2003-04 Apprentissage systémique et stratégique...

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__________________________________ Copyright © 2003 – HEC MONTRÉAL. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série des cahiers de recherche de la Chaire d’entrepreneurship Maclean Hunter n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Ce texte présente une synthèse partielle du cadre conceptuel que l’auteur a développé pour son examen de synthèse dans le cadre de son projet de recherche pour sa thèse de doctorat à HEC Montréal (2000-2001). Apprentissage systémique et stratégie de PME par Edmilson de Oliveira Lima Cahier de recherche 2003-04 Sous la direction du professeur Louis Jacques Filion Avril 2003 ISSN: 0840-853X

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Ce texte présente une synthèse partielle du cadre conceptuel que l’auteur a développé pour son examen de synthèse dans le cadre de son projet de recherche pour sa thèse de doctorat à HEC Montréal (2000-2001).

Apprentissage systémique et stratégie de PME

par Edmilson de Oliveira Lima Cahier de recherche 2003-04 Sous la direction du professeur Louis Jacques Filion Avril 2003 ISSN: 0840-853X

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TABLE DE MATIÈRES

Résumé........................................................................................................................................... iii

Introduction .....................................................................................................................................1

PARTIE 1 – LA SYSTÉMIQUE ET L’APPRENTISSAGE EN RÉPONSE AUX LIMITES EN STRATÉGIE DE PME ...................................................................................................................2

1.1- Les limites de la perspective prédominante en stratégie de PME ..........................................2

1.2- La systémique à la hauteur de la complexité dans le monde actuel des organisations et des affaires .............................................................................................................................................3

1.3- Quelques atouts du concept d’apprentissage ..........................................................................4

1.4- Apprentissage organisationnel : concepts et considérations de base.....................................5

1.5- Apprentissage organisationnel : trois axes de convergence...................................................7

1.5.1- La distinction entre les types d’apprentissage organisationnel...........................................7

1.5.2- L’apprentissage organisationnel à partir de l’apprentissage individuel ............................8

1.5.3- Processus subjectifs et comportementaux de l’apprentissage organisationnel ..................9

PARTIE 2 – VERS DES MODÈLES DESCRIPTIFS DU MANAGEMENT STRATÉGIQUE DE LA PME...................................................................................................................................11

2.1- Modèle SSM pour le processus stratégique de PME............................................................11

2.2- Perspective systémique du management stratégique de PME..............................................12

2.3- Modèle d’apprentissage stratégique à partir de la SSM de Checkland ...............................14

2.4- Apprentissage en boucle unique et en boucle double en stratégie de PME ........................17

PARTIE 3 – L’APPRENTISSAGE : DE D’INDIVIDU À L’ORGANISATION.......................18

3.1- Apprentissage expérientiel et apprentissage anticipé ...........................................................18

3.2- Le partage stratégique en contexte de PME et son «sensegiver» central ............................22

3.3- Apprentissage stratégique en PME selon l’optique du propriétaire-dirigeant ....................26

PARTIE 4 – APPRÉCIATION DE L’APPROCHE D’APPRENTISSAGE SYSTÉMIQUE....31

4.1- Intégration des modèles .........................................................................................................31

4.2- Réponse au besoin de conciliation volontarisme-déterminisme en PME............................32

4.3- Réponse au besoin d’une approche globale en stratégie de PME .......................................33

4.4- L’autopoïèse en stratégie de PME – une approche faisable? ..............................................34

4.5- Conclusion..............................................................................................................................36

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APPRENTISSAGE SYSTÉMIQUE

ET STRATÉGIE DE PME1

RÉSUMÉ

Ce texte aborde l’apprentissage systémique en relation avec le processus stratégique en contexte de PME. La caractéristique centrale de cette approche est l’utilisation du concept d’apprentissage ancré dans la théorie des systèmes. Son objectif est d’apporter quelques éléments de réponse à deux questions de base en stratégie de PME : quelle approche en stratégie pourrait être compatible avec la complexité et le dynamisme de la réalité des PME? Comment se déroule le processus de gestion stratégique en contexte de PME? À cause de ses limites, la perspective prédominante en stratégie de PME qui est rationnelle-analytique et normative ne répond pas à ces questions. Six forces de l’approche de l’apprentissage systémique sont ici présentées et discutées : (1) cette approche est appropriée pour la recherche descriptive en stratégie; (2) la systémique convient pour rendre compte de la complexité, des turbulences et de la dynamique du monde actuel des affaires; (3) le concept d’apprentissage a des atouts importants, peu exploités en stratégie de PME, qui le rendent prometteur; (4) par sa nature différenciée, l’utilisation d’une telle approche peut mettre en lumière des aspects encore obscurs dans le domaine; (5) l’approche permet de faire une conciliation nécessaire en stratégie de PME des forces déterministes et volontaristes; (6) l’approche correspond bien à la condition du dirigeant de PME, dont le processus de gestion peut être associé à l’approche systémique. Ce texte s’appuie sur une démarche plutôt conceptuelle et propositionnelle.

1 L’auteur remercie le professeur Louis Jacques Filion pour ses précieux commentaires et conseils sur une version antérieure du travail. Toutefois, l’auteur assume seul la responsabilité des idées exprimées dans le présent texte.

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APPRENTISSAGE SYSTÉMIQUE ET STRATÉGIE DE PME

INTRODUCTION

Traditionnellement, le champ de l’administration a grandement été influencé par le rationalisme. Cela est facilement identifiable dans certaines perspectives managériales qui sont en vigueur dans les entreprises partout dans le monde. En stratégie, la perspective traditionnelle en est un bon exemple. Cette perspective regroupe les courants de la planification, du design, du positionnement ainsi que leurs dérivés. Ces courants ont le processus rationnel-analytique, le formalisme et le caractère normatif comme caractéristiques centrales. Malgré leurs contributions, plusieurs auteurs ont mis en évidence les limites de ces courants (par exemple, Calori, 1998; Hamel et Prahalad, 1995; Mason et Mitroff, 1981; Mintzberg, 1994).

Actuellement cette perspective qui est peu compatible avec le besoin de flexibilité des entreprises et avec le dynamisme des changements du monde des affaires fait face à son plus grand problème. Cela est particulièrement problématique dans le cas des PME (d’Amboise, 1997). La perspective traditionnelle qui n’est pas descriptive mais normative domine en stratégie de PME. Face à ce scénario, il y a un besoin pour approfondir les recherches et répondre à deux questions de base en stratégie de PME : quelle approche en stratégie pourrait être compatible avec la complexité et le dynamisme de la réalité des PME? Comment se déroule le processus de gestion stratégique en contexte de PME?

À partir d’une démarche conceptuelle et propositionnelle, notre objectif est d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Une approche qui s’appuie sur le concept d’apprentissage et sur la théorie des systèmes (ce que nous appelons approche d’apprentissage systémique) est spécialement utile pour l’étude descriptive en stratégie. Le concept d’apprentissage et la systémique présentent des atouts qui les rendent compatibles avec le dynamisme et la complexité du monde des affaires auxquels l’administration des PME fait face. En exploitant ces atouts, nous proposons un modèle systémique qui décrit la gestion stratégique en contexte de PME comme un processus à la fois de production d’apprentissage stratégique en contexte de PME et de changement pour assurer la co-évolution de la PME avec son environnement complexe et dynamique. Ce modèle est développé par l’application des notions de base de la méthodologie des systèmes souples de Checkland et Scholes (1999). De plus, associé à d’autres modèles il explique le passage de l’apprentissage du niveau individuel à celui de l’ensemble des membres de la PME de façon à produire l’apprentissage stratégique organisationnel.

Nous utilisons les appellations «gestion stratégique» et «management stratégique» de façon interchangeable dans ce travail. Ce texte présente une synthèse partielle du cadre conceptuel que nous avons développé dans notre examen de synthèse et dans notre projet de recherche de doctorat à HEC Montréal dans les années 2000-2001. Notre champ d’intérêt est la stratégie de PME. Nos réflexions sont issues de l’étude des écrits surtout en systémique et en gestion (notamment sur la stratégie et la PME), de notre vécu en milieu entrepreneurial depuis l’enfance ainsi que du début de notre analyse de données empiriques (obtenues au Brésil et au Canada) dans le cadre de notre recherche doctorale.

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PARTIE 1 – LA SYSTÉMIQUE ET L’APPRENTISSAGE EN RÉPONSE AUX LIMITES EN STRATÉGIE DE PME

1.1- Les limites de la perspective prédominante en stratégie de PME

Le domaine de la stratégie est marqué par une perspective rationaliste qui inspire l’application du «génie social» à la compréhension des phénomènes psychosociaux. Selon la perspective traditionnelle en stratégie le modèle d’analyse stratégique SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats) est un exemple de l’influence du «génie social» en stratégie. Cette perspective regroupe le courant de la planification animé par Ansoff (1965), celui du design animé par Andrews (1987) et Learned et al. (1965), celui du positionnement animé par Porter (1980, 1985) ainsi que leurs dérivés. Le modèle SWOT et toute la perspective traditionnelle s’inspirent des bases théoriques héritées d’Aristote et de Descartes qui propagent l’idéal de la séparation entre l’esprit et la matière, entre la pensée et l’action, en plus de l’idéal de recherche de solutions aux problèmes à travers l’analyse basée sur la fragmentation de la réalité (Calori, 1998).

Peu compatible avec le besoin de flexibilité des entreprises et avec le dynamisme des changements environnementaux (d’Amboise, 1997; Mintzberg, 1994) la perspective traditionnelle en stratégie fait face à un grand problème. Au cœur même des groupes universitaires qui soutiennent la perspective traditionnelle, des chercheurs se questionnent sur le potentiel de la perspective traditionnelle face au niveau actuel de complexité de l’environnement des entreprises. Dans Planning Review, le périodique de la International Society for Strategic Management and Planning, certains universitaires se demandent si faire de la stratégie de façon traditionnelle devient obsolète dans l’environnement chaotique qui caractérise le monde des affaires (Reimann et Ramanujam, 1992).

La capacité rationnelle-analytique d’un acteur stratégique qui agit selon les préceptes traditionnels en stratégie est fragile face à la complexité croissante qui caractérise le monde contemporain du management. La rigidité et la formalité de la perspective traditionnelle vont à contresens avec le besoin de flexibilité des entreprises. De plus, l’exercice de prévision avec précision, si important dans cette perspective, reste fragile face aux turbulences environnementales qui réservent beaucoup de surprises aux dirigeants. Tout cela est particulièrement problématique dans le cas des PME (d’Amboise, 1997).

Parmi les caractéristiques des PME qui rendent difficile l’utilisation de la perspective traditionnelle en stratégie, il faut noter un bon nombre de particularités : (1) la fragilité de ces organisations; (2) la limite des ressources, comme le personnel et la disponibilité financière; (3) à cause de sa centralité, le propriétaire-dirigeant est souvent trop accaparé par le niveau opérationnel et son temps pour réfléchir et travailler à la stratégie s’en trouve comprimé; (4) la flexibilité structurelle est une caractéristique stratégiquement centrale des PME.

Ces remarques se répètent dans de nombreux travaux (par exemple, d’Amboise, 1997; Marchesnay, 1991; Miller et Toulouse, 1986; Patterson, 1986). Patterson fait remarquer que de faibles ressources financières et un manque de temps sont les obstacles majeurs que les dirigeants de PME rencontrent lors du processus de planification stratégique. Associés à un besoin de réponses rapides face aux défis d’un environnement turbulent, ces facteurs poussent les PME à diminuer sensiblement l’écart temporel entre la décision stratégique et sa mise en œuvre. Cette situation est plus propice à la réflexion-dans-l'action (reflection-in-action – Schön, 1983) et à l’improvisation qui se basent plus sur l’intuition que sur l’exercice de l’appréciation analytique formelle, typique de la perspective traditionnelle en stratégie. Marchesnay (1991) et Wyer et Mason (1998) mettent l’accent sur la complexité, la turbulence et les changements continuels propres au contexte des affaires. Selon eux, ces éléments font appel à l’apprentissage plutôt qu’aux approches formelles et rationnelles en stratégie de PME. Dodgson (1991) conclut que la capacité d’apprendre rapidement est un facteur clé pour le succès des grandes et des petites

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entreprises dans un environnement où les changements sont rapides comme c’est le cas dans le secteur des biotechnologies.

La PME doit avoir une façon souple de se structurer et de se restructurer plutôt qu’une façon mécanique et hiérarchisée. La flexibilité est le fondement de sa stratégie (Kao, 1989) qui, par conséquent, n’est pas propice à une gestion stratégique basée sur des processus formels-analytiques. Dans ce cadre, la perspective traditionnelle peut produire la «paralysie par analyse» (paralysis by analysis, selon Langley, 1995) des PME entraînant des pertes significatives pour ces organisations.

Bhidé (1996) indique que l’exercice de l’analyse stratégique formelle n’est guère compatible avec la dynamique des PME, surtout chez celles qui sont en phase de démarrage ou en croissance rapide. L’auteur cite une étude de la National Federation of Independent Business, aux États-Unis, qui porte sur 2 994 entreprises en démarrage. L’étude indique que les fondateurs qui ont passé beaucoup de temps sur l’appréciation, la réflexion et la planification n’ont pas su assurer la survie de leur entreprise au-delà de trois ans. Par contre, le taux de réussite des dirigeants qui ont saisi des opportunités de marché sans planification était plus significatif.

Malgré toutes ses limites dans le contexte particulier des PME, la perspective traditionnelle demeure la plus diffusée en stratégie de PME (Hanlon et Scott, 1995; McCarthy et Leavy, 2000). Les limites que nous venons d’exposer font en sorte que la perspective traditionnelle ne peut pas être utilisée effectivement dans ce contexte des PME. Critiquant la planification stratégique, Quinn (1980) soutient que : «…most important strategic decisions seem to be made outside the formal planning structure, even in organizations with well-accepted planning cultures. This tendency is especially marked in highly entrepreneurial or smaller enterprises.» (p. ix; en italique dans le texte, les caractères gras sont de l’auteur). Ces constations troublantes donnent naissance au courant de l’apprentissage en stratégie et que l’on retrouve dans son travail sur l’incrémentalisme logique. Selon d’Amboise et Bakanibona (1990), plusieurs études ont révélé que les dirigeants de PME sont plus intéressés par la planification opérationnelle que par la planification stratégique.

Il faut aussi mentionner que la perspective traditionnelle est positiviste et normative. Elle ne décrit pas comment le processus stratégique se fait mais comment il doit être fait. Face à ce scénario, il est naturel de croire que les questions relativement simples tout comme les plus fondamentales en stratégie de PME requièrent encore de nombreuses recherches. Comment se déroule le processus de management stratégique en contexte de PME ? Cette question que se posent de nombreux chercheurs intéresse particulièrement Boussouara et Deakins (1999), Hanlon et Scott (1995) et McCarthy et Leavy (2000) qui ont souligné le besoin d’y répondre1.

1.2- La systémique à la hauteur de la complexité dans le monde actuel des organisations et des affaires

Comme nous le disent Ackoff (1981) et Pauchant (1997), les approches rationnelles-analytiques en gestion ne sont pas à la hauteur des défis des problématiques complexes (mess pour Ackoff) qui caractérisent le monde turbulent des affaires et des organisations. Justement, utilisant son travail et ses recherches, Checkland (1999) propose la méthodologie des systèmes souples pour décrire, évaluer et améliorer les processus de résolution de problèmes et d’apprentissage en management. En effet, la complexité est la qualité de ce qui ne peut pas être compris selon les techniques rationnelles-analytiques d’appréciation de la réalité et de résolution de problèmes (Ackoff, 1981; Pauchant, 1997). Soutenant cette même idée, Mason et Mitroff (1981) soulignent que la complexité engendre les problèmes du monde réel. En réponse à cette complexité, «il est indispensable de disposer d’une autre grille de lecture que celle qui a si bien convenu pour faire des machines à vapeur, des automobiles ou même des centrales nucléaires»

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(Schwarz, 1994, p. 16). La façon newtonienne de faire est applicable aux problèmes de l’âge des machines tandis que la complexité exige un traitement, dirait Ackoff (1981), en rapport avec l’âge des systèmes.

Comme l’exprime Checkland (1999), une «approche dure» ne fait pas justice aux besoins des «phénomènes mous» typiques dans la sphère sociale2. Au-delà du paradigme prédominant de recherche en stratégie, il faut explorer les voies d’étude dont le cadre de référence pour la lecture de la réalité donne place aussi à ce qui est esthétique, à la synthèse et à l’intuition pour accéder à la complexité. Comme le mentionne Pauchant (1997, p. 8), la perspective systémique est moins analytique que synthétique et «vise à cerner la globalité d’un système et à le mettre en contexte : elle essaye de mieux comprendre les relations multiples (…) qui composent l’ensemble étudié». Pour dépasser les limites des approches selon lesquelles les acteurs stratégiques en management sont pleinement rationnels, la systémique est une voie très prometteuse. Elle est à la hauteur pour le faire puisqu’elle est synthétique plutôt qu’analytique (Pauchant, 1997).

Une autre caractéristique fondamentale de la perspective systémique se rapporte au fait qu’elle est ancrée dans la personne. En d’autres mots, elle reconnaît que toute appréhension de la réalité est dépendante des caractéristiques de la personne qui perçoit. «Loin d’être abstraite, totalement objective et extérieure à un individu, cette approche réintroduit l’importance du corps, des émotions et de la cognition de chaque individu et de chaque groupe d’individus dans leurs relations avec le monde» (Pauchant, 1997, p. 10). Cela veut dire que la systémique est pleinement compatible avec une orientation épistémologique plutôt interprétative. Cette orientation s’avère nécessaire pour privilégier la perspective des propriétaires-dirigeants ainsi que leur empreinte sur la vie de la PME. Bien entendu, elle est aussi compatible avec la position du chercheur en management qui ne se voit pas en condition d’objectivité ni de neutralité strictes face au phénomène étudié.

