [w]. En syllabe CwV, il est

aussi réalisé comme une semi-voyelle labio-palatale [A] si C est une consonne "centrale", c'est-à-dire

ni labiale ni vélaire, soit alvéolaire, soit palatale. Il est inexistant en position intervocalique. C'est un

des phonèmes les moins fréquents de la langue .

3.6.7 Phonème /t/

3.6.7.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /t/ ressort des oppositions suivantes :

/t/ ≠ /d/ ta0a0 "esprit" da0a0 "poêle"

/t/ ≠ /ts / t�/ "savoir" ts�/ "saluer"

/t/ ≠ /s / te0n "front" se0�1n "bagage"

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Les phonèmes

97

/t/ ≠ /n/ to� "laisser" no0o0 "salir"

/t/ ≠ /l/ ta/nta��n "scorie" la/nda� "coutume"

/t/ ≠ /c / t�0d�0n "tomber" c��d�� "mépriser"

/t/ ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

3.6.7.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /t/ se définit comme obstruant par opposition à /n/ et à /l/, occlusif par opposition à

/s/ et à /ts/, non-voisé par opposition à /d/, et alvéolaire par opposition à /p/.

3.6.7.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /t/ est réalisé comme une consonne occlusive alvéolaire non-voisée [t]. Le

phonème /t/ est un des plus fréquents de la langue autant en position initiale qu'intervocalique de

radical avec toutefois une restriction dans la position médiane de radical. En effet, on ne trouve pas de

verbe avec ce phonème dans cette position.

3.6.8 Phonème /d /

3.6.8.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /d/ ressort des oppositions suivantes :

/d/ ≠ /s / de/�7n "pendre" se0n "prendre"

/d/ ≠ /dz / d�/�/ "dolo (bière de mil)" dz�/ "aubergine"

/d/ ≠ /n/ da/a�lo0n "araignée" na/a/lo0n "ver de guinée"

/d/ ≠ /l/ da/nda/a/ "chasseur" la/nda� "rite"

/d/ ≠ / / do�n "marigot" �o/o0n "champ"

/d/ ≠ /b / Voir : 3.6.2.1

/d/ ≠ /t/ Voir : 3.6.7.1

3.6.8.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /d/ se définit comme obstruant par opposition à /n/ et à /l/, occlusif par opposition

à /s/ et à /dz/, alvéolaire par opposition à /b/ et à /�/ et voisé par opposition à /t/.

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Chapitre 3

98

3.6.8.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /d/ est réalisé comme une consonne occlusive alvéolaire voisée [d] en position

initiale de radical. En position intervocalique, il présente deux allophones selon le contexte vocalique

dans lequel il apparaît :

♦ Il n'est réalisé comme une consonne occlusive alvéolaire voisée [d] en position intervocalique de

lexème qu'après une syllabe fermée caractérisée par la nasale flottante : : (…VNdV : exemple

ko0ndo0 "cuvette").

♦ Il est réalisé comme une apico alvéolaire battue34 [�] dans tous les autres contextes.

Le fait est que le son [�] est un des plus fréquents de la langue. Cependant, il est interprété comme un

allophone du phonème /d/. [�] n'apparaît pas en initiale de lexème mais seulement en initiale de

quelques classes de morphèmes clitiques telles que les postpositions (��$�n "à, chez"), quelques flexions

nominales (-�e/e/ "pluriel") et verbales (-�a/ "inaccompli") et quelques dérivatifs (-��1�1 "diminutif"). Si

[d] apparaît dans le contexte oral VdV, il se trouve alors à la limite de deux racines verbales ou

nominales dans la composition et correspond à la consonne initiale de la deuxième racine

('�1da0a0 "carrefour" = '�1 "route" + da0 "bord"). Il appartient aussi aux structures redoublées (du/u/du0u0

"boursoufler").

Il est impossible de trouver un contexte où d et � puissent s'opposer au sens strict. On observe que

certaines postpositions ont un [d] initial alors que d'autres ont un [�] initial. On ne peut pour autant

pas les opposer parce que celles qui ont un [d] initial sont clairement des substantifs fonctionnant

comme postpositions (do�u/n "intérieur / dans") alors que les autres ne fonctionnent que comme

postpositions (���$n "à, chez…"). Les postpositions qui ont un [�] en initiale sont phonologiquement

liées au mot qui les précède, ce sont des enclitiques plutôt que des mots phonologiques.

