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Avec nos remerciements pour leur soutien financier

Remerciements

C’est avec reconnaissance et gratitude que nous adressons ici nos remerciements aux membres du

Comité scientifique de ce congrès, à savoir:

— M. Lazare Benaroyo, Professeur associé en éthique et philosophie, Faculté de biologie et de méde-

cine de l’Université de Lausanne, Président

du département interfacultaire d'éthique;

— Mme Eliane Bovitutti, Directrice Le Rôtillon;

— M. Jean-Michel Kaision, Directeur des soins infirmiers, DP-CHUV;

— M. Yasser Khazaal, Président SSPS section romande;

— Mme Delphine Pernet, Travailleuse sociale, responsable RH-AI, Polyval;

— Mme Mercedes Pône, Chargée de mission, SASH;

— Mme Madeleine Pont, Directrice du Graap;

— Mme Virginie Stucki, Professeur HES;

— Mme Barbara Zbinden, Formatrice, coordinatrice de la CORAASP.

L’engagement et le soutien de chacun de ces membres ont largement contribué au succès de ce Congrès

du Graap 2011.

Les textes de cette brochure ont fait l’objet d’une transcription sur la base

des enregistrements réalisés lors des deux journées de notre congrès ou nous ont

été aimablement communiqués par les intervenants. Les versions les plus longues

sont publiées ici sous forme résumée.

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SommairePremière journée

Allocution de bienvenueet ouvertureNelly Perey 2

Un proche, c’est quoi? Madeleine Pont 4

Une question de société,une réflexion romandeBarbara Zbinden 9

Proches... droits et devoirsNathalie Brunner 13

Proches... droits et devoirsAtelier de Neuchâtel 19

Urgence et criseDr Rafik Benharrats,Yasmin Gharbi et Yves Dorogi 26

Le patient, ses proches et l’équipemédicale des urgencesde psychiatrieDr Catherine Duffour 29

Urgence et criseAtelier de Genève 35

Autonomie du proche, autonomie du patientLaurent Vachon 42

Autonomie du proche, autonomie du patientAtelier du Valais 49

De proche en proche,vers des chemins de citoyennetéMarie-Claude Barroche 55

Deuxième journée

De proche en proche, vers des chemins de citoyennetéAtelier de Fribourg 60

Contention et prison:Quel impact possible des prochessur la réinsertion de patientsayant commis des délitsou des actes violents?Jean-Jacques Wittezaele 71

Proches de patients psychiquesen prisonAtelier de Lausanne 79

Etre un proche qui prend soinQuelques réflexions autour du «guérisseur blessé»Françoise Loertscher-Rouge 89

Le proche dans la tourmenteémotionnelleAtelier du Jura 98

Résultat du sondageComité scientifique du Congrès 103

Principes de basepour une charte des proches 109

Quelques bases pour unecharte des prochesPierre-Yves Maillard 118

ANNEXE 1Compétences des proches 117

ANNEXE 2Besoins des proches 119

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J’ai à nouveau le grand plaisir devous souhaiter la bienvenue pour no-tre vingt-deuxième congrès annuel.

Quelques nouveautés cette année avecles interventions des divers ateliers can-tonaux de Suisse romande qui se sontconstitués pour réfléchir ensemble à laquestion de la place des proches face àla maladie psychique.

Le fruit de leurs réflexions vous sera pré-senté en plus des traditionnelles confé-rences. Un Comité scientifique a été créépour canaliser et synthétiser l’ensembledes pistes développées par les ateliers.

À mentionner encore un micro-sondageportant sur l’image des proches et dontles résultats vous seront présentés à lafin du congrès.

Parmi les participants à ce congrès, nousavons l’honneur de saluer la présence denombreuses personnalités: directeursd’institution, chefs de service, présidents

d’association, professionnels de la santé,etc. Le Conseiller d’État Pierre-YvesMaillard, chef du Département de lasanté et de l’action sociale, viendra enpersonne clôturer ce congrès en se pro-nonçant sur les bases d’une charte desproches élaborée notamment à partir destravaux réalisés dans les ateliers des can-tons romands.

Je salue aussi chaleureusement lespatients, les proches, mais aussi les sim-ples curieux, qui sont venus en nombre.

Je salue enfin les conférenciers qui pren-dront la parole durant ces deux journées,ainsi que les délégués des groupes régio-naux qui se sont réunis en vue de cecongrès. Nous leur sommes d’autantplus reconnaissants qu’ils acceptentd’intervenir quasiment tous bénévole-ment.

Je tiens aussi à remercier ici tout parti-culièrement les journalistes présentspour l’intérêt qu’ils manifestent pour

Allocution de bienvenue

Nelly Perey,présidente du Graap

Première journée

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notre congrès. Le rôle de la presse estimportant dans la formation de l’opinionpublique et dans la diffusion d’une meil-leure image de la maladie psychique etnous sommes reconnaissants de cettecollaboration.

Nous sommes heureux, cette année,d’aborder ce thème sur les proches!Bien que la situation des proches se soitaméliorée, il reste beaucoup à faire pourles considérer à leur juste place et valo-riser leurs compétences spécifiques.

Ce sujet me touche personnellement:malade alors que mes parents étaientdécédés, mes quatre sœurs ont pris lerelai et jouer le rôle de proche tout aulong de ma maladie, mais surtout pen-dant mes hospitalisations.

Le médecin qui me suivait a organisédes rencontres régulières avec deux demes sœurs les plus impliquées. Sans mesouvenir véritablement de ce qui s’estdit lors de ces échanges, je crois savoirque cette démarche s’est révélée trèsutile pour elles. Ce fut aussi l’occasiond’entreprendre avec elles une thérapiede famille. J’ai pu alors comprendre queje n’étais pas la seule à souffrir de telsproblèmes. Ceux-ci s’exprimaient sim-plement d’une autre façon chez certainesde mes sœurs.

Actuellement, mes quatre sœurs et moicontinuons de nous rencontrer régulière-ment. Tous les deux mois, nouspartageons un repas chez l’une d’entrenous. Ces moments passés ensemblesont essentiels pour moi et j’en suis

reconnaissante. Avec le temps, bien destensions se sont aplanies et nos rapportsse sont enrichis. D’autres personnes duGraap, dont Dominique Scheder, anima-teur et chansonnier, ou Madeleine Pont,directrice, ont joué le rôle de proches àdes moments cruciaux.

Lors de mes dernières décompensations,Dominique Scheder a su en détecter lessignes avant-coureurs, ce qui a permis àmon médecin de prendre immédiate-ment les mesures qui s’imposaient.

Le proche est donc pour moi non seule-ment un garde-fou important, maisaussi, comme vous l’avez compris, legarant de relations chaleureuses qui mesont vitales. J’ai pour ma part choisi deleur faire confiance.

Cela dit, n’oubliez pas la soirée grandpublic avec des chansons françaisesJanel et Mel et le fameux bal avec leband d’Eben-Ezer!

Voilà, je souhaite à chacun et chacune devivre deux belles et fructueuses jour-nées!

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Un proche, c’est quoi?

Madeleine Pont, directrice du Graap

Amon tour de vous dire quelquesmots à propos des proches.

À l’instar des pays occidentaux, laSuisse assiste à une forte augmentationdes troubles psychiques au sein de sapopulation. Le phénomène, s’il affectela personne diagnostiquée n’en concernepas moins les personnes qui entretien-nent ou non, avec le malade, un lienaffectif.

Il peut s’agir de membres de la famille,d’un compagnon de vie, d’amis, de col-lègues de travail, etc. Le proche, en fait,est un citoyen comme un autre. Cepen-dant, force nous est de constater que lamauvaise image de la maladie psy-chique lui colle à la peau.

Dans mes débuts comme assistantesociale, il y a… 40 ans de cela, la mèreen particulier était souvent regardéecomme responsable du diagnostic psy-chiatrique de son fils ou de sa fille. Etmême, si vous avez écouté La ligne decœur, à la Radio Suisse Romande hiersoir, vous aurez entendu parler d’un

SMS où il était question de la responsa-bilité des parents à propos de la maladiepsychique de leurs enfants. Et M. Ferna-gut de rappeler des mots comme«parents toxiques»…

Dans ces conditions, comment établir,avec une mère que l’on considèrecomme «schizophrénogène» ou«toxique», un partenariat efficace?

Du bouc émissaire maternel, en raisonde l’essor notamment des thérapies sys-témiques, on s’est mis à parler de«système familial dysfonctionnel».Conçu de cette manière, le symptômepsychiatrique n’était que la manifesta-tion d’une pathologie présente au cœurmême de la famille. «Patient désigné»,le malade se trouvait en quelque sortepris en otage dans un milieu défaillantqui n’était d’aucun secours pour lui.

Juste un exemple qui démontre que cetteattitude est encore très en cours de nosjours. Dans un courriel adressé auGraap, le 5 avril dernier, des parentss’expriment:

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«L'histoire de notre enfant avec la psy-chiatre est longue et très douloureuse;quelques rares fois soutenante...

Nous avons cherché de l'aide auprès duTribunal, notre fils devenant délinquant;très vite l'éducateur en charge du dossieret le président ont considéré que nousétions à l'origine des difficultés de notrefils.

Dernièrement, l'éducateur a déclaré enaudience vouloir trouver pour lui unpsychiatre thérapeute "avec lequel nousn'interférerions pas"; cela est très dou-loureux pour nous... Pouvons-nous fairequelque chose? Que nous conseillez-vous?»

Trop souvent encore, les proches sontconsidérés comme quantité négligeable,relégués au rang de non-solution pour lebien-être du malade, voire, comme dansl’exemple ci-dessus, uniquement ouessentiellement comme pathogènes. Leproche n’existant aux yeux des profes-sionnels que lorsque la crise psychiquesurvient, il est alors, dans ce cas, l’inter-venant en première ligne où il joue,malgré lui, le rôle de psychiatre, d’infir-mier, de policier, d’assistant social!

Heureusement, il arrive aussi, et de plusen plus souvent, qu’on les associe à laprise en charge. Il n’est pas rare que cesproches aidants aient à assumer toujoursplus de responsabilités, plus ou moins àleur corps défendant. Ils deviennent car-rément des co-thérapeutes, pourvoyeursde soins non patentés.

Une conscience politique du rôle desproches a d’ailleurs émergé ces der-nières années. Pour tirer un parallèleavec la maladie d’Alzheimer, pourl’heure mieux documentée, on estimeque l’engagement au quotidien desproches permet d’économiser la baga-telle de 2,2 milliards de francs chaqueannée. Les politiques publiques décidentdonc aujourd’hui de soutenir les prochespar le biais de différentes mesures; nonseulement pour qu’ils puissent mieuxaider leur malade, mais aussi pour éviterqu’eux-mêmes tombent à leur tourmalades.

Ce statut du «proche aidant» représenteun progrès par rapport au statut duproche exclusivement pathogène.Cependant, il n’en reste pas moins pro-blématique: ils ne jouissent pas de lavéritable reconnaissance de citoyens àpart entière. Ils restent affublés de l’éti-quette de victime collatérale de lamaladie psychique, plus ou moins fragi-lisés.

Des travaux des ateliers romands et del’expérience du Graap, il ressort que lesproches aspirent à la reconnaissanced’un autre statut qui souligne leur com-pétence à jouer un rôle actif etresponsable, en lien avec les autresacteurs du réseau oeuvrant pour un pro-jet de rétablissement de la santé de leurproche malade.

Ils parlent de «proches solidaires». Cettenotion inscrit le proche dans une struc-ture qui valorise les ressources etcompétences de tous les partenaires,

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élargissant ainsi le projet thérapeutiqueindividualisé à un projet de rétablisse-ment social.

Cette reconnaissance du proche solidairepasse par un autre regard sur le procheet la mise en place de nouveaux rapportsavec les divers intervenants confrontés àla maladie psychique. Dans cette visiondes choses, on casse le rapport «proches& patients» d’un côté et les profession-nels de l’autre.

Jusqu’à présent, le malade est —impli-citement ou pas— placé au cœur dusystème de soin, au centre de l’attention;et le proche aussi, de par sa relation avecle malade. Ce focus porté sur la dyadeproche/patient crée, de fait, une asymé-trie de type assistants/assistés,professionnels/profanes, acteurs/specta-teurs.

De nos ateliers, il ressort que les prochessouhaitent jouer un rôle actif dans leprojet de rétablissement de leur prochemalade. Et être considérés comme par-tenaires au même titre que lesprofessionnels! (voir schéma 1 et 2,pages suivantes)

Ainsi, c’est ce projet de rétablissementqui est au centre. Les proches sont posi-tionnés sur le cercle, comme les patientsdu reste, et agissent de concert avec tousles autres intervenants.

Leurs compétences sont reconnues équi-valentes aux autres intervenants qu’ilssoient directement issus des métiers dela santé (psychiatres, médecins de

famille, infirmiers), de ceux à vocationsociale ou spirituelle (assistants sociaux,aumôniers, pasteurs, prêtres, ensei-gnants), ou encore de ceux liés àl’application de la justice (juges, avo-cats, policiers, agents de détention).

Dans un esprit de partenariat et de soli-darité, ils formeront ensemble unealliance autour d’un projet commun desanté mentale pour lequel ils s’engage-ront.

Les proches ne veulent plus être consi-dérés uniquement comme les porteurscollatéraux du fardeau de la maladie.S’ils ont des besoins en lien avec ce far-deau, ils ont aussi des compétences àfaire valoir.

Et c’est de cela qu’il sera question lorsde ces deux journées.

J’ai maintenant le plaisir de passer laparole à Barbara, qui va nous dire deuxmots sur un projet de charte des prochesde patients psychiques.

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Bonjour et bienvenue. Je me ré-jouis de partager avec vous cesdeux prochaines journées. Et je

sais que beaucoup de personnes pré-sentes ici sont dans le même cas quemoi… Tout simplement parce que la ré-flexion initiée par le Graap sur le thèmedes proches s’est avérée très contagieuse.

J’ai en effet été témoin, durant ces der-niers mois, d’un engagement intense etgénéreux de la part des organisationsaffiliées à la CORAASP. Leurs membresont participé, dans les divers cantonsromands, à la préparation du congrès, ens’investissant dans les ateliers decitoyenneté que nous avons lancés endécembre dernier. Vous découvrirezdurant les 2 jours à venir leurs riches etintéressants travaux de réflexion. Leursexpériences et leurs idées d’améliorationconcernant le rôle et la place desproches nous ont permis ont égalementpermis de concrétiser l’objectif principalde ce congrès à savoir, l’élaboration et ladiffusion d’une charte des proches. Vousavez reçu, à l’entrée, la première versionde cette charte romande des proches. Jeprécise qu’il s’agit d’un document qui

sera peaufiné à la suite du congrès, grâceaux apports de nos conférenciers, maisgrâce aussi à vos contributions à tous. Iciet maintenant, je vais simplement com-menter brièvement les grandes lignes dece document.

Mais d’abord, pourquoi vouloir une charte?

Et bien, parce que nous sommesconscients que l’accès des proches soli-daires dans des structures d’aide et desoin, selon le schéma présenté, tantôtpar Mme Pont, implique, ni plus nimoins un changement culturel; un chan-gement, dont nous osons toutefois rêverensemble depuis quelques mois, unchangement qui implique que noussommes prêts à passer ensemble d’unevision purement assistancielle duproche à un concept de solidarité. Unchangement qui ne peut se faire sansun soutien et un engagement à gagnerau-delà de nos institutions et associa-tions spécialisées. La future CHARTE

Une question de société,une réflexion romande

Barbara Zbinden, coordinatrice de la CORAASP,professeur vacataire HES, Martigny

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des PROCHES sera donc négociée etsignée non seulement par des parte-naires concernés, personnellement ouprofessionnellement par la probléma-tique de la santé mentale, mais aussipar les autorités cantonales etromandes de santé publique.

Elle engagera ses signataires à respecteret à agir en cohérence avec les valeursqui sous-tendent la Convention inter-nationale des droits de l’homme, enparticulier celle de l’ONU relative auxdroits des personnes handicapées; dece fait même, elle s’adressera à tout unchacun.

Les principes généraux listés par lacharte, sont à considérer comme desoutils concrets pour fédérer autour d’unprojet commun de société les autoritéspolitiques, les institutions, les associa-tions, les entreprises ainsi que tous lescollectifs et individus intéressés à colla-borer à un projet qui vise le maintien etle rétablissement de la santé mentalepour nous tous.

Nos énergies seraient alors davantageinvesties dans la mobilisation des res-sources de l’ensemble des partenairesd’un réseau plutôt que sur la focalisationsur des problématiques individuelles, depatients ou de proches.

Les principes générauxde la charte

Voici donc la liste des 14 principes debase de cette charte que je vais briève-ment commenter ici avec l’idéed’illustrer le sens et le changementconcret qui en découlent.

Une alliance autour d’un projet

Cela veut tout simplement dire «se met-tre ensemble» autour d’un projet derétablissement et non autour d’un indi-vidu. Cela implique d’intégrer autour dece projet les professionnels, les patients,mais aussi les proches…

Respect du principed’équivalence

Il ne faut pas confondre «équivalence»et «égalité». Nous ne sommes pas touségaux, mais nous avons tous des compé-tences utiles à la réussite d’un projetcommun.

Engagement solidaire et responsabilité

Sur ce point, j’ai envie de vous donnerun exemple:

Si un patient ne vient pas à un rendez-vous, par exemple parce qu’il ne seconsidère pas comme malade, il s’agit,dans le cadre d’un engagement solidaireet responsable, de s’en inquiéter, voired’aller le chercher ou tout du moins de

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voir comment le lien peut être entretenuavec lui, même si ce lien est ténu… carsi un des partenaires manque à l’appel,c’est le projet tout entier qui est remis enquestion.

Réciprocité entre les partenaires

Ce point sera largement abordé par lesateliers cantonaux…

Socialisation des problèmes individuels

Selon le schéma que vous avez vu tout àl’heure, c’est de permettre à la personnede prendre conscience qu’elle n’est pasla seule concernée par sa problématique.Si elle se sent persécutée, de nombreuxautres le sont aussi. D’ailleurs, tout cequi lui arrive peut arriver à n’importequi. D’une part, elle n’est jamais seuledans son cas et d’autre part, ce qui luiarrive à un moment donné touche d’au-tres personnes de son environnement,par exemple son employeur, ses col-lègues, ses amis, etc. Il est doncimportant de sortir du binôme patientsoignant ou patient proche aidant pourimpliquer d’autres personnes dans larecherche d’une amélioration de la situa-tion.

Reconnaissance des compétences,reconnaissance des besoins,information et communication

Ces points aussi seront largement évo-qués par les ateliers cantonaux.

Autonomie

Il est important de veiller à ce que lesproches prennent soin d’eux, car ils ontsouvent tendance à s’oublier… Lessources d’interférences empêchant unfonctionnement serein (émotions dou-loureuses, doutes, etc.) doivent êtrediscutées et prises en compte dans unclimat de confiance et d’entraidemutuelle.

Esprit de famille

La présence d’un membre concernée parla maladie déséquilibre… Ce sont sou-vent les frères et sœurs qui paient unlarge tribut de même que les enfants deparents en difficulté… Quand on ditvouloir soutenir les familles, on devraits’en souvenir avec la conscience de cetteréalité…

Sécurité, psychiatrie et justice,proches et prison

Ces points seront largement abordés parles ateliers.

Santé psychique, santé socialeet citoyenneté

Au-delà d’un projet de rétablissementpersonnel concernant leurs proches,c’est comme si la maladie avait dégagéau sein des familles concernées une plusgrande conscience sociale. J’ai en effetété frappée de rencontrer des pères, desmères, des frères, des sœurs ou des

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enfants qui ont développé un engage-ment allant bien au-delà du soutien à undes leurs. Souvent, ces personnes semettent au service d’une associationcomme bénévoles. Je veux pour preuvede leur créativité et de leur générositétoutes les propositions qui ont émergédes ateliers citoyens et dont vous alleztous pouvoir goûter la teneur pendantces deux jours, des propositions néesd’expériences et de vécus intenses àmettre en perspective avec les exposésdes spécialistes qui nous font l’honneurde réfléchir avec nous pendant cecongrès.

La première de ces spécialistes estNathalie Brunner, avocate et collabora-trice scientifique à l’Institut de droit dela santé l’Université de Neuchâtel….

Je vous remercie de votre attention et jevous souhaite une belle première jour-née.

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La notion de proches utilisée dansun contexte juridique peut soule-ver de nombreuses questions, en

fonction des différents contextes. Endonner un panorama exhaustif dans uncadre aussi restreint relève de la gageure.C’est pourquoi, par souci de clarté, j’aidécidé ici de me focaliser sur certainsaspects du nouveau droit de protectionde l’adulte, qui entrera en vigueur en2013 et qui impliquent les proches.

Vers un nouveau droitde protection de l’adulte

Ce nouveau droit, appelé à se substituerau droit actuel de la tutelle, mettra augoût du jour des dispositions souventanciennes et qui ne correspondent plus ànos valeurs actuelles. Cette révision duCode civil comporte notamment deuxobjectifs:

En premier, il s’agit de favoriser, dupoint de vue légal, l’autodéterminationde la personne. Concrètement, la loi pré-voit de nouveaux instruments qui

permettront à la personne de disposerd’elle-même lors de la survenance d’uneincapacité de discernement. Dans lesfaits, elle se verra accorder la possibilité,pendant qu’elle est capable de discerne-ment, de demander à un tiers de lareprésenter et d’agir à sa place si elle nedevait plus l’être. Ces dispositions pren-dront deux formes: le mandat pour caused’inaptitude et les directives anticipées.De telles dispositions existent déjà àl’heure actuelle, notamment dans leslégislations des cantons de la Suisseromande, mais avec de nombreuses dif-férences. Le nouveau droit de protectionde l’adulte viendra harmoniser la situa-tion dans toute la Suisse.

Le second objectif de cette révision dudroit de la tutelle vise à renforcer unecertaine solidarité familiale et à réduirel’intervention de l’État. En clair, et sipossible, c’est le concours de certainsproches qui sera sollicité en premierlorsqu’une personne perd sa capacité dediscernement. Ces proches auront ainsila possibilité, sous certaines conditions,de représenter le malade et de prendredes décisions à sa place; et ceci sans for-

Proches... droits etdevoirs

Nathalie Brunner,avocate, collaboratrice scientifique, Institut du droit de la santé, Universitéde Neuchâtel

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cément devoir recourir à des institutionslourdes, décidées par voie de justice,comme l’instauration de curatelles (quiremplaceront les tutelles actuelles). Lenouveau droit, en mettant en place denouvelles mesures appliquées de pleindroit, entend en quelque sorte donner uncadre légal aux pratiques existantesd’entraide entre proches.

Mandat pour cause d’inaptitude

Parmi les mesures personnelles antici-pées prévues par la révision du Codecivil figure le «mandat pour caused’inaptitude». Par là, il faut comprendreque toute personne, pour autant qu’ellesoit majeure et capable de discernement,pourra désigner un tiers de confiance.Ce dernier peut par exemple être unmembre de sa famille, un proche, un amiou son médecin; éventuellement mêmeplusieurs personnes ou un tiers sousforme de société (une fiduciaire, parexemple).

Le mandataire désigné sera par exemplechargé de fournir à la personne ayantperdu sa capacité de discernement uneassistance personnelle, de gérer sonpatrimoine et/ou de la représenter dansses rapports juridiques avec les tiers.Cette représentation est assimilée à uncontrat de mandat, ce qui veut dire enclair que le tiers est chargé de gérer uneaffaire ou rendre un service pour lecompte d’autrui. Cette désignation res-semble, au niveau de la forme, à ce quiest exigé en matière de testament. Tout

doit donc être écrit, daté et signé de lamain de la personne qui prend cette dis-position. Il est aussi possible de serendre chez un notaire qui rédigera unacte avec la forme requise. Le mandatsera ensuite enregistré auprès de l’étatcivil. Quand surviendra l’incapacité dediscernement, l’autorité aura le devoirde s’informer si un tel mandat existe et,le cas échéant, vérifier sa validité et letransmettre au mandataire.

La personne désignée dans le mandataura bien évidemment le droit de refuserd’emblée la mission qui lui est assignée.Cette opposition peut aussi intervenir lejour où survient l’incapacité de discer-nement ou lorsque la personne estsollicitée par les autorités de protectionde l’adulte.

Les tâches contenues dans le mandatseront plus ou moins importantes enfonction de ce que souhaite la personnequi l‘a rédigé. C’est scrupuleusement etavec diligence que le mandataire s’ac-quittera du cahier des charges qui luiaura été confié. Tout problème qu’il ren-contrerait devra être communiqué auxautorités de protection de l’adulte quistatueront au cas par cas, que ce soit ennommant un curateur, ou encore enautorisant le mandataire à dépasser lecadre strict de son mandat.

Une rémunération peut être envisagée,soit directement dans le mandat, soit parl’autorité. Lorsque les proches seronteux-mêmes les mandataires, aucundéfraiement n’est a priori prévu.

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Quant à la résiliation du mandat, si dejustes motifs sont invoqués (maladie,etc.), elle peut se produire avec effetimmédiat. Le nouveau droit prévoitcependant d’observer en principe undélai de deux mois avant résiliation, afinde permettre la passation des affaires àune autre personne, ou éventuellement àun curateur qui aurait été nommé par lesautorités de protection de l’adulte. Il vade soi que si le patient venait à recouvrerson discernement, la personne mandatéese verrait défaite, momentanément oudurablement, de ses obligations.

Les directivesanticipées

Les mesures personnelles anticipéespeuvent s’appliquer également audomaine médical. Grâce aux directivesanticipées, chaque personne —y com-pris les mineurs— aura la possibilité,pour autant qu’elle soit en possession detoutes ses facultés, de se prononcer surles traitements médicaux qu’elle sou-haite recevoir ou pas, si un jour ellevenait à perdre ce même discernement.Pour ce faire, l’aide d’un professionnelde la santé pourra s’avérer utile, dans lamesure où il est souvent difficile de sefaire une idée précise des conséquencesd’une dégradation de son état de santé.

La forme de ces directives anticipéessera moins contraignante que celle dumandat pour cause d’inaptitude. Il suf-fira en effet qu’elles soient consignéespar écrit, datées et signées par leurauteur. A l’avenir, ces directives pour-

ront probablement figurer sur la carted’assurance, ce qui permettra aux pro-fessionnels de la santé d’en avoirfacilement connaissance avant de prodi-guer des soins.

Chaque personne aura également la pos-sibilité de désigner un «représentantthérapeutique», qui sera amené à pren-dre pour elle des décisions en matière detraitement médical au cas où elle devien-drait incapable de discernement. Ilpourra s’agir d’un proche ou de n’im-porte quelle personne de confiancelibrement choisie. Il appartiendra alorsau représentant thérapeutique de s’entre-tenir avec les professionnels de la santéle moment venu et de prendre la déci-sion en lieu et place du patient. Lereprésentant aura accès à toutes lesinformations médicales nécessaires à laprise de décision.

La loi sera par ailleurs plus stricte quantà l’obligation des professionnels de lasanté de respecter le contenu de direc-tives anticipées. Si, par contre, leurcontenu est jugé illicite, par exemple siune personne a demandé à l’avancequ’on mette fin à ses jours en cas deperte de discernement, le corps médicalne pourra accéder à cette demande.

Ces directives ne seront non plus pasapplicables si les professionnels de lasanté parviennent à prouver que celles-ci ne sont plus actuelles ou ne reflètentpas du tout la volonté de la personne.

Les proches seront aussi habilités àintervenir s’ils constatent que ces direc-

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tives anticipées ne sont pas ou mal res-pectées, mais aussi lorsqu’ils jugentqu’elles n’expriment pas le vrai désir dupatient. Ils en référeront alors aux auto-rités de protection de la personne, quiinterviendra si elle considère que, d’unemanière ou d’une autre, les intérêts dupatient risquent d’être compromis.Comme on le constate, les prochesseront investis d’un certain pouvoir decontrôle, ce qui constitue un point posi-tif.

Les mesuresappliquées de plein droit

Le nouveau droit de protection del’adulte s’efforce aussi de clarifier lasituation juridique d’une personne inca-pable de discernement et qui n’auraitpas désigné préalablement de manda-taire pour cause d’inaptitude et ne seraitpas déjà pourvue d’un curateur. Desmesures pourront être alors appliquéesde plein droit dans certaines situationsbien précises:

En premier lieu, si la personne devenueincapable de discernement fait ménagecommun avec son conjoint (époux) ouson partenaire enregistré (les simplesconcubins sont ici exclus), ce derniersera en droit, du simple effet de la loi,d’exécuter pour elle différents actes dela vie quotidienne ou relevant de la ges-tion patrimoniale courante. Il fautentendre par là l’ensemble des actes juri-diques reconnus commeincontournables pour satisfaire les

besoins courants de la personne. Deslimites sont cependant posées lorsqu’ils’agit de gestes administratifs impor-tants, touchant notamment aux biens dela personne et qui excèderaient l’aidemutuelle normale entre conjoints (parexemple l’achat ou la vente d’unimmeuble). A préciser encore que sil’incapacité de discernement devaitdurer, un curateur serait appelé à prendrela relève.

Là aussi, si ce pouvoir de représentationn’est pas ou mal exercé par le conjointou le partenaire enregistré, les prochespourront alerter l’autorité compétentequi prendra les décisions les plus àmême de préserver au mieux les intérêtsde la personne.

Concernant maintenant le choix dessoins médicaux à prodiguer à une per-sonne privée de son discernement, ladécision incombera à une personnehabilitée à représenter le patient, pourautant qu’il n’existe pas de directiveanticipée, qu’il ne s’agisse pas d’unesituation d’urgence vitale et que lepatient n’ait pas été placé contre son grédans un établissement psychiatrique(voir plus loin). Un plan de traitementsera établi par les professionnels de lasanté avec l’accord de la personne habi-litée à représenter le patient. Il peut bienentendu s’agir du représentant thérapeu-tique ou du curateur (si la prise dedécisions médicales figure parmi sestâches), mais que faire si le patient n’enest pas pourvu ? Dans cette situation, laloi prévoit un ordre de priorité légaleparmi les proches, à la condition bien

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entendu que ce proche ait des liens bienréels avec le malade et soit apte à luifournir une assistance personnelle. Dansla mesure du possible, c’est donc en pre-mier lieu le conjoint ou le concubin(partenaire enregistré ou concubin «defait») qui pourra prendre des décisionsen matière médicale. En l’absence deconjoint, ce sont dans l’ordre les descen-dants (enfants, petits-enfants), suivis desparents (père ou mère) et enfin les frèreset des sœurs qui pourront exercer cettecharge. Si aucun proche n’existe ou siles proches refusent d’exercer cettecharge, l’autorité compétente nommeraun curateur.

Bien que positive, cette implication de lafamille dans le choix du traitementmédical à effectuer n’est pas sans posercertains problèmes. Les décisions àprendre peuvent être en effet parfois trèslourdes à prendre. Des divergences ausujet du traitement à entreprendre pour-ront aussi apparaître au sein de lafamille. En cas de trop grandes difficul-tés, c’est l’autorité compétente quiinterviendra et statuera.

Il est malaisé pour l’heure de prévoircomment ces situations seront géréesdans la pratique. L’expérience nous dirasi cette mesure est bonne ou s’il s’agitd’un «cadeau empoisonné» pour lesfamilles.

Le législateur a prévu un régime un peuparticulier en ce qui concerne le place-ment non volontaire d’un patient enétablissement psychiatrique à des finsd’assistance et de soins.

Comme actuellement, les proches pour-ront recourir contre une telle décision deplacement. Le médecin qui prononce leplacement sera tenu d’avertir les prochesde la possibilité qu’ils ont de s’opposerau placement forcé de leur parent ou deleur ami.

Le nouveau droit prévoit aussi, commecela se fait déjà dans certains cantons,que la personne placée contre son grépourra faire appel à ce qu’on appelle unepersonne de confiance, par exemple unproche. Cette personne n’aura pas lapossibilité de prendre de décision, maiscelle d’accompagner la personne pen-dant son placement et de s’impliquer,jusqu’à un certain point, dans l’ensem-ble des démarches administratives quisuivront le placement. Cette personnepourra par ailleurs accéder à l’ensembledes informations relatives au placementforcé, même si aucun pouvoir décision-nel ne lui est reconnu.

Concernant maintenant les soins lorsd’un placement en établissement psy-chiatrique contre le gré du patient, la loiprévoit que ceux-ci pourront être admi-nistrés à l’initiative du corps médical,même si le patient a formulé préalable-ment des directives anticipées ou estassisté par un représentant thérapeu-tique. Le nouveau droit prévoit en effetque, dans une telle situation, le médecindoit simplement prendre en considéra-tion ces directives anticipées, alors que,dans les cas de soins «physiques», ou sile placement est volontaire, le médecinest tenu de les respecter.

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Certaines conditions doivent cependantêtre réunies: le défaut de traitement oude mesures de contrainte doit mettregravement en péril la santé du patient oul’intégrité corporelle d’autrui. Le patientdoit également présenter un défaut deconsentement, ce qui sous-entend (selonle législateur !) que son état de santé leprive du discernement requis pour saisirla nécessité du traitement ou desmesures de contrainte. La preuve serafaite enfin qu’il n’existe pas d’autresmesures appropriées moins rigoureuses.Le nouveau droit stipule cependant quele plan de traitement sera établi si possi-ble sur la base d’une concertation avecle patient lui-même ou la personne deconfiance de son choix. Mais, en casd’échec, la décision reviendra au corpsmédical.

Cette dernière facette du nouveau droitsemble discutable sur de nombreuxpoints. En ne donnant pas un effetcontraignant aux directives anticipéesdans le cas particulier de soins psychia-triques appliqués lors de placementsforcés en établissements psychiatriques,la loi prive la personne se sachant parexemple prédisposée à des crises de seprononcer, en toute conscience, alorsqu’elle est en bonne santé, sur lamanière dont elle souhaiterait être soi-gnée si une crise survenait. C’est l’espritmême des mesures anticipées qui pour-rait être mis ici à néant. D’une part, onprévoit toute une série de mesures pourprotéger la personne et favoriser sonautonomie, et de l’autre, on ne respectepas ces mêmes mesures chez une caté-gorie particulière de patients.

Mais il s’agira de voir comment cettevolonté législative sera appliquée en pra-tique au sein des établissementspsychiatriques, ou le cas échéant, dansles institutions qui accueillent des per-sonnes handicapées. J’espère qu’onpréservera dans la mesure du possible lavolonté du patient ou, en tout cas, cellequi pourrait s’exprimer par la voix desproches.

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Proches... droits etdevoirs

Atelier de Neuchâtel et l’ANAAP (Association neuchâteloised'accueil et d'action psychiatrique)

Le groupe s’est réuni en atelier àcinq reprises pour travailler surle thème des droits et des devoirs

des proches.