Au-delà des limites de la perspective traditionnelle en stratégie que nous venons de citer, cette perspective offre une voie prometteuse pour répondre au besoin de recherche descriptive en stratégie de PME. Étant plutôt synthétique qu’analytique, elle permet de faire face à la complexité comme caractéristique du monde actuel du management et du contexte des PME (Ackoff, 1981; Checkland, 1999; Pauchant, 1997; Schwarz, 1994). Elle est tout à fait appropriée pour la description d’un processus dynamique et relationnel comme celui de la gestion stratégique. L’étude menée par Filion (1988, 1990, 1991) en est un bon exemple. Cet auteur s’est intéressé à la stratégie développée par des entrepreneurs à succès. En s’appuyant sur la méthodologie des systèmes souples de Peter Checkland, son modèle systémique (voir aussi Filion, 1999a) capte le phénomène étudié en explicitant sa dynamique processuelle. Dans un effort de recherche descriptive conduite par l’étude du processus stratégique plutôt que par le contenu stratégique, cette propriété est essentielle. Elle est l’une des caractéristiques de base de la systémique.

1.3- Quelques atouts du concept d’apprentissage

Malgré le besoin d’études descriptives dans le domaine et le fait que le courant de l’apprentissage soit particulièrement utile à cette fin, nous notons qu’il existe un grand vide dans l’exploration du courant de l’apprentissage en stratégie de PME.

Les études en stratégie selon la perspective de l’apprentissage attirent de plus en plus l’intérêt des chercheurs, notamment à cause de son potentiel conceptuel et pratique (Leavy, 1998). Comme l’indique Dodgson (1993), le concept est intéressant principalement en raison des facteurs suivants : (1) sa valeur analytique étendue qui se reflète dans le nombre toujours croissant de disciplines qui l’utilisent dans des domaines aussi différents que l’économie industrielle et le management stratégique ainsi que la théorie des organisations et la psychologie; (2) il est essentiellement dynamique dans sa propre nature et son

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utilisation dans le développement de théories souligne ainsi la nature continuelle du changement des organisations; (3) il est implicitement intégratif et apte à intégrer les niveaux individuel, organisationnel et sectoriel de l’analyse en gestion.

Comme Leavy (1998) le soutient, ces caractéristiques rendent le concept particulièrement attirant pour le domaine de la stratégie parce que :

“…in the strategy area, because the field of strategic management is itself inherently interdisciplinary (Meyer, 199; Rumelt et al., 1991; Prahalad and Hamel, 1994), and is concerned with multiple levels of analysis, from the individual and organization right through to the industry and international economy. The dynamic nature of learning, with its emphasis on change and continual renewal, is particularly apt in today's new economy, in which strategies must be continually developed in conditions of transition and non-equilibrium at industry level, where the static notions of strategy as decision making, positioning and fit are becoming less useful and appealing (Stalk et al., 1992; Hamel and Prahalad, 1993).”

Malgré tous ces avantages, l’utilisation du concept d’apprentissage en stratégie de PME demeure très restreinte, notamment dans une perspective systémique et descriptive. Dans notre examen des écrits en gestion, l’étude que nous avons identifiée et qui s’approche le plus de cette perspective est celle de (Filion 1996a, 1996b). Dans ce même examen des écrits, nous avons identifié peu d’études qui exploitent le concept d’apprentissage en stratégie de PME : Audet (1998, 2001), Filion (1996a, 1996b), Gibb (1997), Matlay (2000), Wyer (1997), Wyer et Mason (1998), Wyer, Mason et Theodorakopoulos (2000). Compte tenu des avantages qu’il présente, ce concept mériterait d’être mis plus en valeur comme moyen pour générer de nouvelles connaissances.

1.4- Apprentissage organisationnel : concepts et considérations de base

Les origines et les fondements théoriques de l’apprentissage organisationnel remontent aux travaux d’Argyris et Schön (1978), de Bateson (1972), de Cyert et March (1963) et de March et Olsen (1975). Dans les travaux d’Argyris et Schön (1978) et de Bateson (1972)3 en particulier, la théorie des systèmes se trouve à la base de l’émergence de la théorie de l’apprentissage organisationnel. En effet, à l’aide de l’article Historical Foundations of Organization Learning de Mirvis (1996), nous pouvons même conclure que la théorie de l’apprentissage organisationnel est liée à la théorie des systèmes.

Beaucoup d’études sur l’apprentissage organisationnel ont déjà été faites mais les théoriciens ont tendance à décrire ce processus de diverses façons. Nous présentons ici quelques définitions qui ont une certaine complémentarité l’une par rapport à l’autre. Nous présentons aussi quelques concepts, comme le concept d’images, qui sont déterminants dans ce domaine d’études. Pour Argyris et Schön (1978), l’apprentissage organisationnel a lieu quand les membres de l’organisation répondent aux changements de l’environnement interne et externe de leur organisation en détectant et en corrigeant les erreurs de leur logique d’action. Cette logique est déterminée par leurs images, particulièrement au niveau de la théorie-en-usage (theory-in-use) dont le changement implique l’apprentissage en boucle double en contraste avec l’apprentissage en boucle unique qui se passe au niveau de l’ajustement des comportements des individus. La théorie-en-usage gouverne ces comportements et tend à être une structure tacite (Argyris et Schön, 1974)4.

Comme l’explique Lichtenstein (2000), les images définissent les modèles tacites de comportement des individus (théorie-en-usage pour Argyris et Schön, 1978). Les images incluent les humeurs, les attitudes et les intentions sous-jacentes au processus de perception et forment le prisme au travers duquel nous regardons la réalité (Filion, 1991). Checkland (1999) et Checkland et Scholes (1999) utilisent le terme allemand weltanschauung pour se référer aux images tandis que Senge (1990) et Kim (1993a,

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1993b) les appellent modèles mentaux. Les images sont les articulations subjectives que des individus et des collectivités d’individus développent pour se donner un modèle mental pour comprendre et interpréter le fonctionnent des choses du monde réel qui les entourent (Boulding, 1956; Checkland et Scholes, 1999). Les images d’un individu regroupent les normes, les stratégies et les suppositions de base que celui-ci conçoit par rapport au monde réel. Elles sont des «models of the world which have claims to general validity» (Argyris et Schön, 1978, p. 10). Le plus souvent, les images sont tacites donnant forme et sens au comportement des individus sans qu’ils aient conscience de leur impact (Polanyi, 1967).

Le processus d’apprentissage organisationnel est cyclique. Les actions des membres de l’organisation génèrent des changements dans la réalité interne et externe de l’organisation. Les conséquences de ces changements, perçues et interprétées (par les membres qui entreprennent eux-mêmes les actions ou par des membres observateurs), peuvent être considérées comme des rétroactions du système d’activités de l’organisation. Les rétroactions positives motivent la continuité de la logique de fonctionnement du système d’activités et l’apprentissage qui en résulte se fait en boucle unique. Les rétroactions négatives motivent le changement de cette logique de fonctionnement, un changement qui implique l’apprentissage en boucle double. La logique de fonctionnement du système d’activités est déterminée par les images individuelles qui sont partagées par les membres de l’organisation. Ces images enregistrent leur théorie-en-usage ce qui veut dire qu’elles se maintiennent inchangées dans l’apprentissage en boucle unique tandis que leur changement est associé à l’apprentissage en boucle double (Argyris et Schön, 1978; Kim, 1993a, 1993b). Le concept d’images est fondamental chez tous les auteurs en théorie des systèmes souples ainsi que dans la perspective d’Argyris et Schön. Pour ces deux auteurs, ce sont les images individuelles et partagées qui enregistrent respectivement le résultat de l’apprentissage des individus en boucle double et de l’apprentissage organisationnel en boucle double. Si le résultat de l’apprentissage individuel en boucle double ne s’enregistre pas dans les images partagées, en les changeant nécessairement, l’apprentissage en boucle double n’est pas organisationnel, il est seulement individuel.

Le concept d’images est central aussi dans l’œuvre de Kim (1993a, 1993b) et de Senge (1990). Comme De Geus (1988), Senge et Kim utilisent l’appellation «modèles mentaux» (mental models) pour les images au niveau systémique de l’individu et «modèles mentaux partagés» (shared mental models) pour les images partagées au niveau systémique d’un groupe ou d’une collectivité de membres dans l’organisation. De Geus (1988) considère l’apprentissage organisationnel comme «the process whereby management teams change their shared mental models of their company, their markets and their competitors» (p. 70). Cela correspond à l’apprentissage en boucle double de l’œuvre d’Argyris et Schön (1978). Dans les travaux de Kim et de Senge, l’apprentissage organisationnel se construit par le partage d’images entre individus et entre les membres d’une organisation. Cela est cohérent avec le travail d’Argyris et Schön (1974, 1978). Dans les organisations, ce partage émerge de l’interaction des individus dans leurs activités5.

Pour Fiol (1994), l’apprentissage est un processus de modification de l’interprétation de la réalité qui, comme le soutient aussi Huber (1991), produit le changement des comportements potentiels de l’entité en question (un individu, des individus ou une organisation). Cela rejoint le concept d’apprentissage en boucle double d’Argyris et Schön (1978). Fiol (1994) soutient que l’apprentissage organisationnel, comme l’apprentissage individuel, implique aussi le développement d’interprétations différentes de la réalité. Elle utilise la définition de l’interprétation de Daft et Weick (1984) : un processus à travers lequel nous donnons un sens aux informations.

Miller (1996) souligne que certains types d’apprentissage peuvent être plutôt négatifs en plus de servir un objectif ou un dirigeant au détriment des autres. Pour Fiol et Lyles (1985), les résultats de l’apprentissage, particulièrement de l’apprentissage en boucle double, sont parfois dysfonctionnels. Comme le décrit Fiol (1997), il arrive souvent que les employés apprennent beaucoup sur la manière d’éviter les responsabilités et sur la façon de minimiser l’effort au travail. Ce désapprentissage peut être

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l’une des conséquences les plus importantes du processus d’apprentissage (Hedberg, 1981; Nystrom et Starbuck, 1984; Starbuck, 1983). Les dirigeants restent souvent prisonniers de leurs grilles conceptuelles et de leurs suppositions de base sur le monde réel car ils n’ont pas les outils conceptuels pour les changer (Beer, 1972; Hedberg, 1981; Nystrom et Starbuck, 1984). Les obstacles au désapprentissage sont reliés à la propriété d’auto-reproduction et d’auto-confirmation des images (Argyris et Schön, 1978).

Comme le souligne également Miller (1996), il est important de considérer que l’apprentissage n’est pas nécessairement «collé» à l’action. L’apprentissage peut avoir lieu après ou avant l’action et l’écart temporel peut varier énormément. Busby (1999) parle de l’apprentissage rétrospectif comme un processus qui peut être efficace pour l’apprentissage organisationnel. Pour Mintzberg et Waters (1985), l’apprentissage en stratégie survient lors de la reconnaissance d’un courant d’actions stratégiques (a stream of actions) sous forme de compréhension rétrospective. Senge et Fulmer (1993) parlent de l’utilité de la simulation dans le processus d’apprentissage anticipé. Le travail de van der Heijden (1996) discute de «scenario planning» comme d’un processus à privilégier afin de promouvoir l’apprentissage organisationnel anticipé et obtenir du succès. Pour sa part, Filion (1988) traite de l’apprentissage anticipé dans le management stratégique de PME.

Plus loin dans ce texte, nous discutons plus à fond de l’apprentissage anticipé.

1.5- Apprentissage organisationnel : trois axes de convergence

Dans cette section nous voulons privilégier une perspective descriptive de l’apprentissage organisationnel; donc, nous avons évité les formulations normatives typiques des études axées sur le concept d’organisation apprenante – comme celles de Senge (1990) et de Garvin (1993). Dans leur revue de littérature, Romme et Dillen (1997) font aussi cette différentiation et privilégient la perspective descriptive. En effet, toutes les organisations ainsi que leurs membres possèdent cette capacité d’apprentissage qu’elle soit bien ou pas développée, consciente ou non consciente (Kim, 1993a, 1993b; Levinthal et March, 1993).

En regardant les travaux de plusieurs auteurs (par exemple, Fiol, 1994; Fiol et Lyles, 1985; Hedberg, 1981; Kim, 1993a, 1993b; Lundberg, 1995; Senge, 1990), nous pouvons identifier trois axes majeurs de convergence parmi les nombreux écrits sur l’apprentissage organisationnel :

- La distinction entre les types d’apprentissage organisationnel, comme celle qui existe entre l’apprentissage en boucle unique et l’apprentissage en boucle double (Argyris et Schön, 1978).

- L’apprentissage organisationnel émerge de l’apprentissage individuel et n’est pas simplement la somme de l’apprentissage des membres de l'organisation.

- L’apprentissage organisationnel implique des processus subjectifs et des processus comportementaux.

Nous nous proposons à présent de discuter de chacun de ces trois axes de convergence.

1.5.1- La distinction entre les types d’apprentissage organisationnel

Dans les écrits sur l’apprentissage organisationnel, la différentiation entre l’apprentissage en boucle unique et l’apprentissage en boucle double (Argyris et Schön, 1978) est équivalente à celle qui existe entre «first-order learning» et «second-order learning» de Bateson (1972) et à celle que l’on trouve entre apprentissage en bas niveau et apprentissage en haut niveau de Fiol et Lyles (1985).

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Les deux types d’apprentissage indiqués par Argyris et Schön (1978) trouvent aussi leurs équivalents respectifs dans les appellations «apprentissage adaptatif» et «apprentissage génératif» (Senge, 1990) ainsi que dans les appellations «apprentissage tactique» et «apprentissage stratégique» de Dodgson (1991). La distinction qu’Argyris et Schön (1978) font est similaire aussi à celle faite entre l’apprentissage du niveau comportemental et celui du niveau stratégique (Duncan, 1974; Dutton et Jackson, 1987), à celle entre les apprentissages de formation d’habitude et de découverte (Hedberg, Nystrom et Starbuck, 1976) et enfin à celle existante entre les apprentissages réactif et proactif (Miles et Randolph, 1980).

Au niveau systémique organisationnel, l’apprentissage en boucle unique implique le changement des actions organisationnelles dans un cadre de référence spécifique – mission, vision, stratégie, objectifs – ancré dans les images des membres de l’organisation. Ce type d’apprentissage concerne plutôt le comportement. Il produit la répétition d’actions et la formation de routines à partir du développement d’associations rudimentaires entre certains comportements et des résultats qu’ils semblent produire (Fiol et Lyles, 1985). Ce type d’apprentissage peut avoir lieu à tous les niveaux hiérarchiques d’une organisation. Par contre, étant relié au changement des images des membres de l’organisation, l’apprentissage en boucle double implique le changement de la mission, de la vision, de la stratégie et/ou des objectifs. En ce sens, ce type d’apprentissage touche plutôt la subjectivité. En opposition au premier type d’apprentissage, le second change les systèmes de pensées (Senge, 1990). L’apprentissage en boucle double dérive principalement des changements des images des dirigeants dans une organisation (Fiol et Lyles, 1985). Ces derniers sont des acteurs majeurs de la définition de la mission, de la vision, de la stratégie et des objectifs de l’organisation qui reposent sur un consensus en matière de gestion. Ainsi, l’apprentissage individuel et organisationnel au niveau de la direction est très important pour définir l’action et l’apprentissage organisationnels (Richter, 1998).

1.5.2- L’apprentissage organisationnel à partir de l’apprentissage individuel

L’apprentissage organisationnel est toujours basé sur l’apprentissage des individus. Cette proposition semble évidente puisque les organisations sont composées d’individus. Toutefois, une nuance s’impose; une organisation peut garder son apprentissage indépendamment de l’un ou l’autre de ses membres mais pas indépendamment de tous. Rappelons l’exemple de Disney; comment les membres de cette organisation ont-ils gardé leur obsession de la perfection malgré le décès du maître? Tout simplement parce Walt Disney avait su leur inculquer cette obsession pour la qualité6.

En plus du caractère essentiel de l’apprentissage individuel dans l’apprentissage organisationnel, les théoriciens de ce domaine s’entendent sur le fait que l’apprentissage organisationnel n’est pas la simple somme de l’apprentissage individuel des membres de l’organisation. Hedberg (1981) soutient que «Organizations do not have brains, but they have cognitive systems and memories... Members come and go, and leadership changes, but organizations' memories preserve certain behaviors, mental maps, norms, and values over time.» (p. 3) Dodgson (1993) ajoute «individuals are the primary learning entity in firms and it is individuals which create organizational forms that enables learning in ways which facilitate organizational transformation.» (p. 377). Kim (1993a, 1993b), par contre, critique le manque de lien conceptuel bien établi et expliqué entre l’apprentissage individuel et l’apprentissage organisationnel. Ainsi, il trouve que l’approche d’Argyris et Schön (1978) est plutôt centrée sur l’individu empêchant les auteurs de bien clarifier le lien entre les apprentissages individuel et organisationnel et prenant l’organisation pour «un grand individu» (Kim, 1993a).

Pour Kim (1993a, 1993b), les apprentissages collectif et organisationnel se font à travers le partage des images des membres de l’organisation entre eux, images qui sont construites à partir de leur apprentissage individuel. De même, pour Fiol (1994), l’apprentissage organisationnel implique non seulement l’acquisition d’informations diverses mais aussi l’habileté de partager une compréhension commune de la réalité qui va de pair avec l’habileté d’exploiter cette compréhension.