Nous posons donc que le son [�] est un allophone et constitue une réalisation affaiblie du phonème /d/

en contexte intervocalique oral. La comparaison linguistique confirme cette interprétation35. Nous

devons en premier lieu considérer dans la langue l'analogie avec le phonème /�/. En effet, tout comme

34 'Flapped' en anglais 35 Le phénomène d'affaiblissement de dissyllabes en monosyllabes à voyelles longues ou diphtongues est un phénomène courant dans les langues d'Afrique. Nous reviendrons sur cette discussion au chapitre 5 du mot phonologique.

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Les phonèmes

99

le phonème /d/, le phonème /�/ n'apparaît en position intervocalique dans sa réalisation [�] que

précédé d'une syllabe fermée à nasale flottante (ta�$n�a0 "cuisine") ou bien à la limite de radicaux dans

les mots composés (fa�a��o�o� "travail"). Autrement, le phonème /�/ n'apparaît pas dans cette position.

C'est-à-dire que, à la différence du phonème /d/, il n'a pas de réalisation affaiblie. En effet, il n'existe

pas de non obstruante vélaire et la fricative vélaire ou uvulaire n'apparait pas en position

intervocalique. Or, lorsqu'on compare certains mots dissyllabiques jula ayant un /�/ en position

intervocalique avec leur correspondant dzùùngoo, on observe une tendance en dzùùngoo à avoir des

monosyllabes à noyau syllabique complexe mais aussi des monosyllabes à noyau simple.

jula dzùùngoo français

sa?a sa/a/ "mouton"

s���� s��$��$ "prix"

so?o� 'u�� "viande"

On aura noté qu'en jula, conformément à ce qu'on observe en dzùùngoo pour le phonème /d/, le

phonème /�/ est réalisé affaibli [?] en contexte oral, et [�] en contexte nasal.

Position [d] [�]

Initiale de lexème & morphème de morphème enclitique

Exemples: lexèmes

Morphèmes

da0 "termite"

do��u�$n "dans"

d�0 "(ne) plus"

-

��$�n "à, chez"

�e/e/ "pluriel"

�i7i7 "relatif"

Intervocalique de lexèmes�

v�:dv

de lexèmes

v�v(n)

Exemples: da�$nda/a/ "chasseur"

ko0ndo0 "cuvette"

ba0�a0 "causerie"

pa/�a/n "seau"

Redoublés

Exemple: du/u/du0u0 "boursoufler"

Limite de lexèmes base composée Base dérivée

Exemples: '�1da0a0 "carrefour"

(route-limite)

'�1��1�1 "sentier"

(route-diminutif)

Le tableau ci-dessus montre les distributions de [d] et de [�].

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Chapitre 3

100

Ainsi, considérant diachroniquement qu'une structure dissyllabique de lexème CVCV précède

forcément une structure monosyllabique CVV, nous pouvons dire que les deux phonèmes /d/ et /�/

ont tous les deux tendance à s'affaiblir en contexte intervocalique oral. /d/ s'affaiblit dans la

réalisation allophonique du [�] alors qu'à un moment donné de l'histoire de la langue, /�/ s'est affaibli

comme en jula dans une réalisation fricative soit vélaire soit uvulaire pour aboutir à un effacement

total aujourd'hui : *VgV ⇒ *VÖV ⇒ VV.

3.6.9 Phonème /ts/

3.6.9.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /ts/ ressort des oppositions suivantes :

/ts / ≠ /dz / ts�4 "saisir" dz�4 "éteindre"

/ts / ≠ /c / ts�0 "poule" c��n "sein"

/ts / ≠ /s / se0�1n "calebasse" tse0�1n "cadet"

/ts / ≠ /n/ nu/u/ "sucer" tsu/u/ "s'asseoir"

/ts / ≠ /l/ Pas d'opposition pour cause de distributions différentes

/ts / ≠ /t/ Voir : 3.6.7.1

3.6.9.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /ts/ se définit comme obstruant par opposition à /n/ et /l/, affriqué par opposition

/t/ et à /s/, alvéolaire par opposition à /p/ et à /c/ et non-voisé par opposition à /dz/.

3.6.9.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /ts/ est réalisé comme une consonne affriquée alvéolaire non-voisée [ts]. Il est

parmi les phonèmes les plus fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est plus rare en

position médiane intervocalique (complètement absent dans la classe des verbes). Les distributions

différentes avec /l/, annoncées plus haut ne sont pas à proprement parler des distributions

complémentaires puisque les deux phonèmes ont ensemble des distributions communes en syllabe

CV. Les lexèmes illustrant les distributions communes sont rares, les paires le sont plus encore (cf.

3.6.13.3).

