3. L’Île-de-France face aux régions concurrentes · 3.1 L’étude GEMACA de l’IAURIF Les...

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La place de la région dans le monde et en Europe 3. L’Île-de-France face aux régions concurrentes En tant que « ville mondiale », l’Île-de-France n’est plus évaluée seulement dans le cadre national. Certes, il convient de tenir compte des signaux négatifs perceptibles en ce qui concerne le désir des provinciaux de s’y installer et de ses habitants de s’en aller. Au moment du départ à la retraite des générations du « baby boom », il convient, en effet, de se soucier de l’attractivité de la région, notamment auprès des personnes les plus qualifiées (l’étude de Patrick de la Morvonnais, du BIPE, est à prendre en compte) Surtout, il convient de comparer les performances de l’Île-de-France par rapport aux métropoles européennes et, dans la mesure du possible, d’autres continents. 3.1 L’étude GEMACA de l’IAURIF Les résultats du projet GEMACA ont montré que la compétitivité macroéconomique de la région est en déclin relatif : faible dynamisme démographique, taux d’occupation particulièrement bas, faible croissance de l’emploi, dernier rang en ce qui concerne l’évolution du chômage, croissance lente : la région fonctionnelle de Paris est peu dynamique du point de vue démographique : ( + 0,32 % par an, contre + 0,93 % pour Londres, 0, 85 % pour la Randstad et même + 1,09 % pour Dublin et 1,02 pour Édimbourg) le rapport jeunes (- 25 ans) / vieux ( +65 ans) y est favorable (32,9/9,6, contre 39,4/9,6 à Dublin) le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur (31,2 %) n’y est dépassé qu’à Londres (32,8 %) et à Bruxelles (32,5 %) en revanche le taux d’occupation y est particulièrement bas : Paris est au 11.ème rang sur 14 régions urbaines, avec un taux de 64,4 % contre 71,3 % à Londres et même 71,5 % à Édimbourg pour l’évolution de l’emploi Paris est au huitième rang (+0,8 % par an). Dublin est en tête avec + 6,5 % devant la Randstad (+3 %). en ce qui concerne l’évolution du chômage, Lille et Paris sont aux derniers rangs. les services représentent 79,1 % de l’emploi à Paris, à peine moins que dans la Randstad (80,8 %) et à Londres (79,6 %) en matière de PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat, la région de Paris, avec 32177 euros en 1998 n’était dépassée que par celle de Francfort (Rhein-Main) avec 32945 euros 19

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La place de la région dans le monde et en Europe

3. L’Île-de-France face aux régions concurrentes

En tant que « ville mondiale », l’Île-de-France n’est plus évaluée seulement dans le cadre national.

Certes, il convient de tenir compte des signaux négatifs perceptibles en ce qui concerne le désir des provinciaux de s’y installer et de ses habitants de s’en aller. Au moment du départ à la retraite des générations du « baby boom », il convient, en effet, de se soucier de l’attractivité de la région, notamment auprès des personnes les plus qualifiées (l’étude de Patrick de la Morvonnais, du BIPE, est à prendre en compte)

Surtout, il convient de comparer les performances de l’Île-de-France par rapport aux métropoles européennes et, dans la mesure du possible, d’autres continents.

3.1 L’étude GEMACA de l’IAURIF

Les résultats du projet GEMACA ont montré que la compétitivité macroéconomique de la région est en déclin relatif : faible dynamisme démographique, taux d’occupation particulièrement bas, faible croissance de l’emploi, dernier rang en ce qui concerne l’évolution du chômage, croissance lente :

• la région fonctionnelle de Paris est peu dynamique du point de vue

démographique : ( + 0,32 % par an, contre + 0,93 % pour Londres, 0, 85 % pour la Randstad et même + 1,09 % pour Dublin et 1,02 pour Édimbourg)

• le rapport jeunes (- 25 ans) / vieux ( +65 ans) y est favorable (32,9/9,6, contre

39,4/9,6 à Dublin)

• le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur (31,2 %) n’y est dépassé qu’à Londres (32,8 %) et à Bruxelles (32,5 %)

• en revanche le taux d’occupation y est particulièrement bas : Paris est au 11.ème

rang sur 14 régions urbaines, avec un taux de 64,4 % contre 71,3 % à Londres et même 71,5 % à Édimbourg

• pour l’évolution de l’emploi Paris est au huitième rang (+0,8 % par an). Dublin est

en tête avec + 6,5 % devant la Randstad (+3 %).