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Le partage de l’apprentissage à partir du niveau systémique de l’individu peut être compris comme un processus de diffusion des connaissances et des compétences. Dans une organisation l’apprentissage collectif est atteint grâce à cette diffusion et lorsque les membres de la collectivité ne dépendent plus de l’apprentissage d’origine (Tompkins, 1995). Certaines personnes apprennent de leurs propres expériences et transmettent à d’autres des éléments de cette connaissance. Cela signifie qu’un individu ou un groupe d’individus n’apprend pas seulement à partir de ses propres expériences, il apprend aussi à partir des expériences d’autrui. L’apprentissage à partir de l’expérience d’autrui est implicite dans la diffusion des connaissances et des compétences; ainsi, l’apprentissage individuel génère l’apprentissage organisationnel (Beeby et Booth, 2000; Kim, 1993a, 1993b). La communication est fondamentale dans le partage et le transfert de l’apprentissage de l’individu vers l’organisation et vice versa (Lundberg, 1995). Dans cette perspective, l’organisation constitue un champ de diffusion de l’apprentissage dans lequel chaque membre tend à apprendre des autres dans le quotidien de leurs relations.

1.5.3- Processus subjectifs et comportementaux de l’apprentissage organisationnel

Comme nous l’avons mentionné auparavant, l’apprentissage en boucle unique concerne plutôt les processus comportementaux tandis que l’apprentissage en boucle double touche davantage les processus subjectifs. Selon de nombreux auteurs qui ont contribué aux études sur l’apprentissage organisationnel, le comportement et la subjectivité sont les dimensions essentielles du processus d’apprentissage. Leroy et Ramanantsoa (1995/96) ont fait une revue de littérature sur ces deux dimensions de l’apprentissage organisationnel. Pour eux, les travaux actuels privilégient la dimension subjective et leurs auteurs tendent à voir le «véritable» apprentissage organisationnel comme celui qui correspond à un enrichissement des connaissances ou à une modification du système d’interprétation de l’environnement.

Fiol et Lyles (1985), par exemple, indiquent explicitement ces deux dimensions dans leur définition de l’apprentissage organisationnel : «organization learning means the process of improving actions through better knowledge and understanding» (p. 803). Dans le travail de certains auteurs comme Cyert et March (1963), Daft et Weick (1984) et Miller et Frisen (1980), l’apprentissage organisationnel implique le développement du comportement tout en s’appuyant sur des processus subjectifs comme l’interprétation (Daft et Weick, 1984). Comme Fiol et Lyles (1985) l’indiquent, la dimension de l’apprentissage reliée au comportement se nomme «développement du comportement» tandis que celle reliée à la subjectivité se nomme «développement de la cognition».

Dans certains travaux, comme ceux de Duncan et Weiss (1979) et de March et Olsen (1975), l’apprentissage organisationnel touche le développement subjectif mais dérive en grande partie de la perception qu’ont les acteurs des résultats de leur action. Dans d’autres travaux, celui de Hedberg (1981) par exemple, l’apprentissage est associé au développement du comportement et au développement subjectif (voir le tableau de révision de Fiol et Lyles, 1985, p. 809).

Dans les études de John Dewey, Jean Piaget et Kurt Lewin l’apprentissage se caractérise par une interaction récursive entre des aspects subjectifs et comportementaux. Selon ces études, l’action d’un individu sur sa réalité devient de plus en plus efficace à mesure que se perfectionne sa compréhension de cette réalité et des effets de ses actions sur cette réalité. Cette approche s’appelle l’«apprentissage expérientiel» selon le titre du livre de Kolb (1984) qui fait une synthèse des cycles d’apprentissage expérientiel de John Dewey, Jean Piaget et Kurt Lewin. Des études plus récentes, comme celles de Kim (1993a, 1993b), intègrent cette approche. Kim (1993a, 1993b) distingue les deux dimensions de l’apprentissage par les concepts d’«apprentissage opérationnel» et d’«apprentissage conceptuel». Le travail de Schön (1983) qui utilise le concept de réflexion-dans-l’action peut aussi être considéré comme une approche d’apprentissage expérientiel. Argyris et Schön (1978) sont, eux aussi, proches d’une telle perspective.

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1.6- Apprentissage systémique et stratégie de PME

Lorsque nous avons examiné la documentation en stratégie de PME, il ne nous a pas été facile de trouver des études qui mettent l’accent sur le concept d’apprentissage et sur l’approche systémique. Les études qui exploitent à la fois ce concept et cette approche sont peu nombreuses. L’association du concept avec la systémique est la caractéristique de base de l’approche de l’apprentissage systémique en stratégie. Cette voie de recherche pourrait être explorée pour que les études en PME bénéficient des atouts du concept d’apprentissage et de la systémique. C’est ce que fait Filion (1988, 1996a, 1996b).

Avoir recours au concept d’apprentissage pour chercher à dépasser les limites des approches rationnelles-analytiques en stratégie de PME a son parallèle dans le domaine plus général de la stratégie. Dans ce dernier, le courant de l’apprentissage a émergé en réaction à la perspective traditionnelle et, principalement, face à son manque de correspondance avec les pratiques en vigueur dans les organisations.

Dans son article The science of ‘muddling through’, Lindblom (1959) ouvre le bal; par la suite, plusieurs chercheurs se mettent à questionner l’intellectualisme et le cartésianisme en stratégie. Mais c’est avec Quinn (1978, 1980) que la perspective de l’apprentissage en stratégie fait vraiment ses premiers pas. En 1980, son livre «Strategies for change: logical incrementalism» marque la naissance du courant de l’apprentissage en stratégie. En 1985, un autre travail de base important est publié; il s’agit de l’article Of Strategies, Deliberate and Emergent de Mintzberg et Waters. Mintzberg devient peu à peu le principal critique de la planification stratégique en management, notamment avec son livre de 1994, «Grandeurs et décadences de la planification stratégique».

L’approche de l’apprentissage systémique en stratégie qui nous intéresse tout spécialement ici émerge à la suite de l’impact du travail de Senge (1990) dans le monde universitaire – le travail de Redding et Catalanello (1994) en est un bon exemple. Senge (1990) parvient à développer une approche qui combine un aspect particulier de la méthodologie des systèmes souples avec la dynamique des systèmes de J. W. Forrester (Jackson, 2000). Dans cette approche la systémique devient la base du concept d’apprentissage. Ses principaux concepts sont l’apprentissage organisationnel, l’apprentissage en boucle unique et l’apprentissage en boucle double à partir de l’œuvre de Argyris et Schön (1978). De plus, l’approche intègre le concept de vision (image mentale du futur désiré) dont l’écart par rapport à la condition réelle et actuelle de l’organisation génère la volonté de changement (tension créatrice) qui, à son tour, incite les membres de l’organisation à développer l’apprentissage qui génère la transformation de la réalité.

Mettant en valeur le concept de vision, l’approche de l’apprentissage systémique tend à être particulièrement utile pour les études en stratégie de PME. De nombreux chercheurs ont d’ailleurs vérifié l’importance de ce concept (par exemple, Bayad et Garand, 1998; Carrière, 1990; Cossette, 1996; Filion, 1988, 1991). En constatant, de façon empirique, le développement des PME à l’image de leur propriétaire-dirigeant (donc, la prépondérance de celui-ci), Filion (1988) soutient que la PME est une extension de ce dernier; par conséquent, une lecture systémique du concept de vision semble mieux expliquer ce qui se passe au cours du processus de management stratégique en contexte de PME que ne le font les concepts plus traditionnels (voir p. 548).

Pour Filion (1988, 1990, 1991), la vision est une projection; c’est l’image que le dirigeant a de son entreprise projetée dans l’avenir et c’est aussi la place que ses produits doivent occuper sur le marché. Dans la PME, la vision est liée à la capacité que le dirigeant a de la transmettre aux membres de son entreprise par le biais de son contrôle personnel et de son rôle au sein de l’organisation. Filion s’intéresse au concept de vision en contexte de PME et l’étudie en profondeur. Ses études figurent parmi celles, rarissimes, qui analysent ce concept de façon empirique, notamment quand on parle des recherches interprétatives de sa dimension épistémologique.

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Selon une perspective systémique, Filion (1999b) souligne le rôle important de la vision dans l’apprentissage en contexte de PME :

«Au cours de… [nos] recherches, le concept de vision a été identifié comme structurant pour concevoir et organiser un système d’activités. Il permet de préciser l’apprentissage requis pour mener les activités projetées. (…) C’est à partir du moment où les intentions se concrétisent sous la forme de visions, c’est-à-dire de projets véritables à réaliser, qu’on peut définir ses besoins d’apprentissage. C’est ça l’intérêt qui va pousser le futur acteur à apprendre.» (p. 1-3)

Malgré l’attrait des approches inspirées de Senge (1990), ces dernières sont peu appropriées pour le développement d’un modèle descriptif du processus stratégique en contexte de PME car elles sont normatives. Le concept central de l’œuvre de Senge (1990), celui de l’organisation apprenante, ne décrit pas ce que les organisations sont, mais ce qu’elles doivent être pour atteindre une condition d’excellence. Dans l’approche de l’apprentissage systémique en stratégie, cette perspective normative est prédominante; le travail de Redding et Catalanello (1994), Strategic Readiness – The Making of the Learning Organization, en est un bon exemple. Cette perspective normative est aussi présente dans des travaux qui isolent le concept d’organisation apprenante de son cadre systémique de base, une autre caractéristique du travail de Senge. C’est le cas de la recherche en stratégie de PME de Gibb (1997).

Toutefois, le travail de Checkland et Scholes (1999) sur la méthodologie des systèmes souples (le sigle en anglais est SSM pour soft systems methodology; il est aussi utilisé dans les écrits en français) offre une base appropriée qui permet d’approcher le management stratégique en contexte de PME selon une étude descriptive tout en intégrant le concept de vision dans une approche d’apprentissage systémique. La SSM comprend la modélisation descriptive des processus de résolution de situations-problèmes et d’apprentissage des systèmes humains. À partir de là, les modèles produits sont utilisés comme base d’étude pour améliorer les processus qu’ils décrivent. Dans notre approche, nous nous sommes inspirés de la phase descriptive des notions de base de la SSM.

PARTIE 2 – VERS DES MODÈLES DESCRIPTIFS DU MANAGEMENT STRATÉGIQUE DE LA PME

2.1- Modèle SSM pour le processus stratégique de PME

Afin de mieux comprendre la gestion stratégique de PME et la participation de ses acteurs dans le processus, nous allons nous servir des idées de base de la SSM (méthodologie des systèmes souples). Checkland et Scholes (1999) définissent la systémique comme une façon de percevoir la réalité (ou «lunette perceptive») et de la comprendre. Pour eux, l’application de la systémique consiste à:

“… to set some constructed abstract wholes (often called ‘system models’) against the perceived real world in order to learn about it. The purpose of doing this may range from engineering (in the broad sense of the word) some part of the world perceived as system, to seeking insight or illumination” (p. 25).

À l’aide de la méthodologie des systèmes souples (Checkland et Scholes, 1999), il est possible de développer un modèle relativement simple du processus de management stratégique. Pour cela, il faut s’assurer que le modèle systémique comprenne les éléments du mnémonique CATWOE (Customers, Actors, Transformation process, Weltanschauung, Owner et Environmental constraints) qui correspondent à processus spécifique. Ces éléments sont les composantes fondamentales d’un processus de transformation qui prend une entité comme intrant à changer ou à transformer pour produire une nouvelle forme de l’entité originale (l’extrant, à partir de l’intrant). Dans ce processus de transformation, les clients (Customers) sont les récepteurs (victimes ou bénéficiaires) de ce qui est produit par la transformation; les acteurs (Actors) sont ceux qui réalisent la transformation; le processus de

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transformation (Transformation process) est le processus qui transforme l’intrant en extrant; les images (Weltanschauungen) sont les articulations subjectives que les individus entretiennent pour se donner un modèle de la réalité. Elles donnent du sens à la transformation dans le contexte; le propriétaire (Owner) est celui qui a le pouvoir de déclencher ou d’arrêter le processus de transformation; les contraintes environnementales (Environmental constraints) sont les contraintes comme les lois et la concurrence qui peuvent avoir un impact sur le processus de transformation.

Pour identifier les éléments du mnémonique CATWOE du management stratégique en contexte de PME, nous devons tenir compte de certaines considérations sur le caractère systémique du processus et des entités en cause. Dans le cadre de notre étude, nous allons établir les caractéristiques systémiques de base de la PME en tant que système, celles du management stratégique en tant que sous-système et celles des relations mutuelles entre les deux niveaux systémiques ainsi que celles de leurs relations avec l’environnement. Ensuite, nous pourrons comprendre le management stratégique comme un processus de promotion de l’apprentissage et du changement de la PME.

2.2- Perspective systémique du management stratégique de PME

À l’instar de Kim (1993a, 1993b), nous prenons la PME comme un système comportemental (March et Olsen, 1975) et comme un système d’interprétation (Daft et Weick, 1984). Lorsque la PME est prise comme un système comportemental, ses membres changent leur comportement à court terme pour répondre aux rétroactions de leur compréhension des effets que leurs actions ont sur la réalité de la PME dans son environnement – cela en accord avec des règles plus ou moins bien définies. De plus, ces mêmes personnes changent leur comportement à long terme en réponse aux mêmes types de rétroactions mais cette fois en accord avec des règles plus générales (Cyert et March, 1963). Lorsque la PME est prise comme un système d’interprétation, ses membres repèrent des informations dans l’environnement et sur la situation de la PME (scanning), ils interprètent ces données en leur attribuant un sens et apprennent en développant des connaissances issues de ces données et en comprenant les effets de leurs actions sur la réalité de la PME en plus d’agir selon ces connaissances (Daft et Weick, 1984).

À partir de la théorie moderne des systèmes (voir Bauch, 2001; Delgado et Banathy, 1993; Jackson, 2000) et avec l’intégration de la deuxième cybernétique, tout système humain ou social est censé changer sa logique interne d’action pour rester compatible avec à son contexte; ce phénomène caractérise l’apprentissage. Ainsi, ce type de système est censé renfermer cette notion de l’apprentissage (qu’elle soit bien ou mal développée, consciente ou non). Lorsque nous étudions une entité en tant que système humain ou social, la notion dynamique de l’apprentissage est déjà implicite dans l’approche.

La co-évolution (Lewin et Volberta, 1999) du système PME avec l’environnement est possible grâce à l’apprentissage. Cet apprentissage peut se faire à partir de la compréhension rétroactive que les membres de la PME développent face aux résultats de leurs actions sur l’environnement (Cyert et March, 1963; Daft et Weick, 1984; Kim, 1993a, 1993b). Il implique l’ajustement ou le changement des images de ces individus (donc de leur compréhension de la réalité) et/ou de leur comportement. Il peut aussi se faire à partir du comportement proactif des dirigeants de l’entreprise. Comme nous allons le voir, ceux-ci peuvent imaginer individuellement ou collectivement des scénarios de la situation future de l’environnement et de l’entreprise. Ainsi, ils développent des référents mentaux qui leur permettent d’apprendre par anticipation.

Le management stratégique est un ensemble de décisions et d’activités qui détermine la progression de l’entreprise en relation avec son environnement (Filion, 1988, chap. 6). Il est un sous-système du système PME, c’est-à-dire tout comme la PME qui est un tout, il est un ensemble d’unités interreliées de façon à constituer un tout qui possède les propriétés typiques d’une entité en soi7. La PME en tant que

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système a une caractéristique importante : elle est ouverte à son milieu externe, l’environnement. Celui-ci l’influence par le biais d’intrants mais est aussi influencé par les extrants de la PME (Scott, 1981). Cette influence réciproque renvoie à la notion de frontière qui est la division entre le milieu interne du système PME et ce qui lui est externe. Le management stratégique joue ainsi un rôle de frontière dans le système entreprise en régulant la progression de ce système par rapport à l’environnement.

Selon Vaill (1996), les turbulences et la complexité de l’environnement obligent toutes les organisations et leurs membres à entreprendre continuellement des initiatives pour lesquelles ils ont peu d’expérience et peu de connaissances. Ils doivent, par conséquent, apprendre et innover continuellement. Dans son étude, Bahlmann (1990) conclut qu’une organisation dans un environnement turbulent doit être une organisation apprenante si elle veut assurer son existence. Comme le souligne Senge (1990), la capacité d’apprentissage d’une PME, si elle est bien développée, constitue un atout majeur. Par contre, la faiblesse de l’apprentissage peut mettre son existence en danger.

Pour Wyer et Mason (1998) l’environnement des PME est complexe et en continuelle évolution. Dans leur étude empirique, ils concluent que c’est par le biais de l’apprentissage, produit notamment à partir des activités de management stratégique, que les PME gardent leur condition interne compatible avec leur environnement. La quête de cette compatibilité motive continuellement les décisions prises au centre du management stratégique de sorte que les activités deviennent une forme de contrôle sur la condition de l’entreprise pour la faire co-évoluer avec l’environnement. Ainsi, le management stratégique est un sous-système de renouvellement ou d’apprentissage de la PME par rapport au niveau de complexité supérieur qui l’entoure – celui de l’environnement. Cette observation renvoie à la théorie de la hiérarchie des niveaux de complexité qui est à la base de la théorie des systèmes. «Hierarchies are characterized by processes of control operating at the interfaces between levels» (Checkland, 1999, p. 81). Selon cette théorie, le niveau inférieur de complexité doit toujours être compatible avec le niveau plus élevé de complexité qui l’entoure pour assurer la continuité de son existence.

L’entreprise est un système orienté par des buts (purposeful system, selon Ackoff et Emery, 1972) ce qui signifie que son développement est guidé par une «volonté interne» et qu’il respecte les dynamiques ou les facteurs de l’environnement qui l’entoure (Checkland, 1999). Pour perdurer, l’entreprise apprend et co-évolue grâce à des changements externes. Le management stratégique est responsable en grande partie de la promotion de la co-évolution du système PME – tout en cherchant aussi à réaliser les buts de la PME. Il peut être proactif en plus d’être réactif. En d’autres termes, les acteurs stratégiques de la PME, collectivement et individuellement, répondent à la perception des menaces, des opportunités et des changements actuels de l’environnement mais aussi à la perception d’un environnement qui peut être le leur dans l’avenir. De plus, la PME impose, elle aussi, des changements à son environnement par le biais de l’action de ses membres.

