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Éco-Emploi 28 LUNDI 21 MARS 2016 «Nos managers doivent avoir confiance en leurs équipes et leurs compétences» Éco-Emploi : L'entreprise libérée veut-elle dire la fin du rôle du manager dans sa conception «classique» ? Jihane Benslimane : Le management en entre- prise libérée, appelé également le management coopératif, existe depuis 1988 et connait une grande médiatisation depuis la sortie de plu- sieurs ouvrages en 2009. Celui-ci existe déjà dans certaines entreprises et promet de booster la performance de l’entreprise en «libérant» les employés de la hiérarchie et du contrôle. Le dé- veloppement de cette notion a donné naissance à une perspective expliquant que la présence de la hiérarchie, de procédures et de contrôle avait pour conséquence une démotivation naturelle et de ce fait devenait un frein à la performance. L’objectif de ce type de gestion est de responsa- biliser les salariés quant au résultat de leur tra- vail en leur donnant la possibilité de s’organiser librement tout en nommant des leaders, de sup- primer les managers intermédiaires et de prin- cipe de subsidiarité. Notre écosystème se prête-t-il à ce type de management ? Pour que ce type d’entreprise puisse évoluer dans notre écosystème, il est essentiel de passer d’un management participatif à un management coopératif. Aussi, les dirigeants dans ce dernier doivent avoir confiance en leurs équipes et leurs compétences. Or, dans les entreprises de ma- nière générale nous sommes encore en phase de mutation d’un management directif à un mana- gement situationnel qui implique entre autres un management participatif. Lorsque ce ma- nagement participatif est déjà courant dans les pratiques, que les salariés sont dotés d’un fort savoir-être, d’un important sens des respon- sabilités et d’une forte mobilisation et autono- mie alors le management peut tendre à devenir «libéré». Quelles sont les limites de ce style de management ? Ce management donne lieu à plus d’autono- mie et de confiance aux collaborateurs en sup- primant les contrôles inutiles, le poids de la hiérarchie et les coûts du management intermé- diaire. Pourtant il existe encore des questions sans réponses et des limites à ce type de gestion comme : • Moins de fonction support suppose moins d’embauche et moins d’importance à la pré- sence d’un manager intermédiaire dans une structure. • Plus de présence de jeux politiques en interne entre salariés. Pas de besoin en gestion d es ressources hu- maines et par conséquent moins de veille en gestion des conflits, en anticipation des besoins en recrutement, en dialogue social… • L’absence d’un système structuré pour l’ac - quisition et l’évolution des compétences (la formation dans une entreprise libérée existe, mais est souvent externalisée) • Pas de visibilité sur la gestion des carrières. • L’incapacité pour l’entreprise à réagir et s’adapter vite dans un environnement complexe et incertain. • Le manque d’anticipation budgétaire et pas de vision sur les résultats comptables. Des salariés autonomes, libres d'innover, organisant leurs horaires, fixant personnellement les objectifs... Est-ce juste un rêve ou cela peut-il devenir une réalité ? En dehors des principaux critères liés à l’auto- nomie des salariés, une étude des pratiques de certaines «entreprises libérées» a pu permettre de définir différentes formes de participation six en tout : la participation aux profits ; La par- ticipation à la propriété de l’entreprise ; La par- ticipation à la prise de décision de gestion ; La participation à l’amélioration des conditions de travail ; La participation à la dynamique de dé- veloppement de l’entreprise ; La participation à «l’ordre civique» de l’entreprise, c’est-à-dire à sa responsabilisation. Bien qu’il n’y ait pas eu d’études concluant que ce type de management liant l’autonomie au bonheur des salariés et aux résultats peut mener à la performance optimale, quelques entreprises à succès pratiquent le management libéré (Zap- pos, filiale d'Amazon en France et Mondragon en Espagne). Propos recueillis par S.B. Entretien avec Jihane Benslimane, directrice Pôle conseil et formation, HERA Consulting «Il n’existe pas encore d’études concluant que ce type de management liant l’au- tonomie au bonheur des salariés et aux résultats peut mener à la performance optimale.» Jihane Benslimane. .../... Il nécessite que les managers fassent un travail sur eux-mêmes pour évo- luer vers une posture de leader et parvenir à veiller sur le bien-être des collaborateurs et la performance du faire ensemble», fait remarquer Ha- nane Aït Aïssa, DG de NGH Dévelop- pement. Attention au laisser-aller et à la désorganisation ! Ce style de management fait ses pre- miers pas chez nous. L'écosystème marocain est certes constitué autour de l'entreprise classique, pyrami- dale, hiérarchique et bureaucratique. Cependant, parmi la nouvelle géné- ration de managers, on constate une nouvelle vision de la gestion d’entre- prise. Selon plusieurs avis, on va, douce- ment, mais sûrement, vers un mana- gement participatif qui est la base d’une entreprise libérée. Cela s’applique beaucoup plus dans les start-ups de taille moyenne, par nature inno- vante et employant des collaborateurs jeunes et bien formés. Le management libéré peut égale- ment être une solution pour motiver les salariés et pour les impliquer dans le développement des perspectives de l’entreprise, mais il faut que la respon- sabilité soit parfaitement partagée : pour le salarié, ne pas y voir une op- portunité de laisser-aller ou de désor- ganisation, et le manager d’agir comme un leader libérateur et fédérateur. «Lorsque ce management participa- tif est déjà courant dans les pratiques, que les salariés sont dotés d’un fort savoir-être, d’un important sens des responsabilités et d’une forte mobili- sation et autonomie alors le manage- ment peut tendre à devenir “libéré”», résume Jihane Benslimane. Souad Badri Le manage- ment libéré s'applique aisément dans des start- ups de taille moyenne, par nature in- novantes et employant des collaborateurs jeunes et très bien formés.