Toute personne intéressée par ladémarche était la bienvenue, mais c’estprincipalement des proches de maladepsychique qui se sont joints à nous.

Lors de notre première réunion, nousavons cherché à définir plus précisémentle rôle des proches en partant des expé-riences et du vécu de chacun.

La majorité des participants ont faitremarquer qu’être proche relève du«parcours du combattant». C’est ce par-cours difficile que je vais moi-mêmevous commenter dans un premier temps.

Suivront deux témoignages de prochesqui illustreront mes propos.

Par la suite, nous vous présenterons lerésultat de nos échanges et réflexions surdiverses questions d’ordre juridique.

Être proche: un parcours du combattant

En interrogeant les proches de patientspsychiques, nous avons constaté queleur parcours de vie avec la maladiecomportait grosso modo quatre étapesprincipales. Cela ne signifie pas pourautant que toutes les personnes concer-nées traverseront nécessairementl’ensemble de ces phases. En fonctiondes circonstances et de leur vécu parti-culier, elles chemineront de façondifférente. Autre remarque: ces étapes nese produisent pas forcément dans unordre chronologique précis et des retoursen arrière sont toujours possibles.

Le proche qui s’ignore

De nombreux proches évoquent le chocque représente pour eux l’entrée en crised’un des leurs, son hospitalisation etl’annonce du diagnostic final. Naturelle-ment, ils cherchent parfois à se protéger.Une période de déni vis-à-vis de la

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maladie peut se produire: «Ce n’est quepassager!», «c’est dû à une adolescenceun peu difficile.. », etc. Le proche aural’impression que la maladie n’est pasvraiment réelle. Il se sentira peuconcerné et ne présentera pas de diffi-cultés majeures.

Le proche paumé etdémuni

Le proche a pris conscience de la mala-die de l’être aimé, mais il manqueencore de repères et n’a aucune cadreauquel se référer.

Peu informé sur la maladie, il ne sait niquoi faire, ni quelles attitudes adopter, nià qui s’adresser pour trouver de l’aide.

Le proche n’ose pas évoquer la questionde la maladie psychique d’un des siensavec son entourage. Il éprouve de lahonte et craint les réactions négatives.S’il tente tout de même d’en parler, il asouvent l’impression de n’être pas vrai-ment écouté ou compris: soit lespersonnes changent rapidement de sujet,soit elles se montrent, au contraire, «tropcurieuses».

Au niveau de notre société, on constateque la maladie psychique reste encorepour beaucoup un sujet tabou, même si,ces dernières années, des progrès ont étéfaits.

Le proche «paumé et démuni» présentesouvent les caractéristiques suivantes:

Le proche culpabilisé et/ou cul-pabilisant.

Lorsque des difficultés se présentent,nous avons tous tendance à rechercherle/les coupables. Ce réflexe est bienentendu aussi valable pour les prochesqui vont se poser les questions suivantes:«Qu’ai-je fait de mal?», «qu’ai-je fait defaux dans l’éducation de mon enfant?»,«de quoi suis-je coupable?», etc.

Pour mettre à distance cette culpabilité,certains proches accuseront alors lemalade de se laisser aller, de ne faireaucun effort, de ne pas se remettre enquestion, etc.

Le proche «imbécile»

L’envie d’aider l’être aimé se doublesouvent d’un sentiment d’impuissance etparfois de «ras-le-bol». Le proche peutavoir alors des réactions malheureusespour tenter de faire bouger les choses,du type: «Si tu ne fais pas plus d’efforts,tu n’auras plus le droit d’aller jouer aufoot».

Le proche angoissé

La maladie de l’être aimé évolue sou-vent de manière imprévisible. Le prochene sait pas de quoi demain sera fait, ced’autant plus quand les repères et lessoutiens viennent à manquer. Ces incer-titudes sur l’avenir généreront del’angoisse.

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Le proche confronté aux questions administratives et juridiques

Avec la maladie psychique surviennenttoutes sortes de questions d’ordre admi-nistratif et juridique, souvent trèscomplexes: assurances sociales, assu-rance de santé, tutelle/curatelle, rapportsavec les médecins, etc. Généralement,c’est le proche qui se chargera de gérerl’ensemble de ces démarches. Sur cepoint particulier, une proposition voussera soumise à la fin de cet exposé.

Le proche «chercheur d’aide»

Lorsque la santé psychique d’un dessiens est touchée, le proche a tout autantbesoin que le malade de soutien,d’écoute et d’informations.

Le proche aidant

Le qualificatif «aidant» laisse sous-entendre que le proche n’est pas unsoutien dès le début. Cela nous aquelque peu interloqués. Il est cependantvrai que plusieurs personnes de notregroupe ont éprouvé des difficultés à êtredes aidants réels dans les moments lesplus difficiles.

Après réflexions, le proche aidant nousapparaît comme celui qui est capable àla fois d’accepter la réalité de la mala-die, mais aussi d’accorder del’importance à son propre ressenti et sesperceptions.

Le proche qui accepte la maladie

Les personnes touchées dans leur santépsychique ont elles-mêmes souvent dela peine à accepter leur maladie. Lesproches n’échappent pas à cette ten-dance. Ils sont appelés également à faireleur propre cheminement pour enfin,peu à peu, accepter de «vivre avec» cettemaladie.

Le proche ose parler de la maladie

Mieux informés sur la maladie psy-chique, plus calmes et plus sereins, lesproches oseront évoquer la maladie,«avouer le honteux», pour reprendrel’expression d’un des participants.

Le proche qui apprend à dire «non»

Dans son parcours du combattant, leproche va également apprendre à penserdavantage à lui, à ses besoins et à sesdésirs. Il posera des limites claires etsera amené parfois à refuser certainesdemandes de son proche «malade».Cette démarche n’est pas évidente, sur-tout lorsque le malade traverse degrandes souffrances.

Apprendre à dire non permettra auproche de s’économiser et de soutenirson malade sur une plus grande durée.

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Le proche solidaire

Le proche devient citoyen au sens pre-mier du terme, ce qui veut dire qu’ils’impliquera dans un projet de sociétéafin de faire évoluer les consciences.Plus les proches solidaires seront nom-breux, plus leur impact sur la collectivitésera important.

Ce parcours du combattant s’estconstruit à partir d’expériences singu-lières, à l’image de celles de MmeMaeder et de M. Carrard qui ont acceptéde vous le faire partager. Je les en remer-cie vivement et leur cède la parole.

Témoignage de Mme Maeder

Ma fille Anne, âgée aujourd’hui de 48ans, souffre de schizophrénie et vitactuellement en foyer. Jusqu’à ses 21ans, elle semblait aller bien. C’est d’ail-leurs avec succès qu’elle avait réussi sonapprentissage d’assistante en pharmacie.Pourtant, petit à petit, elle s’est éloignéede ses amis de longue date pour fréquen-ter des personnes dites «marginales».Puis, avec le temps, elle ne nous écoutaitplus et se fâchait à la moindre de nosremarques. Les portes claquaient sou-vent. Au début, nous pensions qu’Annefaisait sa crise d’adolescence avec unpeu de retard. Mais la crise durait etnous ne savions plus quelle attitudeadopter avec elle. C’est à ce momentque nous avons cherché de l’aide. Nousl’avons trouvée à l’ANAAP (Associa-

tion neuchâteloise d'accueil et d'actionpsychiatrique), plus particulièrement enparticipant à un groupe de proches. Lepsychiatre de notre fille que nous ren-contrions tous les mois nous a aussibeaucoup aidés. Ces différents soutiensont été complémentaires et nous ont per-mis de nous sentir moins démunis etisolés.

Je précise que jamais nous n’avons euhonte de la maladie de notre fille. Peut-être parce que j’avais moi-mêmetravaillé plusieurs années dans un atelierd’ergothérapie, auprès de personnesatteintes dans leur santé psychique. Mal-gré tout, nous avons quand même dûapprendre à vivre avec la maladie denotre fille; par exemple, en posant deslimites. Cela n’a pas été facile, notam-ment lorsqu’elle a voulu vivre avec moi,après le décès de mon mari. Traversantmoi-même une période difficile, j’ai dûrefuser sa demande. Cette décision nenous pas empêché de vivre, par la suite,de très beaux moments ensemble, carj’étais pleinement disponible pour elle.Ce «non», si difficile à dire, semblepeut-être avoir rassuré Anne. Paradoxa-lement, ce refus a posé les bases d’unemeilleure communication entre nous.Les choses étaient claires et elles le sontrestées par la suite. A partir de cemoment-là, je me suis sentie plusaidante.

Je termine en disant que la maladie dema fille m’a permis d’ouvrir mon regardsur les personnes atteintes dans leursanté psychique, comme sur leursproches. Actuellement, je m’investis

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dans deux associations d’entraide:l’AFS (Association de familles et amisde malades souffrant de schizophrénie)et l’ANAAP. Je vous remercie de votreattention.

Témoignage de M. Carrard

Ma famille et moi-même avons souffertd’un terrible isolement lors des premiersjours de la maladie de mon fils Lionel,alors âgé de 15 ans. Parler de «parcoursdu combattant» me semble parfaitementapproprié, comme ce témoignage vousle montrera.

Au mois d’août 2007, notre fils com-mence son apprentissage. Aprèsquelques semaines, il présente des diffi-cultés à se lever pour se rendre à l’école.Quelques mois plus tard, il ne se rendplus du tout à l’école. A ce moment-là,sa maladie était en pleine expansion,comme nous l’apprendrons plus tard.Voici un extrait de la lettre que j’envoieau directeur de son école pour vousillustrer la détresse dans laquelle nousétions:

«Par ces quelques phrases, je tenais àvous faire partager la vie que nous avonsvécue, dans l’angoisse, l’incompréhen-sion et la confusion la plus totale. Nousavions vécu un début de cauchemar à larentrée scolaire de l’automne, c’est unenfer que nous avons subi cette semaine.Je viens de découvrir que mon fils estmalade. Ma femme a pris contact avecnotre médecin de famille, afin que Lio-

nel puisse voir un psychologue ou unpsychiatre. Cette manie de se laver lorsde difficultés ou de stress nous fait pen-ser à un TOC (troubles obsessionnelscompulsifs). Dans ces moments-là, Lio-nel n’a plus d’écoute. Il se renferme surlui-même, il n’a plus qu’une seule idée:se laver, dans votre cas, partir du lycée.»

Lorsque votre enfant se sent mal, qu’ilse tape la tête contre les murs pour fairepartir les idées négatives qui lui passentpar la tête, tout ceci nous bouscule, nousinterpelle et provoque détresse etimpuissance.

Devant ce comportement, nous contac-tons notre médecin généraliste qui setrouve dépourvu face à la situation etnous conseille de voir un psychiatre.Commence alors la valse des téléphonesavec réponses négatives: «Nous avonsassez de patients, nous ne prenons pasde nouveaux patients», «je veux bienvous aider», mais après quelquesminutes de descriptions, le psychiatrenous annonce que «le cas de Lionel esttrop difficile, qu’il ne peut pas s’enoccuper, mais qu’il connaît quelqu’und’autre qui pourrait le faire». On télé-phone au médecin suivant qui est tropoccupé, mais qui connaît d’autres per-sonnes qui auront plus de temps. Onnous dit que «le cas est trop compliquéet qu’il faudrait hospitaliser notre fils».

En tant que parents, nous sommes las,totalement dépourvus, avec l’impressiond’être abandonnés par des profession-nels qui ne s’intéressent pas à notre fils.On nous lâche... Quelle est donc cette

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maladie dont les symptômes font fuir lesprofessionnels? «Il faut l’hospitaliser»,disent-ils, mais où? Comment? Par qui,puisque personne ne daigne nous aider?Nous voici isolés, honteux de la pré-sence de cette maladie dans notrefamille dont personne ne semble savoirce qu’elle est. Nous nous refermons surnous-mêmes. Qu’avons-nous fait defaux pour en arriver là? Qui peut nousexpliquer ce qui se passe? Nous voyonsbien que notre fils souffre. Commentl’aider? «Pourquoi ne suis-je pas commeles autres?», crie-t-il en se cognant latête contre le miroir de la salle de bain.Nous tentons encore une fois d’obtenirde l’aide des professionnels. Par chance,une doctoresse, sensible à notre situa-tion, nous accorde enfin un rendez-vous.Cela faisait presque trois semaines quenous cherchions de l’aide! Un premierdiagnostic est posé: notre fils souffred’un trouble obsessionnel compulsifayant évolué vers une schizophréniesimple.

La suite de notre histoire est tout à faitbanale pour des parents confrontés à cetype de maladie: accueil au sein de lafamille, prise en main de la maladie avecadaptation du milieu familial et essayerde faire de chaque jour un jour de bon-heur pour son enfant malade.

Pour que ce «parcours du combattant»ne devienne pas le chemin de croix quenous avons vécu, des solutions doiventêtre trouvées afin d’aider les parents auxprises avec une telle détresse; ceci, afinque d’autres parents ne subissent pasl’enfer que nous avons vécu et ne res-

sentent pas ce sentiment d’être lâche-ment abandonnés. Merci.

Propositions concrètes

Les questions d’ordre juridique et admi-nistratif comptent parmi les principalesdifficultés que rencontrent les prochesde malades psychiques. Les participantsde notre atelier relèvent que cesdémarches, par leur nombre et leur com-plexité, contribuent à rendre le procheencore plus «paumé et démuni». Sur labase de nos expériences personnelles, denos discussions et de nos réflexions,nous vous soumettons une propositiond’amélioration en trois volets:

1) Création d’une assistancetéléphonique.

Chaque région ou association romandedevrait se doter d’une ligne téléphoniquespécialement créée à l’intention desproches et s’engager à accueillir leursappels une heure par semaine. Cette hel-pline permettrait aussi aux médecins etaux soignants d’orienter et d’informerles proches démunis ou en détresse.

2) Réalisation d’une check-listdes démarches administrativeset juridiques et mise à disposition d’informations et d’adresses ressources.

Centraliser sur un même support lesnombreuses informations dont lesproches ont besoin: check-list des

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démarches administratives et juridiques,informations sur les maladies psy-chiques, adresses des associations et desgroupes d’entraide, ressources, etc. Lesite Internet de la CORAASP (Coordi-nation romande des associations d'actionen santé psychique) pourrait faire officede banque de données. Des liens Internets’y référant figureraient sur les sites desassociations régionales. Les médias etles institutions médico-psychosocialesen assureraient la diffusion auprès dugrand public.

3) Créer un service juridiqueromand spécialisé dans les pro-blématiques psychiques

Pro Mente Sana propose déjà un servicede conseil juridique. Cette ressource estprécieuse. Nous souhaiterions la com-pléter avec un service qui puisseconseiller, mais également instruire lesdossiers juridiques. Pour ce faire, unecollaboration avec Pro Mente Sanapourrait être pertinente.

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«Seul, on est paumé»

«Ensemble, on est plus fort»

«Toi, plus moi, plus...»

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Dr Rafik Benharrats

Après un bref descriptif de l’UnitéUrgence et crise (UC) de Lau-sanne, je céderai la parole à Yas-

min Gharbi et à Yves Dorogi, deux in-firmiers travaillant au sein de cettestructure. Leur présentation traitera dela place des proches dans le contexte desurgences psychiatriques. La Drsse Cathe-rine Duffour, médecin-psychiatre, inter-viendra dans un second temps.

L’Unité Urgence et crise dont je suis leresponsable est rattachée au Départe-ment de psychiatrie du CHUV (Centrehospitalier universitaire vaudois). Notremission: assurer une permanence, 24heures sur 24, tous les jours de l’année,pour toutes personnes rencontrant desdifficultés d’ordre psychiatrique, etdevant faire très vite l’objet d’une pre-mière évaluation, recevoir des soinsambulatoires ou être hospitalisées.

L’équipe des urgences psychiatriques secompose en tout de dix médecins, de dix

infirmiers et de trois assistants sociaux.Bien qu’assumant avant tout une mis-sion clinique, l’Unité Urgence et crisedispose aussi d’un pôle de rechercheuniversitaire rattaché au Service de Psy-chiatrie de Liaison (PLI).

La question de la place et du rôle desproches est une problématique centraledans notre travail quotidien et fait l’objetd’une attention continue, comme vous leconstaterez dans les présentations quivont suivre.

Yasmin Gharbi et Yves Dorogi

Les demandes adressées à notre unitédes urgences psychiatriques passent pardeux canaux principaux: soit la per-sonne se rend physiquement dans notrecentre, soit nous recevons un appel télé-

Urgence et criseDr Rafik Benharrats, psychiatre, médecin associé de l’Unité Urgenceet crise, DP-CHUV, Lausanne

Yasmin Gharbi, infirmière, DP-CHUV

Yves Dorogi, infirmier spécialisteclinique, Service de psychiatrie de liaison, DP-CHUV

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phonique (c’est le moyen privilégié).Afin d’illustrer les enjeux et notre ques-tionnement sur la place des proches,nous avons décidé de vous donner unexemple concret dans chacune de cessituations. Ces exemples cliniques sontdes reconstitutions de plusieurs situa-tions tirées de notre pratique.

Arrivée aux urgencespsychiatriques

Dans la première situation, le patientarrive dans notre centre sous escortepolicière. Il est accompagné par sonfrère. Un infirmier est chargé de lesaccueillir. Ce premier contact n’est passimple: il faut identifier qui on reçoit,savoir à qui on va s’adresser en premier,tout en veillant à offrir la meilleure placepossible à chacun. En très peu de temps,il s’agit de faire les bons choix.

Pour ce faire, nous avons des procéduresqui nous permettent de nous guider.Nous allons d’abord recevoir le patienten individuel. Nous entretenir seul aveclui nous semble important, car on saitqu’il ne s’exprimera peut-être pas avecla même liberté de paroles en présenced’un proche.

Dans ce cas précis, le patient banalisepassablement ses actes: «J’ai pété unplomb, c’est pas grave, laissez-moi ren-trer! Ça va aller, je me suis calmé». Denotre point de vue, la présence de lapolice nous indique le contraire. Pour ensavoir plus, on décide, avec l’accord dupatient et en sa présence, de nous entre-

tenir avec son frère. Ce dernier se mon-tre très alarmé par la situation. Àl’analyse de son discours, nous consta-tons qu’il est très centré sur sesinquiétudes. Dès lors, toute une série dequestions se pose: Quelles sont lesdemandes de l’un et de l’autre et com-ment répondre au mieux à leurs attentesrespectives? Comment interagir aumieux avec chacun sans risquer decourt-circuiter la parole de l’un au profitde l’autre? Quelle écoute leur apporter?

En l’occurrence, nous avons demandéau frère s’il pouvait s’engager avec nousdans la mise en place du projet de soins.Pourtant, face à cette demande, il semontre contradictoire: à la fois désireuxd’être présent pour soutenir son frère,tout en refusant d’être garant du cadrediscuté. Cela lui semblait une tropgrande prise de responsabilité.

À partir de cet exemple, un constat s’im-pose: celui de l’immense décalage entrece que peuvent attendre le patient ou lesproches et ce que nous pouvons propo-ser. Cet écart, source d’insatisfactionnotamment pour l’entourage, doit fairel’objet d’une réflexion et nous amener àévoluer dans nos pratiques.

Quand le téléphonesonne

Dans le second exemple, une dame nousappelle au sujet de son mari qui s’alcoo-lise de plus en plus massivement et semontre menaçant vis-à-vis de son entou-rage. «Impossible de lui faire entendre

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raison», nous déclare-t-elle. Pour lui,«tout va bien».

La situation est complexe: impossible deforcer quelqu’un à consulter ou à cher-cher de l’aide; impossible non plusd’ignorer l’appel à l’aide, bien légitime,lancé par cette dame. Dans de tels cas defigure, nous allons écouter la personne,la conseiller au mieux sur les manièresd’agir dans les moments de crise et luidonner quelques stratégies pour inciterson compagnon à nous consulter. Il nousarrive aussi de recevoir l’entourage enconsultation, pour essayer de compren-dre ce qui le fait souffrir et explorer aveclui des pistes pour l’aider à gérer lasituation. Parfois même nous leurconseillons un soutien. Ces démarchesimpliquant les proches sont délicates,dans le sens où ceux-ci peuvent se dire:«Je téléphone avec une demande quin’est pas pour moi et on me dit, à moi,d’aller consulter».

Des situationscomplexes

La métaphore de l’iceberg illustre bienla réalité de notre activité. Que ce soitdans la rencontre en présence, ou autéléphone, l’enjeu de la rencontre est àl’image de cet iceberg où la partie visi-ble représente la rencontre entre lesusagers, les proches et les professionnelsdans le contexte des urgences. En effet,dans un premier temps, l’équipe desurgences n’a accès qu’à la partie émer-gée, mais nous savons aussi qu’il existeune partie immergée chez eux, comme

chez nous d’ailleurs. Ce soubassementse compose de nos expériences, de notrevécu, de nos connaissances et de nosvaleurs. Ces éléments sont bien souventà l’origine du décalage entre lesdemandes ou les attentes des personnesqui consultent et l’accueil ou la réponseque nous leur donnons. Patient, procheset professionnels constituent chacun dessystèmes complexes qui, parfois, ont dela peine à s’ajuster l’un à l’autre.

De plus, la dimension de «l’urgence»accentue ce décalage. Le Petit Robertdéfinit l’urgence par l’action et la rapi-dité. Le mot «urgence» vient du verbelatin urgere qui signifie «presser», maisaussi «mettre au pressoir», «hâter» et«tourmenter». Ce terme comporte doncbien une dimension affective, en lienavec une souffrance. Du point de vue dusoignant, le véritable signe distinctif del’urgence tiendrait plus au sentiment quinous gagne qu’il nous faut agir tout desuite. Sentiment le plus souvent accom-pagné d’inquiétude chez lesintervenants.

Dans l’urgence, les valeurs prédomi-nantes sont la survie, la guérison etl’explication. Dans un processus expli-catif (étymologiquement: plier, déplier,ouvrir les plis pour révéler ce qui s’ytrouve dissimulé) le participant (ici lepatient et ses proches) n’est qu’objet.Nous devons donc tendre vers un pro-cessus de compréhension(étymologiquement: saisir ensemble, parcréation de rapports nouveaux, embras-ser). Dans le rapport avec les proches,nous essayons au quotidien d’encoura-

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ger leur participation, notion quiimplique de leur part un engagement etun investissement personnels. Il s’agitau final de saisir ensemble une réponseco-construite à la demande de l’urgence.

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La rencontre entre l’équipe médi-cale, d’une part, et le patient ac-compagné de ses proches, d’autre

part, est à l’image de la rencontre duPetit Prince de St-Exupéry quand ilcroise le chemin du renard et que ce der-nier lui demande de l’apprivoiser.Chaque partie s’observe avant de faireun pas vers l’autre. Il s’agit d’une ren-contre où les premiers instants prennenttoute leur importance.

Il est dès lors primordial que cette entre-vue se déroule au mieux, d’autant pluslorsqu’elle se produit aux urgences depsychiatrie, un univers souvent encoreméconnu du patient et de sa famille. Àcet instant, la priorité de l’équipe desurgences est de créer un espace de ren-contre et de nouer une relation propice àl’échange.

De façon générale, les patients reçus parnotre unité sont en crise. Mais que signi-fie ce terme?

La crise peut être vue comme une rup-ture d’équilibre entre un individu et sonenvironnement. Elle constitue un phéno-mène réversible, temporaire, nonchronique et non classé nosographique-ment. Utiliser ce terme a l’avantage dene pas enfermer un individu dans uneétiquette diagnostique.

Cette définition de la crise met en avantl’idée d’un phénomène dynamique. Ellene se focalise pas sur la qualité de cha-cun des composants, à savoir le patientou son environnement, mais met en évi-dence une interaction où chacun descomposants contribue à former un tout.

Le patient, ses procheset l’équipe médicale des urgences de psychiatrieDr Catherine Duffour,Médecin psychiatre, Cheffe de cliniqueadjointe de l’Unité des Urgences-Crise, au sein du Service de Psychiatrie de Liaison du CHUV

Dr Rafik Benharrats,Médecin psychiatre, Médecin-associéUnité des Urgences-Crise, Service de Psychiatrie de Liaison du CHUV

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Quand la criseapparaît-elle?

Les crises surviennent souvent à unmoment charnière de la trajectoire fami-liale, lorsqu’une nouvelle étape doit êtrefranchie.

Généralement, ce changement se produitlorsqu’une personne entre ou sort dusystème familial (naissance, décès,divorce, rupture ou séparation, départd’un enfant, etc.) ou lors d’un événe-ment de vie particulier (déménagement,maladie, etc.). Les ressources d’adapta-tion de la famille ne suffisent parfois pasà trouver un nouvel équilibre. Dessymptômes peuvent alors se manifesteret conduire à un passage à l’acte: crisede boulimie, fugue, consommationexcessive d’alcool, tentative de suicide,etc.

Comme nous l’avons vu, la criseimplique un ensemble. Il convient dèslors, lorsque nous recevons un patient,d’impliquer activement son entourage,qu’il s’agisse de sa famille proche ouéloignée. Il est nécessaire aussi de mobi-liser son réseau microsocial (amis,collègues, professionnels de l’aide).

Pourquoi faut-il activerle réseau du patient?

L’activation du réseau du patient permet:

1. La promotion d’une alliance théra-peutique et la création d’un contexte de

coopération, dans le sens psychothéra-peutique, c’est-à-dire sans notion decontrôle.

a. La création de l’alliance lors des pre-miers entretiens, et d’autant plus dans uncontexte d’urgence, représente unmoment particulier de la prise en chargeoù le patient et sa famille, d’une part, etun thérapeute, d’autre part, vont pour lapremière fois se rencontrer. Lors du pre-mier entretien, le thérapeute doit à lafois créer un cadre et une relation. Lespoints suivants peuvent servir de jalonsau premier entretien: l’accueil de lafamille et de son entourage, la définitiondu problème, le classement du problèmedans son contexte, la définition du butthérapeutique, ainsi que la propositiond’un contrat thérapeutique.

b. Deux mondes, l’un thérapeutique etl’autre profane, se retrouvent dans unerecherche commune. Il s’agit durant cespremiers entretiens de s’entendre sur unbut précis, matérialisé par un contrat quimettra en évidence un point de départ etun point d’arrivée. Un de ces mondes,représenté par la famille consultante, estcomposé d’individus qui se connaissentgénéralement depuis des années. L’autremonde, représenté par les thérapeutes,est constitué d’un ou de deux individusliés professionnellement. Nous avonsdeux modèles de partenariat, deux uni-vers étrangers réunis dans un même lieuafin de discuter de sujets chargés émo-tionnellement. Il s’agit dès lors, durantles premiers instants, que les thérapeutespuissent instaurer un lien, une relationde confiance.

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c. La famille conviée aux entretiensconnaît le patient depuis de longuesannées. Elle saura souvent trouver lesbons mots pour l’encourager à écouter età coopérer. Le réseau du patient favori-sera aussi la bonne observance destraitements proposés.

2. Le recueil des informations sur lasituation, son contexte et les élémentsde gravité que le patient ne livre pastoujours lors d’un entretien. La famillepourra ainsi renseigner le thérapeute surle degré d’isolement du patient, le ou lesévénement(s) déclenchant(s), saconsommation de toxiques, de possiblesantécédents psychiatriques, etc.

3. De tester et d’analyser les enjeuxrelationnels. Source fréquente des esca-lades de violence, la crise familiale estsouvent méconnue lorsque le patient estreçu individuellement. Un patient peutainsi se montrer calme et banaliser saproblématique durant l’entretien indivi-duel, et se montrer tout autre lorsque safamille est présente. L’entretien familialrévèle ainsi les tensions susceptiblesd’exister en son sein, leur intensité etleurs enjeux. De façon générale, ce typed’entretien donne un espace sécurisant,grâce auquel les différents protagonistespeuvent s’exprimer en toute liberté. Leplus important est souvent de réamorcerun dialogue depuis longtemps rompu.

4. De tester et d’analyser les hiérar-chies (inversées, confuses), d’analyserl’organisation et la structure de lafamille, en relation avec la situationd’un patient suicidaire par exemple:

est-ce qu’un adolescent, par son com-portement extrême, paralyse ses parentset les rend incapables d’intervenir defaçon fonctionnelle? Existe-t-il unconflit de couple, un risque de sépara-tion ou une rupture en cours? Existe-t-ildes conflits latents ou explicites entreune partie de la famille et la famille élar-gie? L’entretien avec le réseau révèle cesaspects ou permet de les retrouver, don-nant ainsi la possibilité d’agir. Ce typed’entretien peut contribuer à réduirenotablement les tensions et donc lerisque immédiat ou le risque de récidive.

5. De vérifier la qualité du supportsocial et familial: ce bilan doit être faiten partenariat avec l’entourage, ce quiimplique d’envisager les proches nonpas comme un problème, mais commeune ressource. Cette analyse permet dedonner une réponse thérapeutique gra-duée et ajustée qui se situe entre uneprise en charge seulement hospitalière,pouvant être excessive et stigmatisanteparfois, et une prise en charge seulementambulatoire, individuelle et isolée. Laréponse appropriée devenant un partena-riat intensif et «sur mesure» entre lesprofessionnels, le ou les patients et l’en-tourage. Ce dernier est appelé à jouernon seulement un rôle de soutien, maiségalement de sentinelle en cas de néces-sité. Par son engagement, il a lapossibilité de prévenir une rechute ulté-rieure.

6. De développer la compétence de lafamille: il s’agit de promouvoir lescapacités autocuratives de la famille etleurs capacités à se former. Dans le

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fond, les entretiens familiaux appren-nent au groupe à davantage se parler desenjeux relationnels critiques, à découvriret faire l’expérience de leurs propres res-sources pour se soutenir mutuellementet traverser la crise ensemble. Lorsque leprocessus prend forme, la famille en res-sort valorisée et parvient à gérer avecplus de sérénité les difficultés qui se pré-sentent à elle.

Pour illustrer ce que nous venons dedire, nous souhaitons évoquer à présentle cas d’une patiente ayant récemmenteffectué une tentative de suicide et quenous avons rencontré aux urgences. Ilfaut savoir auparavant que les tentativesde suicide représentent environ 30% denos consultations. Ce chiffre est certai-nement plus important, si l’on tientcompte de toutes les hospitalisationsmotivées par des comportements àrisque (alcoolisation importante, abus demédicaments, etc.). Nous rappelons éga-lement qu’en Suisse, chaque jour, 3 à 4personnes mettent fin à leur jour. La pré-vention du suicide est d’ailleursaujourd’hui une priorité en matière desanté publique.

Vignette clinique:

Une jeune femme de 19 ans est conduiteaux urgences suite à une tentative de sui-cide par veinosection. Le père, qui alui-même appelé l’ambulance, souhaiteque les médecins s’occupent de sa fille,car, lui, «il n’en peut plus». Sa mère etson frère, âgé de 18 ans, sont présents àl’hôpital. La patiente évoque un conflit

avec son père au sujet de la locationd’un studio dans lequel elle désireemménager avec son ami.

Après avoir passé des vacances avec safamille, la patiente s’est ouvert les poi-gnets afin, explique-t-elle, de «soulagersa famille» de sa présence. Le frère rap-pelle que depuis le début de sonadolescence, sa sœur présente un mal-être qui a nécessité plusieurshospitalisations. Par ailleurs, une psy-chologue la voit depuis quelquesséances, en individuel, pour des exer-cices de relaxation traitantspécifiquement son anxiété.

La mère et le frère sont très inquietspour la patiente et ne savent plus quefaire.

La patiente désire rentrer rapidement àla maison.

Plusieurs questions surgissent: quefaire? Voir la patiente seule? Demanderà la mère de décider pour sa fille? Hos-pitaliser la patiente? Voir la famille?Faut-il laisser rentrer la patiente au plusvite à la maison, puisqu’elle est déjà sui-vie par un thérapeute? Tel est le type dequestions qui se posent alors à l’équipemédico-infirmière des urgences.

Quand faire appel au réseau?

Dans cette histoire, comme très fré-quemment chez les patients venant auxurgences, une personne présente un

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symptôme, ici, la patiente qui est encrise et qui s’ouvre les veines, une autrefait la demande de consultation et plu-sieurs personnes de l’entouragepartagent une forte inquiétude, source desouffrances. C’est la raison pour laquelleil essentiel de tenir compte de l’ensem-ble du groupe touché par laproblématique. Il s’agit dès lors, danscette prise en charge, d’impérativemententendre la patiente, mais également lespersonnes qui l’accompagnent et sepréoccupent de son état. Il est égalementnécessaire de s’intéresser à ceux quin’ont pas pu être présents à l’arrivée dupatient, à l’exemple de ce père quiexprime une lassitude par rapport à lasituation de sa fille.

Dès lors, qu’avons-nous fait?

Après un bilan somatique et un examenpsychiatrique, nous avons convenu avecla jeune femme de son retour à domicile.Sa mère l’accompagne et restera auprèsd’elle. Avec l’accord de la patiente, lapsychologue a été informée du passageaux urgences de la patiente et de l’entre-tien de famille prévu pour le lendemain.La famille au complet a été reçue le len-demain de l’hospitalisation par lepsychiatre et l’infirmier ayant vu lapatiente aux urgences.

En reprenant les points mentionnésauparavant, nous avons dès lors, defaçon très résumée, participé:

1. À la construction de l’alliance: lors

de cet entretien, chacun a exprimé sesémotions face à cette situation de criseet le psychiatre a créé un espace théra-peutique où tous ont pu être reconnusdans leur souffrance et valorisés par rap-port au soutien qu’ils ont pu apporter parle passé et qu’ils apportent encore àl’heure actuelle.

2.Au recueil des informations: la pré-sence de tous les membres de la famillea permis de recueillir plus de donnéesque ne le ferait un simple entretien indi-viduel et de les faire circuler de façon àce que le niveau d’informations dans lafamille augmente. Les parents nous ontpar exemple appris que la patiente pré-sente un état dépressif plus importantqu’ils ne l’imaginaient et la patienteentend avec émotion son père lui fairepart de son inquiétude au sujet de sasanté, ce dont elle n’avait pasconscience.

3. À l’analyse des enjeux relationnels:la patiente a pu exprimer son désarroiface au conflit avec son père et le mettreen lien avec son départ imminent dudomicile familial. Cet éloignement fai-sait apparaître, chez la mère commechez le père, une crainte: celle de la dis-solution de la famille.