Ainsi, l’apprentissage du système PME peut être réactif ou proactif selon l’activité de management stratégique qui suit; lorsque l’apprentissage de l’entreprise en tant que système par le biais de ses activités de contrôle se fait en réponse à des événements présents ou prévus propres à l’environnement, ces événements sont perçus comme des menaces auxquelles il faut faire face ou des opportunités qu’il faut exploiter. En général, l’apprentissage sert à mettre en réserve des ressources quantitatives et qualitatives afin que de donner plus de flexibilité à l’organisation. Nous sommes confrontés à la propriété systémique de redondance (voir Morgan, 1999)8. Comme le sous-système de management stratégique est aussi un système d’activités orienté vers des buts (purposeful activity system – Checkland et Scholes, 1999), le soutien continu de l’apprentissage pour assurer la pérennisation de l’entreprise par la co-évolution s’impose comme son but central (core purpose).

En utilisant une image organique, le management stratégique peut être pris comme un organe du corpus organisationnel responsable en grande partie du renouvellement de ce dernier face aux changements de l’environnement avec lequel il co-évolue et maintient (et veut continuer à maintenir) une

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relation d’échanges vitaux (voir De Geus, 1997). Disons encore que la perpétuation de son existence (pérennisation) face à l’environnement est un but commun entre le management stratégique et le corpus organisationnel9. Des entreprises qui opèrent dans un même environnement économique (un marché), surtout celles qui utilisent les mêmes ressources, génèrent la concurrence de marché – si nous prenons pour acquis le principe économique selon lequel les ressources disponibles sont toujours limitées.

Pour la PME cela signifie que sa quête pour réaliser son but central (celui de pérennisation), partagée avec son sous-système de management stratégique, peut lui être bénéfique; par contre, cette quête peut générer des pertes pour des entreprises concurrentes de ce même marché et vice-versa. Ces interrelations entre entreprises dans l’environnement, à part une multitude de dynamiques propres à cet environnement lui-même, génèrent des réponses et des contre-réponses d’entreprises concurrentes et non concurrentes et contribuent au processus continu de l’évolution de l’environnement de la PME (Emery et Trist, 1965) par rapport auquel elle doit également co-évoluer (Lewin et Volberta, 1999).

2.3- Modèle d’apprentissage stratégique à partir de la SSM de Checkland

Pour arriver à un modèle systémique à partir de la SSM, la description du management stratégique de la PME faite un peu plus haut nous permet d’identifier les éléments du mnémonique CATWOE. Le processus de transformation (T) est exprimé par le but central (core purpose) dont nous avons parlé plus haut. Les clients (C) sont la PME elle-même comme bénéficiaire de T et les concurrents comme victimes de T. Il est facile aussi de déduire qui sont les acteurs (A) et le propriétaire (O). Ce sont le propriétaire-dirigeant et l’équipe dirigeante qui «font» le processus de management stratégique (le T) de la PME et qui ont le contrôle sur ce processus – ils peuvent l’arrêter ou le modifier selon leur volonté. Nous avons déjà mentionné quelques éléments des contraintes environnementales (E) – la concurrence, des ressources limitées, la dynamique des changements, l’évolution continue et la complexité. Les images (W du mnémonique CATWOE) sont absentes, il faudrait examiner une entreprise spécifique, peut-être plusieurs; mais ce manque ne nous empêche pas de développer un modèle générique – c’est ce que nous cherchons précisément à faire.

Cette collection de lettres permet déjà d’affirmer que le bénéficiaire de la transformation produite par le sous-système de management stratégique (T) est le système PME. Mais que transforme T? Comme nous l’avons décrit auparavant, le sous-système de management stratégique transforme la PME en cherchant à la faire co-évoluer avec l’environnement et à réaliser les buts que ses dirigeants ont définis à son intention. C’est pour cela que nous avons associé au management stratégique l’image d’«organe de renouvellement du corps organisationnel».

En des termes plus spécialisés en systémique, si l’on prend le management stratégique comme un sous-système d’activités orienté vers des buts (purposeful activity system) et si l’on considère que son but central (core purpose) est toujours exprimé comme étant un processus de transformation dans lequel une entité, l’intrant, est changée ou transformée en une nouvelle forme de la même entité, l’extrant (Checkland et Scholes, 1999, p. 33)10, la réalité de la PME en rapport avec son environnement est donc l’intrant et sa condition modifiée (on s’attend à une «amélioration») en est l’extrant. De là, le système PME est l’objet de la transformation de son management stratégique qui cherche à le faire évoluer par rapport à l’environnement tout en réalisant les buts définis par les dirigeants. Selon notre métaphore organique, le «corps organisationnel» est l’objet de la transformation faite par son «organe de renouvellement».

À partir de ces considérations, nous pouvons utiliser la forme de base de la SSM (Checkland et Scholes, 1999, p. 7) pour modéliser et décrire le processus de management stratégique de PME. Dans cette forme de base, un élément représente les décisions prises sur la condition future désirée par le meneur d’un processus de transformation. En stratégie de PME, cela équivaut à des décisions sur la vision. Celle-

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ci n’est pas nécessairement bien développée, elle peut évoluer et mieux se préciser au fil du temps11. Le schéma 1 présente l’utilisation de la forme de base de la SSM en management stratégique de PME.

Schéma 1 : Modèle d’apprentissage stratégique de PME

Selon ce modèle, les acteurs du management stratégique perçoivent et tiennent compte de la réalité de la PME (notamment son environnement et sa condition stratégique face à l’environnement); ces actions relèvent des activités de la PME comme système d’interprétation (Daft et Weick, 1984). Les éléments retenus dans le processus de perception et d’interprétation de la condition réelle de la PME peuvent inciter les acteurs du management stratégique à prendre de nouvelles décisions ou à préciser des décisions déjà prises qui ont un impact sur la vision.

Les activités de management stratégique cherchent à réaliser la vision des acteurs du management stratégique ainsi que la pérennisation de la PME dans des conditions d’échanges avec l’environnement qui sont favorables aux intérêts des acteurs eux-mêmes. L’écart trouvé entre cette condition future désirée et la condition actuelle de la PME génère une volonté de changement (ou tension créatrice, selon l’appellation de Kurt Lewin utilisée par Senge, 1990) qui incite les acteurs du management stratégique à transformer la réalité de la PME par le biais d’actions stratégiques qui sont généralement réalisées avec l’aide des membres de la PME. Les acteurs du management stratégique perçoivent et évaluent les effets des actions stratégiques sur la réalité ce qui génère une rétroaction du processus qui est favorable à la décision de continuer ou d’ajuster la vision en cours comme déterminant de la logique d’action stratégique. Il est possible aussi que la vision passe par un changement accentué redéfinissant la logique d’action stratégique. Dans ce cas, la rétroaction pour le changement de la vision et de l’action stratégique relève des activités de la PME comme système comportemental (March et Olsen, 1975).

Ainsi, certaines décisions stratégiques peuvent changer la vision en cours; elles peuvent même provoquer son abandon en faveur d’une vision nouvelle. Filion (1988; 1990; 1991) a constaté empiriquement que la vision évolue dans le temps (par exemple, elle évolue de l’état de vision émergente à l’état de vision centrale); elle peut parfois être remplacée par une autre vision, déterminée principalement par les relations interpersonnelles du propriétaire-dirigeant, à mesure que l’apprentissage de ce dernier progresse. Le changement de la vision implique un changement potentiel du comportement

…acteurs du management stratégique

Action stratégique

Étant perçue et interprétée, provoque ou précise des décisions chez les…

Comparaison : condition réelle vs. condition désirée

Condition réelle de la PME face à l’environnement

L’écart génère une volonté de changement

Décisions prises quant à la condition

future désirée

Vision Réalité perçue

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du système PME, une caractéristique de l’apprentissage comme le mentionne Huber (1991) : «An entity learns if, through its processing of information, the range of its potential behaviors is changed» (p. 89).

À partir du travail d’Argyris et Schön (1978) sur l’apprentissage stratégique de la PME aidé par le management stratégique, l’apprentissage en boucle unique implique l’ajustement au niveau tactique des actions stratégiques sans entraîner un changement de la vision. Par contre, l’apprentissage en boucle double implique le changement des images des membres de l’organisation et, en conséquence, le changement de la vision ou vice-versa. Les propriétaires-dirigeants sont les acteurs majeurs de la prise de décision stratégique qui aboutit à la formation de la vision. Leurs images et leur vision sont des construits subjectifs liés de façon systémique. Les relations dialectiques de ces construits font en sorte que les changements de la vision entraînent des changements d’images et vice-versa (Filion, 1988, 1991).

L’écart perçu entre la réalité de la PME d’une part et la synthèse de la vision avec l’image de la condition désirée de la PME face à l’environnement d’autre part est compris comme un problème qu’il faut résoudre. Ainsi, cet écart nourrit une pulsion de management (au sens large, selon Checkland et Scholes, 1999) pour améliorer (improvement) la condition de la PME. Dans cette activité d’amélioration que nous pouvons qualifier de stratégique, les images partagées par les acteurs stratégiques de la PME (dont le propriétaire-dirigeant est un acteur prépondérant) se manifestent.

Dans le schéma 1 le modèle présente le management stratégique en contexte de PME comme un processus circulaire et itératif d’apprentissage avec une phase de développement de la vision et une phase de réalisation. Dans cette dernière phase, la réalité est changée par l’action stratégique. Gladstein et Quinn (1985) décrivent le processus stratégique des grandes et des petites entreprises comme un cycle d’interaction entre une phase de formulation et une phase de mise en œuvre. En représentant ce cycle au fil du temps, les auteurs expriment le processus stratégique à l’aide d’une spirale. L’étude empirique de Carrière (1990) sur le management stratégique de PME confirme la lecture de notre modèle (voir schéma 1). Cet auteur a développé un modèle d’évolution de la vision circulaire et présente la vision du propriétaire-dirigeant comme une entité qui émerge de l’interaction entre les dimensions de l’action (mise en œuvre) et celles de la subjectivité (formulation) de cet acteur stratégique dans ses activités.

Les phases de formulation de la vision (apprentissage au niveau subjectif) et de mise en œuvre de la vision (action – apprentissage au niveau comportemental) sont liées entre elles et se produisent mutuellement comme le décrit Normann (cité par Redding et Catalanello, 1994) :

“Strategic action is rarely a simple sequence of "first decision, then action". This "sequence myth" has done a lot of damage to many business companies. […] Instead, we can observe how strategies evolve as a result of a process that has at least three key elements: The formulation of a vision, action based on that vision, and interpretation and reflection based on the action and its outcome. The sequence starts again: The vision is further clarified, new action is taken, there is food for more reflection, and so on. There are few instances of strategic change that are not best described in terms of such a spiraling process.”

En tant qu’activité humaine, le management stratégique dépend de la perception que ses acteurs ont de la réalité de leur PME en relation avec son environnement. L’histoire particulière de chacun des acteurs (lebenswelt) façonne leurs images mais est aussi façonnée dans une relation dialectique par ces dernières qui à leur tour définissent la façon dont ces acteurs perçoivent la réalité. Donc, puisque chaque individu a sa lebenswelt, il tend à percevoir la réalité d’une façon qui lui est propre (Checkland et Scholes, 1999).

Le fondement des divergences de points de vue est une caractéristique du management stratégique collectif dans les PME. Chaque acteur impliqué dans les activités stratégiques a une perception différente des problèmes stratégiques de l’organisation et des problèmes en général. C’est cette perspective unique qui, selon Mitroff (1983), force chaque acteur stratégique à chercher une solution unique pour mettre fin aux problèmes perçus. Pour que les acteurs stratégiques – principalement ceux de l’équipe de direction –

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arrivent à une certaine cohésion autour de la mise en œuvre d’une quelconque solution et qu’ils parviennent à une certaine coordination et cohérence de leurs actions, ils doivent développer des images et partager une vision.

Le partage est une base fondamentale du processus de management stratégique pour produire la «colle sociale» qui organise l’action collective. Il en est ainsi car le management n’est pas seulement une activité individuelle dérivée de l’esprit du propriétaire-dirigeant mais c’est avant tout un processus social.

2.4- Apprentissage en boucle unique et en boucle double en stratégie de PME

Selon une logique d’apprentissage en boucle unique, le management stratégique entreprend des actions pour amener la PME à réaliser la vision sans que ses membres questionnent ou défient la nature de cette vision ni celle de leurs propres images. Cependant, il y a risque lorsque la vision devient incompatible avec la réalité de la PME et que, malgré cela, le management stratégique continue à l’utiliser pour motiver l’action stratégique. Plus l’écart entre le système de pensée stratégique de la PME par rapport au monde réel devient grand, moins les actions stratégiques basées sur ce système afin d’assurer la réalisation des buts de la PME sont efficaces. Cet écart peut même être fatal pour le système PME puisque le management stratégique n’arrive plus à faire face aux forces anthropiques qui affectent la PME.

Pour Filion (1988, 1990, 1991) et Verstraete (1997), le système de relations interpersonnelles des dirigeants de PME constitue la condition sine qua non d’une congruence entre d’un coté les images et la vision et de l’autre côté la réalité à laquelle ces dirigeants sont confrontés. Selon Filion (1991), le système de relations «est ce qui apparaît le plus déterminant pour expliquer le cheminement d’une vision» (p. 124). Comme le fait remarquer Verstraete, la congruence entre les représentations subjectives d’un individu et la réalité dépend de l’apprentissage que ses interactions occasionnent avec d’autres personnes. Dans ces interactions, la communication entre les individus permet d’échanger des compréhensions multiples de la réalité et fait émerger un certain niveau de conformité entre les nombreuses perceptions qu’ils ont de cette réalité. Cela contribue au partage d’images qui ont leur congruence par rapport à la réalité qui est axée sur la conformité formée. L’apprentissage du dirigeant de PME dans ce système de relations correspond à l’apprentissage en boucle double qui se produit à mesure que les images et la vision du dirigeant se modifient.

Dans la logique de l’apprentissage en boucle double, les acteurs du management stratégique remettent en question et défient plus ou moins profondément leurs images, leurs valeurs, leurs normes, leurs théories d’action et leur vision. Dans ce type d’apprentissage, ils peuvent également changer en cours de route et selon les contingences leur façon de faire, leur façon de percevoir la réalité et leur «vouloir-devenir». Ainsi, les membres de la PME évitent continuellement les conditions indésirables qui se présentent à eux rendant possible la réalisation de la vision que les acteurs du management stratégique ont développée. C’est ce que Wiener (1967) appelle «pattern résiduel», c’est-à-dire l’élément qui reste à la fin d’un processus qui cherche à éviter les états indésirables – par exemple, le pattern de survie dans la nature (voir aussi Morgan, 1999, p. 79-85).

Bien entendu, le management stratégique de la PME a besoin de concilier les deux types d’apprentissage dans un équilibre dynamique. Si les acteurs du management stratégique refusent de façon intransigeante de remettre en cause leurs suppositions stratégiques de base (Mitroff et Linstone, 1993), ils ne reconnaissent pas la réalité évolutive et en grande partie non contrôlable avec laquelle leur système de pensée doit co-évoluer. Ainsi, leurs actions qui sont basées sur un système de pensée peu cohérent par rapport à la réalité peuvent mettre la PME dans une situation d’incompatibilité avec son environnement puisque leurs actions régulent la relation du système PME avec son environnement. Comme une branche d’arbre qui se courbe pour se décharger du poids de la neige en hiver, la PME doit garder un minimum de

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souplesse pour ne pas «se briser» dans un «tour de force» avec son environnement. Toutefois, le management stratégique ne peut pas se permettre de déconstruire continuellement les bases de l’action stratégique qu’il établit puisque cela engendrerait le désordre le plus absolu et l’impossibilité pour la PME de s’organiser et d’exister. L’existence à long terme du système PME dépend de l’équilibre dynamique entre la stabilité et l’innovation (ou entre l’ordre et le désordre, comme diraient les théoriciens de la complexité). Cela permet son auto-renouvellement et sa co-évolution avec l’environnement.

Comme le propose Van Hoorne (1979) et comme le réaffirme Mintzberg (1987), en stratégie il faut concilier créativité et intentionnalité. En d’autres mots, il faut concilier dans l’organisation ce qui assure la flexibilité (l’apprentissage en boucle double qui génère de nouvelles formes d’action stratégique) et ce qui assure la stabilité stratégique (le contrôle dérivé des paramètres d’apprentissage actuels qui sont déterminés par la vision). Si l’on s’appuie sur une vision rigide et inchangeable ou même sur des plans rigides issus de la planification traditionnelle, le contrôle exagéré empêche toute flexibilité et tout apprentissage de la PME. Si, par contre, on s’appuie sur des actions qui émergent de l’improvisation sans un minimum de contrôle, rendu possible par des paramètres ancrés dans la vision, c’est le désordre. Comme nous l’a dit le copropriétaire-dirigeant d’une PME brésilienne12, «il n’y a pas de bons vents pour ceux qui ne savent pas où aller». Il est indispensable que les acteurs organisationnels de la PME aient des repères pour orienter leurs actions présentes – ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent tout programmer d’avance. Ces repères peuvent être des éléments de la vision que les dirigeants ont développée pour faciliter à travers le temps un minimum d’enchaînement logique entre différentes actions organisationnelles pour façonner la réalité de la PME et réguler sa relation avec l’environnement. Cet enchaînement est nécessaire pour que les acteurs de la PME puissent accomplir à court, moyen ou long termes des projets qui ne peuvent être réalisés de façon instantanée par une seule action isolée.