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Éco-Emploi28 LUNDI 21 MARS 2016

«Nos managers doivent avoir confiance en leurs équipes et leurs compétences»Éco-Emploi : L'entreprise libérée veut-elle dire la fin du rôle du manager dans sa conception «classique» ?Jihane Benslimane : Le management en entre-prise libérée, appelé également le management coopératif, existe depuis 1988 et connait une grande médiatisation depuis la sortie de plu-sieurs ouvrages en 2009. Celui-ci existe déjà dans certaines entreprises et promet de booster la performance de l’entreprise en «libérant» les employés de la hiérarchie et du contrôle. Le dé-veloppement de cette notion a donné naissance à une perspective expliquant que la présence de la hiérarchie, de procédures et de contrôle avait pour conséquence une démotivation naturelle et de ce fait devenait un frein à la performance. L’objectif de ce type de gestion est de responsa-biliser les salariés quant au résultat de leur tra-vail en leur donnant la possibilité de s’organiser librement tout en nommant des leaders, de sup-primer les managers intermédiaires et de prin-cipe de subsidiarité.

Notre écosystème se prête-t-il à ce type de management ?Pour que ce type d’entreprise puisse évoluer dans notre écosystème, il est essentiel de passer d’un management participatif à un management coopératif. Aussi, les dirigeants dans ce dernier doivent avoir confiance en leurs équipes et leurs compétences. Or, dans les entreprises de ma-nière générale nous sommes encore en phase de mutation d’un management directif à un mana-gement situationnel qui implique entre autres un management participatif. Lorsque ce ma-nagement participatif est déjà courant dans les pratiques, que les salariés sont dotés d’un fort savoir-être, d’un important sens des respon-sabilités et d’une forte mobilisation et autono-mie alors le management peut tendre à devenir «libéré».

Quelles sont les limites de ce style de management ?Ce management donne lieu à plus d’autono-mie et de confiance aux collaborateurs en sup-primant les contrôles inutiles, le poids de la hiérarchie et les coûts du management intermé-diaire.