4. À l’analyse de l’organisation, de lahiérarchie et de la structure de lafamille: alors que la patiente se perçoitcomme impuissante face à sa famille, lethérapeute relève le pouvoir que lui aconféré son geste: celui de mobilisertoute la famille autour d’elle. Se sentantjusqu’alors passive et responsable des

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tensions intrafamiliales, elle réalisequ’elle a la capacité de rassembler toutun groupe et qu’elle détient, elle aussi,une part de pouvoir. La présence de lafratrie dans son entier nous a permis deconstater combien la patiente, qui en estl’aînée, se présentait comme si elle enétait la cadette, que ce soit par samanière d’être face à ses parents, sesattitudes et sa façon de s’exprimer et derépondre aux interventions de sa famille.Un tel comportement avait peut-êtrepour but de retarder son départ du nidfamilial.

5. À l’examen de la qualité du supportfamilial et au développement de lacompétence familiale: nous constatons,lors de cet entretien, que l’entourage dela patiente se mobilise face à cette situa-tion, que ce soit par leur simple présenceou par leur désir de fixer un prochainrendez-vous. Nous avons discutéconcrètement de ce que la famille pour-rait mettre en œuvre si une telle situationdevait se reproduire. Je relève qu’unedes façons de stimuler les capacitésd’autoapprentissage du groupe est deleur permettre d’analyser la représenta-tion que chacun d’eux se fait de lafamille, au moyen d’outils psychothéra-peutiques basés sur le non verbal. Cetype d’outil leur permettra, l’espaced’un moment, de mettre entre paren-thèses leurs difficultés relationnelles.Ces deux entretiens ont permis à ungroupe entier de reprendre espoir face àune situation dramatique, d’aider toutela famille à reprendre confiance en sacapacité d’autoguérison et de rappelerles liens qui unissent chacun des mem-

bres de cette famille, tout en soulignantleur unicité. Malgré les réticences qui sesont exprimées durant le premier entre-tien, la famille a très rapidementdemandé à poursuivre les séances et aévolué favorablement.

Au terme de cette présentation, nouspouvons conclure en soulignant:

• l’importance pour les équipes médi-cales de recevoir les proches du patientet de les impliquer dans ce travail théra-peutique.

• l’importance d’être formé à ce typeprise en charge. Des interventions malgérées peuvent en effet avoir des consé-quences désastreuses pour les patients.

• l’importance enfin, pour les patients etleurs proches, de pouvoir être entenduset intégrés dans le processus de prise encharge.

Tous nos remerciements vont: à M. YvesDorogi, Mme Yasmin Gharbi, ainsi qu'àtoute l'équipe des Urgences-Crise, pourleur travail quotidien au sein de l’unité.

Références bibliographiques

• Ausloos, Guy, La compétence desfamilles: temps, chaos, processus, Edi-tions Erès, Ramonville Saint-Agne,1995.• Neuburger, Robert, Le mythe familial,Editions ESF, 4e éd. augm., Issy-les-Moulineaux, 2005.• «La crise suicidaire: reconnaître et

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prendre en charge», Conférence deconsensus organisée par la Fédérationfrançaise de psychiatrie […], donnée le19 et 20 octobre à l’Hôpital La Salpé-trière à Paris.

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L’atelier de Genève a réuni unetrentaine de participants qui ontlonguement réfléchi à la question

des proches de patients confrontés à l’ur-gence et à la crise psychiatriques. C’estau travers de situations bien concrètesque ce thème vous sera présenté ici. Unpremier témoignage, celui de Mme Win-tereg, sera immédiatement suivi par unpetit sketch se déroulant un Centre dethérapie brève (CTB).

Par la suite, Mme Todzi et M. Saluck-wase viendront aussi nous rapporter leurvécu de proches. En dernière partie,notre atelier vous soumettra certainespropositions de changement relativesaux besoins des proches confrontés àl’urgence psychiatrique.

Témoignage de Mme Wintereg

Mon fils a 39 ans et souffre de troublesbipolaires depuis plus de cinq ans. Jesouhaite ici vous présenter mon parcoursde mère combattante face à cette mala-die.

Plusieurs années durant, j’ai tenté partous les moyens de contacter un réseaude professionnels de santé pour que monfils reçoive des soins. Mais sans succès...

Grâce aux conseils de mon avocat, j’aifini par trouver un psychiatre qui nous aécoutés et a proposé à mon fils de l’ai-der. Le traitement de sa dépression s’estsoldé par une hospitalisation non volon-taire de cinq semaines, au terme delaquelle mon fils a été relâché dans lanature, sans aucun suivi médical. Cho-quée par ce procédé, j’ai tenté de joindrede nombreux psychiatres, mais sansrésultats. Mon fils et moi avons étéabandonnés à notre propre sort.

Son état de santé continuait à se dégra-der. Conseillé par le même psychiatrequi l’avait fait hospitaliser une premièrefois, je me suis adressée à la Commis-sion de surveillance psychiatrique pourque des soins soient imposés à mon fils.Une telle décision est extrêmement dureà prendre pour une mère. Un mandat derecherche a donc été lancé contre monfils et, avec l’aide de la police, il a pu être hospitalisé à nouveau. Après une

Urgence et crise

Atelier de Genève

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première nuit passée à l’hôpital, il a denouveau été relâché...

Deux semaines plus tard, le pire arrivait:en plein délire, mon fils s’est attaqué àdes passants à l’aide d’une épée.Quelques minutes plus tard, il s’est pré-senté entièrement nu devant moi,pistolet à la main. C’est à ce momentque la police est arrivée, suivie, un peuplus tard, d’une ambulance. Mon fils aalors été attaché sur une civière etemmené à l’hôpital psychiatrique. Pen-dant deux semaines, je n’ai eu aucunenouvelle de lui, ce qui m’a profondé-ment affectée. Je ne connaissais alorspas du tout cette maladie psychique etne savait pas ce qui lui arrivait.

Deux semaines après son hospitalisa-tion, le psychiatre me fixe enfin unrendez-vous. L’entretien se déroule enprésence de mon fils et de deux méde-cins et il est décidé qu’il resterahospitalisé pour une période de quatremois. À son retour, il était devenu unzombie. Depuis, j’ai vraiment le senti-ment d’avoir perdu mon fils. Lasouffrance était telle que j’ai cru, à unmoment donné, que j’allais moi-mêmeaussi perdre la raison. J’étais commedans un mauvais rêve, sans réveil possi-ble. Je me sentais totalementimpuissante.

Après la sortie de l’hôpital, un autrecombat a commencé pour moi. À lasuite à ses crises successives, mon filsavait tout perdu, y compris son loge-ment. Je l’ai donc hébergé pendant uneannée et m’en suis occupé. Jamais, je ne

me serais imaginée capable de mener àbien toutes les démarches que j’ai effec-tuées à sa place: administration,recherche d’appartement, suivi juri-dique, etc.

Mon fils a finalement été condamné àdeux semaines de prison avec sursis.Voilà ce qu’il en coûte d’être maladepsychique!

Je suis très reconnaissante de tout lesoutien que nous a apporté la juriste dePro Mente Sana. Grâce à ses bonsconseils, j’ai réussi à sortir mon fils d’af-faires. J’aimerais aussi remercier toutesles personnes qui m’ont entourée et sesont montrées compatissantes enversmoi. Après le tremblement de terre qu’areprésenté l’entrée en crise de mon fils,ces soutiens m’ont aidé à reconstruiredes bases solides.

Je vous remercie pour votre attention.

Accueil au CTB Ce que nous vivonsencore trop souvent.

Scénario inspiré d’une histoire vécue.

À l’accueil d’un CTB (Centre de théra-pie brève), Mme Fleur a une longue etpénible discussion avec sa fille Stépha-nie qui se refuse à venir consulter. Eneffet, Stéphanie souffre de troubles psy-chiques, mais a arrêté de prendre sesmédicaments depuis plus d’une semaine.Elle inverse maintenant de plus en plusle jour et la nuit, entend des voix, a des

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délires et des hallucinations. Les voicitoutes les deux dans la salle d’attente duCTB. Depuis plus d’une heure, ellesattendent…

Stéphanie

J’en ai marre! Il va se pointer quand cetoubib? J’sais même pas pourquoi j’aiaccepté de venir ici avec toi.

Maman

Oui, je sais, c’est un peu long. Je te pro-mets qu’il ne va pas tarder à arriver. Unpetit instant encore, s’il te plaît! Patiente,tu vas voir!

Maman(une demi-heure plus tard)

Mais, c’est pas possible! Une heuretrente qu’on attend. Mais qu’est-ce quifait ce toubib?

(À part) Si ça continue, elle va se tirer.Et puis, je ne pourrais pas la retenir, çac’est sûr.

Stéphanie

Y’en a marre des médecins! Y’en amarre des toubibs et des cliniques!

Pourquoi t’es toujours avec les doc-teurs? Tu veux m’enfermer? Ça te faitplaisir que je sois hospitalisée?

Maman

Attends encore un peu, je suis sûr qu’ilva arriver!

Stéphanie

Il faut que j’aille me fumer une clope,sinon je sens que je vais péter lesplombs! S’il se rapplique pas ce toubib,je me tire!

Maman

Mais non, je te dis qu’il va arriver. ÇAfait plus d’une heure et demie qu’onattend, il ne va pas tarder. Attends!

Stéphanie

Tu me fatigues avec tes docteurs... Etpuis, t’es pas mère!

Maman

Ah bon! Ça, c’est nouveau! Je ne suispas ta mère?

Stéphanie

Tu le sais très bien, Marie-Ange! Toit’es avec tes Maries et puis moi j’ai:mère beige, mère blanche, mère ange.

Maman

C’est nouveau! C’est incroyable, vrai-ment je ne comprends rien!

Stéphanie

Écoute! Maintenant tu me fous la paix!Tu sais très bien que tu n’es pas mère! Etva t’occuper de tes fils!

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Maman

Ah bon! En plus de ça, j’ai des fils!C’est nouveau, ça! Tu vois, tu n’es vrai-ment pas claire et c’est pourquoi il fautabsolument que nous voyons un méde-cin.

Stéphanie

Mais c’est toi qui es malade! Et tu le saistrès bien! Ne fais pas l’innocente! Vat’occuper de tes fils et tu me fous lapaix!

Médecin

Mademoiselle Stéphanie Fleur, s’il vousplaît! Veuillez me suivre.

Nathalie suit le médecin, sa mère seretrouve seule dans la salle d’attente.

Maman

Ah ben ça c’est incroyable! Mais je suisqui? Il ne m’a même pas vue! Il n’amême pas besoin d’explications ? Non,mais c’est inimaginable! Attendre deuxheures pour avoir ça? No comments ,c’est désespérant!

Stéphanie

Non, mais c’est quoi ça? Qu’est-ce quevous voulez faire de moi? Vous n’êtesmême pas toubib! C’est vous et ma mèrequi avez besoin d’être soignés!

(Stéphanie fait mine de s’en aller)

Maman

Arrête, Stéphanie! Reste là! Ne t’en vapas!

Stéphanie

Non, mais tu l’as vu? Un toubib, ça?Mais qu’est-ce que vous allez faire?Vous allez m’emmener ? Vous allezm’enfermer encore? Faire venir lesambulances, les flics, me mettre lesmenottes?

Maman

Deux heures et demie que nous avonsattendu... Et tout ça pour ça! Alors qu’ilva falloir que je lui coure derrière et queje la ramène dans le même état à la mai-son? En plus d’être déprimant, c’estépuisant...

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Témoignage de Mme Todzi

En tant que proche, j’aimerais témoignerici de toutes les difficultés rencontréesdans l’accompagnement de mon filsmalade psychique.

Tout a commencé en novembre 2009.Mon fils de 30 ans entre progressive-ment une phase de délire et refuse toutcontact avec son entourage. Je me rendspersonnellement chez un psychiatre, quime confirme que mon fils a effective-ment besoin de soins. Mais, puisqu’il estmajeur, le médecin m’informe égale-ment qu’il ne peut pas agir sans sonaccord. «C’est la loi», me dit-il. Jem’adresse alors à un médiateur, maismon fils refuse toujours tout dialogue.

Son état empire et il commet de plus enplus d’actes répréhensibles. Pour qu’unpsychiatre puisse intervenir et l’aider,nous sommes contraints de porterplainte. La police convoque alors notrefils qui est examiné par le psychiatre desurgences. Ce dernier conclut que les cri-tères d’internement non volontaire nesont pas réunis. Selon lui, mon fils neprésente aucun danger pour lui-mêmeou pour les autres.

Son état de santé décline encore et ilcommet de nouveaux délits. Il finira parse dénoncer lui-même à la police. Monmari et moi sommes alors convoqués aucommissariat. Le même psychiatrerefuse une nouvelle fois de l’interner surune base non volontaire. Un des poli-

ciers, plus psychologue que les autres,arrive cependant à convaincre mon filsqu’il a besoin de soins. Il accepte enfinet nous l’accompagnons aux urgencespsychiatriques. Une fois le diagnosticposé, il sera hospitalisé pour trois moisà la clinique de Belle-Idée. Cette périodea été très longue et très douloureusepour nous. Nous ne comprenions pasvraiment ce qui se passait, mais surtoutne savions pas comment réagir, com-ment aider notre fils. Il est pénible pourdes parents de voir la souffrance de leurenfant et d’être incapables d’intervenirou de se faire aider pour améliorer lasituation.

Je profite de cette occasion pour remer-cier toutes les associations qui noussoutiennent. Votre aide s’est révélée pré-cieuse. Nous avons pu apprendre àsurmonter notre sentiment d’impuis-sance et à vivre avec cette maladie.

Témoignage d’une première hospitalisation

Je suis père de deux garçons dont lecadet a été atteint de schizophrénie il ya une quinzaine d’années. Nous étions àla maison, tous les quatre avec maconjointe, et Éric a commencé à avoirdes attitudes bizarres, surprenantes, sansque cela m’inquiète trop. Je mettais celasur le compte d'une adolescence qui sedéroulait un peu mal. Sa maman, parcontre, était soucieuse. Pendant lesvacances de Noël, nous étions donc tousles quatre à la maison familiale, située

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dans petit hameau presque désert enhiver. À un moment donné, Éric s’estmis à la fenêtre et s’écrie: «Vous enten-dez! C’est épouvantable! Il faut fairequelque chose, ils crient». Il est évidentque nous n’entendions rien, pas de crisen tout cas. «Mais ce n’est pas possible!Vous n’entendez pas? Ils la violent! Ilfaut faire quelque chose, il faut y aller!»À grande peine, nous arrivons à le cal-mer, l’assurant que rien ne se passe, quela maison qu’il désigne est vide en cettesaison et que nous, nous n’entendionsrien. Rien n’y fait. Pendant de longsjours, les cris se succèdent, créant unetension insupportable à la maison.

Animateur

Nous savons maintenant que pourquelqu’un qui souffre de troubles psy-chotiques, ces hallucinations sont laréalité. Aucune affirmation contraire nepourra l’en dissuader. Mais, il ne fautpas non plus entrer dans son délire. Ilnous faut apprendre à l’accepter, à legérer et à établir des stratégies de rem-placement. Ce n’est ni naturel ni dictépar notre éducation.

Je finis par céder aux demandes de monépouse et j’arrive à convaincre Éric, enlui mentant, de monter dans la voitureavec moi pour aller chercher du secours.

Animateur

Mentir à son fils, alors qu’il a tantbesoin d’aide, d’écoute et de compré-hension, lui qui fait tant confiance. Lesrelations vont souffrir à tout jamais de

cette trahison.En fait, je l’amène aux urgences del’Hôpital cantonal. Là, très rapidement,une infirmière l’écoute décrire la scèneque ses hallucinations lui font vivre. Sondiscours me semble tellement cohérent,les détails tellement précis, que je medemande à un moment si on ne va pas lecroire. Et pourquoi ne pas m’internermoi? Mais l’infirmière appelle un psy-chiatre et celui-ci, après quelquesminutes d’entretien avec Éric, me ditdevoir l’hospitaliser. Mais, comme monfils n’est pas d’accord, l’infirmière faitvenir quatre infirmiers pour le contrain-dre à les suivre.

Animateur

Quand un dramatique événement frappela population, les autorités mettentimmédiatement en place des cellules desoutien psychologique. Là, le ciel tombesur la tête d’un père, un tsunami dévasteune famille et rien! On vous prie de bienvouloir passer à autre chose, d’allervaquer à vos occupations... «On voustéléphonera!» Après cela, allez vousétonner que la majorité des familles, àqui cela arrive, parte en lambeaux etque trop souvent les malheureuses mèresse retrouvent seules avec leur rejeton ensouffrance.

Je m’interpose, négocie, et obtient qu’ilmonte dans l’ambulance avec moi pourl’hôpital psychiatrique. Je suis mal, trèsmal, bouleversé d’avoir dû mentir et tra-hir mon fils qui, lui, visiblement, necomprend rien de ce qui se passe. Jereviens trois fois le même jour, sous pré-

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texte de lui apporter des vêtements et jene sais quoi. Une infirmière, gentimentpeut-être, me fait comprendre qu’il vautmieux que je les laisse faire, que je nerevienne pas trop souvent. De cette pre-mière hospitalisation qui ne fut que dequelques jours, il ne me reste que le sou-venir très vague d’un médecin qui medit: «Ce qu’a votre fils, c’est grave».Sans autres explications. Par contre, unautre souvenir très net me reste: celuid’une infirmière qui, lors de la sortiedéfinitive d’Éric, nous prend à part, maconjointe et moi et nous dit: «Il fautvous attendre à revenir souvent ici avecvotre fils». Quinze ans après, je peuxdire qu’elle avait raison.

Animateur

En conclusion: manque d’informations,de prise en compte de la souffrance etdu désarroi de la famille. Ce n’est pastrès bon, tout ça! Ni pour les patients, nipour la santé mentale de la populationen général.

Propositions d’amélioration

• Le personnel médical doit être formé àécouter et comprendre les proches;

• Nécessité d’une information auprès dela police;

• Création d’une base de données (inter-net);

• Un service d’intervention mobile est àdévelopper partout, avec soutien auxproches;

• Réactivation du réseau social autour dupatient;

• Numéro vert pour les urgences;

• Formation des familles et des proches.

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C’est un véritable plaisir d’être iciparmi vous.

Travailleur social au Québec, les per-sonnes dont je m’occupe présententtoutes une gamme de problématiquesd’ordre psychosocial: troubles psy-chiques légers à graves, déficiencesintellectuelles, problèmes de toxicoma-nie, etc.

En quoi consiste exactement notre tra-vail? Lorsqu’on reçoit un client endétresse, notre rôle sera d’abord d’éva-luer l’ensemble de ses interactionssociales. Sur cette base, un plan d’inter-vention sera élaboré et nous enassurerons la réalisation concrète. Le butest de rétablir le fonctionnement socialde la personne en réciprocité avec sonmilieu.

À noter que cette définition du travailsocial au Québec est toute récente et nesera adoptée, dans son entier, qu’aucours de l’année 2011.

Un monde idéal

Avant de vous présenter le modèle d’in-tervention en travail social que j’essaieen ce moment de mettre en place, il mesemble d’utile de vous fournir un aperçude la société idéale dans laquelle j’aime-rais vivre. Pour cela, je vais recourir auxtravaux du Russe Pierre Kropoktine(1842-1921). Au début du siècle dernier,ce chercheur a tenté d’analyser l’évolu-tion des sociétés en général. Il adéterminé que l’entraide constituait lefacteur essentiel pour les faire évoluerde manière inclusive, et non exclusive,comme c’est le cas dans le darwinismesocial. En privilégiant l’entraide, lanotion de compétition disparaît et cha-cun trouve sa place dans un groupe ouune société donnés et contribuera, grâceà un soutien mutuel, à son développe-ment. La qualité de vie de l’individucomme de la collectivité s’en trouveraaméliorée. Pour y parvenir, certainsprincipes liés à l’entraide doivent êtrerespectés. Il s’agit d’apprendre à: accor-der spontanément sa confiance à toute

Un monde de liens: Une pratique psychosociale axée sur l’entraide naturelleLaurent Vachon,travailleur social, MSS, adulte/santé mentale, Centre de santé et de servicessociaux de Matane, Québec

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personne; prendre en compte leurs ini-tiatives; établir des rapports deréciprocité et de partage; travailler encoopération, c’est-à-dire ensemble,avec, en tête, un objectif commun; semontrer compatissant vis-à-vis de lasituation de chacun. Ce monde idéal,auquel je me réfère, accorde une placecentrale à la relation. C’est pourquoi,face à une personne qui présente unedifficulté psychique, je n’entre pas dansune vision diagnostique.

Stigmatisation et isolement social

Pour moi, la stigmatisation et l’isole-ment social constituent les deuxpremiers points de départ de chaque pro-blématique. Nous sommes tous plus oumoins concernés par ces deux éléments.La stigmatisation se présente dans lerapport à l’autre, dans la façon dont onregarde l’autre. Erving Goffman notait,dans les années 70, qu’il existait diffé-rentes possibilités d’être stigmatisé parl’autre: soit au niveau de situations cor-porelles, soit au niveau de notre statut,soit au niveau de notre nationalité ou denotre religion. C’est donc toujours dansle rapport à l’autre que s’inscrit l’exis-tence d’un «stigmate».

Quant à l’isolement social, il convientdans un premier temps de le distinguerde la solitude. Cette dernière peut eneffet être positive. Elle permet par exem-ple le ressourcement, la détente et lesactivités individuelles. L’isolementimplique, lui, un faible niveau d’interac-

tion interpersonnelle et décrit un étatdurable. Solitude et isolement social seprésentent sous forme d’un continuumsur lequel la personne va se déplacer enfonction des situations qu’elle traverse.

La littérature scientifique sur l’isolementsocial nous apprend que, dans quelquegroupe humain que ce soit, on compteenviron 2 à 10% de personnes concer-nées par cette souffrance. Le milieuscolaire donne un exemple frappant decette catégorisation et montre qu’elleintervient très tôt: certains écoliers sontpopulaires, d’autres souhaitent le deve-nir et une minorité est déjà en situationde retrait. Des parallèles existent dans lemonde du travail, au niveau des relationsde voisinage et on pourrait multiplier lesexemples. L’isolement social n’est doncpas un épiphénomène et il faut sedemander à présent quels en sont lesfacteurs.

Relevons d’abord que les causes et lesconséquences de l’isolement social nesont pas aisées à cerner, tant elles s’en-tremêlent. Un dépressif s’isole-t-il àcause de sa maladie ou cette dernièreest-elle la réponse à son isolement ? Dif-ficile de trancher. Au niveau personnel,les facteurs suivants sont souvent pré-

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sents: peu ou pas de compétencessociales, faible estime de soi, existencede troubles mentaux, stigmatisationsociale ou culturelle. Des événementsparticuliers de la vie peuvent aussi favo-riser son apparition: perte de repères, àl’occasion par exemple d’un déménage-ment ou d’un divorce, troublesfamiliaux, rejet par les pairs, etc. Cer-taines composantes de l’environnementliées notamment au contexte géogra-phique, culturel, familial jouent aussi unrôle. Au final, c’est l’agencement detous ces éléments-là qui peut créer unesituation d’isolement.

Quelles sont les conséquences de l’iso-lement social? En cas d’absence derelations sociales significatives, la per-sonne concernée présentera de grandesdifficultés d’adaptation. Elle se sentirarejetée et inutile. Touchée dans sonestime d’elle-même, la personne risquede sombrer dans la marginalité, aveccomme conséquences possibles: toxico-manie, abus d’alcool, délinquance,déviance, etc. Le retrait de la société estparfois total et peut nourrir un ensembled’idéations négatives à son sujet. Destroubles psychiques apparaissent et lerisque de suicide augmente. En résumé,lorsqu’on est en situation d’isolementsocial, deux dimensions principales sonttouchées:

— Au niveau de son vécu émotionnel, lapersonne aura un sentiment de manqueet de non-gratification dans ses relationsintimes.

— Au niveau social, la personne entre-

tient un nombre insuffisant de relationset n’appartient pas véritablement à ungroupe. Ses quelques relations sontsuperficielles ou inadéquates.

Stratégies contre l’isolement

Pour aider une personne isolée, il seradonc nécessaire d’agir sur le nombre deses relations, mais aussi sur leur qualité.

Lorsque j’accueille ma clientèle, monpremier objectif est de déterminer sicelle-ci présente des signes d’isolementsocial. À cette fin, j’essaye de répondreaux questions suivantes: a-t-elle desamis? À quelle fréquence les rencontre-t-elle? Est-elle dans un comportementd’évitement ou de retrait? A-t-elle del’initiative? Est-elle plutôt spontanée ouintrovertie? Au niveau cognitif et émotif,se montre-t-elle pessimiste? Manifeste-t-elle de l’angoisse ou souffre-t-elle dephobies? Quel est son degré d’estimed’elle-même? Les réponses que j’ob-tiens me permettent de mieux cerner lapersonne. Si cette dernière vit effective-ment une situation d’isolement social,que peut-on faire pour l’aider? Cettequestion s’adresse ici à tout le monde:proches, clients et professionnels. Sil’on part du constat que nous ressentonstous les mêmes besoins au niveau social,alors nous connaissons toute l’impor-tance d’entretenir des relations deréciprocité, d’intimité et de confiancesavec d’autres personnes et pouvonsentrevoir des solutions pour elle. Tout unchacun, nous recherchons en effet des

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personnes sur qui compter, qui puissentnous guider, nous conseiller, nous trans-mettre des informations, nous aider.

Nous avons le besoin aussi de nous sen-tir appartenir à un groupe ou unecollectivité qui nous apporte reconnais-sance. Être aidé, mais aussi aider lesautres. Les relations, on s’en rendcompte, constituent des besoins de basequi vont influer sur notre estime et notreidentité.

La sociologie relationnelle

Pour faire le lien avec ce qui précède, jesouhaite maintenant vous présenterquelques bases de la sociologie relation-nelle. Cette discipline, créée et définieau début des années 90 par le Belge GuyBajoit, tente d’analyser comment lesrelations se créent au sein d’une société.

Pour lui, il n’y a pas de société sans liensocial. Dans l’approche systémique, lacellule familiale a longtemps représentéle cœur originel de la société. GuyBajoit, lui, préfère invoquer le lien sociald’une personne à une personne.

Ce lien se décompose en deux élémentsprincipaux: un élément identitaire quipermet aux personnes de se reconnaîtrel’une l’autre comme partageant certainescaractéristiques, et un élément d’altérité,source d’échanges et d’entraide. À partirde là, il a déterminé quatre types de lienpossibles avec chacun une finalité parti-culière:

— La relation peut être motivée par un«esprit de compétition». Dans ce casprécis, la relation se teinte de calculs etd’un esprit de duplicité.

— La relation peut être dite «contradic-toire», lorsqu’elle est s’accompagne desentiments d’inimitié.

— La relation est «conflictuelle»lorsque les avis des personnes divergentau point d’en faire des adversaires.

— La relation est «complémentaire»lorsque les personnes reconnaissentqu’elles ont besoin l’une de l’autre pourfonctionner de manière optimale.

Dans toute relation difficile, Guy Bajoitdistingue diverses stratégies possibles:on peut, par exemple, prendre la fuite etrompre le lien. Protester ou, aucontraire, se montrer passif, ou encoreloyal vis-à-vis de la personne.

La relation est aussi un lieu où s’expri-ment de multiples formes de solidaritédifférentes, composant au final une toilerelationnelle de centaines, voire de mil-liers de possibilités. C’est ce qui estintéressant d’observer quand on rencon-tre des individus.

Quand un lien de la toile se brise et quetout le reste est solidement ancré, il estpossible de faire face à une difficulté; enl’absence de réseau, quand il n’y a per-sonne sur qui se reposer, s’en sortir estbeaucoup moins facile.

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Analyse du réseausocial

Lorsque je reçois un client et tented’analyser son réseau social, je me poseles questions suivantes:

A-t-on accès aux membres de ce réseau-là? Les liens sont-ils bloqués ou fermés?La densité et la diversité sont-elles suf-fisantes pour envisager la création denouveaux liens? La fréquence des rela-tions est-elle assez bonne avec chacundes contacts? Quelle est l’étendue duréseau? Le réseau est-il accessible?Quelle est la qualité des relations? Biensouvent, ce que je constate sur ce dernierpoint, c’est que les personnes très géné-reuses se retrouvent sans aidelorsqu’elles-mêmes traversent des diffi-cultés. Il est donc primordial d’analyserle réseau social d’un point de vue quan-titatif, mais également qualitatif.

Mon analyse du réseau va se focaliser enpremier lieu sur le réseau primaire,c’est-à-dire la famille, la parenté et lesamis. Pour gagner en précisions, cesderniers sont généralement subdivisésen trois sous-catégories: amis, cama-rades ou connaissances. À ceci, ongreffe le réseau secondaire, formé, lui,des institutions de service, centres hos-pitaliers, etc. S’y ajoute le réseau dit«informel» qui regroupe l’ensemble desressources communautaires, les associa-tions mais également tout ce quiconcerne le rapport avec les commer-çants de son quartier.

Le réseau tertiaire désigne pour sa partles relations avec les instances poli-tiques, les assurances, l’aide sociale, etc.Dans mon analyse, je suis attentif à l’en-semble de cette toile relationnelle, afinde pouvoir offrir l’aide la plus cibléepossible.

Un exempled’intervention

Pour illustrer ce qui précède, je vaisvous présenter un cas concret en prenantl’exemple anecdotique de deux chiensde race différente. Ils seront mes clients!

Le premier, un chien de chasse, repré-sente la surréactivité, l’abus, la violenceet les troubles de comportement: il a uneénergie incroyable, mais souvent exces-sive, au-delà de ce qui est toléré. Il n’estd’ailleurs plus capable d’assumer sonrôle de chien de chasse, tant son com-portement est problématique.

Le deuxième chien est isolé, déprimé,rejeté, complètement passif. Lui aussi nese rend plus à la chasse. Il reste sur ledivan, ne bouge plus et n’a plus aucuneénergie ni émotion. Ces deux chiens queje reçois en consultation représententtoute une gamme de problématiques queje rencontre au quotidien. Comment lesaider?

Pour commencer, je procède à une ana-lyse réseau de leur situation en utilisantun réseaugramme. Il s’agit en fait d’unecarte sur laquelle chaque relation estreprésentée sous forme de lignes. Cette

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méthode a l’avantage de brosser un por-trait visuel du réseau.

Grâce aux échelles d’évaluation, il estpossible aussi de se faire une bonne idéede la fréquence, du nombre et de ladurée des principales relations. À partirde ces données et de celles fournies pard’autres outils, la fiabilité de chaquerelation va être testée et évaluée. On sedemandera alors si les échanges sontéquilibrés, s’il y a possibilité de donner,mais aussi de recevoir.

À relever qu’une relation de bonne qua-lité ne nécessite pas forcément de serencontrer physiquement à une fré-quence donnée. Ce qui compte, c’estque la personne soit disponible en cas decoup dur. Une fois ce bilan effectué, unepartie de mon travail sera de faire pren-dre conscience à la personne quecertaines de ses relations sont peut-êtrenéfastes pour elles et de la pousser à yréfléchir. Quand elle dispose de relationsintéressantes, mais dormantes, on peutl’inciter à renouer ces liens.

Le but de notre intervention est de ren-dre la personne autonome, grâce à lacréation ou la réactivation de son réseau.À mon sens, il n’existe pas de véritableautonomie sans relations significatives,stables et fiables. En leur absence, ildevient difficile de s’exposer, de s’expri-mer dans son identité et de s’intéresser àce qui nous environne.

L’autonomie permet d’avancer dans savie, d’avoir des projets, de savoir cequ’on veut vraiment et de développer

ses compétences. On se responsabilise,on fait des choix et on devient acteur. Jerejoins ici le thème de ce congrès etajouterais que pour devenir un prochesolidaire, il est nécessaire au préalablede disposer d’un réseau autour de soi.Alors seulement, nous pouvons expri-mer pleinement toutes nos potentialitéset nous investir au-delà de nos relations,dans des associations, en politique,bénévolement, etc.

Pour revenir à mes deux «clientschiens», l’analyse a fait apparaître que lepremier vit dans une situation d’isole-ment social, familial et géographique.Habitant dans les bois, il est difficilepour lui de tisser un réseau. Voilà pour-quoi il réagit en protestant en secomportant de manière hyperactive. Leréseaugramme a fait apparaître que ledeuxième chien possède trois autres per-sonnes dans son réseau. Mais sescompagnons ne font preuve d’aucuneréciprocité; ce qui accentue son senti-ment de rejet et sa mélancolie.Continuellement en conflit au sein de satétrade, il a décidé de fuir et de se mettreen situation de retrait. Le seul soutienqu’il reçoit désormais est instrumental:de la nourriture dans sa gamelle.

Le pairage

Diverses possibilités existent pour aiderces deux chiens, en dehors aussi de ceuxque je vous ai présentés. Par exemple enles intégrant dans une nouvelle dyna-mique relationnelle. Celle-ci se révèleparticulièrement utile lorsqu’il n’existe

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aucun lien naturel susceptible d’êtreactivé.

Contrairement au parrainage qui inter-vient quand plusieurs personnespartagent une même problématique (àl’exemple des Alcooliques anonymes),le pairage met en rapport des personnesau profil différent, mais possédant despersonnalités compatibles. De nouveauxliens d’entraide naturelle sont ainsi crééset les personnes peuvent s’assistermutuellement. Dans la pratique, la pre-mière rencontre a lieu, en général, enterrain neutre, dans un café par exemple.Les deux clients qui ont accepté le pai-rage font alors connaissance. Une foisque la relation a démarré, je cherche àmaintenir ce processus de socialisationnaissant.

Un travail est effectué aussi au niveau dela communication et de l’échange. Puis,quand le lien fonctionne, je me retirepetit à petit.

L’objectif, encore une fois, est que cesindividus puissent s’entraider et devenirautonomes. Mon intervention n’a fait, aufond que mobiliser les relations. Cetteapproche porte des fruits depuis de nom-breuses années et, grâce à elle, bien destragédies ont pu être évitées. Onconstate qu’une première relation dequalité va influencer positivement lessymptômes des personnes et l’isole-ment. Plus ouvertes et moins passives,celles-ci vont plus volontiers aller à larencontre de l’autre.

Pour revenir aux deux clients chiens pré-sentés plus haut, ils ont donc été pairés

ensemble. Depuis, grâce à l’apport d’unnouveau lien, le premier a retrouvé soncalme et son équilibre, tandis que lesecond est sorti de sa léthargie. Ils s’en-traident désormais l’un l’autre etguérissent leurs blessures respectives.

Pour conclure

En conclusion, je veux vous laisser surune réflexion. J’ai évoqué auparavant lemonde dans lequel je souhaite vivre etêtre en relation avec vous. J’espère quemon message vous incitera à prendresoin de vous, l’un envers vous, qui quevous soyez, de vous porter assistancemutuellement, sans rien attendre enretour. Nous sommes tous responsablesles uns des autres dans notre collectivité.Cette façon de voir et d’agir rend heu-reux, je vous l’assure, et la solidaritémérite d’être expérimentée!

