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  • Paul Verlaine

    Ddicaces

  • Daprs le Tome III des uvres compltes de Paul Verlaine

    chez Lon Vanier (1901).

  • DDICACES

    3

    I

    BALLADE

    TOUCHANT UN POINT DHISTOIRE

    A Anatole France.

    ASS EZ quon sinon plus quassez Dplore avec dsinvolture,

    Les uns mes dsordres passs,

    Les autres ma Noce ! future ;

    Mais tous joignent cette torture

    A leurs racontars dplaisants

    De me vieillir plus que nature :

    Je nai que quarante-trois ans.

    Jai mille vices, je le sais,

    Et connais leur nomenclature,

    Mais pas tous ceux quon a tracs.

    La pnible msaventure !

    Va-t-il falloir que je lendure ?

    Oui, non sans maints ennuis cuisants.

    Or voici le cas de rupture :

    Je nai que quarante-trois ans.

  • PAUL VERLAINE

    4

    Jaurai quelque jour un accs

    Contre cette littrature.

    Je jure alors, foi de Franais !

    De courre et nvrer limposture,

    Ft-ce au fond de lEstramadure

    Ou vers le ple aux froids jusants.

    Dilemme : Surcharge ou rture !

    Je nai que quarante-trois ans.

    ENVOI

    Princes du pouf et de lordure,

    Sachez-l, choliers maldisants

    Que tente une poigne encor dure,

    Je nai que quarante-trois ans.

    Dcembre 1887.

    _____

  • DDICACES

    5

    II

    BALLADE

    EN VUE DHONORER LES PARNASSIENS

    A Ernest Jaubert.

    OR on vivait en des temps fort affreuxO la rclame tait mal en avance.

    Dans la bataille aux rimes plus dun preux

    Tout juste eut pour lattaque et la dfense

    Quelque canard dArtois ou de Provence ;

    Mais Phbus vint qui reconnut les siens

    Et sut garder, vainqueurs, de toute offense

    Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

    Bien que tenus un peu pour des lpreux,

    Ne touchant gure en fait de redevance

    Que tels petits cus des moins nombreux

    Et lamour et leau claire pour chevance

    Unique avec la faim de connivence,

    Tous, aussi bien les neufs que les anciens,

    Ils marchaient droit dans la stricte observance,

    Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

  • PAUL VERLAINE

    6

    Ctaient, aprs les Matres valeureux,

    Ces pages fiers : Mends en son enfance

    Mais qui dj portait des coups heureux,

    Ah lui ! ne let oncques la rime en vance

    Gn du tout, voir celle en revance,

    Heredia, fleur des patriciens,

    Dierx, Cazals, que leur nom pur devance,

    Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

    ENVOI

    Princes et rois gards de toute offense ,

    Ai-je dit, lun de ces miliciens,

    Qu leurs sants boivent leau de Jouvence

    Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

    _____

  • DDICACES

    7

    I

    A JULES TELLIER

    QUA ND je vous vois de face et pench sur un livreVous mavez lair dun loup qui serait un chrtien,

    Pardon, rectifiez : qui serait un paen,

    En tous cas dun loup peu garou qui saurait vivre.

    Je vous vois de profil : un faune mapparat,

    Mais un faune select au complet sans reproche

    Avec, pour plus de chic, une main dans la poche

    Et promenant pas distraits son vu secret.

    Vu de dos, vous semblez un sage qui mdite,

    A jamais affranchi des fureurs dAphrodite

    Et du soin de penser uniquement jaloux.

    Vu de loin, on vous veut de prs justes titres,

    Et, car la vie, hlas ! a de sombres chapitres,

    Quand je ne vous vois pas je me souviens de vous.

    1er janvier 1889.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    8

    II

    AU MME

    AIN SI je riais, fou, car la vie est folie !Mais je ne savais pas non plus que tu mourrais,

    Moi malade et mourant presque (on et dit exprs,

    Sr, mort, du cher tribut de ta mlancolie)

    Car tu maimas de sorte ce quon ne loublie,

    Esprit et cur enthousiastes toujours prts

    A se manifester en quelques nobles traits

    Et cest moi qui sur toi dis la triste lalie !

    Hlas, hlas ! que tout soit ou semble discord

    En ce inonde o qui donc a raison ou bien tort,

    A ce qu assure une dure philosophie !

    Mon ami, quelle soit la dispute ou la loi,

    Je reprends un de mes vers vrais vous en vie :

    Quand je ne te vois plus je me souviens de toi.

    Juin 1889.

    _____

  • DDICACES

    9

    III

    A FRANOIS COPPE

    LES passages Choiseul aux odeurs de jadis,Oranges, parchemins rares, et les gantires !

    Et nos dbuts , et nos verves primesautires,

    De ce Soixante-sept ce Soixante-dix,

    O sont-ils ? Mais o sont aussi les tout petits

    vnements et les catastrophes altires,

    Et le temps o Sarcey signait S. de Suttires,

    Ntant pas encore mort de la mort dAthys !

    Or vous, mon cher Coppe, au sein du bon Lemerre

    Comme au sein dAbraham les justes dautrefois,

    Vous gotez limmortalit sur des pavois.

    Moi, ma gloire nest quune humble absinthe phmre

    Prise en catimini, crainte des trahisons,

    Et, si je nen bois pas plus, cest pour des raisons.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    10

    IV

    J.-K. HUYSMANS

    SA douceur nest pas excessive,Elle existe, mais il faut la voir,

    Et cest une laveuse au lavoir

    Tapant ferme et dru sur la lessive.

    Il la veut blanche et qui sente bon

    Et je crois qu force il laura telle.