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Les phonèmes

101

3.6.10 Phonème /d z/

3.6.10.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /dz/ ressort des oppositions suivantes :

/dz / ≠ / / dz���n "sol" �������n "devant"

/dz / ≠ /s / s�4 "bras" dz�1 "pouvoir"

/dz / ≠ /n/ n�7�7 "bovin" dz�4�4 "bouche"

/dz / ≠ /l/ Pas d'opposition pour cause de distributions différentes

/dz / ≠ /ts / Voir : 3.6.9.1

/dz / ≠ /d/ Voir : 3.4.8.1

3.6.10.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /dz/ se définit comme obstruant par opposition à /n/ et /l/, affriqué par opposition à

/d/ et à /s/, alvéolaire par opposition à /b/ et /�/ et voisé par opposition à /ts/.

3.6.10.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /dz/ présente deux allophones. Il est réalisé comme une consonne fricative

alvéolaire voisée [z] devant la voyelle [a]. Il est réalisé comme une affriquée alvéolaire voisée [dz]

devant toute autre voyelle.

Il est parmi les phonèmes les plus fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est plus rare

en position médiane intervocalique (une seule occurrence dans la classe des noms et complètement

absent de celle des verbes), même si, avec les phonèmes /f/ et /m/, il est associé au plus grand nombre

de types de syllabes différentes. Les distributions différentes avec /l/, annoncées plus haut ne sont pas

à proprement parler des distributions complémentaires puisque les deux phonèmes ont ensemble des

distributions communes en syllabe CV. Les lexèmes illustrant les distributions communes sont rares,

les paires le sont plus encore (cf. 3.6.13.3).

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Chapitre 3

102

3.6.11 Phonème /s/

3.6.11.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /s/ ressort des oppositions suivantes :

/s / ≠ /�/ si7 "semer" '�4 "attacher"

/s / ≠ /�/ s�0b�0n "écrire" *�0b�0 "tomber"

/s / ≠ /n/ se/e/ "panier" ne/e0 "ça"

/s / ≠ /l/ sa/nda�a� "plante du pied" la/nda� "rite"

/s / ≠ /f/ Voir : 3.6.3.1

/s / ≠ /v/ Voir : 3.6.4.1

/s / ≠ /t/ Voir : 3.6.7.1

/s / ≠ /d/ Voir : 3.4.8.1

/s / ≠ /ts / Voir : 3.6.9.1

/s / ≠ /dz / Voir : 3.6.10.1

3.6.11.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /s/ se définit comme obstruant par opposition à /n/ et /l/, fricatif par opposition à

/t/, /d/, /ts/ et /dz/, et alvéolaire par opposition à /f/, /v/, /'/ et /*/.

3.6.11.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /s/ est réalisé comme une consonne fricative alvéolaire non-voisée [s]. Il fait partie

des phonèmes les plus fréquents de la langue autant en position initiale qu'intervocalique de radical.

3.6.12 Phonème /n /

3.6.12.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /n/ ressort des oppositions suivantes :

/n/ ≠ /l/ na/na0 "taon" la/nda� "rite"

/n/ ≠ /�/ n������n "langue" �������n "silhouette"

/n/ ≠ /�/ na� "mère" +a�a� "pluie"

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Les phonèmes

103

/n/ ≠ /�m / na/ "venir" +ma/a/ "écarter"

/n/ ≠ /t/ Voir : 3.6.7.1

/n/ ≠ /d/ Voir : 3.6.8.1

/n/ ≠ /m / Voir : 3.6.5.1

/n/ ≠ /ts / Voir : 3.6.9.1

/n/ ≠ /dz / Voir : 3.6.10.1

/n/ ≠ /s / Voir : 3.6.11.1

3.6.12.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /n/ se définit comme non-obstruant par opposition à /t/, /d/, /ts/, /dz/ et /s/, nasal

par opposition à /l/ et alvéolaire par opposition à /m/, /�/, /+/ et /+m/.

3.6.12.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /n/ est réalisé comme une consonne nasale alvéolaire [n]. Devant une voyelle mi-

fermée [e, o], autant en contexte initial qu'intervocalique, il peut être réalisé avec un contact apical

plus appuyé, renforcé, quelque chose entre la géminée [nn] et une occlusive voisée prénasalisée [nd].

Le phonème /n/ est un des plus fréquents de la langue autant en position initiale qu'intervocalique de

radical. En fait, en position médiane de lexème, c'est le phonème le plus fréquent après le /d/ dans sa

réalisation affaiblie.