Je termine avec cette citation de Kropo-kine: «si on s’unit tous ensemble, si onse soutient mutuellement, on a plus dechances d’évoluer, d’aller plus loin, deprogresser et de se développer et indivi-duellement et collectivement.»

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Louise-Anne Sartoretti

L’atelier valaisan a réuni 10 à 14 partici-pants, essentiellement des patientspsychiques et des proches, avec pourthème de réflexion l’autonomie duproche et du patient. Dans un premiertemps, nous nous sommes mis d’accordsur le terme de «proche» et ses subtilesnuances de proximité.

Puis, pour lancer la réflexion et faciliterl’expression des besoins, l’animatrice denotre groupe nous a proposé d’imaginerce qui, pour nous, représenterait l’idéalen matière d’autonomie pour les proches

et les personnes en souffrance. Elle nousa rendus aussi attentifs à certains obsta-cles qui peuvent faire barrage à laconcrétisation de cet idéal: nos peurs,nos blessures, notre manque deconfiance, etc. Ces entraves exprimenttoutes des besoins non reconnus. Aprèsdiscussions, nous en avons retenu troisprincipaux:

1. Besoin de communication et d’équivalence

Le proche a besoin d’être considérécomme un interlocuteur valable, doté decompétences particulières qui le rendentincontournable dans un processus desoin. En tant que partenaire, il doit êtretenu informé de la situation de santé deson malade, des traitements possibles etdes soutiens existants. La reconnais-sance de leur rôle passe aussi par laconfiance que doivent apprendre à leuraccorder les professionnels de la santé.

Autonomie du proche,autonomie du patientAtelier du ValaisLouise-Anne Sartoretti, présidente de l’association d’entraide SynapsespoirMarie-José Tornay, présidente de l’AVEPClaire-Lise Garcia, présidente de la section valaisanne de la Fédérationromande des consommateurs, collaboratrice de la CORAASP

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De leur côté, les proches sont appelés àprendre conscience des limites du per-sonnel soignant: celui-ci ne sait ni nepeut tout.

Pour que ce besoin de communication etd’équivalence soit comblé, les interlocu-teurs des proches doivent se montrerplus compréhensifs à leur égard et plusrespectueux de leurs compétences. Uneréciprocité est d’ailleurs attendue de lapart des proches sur ces points.

2. Besoin de sortir de l’isolementet de socialiser les problèmes

Dans l’idéal, le proche est un acteurengagé. Tout à tour bénévole, parentengagé, professionnel, membre d’asso-ciation, etc., il ne se laisse pas prendreau piège de l’isolement, mais témoignede son vécu particulier. Il invite donc àdes dialogues difficiles et n’a pas peurde bousculer un peu les consciences.Son action contribuera à sensibiliser lasociété tout entière à une question dontpersonne ne peut s’affranchir: celle de lafolie.

3. Besoin de médiation

Le proche se situe à la croisée du mondemédical et du monde juridique et parti-cipe à une dynamique citoyenne. Sansson implication, des dérives pourraientse produire. En cas de litige, aucune ins-tance officielle d’arbitrage ou demédiation officielle n’existe et le prochese retrouve seul à chercher une solution.Il a donc besoin d’une instance neutre et

dont l’indépendance peut garantir à tousun espace de médiation en cas deconflits d’intérêts ou de difficultés decommunication.

Ces trois grands défis nous tiennent par-ticulièrement à cœur et nous espéronsles voir se concrétiser. Pour autant, nousgardons à l’esprit qu’en tant que proche,rien n’est jamais acquis, que ce soit auniveau des soins, de la politique etautres… Les proches sont appelés à sebattre continuellement pour maintenirleurs acquis (les structures intégratives,par exemple), mais aussi pour faire évo-luer leur situation.

Marie-José Tornay

Le proche dispose de compétences àfaire valoir. En partenariat, c’est avecefficacité qu’il participera à l’accompa-gnement et au soutien de la personne ensouffrance psychique.

Notre groupe a identifié certaines com-pétences:

• Le proche aidant (parents, membres dela famille) est compétent dans la concré-tisation au quotidien des ressources dumalade. Il est un moteur actif pour la

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personne en souffrance et exprime l’es-poir d’une évolution positive et d’unmieux-être. Il est le gardien du temps etle soutien du rythme des activités. Ilpeut traduire avec clarté les besoins dela personne et a des arguments qui peu-vent être des atouts à la réussite de laréhabilitation.

• Le proche solidaire (proches engagés,bénévoles, membres d’associations) per-met aux personnes concernées de seremettre debout, de retrouver leur iden-tité, d’exister, de se réconcilier avecelles-mêmes et de réintégrer progressi-vement la société.

• Le proche solidaire est un rassembleur:il contribue à faire changer le regard surla maladie en facilitant le dialogue entreles personnes concernées et en les aidantà s’unir pour faire évoluer les mentalitéset les structures collectives.

• Le proche citoyen (collègues de travail,voisins), par son attitude bienveillante etdénuée de jugement, peut contribuer à ladéstigmatisation et au partage desconnaissances acquises.

Il est important, dans toutes ces rela-tions, d’oser reconnaître la spécificité del’autre et de lui offrir la possibilité departager son vécu et sa souffrance, maisaussi ses richesses.

Certaines de ces compétences sont natu-relles, mais peuvent être développéespar l’échange et par un partage deconnaissances de la part des profession-nels.

Claire-Lise Garcia

Afin de répondre aux besoins desproches et valoriser leurs compétences,le groupe de réflexion de l’Atelier Valaisa élaboré quatre propositions visant àcontribuer à l’autonomie et l’indépen-dance des patients et des proches:

1. Création d’un forum internetromand sur le thème «proche de…»

Cette plate-forme d’échanges, gérée surle plan romand et centrée sur les besoinset les expériences des proches, compor-terait un forum permettant le partaged’expériences et de conseils en ligne,cela dans un esprit d’émulation. Les thé-rapies remboursées pourraient aussi êtrerépertoriées et consultées directement.Un ou une juriste, spécialisée en droit dela santé, serait à disposition en lignepour répondre aux questions concernantle droit des patients. Le webmaster,créateur du site, serait également man-daté pour en assurer la maintenance,c’est-à-dire la mise en ligne des donnéeset leur suivi. Il agirait aussi commemodérateur du forum et comme indica-teur de prudence et de clarification quant

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aux données introduites par les diversvisiteurs.

2. Un programme romandd’échanges de compétences

Une expérience intéressante a étéconduite dans le Canton de Vaud: le per-sonnel des urgences du CHUV a faitpartager son quotidien à la police lau-sannoise et vice-versa. Cette rencontreconcrète a permis de pallier certains pré-jugés. Sur le même modèle, un réseaud’échanges pourrait être développé àl’échelle romande, entre, d’un côté, desassociations de proches et, de l’autre,différents partenaires, tels que: desentreprises, des travailleurs sociaux, desétudiants en sciences sociales, etc. Unetelle ouverture existe déjà en Valais,avec le programme de Pro Famille quiinclut, à titre d’observateurs, la partici-pation d’un tuteur officiel, d’un policieret d’un soignant.

Le pas suivant consisterait à intégrer lesproches de patient dans l’équipe de for-mateurs. Non seulement ilstémoigneraient de leur vécu particulier,souvent fait de solitude, de désespoir,d’exclusion, de culpabilité, mais ils ren-draient également compte des habiletésqu’ils ont développées.

L’importance du fonctionnement desassociations, en tant qu’espace où leproche peut retrouver sa dignité, seraitainsi démontrée. En la matière, ProFamille, et la Haute École d’étudessociales du Valais ont montré l’exemple,en organisant notamment une balade

entre étudiants et proches qui ont aboutià des échanges très riches.

La distribution de brochures par Synas-peEspoir dans les librairies et saprésence sur les marchés valaisans ontreprésenté des actions très positives, carelle sous-tendait un contact direct avecle public.

3. Le label «Entreprise intégrative»

Pour plus d’autonomie, la création destructures intégratives serait préférableaux structures d’assistance.

Les personnes en situation de handicappsychique devraient aussi avoir droit àune offre d’emploi plus variée, depuisl’atelier protégé jusqu’à un emploi enentreprise. L’activité professionnelledonne du sens à l’existence et permet decréer des liens sociaux. Pour sensibiliserles entreprises, il serait intéressant deconcevoir un label «Entreprise intégra-tive», destiné à encourager celles quiengageraient des personnes en souf-france psychique.

Ces personnes présentent souvent descompétences et des talents hors du com-mun qui, mis au service d’une entreprisedans une relation d’échange, agissentcomme stimulants sur les autresemployés.

4. Financement d’un des troisprojets susmentionnés par le Bureau fédéral de l’égalité

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pour les personnes handicapées(BFEPH)

Le Bureau fédéral de l’égalité pour lespersonnes handicapées a été créé pourréduire la discrimination des personneset des familles confrontées à un handi-cap. Il est chargé d’appliquer laLHAND, c’est-à-dire la loi fédérale des-tinée à favoriser l’égalité des chances,notamment en offrant des possibilités detravail, de formation ou de loisirs acces-sibles à tous. Les projets susmentionnésvisent précisément de tels objectifs. Ilserait donc tout à fait légitime d’imagi-ner qu’un de ces projets soit soutenufinancièrement par la Confédérationdans le cadre de cette loi dont l’applica-tion est garantie, entre autres, par lessubsides octroyés par ce Bureau.

Nous souhaitons vivement que tous lesconditionnels contenus dans ces propo-sitions soient conjugués au présent.

Saynète: un parcoursvers l’autonomie

SCÈNE 1

Animateur

Nous voyons le patient au centre du cer-cle. Il est plutôt passif, dépendant de laparole et des actions des autres acteurs.Le proche manifeste sa lassitude.

Le patient

Ah! J’en ai assez, je n’en peux plus! J’aipeur...

(Le soignant va tenter d’établir unealliance thérapeutique avec le patient.)

Le soignant

Ça va aller, venez, restez tranquille! Jevais vous aider. Mais je ne peux pas lefaire sans votre consentement! Vous êtesd’accord d’essayer?

(Le soignant confie à l’éducateur l’en-cadrement du patient.)

L’éducateur

Tu as besoin de retrouver une structure.Je vais t’aider à organiser tes journées.

(Le dossier du patient est transféré àl’Office AI.)

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Assistante sociale

On va faire une demande de prestationauprès de l’Office AI. Mais je t’avertis,cela ne va pas se faire en un jour! Il vafalloir être patient.

Patient

Stop! J’en ai assez! Je veux autre chose!

SCÈNE 2

(Nouvelle et effective prise deconscience des acteurs. Le dialoguereste pourtant enfermé sur le faire etl’activisme.)

Proche

Je ne veux pas que tu souffres... C’estvrai, comment ferais-je sans toi? Jet’aime, tu sais.

Le soignant

Je suis content de voir que vous allezmieux.

Éducateur

Ensemble, on va faire un bilan.

Assistant social

Vous êtes convoqué par l’AI pour uneexpertise psychiatrique.

Patient

J’ai besoin d’espace!

SCÈNE 3

(Les acteurs s’ouvrent à un projet com-mun. Le patient se sent libre. Il observeavec reconnaissance le cadre des per-sonnes qui, chacune à sa façon, aexprimé de son mieux son intention del’aider, mais dans le système duquel ils’est senti enfermé. Il peut s’en aller à larencontre d’autres acteurs représentantla communauté vers lesquels il va pou-voir puiser de nouvelles énergies et denouvelles options de vie.)

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De par mon expérience person-nelle, je suis une proche, mèred'un fils atteint d'une schizo-

phrénie. Et je peux vous dire que quandla maladie a fait irruption dans notre fa-mille, cela a été un bouleversement ef-froyable. L'entrée dans la psychose re-présente une souffrance indicible pourla personne concernée, pour son père,sa mère et la fratrie.

Je vous parlerai surtout de ma place demilitante d'action sociale, comme prési-dente d'une association, Espoir 54.Cette association a créé des structuresd'accueil et d'accompagnement spéciali-sées, car il n'existait rien entre l'hôpitalet la famille, dans notre département deplus de 700 000 habitants.

Je me situerai donc davantage comme«proche solidaire» que comme «procheaidante».

Il faut que vous sachiez qu'Espoir 54s'est beaucoup inspiré des pratiques duGraap, de l'Institut Maïeutique, de laBorde... dès sa création, il y a 12 ans.

J'éprouve une grande reconnaissancevis-à-vis du Graap.

C'est la raison pour laquelle j'ai cédé à lademande insistante de Madeleine Pontet accepté de venir partager avec vousmon expérience: un parcours de 17 ansavec la maladie et d'une bonne dizained'années dans le militantisme associatif.

Le début de l'histoire

Notre fils avait à peine 20 ans lorsque lediagnostic a été posé.

Au cours des premières années —lesplus difficiles—, il m'a paru importantde pouvoir exprimer cette douleur et detenter de la faire comprendre. Cetteexpression peut prendre différentesformes. Pour moi, c'est passé par l'écri-ture.

Je vais vous lire juste un extrait d'untexte que je considère comme «fonda-teur».

De proche en proche,vers des chemins de citoyenneté

Marie-Claude Barroche, présidente d’Espoir 54 et de la Fédération Agapsy, Nancy, France

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«Nos enfants étaient lycéens ou étu-diants. Ils travaillaient bien. Ils avaientdes projets. Ils avaient des amis. Ilsaimaient les fêtes, les voyages, lamusique et le cinéma. La maladie, unjour, a fait irruption, insidieusement oude manière foudroyante.

Les résultats scolaires se sont effondrés.Une mystérieuse fissure est apparue auplus profond de leur être. Ils sont deve-nus étranges. Leurs amis se sontlentement écartés. Les fêtes sont deve-nues des cauchemars. Ils se sont réfugiésdans leur solitude, en proie aux crisesd’angoisse et au désespoir. Ils ont finipar appeler au secours, après des mois etdes mois d’une indicible souffrance. Il afallu les hospitaliser. Délires et halluci-nations devenaient les compagnes d’unétrange voyage hors de la réalité. Leurtrajectoire venait de se briser… Ilsavaient 18 ou 20 ans [...]».

Ce «témoignage d'une famille» a mar-qué les élus que par tous les moyensnous tentions de sensibiliser sur lesbesoins de ces personnes en termes destructures d'accueil, de services d'ac-compagnement, de foyers, de lieux detravail…

Il a fallu 10 ans pour que les famillesadhérentes à l'Unafam, cette grandeassociation de familles et amis demalades psychiques, obtiennent les pre-miers financements nécessaires à lacréation des services d'Espoir 54.

Nous disposons aujourd'hui d'un Serviced'Accompagnement à la Vie Sociale,

d'un Dispositif d'Insertion en MilieuOrdinaire de travail, d'un Service de for-mation, d'ateliers de création et deresocialisation et nous parrainons troisGroupes d'Entraide Mutuelle. Nousaccueillons ou accompagnons environ600 personnes, sur 4 sites, avec environ35 salariés et 60 bénévoles.

Pour les 10 ans de notre association,nous avons écrit un livre collectif:Funambules de nos vies: 10 ans de com-pagnonnage sur les chemins de lacitoyenneté. Il raconte la longue histoiredes familles militantes et donne la paroleaux personnes concernées. Soixante usa-gers y ont participé par leurs textes,leurs poèmes, leurs productions artis-tiques.

La souffrance de l'entourage

L'impact de la maladie sur l'entourageest lié à la souffrance de la famille. Unesouffrance d'une violence inouïe que leDr Guy Baillon a récemment évoquéesur le site de Médiapart (6 avril 2011):

«La souffrance après l'annonce va s'ins-taller, s'épaissir, alourdir tous lesmoments de la vie, venant barrer tous lesprojets, entravant peu à peu la vie detoute la famille, changer les destins,orientant tout, autrement, malmenanttoujours la fratrie, muette.»

Face au constat de cet effondrement,Guy Baillon reconnaît:

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«[...] Quoi que j'en dise sur les richesseset la qualité de la folie en général, lafolie de l'un des nôtres reste une blessureinacceptable. Elle va plus loin que toutemaladie physique, car à ce moment pré-cis de l'annonce de la maladiepsychique, une voix au fond de nousnous relie à l'histoire des hommes, àl'histoire de l'humanité, elle nous dit quecette maladie vient installer une failledans cette histoire, dans ces histoires, etque vous avez rompu délibérément aveccet engagement collectif».

Il a fallu beaucoup de temps pour qu'en-fin on entende et on prenne en comptecette souffrance des proches et qu'on larende sensible aux équipes de soin, parexemple.

Il y a un an, une remarquable étude a étépubliée en France avec le soutien notam-ment de la Fondation de France et lafédération des Croix-Marine intituléeParents de grands adolescents et jeunesadultes hospitalisés en psychiatrie:quels vécus? Quels besoins? Quellesviolences? Quels soutiens?

Leurs auteures, Annick Ernoult, forma-trice en soins palliatifs et Catherine LeGrand Sébille, socio-anthropologue, ontinterrogé 50 parents de jeunes psycho-tiques hospitalisés.

Les constats sont accablants:

— l'extrême solitude et l'isolement psy-chologique et social des parents;

— l'effroi qu'on pressent chez les autres;

— la honte qui empêche de demanderde l'aide;

— la complexité de l'accès aux soins;

— la disqualification des familles et lanon-prise en compte de leur savoir expé-rientiel, etc.

La «confrontation à l'étrangeté de leurenfant» est une des expériences existen-tielles les plus radicales que des parentsaient à vivre»...

Ce travail se clôt sur une invitation à unengagement citoyen: «Notre approchenous permet d'insister sur l'importancedu témoignage et de l'éprouvé desparents, parole modeste et dense, quipeut permettre aux professionnels enpsychiatrie, mais aussi aux acteurssociaux, d'initier des changements dansle regard et les pratiques pour une refon-dation des notions d'accueil,d'hospitalité et d'alliance dans le soin».

Avant d'évoquer plus précisément l'im-pact de la maladie psychique surl'entourage, je ne résiste pas au plaisird'évoquer le témoignage récent, trèsémouvant et plein d'humour d'un journa-liste, père de Nicolas, 19 ans, hospitalisépour une schizophrénie.

Comme beaucoup d'entre nous, ce pèrea connu les affres de l'entrée dans la psy-chose, complètement ignorant dumonde de la psychiatrie:

«Notre vie, notre relation va basculerdans la maladie pour toujours... Nico ne

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sera plus jamais le même [...].Face à lafolie naissante de son enfant, on est seul[...]. Pas un sourire, pas une once d'hu-manité dans cet hôpital [...].Unepremière impression de désolation nousa sauté à la figure [...].Je l'apprendrai àmes dépens, dans la tête d'un psychiatrefrançais, la famille est toujours sus-pecte». Forcément, quand un gamin de19 ans se retrouve en hôpital psychia-trique, c'est la faute des parents, non?»

Tout y est dans ces quelques lignes: lasolitude, la culpabilité, la disqualifica-tion des proches...

Quand l'entourage constate avec amer-tume qu'il lutte seul, en première ligne etpratiquement sans aide ni soutien face àla personne troublée et face à son déni,est-il étonnant qu'il se retrouve sub-mergé par un terrible sentimentd'impuissance et de désespoir?

L'impact de la maladie

Le Dr Yann Hodé dans un article récentsur «La prise en charge des familles depatients schizophrènes» résume ainsil'impact de la maladie sur les proches:

«Cette souffrance des aidants familiauxa deux types de conséquences. D'unepart, une dégradation de la qualité devie et de la santé des aidants, induisantun surcoût en termes de santé publique,et, d'autre part, l'épuisement desaidants, entraînant une baisse des capa-cités d'aide qui conduit à un transfert decharge vers le système de santé et à une

augmentation du niveau d'émotionsexprimées qui est un facteur importantdu risque de rechute du malade».

Il indique qu'une étude sur 32 proches apermis de conclure à un vieillissementprématuré (de 5 à 10 ans, comparé à ungroupe contrôle) et à une symptomato-logie dépressive plus fréquente qui apour conséquences une aggravation del'état du patient. Une enquête de l'Una-fam de 2003 indique par exemple que53% des frères et sœurs pensent que lamaladie a eu des répercussions sur leurpropre santé.

Outre les effets sur l'état de santé phy-sique ou psychique, sur l'état affectif ouencore le stress, la maladie psychiqued'un proche a un impact sur la vie defamille, sur la vie conjugale et la fratrie;elle modifie souvent l'activité profes-sionnelle, sociale, associative, de loisirset de vacances...

Quand la maladie prend toute la place,que la culpabilité mine la famille, il n'estpas rare de constater des taux importantsde divorce, l'éloignement géographiquedes enfants, des orientations dans leursétudes en lien avec ce qu'ils ont vécu dela maladie.

En 1995, l'Inserm avait réalisé avecl'Unafam une enquête publiée sous untitre très évocateur: Trajectoires brisées,familles captives: la maladie mentale àdomicile. Martine Bungener avait mon-tré combien la cohabitation subie étaitpar exemple néfaste. Actuellement,l'Unafam vient de lancer une nouvelle

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enquête importante auprès des parents etfamilles de personnes souffrant de trou-bles psychiques avec l'Université et degrands organismes de recherche.

Les résultats de cette enquête seront pré-cieux, tout comme l'ensemble des étudeset témoignages que les associations deproches ont déjà collectés et qui mon-trent de manière patente l'impact négatifde la souffrance d'un proche malade surles relations familiales et la qualité devie de chacun de ses membres.

Besoins et compétences des proches

«Sans qu’on le lui dise, c’est bien lafamille qui va être en charge du longprocessus de réhabilitation psychoso-ciale. On ne lui demande même pas sonavis, on ne s’inquiète pas de savoir sielle a les compétences pour le faire. Sielle va être aidée dans cette tâche, si elleva trouver des relais… La famille est là,captive, confrontée à l’extraordinairecomplexité de la pathologie et de sonévolution chaotique». (Funambules denos vies)

Le Dr Baillon lui-même reconnaît quesouvent, rien n'est expliqué aux parents,ni la psychothérapie, ni les médica-ments, ni les liens relationnels avecl'institution...

Selon l'Unafam, seuls 21% des schizo-phrènes en France connaissent leurdiagnostic et 30% seulement des psy-

chiatres pensent nécessaire d'informerleurs patients...

Alors qu'«un autre savoir sur le mondehabite notre enfant, il faut s'y familiari-ser, et nous n'avons aucun repère, il fauttout apprendre, tout inventer, dans denouveaux rapports».

Lors du Congrès du Graap de 1992, cer-tains groupes de discussion avaientévoqué le rôle des proches en cestermes:

«Comme proches, nous devons parfoisjouer tous les rôles: infirmier, médecin,veilleuse, assistant social, tuteur, accom-pagnant, confesseur. Mais aussicomptable, blanchisseuse, logeuse, cui-sinière...», avec cette difficulté repérée:si nous sommes trop distants, c'est vécucomme un abandon, si nous sommestrop proches, c'est vécu comme envahis-sant ou même écrasant».

«Accompagner la vulnérabilité»,comme l'écrit Julia Kristeva dans sabelle correspondance avec Jean Vanier),«c'est accompagner la singularité, voirel'étrangeté de son enfant, ausculter lesprogrès de l'irrémédiable différence pourmieux la soigner, la réduire, si possible,permettre à l'autre de réaliser seslatences créatives, quelles qu'en soientles limites».

Cet accompagnement au quotidiennécessite une infinie patience, une infi-nie délicatesse. Et une juste distance.Permettez-moi de citer un témoignagequi m'a beaucoup impressionnée et qui

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illustre bien les compétences très sub-tiles que peuvent acquérir des parents.

Il s'agit de Xavier Boissaye, l'auteur deL'Autre face du miroir, qui a témoignépour Funambules de nos vies. Il a relatéun moment particulièrement difficile, àla sortie d'une première hospitalisationen milieu psychiatrique.

«Dans le train qui me ramène du centrede repos de Montpellier à Paris, aprèsplus de six mois d’hospitalisation, je meretrouve face à moi-même.

Que vais-je devenir? Que vais-je faire?C’est la porte ouverte à tous les possi-bles, sauf que je suis fatigable. Sur lequai de la gare de Lyon, je guette. Unmembre de ma famille est-il venu m’at-tendre? Je réalise très vite que personnen’est là. Voilà la première mise àl’épreuve: prendre mon destin en main.

Arrivé chez mes parents, ces derniersm’accueillent et me proposent de dîner.Il n’y a rien de plus que d’ordinaire.Visiblement, mon retour leur fait plaisir,mais ils restent mesurés dans leur atti-tude.

J’apprends très vite qu’il va me falloirquitter ma chambre de jeune hommepour une pièce plus petite, dans le mêmeimmeuble, mais quatre étages plus bas,avec toilettes sur le palier. Je retrouvepeu d’objets du passé, hormis quelquesdisques et deux ou trois trophées desport. Le reste a été donné aux uns etaux autres.

Je suis partagé entre la joie et l’inquié-tude. Joie de prendre un peud’indépendance et de pouvoir aller etvenir comme je l’entends, inquiétude den’avoir plus de comptes à rendre, depouvoir me lever à l’heure que je veux,rentrer le soir, recevoir librement, face àmoi-même. Il faut que je reconstruisema vie.

Le médecin me soutient, m’écoute, maisne me guide pas dans mes choix. Mesparents sont présents, toutefois ils n’in-terviennent pas. Ils ne me posent pas dequestions. Si je ne les sollicite pas, ilsme traitent comme tout un chacun. C’estce que j’appelle l’écoute sans complai-sance. Ils n’en font ni plus ni moins quepour quelqu’un d’autre, poursuivent leurvie de leur côté. Pourtant, ils savent serendre disponibles pour m’écouterlorsque j’en ai besoin.

Ce sentiment d’être traité sans complai-sance particulière du fait de ma maladiem’encourage à ne pas m’appesantir surmon sort et à vouloir assumer ma vie etmes responsabilités.»

Voilà bien cette juste attitude: ni surpro-tection, ni rejet ou indifférence. «Sanscomplaisance», comme le disait Xavier.

On sait que si la famille est sereine, l'in-fluence est positive sur la personnemalade. Faire confiance, donner l'espoir,connoter positivement toute réussite ouinitiative: ce sont des postures que l'en-tourage, s'il est un peu attentif, finit paracquérir... Elles supposent un apprentis-sage. Il m'a fallu du temps par exemple

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pour ne pas réagir vivement devant unetenue négligée ou sale, un pull de lainechaud en plein été, un logement sale etcomplètement encombré... mais aucontraire traquer le moindre progrèspour féliciter et manifester du contente-ment....

Si vous lisez l'ouvrage de Xavier Ama-dor, Comment faire accepter sontraitement au malade, vous apprendrezles bonnes approches: une écouteréflexive et efficace, la transmission del'empathie, la manière de trouver unaccord et de réaliser un partenariat avecla personne dans le déni.

Il me semble que les proches ont troisbesoins essentiels: être informés, for-més, et soutenus.

C'est toute la société qui souffre d'undéficit d'informations sur les questionsde santé mentale. Mais il faut être parti-culièrement attentif à l'entourage d'unepersonne chez laquelle on diagnostiqueun trouble psychique.

Quelques conditionspour parvenir à la sérénité...

Il me semble qu'il y a deux préalables:

— éradiquer la culpabilité et la honte;

— ne pas rester isolé.

Au sujet de la culpabilité, écoutons ceque nous dit le psychiatre Guy Baillon:

«Familles... vous êtes blessées dansvotre chair, au travers de vos espoirs lesplus anciens, datant de votre enfance etdu moment où vous avez eu envie defonder une famille. Vous vous sentezvous-mêmes coupables depuis le pre-mier jour de la maladie de votre enfant,de votre conjoint. Ensuite, vous avezsenti le poids du regard accusateur deceux qui vous entourent, même des plusproches.

Pourtant contrairement à ce que vousressentez, je vous l'assure, vous n'y êtespour rien. Personne ne peut créer chezquelqu'un une maladie psychique».

En ce qui concerne la honte, elle est toutsimplement sans objet... Il faut en finiravec le silence et la honte!

Les proches se trouvent dans uneimmense solitude lorsque la maladiearrive. Nous avons à gérer le terribledéni de la maladie et l'immense souf-france qui va avec. Notre premièreréaction c'est de chercher à comprendreet de chercher des solutions tous azi-muts. Mais très vite on s'aperçoit queseul, on ne parvient pas à grand- choseet bien souvent on cumule les échecs.On est angoissé, démuni. Et c'est toutela famille qui commence à aller mal.

La maladie du proche devient un «far-deau» (ce mot est terrible!). La familles'isole et l'on vit une sorte de deuxième«enfer-mement»: le malade est enfermédans sa maladie et la famille s'enferme àson tour, à domicile, avec la maladie.

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C'est alors qu'il faut pouvoir rencontrerd'autres proches qui ont la même expé-rience que nous. Ce partage d'expérienceà travers des groupes de parole parexemple apporte un vrai réconfort etdéveloppe une solidarité spontanée.

Les associations ont un rôle importantpour former, informeret soutenir les familles.

En France, nous avons une grande asso-ciation, l'Unafam, créée en 1963. 15 000familles y adhèrent et constituent de cefait une vraie force.

Dans chaque département existe unedélégation qui propose une permanenced'écoute et d'accueil. Certaines dévelop-pent des programmes psychoéducatifscomme Profamille ou Prospect. L'Una-fam édite une revue Un autre regard eta développé un très bon service de télé-phonie sociale «Écoute famille».

Une autre condition qui me paraît toutaussi importante dans notre chemine-ment aux côtés de la personne ensouffrance, c'est de prendre soin de soiet de ne pas hésiter à se faire aider sinécessaire.

C'est dans cet esprit qu'une association,le Répit, propose en Sologne des séjoursde vacances pour les familles accompa-gnées ou non de leur proche fragile. Lesfamilles suisses romandes y sont lesbienvenues.

Je reprends le témoignage du père deNicolas:

«La maladie mentale est une pieuvre quiattrape dans ses tentacules ceux qui s'enapprochent trop près sans précautions...Si je ne veux pas mourir étouffé, je doisme préserver de mon fils, l'accompagneren gardant mes distances. Il faut que jereste à ma place, celle d'un père aimant,mais impuissant».

C'est vrai que l'impuissance est terribleà vivre: avoir un proche que j'aime et quisouffre d'une maladie pour laquelle je nepeux rien... Mais je peux l'aider à vivreavec et accepter qu'il soit aidé et mefaire aider et surtout, garder l'espoir».

Nos amis canadiens vont encore plusloin. Un responsable de la Fédérationdes Familles et Amis de la PersonneAtteinte de Maladie Mentale au Québecn'hésite pas à dire que prétendre aiderune personne psychotique, sans recon-naître que l'on a soi-même besoin d'aidepeut nous rendre nuisibles pour cettepersonne et pour nous-mêmes. Leconcept de famille aidante passe pro-gressivement à celle de famille«cliente», cliente du système de santémentale.

Il s'agit d'un changement radical de pers-pective. Il s'appuie sur le constat que lafamille est surinvestie et sur-sollicitée:aidante avec ses proches en souffrance,«entr' aidante» avec ses pairs, représen-tante institutionnelle auprès despouvoirs publics pour ceux qui militent:quel temps reste-t-il pour eux-mêmes?

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Quand on sait que la charge d'aidant depremier rang peut déjà à elle seuleconduire à l'épuisement. Les famillesnégligent trop souvent de chercher del'aide pour elles-mêmes. Chacun a troptendance à vouloir faire face seul. Com-ment se plaindre de ce qu'elles sontamenées à vivre alors que leur prochemalade va si mal?

Les Québécois préconisent des mesuresde soutien adaptées, comme un droitsocial, avant même de former les mem-bres de la famille à leur rôle d'aidant.

En France, il y aurait 2 millions d'ai-dants familiaux. L'État commence àprendre conscience du rôle important deces aidants. On réfléchit en ce momentà la manière de soutenir et d'apporterune aide (y compris matérielle) à cesaidants de proximité.

Il faut, je pense, rester vigilants: la ten-dance forte à vouloir«professionnaliser» les aidants et aussiles usagers de la psychiatrie n'est-ellepas l'expression d'un désengagement del'État et de la solidarité nationale? Avoirun proche malade deviendrait une fonc-tion rémunérée? N'y a-t-il pas confusiondes rôles et des acteurs? des soins et dela tendresse?

La maladie mentale à domicile, unealternative certes moins coûteuse qu'unehospitalisation...

Il y a nécessité de respecter les rôles dechacun:

— la personne concernée sait ce dontelle a besoin;

— la famille et les proches, leur mis-sion, c'est l'amour;

— les soignants ont à prendre en chargele parcours de soin;

— les acteurs du social ont à accompa-gner le parcours de vie.

En préambule des prochaines Journéesnationales des Croix-Marine (Fédérationd'Aide à la Santé Mentale), intitulées«Familles(s): source(s) et ressource(s)»qui auront lieu à Pau les 26 et 27 sep-tembre prochain, le Président Dr

Bernard Durand évoque la nécessitéd'une articulation des solidarités, dessoins et des aides comme la conditionpour éviter que l'un des membres decette sorte de constellation des accom-pagnateurs de la personne puisse sesentir épuisé et considérer le patientcomme un fardeau. «C'est une tâchedont la difficulté est accentuée par lesfacteurs économiques qui touchent lapsychiatrie et le secteur médico-socialde plein fouet». Et il ajoute: «Aucun soi-gnant, aucun aidant, aucune famille n'ala possibilité de répondre seul à l'ensem-ble des demandes et des nécessités(écoute, reconnaissance, vie quoti-dienne, soins, affection...) [...]»

Les familles doivent pouvoir comptersur des relais médico-sociaux efficaces,avec des accompagnateurs profession-nels. C'est une garantie de la qualité devie des personnes en situation de handi-

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cap psychique et un soutien indispensa-ble autour de leur projet de vie.

C'est à quoi s'attache précisément lajeune fédération nationale Agapsy quiregroupe une cinquantaine d'associa-tions gestionnaires d'établissement etservices spécialisés sur l'ensemble duterritoire français.

Nous travaillons à ce que dans chaquebassin de vie existent des structures d'ac-compagnement social et professionnelfavorisant des parcours fluides etconcertés entre le sanitaire et le social.Nous favorisons la participation pleineet entière à la vie citoyenne des per-sonnes ayant des troubles psychiques.

Proche partenaire, en alliancethérapeutique

Être partenaire des équipes de soin, c'estêtre dans une sorte d'«alliance thérapeu-tique».

La famille doit être considérée commel'interlocutrice privilégiée des soignants.

L'entourage possède souvent une grandecompétence dans la détection des petitssignes annonciateurs de décompensationou de violence. Ces «perceptions sub-tiles» de l'entourage, son inquiétudedoivent être prises en compte par leséquipes.