PARTIE 3 – L’APPRENTISSAGE : DE D’INDIVIDU À L’ORGANISATION

3.1- Apprentissage expérientiel et apprentissage anticipé

Kurt Lewin est un auteur important associé à l’étude de l’apprentissage expérientiel13. Ses idées sur le sujet ainsi que celles de John Dewey et de Jean Piaget ont été synthétisées par Kolb (1984). La synthèse de cet auteur est à la base du travail de Kim (1993a, 1993b), dont nous présentons et discutons les principaux points un peu plus avant. Le cycle d’apprentissage expérientiel de Kurt Lewin nous permet d’avancer des idées clés présentées dans le travail de Kolb (1984) et reprises par Kim (1993a, 1993b).

Schéma 2 : Modèle du cycle d’apprentissage expérientiel de Kurt Lewin

Ce modèle renferme l’idée que nous apprenons selon un processus cyclique qui se déroule de la

Observations et réflexions

Expérience concrète

Test d’implication des concepts dans de

nouvelles situations

Adapté de Kolb (1984, p. 21)

Formation de concepts abstraits et

généralisations

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manière suivante : nous vivons une expérience concrète qui donne lieu à des observations; par la suite, nous réfléchissons à cette expérience, formons des concepts abstraits et des généralisations basés sur cette réflexion. Enfin, nous testons ces connaissances dans d’autres situations qui conduisent vers une nouvelle expérience concrète. Nous reconnaissons, par exemple, ce modèle dans le cycle de gestion de la qualité totale de Deming plan-do-study-act. Notons que dans ce modèle la connaissance produite dans le cycle est implicitement cumulative d’où le rôle central de la mémoire.

Piaget a beaucoup contribué à la compréhension de l’apprentissage individuel en étudiant le processus de développement de la structure de connaissance des enfants. Dans son approche épistémologique il soutient qu’il existe une réalité externe à l’individu avec laquelle celui-ci est en constante interaction et par rapport à laquelle il doit s’adapter. La production de la connaissance (apprentissage) devient le moyen privilégié pour permettre cette adaptation parce qu’elle augmente son réservoir d’actions potentielles (dans ses structures de connaissance) sur la réalité favorisant ainsi l’adaptation de l’individu. Des structures de connaissance de plus en plus complexes servent à des adaptations futures qui pourront être réalisées par l’action d’une façon quasi automatique jusqu’au moment où cette action perdra de son efficacité face à des conditions inédites. Quand cette action manque, nous devons faire appel à la réflexion pour développer une nouvelle forme d’action (Landry, 1995).

Cette description de l’apprentissage est intimement liée au vécu expérientiel le plus immédiat de l’individu où l’apprentissage renvoie au processus qui engendre la connaissance; grâce à elle les actions que l’individu entreprend dans la réalité sont efficaces. Nous retenons ici deux éléments importants : ce que l’acteur apprend (le «savoir-comment») et comment cet acteur comprend et applique ce qu’il apprend (le «savoir-pourquoi»). Ryle (1978) mentionne un troisième savoir, le «savoir-que». Ce dernier relève de la connaissance à priori de certains principes ou règles impliqués dans l’expérience à venir. Par exemple, avant de commencer à jouer aux échecs, un enfant peut être capable de réciter toutes les règles de ce jeu («savoir-que»). Cependant, cela ne veut pas dire que l’enfant «sait-comment» jouer aux échecs. Par conséquent, le «savoir-que» n’implique pas nécessairement l’existence du «savoir-comment». Ryle (1978) utilise ces concepts pour attaquer la «légende intellectualiste» qui affirme que l’action intelligente est toujours précédée d’un exercice de conception. Selon cet auteur, même dans des situations impliquant une quelconque préconception, il n’existe pas d’action intelligente si l’action n’est pas exprimée par la pensée qui l’accompagne au moment même. L’action sans réflexion est un automatisme.

Les idées d’apprentissage expérientiel présentent de grandes similitudes par rapport à la pensée de Schön (1983) sur la réflexion-dans-l’action (reflection-in-action). Dans sa métaphore de l’architecte, semblable à celle de la potière de Mintzberg (1987), faire un projet d’architecture en le dessinant devient un processus de façonnement où la situation-problème «donne [continuellement] des réponses» au flux d’actions de l’acteur et où chaque mouvement est une expérience locale qui contribue à l’expérience plus globale des essais en vue de préparer le projet d’architecture. L’action de l’architecte produit des changements inattendus dans la situation, changements qui donnent de nouvelles significations à la situation. Ainsi, la situation «lui parle». En retour, il «l’écoute», il réfléchit sur ce qu’il a écouté et reformule sa compréhension une fois de plus. Ce cycle se répète indéfiniment…

Dans ce processus de développement d’un projet d’architecture (une conversation avec la réalité immédiate, selon Schön), les essais faits par l’individu en action pour résoudre le problème qu’il reformule continuellement impliquent de nouvelles découvertes qui demandent une nouvelle réflexion-dans-l’action. Ce processus dialectique en spirale passe par des phases d’appréciation, d’action et de réappréciation. La situation unique et incertaine se comprend alors à travers l’effort entrepris pour la modifier. De plus, elle est modifiée par la tentative de la comprendre. Tout au long de ce processus, l’individu en action fait appel à ses expériences passées et les utilise comme source d’information pour intégrer ou non à sa conception générique les formes émergentes du projet obtenant ainsi une projection dans l’avenir de ce que son projet pourrait devenir. L’individu en action se trouve dans un mouvement de «va et vient» entre l’immersion intense dans les détails de la situation-problème et l’aperçu distancié de

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l’ensemble du projet qu’il est en train de constituer.

Revenons à l’improvisation. Comme dans la réflexion-dans-l’action elle ressemble dans son application à l’idée d’apprentissage expérientiel où la capacité à se débrouiller repose sur la pratique. Si nous considérons le propriétaire-dirigeant de la PME comme quelqu’un de très improvisateur parce qu’il fait face à de nombreux imprévus, nous pouvons également le considérer comme un «penseur en action» dans une bonne partie de ses activités. Comme le soulignent Gibb et Scott (1985), le travail des propriétaires-dirigeants de PME se base en grande partie sur le learning by doing.

Argyris et Schön (1978) parlent plutôt du cycle de l’apprentissage en termes de découverte, d’invention, de production et de généralisation des connaissances. Ces auteurs soutiennent que l’apprentissage ne survient que si la nouvelle connaissance a été traduite dans un comportement différent qui peut être reproduit. De ce point de vue, nous pouvons considérer que l’apprentissage ne peut être reconnu qu’a posteriori ou encore que nous ne pouvons jamais prévoir avec exactitude s’il se produira dans une situation donnée.

À partir des apports théoriques des auteurs de l’apprentissage expérientiel et en passant par certaines adaptations d’un modèle suggéré par Kofman14, Kim (1993b) propose le modèle indiqué dans le schéma 3 (zone grise). Nous l’utilisons comme point de départ de notre appréciation de l’apprentissage individuel en management stratégique de PME. Il est important de mettre en valeur l’apprentissage par l’expérience car très souvent les activités stratégiques des PME sont centrées sur le court terme adoptant la formule du learning by doing (Gibb et Scott, 1985). De plus, une grande partie des propriétaires-dirigeants ont un profil réactif.

Dans le modèle de Kim (1993b), les deux niveaux d’apprentissage individuel – niveaux conceptuel et opérationnel – se rapportent aux deux parties de l’ensemble des images individuelles. L’apprentissage opérationnel représente l’apprentissage qui se fait au niveau des procédures lorsque l’on apprend les étapes pour accomplir une tâche particulière. L’apprentissage opérationnel produit certes l’accumulation et le changement des routines mais celles-ci peuvent influencer à leur tour le processus d’apprentissage opérationnel.

L’apprentissage conceptuel s’intéresse avant tout au «savoir-pourquoi» qui explique pourquoi les choses sont faites de telle ou telle façon. Ce type d’apprentissage peut parfois changer la nature de base ou l’existence de conditions déjà établies pour des procédures ou des conceptions et inciter la formation de nouvelles structures de base (frameworks) dans les images de l’individu. Les nouvelles structures de base (ou même des suppositions de base) ouvrent la voie à des développements plus radicaux (comme les innovations radicales) qui sortent de la sphère des progressions incrémentelles continues. Chez l’individu cela est dû à un changement dans sa façon de percevoir les situations-problèmes et la réalité. Ce genre d’apprentissage qui apporte des changements au niveau des images de l’individu reçoit le nom classique d’«apprentissage en boucle double» – double loop learning (Argyris et Schön, 1978).

Ce modèle est utile à la compréhension de l’apprentissage individuel en contexte de PME. De toute évidence, l’individu qui nous intéresse le plus est le propriétaire-dirigeant. Son processus d’apprentissage détermine en grande partie la formation de la vision partagée par les membres de la PME ainsi que l’apprentissage organisationnel promu par le management stratégique de sa PME. Cependant, lorsque nous décrivons le processus essentiel du management stratégique en contexte de PME, nous remarquons que les modèles et la théorie de l’apprentissage expérientiel sont sérieusement limités; en effet, ce processus ne s’applique pas à l’apprentissage anticipé de la prévision de scénarios futurs ni à l’anticipation des mesures à prendre «au cas où…». Comme nous l’avons dit, l’apprentissage décrit par le modèle est intimement lié au vécu expérientiel des personnes le plus immédiat dans le temps.

Le schéma 3 présente de façon succincte comment l’apprentissage anticipé interfère sur le

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changement qui s’opère sur la réalité présente de la PME selon le cycle d’apprentissage expérientiel. Il favorise le changement des images et de la vision des acteurs stratégiques qui guident leurs actions, actions basées sur leurs attentes par rapport à la situation environnementale future et à la condition future de leur PME dans l’environnement.

Schéma 3 : Intégration des modes d’apprentissage expérientiel et anticipé

Étant relié à des événements futurs possibles, l’apprentissage anticipé s’opère au niveau de la subjectivité des acteurs stratégiques de la PME. Cet apprentissage ne se rapporte pas à une réalité présente où des actions se déroulent. Il est largement utilisé par les propriétaires-dirigeants de profil visionnaire et beaucoup moins par ceux dont le profil est opérateur-réactif. Comme une grande partie des propriétaires-dirigeants de PME est de type opérateur-réactif, il faut souligner l’importance de l’approche expérientielle. Mais même ce type de propriétaire-dirigeant a le droit de jouer au visionnaire de temps à autre! Il serait naïf de notre part de nous appuyer uniquement sur des conceptions pures lorsque nous regardons le profil des propriétaires-dirigeants de PME car ce profil semble se trouver le plus souvent entre les deux pôles «visionnaire» et «opérateur-réactif» d’un continuum.

Au cours d’un entretien pour notre recherche doctorale, un propriétaire-dirigeant brésilien nous a décrit comment il imaginait ce qui lui semblait être la meilleure solution à un problème. Pendant cet entretien le terme «simulation mentale» a émergé pour nommer l’exercice imaginaire où le propriétaire-dirigeant se sert de tests mentaux pour projeter les effets possibles de l’application d’hypothèses de solution à un problème prévu. Cet exercice implique que l’on doive utiliser son imagination pour développer un type de modélisation abstraite de la situation-problème sous la forme d’un système où l’on fait entrer des hypothèses de solution (intrants) en cherchant à projeter les résultats possibles (extrants). Dans cet exercice mental, on essaie de trouver quelle hypothèse de solution semble la plus intéressante à mettre en œuvre. Pourtant, rien ne peut assurer que l’on fera nécessairement ce genre d’exercice de manière consciente (inutile de dire que cela présuppose une certaine habileté de pensée systémique chez le propriétaire-dirigeant de PME).

Structures de base

Routines

Images de l’individu

Apprentissage individuel

Évaluation

Observation

Mise en œuvre

Conception

Conceptuel

Opérationnel

Évaluation

Observation

Mise en œuvre

Conception

Apprentissage anticipé par simulation mentale

Légende : Dans la zone grise : Modèle d’apprentissage expérientiel de Kim (1993, p. 40)

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La simulation mentale est importante dans l’apprentissage anticipé qui se déroule lors de situations où le propriétaire-dirigeant s’inspire d’une activité de prospection tout en conduisant le management stratégique de sa PME. L’apprentissage anticipé devient alors un atout de valeur parce qu’il peut aider le management stratégique à préparer la PME à ce qui semble être l’avenir aux yeux des dirigeants et des autres acteurs stratégiques qui les entourent. Selon notre modèle d’apprentissage organisationnel engendré par le management stratégique (schéma 1), la prospection peut inspirer l’apprentissage anticipé de la PME, c’est-à-dire sa préparation orientée par une attitude proactive individuelle à la base (le plus souvent celle du propriétaire-dirigeant) qui ensuite est partagée pour initier l’action au niveau organisationnel.

Nous considérons la prospection stratégique non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Elle est la recherche plus ou moins systématique et la projection des tendances futures de l’environnement qui visent à identifier les opportunités et les menaces existantes ou potentielles inhérentes à cet environnement. Il semble que l’apprentissage anticipé en stratégie qui apporte des changements à la vision soit précédé par une simulation mentale du cycle d’apprentissage expérientiel. Ces changements s’adressent particulièrement à la manière de réaliser cette vision (niveau tactique) tout en respectant les nouvelles contraintes ou opportunités dégagées à travers l’exercice de prospection.

Lorsque nous reprenons notre modèle du schéma 1 qui montre la forme de base de la méthodologie des systèmes souples appliquée au management stratégique, nous remarquons que l’apprentissage anticipé implique le changement des images futures de la PME. Comme ces images forment les bases qui guident l’intervention du management stratégique sur la réalité présente de la PME pour l’améliorer, elles conditionnent l’action stratégique présente qui s’inspire d’événements détectés par la prospection. C’est ce qui caractérise la gestion stratégique proactive.

En fait, cela implique que la prospection (et la simulation mentale qui y est associée) peut conditionner l’apprentissage du vécu expérientiel le plus immédiat si elle arrive à participer à un processus qui conduit au changement de la vision – et des images des personnes en cause. L’apprentissage anticipé promu par le management stratégique vise à prévoir les problèmes futurs et leur solution du moins partielle. Ici, l’intérêt est de diminuer graduellement, à partir du présent, un écart futur possible entre la condition réelle de la PME et deux autres éléments qui sont l’environnement perçu et la vision. Si un grand écart est constaté à la dernière minute, la PME risque de ne pas avoir en mains les moyens nécessaires pour le surmonter adéquatement ni avoir le temps d’agir. En conséquence, il importe d’apprendre par anticipation.

3.2- Le partage stratégique en contexte de PME et son «sensegiver» central

En contexte de PME, la réalité organisationnelle est marquée par le propriétaire-dirigeant qui influence énormément les niveaux subjectifs de l’équipe de direction et ceux de toute l’organisation. De plus, l’apprentissage organisationnel en contexte de PME se développe largement à l’image du propriétaire-dirigeant. Ainsi, le niveau subjectif individuel de ce dernier est le noyau dur de la subjectivité organisationnelle partagée étant donné qu’en gestion de PME15 le propriétaire-dirigeant est le principal donneur de sens («sensegiver» selon Gioia et Chittipeddi, 1991).

Le propriétaire-dirigeant est l’acteur central qui définit les caractéristiques de sa PME. Cette relation étroite entre le propriétaire-dirigeant et la PME a été constatée par un grand nombre de chercheurs qui ont montré un intérêt particulier pour ce sujet (Castaldi, 1986; d’Amboise, 1989; Filion, 1988, 1991; Julien, 1994, 1998; Julien et Marchesnay, 1987; Julien, Morel et Chicha, 1986; Miller et Toulouse, 1986). Selon Hafsi (1985), par contre, lorsqu’il s’agit des grandes entreprises, la relation tend à ne pas être aussi étroite. Pour cet auteur, le dirigeant de petite entreprise est un «manager direct» puisqu’il a «une connaissance directe et intime de la situation. Il peut alors faire face à l’incertitude et à l’ambiguïté en

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faisant appel à son expérience et à son intuition» (p. 6). Ce n’est pas le cas dans les grandes organisations où la division du travail est généralement plus profonde. Le propriétaire-dirigeant est l’acteur prépondérant dans la PME qui se développe à son image. En ce sens, la PME peut être vue comme une organisation idiosyncratique – ou, à la limite, comme une mégapersonne, comme dirait Torrès (1999).

Selon Jennings et Graham (1997), la structure des organisations de petite taille se développe autour des intérêts et des habilités de ses principaux acteurs et présente une forme de management stratégique plus implicite qu’explicite étant pratiquée instinctivement et non rationnellement ni de façon analytique. De plus, ils considèrent que le processus administratif des petites entreprises est différent de celui des grandes organisations à cause de la motivation de base du propriétaire-dirigeant. Dans les grandes organisations, les objectifs sont généralement financiers et le succès est obtenu par la maximisation des profits; dans les petites entreprises, l’argent et la poursuite de la richesse financière personnelle ne sont pas aussi importants que le désir d’indépendance, d’implication personnelle et de responsabilité que le propriétaire-dirigeant éprouve. Par conséquent, la compréhension du processus de management dans les petites entreprises ne peut pas se faire sans saisir la façon d’être, les aspirations et les expériences du principal acteur (ou des principaux acteurs lorsqu’il y a plus d’un seul propriétaire-dirigeant) de la petite entreprise.