3.6.13 Phonème /l /

3.6.13.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /l/ ressort des oppositions suivantes :

/l/ ≠ /j / bl���n "tordre" bj�/n "être d'accord"

/l/ ≠ /s / Voir : 3.6.11.1

/l/ ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

/l/ ≠ /t/ Voir : 3.6.7.1

/l/ ≠ /d/ Voir : 3.6.8.1

/l/ ≠ /n/ Voir : 3.6.12.1

/l/ ≠ /ts / Voir : 3.6.9.1

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Chapitre 3

104

/l/ ≠ /dz / Voir : 3.6.10.1

3.6.13.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /l/ se définit comme non-obstruant par opposition à /t/, /d/, /ts/, /dz/ et /s/, oral par

opposition à /n/ et alvéolaire par opposition à /w/ et /j/.

3.6.13.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /l/ est réalisé comme une consonne latérale alvéolaire [l]. Il fait partie des

phonèmes moyennement à rarement fréquents de la langue. Il apparaît surtout dans les syllabes CCV

et CCVN en position de deuxième consonne d'attaque après une consonne obstruante labiale, c'est-à-

dire soit bilabiale soit labio-vélaire ou non obstruante nasale bilabiale. Les distributions différentes

avec /ts/ et /dz/, annoncées en 3.6.9.1 et en 3.6.10.1, ne sont pas à proprement parler des distributions

complémentaires puisque les trois phonèmes ont ensemble des distributions communes en syllabe CV.

Les lexèmes illustrant les distributions communes sont rares, les paires le sont plus encore. Ainsi les

voyelles /i/ et /�/ constituent une distribution commune, mais /l/ n'apparaît avec, dans notre corpus,

que dans trois lexèmes qui sont tous des mots d'emprunt (l�1vu�du� "livre", l�1ts�4d�4 "litre" et l�0t��d��

"lettre"). Les lexèmes en /l/+/a/ sont plus fréquents. Ils sont en revanche inexistants en /ts/+/a/ et très

rares en /dz/+/a/. En position médiane intervocalique de radicale, /l/ est plus rare.

3.6.14 Phonème /c/

3.6.14.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /c/ ressort des oppositions suivantes :

/c / ≠ / / co/o/n "tambour" �o/o0n "brousse"

/c / ≠ /�/ c��n "sein" '��� "héritage"

/c / ≠ /�/ ci7 "tô (mets traditionnel)"

*�4 "meule"

/c / ≠ /�/ ce/e/ "karité" �e�e� "potasse"

/c / ≠ /j / c��n "rassasier" j�0 "raser"

/c / ≠ /k/ c�1d�1 "douter" k�1d�1 "appeler"

/c / ≠ /t/ Voir : 3.6.7.1

/c / ≠ /ts / Voir : 3.6.9.1

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Les phonèmes

105

3.6.14.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /c/ se définit comme obstruant par opposition à /�/ et /j/, occlusif par opposition à

/'/ et /*/, palatal par opposition à /ts/, /t/ et /k/, non-voisé par opposition à /�/.

3.6.14.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /c/ est réalisé comme une consonne occlusive palatale non-voisée [c]. Il est parmi

les phonèmes moyennement fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est plus rare en

position médiane intervocalique. Les uniques attestations dans cette position viennent de mots

d'emprunt, et exclusivement dans la classe des noms.

3.6.15 Phonème / /

3.6.15.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /�/ ressort des oppositions suivantes :

/ / ≠ /�/ �u�u� "hutte" 'u� "viande"

/ / ≠ /�/ ��0 "crépir" *�� "gifler"

/ / ≠ /�/ ��4 "coudre" ��4�4 "mouiller"

/ / ≠ /j / �u�u� "hutte" ju� "eau"

/ / ≠ /� / �e/n "colline" �e0n "cuisse"

/ / ≠ /c / Voir : 3.6.14.1

/ / ≠ /d/ Voir : 3.6.8.1

/ / ≠ /dz / Voir : 3.6.10.1

3.6.15.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /�/ se définit comme obstruant par opposition à /�/ et /j/, occlusif par opposition à

/'/ et /*/, palatal par opposition à /dz/, /�/ et /d/, voisé par opposition à /c/.

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Chapitre 3

106

3.6.15.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /�/ est réalisé comme une consonne occlusive palatale voisé [�]. Il est parmi les

phonèmes moyennement fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est un peu plus rare

en position médiane intervocalique.