    Mais point ne sagit de bagatelle

    Et la tche nest pas dun capon.

    Et combien mritoire son cas

    De soigner ton linge et sa dtresse,

    Humanit, crasses et cacas !

    Sans jamais dinsolite paresse,

    O douceur du plus fort des J.-K.,

    Tape ferme et dru, bonne bougresse !

    _____

  • DDICACES

    11

    V

    A STPHANE MALLARM

    DES jeunes cest imprudent ! Ont, dit-on, fait une liste

    O vous passez symboliste.

    Symboliste ? Ce pendant

    Que dautres, dans leur ardent

    Dgot naf ou fumiste

    Pour cette pauvre rime iste,

    Mont bombard dcadent.

    Soit ! Chacun de nous, en somme,

    Se voit-il si bien nomm ?

    Point ne suis tant enflamm

    Que a vers les nymphes, comme

    Vous ntes pas mal arm

    Plus que Sully nest Prudhomme.

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  • PAUL VERLAINE

    12

    VI

    A JEAN MORAS

    CES T le beau Jean MorasQui fait dire lchotier

    Que lart priclite, hlas !

    Aux mains dun si tel routier.

    Routier de lpoque insigne,

    Violant des villanelles

    Coin nie aussi, blancheurs de cygne !

    Violant des pronnelles.

    Va-ten, sonnet libertin,

    Fleurir de rimes gaillardes

    Ce chanteur et ce hutin,

    Migrateur emmi les bardes,

    Que suivent sur ses appels

    Tous les curs des archipels.

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  • DDICACES

    13

    VII

    A LAURENT TAILHADE

    LE prtre et sa chasuble norme dor jusques aux piedsAvec un long pan daube en guipures sur les degrs ;

    Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarres

    Dorerie et de perle quelque Eldorado pilles ;

    Le Sang Rel par Qui toutes fautes sont expies,

    Dans un calice clair comme des flammes mordores ;

    Lautel tout fusel sous six cierges dmesurs,

    Et ces troublants Agnus Dei quon dirait ppis ;

    Et ces enfants de chur plus beaux que rien qui soit au monde

    Leurs soutanettes carlates, leurs surplis jolis,

    Et les lourds encensoirs bercs de leurs mains appalies ;

    Cependant que, pote au front royal sur tout haut front,

    Laurent Tailhade, tels jadis Bivar, Sanche et Gomez,

    rect, et beau chrtien, et beau cavalier, suit la messe.

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  • PAUL VERLAINE

    14

    VIII

    A VILLIERS DE LISLE-ADAM

    TU nous fuis comme fuit le soleil sous la merDerrire un rideau lourd de pourpres lthargiques,

    Las davoir splendi seul sur les ombres tragiques

    De la terre sans verbe et de laveugle ther.

    Tu pars, me chrtienne on ma dit rsigne

    Parce que tu savais que ton Dieu prparait

    Une fte enfin claire ton cur sans secret,

    Une amour toute flamme ton amour igne.

    Nous restons pour encore un peu de temps ici,

    Conservant ta mmoire en notre espoir transi,

    Tels les mourants savourent lhuile du Saint-Chrme.

    Villiers, sois envi comme il aurait fallu

    Par tes frres impatients du jour suprme

    O saluer en toi la gloire dun lu.

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  • DDICACES

    15

    IX

    LON BLOY

    LE Dogme certes, et la Loi,Mais Charit qui ne commence

    Ni ne finit, norme, immense,

    Telle est la foi de Lon Bloy.

    Un Abel mais un saint loi :

    Enclume et marteau sans clmence,

    La raison jusqu la dmence,

    Telle est la foi de Lon Bloy.

    Une tte froce et douce,

    Trs extraordinairement

    Un peu va comme je te pousse ;

    Un gnie horrible et charmant,

    Et tout ltre et tout le paratre

    Dun mauvais moine et dun bon prtre.

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  • PAUL VERLAINE

    16

    X

    A RAOUL PONCHON

    VOU S aviez des cheveux terriblement ;Moi je ramenais dsesprment ;

    Quinze ans se sont passs, nous sommes chauves

    Avec, tous crins, des barbes de fauves.

    La Barbe est une erreur de ces temps-ci

    Que nous voulons bien partager aussi ;

    Mais lidal serait des coups de sabres

    Ou mme de rasoirs nous faisant glabres.

    Voyez de Banville, et voyez Lecon-

    Te de Lisle, et tt pratiquons leur con-

    Duite et soyons, tels ces deux preux, nature.

    Et quand dans Paris, tels que ces deux preux,

    Nous irons, fleurant de littrature,

    Le peuple, bloui, rions prendra pour eux.

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  • DDICACES

    17

    XI

    A F. CAZALS

    ADO NIS expirant sur des fleurs nest pas lui.Narcisse en fleur chang non plus, non plus Arbate

    Triste de ne rimer qu peine Mithridate,

    Et non plus rien qui nous rappellerait lennui.

    Au contraire, les chagrins qui nous auraient nui,

    Littral Arlequin, il les bat de sa batte

    Comme un Pierrot, et a na rien qui nous pate,

    Attendu que le rire en ses yeux bruns a lui.

    Dcoratif sa faon sinon la bonne,

    Cest la meilleure, il na le cachet de personne

    Ni personne le sien, rciprocit !

    Le roi des bons enfants et la pire des gales,

    Car que de vices, las ! aux noirceurs sans gales :

    Jeunesse, esprit, gat, bont, simplicit !