Pourtant il existe encore des questions sans réponses et des limites à ce type de gestion comme :• Moins de fonction support suppose moins d’embauche et moins d’importance à la pré-sence d’un manager intermédiaire dans une structure.• Plus de présence de jeux politiques en interne entre salariés.• Pas de besoin en gestion d es ressources hu-maines et par conséquent moins de veille en gestion des conflits, en anticipation des besoins en recrutement, en dialogue social…• L’absence d’un système structuré pour l’ac-quisition et l’évolution des compétences (la formation dans une entreprise libérée existe, mais est souvent externalisée)• Pas de visibilité sur la gestion des carrières.• L’incapacité pour l’entreprise à réagir et s’adapter vite dans un environnement complexe et incertain.• Le manque d’anticipation budgétaire et pas de vision sur les résultats comptables.

Des salariés autonomes, libres d'innover, organisant leurs horaires, fixant personnellement les objectifs... Est-ce juste un rêve ou cela peut-il devenir une réalité ?En dehors des principaux critères liés à l’auto-nomie des salariés, une étude des pratiques de certaines «entreprises libérées» a pu permettre de définir différentes formes de participation six en tout : la participation aux profits ; La par-ticipation à la propriété de l’entreprise ; La par-ticipation à la prise de décision de gestion ; La participation à l’amélioration des conditions de travail ; La participation à la dynamique de dé-veloppement de l’entreprise ; La participation à «l’ordre civique» de l’entreprise, c’est-à-dire à sa responsabilisation.Bien qu’il n’y ait pas eu d’études concluant que ce type de management liant l’autonomie au bonheur des salariés et aux résultats peut mener à la performance optimale, quelques entreprises à succès pratiquent le management libéré (Zap-pos, filiale d'Amazon en France et Mondragon en Espagne). Propos recueillis par S.B.

Entretien avec Jihane Benslimane, directrice Pôle conseil et formation, HERA Consulting

«Il n’existe pas encore

d’études concluant que

ce type de management

liant l’au-tonomie au

bonheur des salariés et aux résultats peut

mener à la performance

optimale.»

Jihane Benslimane.

.../...Il nécessite que les managers fassent un travail sur eux-mêmes pour évo-luer vers une posture de leader et parvenir à veiller sur le bien-être des collaborateurs et la performance du faire ensemble», fait remarquer Ha-nane Aït Aïssa, DG de NGH Dévelop-pement.

Attention au laisser-aller et à la désorganisation !Ce style de management fait ses pre-miers pas chez nous. L'écosystème marocain est certes constitué autour de l'entreprise classique, pyrami-dale, hiérarchique et bureaucratique. Cependant, parmi la nouvelle géné-ration de managers, on constate une nouvelle vision de la gestion d’entre-prise. Selon plusieurs avis, on va, douce-ment, mais sûrement, vers un mana-gement participatif qui est la base d’une

entreprise libérée. Cela s’applique beaucoup plus dans les start-ups de taille moyenne, par nature inno-vante et employant des collaborateurs jeunes et bien formés. Le management libéré peut égale-ment être une solution pour motiver les salariés et pour les impliquer dans le développement des perspectives de l’entreprise, mais il faut que la respon-sabilité soit parfaitement partagée : pour le salarié, ne pas y voir une op-portunité de laisser-aller ou de désor-ganisation, et le manager d’agir comme un leader libérateur et fédérateur. «Lorsque ce management participa-tif est déjà courant dans les pratiques, que les salariés sont dotés d’un fort savoir-être, d’un important sens des responsabilités et d’une forte mobili-sation et autonomie alors le manage-ment peut tendre à devenir “libéré”», résume Jihane Benslimane. Souad Badri

Le manage-ment libéré

s'applique aisément dans

des start-ups de taille

moyenne, par nature in-

novantes et employant des collaborateurs

jeunes et très bien formés.