3.6.16 Phonème / �/

3.6.16.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /'/ ressort des oppositions suivantes :

/�/ ≠ /�/ '�4 "cendre" *�4 "meule"

/�/ ≠ /�/ '������ "voleur" ����u��n "danse"

/�/ ≠ /j / 'u� "viande" ju� "eau"

/�/ ≠ /x/ '�� "pioche" x�� "os"

/�/ ≠ /s / Voir : 3.6.11.1

/�/ ≠ /c / Voir : 3.6.14.1

/�/ ≠ / / Voir : 3.6.15.1

3.6.16.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /'/ se définit comme obstruant par opposition à /�/ et /j/, fricatif par opposition à

/c/ et /�/, palatal par opposition à /s/ et /x/, non-voisé par opposition à /*/.

3.6.16.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /'/ est réalisé comme une consonne fricative post alvéolaire non-voisée [']. Il est

parmi les phonèmes moyennement fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est un peu

plus rare en position médiane intervocalique.

3.6.17 Phonème /� /

3.6.17.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /*/ ressort des oppositions suivantes :

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Les phonèmes

107

/�/ ≠ /�/ *�4 "meule" �i7i7 "poitrine"

/�/ ≠ /j / *�� "gifler" j�0 "raser"

/�/ ≠ /x/ *�4 "meule" x�1na0 "pitié"

/�/ ≠ /c / Voir : 3.6.14.1

/�/ ≠ / / Voir : 3.6.15.1

/�/ ≠ /�/ Voir : 3.6.16.1

3.6.17.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /*/ se définit comme obstruant par opposition à /�/ et /j/, fricatif par opposition à

/c/ et /�/+ palatal par opposition à /s/ et /x/, voisé par opposition à /'/.

3.6.17.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /*/ est réalisé comme une consonne fricative post alvéolaire voisée [*]. Il est parmi

les phonèmes les plus rares de la langue. Sa distribution est très limitée. Il n'apparaît qu'en position

initiale de lexème et exclusivement devant /i/, /�/ ou /��/.

3.6.18 Phonème / � /

3.6.18.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /�/ ressort des oppositions suivantes :

/�/ ≠ /j / �e0 "nous" je0 "chanson"

/�/ ≠ /�/ ���$ "fétiche" +��$ "souffle"

/�/ ≠ /�m / �������n "cauris" +m������n "fruit du vitex"

/�/ ≠ /m / Voir : 3.6.5.1

/�/ ≠ /n/ Voir : 3.6.12.1

/�/ ≠ /c / Voir : 3.6.14.1

/�/ ≠ / / Voir : 3.6.15.1

/�/ ≠ /�/ Voir : 3.6.16.1

/�/ ≠ /�/ Voir : 3.6.17.1

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Chapitre 3

108

3.6.18.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /�/ se définit comme non-obstruant par opposition à /c/, /�/, /'/ et /*/, nasal par

opposition à /j/ et palatal par opposition à /m/, /n/, /+/ et /+m/.

3.6.18.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /�/ est réalisé comme une consonne nasale palatale [�]. Il est parmi les phonèmes

moyennement fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est un peu plus rare en position

médiane intervocalique.

3.6.19 Phonème / j /

3.6.19.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /j/ ressort des oppositions suivantes :

/j / ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

/j / ≠ /l/ Voir : 3.6.13.1

/j / ≠ /c / Voir : 3.6.14.1

/j / ≠ / / Voir : 3.6.15.1

/j / ≠ /�/ Voir : 3.6.16.1

/j / ≠ /�/ Voir : 3.6.17.1

/j / ≠ /�/ Voir : 3.6.18.1

3.6.19.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /j/ se définit comme non-obstruant par opposition à /c/, /�/, /'/ et /*/, oral par

opposition à /�/, et palatal par opposition à /w/ et /l/.

3.6.19.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /j/ est réalisé comme une semi-voyelle palatale [j]. En syllabe CV, devant une

voyelle arrondie, il est réalisé comme la semi-voyelle labio-palatale [A]- Il est parmi les phonèmes

moyennement fréquents de la langue en position initiale de lexème. Il est un peu plus rare en position

médiane intervocalique.

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Les phonèmes

109

Une particularité, unique, de ce phonème est qu'il apparaît exclusivement en contexte oral en attaque

de syllabes CV et CVV. Il n'est, toutefois, pas complètement incompatible avec les phonèmes nasals,

puisqu'il apparaît en deuxième position de l'attaque des syllabes CCV, CCVN, CCVV et CCVVN en

contexte vocalique nasal.