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  • PAUL VERLAINE

    18

    XII

    A GERMAIN NOUVEAU

    CE fut Londres, ville o lAnglaise domine,Que nous nous sommes vus pour la premire fois,

    Et, dans Kings Cross mlant ferrailles, pas et voix,

    Reconnus ds labord sur notre bonne mine.

    Puis, la soif nous creusant fond comme une mine,

    De nous prcipiter, ds libres des convois,

    Vers des bars attractifs comme les vieilles fois,

    O de longues misses plus blanches que lhermine

    Font couler lale et le bitter dans ltain clair

    Et le cristal chanteur et lger comme lair,

    Et de boire sans soif lamiti future !

    Notre toast a tenu sa promesse. Voici.

    Que, vieillis quelque peu depuis cette aventure,

    Nous navons ni le cur ni le coude transi.

    _____

  • DDICACES

    19

    XIII

    MAURICE BOUCHOR

    IL sappelle Maurice ainsi que ce soldat.Et se nomme Bouchor comme saint Bouche dor.

    Soldat du rire franc, saint, sinon point encor,

    Du moins religieux desprit sinon dtat.

    Chaque effort de son uvre acclame bien sa date

    Et, sous ses deux patrons, ce quen outre elle arbore

    Cest bien la bonne foi sortant par chaque pore

    Et lamour du mtier que chaque heure constate.

    Jeunesse folle bien, extravagante au point :

    Tel un page sa dame au cur, sa dague au poing,

    Bondissant, comme hennissant, sil meurt, tant pis !

    Age dhomme pensif et profond dont tmoigne

    On dirait, lon dirait, sonne pleine poigne,

    La tour change en nourrice de Saint-Sulpice.

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  • PAUL VERLAINE

    20

    X IV

    HENRY DARGIS

    RU DIT, graphologue est presque ncromant,Pourtant il est aimable et si mal redoutable

    Quil fait belle et digne figure au bal, table,

    Au jeu, partout, ce quon dit, et lon ne ment.

    Ce sage aime la Femme, et qui croit quil a tort ?

    Pour lui plaire, ou plutt pour se plaire soi-mme,

    Si jen crois mes auteurs, il prend un soin suprme

    Dtre lgant sans rien qui sente un seul effort.

    Agile, souple, interrogant, cest un vainqueur.

    Son cur a de lesprit comme quatre, et sa tte

    Est bonne comme un cur, bien que tte desthte,

    Et que son cur soit bte ainsi que tout bon cur.

    Ermite deux, parmi chienne et chien chat et chatte,

    Il vit, lt comme lhiver, la GrandJatte.

    _____

  • DDICACES

    21

    XV

    A ERNEST RAYNAUD

    NOU S sommes tous les deux des moitis dArdennais,Moi plus fonc que vous, dirai-je plus sauvage ?

    Procdant des Forts quand vous de ce Vallage

    Doux et frisque quaussi bien que je vous connais.

    Il y a peu de temps quencor jy promenais,

    Vous le savez, mon got de son clair paysage,

    Poussant les choses jusqu nous mettre en mnage,

    Mon rve et moi, l-bas, paysans dsormais.

    Faut croire que l-bas joffensai quelque fe,

    Car men voil parti plus tt que de saison

    Aprs avoir vendu mon clos et ma maison.

    Aussi combien en vous jadore, retrouve

    Parmi ces gens que nos airs francs font bahis,

    La bonne humanit de ce brave pays.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    22

    XVI

    RAYMOND DE LA TAILHDE

    UN jour que la nature avait fait de bons rves,Elle vit sveiller Raymond de la Tailhde

    Aux bords o, pour charmer lennui des heures brves,

    Le joyeux troubadour procde de lade.

    Ple implacablement avec des fois la rose,

    Sur la joue et le front, de vingt ans pas encore,

    Et, sduisante aussi par-dessus toute chose,

    Cette vivacit, mercure, ther, phosphore !

    Petit, ainsi quil sied ces futurs grands hommes,

    Mais si haut de mpris pour le sicle o nous sommes

    Quil voque liogabale, quil lassume

    Et quil lincarne, en haine de lheure mauvaise,

    Absolument indiffrent la coutume.

    Dailleurs correct et gentleman la franaise.

    _____

  • DDICACES

    23

    XVII

    A ARMAND SILVESTRE

    LA grande Sand porta sur les fonds baptismauxVotre muse robuste et saine et, bonne fe,

    Fous prdit le gnie et luvre dun Orphe

    Charmant lhomme et la femme et jusquaux animaux,

    Jusquau serpent, jusqu loiseau sur les rameaux.

    Et vous, pour faire bien la parole prouve,

    Vous avez remport ce double cher trophe :

    Belle ampleur de lide en lalme ampleur des mots.

    Vos livres sont un don mme de la nature,

    Tant il fait bon les lire et les relire, ainsi

    Quon respire et respire une atmosphre pure.

    Vos livres ! o lamour quil faut, jamais transi,

    Toujours sincre, clate en vives splendeurs franches,

    Puis o le mle au fond quon est prend ses revanches.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    24

    XVIII

    FERNAND LANGLOIS

    HAU T comme le soleil, ple comme la lune,Comme dit vaguement le proverbe espagnol,

    Il a presque la voix tendre du rossignol,

    Tant son cur fut clment ma triste fortune.

    Je lcoute toujours, cette voix opportune

    Qui me parlait nagure, est-ce en ut, est-ce en sol ?

    Et qui sut relever, furieux sur le sol,

    Mon cur, cur sauvage et fou de roi de Thune !

    Mais rions ! car mon livre est un livre amusant,

    Et ds lors que ce souvenir doux et cuisant

    Dun suicide prvenu de mains pieuses

    Me remonte ce soir, peut-tre pire encor

    Dans un absurde et vraiment sinistre dcor,

    Paix-l, pour ces mains-l, mes mains calamiteuses !