• en ce qui concerne l’évolution du chômage, Lille et Paris sont aux derniers rangs.

• les services représentent 79,1 % de l’emploi à Paris, à peine moins que dans la Randstad (80,8 %) et à Londres (79,6 %)

• en matière de PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat, la région de Paris, avec

32177 euros en 1998 n’était dépassée que par celle de Francfort (Rhein-Main) avec 32945 euros

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• la croissance économique (+ 1,7 % par an entre 1995 et 1998) de la région de Paris paraît peu dynamique face à celles de Dublin (+ 10,5 %), de la Randstad (+ 4,2 %) ou de Londres (+ 4 %)

Les faiblesses de la région de Paris en matière de croissance démographique, de taux d’emploi, de chômage et de dynamisme économique constituent un signal d’alarme fort. En Europe du Nord-Ouest, Paris perd des places.

Les données recueillies constituent un signal d’alarme fort pour l’Ile-de-France, d’autant que les comparaisons internationales font ressortir la jeunesse de l’Île de France, et donc une demande future d’emplois. Un tel constat conduit à préconiser le maintien d’une économie de production de biens et de services, et non pas seulement d’une économie de redistribution. Il y a une érosion continue de la compétitivité de la région francilienne. En particulier, l’Agence régionale de développement constate que même des métropoles européennes de second rang - Bruxelles, Munich, Milan, Barcelone, sont également des concurrents de notre région en matière d’innovation ou de créativité, ou en tant que sièges d’entreprises et de filiales de multinationales couvrant l’ensemble des marchés de l’Union européenne. Les métropoles des nouveaux membres de l’Union - Varsovie, Prague, Budapest - peuvent également déjà apparaître comme des concurrents pour certaines fonctions ou pour l’accueil d’entreprises mondiales.

3.2 Les études comparatives du CROCIS4

Ces études sont basées sur des analyses disponibles des facteurs de compétitivité de l’Île-de-France, qui reprend la définition donnée par la Commission européenne, pour laquelle la compétitivité d’une région est « la capacité à produire des biens et des services qui passent le test des marchés internationaux, tout en maintenant des niveaux de revenus élevés et durables »5. Les facteurs de compétitivité pris en compte habituellement, et qui tendent à classer la région aux premiers rangs européens, font l’objet d’examens critiques salutaires. Ainsi l’accessibilité de la région, a priori excellente, doit-elle évidemment être appréciée en tenant compte de la congestion fréquente – presque permanente – du réseau routier : W.M. Mercer classe l’Île-de-France au trentième rang mondial en termes d’accessibilité, alors que Stockholm, première métropole européenne du classement, est au septième (Londres est au 55.ème rang : ce n’est pas surprenant). En ce qui concerne le niveau de qualification de la population active, c’est encore Stockholm qui est en tête, avec 38 % d’actifs hautement qualifiés : l’Île-de-France n’est que dans la moyenne des grandes métropoles (27 %). 4 Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services de la CCI de Paris 5 Commission européenne. Rapport périodique sur la situation et le développement économique des régions de l’UE. 1999, cité in Anne TOURET ; « L’Île-de-France et les métropoles européennes. 2: la compétitivité régionale en question ». Enjeux Île-de-France, No. 34, décembre 2002