3.6.20 Phonème /k /

3.6.20.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /k/ ressort des oppositions suivantes :

/k/ ≠ /� / k���4 "casser" ����4 "nourrir"

/k/ ≠ /x/ k�/�/ "trou" x�� "os"

/k/ ≠ /�/ ka�a� "guerre" +a�a� "pluie"

/k/ ≠ /kp / k��$n "aimer" kp��$n "plier"

/k/ ≠ /� b / ka�n "fleur" �ba��n "parcelle"

/k/ ≠ /�m / ka�a� "chasser" +ma/a/ "écarter"

/k/ ≠ /c / Voir : 3.6.14.1

/k/ ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

3.6.20.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /k/ se définit comme obstruant par opposition à /+/ et /w/, occlusif par opposition

à /x/, vélaire par opposition à /c/ et /kp/, non-voisé par opposition à /�/.

3.6.20.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /k/ est réalisé comme une consonne occlusive vélaire non-voisée [k]. Il est un des

plus fréquents de la langue autant en position initiale qu'intervocalique de radical.

3.6.21 Phonème /� /

3.6.21.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /�/ ressort des oppositions suivantes :

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Chapitre 3

110

/� / ≠ /x/ �u�u� "délayer" xu0 "découper"

/� / ≠ /�/ �o�o� "affaire" +o�o� "arthrite"

/� / ≠ /kp / �a� "miel" kpa�n "hangar"

/� / ≠ /� b / �a� "miel" �ba/ "case"

/� / ≠ /k/ Voir : 3.6.20.1

/� / ≠ / / Voir : 3.6.15.1

/� / ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

3.6.21.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /�/ se définit comme obstruant par opposition à /+/ et /w/, occlusif par opposition à

/x/, vélaire par opposition à /�/ et /�b/, voisé par opposition à /k/.

3.6.21.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /�/ est réalisé comme une consonne occlusive vélaire voisée [�]. Il est un des plus

fréquents de la langue en position initiale. Ainsi que nous l'avons vu précédemment, en position

médiane de radical, il n'apparaît qu'après une syllabe fermée36, c'est à dire après la nasale finale N de

coda (ku/n��� "tête"). Il peut alors être réalisé soit [�], soit comme la nasale vélaire [+] selon le

locuteur et selon la force de l'articulation.

3.6.22 Phonème /x /

3.6.22.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /x/ ressort des oppositions suivantes :

/x/ ≠ /�/ x��$n "refuser" +��$n "respirer"

/x/ ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

/x/ ≠ /�/ Voir : 3.6.16.1

/x/ ≠ /�/ Voir : 3.6.17.1

/x/ ≠ /k/ Voir : 3.6.20.1

/x/ ≠ /� / Voir : 3.6.21.1

36 À la seule exception toutefois du nom ba/�e� "animal domestique" emprunté au jula,.

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Les phonèmes

111

3.6.22.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /x/ se définit comme obstruant par opposition à /+/ et /w/, fricatif par opposition à

/k/ et /�/ et vélaire par opposition à /'/ et /*/.

3.6.22.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /x/ présente deux allophones. Il est réalisé comme une consonne fricative dorso

uvulaire sourde [6] devant les voyelles arrondies et comme une consonne fricative vélaire sourde [x]

devant les voyelles non-arrondies. Il est parmi les phonèmes les plus rares de la langue. Sa

distribution dans le mot est limitée puisqu'il n'apparaît qu'en position initiale de lexème37.

3.6.23 Phonème /� /

3.6.23.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /+/ ressort des oppositions suivantes :

/�/ ≠ /�m / +������n "tige" +m������n "vitex"

/�/ ≠ /m / Voir : 3.6.5.1

/�/ ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

/�/ ≠ /n/ Voir : 3.6.12.1

/�/ ≠ /�/ Voir : 3.6.18.1

/�/ ≠ /k/ Voir : 3.6.20.1

/�/ ≠ /� / Voir : 3.6.21.1

/�/ ≠ /x/ Voir : 3.6.22.1

3.6.23.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /+/ se définit comme non-obstruant par opposition à /k/, /�/ et /x/, nasal par

opposition à /w/, et vélaire par opposition à /m/, /n/, /�/ et /+m/.

37 La seule exception est un mot d'origine arabe emprunté au jula dans lequel il apparaît en position médiane : la0xa0ra�� "l'au-delà".

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Chapitre 3

112

3.6.23.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /+/ est réalisé comme une consonne nasale vélaire [+]-�C'est un phonème plutôt

rare. Il est difficile de savoir si les réalisations [+] en position médiane intervocalique sont des

réalisations du phonème /+/ ou du phonème /�/ du fait qu'elles sont chaque fois précédées d'une

voyelle nasale. Nous avons choisi de les interpréter comme des réalisations de /�/, sauf dans le cas de

certaines lexies composées, pour lesquelles on sait pertinemment que la réalisation vient du phonème

/+/ initial du second formant de la composition (dzu�+��$ "haleine" < dzu� "bouche" + +��$ "souffle").