    _____

  • DDICACES

    25

    XIX

    A IRNE DECROIX

    O sont les nuits de grands chemins aux chants bachiquesDans les Nords noirs et dans les verts Pas-de-Calais,

    Et les canaux priculeux vers les Belgiques

    O, gris, on chavirait en hurlant des couplets ?

    Car on riait dans ces temps-l. Tuiles et briques

    Poudroyaient par la plaine en hameaux assez laids ;

    Les fourbouyres, leurs pipes et leurs bourriques

    Dvalaient sur Arras, la ville aux toits follets

    Poignardant, espagnols, ces ciels pais de Flandre ;

    Douai brandissait de son ct, pour sen dfendre,

    Son lourd beffroi carr, si lger cependant ;

    Lille et sa bire et ses moulins vent sans nombre

    Bruissaient. Oui, qui nous rendra, cher ami, lombre

    Des bonnes nuits, et les beaux jours au rire ardent ?

    _____

  • PAUL VERLAINE

    26

    XX

    A GEORGE BONNAMOUR

    JT AIS malade de regrets, de quels regrets !Toute ma bonne foi pleurait dune mprise.

    Mon corps qui fut nagure fort, si faible aprs

    Agonisait presque, comme un tigre agonise.

    Ma face dure aux poils fauves de barbe grise

    Suait froid, mes yeux clos se rejoignaient trop prs,

    Daffreux hoquets me secouaient sous ma chemise

    Et mes membres salignaient, la mort tout prts.

    Puis il fallut manger et boire. Comment faire ?

    Mais vous vous trouviez l qui me tendiez mon verre

    Et dcoupiez ma chre et me teniez le front.

    Et, tout en coutant, pieux, ma juste plainte,

    La consolant parfois dun mot franc dit sans crainte,

    Berciez lenfant quest moi des beaux jours qui seront.

    _____

  • DDICACES

    27

    XXI

    A PATERNE BERRICHON

    TOU S deux avons ce traversDe raffoler des bons vers

    Et daimer notre repos.

    Aussi tout, jusquaux hasards,

    Punit sur nos tristes peaux

    Ces principes de lzards.

    Alors parfois nos rancunes,

    Ne connaissant plus dobstacles,

    uvrent sans mercis aucunes,

    Toutes sortes de miracles ;

    Si que le pante morose

    Sindigne que, mal civile,

    Lu muse mtamorphose

    Le lzard en crocodile.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    28

    X XII

    A GABRIEL CHAUPRE

    VOT RE grand-pre des temps chauds, lhonnte Pache,Fut un rpublicain srieux, simple et franc.

    Il mprisa largent, abomina le sang

    Ft mourut vnr, pur de la moindre tache.

    Nous sommes en des jours autres o lon sattache

    Au positif ainsi quun abcs sur un flanc,

    O le bleu comme le rouge et comme le blanc,

    Tous tirent tes pis, notre France, bonne vache ?

    Hlas ! France, Patrie, vivre et voir cela !

    Mais votre cur loyal bientt se rebella

    Contre la manigance actuelle, un mystre

    De sottise mchante, et fier, se donna tout

    Aux Lettres, comprimant son civique dgot ;

    Et vous mourrez trs bien, comme votre grand-pre.

    _____

  • DDICACES

    29

    XXIII

    AU DOCTEUR GUILLAND

    DAN S ce mien voyage de cure,En dpit de Joanne et de Chaix

    Je nai rien vu dAix-les-Bains quAix

    Pur, nature, sans fioriture.

    Lent, grave figure daugure,

    Jallais comparable tel ex-

    Boyard quentortille un vortex

    De mainte et mainte couverture.

    La douche, le lit, trois repas,

    Furent le rgime. svre

    Que nous suivmes pas pas,

    Larthrite et moi dans cette affaire,

    Pour, cher Docteur, hter, normal

    Mon rtablissement thermal.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    30

    XXIV

    A LOUIS ET JEAN JULLIEN

    SAV ANTI SSIM O DoctoriBonissimoque Scriptori,

    Au frre et puis encore au frre

    Ce sont les jambes en lair

    Qui commence chanter son air

    En pur latin de feu Molire !

    Ce sonnet pour dire tous deux,

    Sur un ton badin mais sincre

    Que je les aime bien et serre

    Leurs loyales mains tous deux.

    Louis, malgr le sort contraire,

    Salut vous qui gurissez,

    A vous aussi qui punissez

    Lordre bourgeois, Jean, mon confrre.

    _____

  • DDICACES

    31

    XXV

    A MILE LE BRUN

    DAN S le gchis de lan dernierNous fmes, osons le nier

    Vous, parlementaire, quatroce !

    Moi, boulangiste, si froce !

    Or, ne pouvant rouler carrosse,

    Lun et lautre enfourchant sa rosse,

    Inutile de le nier,

    Chacun arriva bon dernier.

    Mais quimporte la politique,

    Puisque ferme et mme pratique,

    Laffection chassa lassaut ?

    Malgr ces convictions denses.

    Ami des fortes confidences ;

    Vous en vouloir, moi ? Quel sot !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    32

    XXVI

    A HENRI MERCIER

    IL nous sied de remercierSur tous les tons de tous les modes

    Ballades, sonnets, stances, odes,

    Le sage, le juste Mercier.

    Car quelle guerre lpicier

    Qui trouve ses us incommodes,

    Et les truculentes mthodes,

    En lhonneur de quels besaciers ?