La cohérence de l’action stratégique n’est pas possible sans l’existence d’un sens partagé par les acteurs stratégiques. Ce sens partagé ou esprit collectif (Weick et Roberts, 1993) peut s’atteindre par le biais de conversations continues et par la pratique partagée qui génèrent l’ajustement mutuel et l’action négociée. Ainsi, la communication devient le principal véhicule de la vision partagée par les acteurs du management stratégique de PME. La rhétorique joue un rôle central dans les actions du propriétaire-dirigeant qui visent à s’assurer la collaboration des autres personnes. L’observation du comportement des personnes prises comme modèles dans l’organisation (bien souvent les participants de l’équipe de direction) peut constituer un autre véhicule important de la vision partagée mais de manière plus implicite que dans le cas de la communication. De plus, la communication est un élément fondamental dans la formulation de la vision de l’entreprise. La formulation comme processus d’apprentissage repose sur des activités d’acquisition des connaissances, d’échanges, d’interprétation et de rétention des informations (Huber, 1991) – toutes des activités qui ont un caractère communicationnel certain (Giroux et Taylor, 1994/95).

À partir de ces considérations et dans une perspective systémique, nous proposons un modèle qui représente la dynamique d’interaction de la PME et de ses membres avec le propriétaire-dirigeant qui les modèlent à son image par sa prépondérance (voir schéma 5). Ce modèle comprend trois niveaux systémiques (le propriétaire-dirigeant, l’équipe de direction et tous les acteurs impliqués dans la PME y compris les deux catégories précédentes) en relation dialectique entre eux mais aussi en interrelations et en rapport avec le contexte global (environnement). Ce modèle est utile pour comprendre le processus d’apprentissage stratégique en contexte de PME qui s’opère sous la prépondérance du propriétaire-dirigeant (Wyer et Mason, 1998).

Dans le modèle radial où le noyau dur correspond au propriétaire-dirigeant, un niveau systémique interagit avec les autres de façon directe – l’interaction est représentée par les flèches – ou de façon indirecte par l’intermédiaire d’un autre niveau. Par exemple, dans le partage de la vision du propriétaire-dirigeant, le niveau systémique de ce dernier interagit directement et indirectement avec celui de toute l’organisation. L’interaction directe (par communication et/ou par observation) est représentée par la flèche qui relie directement les deux niveaux tandis que l’interaction indirecte est celle qui se fait avec l’intermédiaire de l’équipe dirigeante.

En apprentissage stratégique, ce modèle est intimement associé au modèle d’apprentissage stratégique de PME (schéma 1). Son format radial représente visuellement la diffusion des influences internes qui définissent l’apprentissage stratégique de la PME, principalement à partir des activités, des

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caractéristiques et des volontés du propriétaire-dirigeant qui y est prépondérant (Wyer et Mason, 1998). Cet acteur est le principal «stakeholder» de l’esprit organisationnel (Mitroff, 1983)16. Cependant, malgré sa prépondérance, il n’est pas l’unique concepteur des images et de la vision partagées par les membres de son entreprise. Ces deniers sont, eux aussi, des «stakeholders» internes qui influencent et modèlent les images et la vision du propriétaire-dirigeant.

Comme l’explique Kim (1993b) dans son article The Link between Individual and Organizational Learning, l’apprentissage collectif dans une organisation ne peut avoir lieu que par l’institutionnalisation de l’apprentissage individuel qui se fait par la mise en commun (partage) dans la collectivité des images entretenues par les individus. En contexte d’apprentissage stratégique de PME, cela implique le partage de la vision qui, elle-même, est liée de façon intime aux images que les acteurs en présence entretiennent. En ce sens, ce dernier modèle se comprend comme un modèle de diffusion de l’apprentissage entre les différents niveaux de subjectivité en contexte de PME à partir, surtout, du propriétaire-dirigeant comme donneur de sens central («sensegiver», selon Gioia et Chittipeddi, 1991, qui parlent de la transmission de la vision entre individus d’une même organisation). Ce dernier façonne la PME et la formulation de la vision à son image en grande partie par ce qu’il a déjà appris et par ce qu’il apprend encore dans sa vie personnelle et professionnelle – ses images, sa vision, son savoir-être, son savoir-faire, son savoir-devenir et ses connaissances (Filion, 1988; 1991).

Schéma 4 : Modèle (préliminaire) de relations entre les niveaux systémiques en PME

Le modèle préliminaire présente une limite importante; dans la réalité le niveau systémique du propriétaire-dirigeant et celui de l’équipe dirigeante ne sont pas totalement internes au système PME. Certaines de leurs dimensions échappent à la sphère organisationnelle et à celle du travail – tout en ayant une certaine influence. Par exemple, certaines dimensions des membres de la PME sont spécifiques à leur vie familiale en dehors des frontières de l’entreprise mais peuvent influencer les processus internes de cette dernière. Bauer (1993) souligne que les inquiétudes que le propriétaire-dirigeant de PME a pour sa famille peuvent être déterminantes dans la bonne marche des affaires. C’est la dimension pater familias du propriétaire-dirigeant, l’une des trois rationalités qui, selon Bauer, détermine sa démarche d’affaires.

L’intégration de ces considérations au modèle préliminaire génère le modèle suivant qui est plus cohérent avec la réalité des PME (voir schéma 5).

Niveau collectif de toute l’organisation

Niveau individuel du propriétaire-dirigeant

Niveau collectif de l’équipe dirigeante

Environnement

Légende : Échange direct par communication et observation

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Schéma 5 : Modèle des relations entre les niveaux systémiques en PME

Le modèle que nous présentons au schéma 5 pourrait être ajusté selon d’autres scénarios possibles sur la propriété et sur la direction – existence de plusieurs propriétaires-dirigeants ou absence d’équipe dirigeante. Bien que l’on reconnaisse la prépondérance du propriétaire-dirigeant en contexte de PME, on ne peut accorder trop de crédit à la conception courante qui considère la PME comme une entreprise de structure simple à «une seule tête» au sommet (Mintzberg, 1979). Souvent, les PME présentent plus d’un seul propriétaire-dirigeant – d’ailleurs, beaucoup de PME sont créées et gérées par plusieurs partenaires. L’un peut être un «stakeholder» interne (Mitroff, 1983) très important par rapport à l’autre mais, ensemble, ils forment déjà une équipe de direction. On considère la prépondérance de chaque propriétaire-dirigeant par rapport à son domaine d’activités; par exemple, un propriétaire-dirigeant qui se charge de la R-D dans une PME informatique sera prépondérant dans ce domaine tandis qu’un autre qui se charge des finances le sera dans ce domaine. Les copropriétaires-dirigeants de la PME ont souvent tendance à diviser leurs activités de travail selon leurs affinités. Pour la PME dans son ensemble, la notion de prépondérance pourrait se déplacer du niveau systémique d’un seul propriétaire-dirigeant à celui de l’ensemble des copropriétaires-dirigeants. Toutes ces questions demandent, néanmoins, un approfondissement plus substantiel car les recherches sur les copropriétaires-dirigeants de PME demeurent rares.

Lorsque, par exemple, la PME est dirigée par une équipe composée de deux propriétaires-dirigeants, le partage de la vision en provenance de la direction se fait à deux niveaux plutôt qu’à un seul. Ce processus est différent de celui de la PME de structure simple où seulement une personne est à la tête du pouvoir et en relation directe avec tous les subordonnés hiérarchiques (l’organisation «à une seule tête» – Mintzberg, 1979). Dans ce dernier type de PME, le partage se fait directement entre le propriétaire-dirigeant qui est seul à la direction et le personnel de l’entreprise. Lorsqu’il y a direction conjointe, le partage se fait à un premier niveau entre les membres de l’équipe dirigeante puis à un deuxième niveau par diffusion à partir de l’équipe dirigeante avec l’ensemble de tous les acteurs de la PME. Chacun des dirigeants peut aussi partager sa vision individuelle avec le personnel; toutefois, l’action stratégique des membres de l’entreprise peut se heurter à des directives conflictuelles.

Robbins et Duncan (1988) étudient comment une équipe de direction en situation de gestion est capable de partager une vision. Ces auteurs soutiennent que la communication est importante pour formuler la vision exprimée par plus d’un dirigeant. Ils s’appuient sur les idées de Karl Weick pour qui la convergence des interprétations entre les membres d’une entreprise caractérise l’acte d’organiser (organizing), convergence qui est obtenue justement par la communication. Ainsi, pour développer sa vision organisationnelle, un dirigeant forge son interprétation de l’environnement en écoutant et en interagissant avec les gens qui l’entourent; ensuite, il développe sa vision individuelle, la communique aux membres de l’équipe de direction et à l’ensemble de l’organisation afin de la partager avec eux et pour

Niveau individuel du propriétaire-dirigeant

Niveau collectif de l’équipe dirigeante

Niveau collectif de toute l’organisation

Environnement

Légende : Échange direct par communication et par observation

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s’assurer de leur engagement lors de la mise en œuvre. Toutefois, pour ces auteurs, la participation d’acteurs multiples dans la prise de décision stratégique (ceux de l’équipe de direction) implique que la vision d’un dirigeant n’est pas automatiquement transformée en vision organisationnelle. Robbins et Duncan (1988) soulignent que la vision organisationnelle est plutôt le résultat de négociations entre les membres de l’équipe de direction. La vision négociée a donc tendance à être plus importante pour l’organisation que la vision individuelle d’un seul dirigeant car le processus de négociation génère l’engagement des personnes pour réaliser cette vision.

La situation de deux propriétaires-dirigeants de PME est présentée dans le schéma 6. Dans ce modèle, les échanges directs par communication et observation, indiqués par des flèches dans les modèles précédents, sont sous-entendus. Selon notre modèle, la formation de la vision partagée et le succès de l’entreprise dépendent du type d’influence que les deux propriétaires-dirigeants ont entre eux ainsi que de la qualité de cette influence. À partir de ces mêmes considérations, on pourrait développer des modèles où il y a plus de deux dirigeants.

Le rôle joué par le système de relations interpersonnelles des acteurs stratégiques est central dans la dynamique de formation et de renouvellement continus de leurs images et de leur vision – autrement dit, dans la dynamique de leur apprentissage continu. L’être humain est un être social, toujours construit, mais aussi constructeur de tout ce qui est social. La PME, comme milieu social légitime, n’échappe pas à cette réalité. Ainsi, les images et la vision qu’un propriétaire-dirigeant (et tout autre acteur en contexte de PME) veut partager émergent en grande partie de ses relations (Filion, 1988; 1990; 1991).

Schéma 6 : Modèle des relations en PME avec deux propriétaires-dirigeants

3.3- Apprentissage stratégique en PME selon l’optique du propriétaire-dirigeant

Après avoir utilisé le modèle de Kim (1993a, 1993b) pour discuter de l’apprentissage individuel en mettant l’accent sur le propriétaire-dirigeant de PME, nous allons voir un autre modèle de ce même auteur. Il s’agit, cette fois, de discuter de l’apprentissage stratégique de la PME au niveau organisationnel dont la principale source d’inspiration sont les images et la vision de son propriétaire-dirigeant – ou de ses copropriétaires-dirigeants. Nous traitons de ce sujet en gardant l’intégration de la notion d’apprentissage anticipé des modèles de Kim ce qui contribue à leur élargissement. Au niveau organisationnel, Kim appelle son modèle OADI-SMM (observe, assess, design, implement - shared mental models). Dans son approche, cette appellation dévoile le caractère central du partage des images individuelles pour la

Légende :

Influence mutuelle entre propriétaires-dirigeants

Environnement

Niveau individuel du propriétaire-dirigeant

Niveau collectif de toute la PME

Niveau individuel du propriétaire-dirigeant

Niveau collectif de l’équipe dirigeante

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construction de l’apprentissage organisationnel. Ce modèle est une proposition d’intégration de son modèle d’apprentissage expérientiel avec deux autres modèles d’apprentissage organisationnel – celui de March et Olsen (1975) qui prend l’organisation comme un système comportemental – et celui de scanning, interpretation and learning de Daft et Weick (1984) qui prend l’organisation comme un système interprétatif.

Comme dans le cas du niveau individuel d’apprentissage, le concept de mémoire organisationnelle ne semble pas très utile pour parler d’apprentissage organisationnel à cause de son caractère statique. Il est plus indiqué de parler d’images partagées que de mémoire en contexte d’apprentissage stratégique de PME étant donné le caractère dynamique et actif des images qui influencent ce que nous faisons et comment nous percevons la réalité (Kim, 1993a, 1993b).

Dans le schéma 7, le partage des images des individus qui se trouve dans les rapports entre les «Images de l’individu» (qui contiennent les «Structures de base» et les «Routines») et les «Images partagées» (qui contiennent les «Routines organisationnelles» et les «Structures de base partagées») réaffirme les idées que nous avons présentées au schéma 5. Cependant, ce modèle apporte un élément nouveau par rapport à nos descriptions du partage de la vision car les échanges entre les niveaux de subjectivité de l’individu et ceux des collectivités dans l’organisation – soit entre «Images de l’individu» et «Images partagées» – sont liés nécessairement à l’apprentissage organisationnel en boucle double (AOBD). À partir des idées de Argyris et Schön (1978) nous constatons que les échanges entre les deux niveaux provoquent des changements chez l’un et chez l’autre ce qui est logique car nous ne pouvons pas parler d’apprentissage dans le cas d’une simple répétition des connaissances. Si rien de nouveau n’est généré, il n’y a pas apprentissage. Donc, au niveau systémique des images – qu’il s’agisse des images des individus, de celles d’une collectivité ou même de celles de l’ensemble des membres de l’organisation – l’apprentissage est nécessairement en boucle double. C’est pour cette raison que dans le schéma 7 tous les rapports représentés par des flèches sans lien avec «Images de l’individu» ou «Images partagées» sont identifiés comme un apprentissage en boucle unique.

En suivant cette logique, les apprentissages individuel anticipé et organisationnel anticipé se déroulent en boucle double. Ils sont incorporés respectivement aux images individuelles et aux images partagées de façon à guider le comportement des membres de la PME dans le présent tout en prévoyant les événements futurs. Dans la PME, la simulation collective, comme base de l’apprentissage organisationnel anticipé, n’échappe pas à la règle : ses constituants fondamentaux sont les individus. La simulation collective est plus ou moins développée dans la PME selon le profil plus ou moins proactif du propriétaire-dirigeant et de l’équipe de direction dont il fait partie.

De Geus (1988) parle de la simulation comme la création de «what if» scenarios et de la planification comme les réponses à ces scénarios, un peu comme un jeu qui serait un outil d’apprentissage très important pour maintenir son avantage concurrentiel dans un marché – qui est très dynamique. Ainsi, «The organization tries to encounter environmental changes by developing strategies for self-transformation ‘before the pain of a crisis’» (De Geus, 1988, p. 71). L’apprentissage anticipé permet d’augmenter le pouvoir de l’apprentissage organisationnel face à la turbulence de l’environnement de l’entreprise. La simulation collective, comme démarche proactive d’apprentissage des membres de la PME repose sur des principes de base que l’on retrouve dans les idées de De Geus. Toutefois, on doit garder à l’esprit que dans la PME, cet apprentissage se fait le plus souvent de façon simple et informelle.

La simulation collective comme processus producteur de l’apprentissage organisationnel anticipé est plus explicite et consciente que la simulation mentale individuelle. Selon nos observations auprès de propriétaires-dirigeants (et même auprès d’autres personnes) au Brésil et au Canada, la simulation collective survient souvent lorsqu’un acteur stratégique de la PME soumet ses hypothèses de solution pour un problème stratégique à l’appréciation de ceux dont il respecte le jugement.

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Ce genre d’interaction est très courant dans des PME brésiliennes et canadiennes que nous étudions. En principe, l’acteur qui recherche l’opinion des autres est plutôt intéressé à tester ou à légitimer certaines initiatives qu’il pense entreprendre. Mais, en général, il est aussi assez ouvert pour apprécier d’autres hypothèses de solution qui lui sont proposées ou qui attirent son attention. Pour qu’un processus de simulation collective puisse démarrer, les individus impliqués doivent construire une image partagée du problème et des suppositions fondamentales qui s’y rattachent. En général, les personnes qui veulent avoir l’opinion des autres sur la solution à donner à un problème quelconque tendent naturellement à leur expliquer la nature même du problème. Cette démarche s’applique surtout lorsque les personnes consultées ne connaissent pas le problème ni ses enjeux.

Donc, si un propriétaire-dirigeant de PME veut discuter d’un problème stratégique avec l’équipe de direction, il s’assure d’abord que celle-ci partage en partie ses images et comprennent le problème. C’est ce partage qui rend la simulation collective possible (voir schéma 7). Dans ce schéma nous constatons qu’il n’existe aucune liaison directe entre l’apprentissage individuel anticipé par simulation mentale et l’apprentissage organisationnel anticipé par simulation collective.

Lors de la simulation collective en management stratégique (dont le véhicule d’échange le plus commun est le dialogue), les acteurs stratégiques s’entraident pour évaluer les hypothèses de solution qui existent au départ ainsi que celles qui émergent au cours du processus de simulation. Le propriétaire-dirigeant, déclencheur de ce processus, tient à tester ou à développer des hypothèses de solution pour résoudre un problème qu’il croit bien défini au départ; pourtant, pendant la dynamique des échanges, il se rend compte qu’il doit améliorer ou corriger son image du problème. Ainsi, l’intersubjectivité émerge grâce aux échanges entre les différentes personnes qui parviennent à dépasser leurs limites perceptives pour produire des images plus cohérentes par rapport à la réalité. Ce processus tend à augmenter l’efficacité des décisions stratégiques qui sont prises par les acteurs stratégiques de la PME.

La simulation individuelle et la simulation collective sont des systèmes qui cherchent à comprendre (inquiring systems selon Churchman, 1971) une situation-problème. Argyris et Schön (1978) utilisent également la notion d’«inquiring». Pour eux, l’(les) individu(s) qui entreprend(nent) un processus d’«inquiring» ont tendance à reformuler les images (apprentissage en boucle double) qu’ils avaient auparavant. Selon l’approche interprétative de la simulation collective, Mitroff (1983) voit les dirigeants qui interagissent comme les «stakeholders» de l’esprit organisationnel. Ils influencent mutuellement l’image qu’ils ont de la question qu’ils examinent conjointement grâce à des points de vue différents ou même opposés. Cette appréciation défie la robustesse des fondements même des images et du point de vue de chacun des participants dans le processus. Elle permet de comprendre la situation-problème examinée et de considérer les hypothèses de solution comme une synthèse qualitativement supérieure à ce que pourrait produire la réflexion individuelle isolée de chacun des participants du processus d’«inquiring» (Churchman, 1971; Mitroff et Linstone, 1993).