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L’attractivité de la région n’est pas non plus aussi solide qu’on pourrait l’imaginer au vu d’enquêtes d’opinion de chefs d’entreprises qui offrent apparemment leurs réponses sans y voir le moindre enjeu. En revanche, au moment de la décision, les implantations se font essentiellement dans une logique commerciale de conquête du marché régional et français. C’est ainsi que s’expliquent 96 % des arrivées d’industriels du logiciel et de sociétés de conseil de la « nouvelle économie », « l’Île-de-France étant d’abord et surtout considérée comme un gros marché »6. Quant aux « grandes » décisions d’implantation, celles concernant les fonctions plus « nobles », comme les sièges sociaux, elles dépendent des perspectives d’élargissement immédiat ou plus lointain de l’Union européenne. Par conséquent, « les dirigeants de sociétés envisagent Moscou, Varsovie ou Prague comme lieux d’implantation ». Enfin, même si la qualité du milieu urbain ou la « douceur de vivre » qu’offrent les activités culturelles et la tradition gastronomique favorisent l’Île-de-France, la congestion des réseaux dégrade incontestablement son « indice d’habitabilité »7 par rapport à des métropoles européennes « moyennes » comme Amsterdam, Francfort ou Bruxelles.

3.3 Le classement du cabinet Healey and Baker (European Cities Monitor)

Dans le classement des meilleures villes d’affaires du Cities Monitor, six villes se détachent habituellement avec : Londres puis Paris, et ensuite Francfort, Bruxelles, Amsterdam, Barcelone, plébiscitée pour sa qualité de vie8. Paris doit son deuxième rang aux facilités d’accès aux marchés, à la qualification du personnel et aux réseaux de transport tant externes qu’internes, mais les chefs d’entreprises ayant permis d’établir ce classement regrettent ses inconvénients:

• niveau élevé des charges sociales • climat des affaires peu favorable • qualité et coût des bureaux • liaisons difficiles entre le centre et l’aéroport • diffusion lente de l’internet à haut débit • pollution

En 2002, la qualité de la vie était considérée comme " facteur absolument essentiel " par 18 % des 506 chefs d’entreprises interrogés (contre 15 % en 2001).

Le centre de l'Europe, et plus particulièrement Varsovie, est pointé comme future zone d'expansion.

6 Anne TOURET ; « L’Île-de-France et les métropoles européennes. 3 : les débats autour de l’attractivité régionale». Enjeux Île-de-France, No. 36, janvier 2003, p. 2, 4 7 calculé par W.M. Mercer et reproduit par A. TOURET, op. cit., p. 3 8 « Availability of Staff in Key factor for Location ». Cushman & Wakefield, Nov. 4 2002 (www.cushwake.com/ us/cw /news/media)

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3.4 L’analyse de l’European Investment Monitor

Le cabinet Ernst & Young vient de publier l’analyse des flux d’investissements dont ont bénéficié les villes européennes en 2002 :

Investissements internationaux / Nombre de projets par région en 2002

26

27

29

31

36

36

41

61

64

125

0 140

Amsterdam

Budapets

Madrid

Provence

Stockholm

Moscou

Rhône-Alpes

Catalogne

Île-de-France

Londres

source : ERNST & YOUNG. European Investment Monitor 2003 Report

L’Île-de-France a pris la deuxième place, qu’occupait la Catalogne en 2001. Mais l’année dernière a été médiocre pour l’ensemble de l’Europe, avec des créations d’emplois en diminution de 29 % par rapport à 2001. L’Île-de-France suit Londres de près (17 % du total européen contre 20 %) en ce qui concerne les investissements des fabricants de logiciels, qui sont le plus souvent des implantations commerciales, mais est loin derrière (13 % contre 30 %) pour les services financiers. Le plus inquiétant, c’est la faible attraction de la région pour les investissements en centres de recherche, dont bénéficient essentiellement la Catalogne (10 projets), Londres et la Provence (5 projets chacune).