    Puis il va, doux Porthos physique

    lit subtil Aramis moral,

    De la peinture la musique,

    Noctambule mais auroral,

    Prince des vers et de la prose

    Et bath ami sur toute chose.

    _____

  • DDICACES

    33

    XXVII

    A ADRIEN REMACLE

    VOT RE femme chantait dlicieusementDe trs anciens vers miens par vous mis en musique

    Vers sans grande porte idale ou physique,

    Mais que la voix tait exquise et lair charmant !

    Si bien que jentrais dans un grand tonnement,

    Moi le lass qui rve dtre un ironique,

    Dainsi revivre sensuel et platonique.

    Quoi, sensuel ? Vraiment ? Platonique ? Comment ?

    Ah ! quand jeune jtais ainsi ! Tiens tiens. Possible.

    Aprs tout. Oui, rvasseur et mauvais sujet.

    Ma tte alors dsirait et ma chair songeait.

    Mais jadmire, moi le blas (mais limpassible,

    Non !) jadmire combien la sympathie et lart

    voqurent lenfant presque au quasi-vieillard.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    34

    XXVIII

    A ARMAND SINVAL

    HAB ITAN T de ces chers confins de la Bastille,O je fus trop heureux et puis trop malheureux,

    Battant monnaie ici, l faisant buisson creux

    Et passant (cest le mot) de lAmer la Fille,

    Tous accrocs et raccrocs dont mon dossier fourmille !

    Ami dans ces quartiers, moi qui berc par eux,

    Bern par eux damours bizarres et daffreux

    Guignons, leur garde comme un regret de famille,

    Je vous prie instamment, du fond de ce Broussais,

    Un hpital sis Plaisance o le pote

    Vit, caress par lombre du drapeau franais,

    De porter mon bonjour et mon baiser de fte.

    A ce mien pass dor vann reprsent

    Par un Gnie en lair, misre et libert !

    _____

  • DDICACES

    35

    XXIX

    A CHARLES DE SIVRY

    ART ISTE, toi, jusquau fantastique,Pote, moi, jusqu la btise,

    Nous voil, la barbe moiti grise,

    Moi fou de vers et toi de musique.

    Nous voil, non sans quelques travaux,

    Riches, moi de leau de lHippocrne,

    Quand toi des chansons de la Sirne,

    Mrs pour la gloire et ses chafauds.

    Bah !nous aurons eu notre plaisir

    Qui nest pas celui de tout le monde l

    Et le loisir de notre dsir.

    Aussi bnissons la paix profonde

    Qu dfaut dun trsor moins subtil

    Nous donnrent ces ainsi soit-il.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    36

    XXX

    A CHARLES VESSERON

    DAN S nos savoureuses ArdennesO je fis le mal et le bien,

    Ici, mortifi, chrtien,

    L, perptrant quelles fredaines !

    Jai, par le cours aventureux

    De mes mrites et du reste,

    Coul, dun flot lger et leste,

    Quelques jours tout de mme heureux.

    Je tais ma paix chaste et profonde

    Et je jette un voile sant

    Sur mes horreurs de mcrant.

    Mais notre amiti toute ronde.

    Vaut un los sur un rythme net,

    Et jexpress exprs ce sonnet.

    _____

  • DDICACES

    37

    XXXI

    A GABRIEL VICAIRE

    VOU S tes un mystique et jen suis un aussi :Mais vous lger, charmant, on dirait du Shakespeare,

    Moi pas mal sombre, un Dante imperceptible et pire

    Avec un reste, au fond, de pcheur mal transi.

    Je suis un sensuel, vous en tes un autre :

    Mais vous gentil, rieur, un Gaulois et demi,

    Moi lombre du marquis de Sade, et ce, parmi

    Parfois des airs nafs et faux de bon aptre,

    Plaignez-moi, car je suis mauvais et non mchant,

    Puis, tel vous, jaime la danse et jaime le chant,

    Toutes raisons pour ne plus men vouloir qu peine.

    Et puis jaime ! Tout court ! En masse, en gnral.

    Depuis la fille amre au souris spulcral

    Jusqu Dieu tout-puissant dont la droite nous mne !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    38

    XXXII

    A MILE BLMONT

    LA vindicte bourgeoise assassinait mon nomChinoisement, coups dpingle, quelle affaire

    Et la tempte allait plus pre dans mon verre.

    Dailleurs du seul grief, Dieu brav, pas un non,

    Pas un oui, pas un mot ! LOpinion svre

    Mais juste sen moquait autant quune guenon

    De noix vides. Ce buf bavant sur son fanon,

    Le Public, mchonnait ma gloire encore faire.

    Lheure tait tentatrice et plusieurs dentre ceux

    Qui maimaient en dpit de Prudhomme complice,

    Tournrent carrment, furent de mon supplice.

    Ou se turent, la peur les trouvant paresseux,

    Mais vous du premier jour vous ftes simple, brave,

    FIDLE ; et dans un cur bien fait cela se grave.

    _____

  • DDICACES

    39

    XXVIII

    A EMMANUEL CHABRIER

    CHA BRIE R, nous faisions, un ami cher et moi,

    Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes,

    Et tous trois frmissions quand pour bnir nos zles,

    Passait lEcce Deus et le Je ne sais quoi.

    Chez ma mre, charmante et divinement bonne,

    Votre gnie improvisait au piano,

    Et ctait tout autour comme un brlant anneau

    De sympathie et daise aimable qui rayonne.

    Hlas ! ma mre est morte et lami cher est mort,

    Et me voici semblable au chrtien prs du port.