Par exemple, lorsque le patient refuse deconsulter, la famille devrait être reçue en

consultation afin qu'elle puisse exprimerson angoisse et décrire ce qui se passe,donner les signes d'alerte.

L'expérience du Centre Psychiatriqued'Orientation et d'Accueil de l'HôpitalSte-Anne à Paris est concluante à cetégard: si la famille est entendue et sou-tenue, dans 36% des cas, les patientsviennent à l'hôpital dans la semaine quisuit...

Nous avons encore beaucoup de progrèsà réaliser pour que ces alliances théra-peutiques soient effectives et pour entrerdans l'esprit d'une «psychiatriecitoyenne».

Des concepts comme le Psytrialoguedont vous avez été les pionniers enSuisse Romande, après l'Allemagne,devraient être davantage mis en œuvre.

Les Psytrialogues désignent des rencon-tres entre usagers, familles et soignantsautour d'une thématique de santé men-tale. Ces sortes de «café philo» sont desmoments de grande émotion et de hautniveau. Ils permettent aux uns et auxautres de se rencontrer dans un lieu neu-tre, de mieux s'apprivoiser mutuellementet d'acquérir une culture commune siimportante si l'on veut devenir de vraispartenaires.

Si j'ai bien compris les orientations duGraap, il y a le souci d'aller encore plusloin et de passer du proche partenaire auproche solidaire.

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Proche solidaire:goûter à la solidarité et à l'entraide

Je vais terminer mon propos par cetenjeu essentiel aujourd'hui qui est celuide la solidarité et de la citoyenneté.«S'exiler de sa douleur: il en résulte unedisponibilité sociale, un allègement»,nous dit Julia Kristeva.

Dans un ouvrage paru il y a quelquessemaines, Développer l'éthique en tra-vail social: solidarité et engagementassociatif, René Baptiste, ancien direc-teur général de Messidor à Lyon etBernard Caubère, ingénieur et manager,nous disent en quelques pages ce qu'ilsattendent des familles.

«Il est compréhensible que les famillesaient un temps de solitude préalable,mais combien, lorsqu'elles ont à peuprès résolu leurs difficultés, trouvé unesolution, font le pas vers l'action collec-tive? [...] Sortir de son cas personnelpour atteindre une dimension sociale,c'est l'effort de base demandé à toutefamille». Elle y puisera d'abord un équi-libre et y trouvera un appui auprès des«pairs» avec lesquels elle pourra parta-ger son expérience singulière. Elleaccèdera enfin à la possibilité de partici-per à l'action collective qui est la seulevoie possible pour contraindre les pou-voirs publics à respecter leursengagements.»

Le nombre de proches concernés, expli-quent-ils, est un atout. Les familles ont

une formidable force de persuasion.«Exiger des pouvoirs publics l'applica-tion de la loi c'est, selon eux, le devoirpremier des familles pour rendre serviceà leur membre en difficulté.»

Je partage complètement ce point de vueet je peux témoigner de la satisfactionque l'on éprouve dans ce rôle d'aiguillonde la puissance publique. Avec les usa-gers eux-mêmes, les familles sont lesmieux à même d'exprimer les besoinsdes personnes qui vivent avec des trou-bles psychiques et de co-construire avecelles des réponses adaptées: exiger desdispositifs d'accompagnement dans lelogement et le travail, des structuresd'accueil et d'entraide.

En France, par exemple, à l'issue de laloi de 2005 qui, pour la première fois, areconnu le handicap psychique, lesfamilles alliées aux soignants et aux usa-gers ont obtenu la création des Groupesd'Entraide Mutuelle: il y en a actuelle-ment 334 répartis sur tout le territoire.Ils ont un énorme succès. Ils sont devrais lieux de résilience et de solidarité.Ils constituent aussi des lieux d'appren-tissage de la citoyenneté et contribuentde manière évidente au rétablissementdes personnes.

Je pense que nous avons beaucoup àapprendre dans l'engagement citoyen ethumain que nous pouvons avoir les unset les autres, et ensemble.

Dans les Actes de votre Congrès de1992, j'ai pu lire ce témoignage de l'und'entre vous:

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«La maladie de ma fille m'a permis dedécouvrir des amis. J'ai goûté à la soli-darité, à l'entraide...

Maintenant, je me réjouis de prendre maretraite parce que je ferai du bénévolat».

Il y a tellement de choses passionnantesà faire et de moyens d'agir!»

Il y a mille et une manières de s'engager,selon le charisme de chacun. Il y a dansnos associations des gens qui s'épa-nouissent dans l'écoute des personnes,dans l'animation d'ateliers, dans la ges-tion associative ou qui expérimentent denouveaux concepts dans la promotion dela santé mentale. Je pense par exempleau concept danois de «Bibliothèque deslivres vivants» dont je pourrai vous par-ler si vous le souhaitez. La lutte contrela stigmatisation est quelque chose àquoi nous devons tous contribuer. Dansce domaine, en Suisse romande, il mesemble que nous n'êtes pas en retard.J'ai envie d'ajouter que dans les associa-tions, vous trouverez des trésors degénérosité, de créativité et d'espoir!

Pour conclure...

De proche en proche, en allant duproche au prochain, osons nous engagersur ces chemins de citoyenneté! Nouspouvons nous servir de notre expériencesingulière, de notre blessure, pour vivreune ouverture vers nos semblables.Notre premier devoir, c'est l'espérance.Créons des jardins solidaires pour la cul-tiver!

Chacun, dans sa singularité et son uni-cité, a un don à offrir aux autres, ycompris les plus fragiles d'entre nous.

Alors, quittons la déploration pour l'ac-tion, la triste impuissance pour un défimajeur: celui de vivre une vie épanouis-sante, malgré la maladie de nos proches.

Comme nous y invite Edgar Morin com-mençons à «nous acheminer vers desvoies qui déjà nous transforment dès quenous nous mettons en chemin». Cegrand penseur contemporain en intro-duction de son magnifique livre La Voie:pour l'avenir de l'humanité nous pro-pose cette citation de Margaret Mead:

«Ne doutons jamais qu'un petitgroupe d'individus conscients et enga-gés puissent changer le monde. C'estmême de cette façon que cela s'esttoujours produit».

Je nous souhaite plein de courage et unbonheur serein!

Références

[Collectif], Funambules de nos vies, 10ans de compagnonnage sur les cheminsde la citoyenneté: Espoir 54, Associa-tion d’idées, Nancy, 2008.

Alexandre, Stéphane, Le coupe-ongles— Le jour où ils l'ont pris à monfils, j'ai compris que c'était grave, édi-tions Les Arènes, Paris, 2011.Amador, Xavier Francisco, Comment

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faire accepter son traitement au malade:schizophrénie et troubles bipolaires:guide pratique à l'intention des familleset des thérapeutes, Paris: Retz, 2007.

Baptiste, René, Caubère, Bernard, Déve-lopper l'éthique en travail social:solidarité et engagement associatif,Lyon: Chronique sociale, 2011.

Ernoult, Annick, Le Grand-Sébille,Catherine, Parents de grands adoles-cents et jeunes adultes hospitalisés enpsychiatrie: Quels vécus? Quelsbesoins? Quelles violences?, publié parla Fondation Sylvaine Ernoult, Fédéra-tion d'aide à la santé mentaleCroix-Marine et la Fondation de France,2010.

Hodé, Y, «La prise en charge desfamilles de patients schizophrènes», inAnnales Médico-Psychologiques, 2011,n° 169.

Kristeva, Julia, Vanier, Jean, Leur regardperce nos ombres, Éditions Fayard,Paris, 2011.

Morin, Edgar, La voie: pour l'avenir del'humanité, Éditions Fayard, Paris, 2011.

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Deuxième journée

De proche en proche,vers des chemins de citoyenneté

Atelier de Fribourg

L’atelier de Fribourg s’est d’abordintéressé à l’impact de la maladiepsychique sur les relations au sein

d’une famille. Qu’est-ce qui se passe pourmoi, dans mon rôle de père, de mère, deconjoint, d’enfant, de frère, de sœur,etc. ? Quelles conséquences dans mesrelations familiales? Quelles solutions?

Pour illustrer ces enjeux, un témoignagevous sera présenté, celui d’Annick. Ellevous fera part de son expérience d’enfantd’un père souffrant de troubles bipo-laires. Des propositions vous serontensuite soumises pour préserver et amé-liorer les rapports au sein d’une familletouchée par la maladie psychique.

Un second thème nous a occupés: celuidu déni de nos politiciens face à la mala-die psychique. Peu visible dans la sphèremédiatique, cette dernière n’en reste pasmoins une réalité. Ne pas en tenir compteau niveau politique crée des situationsd’injustice inacceptables. Là aussi, despistes d’action vous seront présentées.

Témoignage d’Annick

Je suis émue de me trouver ici. Ce quej’ai à vous dire, je le porte en moi depuistrès longtemps, depuis toujours, ai-jeenvie de dire. J’ai en effet grandi auprèsd’un père souffrant de troubles bipo-laires. À l’automne de mes 13 ans, il esthospitalisé pour la première fois. À par-tir de ce moment, les aller-retour entre lamaison et l’hôpital vont se succéder, sibien qu’il perdra son travail.

Ces années-là, qui coïncidaient avecmon adolescence, resteront pour moi lesplus noires de ma vie, un peu comme sila lumière du jour s'était éteinte.

Le plus difficile pour moi résidait dansla maladie elle-même. Déjà si déstabili-sante pour un adulte, vous imaginez cequ’un enfant pouvait ressentir. À cetâge, on a besoin de pouvoir s’appuyersur ses parents pour grandir. Avec cettemaladie, il n’y avait plus rien de sûr,

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plus rien de prévisible, plus rien de nor-mal… C'était un monde de fou.

Comme tous les bipolaires, mon pèreoscillait entre profonde déprime etpériodes d’euphorie. Parfois, il restaitcouché des jours entiers, enfermé dansson mutisme. Je rentrais de l’école, lesaluais d’un «Bonjour papa!», mais il neme répondait pas. C’était bizarre.Lorsqu’il traversait, au contraire, unephase haute, il restait debout toute lanuit, écrivait à la terre entière, dépensaitdes sommes d’argent faramineuses,insultait les passants et allait aux prosti-tuées… Et moi, j’assistais à tout cela…Et puis, il arrivait qu’il soit normal. Àcela aussi, il fallait s’adapter. Mais cesphases ne duraient en général pas long-temps.

Le silence qui régnait autour des trou-bles de mon père représentait unedifficulté supplémentaire. À la maison,on me disait simplement qu’il étaitmalade, sans rien ajouter d’autre. Cen’est qu'après avoir passé mon bac quej’ai pu mettre un nom sur ces troubles.Dans ma famille, le poids de la maladieétait si lourd que chacun se repliait surson silence. Moi, j'aurais aimé quequelqu’un me dise tout simplement:Annick, ce dont ton père souffre, ças'appelle la maniaco-dépression. Cettemaladie existe et d’autres personnes ensouffrent aussi. Tu n’es pas le seulenfant à grandir avec cette difficulté-là».

Ce qui a été douloureux aussi, c’était derester seule avec ce désarroi, ce chaosémotionnel, ce désespoir. Dans ma tête,

tout se mélangeait. Je me sentais com-plètement submergée. Il y avait aussi dela honte, de la colère, parfois même dela haine. Je me posais toute sorte dequestions: est-ce qu'on va être ruiné? Lamaison va-t-elle brûler pendant la nuit?Vais-je moi aussi devenir folle quand jeserai plus grande? Serai-je capable defonder un jour une famille? Serai-je unefois heureuse dans ma vie? Sert-ilencore à quelque chose de vivre?

Toutes ces questions, toutes cesangoisses sont trop lourdes à porterquand on a 10, 12 ou 14 ans. Moi, j'au-rais eu besoin qu'on accueille cesémotions. Qu'on m'aide à mettre desmots dessus et à y mettre de l'ordre.J’aurais aussi eu besoin qu'on me pro-tège un peu de cette folie, en me disant:«Tu sais, tout ça prend beaucoup deplace aujourd'hui, mais au fond, ce n’estni ta vie ni ton problème. Tu as aussi ledroit de t'amuser, de rire. Allez, viens!»

J’avais aussi le sentiment terrible quepersonne ne se souciait de ma situation.De nombreux adultes étaient au courantde ce qui se passait autour de moi:médecin de famille, psychiatre, person-nel de l’hôpital, juge de paix, collèguesde mon père, profs et même, parfois,policiers. Tous savaient, mais personnene semblait trouver utile de m'en parler.

Lors de la première hospitalisation demon père, personne ne s’est préoccupéde mes trois frères et de moi-même.Peut-être, pensaient-ils que quelqu’uns’en chargeait déjà?... Peut-être aussi,espéraient-ils ou voulaient-ils croire que

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les enfants ne sont pas vraiment capa-bles de comprendre. Cela n’est bienentendu pas vrai. Les enfants voient trèsbien ce qui se passe. Moi, durant cettepériode, je dois avouer que je n’avaisplus beaucoup de respect pour lesadultes. J’avais l'impression qu’ils sefoutaient bien de moi. Ou qu'ils avaienttellement peur de cette maladie qu'ilspréféraient me laisser me débrouillertoute seule.

Moi, j'aurais aimé qu'on me dise, sim-plement: «Annick, je vois ce qui sepasse. C'est une immense épreuve que tues en train de vivre. Je voudrais pouvoirchanger les choses pour t’aider, mais jene le peux pas. Moi aussi, je me sensdémuni face à cette maladie, mais sacheque je vais rester avec toi, qu’on va tra-verser tout cela ensemble!».

Je crois aussi que mes parents auraientbeaucoup aimé qu'on les soutienne. Biensûr, ils n’ont pas eux-mêmes appelé àl’aide, durant ces années. Commentauraient-ils pu le faire d’ailleurs?Chaque jour, il y avait une autreurgence. Il fallait se débattre avec lamaladie, les médecins et les soucis d’ar-gent, remplir le frigo, préserver unsemblant de vie normale, etc. Si seule-ment une personne de leur entourageproche ou plus éloigné avait pu pronon-cer ces simples mots:

«Madame, Monsieur, ce que vous vivezdoit être terriblement dur. Vous faitesbeaucoup, mais je crois que vous avezbesoin d'être aidés».

Avec du soutien, ils auraient pu devenirde meilleurs parents pour nous. Les liensaffectifs auraient alors été préservés. Aulieu de cela, chacun s’est replié dans sasolitude. Accompagnés, nous les enfantsaurions pu dire: «Malgré la maladie,nous aussi on est une famille. Malgré lamaladie, il y a de l’amour». Aujourd’huiencore, à l’âge de 35 ans, il reste diffi-cile pour moi de le leur confier ou del’entendre de leur bouche.

Ce que je vous raconte s'est passé il y avingt à vingt-cinq ans. Il faut espérerqu’aujourd’hui, les choses ont évolué etque les familles et les enfants sont mieuxsuivis. Pour être franche, je n’en suis passi certaine. Ne pas se soucier de tellessituations serait inacceptable. Les mala-dies psychiques existent, sans quepersonne n’en soit coupable. Mais c'estde notre responsabilité de s’occuper deceux qui en souffrent directement ouindirectement.

Je voulais ajouter une dernière chosetrès importante: il y a une vie après cetteenfance-là. Il y a une place au soleilaussi pour les enfants de malades psy-chiques. Aujourd'hui, j’ai des amisprécieux, un travail intéressant et je memarie cet été. Je vis une période degrand bonheur. À l’époque, si j’avais sula femme que je deviendrai, je crois queça m'aurait fait du bien et redonné del’espoir.

Grandir avec parent malade psychiquereste une grande épreuve. Mais c’est uneépreuve qu’on peut traverser. Mais onn’a pas besoin d’être tout seul pour ça.

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Quand les proches sont des enfantsLe témoignage d’Annick illustre avecforce les nombreux enjeux qui se posentlorsque la maladie psychique frappe l’undes parents ou un membre de la fratrie.

Même si les choses ont un peu évoluéaujourd’hui, des situations comparablesexistent toujours. C'est pourquoi l’atelierde Fribourg, sur la base de sesréflexions, vous soumet les propositionsou recommandations suivantes:

— Lors de l’hospitalisation ou de laprise en charge d’une personne souf-frante, les professionnels de la santédoivent se poser la question de l’exis-tence d’enfants dans l’entourage et, lecas échéant, se renseigner sur leur âge etleur lieu de vie. Il en va de son bien-être.

— Fortement impliqué affectivementdans la situation du parent malade, l’en-fant doit aussi être considéré comme unpartenaire à part entière, raison de pluspour se soucier de lui.

— En cas de signalement d’une situa-tion impliquant un enfant, il est essentielde désigner une personne ou un organeextérieur à la famille —et donc neutre,qui sera responsable de lui offrir uneprise en charge particulière. Celui-ciprendra régulièrement des nouvelles del’enfant et l’accompagnera dans sonévolution. Il favorisera aussi l’expres-sion de ses émotions, en établissant aveclui un programme axé sur la perceptionde ses besoins et utilisant des outils

d’expression adaptés à son âge. Demême, il l’aidera à découvrir ses proprescompétences et lui donnera les moyensde les développer.

— Des supports d’information sur lamaladie psychique, spécialement conçuspour les enfants, existent et doivent êtreutilisés: bandes dessinées, petits films,sites Internet, jeux, etc. Adaptés àchaque tranche d’âge, enfants mais aussiadolescents y trouveront des réponses àleurs nombreuses interrogations. Sou-vent peu connu, une campagned’information sur ce type de matérieldoit être faite auprès des médecins géné-ralistes, des enseignants et desmédiateurs.

— Les adultes proches de l’enfantconcerné doivent aussi disposer desources d’information qui répondent auxquestions suivantes: comment évoquerce sujet avec l’enfant? Quelles stratégiesadopter? Quels sont ses besoins particu-liers? Comment mobiliser ses ressourcesde l’enfant? Des brochures très bienfaites existent pour chaque type de trou-bles psychiques. Encore faut-il que lesadultes y aient accès.

Reste une préoccupation majeure: celledes enfants dont le parent souffrant esten phase de déni, c’est-à-dire ni soignéni hospitalisé. Et là, les enseignants etles médiateurs scolaires doivent peut-être jouer le rôle de lanceur d’alerte.

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Déni du mondepolitique

L’atelier de Fribourg a travaillé sur unsecond thème: celui du déni du mondepolitique face à la maladie psychique.Nos politiciens sont donc appelés àprendre conscience de cette réalité et àagir en conséquence. Des mesures sontattendues de leur part aussi en ce quiconcerne l’entourage des malades. Nospropositions pour les sensibiliser à cesquestions sont les suivantes:

Dans un premier temps, il est nécessairede rappeler l’impact économique quereprésente l’apport des proches sur lescoûts de la santé. Grâce à leur investis-sement au quotidien, de nombreuseshospitalisations dans des structureslourdes et coûteuses sont évitées. Soute-nir les proches permet donc, d’une part,de faire d’importantes économies et,d’autre part, de diminuer le risquequ’eux-mêmes tombent à leur tourmalades et génèrent de nouveaux fraisde santé. Une bonne partie de nos poli-ticiens se sont montrés sensibles à cetargument et ont décidé de soutenir lesproches.

Pour autant, les mesures prises ne sontencore pas suffisantes. Une vraievolonté politique doit encore s’exprimer,sur la base non pas seulement d’argu-ments financiers, mais aussi de lareconnaissance des proches en tant quepartenaires incontournables dans unréseau de soins.

Des études sur ces questions pourraientêtre lancées par les universités et leshautes écoles de Suisse.

Pour que des décisions plus concrètespuissent être prises sur le plan politique,il est essentiel de mieux sensibiliserl’opinion publique à la question du rôledes proches de patients psychique. Plu-sieurs actions concrètes sontenvisageables, à l’exemple de la projec-tion et de la diffusion de films ou dedocumentaires qui mettraient en avantles compétences de ces proches. Un tra-vail de rue, sous forme notamment desaynètes, contribuerait aussi à interpellerle grand public. Elles montreraient laréalité de la maladie psychique, sesimplications sur l’entourage et esquisse-raient des solutions impliquant lacollectivité tout entière.

Pour terminer, rappelons que des étudesrécentes ont montré qu’environ 50% descitoyens suisses souffriront une fois oul’autre, au cours de leur vie, de troublespsychiques. Et ces chiffres tendent àaugmenter. Par rapport à cette réalité,quel chemin choisira notre société?S’occupera-t-elle de ses malades oudécidera-t-elle de les exclure?

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C’est un grand plaisir d’avoir étéinvité dans le cadre de cecongrès.

Psychothérapeute depuis une trentained’années, je pense partager avec leGRAAP une même motivation: cellede traiter les personnes qui sont ensouffrance psychique de la manière laplus humaine et respectueuse possible,avec comme objectif de leur donner lesmoyens de retrouver autonomie etliberté de choix.

Un «brevet de secouriste relationnel»

Le thème qu’on m’a proposé de traiterrejoint une formation qui m’avait été

demandée par des travailleurs sociauxau service des maisons de justice enBelgique. Régulièrement en contactavec des détenus présentant des trou-bles psychiques, ils se sentaientsouvent démunis face à ces personnes.Leurs missions judiciaires s’en trou-vaient parfois entravées. À leurdemande, nous avons créé, mon équipeet moi-même, un nouveau programme,ce que j’appelle un «brevet de secou-riste relationnel». Son objectif: offriraux non-initiés des connaissances etdes techniques dans leurs contacts avecdes personnes en difficulté. Commentréagir face aux idées délirantes dequelqu’un pour ne pas aggraver lasituation? Comment aborder des per-sonnes qui sont très méfiantes, voireparanoïaques, ou des personnes quisont très dépressives? Est-il possible,sans être thérapeute, d’apaiser quelque

Contention et prison:Quel impact possible des proches sur la résinsertionde patients ayant commis des délits ou des actes violents?

Jean-Jacques Wittezaele, psychologueet psychothérapeute,directeur de l’Institut Gregory Bateson,Liège; chargé de cours à l’Université de Nanterre, France; auteur de «L’homme relationnel» et d’«A la recherche de l’école de Palo Alto»

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peu ces symptômes qui viennent per-turber la relation? Sans viser l’exhaustivité, je souhaiteici partager avec vous quelques-unesde mes réflexions à ce sujet et vousprésenter quelques pistes concrètes.

Interactions et communication

Avant d’entrer en matière, je pensenécessaire de vous donner une idéegénérale de la manière dont nous envi-sageons les troubles psychiques dansnotre pratique au quotidien. Notreapproche tire son origine des travauxde l’école de Palo Alto, elle-mêmeissue des innovations épistémologiquesélaborées par la cybernétique et lathéorie générale des systèmes. Cetteperspective considère que les difficul-tés psychiques ne viennent pas d’uncerveau malade, mais sont la résultanted’interactions entre soi-même et soi-même, soi-même et les autres ousoi-même et le monde, ces relationspouvant, à un moment donné, «dys-fonctionner».

Les approches traditionnelles en psy-chologie se sont centrées sur lapersonne, sur l’individu et ont très peupris en considération les liens entre lespersonnes. Et pourtant, ceux-ci sontomniprésents. Ici et maintenant, votrecomportement à vous s’explique aussien partie parce que je suis là, en trainde parler devant vous. Vos réactionsvont également influencer mon propre

comportement. Il y a en ce momentéchanges entre nous, que ce soit verba-lement ou non. Admettons que je voiedes personnes quitter, petit à petit, lasalle... Au bout d’un certain temps,vous aurez réussi à susciter en moi uneinterrogation et même aussi des émo-tions, par exemple de l’anxiété.

Nous sommes donc constamment eninteraction avec notre milieu et, pournous sentir bien, il faut que nous trou-vions des réponses à certainesdifficultés qui apparaissent inévitable-ment au cours de notre existence. C’estdans la mesure où nous arrivons à trou-ver les bons modes de régulation quenous nous sentons dans un état satisfai-sant. Le «problème» psychologique sepose quand une difficulté revient sanscesse. Pourquoi revient-elle? Juste-ment, parce que ce que nous faisonspour essayer de la résoudre, non seule-ment ne permet pas la résolution decette difficulté mais, au contraire, larenforce et la rend de plus en plus pré-gnante dans notre existence. C’est ceconstat qui nous guide dans le traite-ment de personnes présentant desproblématiques qu’on qualifie habi-tuellement de «psychiatriques».

Le postulat sur lequel nous nousappuyons considère que la «santé psy-chique » résulte de la manière dontnous régulons notre vie. La communi-cation (les échanges entre nous et lemonde) y tient donc un rôle central.Par conséquent, nous ne partons pas del’hypothèse selon laquelle les troublespsychiques sont des maladies d’origine

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organique ou physique. De notre pointde vue, il vaut la peine d’envisagerd’autres hypothèses que celles propo-sées par la médecine. Nous affirmonsqu’il est possible d’aider, grâce auxressources et aux propriétés de la com-munication, des patients qui souffrentde troubles psychiatriques tels que destroubles anxieux sévères, des dépres-sions, des troubles alimentaires, voiremême des «maladies» considérées parcertains comme incurables, à l’exem-ple de personnes étiquetées commepsychotiques. C’est un postulat quej’ai l’occasion de tester et de confirmerquotidiennement dans ma pratique.

Le message: du contenu à l’effet

Je voudrais vous parler brièvement decertaines propriétés de la communica-tion sur lesquelles s’appuie notretravail.

Dans tout message, il y a d’abord uncontenu. Je peux vous dire par exem-ple: «Parlez!» On comprend ce quecela signifie formellement. Reste àsavoir quel effet ce message provo-quera… Allez-vous parler ou pas?

La pragmatique de la communicationmontre qu’un contenu se double tou-jours d’une injonction, d’une incitationà réagir d’une façon donnée. Si l’on dità un enfant: «Mange, mange, mange!»,mais qu’il ne mange toujours pas, il estutile de réfléchir à l’injonction quesous-tend ce message. Le contexte

relationnel dans lequel le message estformulé peut en modifier l’effet.Une petite histoire peut illustrer mesderniers propos:

Il y a quelques années, j’ai été contactépar une femme dont le nouveau mari(elle était divorcée) m’était décritcomme un homme très brillant, quiavait exercé de nombreuses profes-sions: journaliste, écrivain, professeurde guitare, hypnotiseur... Cet homme,selon les dires de son épouse, «avait del’or dans les mains». Attirée au départpar ce côté touche-à-tout, elle déchantenéanmoins rapidement. En effet, quoiqu’il entreprenne, son mari finissaittoujours par se lasser. Pour elle, ildevenait urgent, d’un point de vuefinancier aussi, qu’il se trouve un vraitravail auquel il se tienne. Après biendes discussions, il finit par obtempéreret se lance dans un projet musical.

Pour s’exercer, il se met à jouer de laflûte du matin au soir, ce qui com-mence, petit à petit, à exaspérer safemme. Quand elle lui demande dejouer un peu moins en sa présence, illui répond: «Mais enfin, il faut savoirce que tu veux! Si tu veux que je rap-porte de l’argent, alors tu dois melaisser m’exercer le temps qu’il faut».Peu à peu, le ton se durcit et, un jour,elle l’attrape par sa grande barbe et lesecoue, en lui disant qu’elle n’en peutplus d’entendre cet instrument. Il luijette alors un regard noir qui effraye safemme. Si bien que cette dernière vacommencer à se demander si son marin’aurait pas des problèmes psychiques.

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«Et puis, cette manie de jouer tout letemps, c’est quand même bizarre», sedit-elle. En aucun cas, celui-ci ne veutconsulter un médecin. Elle décide alorsd’aller demander conseil à un psychia-tre. Sur la base simplement du discoursde cette femme, ce psychiatre va luidonner une prescription pour des neu-roleptiques et lui dit: «S’il ne veut pasles prendre, vous n’avez qu’à les mêlerà sa nourriture!» C’est ce qu’elle fait,mais rien ne change et il continue àjouer de la flûte toute la journée.

L’affaire va aller plus loin: alors queson mari est seul à jouer, deux per-sonnes portant une blouse blanche seprésentent à la porte et l’embarquentdans un hôpital psychiatrique. Il seretrouve en phase d’observation pen-dant 40 jours. Sa femme est prévenuepar le psychiatre: «Au terme de ceséjour, vous le retrouverez commeneuf», la rassure-t-il. De son côté, vousimaginez bien que le mari n’est pasenchanté de la situation. Bien heureu-sement (pour lui!), il se trouve que lemédecin-chef de l’hôpital est un mélo-mane. Très vite, ils deviennent amis etle médecin s’interroge sur les raisonsde son hospitalisation: «Vous n’avezrien à y faire!», lui dit-il. Protocoleoblige, il restera quand même en hôpi-tal jusqu’à la fin de la phased’observation. À son retour, la relationau sein du couple est encore plus ten-due, ce d’autant plus que le maricontinue à jouer de la flûte.

Complètement démunie, cette femmedécide de venir me consulter. J’ap-

prends au cours de cet entretien que,parfois, le mari abandonne sa flûtepour de brèves activités de jardinage.Je lui prodigue un conseil: «La pro-chaine fois que vous le verrez lâcherson instrument et se mettre à jardiner,dites-lui la chose suivante: “Hé là, tu temoques de moi! Si tu arrêtes à toutmoment de t’exercer, tu ne terminerasjamais ton projet musical et on neréglera pas le problème financier!”» Une semaine après, il ne jouait plusqu’une demi-heure par jour.

Cet exemple illustre une règle de basede la communication: lorsqu’il y a uneescalade symétrique dans le conflitrelationnel, plus la femme tente del’amener à arrêter de jouer de la flûte,plus il va se braquer et refuser de luicéder. Mais, dès le moment où elleintroduit autre chose, en lui deman-dant, au contraire, de jouer plus, s’ilveut continuer à s’opposer à sesinjonctions, il est obligé d’arrêter dejouer. Cette technique de communica-tion a permis de faire baisser la tensionau sein du couple, préalable pourappréhender sereinement les pro-blèmes de fond dans leur relation. Toutcela pour montrer qu’il existe desmoyens de gérer des situations, desattitudes, des comportements face aux-quels le simple bon sens ne suffit pas.

À chacun sesreprésentations

Notre approche peut aussi être quali-fiée de «constructiviste». De notre

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point de vue, il n’existe pas une réalitéobjective qui servirait de repère pourtous. Chaque personne, en fonction deson vécu, de ses croyances, de sesexpériences et de ses attentes, seconstruit sa propre représentation de laréalité. Dans le cas de personnes pré-sentant une vision de la réalité très endécalage par rapport à la norme (àl’exemple des personnes présuméespsychotiques), il s’agira, pour les aider,de jouer sur les ressorts de leurs per-ceptions et de leurs émotions, afin deleur permettre d’expérimenter unevision différente d’elles-mêmes et dumonde qui les entoure. L’exercice n’estpas facile, dans le sens où la personnetient à sa propre construction dumonde, qui participe de son identité, etpeut résister à toute tentative d’évolu-tion.

Incarcérer ou interner.Des non-solutions

À partir du moment où la réalité d’unepersonne est vécue comme menaçante,que celle-ci est persuadée que des genscherchent à lui nuire, elle peut tenterde réguler ces trop fortes émotions enrecourant à des actes hors norme, denature violente.

Telle est notre façon de comprendre laviolence. Pour mettre fin à de tellesconduites, il est essentiel d’amener lapersonne concernée à changer sonmode de perception du monde. L’ob-jectif est qu’elle parvienne à donnerune autre réponse en présence de sti-

muli conduisant à des actes violents.C’est dans le contexte de vie normalede la personne que cet apprentissagepeut se faire. Traiter ce type de trou-bles dans un environnement carcéralou hospitalier est pour moi comme devouloir apprendre à nager à quelqu’unsans le mettre dans l’eau. Même si, endétention, des résultats intéressants ontété relevés, le test final reste toujoursle retour dans le milieu.

S’il est clair que la prison n’est pas unlieu pour soigner, il faut tout de mêmese poser la question des mesures deprotection de la société. Sans prendreposition, je relèverais tout de mêmeque l’isolement carcéral d’une per-sonne souffrant de troubles psychiquesexprime bien souvent notre incapacitéà trouver des réponses thérapeutiques.En les incarcérant, on se coupe aussid’une partie de nous-mêmes, puisquenous formons un monde en complèteinterdépendance. L’idéal est d’offriraux personnes qui risquent d’aller enprison d’autres solutions que le recoursà la violence. C’est à quoi nous tra-vaillons.

Quant au traitement en hôpital psy-chiatrique, il ne constitue pasl’alternative la plus respectueuse et laplus humaniste. La célèbre expériencemenée par David Rosenhan en 1973,bien que datant un peu, n’en reste pasmoins éclairante sur les dérives possi-bles des milieux psychiatriques.

David Rosenhan, professeur de psy-chologie, avait décidé de mener une

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enquête sur les effets de l’enfermementpsychiatrique et sur la manière dontsont traités les patients.

À cette fin, il demanda à une équipe dehuit étudiants de troisième cycle, sansantécédents psychiatriques, de se ren-dre au service d’urgence de 12hôpitaux psychiatriques des États-Unis, avec un discours commun: direavoir entendu des voix. Si on leurdemande de quelles voix il s’agissait,ils devaient prétendre que celles-ciétaient floues et indistinctes, mais aveccertains mots reconnaissables comme«douleur» et «tristesse». En cas d’ad-mission en hôpital, ils avaient commeconsignes de dire qu’ils n’entendaientplus de voix et d’adopter une attitudetout à fait normale.

L’expérience consistait donc à voir quiserait interné, quel diagnostic seraitposé et combien de temps durerait lapériode d’observation. Résultats: tousont été admis pour cause de schizo-phrénie (sauf un, diagnostiquémaniaco-dépressif). La durée d’obser-vation moyenne fut de 19 jours, avecun pic de 51 jours pour un des étu-diants.

Alors qu’on avait demandé aux sujetsde l’expérience de prendre des notessur les traitements reçus et autres rela-tions avec le personnel soignant, il fautsignaler qu’aucun médecin ou infir-mier n’a jamais suspecté qu’ils étaientde faux patients. Les voyant écrire, cer-taines infirmières ont relevé dans leursnotes de service: «écriture compul-

sive».L’expérience de Rosenhan montre bienles limites de la psychiatrie toutcomme les effets pervers de l’étique-tage. Une fois posé le diagnostic de«schizophrène», le regard de l’entou-rage sur la personne concernée semodifie et donne lieu à ce qu’onappelle une «prophétie autovalidante».L’expérience montre à quel point lediagnostic peut également conduire àune dépersonnalisation.

En citant cette étude, le but n’est pasd’attaquer les psychiatres ou le person-nel soignant, mais simplement d’attirerl’attention sur certaines dérives poten-tielles de la psychiatrie traditionnelle.