3.6.24 Phonème /k p /

3.6.24.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /kp/ ressort des oppositions suivantes :

/kp / ≠ /� b / kp������n "clou à jouer" �b��$n "défense"

/kp / ≠ /�m / kpu0na� "se réveiller" +mu0na� "suer"

/kp / ≠ /p / Voir : 3.6.1.1

/kp / ≠ /w/ Voir : 3.6.5.1

/kp / ≠ /k/ Voir : 3.6.20.1

3.6.24.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /kp/ se définit comme obstruant par opposition à /+m/ et /w/, labio-vélaire par

opposition à /k/ et /p/, non-voisé par opposition à /�b/.

3.6.24.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /kp/ est réalisé comme une consonne occlusive à double articulation labio-vélaire

sourde [k=p]. Il est parmi les phonèmes moyennement fréquents de la langue en position initiale de

lexème avec toutefois une restriction sur sa distribution vocalique. Il n'apparaît jamais suivi d'une

voyelle arrondie sauf dans le cas de la voyelle [u-] ultra brève d'une poignée de noms et de verbes38. Il

38 On se rend compte en fait qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre kp et les voyelles arrondies en considérant les classes de mots telles que les idéophones ou les qualificateurs parmi lesquels on trouve ces combinaisons : kpo/u/n "gros", kpo� "crac, bruit de craquement".

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Les phonèmes

113

est bien plus rare en position médiane intervocalique puisque nous n'avons trouvé qu'une attestation

dans la classe des noms : ta0nkpu0na��n "canard".

3.6.25 Phonème /� b /

3.6.25.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /�b/ ressort des oppositions suivantes :

/� b / ≠ /�m / �b�0�0 "arbre (sp.)" +m������n "fruit (sp.)"

/� b / ≠ /b / Voir : 3.6.2.1

/� b / ≠ /w/ Voir : 3.6.6.1

/� b / ≠ /� / Voir : 3.6.21.1

/� b / ≠ /kp / Voir : 3.6.24.1

3.6.25.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /�b/ se définit comme obstruant par opposition à /+m/ et /w/, labio-vélaire par

opposition à /�/ et /b/, voisé par opposition à /kp/.

3.6.25.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /�b/ est réalisé comme une consonne occlusive à double articulation labio-vélaire

voisée [�=b]. Il est parmi les phonèmes moyennement fréquents de la langue en position initiale de

lexème avec la restriction de distribution vocalique qu'il n'apparaît jamais suivi d'une voyelle

arrondie. Il est plus rare en position médiane intervocalique (absent dans la classe des verbes).

3.6.26 Phonème /� m/

3.6.26.1 IDENTIFICATION PHONOLOGIQUE

L'identité phonologique du phonème /+m/ ressort des oppositions suivantes :

/�m / ≠ /m / Voir : 3.6.5.1

/�m / ≠ /n/ Voir : 3.6.12.1

/�m / ≠ /�/ Voir : 3.6.18.1

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Chapitre 3

114

/�m / ≠ /�/ Voir : 3.6.23.1

/�m / ≠ /kp / Voir : 3.6.24.1

/�m / ≠ /� b / Voir : 3.6.25.1

3.6.26.2 DÉFINITION PHONOLOGIQUE

Le phonème /+m/ se définit comme non-obstruant par opposition à /kp/ et /�b/, nasal par

opposition à /w/ et labio-vélaire par opposition à /m/, /n/, /�/ et /+/.

3.6.26.3 RÉALISATIONS PHONÉTIQUES

Le phonème /+m/ est réalisé comme une consonne nasale à double articulation labio-vélaire

[+=m]. C'est un phonème rare de la langue. Comme le phonème /kp/, il n'apparaît jamais suivi d'une

voyelle arrondie sauf dans le cas de la voyelle [u-] ultra brève d'une poignée de noms et de verbes. En

position médiane intervocalique, on ne le trouve que dans un verbe : �a0+m���n "se moquer".

3.7 TABLEAUX PHONIQUES

Ayant défini les deux systèmes de phonèmes vocaliques et consonantiques, et exposé les

questions d'interprétation phonématique vocalique et consonantique, nous ferons le tour des

réalisations phoniques observées dans la langue. Les tableaux phoniques suivants donnent la totalité

des réalisations phoniques discrètes observées.