    Qui surveille les tout derniers cueils du monde,

    Non toutefois sans saluer lhorizon

    Comme une voile sur le large au blanc frisson,

    Le souvenir des frais instants de paix profonde.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    40

    XXXIV

    A ERNEST DELAHAYE

    DIE U, nous voulant amis parfaits, nous fit tous deuxGais de cette gat qui rit pour elle-mme,

    De ce rire absolu, colossal et suprme

    Qui sesclaffe de tous et ne blesse aucun deux.

    Tous deux nous ignorons lgosme hideux

    Qui nargue ce prochain mme quil faut quon aime

    Comme soi-mme : tels les termes du problme,

    Telle la loi totale au texte non douteux :

    Et notre rire tant celui de linnocence,

    Il clate et rugit dans la toute-puissance

    Dun bon orage plein de lumire et dair frais.

    Pour le soin du Salut, qui me pique et minspire.

    Jestime que, parmi nos faons dtre prts,

    Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire.

    _____

  • DDICACES

    41

    XXXV

    A MAURICE DU PLESSYS

    JE vous prends tmoin entre tous mes amis,Vous qui mavez connu ds lextrme infortune,

    Que je fus digne delle, Dieu seul tout soumis,

    Sans criard dsespoir ni jactance importune,

    Simple dans mon mpris pour des revanches viles

    Et dans limmense effort en dtournant leurs coups,

    Calme travers ces sortes de guerres civiles

    O la Faim et lHonneur eurent leurs torts jaloux,

    Et, nest-ce pas, bon juge, et fier ! mon du Plessys,

    Quen lamer combat que la gloire revendique,

    LHonneur a triomph de sorte magnifique ?

    Aimez-moi donc, aimez, quels que soient les soucis

    Plissant parfois mon front et crispant mon sourire,

    Ma haute pauvret plus chre quun empire.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    42

    XXXVI

    CHARLES MORICE

    IMP RIA L, royal, sacerdotal, comme uneRpublique Franaise en ce Quatre-vingt-Treize

    Brlant empereur, roi, prtre, dans sa fournaise,

    Avec la danse autour, de la grande Commune

    Ltudiant et sa guitare et sa fortune

    A travers les dcors dune Espagne mauvaise

    Mais blanche de pieds nains et noire dyeux de braise,

    Hroque au soleil et folle sous la lune ;

    Noptolme, me charmante et chaste tte,

    Dont je serais en mme temps le Philoctte

    Au cur ulcr plus encor que sa blessure,

    Et, pour un conseil froid et bon parfois, lUlysse ;

    Artiste pur, pote o la gloire sassure ;

    Cher aux femmes, cher aux Lettres, Charles Morice !

    _____

  • DDICACES

    43

    XXXVII

    A EDMOND THOMAS

    MON ami, vous mavez, quoique encore si jeune,Vu dj bien divers, mais ondoyant jamais,

    Direct et bref, oui : tels les Juins suivent les Mais,

    Ou comme un affam de la veille djeune.

    Homme de primesaut et dexcs, je le suis,

    Daventure et derreur, allons, je le concde,

    Soit, bien ; mais illogique ou mol ou huche ou tide

    En quoi que ce soit, le dire je ne le puis,

    Je ne le dois ! Et ce serait le plus impie

    Pch contre le Saint-Esprit, que rien nexpie,

    Pour ma foi que lamour claire de son feu,

    Et pour mon cur dor pur le mensonge suprme,

    Puisquil nest de justice, aprs lglise et Dieu,

    Que celle quon se fait, confesse, soi-mme.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    44

    XXXVIII

    A MES AMIS DE LA-BAS

    GEN S de la paisible HollandeQuun instant ma voix vint troubler

    Sans trop, jespre, dire grande

    De votre part, voulant parler

    A vos esprits que la nature

    Fit calmes pour mieux y mler

    Lenthousiasme et la foi pure

    Et lidal fou de rel

    Et la raison et laventure

    De sorte quitable, le ciel

    Non plus brumeux, mais de par lombre

    Mme, et lclat essentiel,

    O le ciel aux teintes sans nombre

    Quopalisent lombre et lclat

    Re votre art clair ensemble et sombre,

    Ciel dont il fallait que parlt

    La gratitude encor des races.

    Et dont il fallait que perlt

  • DDICACES

    45

    Cette douceur vraiment mystique

    Et crue aussi vraiment qui rend

    Rveuse notre pre critique,

    O votre ciel, fils de Rembrandt !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    46

    XXXIX

    QUATORZAIN POUR TOUS

    O mes contemporains du sexe fort,Je vous mprise et contemne point peu.

    Mme il en est que je dteste mort

    Et que je hais dune haine de dieu.

    Vous tes laids moi compris au-del

    De toute expression, et btes, moi

    Compris, comme il nest pas permis : cest la

    Pire peine mon cur, et son moi

    De ne pouvoir tre (ni vous non plus)

    Intelligent et beau pour rire ainsi

    Quil sied, du choix qui me rend cramoisi

    Et pour pleurer que parmi tant dlus

    A faire, ces messieurs aient entre tous

    Pris Brunetire. O les topinambous* !

    _____

    * Voir Boileau, pigrammes.

  • DDICACES

    47

    XL

    QUATORZAIN POUR TOUTES

    O femmes, je vous aime toutes, l, cest dit !Nallez pas me taxer daudace ou dimposture.

    Raffolant de la blonde douce et de la dure

    Brune et de la virginit bte un petit

    Mais si gente et si prompte se dniaiser,

    Comme aussi de lalme maturit (que vicieuse !

    Mais susceptible dun grand cur et si joyeuse

    Dun sourire et savourant, lente, un long baiser).

    Toutes, oui, je vous aime, oui, femmes, je vous aime

    Except si par trop laides ou vieilles, dam !