Appliqué aux questions stratégiques, le processus de simulation individuelle ou collective peut contribuer au développement de la vision des dirigeants de la PME. Ce processus qui est une forme d’apprentissage anticipé peut générer des éléments de connaissance importants pour le développement de la vision des dirigeants qui, à son tour, sert à orienter le développement de la PME (Filion, 1988).

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Schéma 7 – Passage de l’apprentissage du niveau individuel au niveau organisationnel

Légende : ABS : Apprentissage en boucle unique ABD : Apprentissage en boucle double AIBS : Apprentissage individuel en boucle unique

AIBD : Apprentissage individuel en boucle double AOBS : Apprentissage organisationnel en boucle unique AOBD : Apprentissage organisationnel en boucle double

Apprentissage individuel

Évaluation

Observation

Mise en œuvre

Conception

Opérationnel

Conceptuel

Action organisationnelle

Action individuelle

«Réponse de la réalité»

ABS

AIBS

ABD

AOBS

Apprentissage individuel anticipé

par simulation mentale

Apprentissage organisation-

nel anticipé par simulation collective

AOBD

AIBD

AOBD AIBD

Structures de base partagées

Routines organisa-tionnelles

Images

partagées

Routines Structures

de base

Images de l’individu

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Pour que le modèle «Passage de l’apprentissage du niveau individuel au niveau organisationnel» (schéma 7) soit plus facile à comprendre, il faut préciser que la répétition de l’ombre de certaines composantes en arrière-plan (correspondant aux processus individuels, comme «Apprentissage individuel») sert à montrer que d’autres processus individuels du même type se déroulent au sein de l’organisation. Ainsi, si nous parlons d’un propriétaire-dirigeant, non seulement lui mais aussi d’autres personnes dans la PME passent par un processus d’apprentissage individuel qui est représenté dans le modèle par «Apprentissage individuel». Cette démarche s’applique à la PME dont le management stratégique est mené par des copropriétaires-dirigeants où chacun des copropriétaires-dirigeants passe par des processus d’apprentissage individuel différents mais simultanés. La combinaison de ses processus individuels d’apprentissage peut générer l’apprentissage collectif des copropriétaires-dirigeants.

Nous pouvons donc parler de processus d’apprentissage multiples et concomitants au sein de la PME qui touchent plus d’une personne (et même plus d’un objet d’apprentissage) parce que tout simplement il ne peut y avoir ni partage ni apprentissage organisationnel lorsqu’il est question d’un individu unique. Il faut nécessairement l’interaction dynamique de plus d’un processus d’apprentissage individuel pour générer la synergie qui est le différentiel fondamental entre l’apprentissage stratégique organisationnel et la simple somme des apports individuels en apprentissage stratégique de la PME. De cette manière, les «Images partagées» constituent une seule entité dans notre modèle qui dérive de l’interaction dynamique entre plusieurs entités de type «Images de l’individu» ancrées dans différents individus de la PME. Toutefois, en management stratégique, nous ne devons pas oublier la place prépondérante des «Images de l’individu» du niveau systémique de l’équipe de direction.

L’action stratégique organisationnelle est une entité dont l’existence est possible grâce à l’émergence des images partagées ou d’une vision partagée. Si l’action n’est pas reliée à une logique développée au niveau collectif des membres de l’organisation, elle ne mérite pas le qualificatif «organisationnelle». Ce n’est pas l’organisation elle-même qui agit dans le cas de l’action organisationnelle mais ses membres, collectivement empreints d’un «esprit organisationnel». En management stratégique en contexte de PME, les membres de l’entreprise qui sont très influencés par la subjectivité du propriétaire-dirigeant (ou des copropriétaires-dirigeants) génèrent le partage des images et de la vision. Ce partage où le propriétaire-dirigeant est le principal «stakeholder» de l’esprit organisationnel (Mitroff, 1983) caractérise l’apprentissage organisationnel. Dans le schéma 7, ce type de raisonnement justifie la représentation de l’«Action organisationnelle» comme un construit qui découle des «Images partagées».

Qu’elle soit individuelle ou organisationnelle, l’action a des effets sur le quotidien de l’entreprise. La perception de ces effets dans la réalité («Réponse de la réalité») ne peut s’effectuer qu’à travers les membres de l’organisation individuellement. Ainsi, comme nous le voyons dans le schéma 7, la «Réponse de la réalité» dans le processus d’apprentissage individuel des individus est reliée à l’observation. La perception de la dynamique entre les trois entités «Action organisationnelle», «Action individuelle» et «Réponse de la réalité» ne s’opère pas nécessairement au niveau subjectif de l’individu de façon à changer ses images (à titre de structures de base ou de routines); pourtant, ce sont ces trois entités qui génèrent l’apprentissage en boucle unique. Si la perception de cette dynamique provoque un tel changement, les rapports entre l’apprentissage individuel et les «Images de l’individu» impliquent un apprentissage en double boucle.

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PARTIE 4 – APPRÉCIATION DE L’APPROCHE D’APPRENTISSAGE SYSTÉMIQUE

4.1- Intégration des modèles

Le modèle d’apprentissage stratégique de PME (schéma 1) est implicitement intégré dans celui du passage de l’apprentissage du niveau individuel au niveau organisationnel (schéma 7) qui représente un élargissement du modèle proposé par Kim (1993a, 1993b). Dans l’apprentissage stratégique de PME, les membres du sous-système de management stratégique apprennent et forment la vision qui va orienter l’action stratégique de la PME. Ainsi, les membres de ce sous-système sont en même temps les acteurs stratégiques apprenants mais aussi les promoteurs de l’apprentissage. En apprentissage stratégique, le modèle de relations entre les niveaux systémiques en PME (schéma 5 et ses variations possibles) peut se concevoir comme un modèle de diffusion de l’apprentissage sous la prépondérance du propriétaire-dirigeant comme «donneur de sens» («sensegiver» selon Gioia et Chittipeddi, 1991) et comme principal «stakeholder» de l’esprit organisationnel (Mitroff, 1983). Le management stratégique engage toute la PME à entreprendre les actions organisationnelles jugées nécessaires pour intervenir sur la réalité de l’organisation face à l’environnement en ayant comme orientation la vision. Cette vision est en grande partie la résultante de l’apprentissage des acteurs du management stratégique.

Notre intégration de l’apprentissage anticipé au modèle de Kim (1993a, 1993b) rend possible l’utilisation de ce modèle pour décrire l’apprentissage organisationnel dans de nombreuses PME car il élargit le pouvoir descriptif et analytique du modèle. Cet élargissement rend le modèle utile pour discuter des cas de PME dont le management stratégique est de type improvisateur-réactif ou même de type proactif-visionnaire. Dans le cas du management stratégique de type improvisateur, l’apprentissage anticipé est virtuellement inexistant. Le modèle d’apprentissage organisationnel proposé par Kim (1993a, 1993b) est suffisant pour décrire l’apprentissage dans une PME dont le management stratégique est de type improvisateur-réactif mais il ne convient pas pour une PME dont le management stratégique est proactif-visionnaire.

Dans les modèles que nous avons présentés plus haut, trois niveaux d’apprentissage stratégique sont en constante relation dynamique : (1) celui du niveau individuel des acteurs stratégiques en rapport avec chacun des acteurs stratégiques de l’équipe de direction; (2) celui du niveau du management stratégique qui fait intervenir l’apprentissage partagé au niveau collectif – des acteurs stratégiques qui tendent à être les participants de l’équipe de direction; (3) celui de l’organisation qui implique l’apprentissage partagé et diffusé à l’ensemble des membres de la PME.

Dans le processus d’apprentissage stratégique de PME qui repose sur ces trois niveaux en interrelation, le propriétaire-dirigeant (ou les copropriétaires-dirigeants) est le «donneur de sens» («sensegiver») fondamental. Selon la typologie de Shrivastava (1983), développée à partir de sa thèse doctorale, nous pouvons considérer qu’il est «the one man institution». Il en est ainsi car il est un point d’appui important de l’apprentissage organisationnel dans sa PME. En d’autres mots, «He acts like a filter and controls the flow of information to and from every important manager. By virtue of his knowledge, experience, and position in the organization he is considered by organizational members to be the source for all critical information» (Shrivastava, 1983, p. 20). Ses perceptions, ses biais et ses limites deviennent en partie les limites et les perceptions de sa PME et ce, par un processus d’acceptation tacite des autres membres (Argyris et Schön, cités par Shrisvastava, 1983).

Bien que l’on admette la prépondérance du propriétaire-dirigeant et son importance en contexte de PME, on ne doit pas se laisser trop influencer par l’approche courante du «one man show». Cette approche se base sur la description de la PME comme une entreprise de structure simple et «d’une seule tête» à la direction (Mintzberg, 1979) considérant le propriétaire-dirigeant comme «le capitaine seul à bord» (en allusion à Courville, 1994). Il faut souligner une fois de plus qu’il peut exister dans la PME plus d’un propriétaire-dirigeant. Par exemple, dans le cas de deux propriétaires-dirigeants, vraisemblablement l’un

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d’eux est le principal «stakeholder» interne par rapport à l’autre mais tous les deux forment une équipe de direction.

4.2- Réponse au besoin de conciliation volontarisme-déterminisme en PME

Si d’un côté il existe le besoin de faire place à une bonne dose de volontarisme dans l’étude des PME, de l’autre il est impossible de nier qu’une bonne dose de déterminisme est aussi nécessaire. Les recherches empiriques en gestion indiquent que les caractéristiques des PME incluent non seulement la prépondérance du propriétaire-dirigeant mais aussi le caractère particulièrement contraignant de l’environnement par rapport à ces organisations dont les ressources sont restreintes.

Par conséquent, nous en sommes arrivés à la conclusion que le propriétaire-dirigeant est le principal acteur stratégique en contexte de PME. Les auteurs que nous citons (par exemple, d’Amboise, 1997; Filion, 1988, 1991; Jennings et Graham, 1997; Gibb et Scott, 1985) insistent sur le besoin de privilégier sa prépondérance dans la recherche en stratégie de PME. De plus, un grand nombre d’auteurs soulignent l’importance du concept de vision en stratégie de PME (par exemple : Bayad et Garand, 1998; Carrière, 1990; Filion, 1989, 1991; Mintzberg, 1996) ce qui indique le besoin d’accorder une place considérable au volontarisme dans ce type de recherche.

Mis à part le volontarisme, les PME sont souvent qualifiées de vulnérables ou de fragiles face aux forces du marché ce qui détermine en grande partie le besoin d’une flexibilité structurelle stratégiquement centrale pour la PME (Julien, 1998; Kao, 1989). En soutenant l’importance de l’apprentissage en stratégie de PME, Marchesnay (1991) constate que :

«L’environnement semble être une composante incontournable du mode de structuration des organisations, tout particulièrement pour les PME. Celles-ci sont confrontées à des problèmes de vulnérabilité, de dépendance et d’agressivité, dont la densité modèle les processus de prise de décision stratégique» (p. 135, caractères gras ajoutés par l’auteur).

D’Amboise (1997) affirme que face aux grandes turbulences environnementales, le dirigeant de PME doit apprendre non plus à prévoir mais à s’outiller pour faire évoluer son entreprise. Pour illustrer son propos, l’auteur fait une analogie intéressante en utilisant un passage du livre de Courville (1994) «Piloter dans la tempête, comment faire face aux défis de la nouvelle économie». Selon l’image suggérée par d’Amboise, le propriétaire-dirigeant doit apprendre…

«…[e]xactement comme le capitaine d’une petite embarcation emportée dans la tourmente qui doit réagir à tout instant en fonction des sauts du vent, de l’orientation et de la forme des vagues au moment même où elles se forment. Ni la route ni les manœuvres ne sont plus prévisibles comme elles l’étaient par temps calme. Plongé dans la tempête, le capitaine doit composer avec elle, minute par minute : sa survie en dépendant.» (Courville cité par d’Amboise, 1997, p. 45)

Cette analogie structure de façon remarquable les forces volontaristes et déterministes qui se combinent dans la vie des PME.

À présent, on peut se poser la question suivante : «Quelle approche doit-on privilégier pour prendre en compte le volontarisme et le déterminisme en stratégie de PME?». L’approche de l’apprentissage systémique est une voie prometteuse pour donner une réponse satisfaisante à cette question. Cette approche permet de traiter de l’aspect volontariste en stratégie de PME et ce, notamment en utilisant le concept de vision. Cette approche permet aussi de composer avec le déterminisme, vu que le concept d’apprentissage en systémique touche en grande partie à la transformation de la condition interne d’un système pour maintenir ou pour créer la cohérence de sa condition par rapport à son contexte. L’utilisation du concept d’apprentissage de l’organisation s’inspire en partie de l’école de la contingence (Fiol et Lyles,

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1985) qui met en valeur l’approche déterministe. De plus, à la base de la systémique, se trouve la notion de hiérarchie des niveaux de complexité, dont l’application au cas de la PME produit une approche où l’entreprise (moins complexe) met en œuvre des activités de contrôle pour assurer sa compatibilité avec l’environnement (plus complexe qui détermine ainsi en grande partie l’évolution de la PME).

4.3- Réponse au besoin d’une approche globale en stratégie de PME

Contribuant au courant qui souligne le caractère prépondérant du dirigeant dans le processus administratif, Barnard (1938) fut l’un des premiers à considérer que l’activité du dirigeant était de nature systémique tout en étant basée sur du non logique. Selon cet auteur, le dirigeant ne se trouve pas toujours dans des conditions optimales pour prendre des décisions à partir d’analyses rationnelles. Il dépend souvent de son jugement et de son intuition pour trouver la solution à des situations-problèmes qui demandent des réponses immédiates.

Ce type de situations exige que le dirigeant aille au-delà des méthodes intellectuelles et des techniques qui distinguent les facteurs d’une situation donnée et ceux de l’action logiquement déterminée. Le processus d’organisation lui demande de comprendre l’organisation comme un tout et de pondérer les aspects pertinents du contexte (l’environnement de l’entreprise y compris) en plus de reconnaître son propre rôle dans ce tout. Les termes centraux et implicites de cette dynamique sont le sentiment, le jugement, la perception, la proportion, le terme «balance» ainsi que tout ce qui est approprié : «it is a matter of art rather than science, and is aesthetic rather than logical» (Barnard, 1968, p. 235). Calori (1998) souligne qu’en stratégie cette perspective a été marginalisée jusqu’en 1994 à cause de l’orthodoxie rationnelle; par la suite, le rôle de l’intuition créatrice dans ce domaine a commencé à être reconnu grâce au succès de Grandeurs et décadences de la planification stratégique (Mintzberg, 1994) et de La conquête du futur (Hamel et Prahalad, 1995).

Selon Liedtka (1997, 1998), les efforts pour définir plus précisément la signification du concept de pensée stratégique dans la pratique sont fortement limités à cause de la popularité du concept et de la fréquence de son utilisation. L’auteure soutient que souvent les études décrivent le concept par ce qu’il n’est pas : la traditionnelle planification stratégique. À partir de ce constat, elle décrit cinq attributs majeurs de la pensée stratégique dans la pratique; nous en retenons trois que nous présentons :

- Une perspective systémique : la pensée stratégique est systémique; le dirigeant possède une image mentale du système complet de création des valeurs de son entreprise et de son rôle dans ce système qui comprend aussi les interdépendances qui y sont contenues.

- Attention à l’intention : c’est la vision (que Liedtka appelle aussi «intention stratégique») qui permet au dirigeant d’avoir le sens de la direction en vue de donner une certaine cohérence aux actions quotidiennes des membres de son organisation. La vision permet aussi au dirigeant de concentrer son énergie et son attention de façon à éviter la distraction et à maintenir la convergence des actions stratégiques dans le temps afin d’atteindre les objectifs.

- Pensée dans le temps : la pensée stratégique qui est orientée vers l’avenir par la vision se sert de l’écart entre la condition présente et la condition future souhaitée comme d’un élément critique qui va façonner l’action présente. Le passé participe comme source inspiratrice des prévisions et comme répertoire de l’expertise à exploiter pour résoudre les problèmes présents et futurs. Une comparaison continue se fait à travers l’oscillation itérative entre les pondérations à la lumière du passé, du présent et de l’avenir.

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La description du processus stratégique de Liedtka (1997, 1998) ainsi que celle du processus managérial de Barnard (1938) ne s’adressent pas spécifiquement aux PME mais semblent pouvoir s’appliquer à ce genre d’entreprise. Ni Barnard (1938) ni Liedtka (1997, 1998) n’excluent explicitement cette possibilité. La description de Liedtka se comprend comme un processus d’apprentissage stratégique de l’entreprise. Pour ces deux auteurs, le processus d’apprentissage se déroule selon le comportement et la pensée de nature systémique du dirigeant qui mène le management stratégique.

Un élément relativement nouveau ressort de la description de Liedtka (1997, 1998) : lors du processus stratégique il y a coexistence et façonnement mutuel entre la vision stratégique et la stratégie émergente. Cette interaction génère ce qu’Avenier (1996) appelle la «stratégie tâtonnante», une idée qui rejoint ce que disait Mintzberg (1987) : en pratique, la formation de la stratégie marche sur deux jambes, l’une est délibérée tandis que l’autre est émergente. D’un coté, on garantit la stabilité dans la progression stratégique de l’organisation; de l’autre, on garantit la flexibilité. Ces propriétés apparemment non conciliables doivent se manifester dans la gestion stratégique de toute organisation.