Pistes concrètes à l’usage des prochesde malade

Abordons à présent la question du rôledes proches lorsqu’un membre de lafamille souffre psychiquement. L’ap-proche systémique, au départ, abeaucoup stigmatisé les parents et lesrelations en leur attribuant la responsa-bilité de la maladie. Les choses ontaujourd’hui beaucoup évolué. Savoirqui est coupable n’est finalement pas siutile, l’essentiel étant de mobiliser lesressources de chacun dans le butd’améliorer la situation.

Sur la base de notre travail thérapeu-tique, on a pu constater que certainstypes de comportement et d’interactionsont inefficaces, et parfois même

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contre-productifs. Souvent, on conti-nue à les utiliser parce qu’on ne saitpas comment faire autrement. Pour-tant, des méthodes existent. Et c’est cesur quoi nous travaillons depuis unetrentaine d’années, en collaborationnotamment avec notre confrère italienGiorgio Nardone. Nous avons pu ainsimettre en évidence la «logique» sous-tendant certains troubles psychiques et,par conséquent, nous avons aussi pudéterminer quelles pouvaient être lesattitudes relationnelles complémen-taires les plus utiles pour apaisercertains symptômes perturbants.

Le premier exemple que je souhaitedonner ici concerne une personne souf-frant de paranoïa. On sait que dans cetype de troubles, il existe, à la base,une peur intense: celle d’être mauvaisou celle que les autres nous en veulent.La personne vit donc dans une réalitéperçue comme hostile. Elle cherche àse protéger, que ce soit en évitant toutcontact avec les autres ou en adoptantune attitude plus proactive (dénoncia-tion de complots imaginaires, etc.).Confronté à une telle personne, leréflexe naturel serait de tenter de larassurer pour faire baisser son niveaud’angoisse: «Mais non, les gens ne t’enveulent pas! Tu te fais des idées!»Cette réaction qui part d’un bon senti-ment ne s’en révèle pas moinsinefficace, et même, comme je le disaisplus tôt, contre-productive. Vouloir laconvaincre que ses peurs sont sansobjet est vain. Des paroles de réconfortne feront qu’augmenter son anxiété etpar là aggraver sa crise paranoïaque.

On ne rassure en effet pas une per-sonne se vivant comme menacée et ils’agit d’accepter que celle-ci voit lemonde à travers son propre filtre. Enlui disant: «vous avez sans doute debonnes raisons de vous inquiéter!»,l’effet va étonnamment être d’apaiserses craintes. Comme souligné plushaut, le contenu d’un message peutavoir des effets différents d’une per-sonne à l’autre, en fonction de sareprésentation du monde.

Un autre exemple issu de ma pratique:j’ai reçu un jeune homme «persuadé»d’être schizophrène et vivant dans lacrainte d’en découvrir la confirmationabsolue. Tous ses docteurs avaientbeau lui expliquer qu’il n’était pas psy-chotique, il était sûr qu’on lui cachaitla vérité. Je lui ai demandé: «Que sepasserait-il pour vous si vous décou-vriez que vous êtes réellementschizophrène?» Il m’a répondu: «Je mesuiciderais». Je lui ai fait remarquerqu’il était donc essentiel d’en avoir lecœur net avant de prendre une décisionaussi radicale. À partir de là, je lui aiconseillé d’aller consulter les écrits desplus grands spécialistes de la schizo-phrénie. Cette injonction ne remettantpas en question sa «logique», il s’estdonc lancé dans une étude «scienti-fique» poussée, lisant même desarticles en anglais écrits par les plusgrands experts de cette maladie. Et,petit à petit, voyez-vous, il finit pars’apaiser lui-même.

Au final, je ne pouvais pas le rassurer

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moi-même, mais je pouvais l’amener àvérifier ses fausses croyances et…faire l’expérience d’une autre réalité!

Quelques conseils à présent par rapportà la manière d’agir face à une personnedéprimée ou dépressive. Pour nous, engénéral, le déprimé s’illusionne, à pro-pos de lui-même, des autres ou dumonde en général. À un momentdonné, il est forcément déçu et quelquechose se brise en lui. Il ressent alorsbeaucoup de douleur et de colère. Etses réactions sont bien souvent de cetype: «Il faut que je change! Je ne peuxpas rester dans cet état-là.» Ou alors:«Qu’est-ce que je vais faire après, ilfaut quand même que je pense à monavenir, rechercher les causes de monétat. Pourquoi suis-je comme ça? Peut-être, cela vient de ma mère qui étaitelle-même dépressive, tout commemon grand-père…» Telles sont les dif-férents aspects de la perception et de lavie d’une personne déprimée. C’est ceque nous avons en tout cas constatédans nos recherches.

Demandons-nous maintenant commentréagit l’entourage de telles personnes(entourage qui d’ailleurs, fréquem-ment, finit par déprimer lui aussi!) Ehbien, en général, les autres essaient delui remonter le moral, de l’encouragerà faire des choses, à lui montrer lesbeaux côtés de la vie… toutes chosesqui renforcent encore le sentimentd’impuissance du déprimé puisqu’il estforcé de constater qu’il ne peut «mêmepas profiter de toutes ces mer-veilles»… Alors, que faire? Voici un

exemple des recommandations quenous leur faisons: lorsque la personnesombre dans le pessimisme, il convientde se montrer tout aussi pessimistequ’elle et insister beaucoup sur sonbesoin de repos. On fera également ensorte de limiter les discussions, sou-vent interminables, à propos desdifficultés de la vie (ce que nous appe-lons «la conspiration du silence») quialimentent les idées noires récurrentes,etc. L’expérience montre que ce typede réaction de la part de l’entourage vaagir positivement sur la personnedéprimée qui se montrera progressive-ment plus optimiste.La présentation —inévitablement cari-caturale dans ce contexte— de cesquelques stratégies possibles vous auradonné, je l’espère, un avant-goût destechniques que nous proposons dansnos formations à la communicationinterpersonnelle et à la relation d’aide.J’espère avoir pu montrer que l’utilisa-tion de ces principes donned’excellents résultats thérapeutiquesqui méritent d’être mieux connus etreconnus.

En conclusion

Pour terminer, je pense qu’il seraitpositif d’offrir aux proches de per-sonnes souffrant de troublespsychiques la possibilité de suivre un«brevet de secourisme relationnel» quileur permettrait d’éviter certainesmaladresses dans leur communication,d’être plus efficaces et de devenir de

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meilleurs aidants. Les liens affectifs ausein de la famille s’en trouveraient pré-servés.

Pour aller plus loin:

Wittezaele, Jean-Jacques, Seron,Claude, Aide ou contrôle: l'interven-tion thérapeutique sous contrainte,deuxième édition, Editions De Boek,Bruxelles, 2009.

Wittezaele, Jean-Jacques, L'hommerelationnel, Édition du Seuil, Paris,2003.

Watzlawick, Paul (dir.), L'invention dela réalité: comment savons-nous ceque nous croyons savoir? : contribu-tions au constructivisme, trad. del'allemand par Anne-Lise Hacker, Édi-tions du Seuil, Paris, 1996.

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Madeleine Pont

L’atelier du Canton de Vaud achoisi travailler sur la difficilequestion des patients psychiques

en prison et de leurs proches.

Ce groupe, très richement représenté, secomposait de trois médecins, de troisassistantes sociales, de patients et deproches. Chacun, à partir de son point devue et de ses compétences propres, a puenrichir le débat autour d’une probléma-tique commune: celle des patientspsychiques amenés à exprimer leurcolère et leurs frustrations en commet-tant des délits. La situation très difficiledes proches de ces détenus a aussiretenu toute l’attention du groupe.

Comme vous le constaterez aussi au tra-vers de différents témoignages, desbesoins très forts se font sentir, tant ducôté des patients incarcérés que du côtéde leurs proches.

Avant d’entrer en matière, il faut savoirque depuis déjà 2006 déjà, un groupe de

travail s’est constitué pour réfléchir à laquestion des patients psychiques en pri-son. Il en a résulté, dernièrement, unprojet intitulé «Des hommes à la placedes murs». Son objectif: «Recréer le lienhumain avant d'éduquer, de soigner, depunir». Ce projet a été jugé compatibleavec la législation actuelle par M.Leuba, conseiller d’État. L’avenir nousdira comment les choses évoluerontconcrètement pour les détenus concer-nés.

Être proche de patientpsychique en prison,c’est être en colère.

Martine

Avant mes visites dans les prisons,j’étais fière d’être suisse: la démocratie,Henry Dunant, etc. Maintenant,j’éprouve de la honte! La Suisse, avecl’article 59 du Code pénal, bafoue auquotidien la Charte des droits del’homme. Plus qu’abominable, cet arrêtéprévoit qu’un détenu jugé irresponsableen raison de sa maladie psychique

Proches de patients psychiques en prison

Atelier du Canton de Vaud

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demeurera incarcéré jusqu’à ce que sonétat de santé s’améliore. Vous voulezrire? Comment une telle maladie pour-rait-elle évoluer positivement, alors quele détenu passe toutes ses journées encellule, si ce n’est dans les cachots desquartiers de haute sécurité? À Bochuz,une centaine de malades sont emprison-nés sous cet article 59. Et combien enSuisse? Cette situation est honteuse!

Pour être libérés, ils doivent non seule-ment se comporter à la perfection, maisaussi être jugés en bonne santé. Le psy-chiatre et une commission de notablesen décideront.

Mais, je vous le demande encore unefois: comment guérir dans un environne-ment où les soins sont presqueinexistants et les règles de vie souventhumiliantes et dépourvues de sens? Ilsiront toujours plus mal, c’est inélucta-ble! La prison ne soigne pas un malade,mais aggrave son état de santé. Quelsespoirs peuvent-ils encore nourrir?

Et pourtant, les délits de nos prochessont souvent mineurs. Les exemples nemanquent pas:

— Quatre ans déjà d’incarcération pourun patient ayant insulté et menacé unmédecin de l’hôpital.

— Dix-sept ans d’incarcération, ponc-tués de quelques séjours en EMS, pourcelui ayant causé des dommages et desmenaces à la propriété sous l’effet del’alcool.

Après de longues peines de prison, cesdétenus sont souvent placés dans desfoyers où ils sont étroitement surveillés.Seules quelques heures de sorties nonaccompagnées leur sont accordées. Et, àla moindre incartade, c’est retour à lacase prison!

Ces patients en prison sont mes amis.Tous très gentils et sensibles, ils n’endemeurent pas moins fragilisés par lamaladie. Certains sont aussi très intelli-gents et cultivés. Ces détenus ne sontpas plus dangereux que le commun desSuisses. À bas la trouille de ce peuplepeureux!

Je disais au départ que j’avais honte dela Suisse… Cependant, je veux croire enl’existence de bonnes volontés. Je veuxcroire que des personnalités influentesde ce pays se lèveront un jour pour enfinabolir ces mesures injustes et légiférerpour la réhabilitation et la dignité despatients détenus.

Nous, proches de patients psychiques enprison, nous sommes en colère et noussouffrons énormément pour nos enfants,nos frères, nos amis, nos malades etnous demandons que justice et dignitéleur soient rendues.

C’est trop injuste!

Témoignage de François

Je m’appelle François Debrot et mon filsNicolas est en prison depuis quatre anspour avoir proféré des menaces. Face à

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cette situation et à tant d’autres,j’éprouve un profond sentiment d’injus-tice et de révolte. Les articles de loi 59et 64 sont en complète contradictionavec la Charte des droits de l’homme. Sitoutes personnes usant de la menacefinissaient en prison, il n’y aurait plus deplace pour les vrais délinquants. Alors,pourquoi mon fils qui n’a blessé per-sonne doit-il rester en prison sans savoirquand il va pouvoir en sortir?

Tout dernièrement, j’ai été invité à par-ticiper à une réunion où il a été enfinquestion d’un projet qui laisse espérerque les choses vont avancer dans le bonsens.

Je suis content de faire partie de cegroupe de proches et j’espère que nosrencontres vont se poursuivre.

«Être proche d’un patient psychiqueen prison, c’est...»

Texte lu par M. Knobil

— Accepter d’être beaucoup moinsproche. Par définition, la prison coupetoute notion de la proximité.

— Perdre une grande partie de la pano-plie des outils habituellement utiliséspour manifester son amour à un prochemalade: pas de petits cadeaux, pas d’ap-pels ou messages téléphoniques, pas devisites surprises, pas de petites prome-nades dans le parc…

— tre mis à part. Lorsque notre entou-rage a su que notre fils était malade,plusieurs personnes se sont manifestées.Mais, quand on leur a appris qu’il étaiten prison, tout à coup les contacts ontcessé. Et même, on nous fuit!

— Accepter les contrôles administratifsà répétition: prouver son identité, passerà la fouille d’entrée, négocier des droitsde visite. Par rapport aux visites, si lemois compte cinq semaines, vous nepouvez pas assurer votre cinquièmevisite hebdomadaire, le règlement neprévoyant que quatre visites par mois!

— Se plier, contre tout bon sens, aurythme du paquet de 6 kg tous les deuxmois, tout en sachant que si vous pou-viez lui envoyer un paquet de 3 kgchaque mois, cela lui éviterait entreautres de tout manger en une seule fois!

— S’engager pour de meilleures condi-tions de traitement et de vie pour lespatients psychiques délinquants.

Dans mon cas, être proche d’un patientpsychique en prison, c’est aussi pouvoirremercier une équipe médicale compé-tente, qui a su identifier et soigner unepathologie qu’aucun professionneln’avait jusqu’alors identifiée. Mais àquel prix! Car une fois entré dans le sys-tème judiciaire, il est difficile d’en sortir.

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J’avais un ami

Martine

J’avais un ami au Graap que je nomme-rai David. Je le voyais peu, maisl’aimais beaucoup. Un jour, un avocatme téléphone et m’annonce sa mise endétention. David souhaitait que jevienne le voir et c’est ce que j’ai fait. Jen’avais alors jamais mis les pieds dansune prison.

Quand je visitais David, il évoquait peusa souffrance et la question de son incar-cération. Mais, il se scarifiait… Je nepouvais rien faire pour lui et cela meculpabilisait. Je me sentais aussi seuleface à cette situation. Un jour, j’ai décidéd’en parler à Madeleine, la directrice duGraap. Elle m’a écouté et m’a faitremarquer qu’il serait préférable que cesvisites soient faites en groupe. C’estainsi que j’ai intégré l’équipe du Réseaude l’amitié qui se rend régulièrementdans les prisons de Suisse romande.

Pendant 8 ans, j’ai suivi David dans dif-férents pénitenciers de la région. Je mesuis investie personnellement de toutmon cœur et de toutes mes forces pourlui. Sa santé psychique s’est malheureu-sement encore péjorée en prison. Ilsouffre d’hallucinations auditives et par-fois visuelles.

Pour moi, la prison l’a encore plusdétruit. Pauvre David, c’est révoltant!Cet article 59 est véritablement inadmis-sible! Maintenant, il ne veut plus me

voir et je ne comprends pas pourquoi.Cependant, dans mon cœur, je reste en lien avec lui.

Pour David, je suis, ou plutôt j’étais, sameilleure amie, sa seule relation surl’extérieur, car plus personne ne s’in-quiète de lui, pas même sa famille.

Aux dernières nouvelles, il semble qu’ilsoit question d’un placement en foyer.J’espère que sa vie n’est pas compro-mise et je veux croire en ses ressources.

Le proche face à la réalité de la prison

Texte lu par M. Knobi

Passé le choc de l’incarcération de sonenfant, passé la colère vis-à-vis deslacunes du suivi psycho-éducatif, noussommes confrontés au service péniten-tiaire et à son système d’informationdéfaillant, compliqué, voire incompré-hensible. Impossible en effet des’adresser à un unique interlocuteur quicentraliserait l’ensemble des renseigne-ments et saurait répondre à toutes lesquestions qui se bousculent dans notretête à l’heure de ce premier contact avecla prison. Cette lourdeur administrativemérite quelques exemples:

– Droit à un «colis d’entrée», «délai etprocédure pour le faire parvenir», «poidset contenu autorisés», autant d’indica-tions primordiales qui ne sont pascommuniquées automatiquement aux

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proches; d’où leur sentiment de ne pasvraiment exister pour le système carcé-ral.

– Procédures d’autorisation et délais liésaux visites: «type de visite», «durée»,«fréquence», «nombre de visiteurs», etc.

– Liste et explications des différences deprocédure selon les types et les lieuxd’incarcération (préventive, haute sécu-rité, réinsertion, etc.).

Une fois le système «apprivoisé», il fautévoquer la question de l’accueil des visi-teurs: contrôle d’identité, du contenu deson porte-monnaie, de ses poches; il fautôter souliers, veste, ceinture, montre,pour que tous ses effets personnelssoient passés au détecteur… En tant queproches de détenu, sommes-nous sus-pects de quelque chose? Que reste-t-ildu respect et de la confiance?

Quant à la présence permanente du sur-veillant dans la salle des visites elledonne parfois une impression de suspi-cion. Même avec le temps, ces excès enmatière de sécurité restent –et je pèsemes mots– traumatisants et inadmissi-bles, voire dégradants, pour les proches.

Mais que font donc ces malades psy-chiques en prison? Le sacro-saintprincipe de sécurité de notre société,renforcé par des décisions judiciairesfondées sur l’article 59, justifie-t-il à luiseul la séquestration de malades qu’ilfaudrait soigner et non pas exclure decette société? Cette politique de prise encharge des malades est navrante!

De leur côté, ces patients ne compren-nent pas toujours pourquoi ils restent endétention si longtemps ni pourquoi ilssont privés de visites ou d’appels télé-phoniques. Leurs permissions de sortiesont par ailleurs rares et drastiquementrèglementées. Comment imaginer, dansun tel contexte, que ces malades puis-sent évoluer favorablement?

Un dernier point: la quasi-totalité desinstances appelées à statuer sur le sortd’un de ces malades ne connaît le cas dupatient que par l’intermédiaire de sondossier. La réalité des progrès du détenu,sa détermination de s’en sortir, des’améliorer, d’accepter un encadrementaprès sa sortie ou de suivre un traitementambulatoire restent trop souvent igno-rées ou insuffisamment prises en comptelors d’un réexamen ou d’une modifica-tion de statut.

Et, pour le moment encore, notre avis, ànous les proches, n’a absolument aucunevaleur. Pourtant, s’il est question de sor-tie, nous serons là pour prendre le relai.

«Mon fils malade fait peut-être peur,mais il n'a jamaisblessé personne»

Témoignage lu par M. Knobil

Les hôpitaux psychiatriques ont décidéd’ouvrir leurs portes. Aujourd’hui, on nesoigne plus des êtres humains, mais uni-quement des crises…

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De nos jours, la police et la justice sontaussitôt interpellées, lorsque les maladesdérapent ou deviennent violents. Il suffitqu’il s’agite un peu trop, crie ou bous-cule physiquement le personnel, pourque l’hôpital ait le droit de porter plaintecontre ses patients. Doit-on regretter les«infirmiers aux bras noueux» del’époque des asiles?

À l’hôpital, on répond à la violence d’unpatient par la violence et, sous certainsaspects, prison ou hôpital sont compara-bles.

Police, feux tournants, toutes sirèneshurlantes, menottes. Puis, arrivée encatastrophe à l’hôpital: interventionsmusclées par des infirmiers et le servicede sécurité, injection forcée, etc. Voilà ceque me racontait mon fils, quand je suisallée le trouver à l’hôpital:

«Comme un chien qu’ils m’ont traité!C’était comme une agression, j’étais enétat de choc. J’avais mal partout et mesentais en grand danger. Ensuite, direc-tion la chambre de soins. Je me sentaispersécuté. Je savais qu’on complotaitderrière mon dos… Voilà pourquoi jeme suis défendu et j’ai tapé… Je ne pou-vais plus respirer, je me sentais endanger de mort.»

Comment un malade atteint de schizo-phrénie peut-il évacuer autrement sestensions, ses angoisses et sa colère? Ced’autant plus que ce type de troubleimplique une désorganisation de la pen-sée, une hypersensibilité au stress ouencore de l’interprétativité. Comment

peut-il réagir autrement lorsqu’il estlaissé, des jours durant, si ce n’est dessemaines, seul dans une chambre dite de«soins aigus»?

Nous ses parents, on ne comprend pas.On nous explique bien que «c’est pourle calmer» qu’on le contient en chambrefermée… Mais, imaginez un grand gail-lard de 25 ans, en pleine force de l’âge,enfermé pendant des jours!

Quelque temps plus tard, il sortira del’hôpital. Il est alors majeur et décideralui-même de sa vie. L’équipe des SIM(Soins intensifs de médecine) ira bien levoir ponctuellement et il observeraquelque temps sa médication.

Mais, très vite, une nouvelle crise sur-vient. Depuis quelques jours, il sonne àtoutes les portes pour se faire réhospita-liser. Mais, le personnel soignant ne veutpas le reprendre, en tout cas pas dansl’immédiat:

«Il a voulu son autonomie, il faut tenirbon et le laisser apprendre à gérer lestress de la vie courante…»

Nous les parents, on pressent que cela vamal se finir. On s’inquiète: où est-il?Que fait-il?

Un jour, il ne nous donne plus aucunsigne de vie. Nous le cherchons, passonsde nombreux appels téléphoniques, maissans succès. Nous apprendrons un peuplus tard qu’il a été incarcéré. Le cielnous tombe sur la tête: lui, en prison? Iln’a jamais été un délinquant, il est juste

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malade! Il faut téléphoner au juge d’ins-truction pour en savoir plus. Nousbasculons dans le monde des fonction-naires avec tous ses règlements et sesprocédures:

«Monsieur le Juge, mon fils n’est pas unvoyou, c’est une erreur!

— Eh bien non, Madame! Malade oupas, tant qu’une expertise psychiatriquen’aura pas été faite, il restera en prisonpréventive. Il faut compter au moinstrois mois pour l’obtenir…

— Je veux aller le trouver au plus vite.Comment faut-il faire?

— Vous devrez à chaque fois me faireune demande écrite avec photocopie devotre carte d’identité. Seuls ses parentspeuvent se rendre à la prison pour lemoment…

— Il a probablement besoin d’effets per-sonnels. Comment faire?»

Il me faut m’adresser directement à laprison qui me fournira la liste despaquets autorisés, mais aussi la fré-quence à laquelle il peut en recevoir:

— 1 paquet d’arrivée;

— 1 paquet tous les 2 mois (maximum6 kg);

— 1 paquet pour Noël et 1 pour Pâques;

— Les marchandises doivent arriverdans l’emballage d’origine;

— Le nom et adresse de l’expéditeurdoivent être inscrits sur le colis;

— Les marchandises non autoriséesseront retournées à l’expéditeur aux fraisdu prévenu;

— L’argent doit être déposé à l’entréepour que le détenu puisse cantiner!

Notre fils aura droit à la visite d’uneseule personne une fois par semaine.

Ma première visite a représenté un chocpour moi. Après toutes ces démarches,mon fils est arrivé, escorté d’un gardienqui restera assis tel un personnage decire pendant tout notre entretien. Il estdéfait, cassé, mais si touché de me voir,lui qui généralement n’arrive pas à nousmontrer ses émotions.

«Maman, je ne comprends pas ce que jefais ici. Je t’en supplie, aide-moi à mesortir de là!»

Il se sent si mal que le dialogue estpresque impossible; lui qui rumine, seuldans sa cellule, avec pour compagnie sesdélires, ses troubles de la pensée, sesangoisses et son stress. La promenaded’une heure par jour? Il n’ose pas enprofiter, car il craint les autres détenus.

Pour lui, les punitions s’enchaînent:

— Il avale ses médicaments du jour enune seule prise: puni.

— Il tape contre la porte pour appeler ausecours: puni de 4 jours d’isolement.

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— La révolte monte et il bouscule ungardien: puni de 20 jours de cachot.

Ces mesures ont-elles une quelconqueportée éducative ou thérapeutique pourun malade atteint de schizophrénie? Etêtre enfermé 23 h sur 24 h avec soi-même? Comment peut-il se soigner ouse raisonner dans telles conditions?

Je ne vous parle pas de nos angoisses, ànous les parents… Mais, que peut-onfaire? Quels conseils lui donner? Biensûr, nous lui écrivons tout en sachantque son courrier sera lu par le juge. Maiscomment lui donner de l’espoir, lorsquenous-mêmes ne savons pas ce qui vaadvenir?

Quatre ans après son incarcération, il necomprend toujours pas pourquoi il estallé en prison… Il écrit à son avocat:

«J’estime que je n’ai toujours pas étéentendu ni par vous, ni par les médecins,ni par la justice de mon propre pays!»

Plus tard, il sera transféré à la prison deLonay. Nous découvrons toute la«modernité» de ce pénitencier! Onentre: il est là, assis à une table, pâle,mutique. On lui raconte la vie à l’exté-rieur, la famille, mais il est loin. Sespensées, ses angoisses, sa révolte sontaussi fortes que notre impuissance. Lavisite est terminée. C’est vendredi après-midi… La personne de l’accueil nousdit: «Au revoir M’sieurs Dames, et bonweek-end!!!»

Et les proches dans tout ça?

Nous sommes des sandwichs! Nousavons la cinquantaine, la soixantaine etnous sommes pris entre la charge de nosparents, de notre fils malade, maisproches aussi de nos autres enfants, denos petits-enfants. Nous assumons tourà tour les rôles de parent, de grand-parent, d’enfant, d’assistant social, depsychologue, de tuteur, d’infirmier,d’éducateur… Nous avons cependantappris à offrir beaucoup de choses: del’énergie, une présence, de la disponibi-lité jour et nuit, de l’amour, de l’amitié,de la patience et de l’espoir.

Et je m’engage pour que tous lesproches puissent jouer leur rôle et tenirleur place dignement au côté de leurpatient détenu. Et pour cela, ils doiventêtre considérés comme des alliés pré-cieux pour les soignants et le personnelde la prison. Ce n’est qu’uni que nouspourrons œuvrer pour un projet de réin-sertion sociale.

Les besoins des proches de patients psychiques

Proches, patients et professionnels, noussommes tous d’accord pour dire que laprison n’est pas un lieu pour soigner unpatient, quels qu’aient été ses délits.

La collaboration entre tous les parte-naires concernés par le projet de

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rétablissement du patient détenu est unecondition déterminante pour le succès,l’évolution et la réalisation d’un projetde sortie et de rétablissement social.Pour concrétiser ce projet, les prochesont besoin (entre autres):

— d’être informés sur les modalités dedétention, les démarches administrativeset les protocoles en vigueur;

— de communiquer avec les personnesqui prennent en charge le détenumalade, que ce soit les agents de déten-tion, les juges, le médecin ou encore lesinfirmiers;

— que les différentes instances encoura-gent le détenu à maintenir, voire àrenouer les liens avec ses proches;

— d’être reconnus dans leurs compé-tences, leurs savoir-faire et leursconnaissances des ressources et des vul-nérabilités du patient détenu;

— d’être considérés comme des interlo-cuteurs équivalents et incontournables,lorsqu’il s’agit de discuter du projet derétablissement de leur patient détenu;

— d’être encouragés, soutenus, valori-sés, entendus et écoutés, afin d`êtretoujours capables de transmettre unmessage de vie et d’espoir à leur patientdétenu. Ces proches-là méritent en effetune attention toute particulière,puisqu’ils font face à une double stigma-tisation: celle découlant du diagnosticpsychiatrique et celle en lien avec l’in-carcération en prison.

Compétences des proches de patient psychique

Les proches restent le dernier repèrepour le patient détenu. En dépit des obs-tacles d’ordre juridique ou administratif,ils conservent la capacité d’être pour-voyeurs d’amour, d’amitié, decompassion, de solidarité, de foi et d’es-poir. Les proches, si ébranlés, sidésespérés et si épuisés soient-ils, ont lacompétence de créer des perspectivesd’un meilleur avenir avec la force deceux qui croient à l’incroyable et veulentrendre possible l’impossible; mais aussi:

— Ils savent rester à leur place deparents lorsque leurs préoccupationssont entendues et leurs propositions dis-cutées;

— Ils savent se remettre en questionlorsqu’on leur signale, avec empathie,qu’ils sont débordés par leurs émotions.

— Ils ont une bonne connaissance descompétences, des forces, des vulnérabi-lités ainsi que de l’environnementexterne du détenu;

— Ils savent prendre le temps de main-tenir le contact, malgré leur emploi dutemps chargé;

— Ils savent comment mobiliser les res-sources du patient détenu;

— Ils savent assurer la sauvegarde desbiens matériels du patient détenu.

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Propositions d’amélioration

Nous les proches, nous parviendronsensemble à sortir de l’impuissance danslaquelle nous nous trouvons trop sou-vent confinés et nous montrer acteursd’un avenir meilleur.

Tout seuls, nous n’arriverons à rien.Cela, nous l’avons déjà expérimentéavec douleur. Par contre, en nous réunis-sant et en réfléchissant ensemble, dessolutions émergeront.

Ainsi, nous voulons organiser des ren-contres sur le modèle bien connu des«cafés philosophiques». Ces «cafés pri-son» auront lieu dans tous les cantonsromands. Lors de chaque réunion, unthème précis sera développé par lesintervenants concernés. À cette occa-sion, la création d’une «helplinePrison», qui répondrait aux nombreusesdemandes de renseignement des prochesde détenus malades, pourra être discu-tée, puis mise sur pied.

D’autres projets sont également en coursd’élaboration pour construire, tousensemble, un monde meilleur.

Nous proposons à ceux qui veulent nousaider à démarrer ces «cafés prison» denous retrouver le 7 novembre 2011, à 17h 30, à la salle de conférences du Graap(rue de la Borde 25, 1018 Lausanne, tél.021/647 16 00).

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On pourrait commencer en inter-rogeant la notion de distance:qu'est-ce qu'un proche? Y a-t-il

une distance optimale pour prendre soind'une personne atteinte dans son psy-chisme? Ni trop loin, ni trop près. Envi-sageons la chose spatialement: devenirproche, ce serait faire un pas significatifen direction de la personne qui souffre,vers plus d'implication personnelle. Cepas peut revêtir l'aspect radical d'unetransgression (littéralement: le fait d'allerau-delà). J'en citerai deux exemples tirésdu film La Petite Chambre (1).

Rose est infirmière à domicile, ellepasse chez M. Berthoud, un vieux mon-sieur qui n'a plus le goût de vivre, lui faitsa piqûre d'insuline et vérifie qu'il s'ali-mente correctement. «Il faut manger, M.Berthoud!», insiste la soignante. Maisun jour, il lui dit qu'il n'a pas faim et qu'ila envie qu'elle mange avec lui. Elle saisitla fourchette et se met à manger. Elle estalors surprise par le fils de M. Berthoud,venu rendre visite à son père. En agis-sant de la sorte, elle a transgressé leslimites de sa fonction, qui obéit à cer-

taines règles, d'hygiène notamment ets’est posée dans un rapport plus proche,plus intime. En effet, étymologique-ment, manger le même pain, c'est êtrecompagnon, ou compagne...

Autre exemple: plus tard dans l'histoire,Rose accueille M. Berthoud temporaire-ment chez elle. Elle part travaillerlorsque survient une amie avec ses deuxenfants à garder. Qu'à cela ne tienne, M.Berthoud propose de s'en occuper. Unjeu le conduit fortuitement dans la petitechambre, mortellement vide, qu'ildécouvre en même temps que la souf-france béante de Rose qui a donnénaissance à un bébé mort-né il y a sixmois de cela. Elle est inconsolable,murée dans sa dépression, enferméedans le déni. La petite chambre est res-tée telle que préparée pour l'heureuxévénement, interdite d'accès à qui-conque. Transgression bien involontaire,d'un interdit, dans le cas particulier:

«C'est les enfants, ils voulaient jouer!

— C'est pas une chambre où on joue!

Etre un proche qui prend soin:Quelques réflexions autour du «guérisseur blessé»

Françoise Loertscher-Rouge, psychothérapeute ASP, psychologue-analyste SSPA, pratique privée à Lausanne et à Neuchâtel

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Est-ce que je vais mettre le nez dans vos affaires, moi?»

C'est le moment charnière dans la rela-tion: suit une scène dans un bistrot, oùRose, grâce à l'écoute d'Edmond, peutfinalement faire (se faire à elle-même) lerécit de cette naissance terrible, suivied'un terrible silence.

Le pas significatif peut être, non pas deréduire la distance pour introduiredavantage d'implication personnelle,mais au contraire de mettre ou remettrede la distance pour permettre de sortird'une identification préjudiciable audynamisme de la relation. Ou alors, lasouffrance de la personne est si monu-mentale qu'elle induit chez le proche uneattitude de loyauté qui finit par tuer dansl'œuf toute possibilité d'évolution.

Pour revenir au film, le mari de Rose,Marc, n'entre jamais dans la petitechambre; un jour alors qu'une ampoulea sauté dans le corridor, il y pénètre pourprendre l'ampoule de la lampe qui nesert à rien ni à personne, mais il est tel-lement nerveux à cause de son effractionqu'il la lâche et l'ampoule se brise enmille morceaux. Cet incident va donnerlieu à une scène de ménage, finalementsalutaire. Elle hurle sa douleur, il crie sacolère:

«Cela fait six mois qu'on ne sort pas, j'aienvie d'aller au cinéma voir quelquechose de rigolo!

— Sors tout seul si tu veux! (Marc videles tiroirs de la commode des habits du

nouveau-né qui s'y trouvent) Qu'est-ceque tu fais, t'es malade?

— C'est toi qui es malade! Il est mort, tucomprends?

— Je le sens là, il est vivant!»

Respecter la souffrance de sa femmedevient difficile. Il aurait fini par tomberdans le trou noir avec elle à force de tou-jours comprendre; risqué de perdre lecontact avec ses propres forces vivesdont leur couple avait plus que jamaisbesoin. Voie étroite, entre compréhen-sion et confrontation.

Alors, pour revenir à la question de toutà l'heure, disons que la bonne distancese trouve peut-être quelque part entrel'implication émotionnelle du proche etla prise en compte par lui de ses propreslimites; un proche qui prend soin est unproche qui veille à prendre soin de luiégalement. La distance optimale étantcelle qui permet à la personne malade etau proche d'exister individuellement.Cela n'est pas facile, si l'on considère latourmente émotionnelle dans laquellechacun se débat.

Nous en arrivons donc à la deuxièmepartie de la proposition: essayons de voirquelles sont les attitudes du proche quifont du bien, qui apportent une véritableaide psychologique. Un proche qui «ena cure», qui se soucie, qui prend soin?J'aimerais vous faire écouter tout d'abordla voix de patients s'exprimant sur lesujet du rapport avec leurs proches dansle cadre du cabinet de l'analyste:

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«Tout le monde sait très bien ce qui estbien pour moi; ça me tue! Je reçois pleinde conseils... Ce n’est pas eux qui viventça! Même mon amie me dit: “Tu devraismanger, sortir, voir des gens”. On diraitpresque que c'est pour se donner bonneconscience à eux.