    Alors je vous vnre ou vous plains. Je vais mme

    Jusqu me voir fru, parfois mon grand dam,

    Dune inconnue un peu vulgaire, rencontre

    Au coin non pas dun bois sacr ! qui mest sucre.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    48

    XLI

    A G***

    TU mas plu par ta joliesseEt ta folle frivolit.

    Jaime tes yeux pour leur liesse

    Et ton corps pour sa vnust.

    Mais jai dtest tout de suite

    La gourmandise de ta chair.

    Jabhorre ton besoin de cuite

    (Non pas celui qui mest si cher,

    Le besoin dtre avec cet homme

    Encore vert qui serait moi),

    Jabomine pour parler comme

    Il faut, ton got pour trop dmoi

    Joyeux, gamin, charmant sans doute

    Au fait, jy pense, je suis vieux

    Tant (cinquante ans !) et tes en route

    Pour tes dix-huit ans pauvre vieux !

    _____

  • DDICACES

    49

    XLII

    ENCORE POUR G

    OUI, gamine bonne, je taimeEt ce sera mon plus cher thme

    Dinstinct non moins que de systme.

    Oui, certes, gamine bonne !

    Je ne suis docteur en Sorbonne

    Non plus que riche ou beau, friponne.

    Mes amours ne sont enrages

    Et mes passions sont ranges

    Comme une boite de drages.

    Et devant tre et voulant tre

    Raisonnable et pur comme un prtre

    Srieux, je ne suis le matre,

    Las ! de mon cur qui taime, bonne

    Gamine que si bien friponne !

    Et si peu docteur en Sorbonne !

    Et je mennuie, ainsi la pluie

    Et je me pleure et je messuie

    Les yeux parce que je mennuie

    Parce que je suis vieux et parce que je taime.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    50

    XLIII

    POUR S

    OR jadore une chaste SuzanneDont je serais lun et lautre vieillard

    Et pour qui donc je brairais comme un ne,

    Si ntait par trop chaste ma Suzanne,

    Elle rieuse, que non pas ! grasse lard ?

    Mais non plus lexcs diaphane

    Et je serais heureux sans coq--lne,

    Si ne mtait trop chaste ma Suzanne

    Et je te dirai tout doucement

    Quil faudra bien vite oublier ton amant

    Ft-ce moi-mme, chose invraisemblable !

    Et je serais alors le plus heureux

    Non pas des trois mais que plutt des deux

    Et ce ne serait pas dj le diable !

    _____

  • DDICACES

    51

    XLIV

    CHANSON POUR L

    ENF IN, aprs deux ans, je te revois et taimePour de bon cette fois,

    A cause de ton corps dabord, et surtout mme,

    En raison de ta voix

    Si bonne et si calmante et qui dicte des choses

    Paisibles mon cur

    Un peu cruel mais doux au fond telles aux roses

    Les pines et, sur

    Presque aime cause de ta gente sagesse

    A travers tant et tant

    De gaiet polissonne, et de cette largesse

    Dun cur pourtant prudent,

    Que ton cur et mon cur rgnent donc sans consteste

    Sus notre vie tous

    Les deux et ds ce soir ( jour, je te dteste !)

    Soyons-nous bons et doux !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    52

    X LV

    A ***

    TON cur est plus grand que le mienMais le mien peut-tre est plus tendre

    Qui ne sait que ne pas attendre,

    Tant il serait jaloux du tien,

    Si je mtais sr de la foi

    Quil faut, chre, que (je te prte), pauvre,

    Et que riche, je donne en tout aloi

    Bon et meilleur ou pire, en vrai pote.

    Mon cur est moins grand que le tien

    Mais le tien peut-tre est moins vaste

    Qui naime gure que le faste

    Dtre aim du mien, et fait bien.

    _____

  • DDICACES

    53

    XLVI

    LE PINSON DE***

    CES T trs miraculeux : ce pinson si joliQui sautillait dun air attentif et poli

    Tout au bout des barreaux, prtant sa tte fine

    A ma bouche lui sifflant lair de la Czarine,

    Il nest plus ! Le voici sans souffle dsormais.

    Il avait bien souffert, autant que tu laimais !

    Maussade, hlas ! et symptme bien pire encore,

    Immobile et muet dans la cage sonore

    Du ppiement des autres htes de nos bois

    Et vibrante Dieu sait comme de leurs mois,

    De leurs bats plus fous que les jeux de la houle.

    Il stait accroupi, se contournant en boule,

    La tte sous son aile, ayant lair de dormir,

    Et ta gardais lespoir, cessant de trop gmir,

    De le croire en effet endormi La nuit sombre

    Vint, qui nous consola quelque peu. Mais quand lombreSe dissipa, cdant, Soleil, ton effort,

    La vrit nous apparut : il tait mort !

    Tu reculas dhorreur malgr tout ton courage

    Ordinaire, et nosais le sortir de la cage.

    Jaccomplis en ton lieu ce douloureux devoir,

    Et toi, dpliant en silence un vieux Chat noir ,

  • PAUL VERLAINE

    54

    Le replias sur le petit cadavre avec des larmes,

    Linceul appropri, symbole non sans charmes !

    Nous dbattmes un long temps lheure et le lieu

    O rendre les derniers honneurs au petit dieu.

    Tout coup tu pris ton panier dj clbre

    Et partis sans me prvenir du lieu funbre

    Destin dans ton cur lenterrement d,

    Emportant en ce char loiseau, bien entendu.

    Quand tu revins, tavais lair fier et plein de grce

    De quelquun ayant fait, sans bruit et sans grimace,

    Ce quon peut appeler une grande action :

    Je lai jet dans les caveaux du Panthon !