Dans cette section, retenons que la recherche en stratégie de PME doit être en mesure de correspondre au comportement et à la pensée de nature systémique du(des) dirigeant(s) dans la PME. Comme le dirigeant est systémique dans sa façon de penser et qu’il agit en partie en dehors de la rationalité stricte en matière de gestion, une perspective d’étude restreinte aux aspects rationnels et logiques ne pourrait prendre en compte la globalité des aspects du management stratégique des PME. Comme le fait remarquer Pauchant (1997) lorsqu’il fait référence à la complexité du monde du management, «suivant le principe de "variété requise", une approche requiert une nature adéquate à la problématique à laquelle elle est appliquée» (p. 6). Même si le comportement du dirigeant n’est pas de nature systémique dans une étude empirique de PME en particulier, l’approche de l’apprentissage systémique en stratégie sera tout de même en mesure de le comprendre. Cette approche est aussi capable d’intégrer la notion de stratégie émergente en interaction avec la vision en gestion stratégique de PME.

4.4- L’autopoïèse en stratégie de PME – une approche faisable?

Lorsque l’on regarde les écrits de Maturana et Varela (1980) sur l’autopoïèse, on est tenté de les voir comme une voie très attirante pour comprendre la gestion stratégique en contexte de PME. L’autopoïèse semble intéressante pour approcher le développement de la vision lorsqu’on la comprend comme un moyen pour renforcer l’identité et la conscience du soi organisationnel dans la PME. Selon un raisonnement cohérent Collins et Porras (1996) constatent :

“Truly great companies understand the difference between what should never change and what should be open for change, between what is genuinely sacred and what is not. This rare ability to manage continuity and change – requiring a consciously practiced discipline – is closely linked to the ability to develop a vision. Vision provides guidance about what core to preserve and what future to stimulate progress toward.” (p. 65)

Le développement de la conscience du soi organisationnel (ou de l’identité organisationnelle) est très important au succès d’une PME. Les membres d’une organisation qui connaissent leur organisation, leur place, leur importance et leur rôle dans cette organisation ainsi que leurs forces et leurs objectifs en tant que collectivité organisée peuvent ainsi répondre collectivement avec efficacité aux changements de l’environnement de leur organisation. Cette force rend la PME moins vulnérable aux turbulences du milieu des affaires. Dans le contexte de l’autopoïèse, les acteurs stratégiques qui projettent sur leur réalité (l’autoréférence qui génère de la stabilité) la conscience du soi organisationnel se sentent plus sûrs d’eux-mêmes pour diriger la PME au milieu des instabilités de l’environnement et des ambiguïtés qui défient leur management stratégique. La projection de la conscience de soi par l’autoréférence (ou énaction) permet au management stratégique de promouvoir l’évolution de la PME face aux dynamiques de

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l’environnement par des changements stratégiques qui gardent au système PME sa consistance avec lui-même. «This is autopoiesis in action, a system focused on maintaining itself, producing itself. (…) Paradoxically, it is the system’s need to maintain itself that may lead it to become something new and different.» (Wheatley, 1999, p. 85).

Wheatley (1999) ajoute :

“Self-reference is the key to facilitating orderly change in the midst of turbulent environments. In organizations, just as with individuals, a clear sense of identity – the lens of values, traditions, history, dreams, experience, competencies, culture – is the only route to achieving independence from the environment. When the environment seems to demand a response, there is a means to interpret that demand. This prevents the vacillations, the constant reorganizations, and the frantic search for new customers and new ventures that continue to destroy so many business.” (p. 86)

Cependant, une question de fond très importante se pose lorsque nous parlons de l’application de l’autopoïèse à la PME. Pouvons-nous dépasser la métaphore? L’un des auteurs originaux de l’autopoïèse précise :

“Frankly, I do not see how the definition of autopoiesis can be directly transposed to a variety of other situations, social systems for example. It seems to me that the kinds of relations that define units like a firm (…) or a conversation (…) are better captured by operations other than productions. Such units are autonomous, but with an organizational closure that is characterizable in terms of relations such as instructions and linguistic agreement.” (Varela, 1981b, p. 38; caractères en italique dans l’original).

Pour Varela le sens du terme «production» est chimique ou biologique et fait littéralement référence à des organismes vivants. Il estime que la transposition du concept d’autopoïèse du domaine biologique au domaine social serait une erreur de catégorie. Plus encore, une telle transposition confond l’autopoïèse avec l’autonomie (voir Varela, 1989, p. 85). L’auteur voit l’entreprise comme un système autonome mais non comme un système qui présente le type spécifique d’autonomie qu’est l’autopoïèse. Il définit un système autonome comme une unité formée par un réseau d’interrelations entre ses composantes, des composantes qui, par le biais de leur dynamique interrelationnelle, (1) régénèrent récursivement le réseau d’interactions qui les produit et (2) construisent le réseau d’interrelations comme une unité dans l’espace où les interactions existent en constituant et en spécifiant les frontières de cette unité comme une séparation par rapport à son contexte (Varela, 1981a).

L’autonomie comprend l’autopoïèse. Cependant, il existe une différence entre les deux; un système autopoïétique produit ses propres composants (au sens biologico-chimique) en plus de conserver sa propre organisation. Traiter les entreprises d’entités autopoïétiques génère souvent des critiques; en effet, les auteurs reprochent aux entreprises de ne pas avoir de frontière concrète, physique, qui serait l’équivalent de la membrane qui sépare physiquement la cellule de son espace externe (Mingers, 1994). La notion de frontière de l’entreprise est controversée en raison des nombreux critères que l’on utilise pour la préciser – le critère physique seul est un moyen réductionniste de réaliser cette tâche. Par contre, dans les raisonnements originaux de la pensée autopoïétique la notion de frontière se rapporte à une perspective physique qui signifie littéralement la séparation entre deux espaces :

«(…) les cas d’autopoïèse tels que les systèmes vivants (…) ont comme critère de distinction une frontière topologique ; et les processus qui les définissent ont lieu dans un espace semblable à l’espace matériel, espace réel ou simulé par l’ordinateur.» (Varela, 1989, p. 85; sic)

Avant de reprendre une discussion éventuelle sur la PME comme système autopoïétique, il faut avoir présent à l’esprit les obstacles majeurs propres à ce concept afin de les éviter. Selon la recommandation de Varela (1981b, 1989) une voie alternative serait de reprendre la discussion en la basant non sur le concept d’autopoïèse mais plutôt sur celui d’autonomie. Le potentiel de contribution de ce dernier concept mériterait que des études en stratégie de PME soient menées plus en profondeur.

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4.5- Conclusion

L’apprentissage systémique apparaît comme une approche qui a énormément apporté à l’étude du management stratégique en contexte de PME. À partir de notre réflexion, nous pouvons souligner au moins six points qui rendent cette approche prometteuse : (1) elle est appropriée dans le cadre d’une démarche de recherche descriptive – plusieurs auteurs l’ont déjà mentionnée comme tout à fait nécessaire en stratégie de PME; (2) la perspective systémique convient très bien pour comprendre la complexité, les turbulences et la dynamique des affaires du monde actuel alors que les approches rationnelles-analytiques prédominantes en stratégie de PME sont plus limitées; (3) le concept d’apprentissage présente des atouts qui le rendent prometteur pour le domaine de la stratégie – des atouts toutefois peu exploités en stratégie de PME; (4) l’approche qui allie les avantages du concept d’apprentissage à ceux de la perspective systémique en stratégie de PME reste entièrement à développer – par sa perspective différenciée, l’utilisation d’une telle approche dans ce domaine peut mettre en lumière des aspects encore obscurs; (5) en stratégie de PME l’approche de l’apprentissage systémique permet de concilier les forces déterministes et volontaristes qui modèlent l’évolution de ce type d’entreprise; (6) l’approche correspond bien à la condition du dirigeant de PME, dont le processus de gestion de nature systémique est souvent basé sur des éléments non logiques/analytiques comme l’intuition mais est également axé sur un spectre temporel large.

Dans la description de certaines dimensions du management stratégique en contexte de PME, ce travail souligne l’utilité de la SSM développée par Checkland (1999) et Checkland et Scholes (1999). Nous avons utilisé les notions de base de cette méthodologie pour approcher de façon générique l’ensemble des PME en tenant compte des caractéristiques indiquées par les recherches typiques à ces entreprises. Dans le cas spécifique d’une PME, la SSM pourrait s’appliquer de façon plus poussée en prenant en compte les aspects spécifiques de la PME et de ses acteurs. Cette utilisation plus spécifique serait même propice pour apprécier les modèles descriptifs obtenus initialement pour tenter d’améliorer le processus stratégique de la PME. En d’autres mots, cette démarche impliquerait l’utilisation de la SSM en entier dès ses premières étapes descriptives comme nous l’avons fait dans le présent travail.

Le modèle descriptif résultant de notre utilisation de la SSM (schéma 1) présente le processus stratégique en contexte de PME comme un processus d’apprentissage circulaire où la formulation et la mise en œuvre se définissent mutuellement et continuellement ce qui est significativement diffèrent de la conception linéaire de la perspective traditionnelle en stratégie. La notion d’apprentissage stratégique circulaire est plus compatible avec la condition de complexité, d’instabilité et d’imprévisibilité du monde actuel des affaires. Souvent les acteurs stratégiques peuvent faire face à l’ambiguïté et n’avoir qu’une vague idée de la solution qu’ils doivent adopter ou comment ils doivent évaluer un problème. Comme le signalent Gladstein et Quinn (1985), la notion d’apprentissage stratégique circulaire dans de telles circonstances accepte l’improvisation et les solutions peu structurées. Étant intégrées au processus d’apprentissage stratégique, l’improvisation et les solutions peu structurées peuvent évoluer au fil du temps et même former un nouveau pattern d’action (stratégie émergente) en plus d’apporter des changements à la vision.

Comme le soulignent Vaill (1996) et Wyer et Mason (1998), c’est l’apprentissage qui permet aux entreprises de maintenir leur compatibilité par rapport au contexte évolutif; c’est ce qui leur permet de continuer à exister. Mais, pour apprendre, il est indispensable de connaître son environnement par le repérage (scanning) de l’information (Daft et Weick, 1984). Comme les modèles que nous avons développés l’indiquent, il est important de bien lire son environnement. Ces activités de repérage de l’information apportent une forte contribution à l’apprentissage du système PME. Quelques études empiriques citées par Audet (2001) renforcent cette conclusion en plus de signaler que la capacité d’un apprentissage supérieur est souvent associée au succès des PME et ce, particulièrement dans les secteurs

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de la haute technologie. Étant donné que les connaissances à ce sujet sont encore superficielles, l’étude de la veille stratégique en association à une approche d’apprentissage organisationnel de la PME est une piste de recherche prometteuse comme le mentionne également Audet (2001), une piste qui dans l’avenir mériterait l’attention des chercheurs.

La perspective du management stratégique que nous venons de présenter met en valeur les relations internes qui existent entre les membres de la PME; en plus du propriétaire-dirigeant elle admet que d’autres personnes participent au processus de vision des acteurs stratégiques qui oriente le management stratégique. Cette démarche encourage des contributions qui pourraient compléter les études en stratégie de PME qui sont plutôt limitées à l’idée que la PME est une organisation de structure simple menée par un propriétaire-dirigeant unique. Cette conception limite la formulation stratégique à un seul propriétaire-dirigeant et néglige la réalité présente dans de nombreuses PME – en particulier, celles qui sont dirigées par des copropriétaires-dirigeants et qui comptent sur une équipe de direction en management stratégique. L’étude de ce sujet contribuerait sensiblement à l’ensemble des études sur la PME mais également à celles en administration en général car jusque-là il a retenu l’attention de très peu de chercheurs (qui se sont plutôt limités à l’étude des PME en démarrage; par exemple, Stockley et Birley, 2000; Lyon et Chandler, 2001). Cependant, il serait préférable qu’une telle étude soit ancrée dans l’analyse de données de terrain pour dépasser les limites d’une approche qui ne peut pas compter sur la contribution de nombreux chercheurs. À partir de ce que nous avons dit plus haut, il serait intéressant aussi de développer cette étude selon l’approche de l’apprentissage stratégique.

Basés sur une démarche plutôt conceptuelle, les modèles descriptifs que nous avons proposés auparavant offrent un cadre de lecture qui décrit la dynamique d’interaction entre des acteurs multiples. Cependant, malgré le fait que plusieurs études citées renforcent l’argumentation de ce travail, l’une de ses limites réside dans son caractère notamment propositionnel. Pour être dépassée, cette limite requiert des études empiriques sur l’apprentissage stratégique et sur l’équipe de direction en stratégie de PME. En raison d’un certain manque de connaissances, quelques questions spécifiques, abordées avec plus ou moins d’intensité dans notre démarche, mériteraient une attention particulière dans des études futures. C’est le cas des questions suivantes : Comment la vision qui oriente l’évolution des PME dirigées par des copropriétaires-dirigeants se développe-t-elle? Comment cette vision se développe-t-elle, lorsque certains membres de l’équipe de direction n’ont pas de participation dans la propriété de la PME? Le secteur d’intervention de chaque codirigeant dans la PME joue-t-il un rôle dans sa participation (si cette participation existe) au développement de la vision? Si, oui, lequel et comment? L’apprentissage individuel et l’expérience de chacun de ces codirigeants jouent-ils un rôle dans le développement de la vision? Si oui, lequel et comment?

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NOTES DE FIN DE TEXTE

1 Huff et Reger (1987) critiquent la pratique courante en stratégie qui consiste à prescrire avant de décrire. 2 C’est justement à partir de constations faites à cet égard que Checkland propose la méthodologie des systèmes souples. 3 Bateson souligne que les perspectives traditionnelles (newtoniennes) de la connaissance recommandent la séparation entre l’objet et le contexte de l’objet afin de connaître l’objet en soi. Toutefois, cette séparation analytique n’a pas de fondement dans le monde réel (Bateson, 1984). Dans le processus d’apprentissage, comme le soutient Bateson (1972), «The observer must be included within the focus of observation, and what can be studied is always a relationship or an infinite regress of relationships» (p. 246). C’est à partir de ces bases que Bateson développe sa théorie systémique de l’apprentissage et fait la distinction entre «first-order learning»et «second-order learning». Argyris et Schön (1978) s’inspirent beaucoup de cette perspective. 4 Selon Argyris et Schön (1974), la théorie-en-usage gouverne le comportement réel et tend à être une structure tacite tandis que la théorie déclarée («espoused theory») est ce que nous disons à propos de ce que nous faisons. La relation entre ces deux types de théorie de l’action «is like the relation of grammar-in-use to speech; they contain assumptions about self, others and environment - these assumptions constitute a microcosm of science in everyday life» (Argyris et Schön, 1974, p. 30). Argyris (1980) soutient que l’efficacité dans l’action est la résultante de la congruence entre les deux types de théorie de l’action. Une théorie de l’action est avant tout une théorie, c’est-à-dire, «its most general properties are properties that all theories share, and the most general criteria that apply to it – such as generality, centrality and simplicity - are criteria applied to all theories» (p. 4). 5 Les images ainsi partagées jouent le rôle d’une mémoire organisationnelle dynamique qui enregistre le résultat de l’apprentissage organisationnel en boucle double (Kim, 1993a, 1993b). 6 Abitbol et Lapierre (1993) ont écrit un cas fort intéressant sur le phénomène Walt Disney. 7 «System thinking takes seriously the idea of a whole entity which may exhibit properties as a single whole (‘emergent properties’), properties which have no meaning in terms of the parts of the whole» (Checkland et Scholes, 1999, p. 25). 8 Selon Morgan (1999), tout système doté de la capacité d’auto-organisation doit renfermer un élément de redondance, soit un surplus de capacité qui crée une marge de manœuvre d’où peuvent surgir l’innovation et le progrès. Dans les organisations, la redondance peut prendre aussi la forme du traitement en parallèle des informations ou la réalisation en parallèle d’un processus de réflexion par des individus ou des groupes différents et ce, en vue d’une prise de décision. 9 Cela rejoint l’idée de base de la pensée systémique : «a system is a perceived whole whose elements ‘hang together’ because they continually affect each other over time and operate toward a common purpose.» (Senge et al., 1994, p. 90). 10 Dans leur texte original, les auteurs disent : «…the core purpose is always expressed as a transformation process in which some entity, the ‘input’, is changed, or transformed, into some new form of that same entity, the ‘output’ …» (Checkland et Scholes, 1999, p. 33). 11 Filion (1988) parle de trois états possibles de la vision : vision embryonnaire (peu élaborée, c’est une ambition que l’on veut réaliser); vision développée (un état souhaitable pour la vision); vision formulée (elle est explicite, détaillée et exprimée avec précision). 12 Fin 1999, pendant l’un de nos entretiens pour développer notre recherche doctorale. 13 Schein (1996) a écrit un texte fort utile sur la théorie du changement de Kurt Lewin : «Kurt Lewin’s Change Theory in the Field and in the Classroon : Notes Towards a Model of Managed Learning». 14 Professeur au MIT-Sloan School of Management. 15 Ce que Gioia et Chittipeddi (1991) appellent «sensegiving» ou processus d’influence interpersonnel où nous poussons quelqu’un à avoir une perception de la réalité similaire à la nôtre. Selon les auteurs, par «sensegiving», nous voulons induire autrui à un nouveau processus de formation de sens («sensemaking») de façon à ce que sa nouvelle interprétation de la réalité soit plus proche de la nôtre afin de partager une même vision qui évoque le changement stratégique dans la collectivité organisationnelle selon notre point de vue. 16 Le «stakeholder» dans le travail de Mitroff (1983) est une partie prenante qui exerce de l’influence sur la subjectivité des acteurs organisationnels, c’est-à-dire sur leurs images, fondements de leurs décisions et de leurs actions au sein de l’organisation.

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