L'autre jour, il m'a dit: “Mais qu'est-ceque tu veux que je fasse”? Je lui airépondu: “Juste m'écouter un moment”!Il avait envie de m'aider et il s'est renducompte qu'il ne pouvait pas, que c'étaitimpossible; m'écouter, visiblement, cen’était pas suffisant.

Ils aimeraient que ça redevienne commeavant; mais ça ne sera plus jamaiscomme avant, c'est de l'utopie!

Eux, ça leur fait ni chaud ni froid, c'estfacile de faire la morale: “Tu devraistourner la page”! Comme si j'étais entrain de faire un mausolée! C'est despetites pointes qui ne me font pas dubien. J'ai l'impression que je dérangebeaucoup et qu'il y a beaucoup de per-sonnes qui me tiennent à distance.»

Ces propos se font l'écho de la difficultépour le proche à accepter la réalité de lamaladie psychique dans toute sa bruta-lité, sans que l'on sache ni combien detemps cela va durer ni quel sens celapeut bien avoir, si tant est que cela en aitun.

À cela s'ajoute le sentiment d'impuis-sance qui nous étreint parfois face à lasouffrance des personnes que nousaimons.

L'irruption de la maladie psychique,avec son cortège d'angoisses, de senti-ments de dévalorisation, de perted'autonomie et d'espoir, occasionneimmanquablement chez les proches desrésonances dont ils ne sont pas toujoursconscients, la décompensation des unsvenant mettre à l'épreuve l'équilibre desautres. Que d'émotions difficiles! Et puisle moi conscient supporte mal une souf-france qui n'a pas de sens, ou dont lesens lui échappe. Le proche pris dans latourmente émotionnelle va peut-êtreéprouver un sentiment d'injustice face àce qui arrive à la personne aimée et quilui tombe dessus à lui: «Qu'ai-je fait auciel pour que...?» et «Il/elle ne méritaitvraiment pas ça!» Tel est l’impérieuxbesoin d'explication causale: pouvoirdire: «C'est parce que...» Ou alors cebesoin de trouver un sens va se déclinerchez le proche sur le mode de la culpa-bilité: dans ce cas, le lien de cause àeffet se porte vers l'intérieur: «Si on enest là c'est forcément parce que j'ai étéune mauvaise mère, un ami rejetant, unfrère égoïste, etc.» Dans les deux cas, ceque j'appellerais un excès d'explicationcausale va faire écran et empêcher leproche d'accepter la réalité de la maladieà l'état brut, telle qu'elle est, sans pou-voir se raccrocher à un sens qui seraitdonné d'emblée et aiderait chacun àmieux supporter l'insupportable. Il fautbeaucoup de consistance au proche pourse tenir debout dans le noir dans cesconditions, dans la disponibilité la plusouverte possible face à la personnemalade; il lui faut être «patient» luiaussi, au double sens d'avoir de lapatience et d'être capable d'endurance.

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Être en contact avec sa propre partieblessée, avoir été confronté soi-mêmeaux questions sans réponse et avoiréprouvé dans sa chair le sentiment d'im-puissance. Pouvoir élaborer tout çaconsciemment. Quelle épreuve!

Proposer quelques réflexions sur le«guérisseur blessé» participe de laconviction que ce concept jungien, parl'attention qu'il porte à la dynamique desrelations entre le conscient et l'incons-cient de chacun des partenaires, peutrenouveler l'idée que chacun peut sefaire de l'aide qu'il peut apporter à unepersonne proche atteinte d'une maladiepsychique. Il s'agit de l'idée que leproche, étant en lien avec ses failles inté-rieures, avec son ombre, peut permettreau patient de se mettre en rapport avecson guérisseur intérieur, ses propresforces d'autoguérison. Cette conceptionoffre une base conceptuelle à l'attitudequi consiste à miser sur les ressources dela personne malade. Le proche n'est pasresponsable des «progrès» du malade, saplace serait plutôt d'accompagner unprocessus de guérison qui le dépasse.

En mettant l'accent sur les processusinconscients, cette approche relativisedu même coup l'importance de lavolonté et le fardeau que représente lephénomène de surresponsabilisation duproche. Celui-ci court souvent le risquede s'épuiser à force de vouloir bien faire.On voit apparaître dès l'abord cette pola-rité blessure-guérison, qui est constelléedans toute situation mettant en relationdeux personnes, un aidant —qu'il soitprofessionnel de la santé, travailleur

social ou tout simplement un proche—et un patient.

Cette compréhension de la réalitécomme un continuum comprenant deuxpôles est centrale; elle ouvre sur unecomplexité et un dynamisme psychiquesqui n'ont rien à voir, par exemple, avecla définition réductrice de la santé del'OMS qui considère cette dernière «nonseulement comme l'absence de maladie,mais comme un état de complet bien-être physique et moral». En réalité,chacun sait bien que ce n'est pas ainsique ça se passe; personne n'est 100%sain ni 100% malade. En fait, touteconnaissance sur la nature de l'hommeest hybride, à l'instar du Centaure Chi-ron, immortel, mais blessé de manièreincurable par Héraclès, et qui selon lemythe a enseigné l'art de guérir à Escu-lape.

Arrêtons-nous un sur ce mythe de laGrèce antique, aux sources sacrées del'art de guérir dans notre civilisation (2).Chiron est une créature hautementcontradictoire. C'est un centaure, doncun être hybride: à une partie qui a figurehumaine est accolée une partie arrièreanimale, instinctive et irrationnelle, onpourrait dire inconsciente. Il n'est pascomplètement assujetti à la nature ins-tinctive du règne animal puisqu’il estaussi capable d'une élaborationconsciente. Il est immortel, mais a étéblessé par une flèche empoisonnée d'Hé-raclès lors de son combat contre lescentaures, et sa blessure est restée incu-rable, malgré les soins attentifs d'Athénaet l'initiation d'Apollon. Mais il a su

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transformer ses souffrances en expé-riences. Dans son domaine —un antresitué sur une montagne et proche d’unevallée où pousse une profusion d'herbesmédicinales—, il va initier Esculape etlui transmettre ses connaissances théra-peutiques. Esculape lui-même doit la vieà un coup d'épée de son père sur le ven-tre de sa mère, alors qu'elle était en trainde périr sur le bûcher funéraire auquel ill'avait condamnée. Encore un grandtraumatisé devenu médecin! Et pas n'im-porte lequel: LE médecin de l'Antiquitéavant Hippocrate, qui avait des sanc-tuaires dans tout le monde grec.

Ce qui est remarquable, pour revenir àChiron, c'est son pôle sombre, lui qui està la fois un médecin aux vastes connais-sances thérapeutiques et un guérisseurtorturé par une souffrance éternelle. «Lablessure jamais guérie de ce centauresymbolis(ant) la nature éternelle del'énigme posée par la vie.» (3) AdolfGuggenbühl-Craig, dans un ouvrage quia fait date, intitulé Pouvoir et relationd'aide (4), a développé ainsi ce motif duguérisseur blessé en référence à l'arché-type de la santé-maladie: «L'image dumédecin blessé symbolise chez le méde-cin une conscience aiguë et douloureusede la maladie comme pôle opposé à lasanté […] À travers un tel vécu, lemédecin devient le frère de toute per-sonne malade et non son maître. Cartous possèdent en eux l'archétype de lasanté-maladie.»

Le développement qui suit s'inspire de laPsychologie du transfert de Jung (5)dont est tiré le schéma quaternaire que

Charles Chaleverat a modélisé en ce quiconcerne la relation d'aide (voir p. sui-vante). Par ailleurs, je me référeraiabondamment à Guggenbuhl-Craig,dont le livre cité précédemment est unapport théorique inestimable et à quij'emprunte l'essentiel de ma présenta-tion.

C.G. Jung a défini les archétypescomme étant des schèmes de comporte-ment: les êtres humains, placés danscertaines situations, réagissent selon unschéma de base commun à tous leshommes. Les archétypes sont constam-ment à l'œuvre dans l'inconscientcollectif de chacun et sont chargésd'énergie psychique. Ils sont si puissantsque Marie-Louise von Franz a pu écrireque «l'expérience archétypique est (enthérapie) l'unique facteur de guérison.»(6) Certains archétypes comprennentdeux pôles, que nous portons en nous. Ilsuffit qu'un des deux pôles se manifestedans le monde extérieur pour que soitconstellé en nous le pôle correspondant.Il en est ainsi de l'archétype mère-enfant, par exemple. L'enfant éveillechez la mère une conduite maternelle.Dans la psyché de toute femme setrouve une possibilité innée de compor-tement de mère à enfant, ce qui supposeque l'enfant soit déjà contenu archétypi-quement dans la mère. Pour revenir ànotre sujet, cela signifie que le guéris-seur et le malade —ou bien l'aidant, lapersonne en bonne santé d'une part et lepatient, la personne malade d'autrepart— sont archétypiquement reliés.Prenons connaissance du schéma dont jevous parlais à l'instant.

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Vous remarquez que chaque partenairede la relation est habité par les deuxpôles de l'archétype du guérisseur-blessé, l'un se trouvant dans le conscient,tandis que l'autre se place dans l'incons-cient, et cela de manière inversée. Audépart, lorsque je vais trouver une per-sonne à l'hôpital, je me présentesocialement comme celui ou celle quivient apporter de l'aide et du réconfort,le pôle blessé restant dans l'ombre. Lepatient, lui de son côté, apparaît dansson pôle blessé. Sa part guérisseur setrouve au-dessous du seuil du conscient,indisponible. Que va-t-il se passer? Idéa-lement, le proche, s'il est en contact avecsa partie blessée, va permettre au pôleguérisseur de la personne malade des'éveiller et d'émerger à la conscience,activant en lui ce qu'on appelle commu-nément le facteur de guérison. En retour,

le proche est exposé à la partie blesséedu patient, ce qui éveille en lui desrésonnances en lien avec ses propresblessures intérieures.

Ecoutons Guggenbühl-Craig: «Aucuneblessure, aucune maladie ne peut guérirsi le guérisseur intérieur ne se met pas àagir […] Il faut que quelque chose dansle corps et dans l'âme coopère pour quela maladie et les traumatismes soientsurmontés […]» Dans le langage cou-rant, on dit souvent d'un patient: «Il neveut pas guérir». Ce «ne pas vouloirguérir» ne concerne évidemment pas lavolonté du moi. On ne devrait pas dire:«Il ne veut pas guérir», lorsqu'on a l'im-pression que le patient ne montresimplement aucune velléité de guérison.On devrait décrire ce phénomène avec laphrase: «Le guérisseur intérieur semble

Schéma tiré de: Chalverat, Charles, «Le mythe du guérisseur blessé […]», in Psy-ché et Société 9, Editions la Vouivre, Maurepas, 1999.

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faible». (7) Cette perception permetd'éviter une attitude culpabilisante àl'égard du patient puisqu'elle relativise laplace dévolue à la volonté et tientcompte des phénomènes inconscients;ce n'est pas la volonté qui dicte lerythme de la guérison, ni celle dupatient, ni celle du proche d'ailleurs. Il ya des limites à l'efficacité de l'activismedu proche; pour ce dernier, êtreconscient de cela peut contribuer à l'al-léger du poids d'une prise en charge quirisquerait de l'épuiser, de le décourageret de le culpabiliser lui aussi de ne pasréussir à sortir la personne aimée decette sacrée maladie malgré tous sesefforts. Ce n'est pas le moindre mérite dece schéma que de contribuer à mettrecela en lumière. Le proche est doncinvité à faire retour sur lui-même, à res-ter en contact avec ses fragilités, sesombres et ses faiblesses. Une telle dis-position peut être verbalisée, mais pasnécessairement. Par choix, ou parimpossibilité dans le cas, comme vousl'observez dans le schéma, où leséchanges restent au-dessous du seuil dela conscience; on parlera alors de deuxinconscients qui se touchent.

Un rêve tiré de ma pratique va venirillustrer ces mécanismes subtils demanière plus vivante. Il s'agit d'unedame, la soixantaine, qui a perdu sonami, mort dans des circonstances tra-giques dix-huit mois plus tôt. Et voici cerêve, qu'elle me raconte à la quarantièmeséance.

«J'avais rendez-vous chez vous. Je suisarrivée à la séance et il y avait un rem-

plaçant; j'étais très étonnée... un sta-giaire, enfin, je n'en sais rien. Il avait lescheveux blonds, mi-longs, les dents unpeu en avant; il était jeune. Et bon, j'aitout de suite accepté la situation, sansaucun problème. Tout à coup, il a misson doigt dans la narine et en a sorti unmorceau de morve séchée. J'étais un peuchoquée. Vraiment un grand morceau;ça ressemblait à une petite brancheséchée avec des petits rameaux. J'aitrouvé ça assez étonnant. Et là-dessus,c'est comme si je me retrouvais à l'écoleet j'ai fait comme avec les enfants quidoivent se moucher et qui n'ont pas cequ'il leur faut. J'ai tendu la main vers laboîte de kleenex, j'ai pris un kleenexdans la main et je le lui ai tendu: “Voilàce qu'il vous faut”! Et tout à coup, lasituation a complètement bifurqué etsubitement je me suis retrouvée dansl'intimité avec cet homme. Ce n'était pasle physique de Bruno (son ami), mais,dans le ressenti, c'était comme si c'étaitlui. C'était extrêmement fort, comme s'ilétait physiquement là, dans mon lit.»

Après le rêve, les larmes ont coulé. À unmoment donné, elle a ressenti unegrande paix. Et elle a eu l'impressionqu'elle était revenue de très très loin.J'ai pour habitude de restituer leur rêveà mes patients, afin qu'ils puissent l'en-tendre de l'extérieur. Quand je lui airaconté son histoire de kleenex tendu authérapeute, ma patiente s'est mise à rirede bon cœur, et moi avec elle; nousavons beaucoup ri de ce retournement desituation où c'était elle, la patiente, quiprenait soin du thérapeute. C'était un rireévident, qui se passait de mots. Ce

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qu'elle ne savait pas et dont je n'ai prisconscience qu'après la séance, c'est quece motif curieux de la morve séchée res-semblant à une petite branche séchéeavec des petits rameaux avait réveillé enmoi un souvenir très précis. Il y a biendes années une cousine que j'aimaisbeaucoup était en train de vivre ses der-nières semaines à l'hôpital à l'étranger.Je m'étais laissé décourager de faire ledéplacement pour aller lui dire adieu etje m'en voulais de m'être laissé influen-cer par son entourage qui disait qu'elleétait trop mal pour recevoir des visites.Or une nuit, j'ai rêvé que je retirais unrameau mort de mon petit doigt. En meréveillant le matin, je savais qu'elle étaitmorte. Que le rêve, c'était ça. Et en effet,cela m'a été confirmé par un téléphonepeu après. Ce rêve m'a fait beaucoup debien, car il a balayé ma mauvaiseconscience en me faisant éprouver dansma chair la réalité de notre lien d'âme àâme, au-delà de la distance géogra-phique. Pour revenir au cadre de laséance, j'étais tout à coup connectée àma partie de souffrance transformée parl'image symbolique de mon rêve. Elle,de son côté, au moment du tournant deson rêve, qui fait immédiatement suite àl'épisode du kleenex, se trouve sans tran-sition à faire l'amour avec sonthérapeute, avec toutes les sensations dudébut des épousailles avec son ami, dixou quinze ans plus tôt, ce qui l'a telle-ment bouleversée. Mais c'était bel etbien avec son thérapeute qu'elle vivaitcette union au plus profond de son être.Symboliquement, c'était ses noces avecson guérisseur intérieur. Cela rappelle laconjunctio, pour reprendre le terme latin

utilisé par les alchimistes auxquels Jungs'est tellement intéressé dans ladeuxième moitié de sa vie, parce que,dans leur exploration symbolique de lamatière, il pouvait reconnaître ladémarche que nous faisons lorsque noustentons d'entrer en contact avec, et defaire l'expérience des couches fonda-mentales de nous-mêmes.

À la séance suivante deux semaines plustard, ma patiente m'a annoncé qu'elleavait l'intention d'arrêter dans un mois.Depuis ce rêve, c'était comme si une dis-tance s'était faite avec ces événementstraumatiques. «Il y a eu un tournantdepuis ce rêve, c'est comme si je refaisun peu surface, je ne sais pas ce qui s'estpassé, c'est quelque chose au-delà de macompréhension», me dit-elle.

Il est essentiel que celui qui occupe laplace de l'aidant soit relié à sa partieblessée et reste bien en contact avec sesblessures et ses fragilités. Cela est extrê-mement exigeant, car le moi n'aime pasbeaucoup être rappelé à ses limites indi-viduelles. Il est plus facile de refouler lapart encombrante et de la projeter surl'extérieur. Auquel cas l'aidant devient«rien que guérisseur» et le patient «rienque malade». Prenons les sentimentsd'impuissance et de culpabilité si sou-vent ressentis par les proches. Si leproche réussit à supporter les polarités età contenir le pôle sombre de l'archétype,avec le sentiment d'insécurité voire d'an-goisse qu'il génère, il sera davantage àmême d'éviter l'activisme et le besoin deréparation forcenés qui peuvent s'empa-rer de lui et s'exprimer par des «Tu

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devrais» qui ont en général pour effet deplonger le patient dans un sentiment dedévalorisation plus grande encore. Il nes'agit évidemment pas ici de distribuerles bons et les mauvais points, mais defaire passer le message que le proche aégalement tout à y gagner; car l'acti-visme et le besoin de réparationexagérés dont il vient d'être questionconduisent à l'épuisement du proche àplus ou moins brève échéance. Si à lasurresponsabilisation (dont le sentimentde toute-puissance est la face cachée)nous réussissons à substituer laconfiance dans les forces d'auto-guéri-son du patient lui-même, et supporterpatiemment la tension entre les polari-tés, alors nous créons les conditionspour que la fonction transcendante, que«Jung définit […] comme étant lafaculté que possède l'inconscient desécréter un troisième terme dans dessituations de polarité apparemment indé-passable» (8) puisse se manifester etréunir les opposés dans une conjonctiondynamique.

Je vous remercie de votre attention.

Références

(1) La petite chambre, par les réalisa-trices suisses Véronique Reymond etStéphanie Chuat, 2010.

(2) Voir Loertscher-Rouge, Françoise,«Sur les pas d'Esculape», in La Vouivre,Pèlerinages, vol.11/2001, Georg,Genève.

(3) Adler, G., «La question du sens enpsychothérapie», in Présence, 4e série,vol.1, n°1, Puyreimond, Genève et Paris,1977, p. 80.

(4) Guggenbühl-Craig, Adolf, Pouvoiret relation d'aide [suivi de Possibilités etimpossibilités de la formation de l'ana-lyste jungien], trad. de l'allemand parAntoine Pinterovič, avec un avant-pro-pos [de] Jean-Pierre Legrand, Éditions P.Mardaga, Bruxelles, 1985, p. 126.

(5) Jung, Carl Gustav, La psychologie dutransfert: illustrée à l'aide d'une séried'images alchimiques, trad. de l'alle-mand par Etienne Perrot, Éditions A.Michel, Paris, 1980.

(6) Franz (von), Marie-Louise, La Prin-cesse Chatte, traduction par FrancineSaint René Taillandier, Éditions La Fon-taine de Pierre, 2001, p.16.

(7) Guggenbühl-Craig, op. cit., p. 118-119.

(8) Chalverat, Charles, Voie parallèle:aux sources de la relation d'aide [Confé-rence à l’Université de Lausanne], 1986.

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Fernando Fiori

Notre atelier a réfléchi sur la ques-tion de la souffrance, souventtrès lourde, éprouvée par les

proches de patients psychiques. Com-posé de professionnels de la santé et demalades, notre groupe ne recensait, parcontre, aucun proche dans ses rangs...

C’est donc avec l’aide de l’«A3 Jura»,une association de proches et demalades atteints de troubles psycho-tiques, que cet exposé a été préparé.Sans posséder les moyens alloués auxgrands cantons, cette association, crééeil y a cinq ans, a su se montrer très activedans tout le Jura.

Que ressent-on lorsque l’on partage lequotidien d’un être cher souffrant danssa santé psychique? Une saynète viendraen illustrer de manière concrète les nom-breux enjeux. Dans un second temps,nous poserons la question des ressourcesdont disposent les proches. Sur ce pointaussi, une situation bien réelle vous seraprésentée. En conclusion, nous formule-rons un certain nombre de propositionspour améliorer la situation des proches.

Rejet et conflit

Saynète par Pierrette Badertscher, Sté-phanie Beuchat et Michel Martinoli

Malade

«Que suis-je? Je suis trop malade pourfaire quelque chose, mais pas assez pourque cela se voie… Je ne suis pas folle, jesuis malade! Arrêtez de me crier dessus!Moi, je veux dormir. Laissez-moi dor-mir, dormir, dormir… Je sais qu’un jourje le ferai, mais je ne sais pas encorequand. Et la tendresse, bordel? Y’a qu’à,y’a qu’à, y’a qu'à.... Moi je ne dis pas

Le proche dans la tourmente émotionnelle

Atelier du Jura

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tout à mes parents, je les protège. Lerythme de ma vie a changé maintenant.Arrêtez de me bousculer! Oh hé mamaladie! Toi et moi, on est devenu descolocataires. Doit-on encore vivreensemble? Comment veux-tu me com-prendre alors que je ne me comprendspas moi-même? Les proches? Vousn’êtes jamais là quand on a besoin devous... Et, franchement, quand vous êteslà, vous me pompez l’air! J’en ai marredes travaux d’occupation! Donnez-moiun vrai travail! Moi j’en ai pris pour per-pète! Et vous? Les médics, c’est de lamerde et l’hosto, on s’emmerde! Lesautres m’emmerdent! Et moi, je vousemmerde! Et vive la merde!»

Proche

«Pourquoi toi? Tu ne mérites pas ça...Pourquoi nous? Que faire? A quis’adresser? Sentiment d’impuissance...Comment peut-on continuer à vivre avecune souffrance aussi terrible?

Je t’aime plus que tout. J’essaie de tesoulager, je t’écoute, je te dis que nousserons toujours à tes côtés. Je te massedes pieds à la tête. Tu es dans mes bras.Tu trembles, tu pleures, tu as peur. Toutmon cœur et mon âme ont mal de te voirsouffrir à ce point. J’ai peur que tu nevives plus jamais en paix. Peur que cettechose te torture encore plus. Peur de neplus avoir la force. Peur que tu ne sup-portes plus toute cette douleur et que tuprennes une décision fatale. Je me senscoupable... Qu’ai-je manqué ou pas faitpour que tu sois comme ça? Je suis épui-sée... Toute notre vie tourne autour de

ça. S’il vous plaît, laisseznous quelquesheures de répit! J’ai besoin de reprendremon souffle!»

Soignant

«Je n’ai pas le temps. J’ai autre chose àfaire. On est en sous-effectif, on fait cequ’on peut avec nos petits moyens. Je nesuis pas une hotline. Je suis un profes-sionnel. Ce n’est pas de mescompétences, je suis tenu au secret pro-fessionnel. Ce n’est pas possible! Il y atrop de violence ici! Vous profitez devotre statut. Je dois en référer à ma hié-rarchie. Votre cas est trop complexe. Etvous me pompez l’air!»

Fernando Fiori

Quand une personne est atteinte d’unemaladie psychique grave, c’est tout sonmonde qui s’écroule. Prise dans le délireet le chaos, elle ne comprend plus ce quise passe. Alors peut surgir la violence;celle contre les autres, mais aussi cellecontre soi-même. La consommation dedrogues participe parfois à cette destruc-tion de soi-même et vient empirer lasituation. Des conflits éclatent avec l’en-tourage.

Les proches vivent souvent dans l’in-compréhension et se sententimpuissants. Ce désarroi peut prendre laforme d’une rage contre soi-même,contre la société tout entière, ou encorecontre le malade. Le proche peut choisirparfois de s’isoler.

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La société se montre souvent rejetantevis-à-vis du malade, comme de sesproches. Mythes et préjugés contribuentà alimenter cette stigmatisation. Un sen-timent de culpabilité et de hontes’installe. Les proches auront tendance àexpliquer la maladie en se disant: «C’està cause d’une séparation», «c’est parceque notre éducation était déficiente», ouencore «c’est parce qu’on a été tropsévère». Certaines idéologies en psy-chiatrie confortent ce genre deraisonnements qui continuentaujourd’hui à faire beaucoup de dégâts.

Forces et ressources

Saynète par Pierrette Badertscher, Sté-phanie Beuchat et Michel Martinoli

Le malade

«Je te demande pardon pour les erreursque j’ai faites dans le passé. Mon fils, jet’aime. Papa, Maman, vous êtes mesprincipaux soutiens. Me respecter, c’estaussi me mettre des limites claires. C’estbien d’essayer de se comprendre. Pour-rait-on un jour parler la même langue?Je suis tombé si bas... Relevez-moi!D’accord, pour la négociation! Offrez-moi un vrai plan acceptable pour vous etpour moi! D’accord, je veux bien de lapilule bleue, de la chambre blanche et devotre vie en rose. Où sont les proches?Peut-être là-bas, sûrement ici. Un, deux,trois, j’irai vers toi. Je vous ouvre maporte. Entrez, entrez, j’ai besoin devous! Même si c’est difficile de le dire.Messieurs les politiciens, rencontrons-

nous! N’oubliez pas que je suis uneélectrice! Approchez, approchez, il y a peut-êtrequelque chose à faire.»

Les proches

«Notre pédopsychiatre est une femmefantastique. J’ai l’impression, pendantune heure, de pouvoir lui déposer monfardeau. Le médicament me libère unpeu l’esprit. Parler avec mon conjointme fait du bien! Et aussi: prendrechaque jour ce qui est mieux qu’hier,aussi mince que ce soit. Un sourire de tapart me remplit de joie. Me découvrirune patience que je ne soupçonnais paset une force presque sans limites.L’amour que je te porte est indestructi-ble. Apprendre que chaque personne estdifférente et l’accepter. Prendre un jouraprès l’autre. Quel sentiment de bonheuret de bien-être lorsqu’un jour tu vas unpeu mieux et que tu nous le dis! Tesamis qui ne sont pas partis et quiessaient comme nous de comprendre,nos quelques amis qui prennent encorede tes nouvelles. Quel bonheur que tuarrives encore à faire quelque chose,même s’il faut toujours te pousser!Apprendre à vivre avec... Apprendrebeaucoup sur nous-mêmes. Je t’aime.»

Le soignant

«Bonjour, qu’est-ce que je peux fairepour vous? Je vous écoute. Qu’attendez-vous de nous? Je vois que vous allezmieux. Vous avez fait des progrès. Jevous propose que l’on fasse ensembleun projet d’accompagnement éducatif.

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Seriez-vous d’accord que l’on rencontrevotre proche? Depuis que votre médica-tion a été réajustée, nous vous trouvonsplus éveillé et plus motivé. Vos compé-tences sont enfin reconnues etappréciées.»

Fernando Fiori

Que peut faire le proche d’un patientpsychique pour gérer la tourmente émo-tionnelle? L’enjeu le plus importantréside dans une meilleure connaissancede la maladie. Le proche pourra alorsfaire la différence entre ce qui relève,chez son patient, de la mauvaise volontéet ce qui ressort de la pathologie elle-même.

Sur la base de ses connaissances, ilapprendra également à se défaire de sesfausses croyances et à lutter contre toutsentiment de culpabilité; mais aussi àprendre du temps pour lui-même, sansse blâmer.

Si, par exemple, les parents se rensei-gnaient mieux sur la schizophrénie, ilssauraient que cette maladie n’est en riende leur responsabilité et ils pourraientjouir d’une vie plus épanouie. Ils ose-raient aussi prendre du recul par rapportà leur patient et accepteraient plus faci-lement son incapacité à gérer sa vie. Desmesures de tutelle ou de curatelleseraient alors prises plus rapidement.Les proches apprendraient également àgérer les sources de tension ou de stress,ce qui éviterait que de nouvelles crisesse produisent.

Plus conscients, les proches parvien-dront à accompagner leur malade avecune meilleure efficacité, ce qui necontrevient évidemment pas à leur tâchepremière: celle de lui montrer son affec-tion et ne jamais l’abandonner.

Propositions constructives

Les associations de proches et demalades jouent un rôle crucial. Ellespermettent de se retrouver entre per-sonnes touchées par une mêmeproblématique, d’échanger des expé-riences et de se soutenir. Ellesreprésentent aussi une force collectivecapable de démystifier la maladie et de(re)donner aux proches et aux patientsune nouvelle estime d’eux-mêmes. Laculpabilité sera ainsi mieux combattue.

L’atelier du Jura, avec l’aide des associa-tions actives dans la région, souhaite queles propositions suivantes soient prisesen considération:

• L’association Profamille dispose deprogrammes spécialement conçus pourles proches de patients psychiques. Cetteformation sur les stratégies d’action faceau malade n’est pour l’heure disponibleque dans les hôpitaux psychiatriques.Nous souhaitons que Profamille inter-vienne aussi dans les plus petites unitéspsychiatriques.

• La création d’un site Internet, baptisépar exemple www.approchetoijura.ch,pourrait permettre à tous les partenaires

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concernés par la maladie psychiqued’accéder à un support d’informationcommun. Y serait répertorié aussi l’en-semble des adresses ressources et desliens en rapport avec la maladie psy-chique.

• La mise en service d’une ligne télépho-nique anonyme, à destination desproches et des malades, fournirait à cesderniers une écoute, un soutien et desconseils. Les hôpitaux psychiatriques deSuisse romande sont appelés à souteniret à superviser cette initiative. Pour faireconnaître l’existence de ce numéro, desannonces pourraient paraître dans lesjournaux: «Si comme proche vous êtesen détresse, n’hésitez pas à demander del’aide, téléphonez à SOS-Psy».

• La création d’une véritable commu-nauté d’intérêts autour de la questiondes troubles psychiques permettrait dediffuser des informations sur ces mala-dies et de les dédramatiser. L’ensembledes partenaires concernés serait intégrédans cette démarche citoyenne et s’en-gagerait aussi à soutenir divers projetsvisant à améliorer les conditions de viedes personnes atteintes dans leur santépsychique.

Une telle communauté pourrait se met-tre en place très rapidement, puisque,par définition même, elle ne comporte-rait aucune forme juridique ou statutparticulier. Cette initiative aurait uneinfluence positive sur l’opinionpublique, mais aussi sur le plan poli-tique.

Conclusion

Seule la collaboration dans le respectmutuel des différentes compétencesentre malade, proches et professionnelspeut garantir une stabilisation, une réin-tégration sociale et une vie de qualitépour les personnes atteintes de maladiepsychique et leurs proches. Les autoritésont un rôle clef à jouer pour faire aboutirce processus, notamment en agissantrésolument sur l’opinion publique. Nousattendons d’eux une attitude positive,empathique et libre de préjugés. Et desactions concrètes, aussi dans les régionsplus excentrées, comme le Jura.

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Pas moins de 574 personnes ont ré-pondu au sondage que le Graap amené sur la question du rôle des

proches de patients psychiques. Parmiles personnes interrogées, 42% étaientdes proches, 18% des patients, 33% desprofessionnels et 7% des voisins.

Comme vous le constaterez, cetteenquête livre de précieuses informationssur les représentations et les images quicollent à la peau des proches et de leurmalade.

1. Les proches osent parler librement de la maladie du patient sur leur lieu de travail:

Environ un tiers des sondés estiment dif-ficile pour les proches d’évoquerlibrement la question de la maladie psy-chique sur leur lieu de travail. Dans uneéconomie qui vise la performance et larentabilité, parler de fragilités et de pro-blèmes psychiatriques équivaut àinstiller le doute dans l’esprit de sessupérieurs hiérarchiques et/ou de sescollègues: «Va-t-il vraiment être fia-ble?», «risque-t-il de devoir s’absenterfréquemment?».

Le proche peut aussi se sentir réduit aurôle d’être souffrant: «Ce/cette collègue,son/sa fils/fille est...»

Pourtant, accepter la maladie, c’est aussien parler à d’autres et découvrir, peut-être, qu’on n’est pas seul à vivre unetelle situation.

Il devient alors possible de miser sur lacompréhension et la solidarité de sescollègues ou de son employeur. Près de70% des sondés semblent ainsi leur faireconfiance.

Résultatsdu sondageCréé par Aurélie Brunner et validé par le Comité scientifique du Congrès

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2. Les proches devraient pouvoirfaire hospitaliser le patientquand ils voient que sa santése dégrade:

Pour les trois quarts des votants, lafamille devrait théoriquement se voiraccorder le droit de participer à la déci-sion de faire hospitaliser ou pas l’un deses membres malade. L’entourage dupatient, par sa proximité, assiste à sonévolution au quotidien. Il connaît aussiles signes annonciateurs d’une nouvellecrise psychique et constate les effetsconcrets d’un manque de soins. Quoi deplus normal donc que la parole desproches soit prise au sérieux, lorsqu’ilsdemandent une hospitalisation? Leurintention est avant tout le soin et le bien-être d’un des leurs et non pas une«manœuvre» qui vise la mise à l’écartde quelqu’un de gênant.

3. Les proches peuvent vivre une vie épanouissante malgré la maladie psychique de leur patient:

N’est-il pas quelque part indécent demener une vie épanouie lorsqu’un êtrecher souffre au quotidien? A-t-on ledroit dans de telles circonstances deprendre du temps pour soi-même et des’autoriser des moments de plaisir? Surces questions, les avis sont partagés,même si une majorité se dessine enfaveur de la possibilité pour les prochesde s’«épanouir». Espérons que cette ten-dance se poursuive! Beaucouprétorqueront cependant que, lorsqu’onvit aux côtés d’un malade privé detoutes perspectives personnelles, affec-tives et professionnelles, cela est toutsimplement impossible; et c’est sanscompter le temps et l’énergie consacrésaux soins du patient. Pour autant, unecertaine distance doit s’installer entre lapersonne en souffrance et son proche.En se sacrifiant, ce dernier risque des’épuiser ou de sombrer lui-même dansla maladie. Il ne sera alors guère plusaidant et culpabilisera d’autant plus.Quelles solutions? Accepter la maladiede l’autre et rechercher aide et res-

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sources constituent les premières déci-sions à prendre. Un apprentissage sur soidoit se faire. Il permettra de grandir surplan personnel et d’offrir une assistanceau malade plus consciente et plus réflé-chie. Et quel plus beau cadeau peut-onfaire à son proche malade que d’être soi-même heureux et épanoui!