3.5 La stratégie de développement du Grand Londres

Les études comparées doivent être affinées par l’analyse de cas, à commencer par celui de Londres, dotée depuis peu d’une « agence de développement » que l’État a voulu mettre en place en même temps qu’il créait une institution métropolitaine gérée par un maire élu au suffrage universel. L’Agence disposait en 2002 d’un budget de 300 millions de £. L’agence est chargée à la fois de la promotion de la métropole, des grands projets d’aménagement et de leur mise en œuvre. De plus, l’agence doit faciliter l’intégration des minorités ethniques et mettre en valeur les grands établissements de recherche, notamment en offrant des espaces pour y accueillir les entreprises créées par les chercheurs. A partir de la fin de la guerre et jusqu’au début des années 80, Londres a connu une décroissance continue des emplois et de la population, que le gouvernement encourageait en

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contrôlant les implantations d’industries et de bureaux et en construisant les villes nouvelles dans des périphéries de plus en plus éloignées (Milton Keynes, Peterborough, Northampton). Les contrôles ont disparu et les villes nouvelles terminées, mais l’absence d’un gouvernement du « Grand Londres » ne permettait pas la mise en place d’une stratégie partagée. Les transports publics sont devenus de plus en plus insuffisants, les logements et les bureaux de plus en plus chers, et les inégalités sociales se sont exacerbées. Les forces de Londres sont dans sa population hautement qualifiée et multiculturelle - 1,8 millions d’étrangers de 90 pays différents parlant plus de 300 langues –dans la présence de 13 510 entreprises étrangères (42% du total du Royaume Uni) et d’un centre financier mondial représentant un chiffre d’affaires de 30 milliards de £ par an et un tiers des opérations mondiales de change, et d’un pôle touristique qui attire 75% des visiteurs étrangers du pays. Mais ses faiblesses sont loin d’être mineures :

• 14% des employeurs londoniens envisageant désirent s’en aller, ce qui peut faire perdre 500 000 emplois

• taux de chômage double du niveau national • 1/3 des offres d'emploi difficiles à satisfaire parce que 25 % des actifs sont sans

qualification • des transports vétustes : les 300 millions de passagers du métro ont perdu l’équivalent

de 6 735 années de travail à cause des retards cumulés • la vitesse de circulation moyenne dans le centre est de 10 milles à l’heure • le taux de vacance des postes d’enseignants 3,5 fois plus élevé que dans les autres

régions • 21% des élèves du secondaire ne parlent pas couramment l’anglais.

La stratégie de développement économique définie pour Londres a quatre grands objectifs :

1. Assurer la croissance économique en développant Londres comme centre mondial et capitale européenne d'affaires en s’appuyant sur ses acquis multiculturels, en conservant un large éventail d’activités, en encourageant la créativité et l’esprit d’entreprise, en modernisant les infrastructures

2. Développer les connaissances et les formations : enseignements post-scolaires et apprentissage, transferts de technologies, innovation, promotion du rôle des établissements d’enseignement supérieur

3. Encourager la diversité culturelle et assurer l’égalité des chances des minorités, qui offrir des avantages compétitifs dans leurs pays d’origine

4. S’assurer d’une croissance durable en réussissant la renaissance urbaine, en développant les activités environnementales, en encourageant les pratiques « vertes », en améliorant l’état de santé et la sécurité des Londoniens.

Dès 2001, la London Development Agency a :

• aidé plus de 13 000 personnes à trouver un emploi et formé plus de 40 000, • aidé plus de 2 000 entreprises à s’implanter

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• récupéré et mis en valeur presque 300 hectares de terrains en friches, construit plus de 1.000 de logements et140 000 m² d’immobilier d’entreprise.