3.7.1 Les voyelles

Parmi les réalisations vocaliques, on rencontre trois ensembles de sons, un ensemble de 14 sons

brefs, 7 oraux et 7 nasals, un deuxième ensemble de 14 sons longs et un ensemble de 14 sons ultra

brefs.

Ensemble 1 = brèves Ensemble 2 = longues

�� i u u� ��� i� u� u��

e� e o o� e�� e� o� o��

�� � � �� ��� �� �� ���

a a� a� a��

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Les phonèmes

115

Ensemble 3 = Ultra brèves

�-� i> u- u�-

e�- e- o- o-�

��- �- �- ��-

a- a�-

3.7.2 Les consonnes

Les réalisations consonantiques se trouvent représentées dans le tableau ci-dessous.

Bilab

iale

s�

Lab

io

dent

ales

Lab

io

pala

tale

Lab

io

véla

ires

Alv

éola

ires

Pos

t-al

véol

aire

s

Pal

atal

es

Vél

aire

s

Dor

so

uvul

aire

Nasales m +=m n � +

sourdes p k=p t c k Occlusives

sonores b �=b d � �

sourde t=s Affriquées

sonore d=z

sourdes f s ' x 6 Fricatives

sonores v z * Spirantes w A j Spirante latérale l Battue �

3.8 DU SYTÈME À LA COMBINATOIRE

Ayant défini le système, ou plutôt, les systèmes des phonèmes de la langue, le système des

consonnes associé au système des voyelles permet d'envisager maintenant la combinatoire des unités

de sens que sont les mots.

Qu'est-ce qui fait un mot dzùùngoo ? Un tirage aléatoire dans l'inventaire des consonnes puis dans

celui des voyelles, en reproduisant l'opération un nombre déterminé de fois, permet-il d'obtenir un mot

dzùùngoo ? La définition des systèmes des voyelles et des consonnes a mis à jour l'importance des

sous-systèmes. Le classement des phonèmes selon des traits distinctifs permet aussi d'envisager dans

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Chapitre 3

116

chacun des deux systèmes toutes sortes de sous systèmes qui pourront intervenir dans la bonne

formation du mot.

Nous avons déjà pu évoquer la difficulté à déterminer quels traits sont distinctifs dans le système

(section 3.3.2.1, note 16). C'est ainsi que nous avons défini les voyelles selon trois axes, celui de

l'ouverture mandibulaire, celui de la forme des lèvres et celui de l'ouverture du voile du palais. Si le

premier et le troisième de ces axes ne posent pas de problème, en revanche le second présente

l'inconvénient d'être en concurrence avec un autre trait que nous n'avons pas retenu. La paire de traits

arrondi – non arrondi est en effet corrélative à la paire antérieur – postérieur. Toutes les voyelles

antérieures sont non arrondies et toutes les voyelles postérieures sont aussi arrondies. Nous avons

préféré la paire arrondi – non arrondi à l'autre à cause de l'assimilation d'arrondissement avec effet de

protrusion labiale du phonème /j/, dans son allophone [A], lorsqu'il est suivi d'une voyelle arrondie,

comme c'est le cas dans le nom [ A�/ ] /j�// "filet". Mais la paire antérieur – postérieur intervient

aussi dans d'autres conditionnements, ainsi que nous l'avons souligné à propos des voyelles ultra

brèves : "dans toute séquence [CV -�a]+ [CV -na], [CV -�aN\�ou [CV -na �N] où V - est une voyelle fermée i

ou u, elle est prononcée ultra brève et présente le trait non arrondi, ou antérieur [i] si la consonne la

précédant est antérieure ou centrale ou encore non postérieure [bilabiale, labiodentale, alvéolaire,

palatale], et le trait arrondi ou postérieur [u] si la consonne la précédant est postérieure [vélaire, labio-

vélaire]". Le trait antérieur appartient en effet à la fois aux voyelles et aux consonnes, alors que le

trait d'arrondissement des lèvres n'appartient qu'aux voyelles. Il est donc approprié de rappeler ici la

corrélation entre les traits de postériorité et d'arrondissement d'une part, et d'autre part entre les traits

de non postériorité et de non arrondissement.

Les différents tableaux des phonèmes consonantiques montrent aussi que la position dans le mot, pour

ne pas dire la classe grammaticale du mot, détermine le choix du locuteur dans tel ou tel sous système

de consonnes. La syllabe constitue une étape dans l'intégration des segments dans le mot

phonologique, une première combinatoire vers l'unité significative. Nous nous efforcerons dans ce qui

suit à en définir les différents types.