4. Le professionnel pense que le patient est le symptôme d’une famille qui dysfonctionne:

Pour 37% des personnes interrogées, lesprofessionnels de la santé continuent àenvisager la maladie psychique commela résultante d’un environnement fami-lial déficient. Un tel postulat entretientdans les esprits l’idée de responsabilité—et donc de culpabilité— d’un tiersdans le déclenchement des troubles psy-chiques. Or, aujourd’hui, il estclairement reconnu que ce type depathologie présente une origine multi-factorielle. Certes, les expériences encontexte familial en font partie, maiselles ne sont pas les seuls facteurs àenvisager. D’autres éléments contextuelsne devraient pas être considérés sousl’angle de la responsabilité personnelle,mais plutôt sous celui de la manière dontles individus ont intégré certaines expé-

riences de vie. Une conception exclusi-viste sur les causes de la maladie génèredes préjugés tenaces et contribue àentretenir un climat de suspicion. Unepartie des professionnels de la santé estdonc appelée à se remettre en questionpour que disparaissent à jamais de telsmalentendus et que les familles soientconsidérées avant tout comme res-sources.

6. Les professionnels ne prennent pas en compte la parole des proches,car ils estiment que ceux-ci sonttrop touchés par la maladie pour être crédibles:

Même si les résultats présentés ici sonten demi-teinte, on constate tout demême que les professionnels prennentde plus en plus en compte la parole desproches. Les médecins s’ouvrent peu àpeu à l’apport possible des proches et lacommunication s’en trouve facilitée. Parailleurs, des formations sensibilisentaujourd’hui le personnel soignant à l’im-portance de l’entourage. Même si,depuis vingt ans, la position des prochess’est bien améliorée, il n’en demeure pasmoins difficile pour eux d’être véritable-

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ment intégrés dans un réseau de soin.Leurs compétences restent insuffisam-ment reconnues et exploitées.

7. Le voisinage pense que c’estaux proches d’intervenir afin d’éviter que le patientperturbe la tranquillité de l’environnement:

Les résultats très nets qui se dessinent icine sont pas surprenants. Beaucoup depersonnes persistent à penser que c’estaux familles de s’occuper de leursmalades. Confrontées à des situationssouvent difficiles et très lourdes émo-tionnellement, ces familles méritentd’être épaulées. Il en va d’ailleurs denotre intérêt à tous. Lorsqu’un patienttrouble la tranquillité du voisinage, c’estdonc à la police d’intervenir. Les méde-cins sont aussi responsables del’hospitalisation d’un malade en phasede crise. Chacun jouera son rôle sur sonpropre terrain et, dans l’idéal, le voisi-nage se montrera solidaire vis-à-vis decette famille en souffrance.

8. Le voisinagea de la compassion pour les proches:

Près de 40% des sondés estiment que lesvoisins n’ont guère de compassion vis-à-vis des familles. Ce pourcentage estimportant et reflète une forme d’indivi-dualisme qui exclut de son champ devision tout ce qui ne se rapporte pas àsoi-même. Les idées toutes faites sur lamaladie mentale expliquent aussi proba-blement cette tendance. En effet, denombreuses personnes s’obstinentencore aujourd’hui à considérer systé-matiquement les troubles psychiquescomme le résultat des dysfonctionne-ments du milieu familial. Comment desvoisins si mal informés pourraient-ilsfaire preuve de compassion envers cettefamille? Un grand travail d’informationsur la maladie psychique doit être fait. Ilpermettrait peut-être de faire prendreconscience à ces voisins que la patholo-gie mentale pourrait, un jour, s’inviterégalement chez eux.

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9. Pensez-vous que les prochesdevraient être rétribués pour leur travail:

Plus des trois quarts des sondés estimentque les proches ne méritent aucunerémunération pour le soutien quotidienqu’ils apportent à leur malade. Celaindique qu’il existe une profondeméconnaissance des nombreuses tâchesqu’accomplissent les proches, maisaussi des difficultés qu’ils traversent tantbien que mal. Certains sondés estimentpeut-être aussi que les structures de soinet les réseaux d’entraide sont amplementsuffisants. D’autres, peut-être plus aver-tis, pensent aussi qu’il serait négatif deprofessionnaliser l’aide apportée par lesproches. Quoi qu’il en soit, il est certai-nement nécessaire de rendre davantagevisible l’investissement des prochespour que leur rôle soit reconnu à leurjuste valeur.

10. Le patient pense que le proche sait mieux que les soignants ce qui est bon pour lui:

En se mettant à la place du patient, plusde la moitié des sondés estime que l’avis

des proches sur sa maladie est plus per-tinent, que celui du corps médical.

En raison de leurs liens affectifs, lesproches seraient mieux placés pourjuger de l’état de santé de leur patient.Ils notent beaucoup plus facilement toutchangement dans son attitude, ce qui lemotive ou, au contraire, le décourage, cequi est positif pour lui, etc. Aux yeux denombreux patients, les décisions queprendraient ses proches seraient meil-leures que celles des professionnels.

11. Le patient pense que ses proches ont honte de lui:

Le sondage montre qu’une grande majo-rité de patients estiment que leursproches ont honte d’eux. Cela dénote unmanque évident d’informations sur la

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maladie psychique. Mieux comprise,mieux acceptée, elle serait moins stig-matisée socialement. Les relations avecle malade seraient plus saines, moinsentachées de honte ou de culpabilité. Lamaladie doit devenir un élément fédéra-teur au sein de la famille et non un objettabou.

12. Le patient pense que les proches sont responsables de sa maladie:

Un tiers des personnes interrogées esti-ment, en se mettant dans la peau dupatient, que ses parents ou proches por-tent une lourde responsabilité dans samaladie.

Certes, les proches peuvent s’être mon-trés maladroits et avoir commis deserreurs. Pour autant, comme on le saitaujourd’hui, les causes de la maladiepsychique sont plurielles. Notre sociétéa encore de la peine à l’accepter, tantcertains préjugés restent tenaces. Dansce contexte, le médecin aura la charged’expliquer clairement à son patient queses proches ne sont pas responsables deson état de santé. Il en va de la qualitédes relations au sein de la famille. Leur

seule responsabilité se limite peut-être àcelle de se former pour devenir pluscompétents.

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Passer du concept assistanciel auconcept de solidarité implique unchangement de mentalité qui sera

bénéfique pour l’ensemble de la société.C’est pourquoi le Graap, largement sou-tenu par la CORAASP (Coordination ro-mande des associations d’action en santémentale) propose une ébauche de prin-cipes de bases pour une CHARTE desPROCHES, qu’ils souhaitent voir signéenon seulement par les partenaires concer-nés par la problématique de la santé men-tale, mais aussi par les autorités canto-nales romandes de santé publique.

Ainsi, les signataires de la charte s’en-gagent à respecter et à agir en cohérenceavec les valeurs qui sous-tendent laConvention internationale des droits del’homme, en particulier celle de l’ONUrelative aux droits des personnes handi-capées.

Définitions

Le proche est un citoyen comme unautre.

Le proche aidant est une personne quiapporte une aide à une autre personnequi est atteinte de troubles psychiquesou est en situation de handicap psy-chique. La personne aidée peut être unmembre de la famille, un voisin, un col-lègue, à l’exception de la relationprofessionnelle (travailleur social/client;soignant/patient).

Le proche solidaire est une personneengagée et liée par une responsabilité,un intérêt commun, à une personne ou àplusieurs personnes en souffrance ou ensituation de handicap psychique.

Principes généraux

Pour que les proches puissent accéder austatut de «proches solidaires» et êtrereconnus en tant que citoyens responsa-bles et engagés dans un projet collectif,certains principes de base, résumés dansle tableau qui suit, doivent être appli-qués.

Charte des prochesQuelques principesde base

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Une alliance autour d’un projet

Les signataires s’engagent à former unealliance autour d’un projet collectif desanté mentale qui réunira tous les parte-naires confrontés à la maladiepsychique, parmi lesquels les proches.La mise en commun des compétencesde tous permettra d’agir avec plus d’ef-ficacité et de rendre la maladiepsychique plus visible au sein de lasociété.

Respect du principe d’équivalence

Les signataires s’engagent à considérerles proches comme des partenaires équi-valents en termes de valeurs aux autresintervenants qui composent l’alliance.Bien que différents, les uns des autres,les partenaires sont tous incontournableset indispensables au processus de guéri-son.

Pour un engagement solidaire et responsabilité

Les signataires s’engagent à assumer, demanière volontaire et solidaire, leur partde responsabilité dans un projet collectifde santé mentale. Qu’ils soient méde-cins, psychiatres, infirmiers, assistantssociaux, ou proches, chaque partenaireassumera son rôle avec la consciencedes rapports d’interdépendance et deresponsabilité qu’implique une allianceautour d’un projet commun. Si l’unmanque à l’appel, c’est le projet toutentier qui est remis en question.

Réciprocité entre partenaires

Les signataires s’engagent à entretenirdes rapports de réciprocité avec lesproches et leurs différents partenaires.Agissant à des niveaux distincts, ils sontappelés à communiquer et à partager lesinformations obtenues par leurs pra-tiques respectives. Ce principe deréciprocité fait des proches non plus lessimples bénéficiaires d’une aide à sensunique, mais des acteurs à part entièredans la recherche et l’application desolutions réfléchies en commun. Leprincipe de réciprocité garantit aussi lemaintien de relations humaines respec-tueuses.

Socialisation des problèmes individuels

Les signataires s’engagent à regarder lestroubles psychiques non pas commerelevant d’une problématique stricte-ment individuelle, mais comme unproblème appelant une réponse et unengagement collectifs. Proches etpatients ne sont plus des centres passifsde l’attention, mais deviennent desacteurs impliqués dans un projet plusglobal de santé.

Reconnaissance des compétences

Les signataires s’engagent à reconnaîtreque les proches disposent de compé-tences spécifiques (voir annexe 1), aumême titre par exemple que les presta-

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taires de soins, ce qui les rend incontour-nables au sein d’une alliance œuvrant àl’aboutissement d’un projet de santémentale.

Reconnaissance des besoins

Les signataires s’engagent à prendre encompte les difficultés vécues à de nom-breux niveaux par les proches. C’estavec eux qu’une réponse adaptée à leursbesoins (voir annexe 2) doit être trouvée.

Information et communication

Les signataires s’engagent à veiller à ceque les proches, tout comme les autrespartenaires, puissent accéder aux infor-mations dont ils ont besoin, mais aussitransmettre aux autres acteurs cellesqu’ils détiennent. Une communicationefficace exige des moyens, notammenten termes de structures concrètes per-mettant l’échange.

Autonomie

Les signataires s’engagent à promouvoirl’autonomie des différents partenairesengagés autour d’un projet collectif desanté mentale et en particulier celle des proches.

Les sources d’interférence empêchantun fonctionnement serein (émotionsdouloureuses, doutes, etc.) doivent êtrediscutées et prises en compte dans unclimat de confiance et d’entraidemutuelle.

Esprit de famille

Les signataires s’engagent à agir pour lapréservation de l’intégrité d’une familleconfrontée à la souffrance psychiqued’un de ses membres. Souvent menacé,le maintien de l’équilibre familial doitfocaliser toutes les attentions. A cettefin, les partenaires s’efforceront de pren-dre en compte les besoins de chaquemembre de la famille.

Sécurité

Les signataires s’engagent à favoriserl’application de meilleures conditions desécurité lorsque le proche ou tout autrepartenaire du réseau doit intervenir dansune situation d’urgence psychique ouencore dans un contexte de sortie d’hô-pital.

Psychiatrie et justice

Les signataires s’engagent à promouvoirun usage plus réfléchi et plus souple desrègles légales en matière de psychiatrie,qu’elles concernent le droit du patient etdes proches (directives anticipées, secretmédical...) ou les mesures de contraintes(placement à fin d’assistance, traitementforcé, hospitalisation non volontaire...).

Proches et prison

Les signataires s’engagent à promouvoirun changement dans les conditions devie des patients psychiques en milieucarcéral. La prison est un lieu contre-

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indiqué pour le traitement des patientspsychiques. Les proches, au même titreque tous les autres partenaires du réseau,doivent pouvoir collaborer et soutenirune dynamique de rétablissement quirespecte les choix du patient détenu enmatière de traitement. Les proches, toutcomme les autres partenaires, s’enga-gent aussi à garantir à la personneincarcérée la pérennité d’un lien socialapte à la maintenir dans un projet de vie.

Santé psychique, santé socialeet citoyenneté

Les signataires s’engagent à promouvoirune psychiatrie toujours plus humaine,en favorisant l’organisation et le fonc-tionnement de structures collectives quirespectent les principes et valeurs énon-cés plus haut. Dans ce domaine, lesproches sont souvent vecteurs d’initia-tives et leurs idées peuvent se révélerprofitables à tous.

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Quelques bases pour une charte des prochesPierre-Yves Maillard, conseiller d’Etat,directeur du DSAS, Vaud

J’ai donc pris connaissance des do-cuments qui m’ont été soumis et quiprésentent vos premières réflexions

pour l’élaboration d’une charte desproches.

D’abord, je trouve que ce travail est sti-mulant, car il interpelle le monde de lapsychiatrie. Il est bon que cette branchede la médecine, comme toutes lessciences d’ailleurs, soit de temps entemps remise en question par ceux quien bénéficient (ou la subissent, pour uneminorité). C’est de cette manière aussique les soins évoluent. Et pour preuve:la relation entre associations et spécia-listes de la psychiatrie a permis cesdernières années de faire une évaluationcritique de certaines pratiques, notam-ment liées à la contention et àl’hypostimulation. Des nouvelles limitesont été posées. Le Graap y a d’ailleurslargement participé, en publiant dansson journal Diagonales un dossier sur cesujet. Cet exemple illustre bien la néces-sité de créer des vases communicantsentre professionnels de la santé et grandpublic par la voie des associations.Dans vos bases pour une charte des

proches, vous proposez en quelque sortede reproduire cette dialectique, non pasà l’échelle générale, entre les institutionset les mouvements de défense ou dereprésentation des patients, mais à uneéchelle plus petite, dirais-je, à savoircelle des soins apportés au patient. Sil’approche systémique, qui inclut desinteractions entre institutions et associa-tions représentatives est considéréecomme positive, il existe de bonneschances pour qu’elle le soit aussi enmatière de soin des patients. La démons-tration me semble imparable.

Néanmoins, il faudra, dans nosréflexions futures, se méfier des faussesbonnes idées ou des mots porteurs d’il-lusions. En ce sens, pour reprendre vosbases pour une charte, il m’apparaît parexemple que, même si toutes les per-sonnes concernées de près ou de loin parla maladie psychique forment un cercleautour d’un problème, ils n’en restentpas moins inégaux face au problème.Vouloir l’ignorer, ce serait se tromper.Le patient est quand même atteint demanière plus forte que les autres par unproblème donné. Vouloir faire comme si

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tout le monde avait la même distance oula même relation à ce problème, ce seraitencore une fois commettre une erreur. Jepense qu’il sera nécessaire d’écarterclairement ces fausses bonnes pistes.Nourrir de telles illusions nous éloignedes vraies solutions.

Il faudra aussi reconnaître que tous lesacteurs en présence ne possèdent pas lemême statut. Quand j’étais enseignant,j’émettais souvent des réserves à proposdes «contrats» passés entre l’enseignantet l’élève. Pour moi, un bon contrat sefait, si possible, entre parties égales. Sices dernières sont trop inégales, il appar-tient alors à la loi de renforcer laposition du plus faible. Envisager quedeux parties inégales fassent un contratlibre entre elles, comme cela semble êtrele cas dans votre modèle, revient pourmoi à galvauder le sens des mots.

Votre réflexion contient l’idée très inté-ressante qu’un problème psychiatriquene peut bien se résoudre que si l’on intè-gre davantage de partenaires autres queles seuls soignants. Je pense effective-ment qu’il existe de nombreux appuis etressources susceptibles d’être mobilisés.

Des drames m’ont sensibilisé à cettequestion, je dois le dire. En effet, je mesuis entretenu avec des parents dontl’enfant s’est donné la mort à la sortied’une hospitalisation en établissementpsychiatrique. Ceux-ci m’ont fait part deleur colère et de leur frustration de nepas avoir été entendus et pris en comptepar le personnel soignant.

Ces témoignages doivent bien sûr êtreconsidérés avec précaution. Comme onle sait, les troubles psychiques de cer-tains patients peuvent s’expliquer par uncontexte familial difficile. Dans ces cir-constances, il est vrai que les médecinsencouragent parfois une certaine dis-tance entre le patient et ses proches. Ilspeuvent aussi, dans certaines situations,ne pas tenir compte de l’avis desfamilles; mais cela reste une exception.Le contact avec les proches est la plupartdu temps précieux en matière d’infor-mations sur le patient. Et je pense queles directeurs d’établissements psychia-triques du Canton de Vaud que j’ai eul’occasion de rencontrer l’ont bien com-pris et manifestent une véritableouverture vis-à-vis des proches. Pour ceque j’en sais, le travail de réseau a bienévolué et tient compte maintenant del’ensemble des ressources à disposition.

À ma connaissance, il existe en psychia-trie différentes approches qui intègrentplus ou moins l’environnement. Il mesemble que la psychiatrie s’est posé etcontinue à se poser de nombreuses ques-tions sur le rôle des proches. Mais là, jem’aventure sur un terrain qui outrepassemes compétences. Je peux par contreinsister encore fois sur l’aspect positifd’ouvrir la discussion sur ce sujet au-delà du cercle restreint desprofessionnels de la psychiatrie. Que cesoit à l’échelle générale des politiquesde soin, à celle des plans de traitementou encore des stratégies thérapeutiques,toutes les idées gagnent à être écoutéeset prises en compte. Il en résultera demeilleures connaissances sur le patient

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et son environnement. Sur cette base, onpourra alors mobiliser les ressources ou,le cas échéant, créer des distances pourfavoriser le traitement. La connaissancedu patient et la mobilisation des per-sonnes concernées par sa situation nepeuvent pas nuire, j’en suis à peu prèsconvaincu. Modestement, c’est ce que jepourrais me permettre d’affirmer ici demanière assez catégorique, sans pourautant me prononcer sur un dessein déjàprécis de cette charte et des évolutionsque vous proposez dans les approchesthérapeutiques.

Je souhaite encore ajouter que dansnotre Département, nous avons de plusen plus conscience de l’importance stra-tégique de ceux qu’on appelle lesproches aidants ou les aidants naturels.Ils jouent un rôle central dans toutessortes de pathologies qui impliquent uneperte d’autonomie: je pense bien évi-demment aux troubles psychiques, auxhandicaps physiques, mais aussi à lamaladie d’Alzheimer, pour ne citer quecelle-ci. Ces réseaux de proches doiventêtre soutenus, cela est clair, et il vaut lapeine de réfléchir à la manière de lesappuyer au mieux.

En partenariat avec la Commission can-tonale des proches aidants, nousessayons de définir une politiquepublique de soutien aux proches aidants.Des subventions importantes ont déjàété allouées à diverses associations quicontribuent, par leur engagement et leursefforts, à apporter un appui aux proches.Aidés, ces derniers seront aptes à soute-nir leur malade sur une plus longue

durée. Il s’agit aussi de réduire le risquequ’ils tombent eux-mêmes malades,comme cela arrive malheureusementsouvent. Leur éviter ce risque est à monsens un devoir moral.

D’un point de vue économique mainte-nant, précisons aussi que l’apport desproches aidants représente, en Suisse,une économie de deux à trois milliardsde francs chaque année. C’est dire à quelpoint il vaut la peine de soutenir finan-cièrement leurs prestations. Celles-cisont aussi décisives pour l’équilibre denotre système de soin qui ne peut, et nepourra probablement jamais, se substi-tuer complètement à l’entourage.

Pour autant, nous sommes aussiconscients que l’entourage a été énor-mément sollicité ces dernièresdécennies. Il représentait parfois la seuleressource des malades avant que l’Étatne décide d’investir dans les systèmes desoin.

En ce qui concerne le budget de la santé,je pense maintenant qu’il faut redéfinircertaines priorités. J’ai parfois le senti-ment que des dizaines de millions sontfacilement alloués pour augmenter lescapacités hospitalières, en lien avec lacroissance démographique, mais qued’un autre côté, on peine toujours àdébourser les quelques centaines de mil-liers de francs pour favoriser lessolutions à domicile. J’essaye depuisplusieurs années d’attirer l’attention demes concitoyens sur ce problème. Àmon sens, un million de francs donnésaux proches aidants pourrait justement

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nous en éviter deux ou trois de dépensesen lits d’hôpital ou en hébergementmédico-social. Rappelons d’ailleursqu’en développant les soins à domicile,le Canton de Vaud est parvenu à réduirel’hébergement médico-social à plus de30% en dessous de la moyenne suisse ennombres de lits par millier d’habitants.D’ailleurs, il me semble que les per-sonnes concernées souhaitent pouvoirrester à domicile le plus longtemps pos-sible.

Je pense finalement que vos réflexionssur la place des proches trouveront unbon lieu de discussion dans la Commis-sion cantonale des proches aidants. Ellescontribueront à stimuler nos propresréflexions dans le domaine de la psy-chiatrie, mais aussi, plus largement, dansle domaine de la politique sanitaire.

Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que jepouvais dire en conclusion.

Je vous remercie beaucoup de votreattention et vous souhaite plein succèsdans vos travaux.

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Présence et engagement au quotidien

Fidélité et persévérance

Liés affectivement aux malades, lesproches s’engagent au quotidien avecdétermination et persévérance pour leurrétablissement.

En cas de rechute du malade, ils nel’abandonnent pas, mais sont prêts àredoubler d’effort pour que son état desanté s’améliore.

Grâce aux proches, le malade se saitaimé et accompagné, quoi qu’il arrive.Seul, il dramatiserait sa situation et neparviendrait plus à voir positivement lavie.

Écoute et empathie

Respectueux et prêtant une oreille atten-tive au malade, les proches luipermettent de mettre des mots sur sonressenti, ce qui contribue à l’apaiser et àcréer autour de lui un climat plus posi-tif.

Compréhension et acceptation

Les proches font preuve de compréhen-sion vis-à-vis du malade.

Ils savent par ailleurs accepter la situa-tion et lâcher prise lorsque cela devientnécessaire. En ce sens, ils connaissentleurs propres limites et se comportent enpersonnes responsables et conscientes.

Espoir

Convaincus qu’un meilleur avenir attendle malade, les proches incarnent et mani-festent l’existence d’un espoir derétablissement. Les proches parviennentà lui faire renoncer à ses idées noires etlui laissent entrevoir des lendemainsmeilleurs.

Identification et mobilisation des ressources

Connaissant bien le malade et entrete-nant avec lui un lien de confiance, lesproches l’aident à stimuler ses propresressources et le rendent attentif à sescompétences pour rebondir, ne le lais-sant pas sombrer dans l’abattement. Ilsconnaissent la partie «non malade» qui

ANNExE 1:Compétences des proches

Synthèse des ateliers romands

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subsiste chez l’être aimé et qui doit êtrestimulée.

Gestion du quotidien

L’engagement des proches au côté dumalade s’exprime aussi dans les tâchescourantes: préparation des repas, main-tien de l’hygiène, suivi de la médication,gestion administrative, etc.

Témoin et observateursocial

Discernement

La fréquentation quotidienne du maladea permis aux proches de développer cer-taines stratégies pour contrer le désarroide l’être aimé. Il peut s’agir de mots oude gestes tout simples, mais qui sontefficaces et utiles pour le bien-être dumalade.

Intuition

En tant que témoins de l’évolution dumalade, les proches ont appris,consciemment ou pas, à repérer les dif-férents signes ou manifestationsannonciateurs d’une période mieux-êtreou d’une dégradation de son état desanté. Sans pouvoir dire toujours pour-quoi, ils se montrent capables de prévoirl’arrivée d’une crise psychique parexemple.

Ils savent aussi d’instinct quand lemalade a besoin d’être seul, ou alorsd’échanger.

Constance et permanence du lien

Véritables fils rouges dans l’histoire dela personne malade, les proches sont lesgarants de la continuité de son évolu-tion. En effet, le malade, lorsqu’il estdécouragé, a tendance à ne pas voir lesprogrès effectués. Les proches, en tantque témoins privilégiés de son évolu-tion, pourront le valoriser en luirappelant le chemin parcouru.

Maintien du lien social

En organisant différentes activités etrencontres avec d’autres personnes, lesproches offrent au malade la possibilitéde maintenir des liens et des contactsavec l’extérieur, lui évitant par là lesconséquences négatives d’une désinser-tion sociale.

Fédérateur social

Promotion de la cause des proches

Par son engagement auprès du malade,les proches contribuent à promouvoirune nouvelle image des troubles psy-chiques et des personnes qui y sontconfrontées. Actifs et engagés en faveur

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de cette cause, ils permettent en outre àtous les proches de reconnaître le rôleparticulier qu’ils peuvent jouer.

Citoyenneté

Confrontés au quotidien à la maladiepsychique, les proches solidaires parti-cipent à un changement de regard de lasociété sur les troubles psychiques etfacilitent le dialogue entre personnesconcernées, leur proposant de s’unirpour faire évoluer les mentalités et lesstructures. Bien insérés dans le tissusocial et la vie locale, les proches contri-buent à promouvoir un meilleur vivreensemble.

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Reconnaissance et intégration dans le réseau de soin

Reconnaissance d’un statutd’acteur

Les proches ont souvent de la peine àfaire entendre sa voix auprès d’un réseaude soin qui ne leur reconnaît pas tou-jours des compétences et un rôle propresou qui les perçoit parfois comme desfreins au rétablissement. Cette mise àl’écart ne se justifie pas et c’est seule-ment en intégrant les proches en tantqu’acteurs centraux qu’un projet desanté mentale abouti pourra voir le jour.

Changement de posture des partenaires

Se considérant parfois comme omnis-cients, certains professionnels de lasanté ne collaborent pas ou peu avec lesproches, dont la parole se trouve dépré-ciée ou disqualifiée d’avance. Uneré-humanisation des rapports entre soi-gnants et proches constitue une desconditions sine qua non à un dialoguenourri de confiance.

Communication et circulation de l’information

Les proches ne savent pas toujours à quis’adresser pour obtenir les informationsqu’ils recherchent ou pour transmettrecelles qu’ils ont en leur possession. Entant que partenaires actifs, ils doiventpouvoir communiquer avec le personnelsoignant, de même qu’avec les différentsintervenants impliqués dans la prise encharge du malade.

Pour que ces échanges soient productifs,les soignants veilleront à être bien com-pris des proches et à faire une utilisationmoins rigide du secret médical, en serappelant que ce dernier sert avant toutles intérêts du patient.

Partage des responsabilités

Souvent, les proches sont seuls face auxdécisions à prendre concernant lemalade. C’est notamment le caslorsqu’ils doivent eux-mêmes choisir defaire hospitaliser ou pas le malade.

Un partage de cette lourde responsabilitéentre les différents partenaires du réseauest dès lors nécessaire.

ANNExE 2:Besoins des proches

Synthèse des ateliers romands

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Investissement du réseau ensituation carcérale

Ne bénéficiant que de rares contactsavec leurs proches, confrontés parfois àun vide sanitaire, les détenus souffrantde troubles psychiques ne peuvent pasêtre pris correctement en charge. Il esturgent que les équipes d’aide et de soins,mais aussi les proches, puissent mieuxinvestir le milieu pénitentiaire.

Soutien

Apprendre à gérer ses émotions

Les proches confrontés à la maladie psy-chique ressentent toute une gamme desentiments et d’émotions qui nuisent àleur bien-être: colère, tristesse, culpabi-lité, impuissance... Les proches ont ence sens besoin d’autant d’attention et desoins que le malade. Leur santé et leuréquilibre personnel et familial en dépen-dent. Leur apprendre à gérer cesémotions négatives leur permettra derelâcher la pression, d’économiser leursressources et d’aider avec plus de jus-tesse et de mesure.

Se reposer sur d’autrespersonnes

Les ressources physiques et morales desproches ne sont pas illimitées. Souventépuisés, ils ne sont plus capables defournir une aide appropriée et mettent en

péril leur propre équilibre. Pouvoircompter sur l’intervention de personnes-relais dans ces moments-là est essentiel,que ce soit pour mettre des mots sur leursituation, capter un peu de chaleurhumaine ou pour prendre simplement unpeu de repos.

Mobilisation de l’entourage des proches

Face à la détresse des proches, leurentourage (amis, collègues de travail,voisins...) pourrait leur offrir un soutien.Par peur de la maladie psychique, celles-ci ne s’impliquent malheureusement pasassez, ce qui contribue à l’isolementsocial des proches.

Démarches administratives et juridiques

Helpline 24 h sur 24

La création d’une structure de soutienaccessible en tout temps permettrait auxproches confrontés à des situations decrise ou d’urgence psychiatrique debénéficier d’une part de conseilsconcrets sur l’attitude à adopter ou lesdécisions à prendre et, d’autre part,d’exprimer leur ressenti.

Check-list

La création d’une check-list desdémarches administratives, juridiques,

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comportant également l’ensemble desadresses ressources permettrait auxproches d’obtenir plus facilement lesinformations dont ils ont besoin. Cettecheck-list doit pouvoir être accessiblesur les sites Internet des associations etdes institutions médico-psychosociales.

Service juridique romand spécialisé

Il s’agit par cette mesure de compléterl’assistance offerte par Pro Mente Sanaet de proposer aux proches un servicequi puisse non seulement les informer,mais aussi instruire les dossiers juri-diques.

Déstigmatisation de la maladiepsychique

Par honte, les proches préfèrent encoretrop souvent cacher qu’un des leurssouffre de maladie psychique. Uneméconnaissance des troubles psychiquescontribue à les ériger en tabous. Mieuxcompris, ils feraient moins peur et sus-citeraient de l’empathie plutôt que de laméfiance. Les proches seraient alorspeut-être mieux soutenus et leur rôledans le tissu social reconnu et valorisé.

À nouveau dignes, les proches n’au-raient plus de comportements de déni oude honte face à la maladie et oseraienten parler, demander de l’aide ou fré-quenter des groupes de paroles.

Enfant de patient psychique

Les enfants de patients psychiquesnécessitent une prise en charge particu-lière. En raison de leurs liens affectifsavec le malade, ils doivent être reconnuscomme des partenaires à part entière.

Les professionnels doivent s’informerde l’existence ou pas d’enfants dansl’entourage du malade et s’assurer qu’ilsbénéficient eux aussi d’un soutien.

Il existe différents supports d’informa-tion adaptés à l’âge de chaque enfant etqui peuvent répondre de manière appro-priée à leurs nombreuses interrogations.Ce type de matériel doit être diffuséauprès des professionnels de la santé,des enseignants et des médiateurs sco-laires, afin que les enfants concernés yaient accès.

Une personne neutre doit être désignéepour suivre et accompagner l’évolutionde chaque enfant. Il se souciera de sonvécu et lui permettra d’exprimer sesémotions, mais l’aidera aussi à décou-vrir ses propres compétences et à lesdévelopper.

Engagement politiqueen faveur des proches

S’il est bien reconnu que l’apport desproches permet de réaliser des écono-mies importantes, leur rôle ne se limitepas uniquement à ceux d’aidants. Au

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même titre que les partenaires de soin,eux aussi ont des compétences à fairevaloir. Le monde politique est appelé àprendre conscience que les proches nesont pas que des prestataires de soinsnon patentés, mais avant tout des per-sonnes pleines d’idées innovantes et deconscience sociale.

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ImpressumEditeurGraap

Responsable d’éditionJoël Meylan

Mise en pagesJoël Meylan

Retranscription et adaptationJoël Meylan

CorrectionJoël Meylan

PhotosMatthieu Gigon

Retouches photosJoël Meylan

ImpressionSprint Votre Imprimeur,Yverdon-les-Bains

© Tous droits réservés

Vente au numéro15 fr.Banque CantonaleVaudoiseCCP 10-725-4IBAN CH 08 0076 7000A053 0378 9

Quand la maladie psychique frappe,cinq lieux où parler!

Graap LausanneRéception et directionDu lundi au vendredi, 9 h - 12 h, 14 h - 17 hRue de la Borde 25, Case postale 6339 - 1002 LausanneTél. 021 647 16 00 - Fax 021 641 25 [email protected], www.graap.ch

Accueil, ateliers, animations

Restaurant Au Grain de SelRue de la Borde 23Tél. 021 646 95 98 (cabine)Du lundi au vendredi, 7 h 30 - 20 hDimanche, jours fériés, 8 h 30 - 20 h

Le CybermagAccueil, kiosque et cybercaféDu lundi au vendredi, 9 h - 17 hSite de Cery - 1008 PrillyTél. et fax 021 647 03 89

La RoselièreAccueil, ateliers, animations / RestaurantDu lundi au vendredi, 9 h - 17 hRue de la Roselière 6 - 1400 Yverdon-les-BainsTél. 024 426 34 33 - Fax 024 426 34 37

La BergeAccueil, ateliers, animationsDu lundi au vendredi, 8 h 30 - 11 h 30, 13 h 30 - 16 h 30Route de Divonne 48 - Centre Articom, 2e étage - 1260 NyonTél. 022 362 16 45 - Fax 022 362 16 14

La RiveAccueil, ateliers, animationsDu lundi au vendredi, 9 h - 12 h, 14 h - 17 hCafétéria: du lundi au vendredi, 8 h 45 - 15 h 30Rue du Mûrier 1 - 1820 MontreuxTél. 021 965 15 20 - Fax 021 965 15 22

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Avec nos remerciements pour leur soutien financier

Remerciements

C’est avec reconnaissance et gratitude que nous adressons ici nos remerciements aux membres du

Comité scientifique de ce congrès, à savoir:

— M. Lazare Benaroyo, Professeur associé en éthique et philosophie, Faculté de biologie et de méde-

cine de l’Université de Lausanne, Président

du département interfacultaire d'éthique;

— Mme Eliane Bovitutti, Directrice Le Rôtillon;

— M. Jean-Michel Kaision, Directeur des soins infirmiers, DP-CHUV;

— M. Yasser Khazaal, Président SSPS section romande;

— Mme Delphine Pernet, Travailleuse sociale, responsable RH-AI, Polyval;

— Mme Mercedes Pône, Chargée de mission, SASH;

— Mme Madeleine Pont, Directrice du Graap;

— Mme Virginie Stucki, Professeur HES;

— Mme Barbara Zbinden, Formatrice, coordinatrice de la CORAASP.

L’engagement et le soutien de chacun de ces membres ont largement contribué au succès de ce Congrès

du Graap 2011.

Les textes de cette brochure ont fait l’objet d’une transcription sur la base

des enregistrements réalisés lors des deux journées de notre congrès ou nous ont

été aimablement communiqués par les intervenants. Les versions les plus longues

sont publiées ici sous forme résumée.