3.6 Barcelone : aménager la métropole pour assurer son développement

Le premier plan stratégique de Barcelone a été élaboré à partir de 1987 pour les Jeux olympiques de 1992, l’entrée dans l’Union européenne et faire face à la crise économique. Ce premier plan a mis l’accent sur les infrastructures. Après les JO, le deuxième plan visait à conquérir de nouveaux marchés, tandis que le troisième plan porte essentiellement sur le développement du capital humain (connaissances, universités, recherche…). La mondialisation altère le rôle des villes et des territoires, qui ne peuvent plus fonctionner de manière autonome. Pour la ville, la planification stratégique permet de lui donner des rôles significatifs, la stratégie étant le modèle d’organisation dont se dotent les territoires « pro-actifs ». La réflexion autour de plans stratégiques pour Barcelone a démarré en 1987. Les trois premiers plans stratégiques de Barcelone étaient limités au territoire de la municipalité, recherchaient la participation pour parvenir à un consensus et assurer la coopération entre les secteurs public et privé. Le premier plan a mis un accent sur les infrastructures, qui avaient été négligées sous le franquisme. Le deuxième, après les JO, cherchait à profiter de l’opportunité qu’offrait l’accès à de nouveaux marchés, notamment en Europe. Le troisième a commencé à mettre l’accent sur le capital humain (la connaissance, les universités). .L’idée générale de ces plans a été de profiter de grands événements pour faire évoluer la ville. Le prochain événement, le « Forum Barcelona » de 2004, est à nouveau l’occasion de changer différents aspects de la ville : économiques, sociaux, urbains. Barcelone a déjà fortement évolué physiquement. Linéaire à l’origine, la ville est devenue plus « ronde » avec la création d’une autoroute périphérique. L’aéroport a été doté d’une nouvelle piste. Une grande friche industrielle en front de mer a été transformée en quartier résidentiel balnéaire. Les grands travaux vont se poursuivre : le port va être plus que doublé, et le « Forum 2004 » va être l’occasion de transformer un autre quartier. Le plan « 22@ » prévoit l’aménagement de198 ha pour attirer de nouvelles activités liées à la connaissance, avec notamment de gros investissements pour le câblage. Le plan stratégique de l’aire métropolitaine regroupant 36 municipalités est un réseau polynucléaire de villes regroupant 3 millions d’habitants. Il repose sur les travaux de deux commissions d’experts de prospective et de stratégie, ayant abordé huit problématiques: élargissement de l’Union européenne, formation, recherche et innovation, vieillissement de la population, mobilité, notamment des marchandises, changements rapides, durabilité, réalité métropolitaine, population immigrée. Cinq commissions thématiques ouvertes à toutes les institutions importantes de la cité ont examiné :

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1. Le capital humain (notamment les formations aux professions du futur) 2. La dynamique économique (culture entrepreneuriale, capacité d’assimilation de

l’innovation, recherche, …) 3. Les transports ( qualité urbaine, mobilités des marchandises, …) 4. Le social ( solidarité, intégration, gouvernances, sécurité, …) 5. La mondialisation (relations avec la vallée du Rhône, nouveaux métiers, pôles

méditerranéens…) Le plan stratégique de l’aire métropolitaine est à cinq ans. Il vise à développer le réseau de transport, améliorer la liaison avec l’aéroport, atténuer les encombrements du réseau routier, mettre en place un réseau câblé, intégrer les universités dans les projets de développement économique, accroître l’offre de logements sociaux pour les immigrés, faciliter l’intégration des épouses des personnels expatriés… Une idée force est de passer d’un plan stratégique à une ville qui « pense stratégiquement ». afin que les responsables puissent aborder le futur sans attendre un plan9.

3.7 Singapour : une stratégie basée sur la recherche et l’innovation

Comme Barcelone, Singapour10 attache une grande importance à l’enseignement supérieur, à la recherche et aux facteurs favorisant l’innovation, à commencer par une fiscalité favorable aux entreprises et aux cadres de haut niveau. Depuis son indépendance, Singapour a connu une croissance époustouflante: son PIB est passé de 2.15 milliards de $ locaux en 1960 à 153 en 2001. L’état est devenu un grand centre financier, un pôle commercial régional majeur, le port le plus actif du monde et un grand centre d’investissements étrangers, avec le meilleur « climat » asiatique des affaires, selon The Economist Intelligence Unit (2002). D’après le World Economic Forum, Singapour aurait même le meilleur potentiel d’innovation du monde.

Singapour se veut une « serre d’entreprises » capable d’accélérer leur croissance de l’idée initiale, à la création, a l’émergence puis à la mondialisation (encore rare). Mais il y a la présence de 6.000 multinationales, et surtout les participations financières (ou « co-investissements) ou le capital de part que peuvent apporter l’agence de développement (EDB). Pour assurer le renouvellement permanent de la “serre”, les 115 fonds de capital risque (13,7 milliards de $ locaux), les incubateurs, les « accélérateurs d’affaires » sont là, ainsi que les incitations à la recherche et à l’expérimentation, les aides à la mise sur pied de partenariats industriels ou internationaux. Plusieurs incubateurs accueillent les investisseurs étrangers (India Centre, Japan Business Support Centre, Korea Venture Acceleration Centre).

Singapour a attiré plus de 90,000 cadres étrangers de haut niveau, et pour mieux former ses étudiants a facilité l’installation de filiales de dix grandes universités11.

9 D’après un exposé de Francesc SANTACANA, directeur du plan stratégique de Barcelone, le 27 septembre 2002 10 exposé de CHONG THOONG-SHIN, représentant du Singapore Economic Development Board à Paris, le 27 juin 2002

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L’organisation des douze centres de recherche publics est un modèle en matière d’efficacité économique. Au départ, l’État finance les programmes à 100 %, mais définit les stratégies technologiques et de recrutement. Dans un délai de cinq ans, les centres doivent démontrer leur capacité à survivre en trouvant sur le marché 50 %-des fonds qui leur sont nécessaires. L’État ne se désengage pas pour autant : il explore d’autres territoires. Ainsi a-t-il lancé un plan à 15 – 20 ans pour investir 15 milliards de $ dans une “ville scientifique” nouvelle de 194 hectares consacrée à la recherché dans les sciences de la vie et les technologies de l’information qui renforcera considérablement l’image de Singapour en tant que haut lieu mondial de la recherche disposant d’une « masse critique » de compétences de haut niveau – savants, chercheurs mais aussi entrepreneurs. Afin de conserver ses élites, Singapour a lancé une politique d’équipement culturel, avec l’ouverture d’un premier centre, l’Esplanade - Theatres on the Bay, en octobre 2002

3.8 La Silicon Valley, métropole de l’innovation

L’économie de la Silicon Valley a été modelée depuis un demi-siècle par une série de vagues d’innovations12, lancées par les investissements dont a profité la recherche militaire pendant la guerre de Corée, qui ont jeté les bases de la vague suivante – celle des circuits intégrés – relayée par les ordinateurs personnels et enfin par internet. Cette dernière vague est allée bien au-delà des dot.com :

11 INSEAD, Johns Hopkins University, Massachusetts Institute of Technology, Georgia Institute of Technology, Wharton School of the University of Pennsylvania, University of Chicago Graduate School of Business, Technische Universiteit Eindhoven, Technische Universität München 12 « Preparing the Next Silicon Valley. Opportunities and Choices”. www.jointventures.org, juin 2002, 30 pages

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Les vagues d’innovation ayant assuré le développement de la Silicon Valley depuis 1950 (d’après The Silicon Valley Edge : A Habitat for Innovation and Entrepreneurship. Stanford University Press, 2000)

Aujourd’hui, la Silicon Valley - qui a su rebondir après chacune des crises de croissance qu’elle a connues – n’est pas encore sortie des difficultés engendrées par la fin de la bulle internet. Chacune des vagues d’innovation du passé a laissé derrière elle un réseau de talents, de fournisseurs, d’investisseurs, d’infrastructure constituant un terrain d’innovation de plus en plus fertile, grâce notamment aux aides que les grandes entreprises ont le plus souvent accordées à la création des « jeunes pousses » qui allaient mettre sur le marché les innovations ayant un potentiel commercial. Ce furent d’abord les communications militaires qui eurent des applications civiles, puis les fabricants de microprocesseurs (Fairchild, puis, évidemment, Intel, ainsi que AMD ou NS), ensuite les rédacteurs de logiciels ou les fabricants de stations de travail travaillant autour de Hewlett-Packard ou Apple ou profitant des savoirs et savoir-faire induits par leur présence, auxquels s’ajoutèrent dans les années 90 les géants de l’internet – tels Cisco ou Netscape, ou encore 3Com, Oracle ou Sun Microsystems. La capacité d’innovation de la région a donc été basée au moins autant sur la présence de ces entreprises déjà grandes ou capables de croître très rapidement que sur les savoirs concentrés dans ses centres de recherche et ses universités. Les responsables de la Valley réuni en une institution de droit privé13 – faute d’institutions publiques couvrant l’ensemble de son territoire – estiment donc que les bases de la prochaine vague d’innovation sont déjà en place. Selon eux, cette vague naîtra de la combinaison des trois grands domaines technologiques dont la Valley s’est fait une spécialité mondiale – à des degrés divers : l’« info tech », le « nano tech » et le « bio tech ».

13 Joint Venture : Silicon ValleyNetwork

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A leurs yeux, les avantages compétitifs de la Valley seraient décisifs , en en faisant un habitat spécial pour l’innovation et l’esprit d’entreprise. Ces avantages, ce sont des réseaux denses et souples de relations entre les entrepreneurs, les investisseurs en capital risque, les chercheurs universitaires, les juristes, les conseillers en toutes disciplines, les salariés extrêmement qualifiés capables de transformer très vite les idées en produits et services vendables, de manière à être toujours au sommet de la courbe d’innovation. Pour bien préparer, l’avenir, la Valley réorganise ses réseaux de recherche pour mieux assurer l’émergence de synergies effectives : à Stanford, le Bio-X Center intègre les facultés de médecine, de sciences et d’ingénierie pour utiliser tous les outils informatiques d’analyse dans la recherche moléculaire, cellulaire, sur les tissus et les organes. Le QB3 Institute for Quantitative Biomedical Research associe toutes les forces de trois universités de l’Etat en matière de recherche en biologie, informatique, physique, chimie et ingénierie dans l’un des instituts d’innovation fondés par le gouverneur de la Californie. Cependant, rien n’est acquis d’avance. La Valley pourrait bien se retrouver dans la situation de Pittsburgh, qui était il y a cent ans un centre d’innovation technologique sans rival, mais s’est engagée dans une très longue spirale de déclin dès les années 30. Cette crainte de se trouver à l’écart de la prochaine vague d’innovation n’est pas sans fondement : la dernière vague et ses excès ont laissé des séquelles sérieuses, telle, en particulier, l’impossibilité pour la jeune génération - celle des entrepreneurs qui créeront (ou ne créeront pas) la prochaine vague d’entreprises innovantes – de trouver à se loger convenablement dans l’aire métropolitaine. Un premier bilan de l’évolution de la Valley vers la prochaine vague d’innovations a été publié14. La Silicon Valley, ce sont aujourd’hui 2,3 millions d’habitants et 1,35 million d’emplois, après une baisse de 9 % en dix huit mois, entre janvier 2000 et juin 2001, une baisse des salaires de 6 % (pour se retrouver proche de celui de 1998), une baisse de 42 % des capitaux apportés par les investisseurs et du nombre d’entreprises cotées, 393, nombre également proche de celui de 1998. Entre 1992 et 2001, les bases économiques de la Valley ont sensiblement changé : la part de la production de logiciels et des services informatiques dans l’emploi est passée de 7 à 21 %, mais cette branche a été la première à souffrir de la récession, en perdant 21 % de ses effectifs en dix-huit mois. Autres indicateurs négatifs : le taux de locaux (bâtiments de recherche et bureaux) vacants est passé de 4 % à 20 % entre 2000 et 2002, et les loyers de 43 à 14 £ au m²…La dynamique des entreprises a beaucoup souffert : le nombre de « gazelles » (entreprises cotées ayant connu une croissance de 20 % par an pendant quatre ans) a diminué de 30 à 9 entre 2000 et 2002. Mais il y a toujours 393 entreprises cotées dans la Valley. Cependant, la région a vu croître le niveau de qualification de ses actifs, dont 41 % avaient au moins un diplôme universitaire en 2000, contre 32 % en 1990 et le nombre de diplômés des disciplines scientifiques et techniques a augmenté de 18 %, grâce aux étudiants asiatiques (plus nombreux que les Blancs) et aux femmes (27 % des diplômés). Autre signe positif : la productivité continue à augmenter (en 2002 : 184.300 $ par emploi, plus du double de la moyenne nationale, 82.300 $). Mais les conditions de vie ne sont pas 14 Collaborative Economics. “Joint Venture’s 2003 Index of Silicon Valley : Measuring Progress Toward the Goals of Silicon Valley 2010”. www.jointventure.org, 43 pages

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attrayantes. L’offre de logements est en baisse sensible, et l’offre de logements à des prix abordables reste nettement insuffisante. La densité augmente pour lutter contre la surconsommation d’espace, mais seuls 30 % des logements (et 29 % de l’immobilier d’entreprise) sont à proximité des gares ou des couloirs d’autobus. Aussi 75 % des déplacements se font-ils en voiture individuelle. Malgré l’extension du réseau ferré régional (BART) et des tramways, seuls 7 % des actifs utilisent les transports en commun, et 16 % le covoiturage. Il va de soi que la Silicon Valley n’a pas le monopole de l’innovation. D’autres entreprises que celles de la Valley peuvent être à la pointe des solutions innovantes, consistant en d’autres approches de l’offre technologique et de la manière de la proposer aux clients potentiels. Non plus sous forme de produits ou services isolés, mais en intégrant le matériel, le logiciel et le conseil en des solutions absolument nouvelles – et complètes. Cette approche met le client – et non la technologie – au cœur de l’offre, mais impose un type d’entreprise lui-même innovant, réunissant l’informatique « classique » de pointe – le matériel, les logiciels et les conseils d’IBM, en l’espèce, et le conseil en gestion (PwC Consulting). Le lieu de cette innovation n’est pas la Silicon Valley, mais le siège d’IBM, à Armonk, dans l’aire métropolitaine de New York15. En revanche, la Silicon Valley joue toujours son rôle de grande « maternité » d’entreprises innovantes. Certes les investissements en capital risque se sont effondrés. Le point haut atteint au deuxième trimestre 2000 était de 9,68 milliards de $. Au premier trimestre de 2003, les investissements n’étaient plus que de 1,27 milliards. Mais cette évolution mérite des commentaires :

• la Silicon Valley a encore attiré au début de cette année exactement le tiers (33,4 %) des capitaux à risque investis aux États-Unis

• le montant des investissements du premier trimestre 2003 est égal aux niveaux de 1996-97, qui marquaient le début de la « bulle internet »16

• les entrepreneurs, beaucoup plus expérimentés – et prudents – que ceux de la « bulle » se passent quand ils le peuvent des apports en capital, qui peuvent aboutir rapidement à la perte du contrôle de leur entreprise. Ils préfèrent s’autofinancer, quitte à croître beaucoup moins vite – et à prendre moins de risques17.

La Silicon Valley n’a pas apparemment besoin des commandes publiques pour survivre, même de celles qui étaient inespérées. Certes, les entreprises se réjouissent de l’augmentation de leurs commandes publiques, notamment militaires (telle celle concernant la « visualisation de la guerre urbaine » chez Silicon Graphics). En effet, ce sont les investissements des entreprises – d’abord américaines - qui « tirent » l’ économie de la Valley : ces investissements sont trente fois plus importants que ceux du gouvernement fédéral18.

15 “The Tech Industry : Is Big Blue the Next Big Thing ?”. Economist.com, June 19th 2003 16 Matt MARSHALL. « Venture Funding Slides in the Valley ». www.siliconvalley.com, Apr. 29, 2003 17 Matt MARSHALL. « Burned Up or Burnet Out, They Elect to get By on Their Own ». www.siliconvalley. com, May 19, 2003 18 Eric LESER. « Les commandes publiques, une manne inespérée pour la Silicon Valley ». Le Monde, 18 mars 2003

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