    Tcrias-tu, puis, car la femme est toujours femme,

    Et tes yeux teignant soudain leur sombre flamme,

    Tu repris, et cela me parut aussi beau :

    Il aurait peut-tre mieux fait sur mon chapeau !

    20 fvrier 1893.

    _____

  • DDICACES

    55

    XLVII

    A E

    O toi chaude comme lenfer,O toi, froide comme lhiver,

    Douce et dure, on dirait du fer

    Et de la mousse,

    Dure et douce comme la mousse

    Et le fer, si dure et si douce,

    Va ! sois toi-mme ! Un vent te pousse.

    Vent de printemps

    Et vent dautomne, et tant dautans

    Et de zphirs sont palpitants,

    Dans tes grands yeux mahomtans

    De catholique

    Que jen reste mlancolique

    Et joyeux, et sans plus doblique

    Madrigal, je taime !

    Madrigal, je taime ! O rplique,

    Diable anglique.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    56

    XLVIII

    A E

    POUR SES TRENNES

    JE mprise, vrai ! ces vers-ciMais jaime le sujet diceux,

    Les vers sont-ils tendres ou pisseux ?

    Mais le sujet est russi.

    Mais jidoltre, au fond, ces vers

    Parce quils figurent mon me

    Pisseuse ou tendre telle dame

    Sur un fond candide ou pervers.

    Et ces vers pervers ou candides

    Seront le tmoignage, au fond,

    De choix qui viennent et qui vont

    Et finissent daprs davides,

    Davidement cruels dsirs

    Et tout ! par tre moins perfides.

    1er janvier 1894.

    _____

  • DDICACES

    57

    XLIX

    A***

    MAU VAIS E, criarde, et a vaut mieuxQuen somme bavarde et muette.

    Or tel est le vu de ce pote,

    De ce pote criard, bavard et vieux.

    Ce pote, bavard et curieux,

    Amoureux avant tout de sa tte

    Et de ses motions desthte,

    Se creuse sa tte denvieux,

    Denvieux plutt dtre tranquille

    Comme un naufrag nageant vers lle

    O se scher des flots furieux

    Et comme il se cramponne, le pote,

    Avec son bagage lch desthte

    A cette mauvaise criarde, et a vaut mieux !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    58

    L

    A LA MME

    NON. Ce nest pas vrai. Vous tes trs bonne,Trs sobre de paroles dures vraiment

    Et votre verbe est un pur liniment

    Toute en voyelles sans la moindre consonne.

    Cest la cause pourquoi je vous pardonne

    Quelque vivacit dite ventuellement

    Et srement dans le juste moment

    O je la mrite, et parlant ma personne.

    Car vous tes franche et ce mest doux

    Dans ce monde vil et surtout jaloux

    De ramper autour de quelquun pour le tromper

    Et cest trs bien a, ma si chre amie,

    Et je vous en estime (et ne mens mie)

    Et je ten aime mieux encor de ne pas me tromper.

    _____

  • DDICACES

    59

    LI

    POUR LA MME

    ZUT, il nen faut plus, cest une hypocriteA rebours ou cest une folle ou, mieux,

    Une sotte en cinq lettres, mais de vieux

    Jeu, trop Second Empire, et qui seffrite.

    Car jeune elle est trs loin de ltre encor

    Et la date de sa naissance est un Trsor

    De suppositions contradictoires.

    Cela ne ferait rien sans doute au cas prsent

    Moi ntant plus non plus ladolescent

    Epris de sa cousine, lys ! ivoires !

    Mais surtout elle est sotte, dmrite

    Pire mes yeux que tous maux sous les cieux

    Et, tort non moindre en surplus mes yeux,

    Elle a le don qui fait que je mirrite.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    60

    LII

    A UNE DAME

    QUI PARTAIT POUR LA COLOMBIE

    NOT RE-DAM E de Santa F de BogotaQui vous apprtez faire le tour de ce monde,

    Or, mon motion serait par trop profonde

    Dans le chagrin rel dont mon cur clata

    A la nouvelle de ce dpart dplorable

    Si je navais lorgueil de vous avoir, ta-

    Ble dhte, vue ainsi que tel ou tel rasta

    Et de vous devoir ce sonnet point admirable.

    Hlas ! assez, mais que voici de tout mon cur

    Tel que je lai conu dans un rve vainqueur

    Dont, hlas ! je reviens avec le bruit qui grise

    Dun tambourin, bruyant sans doute mais gentil

    Dtre, grce votre talent de femme exquise-

    Ment amusante, dcor dun doigt subtil.

    _____

  • DDICACES

    61

    LIII

    A E***

    I

    LOR SQUE nous allons chez VanierDans des buts peu problmatiques,

    Tu portes un petit panier

    Moins plein dobjets aromatiques,

    Persil, cerfeuil, s-authentiques

    Torsades dun savant vannier

    Et tels bouquins pour les boutiques

    Que le Quai n peut renier,

    Moins plein, dis-je, de toutes choses

    Que de ceci : soucis moroses,

    Querelles affreuses, raisons

    Mauvaises, jeter en Seine,

    Si quau retour, sans plus de scne,

    Tout bonnement nous nous baisons.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    62

    II

    A PROPOS DUN PETIT PANIER QUIL AVAIT DMOLIAU BRAS DUNE DAME DANS UN MOMENT DE VIVACIT

    Lorsque nous allons chez VanierDans des buts peu problmatiquesTu portes un petit panier

    IL est mort le petit panier !Je lai dtruit lors dune scne.

    Irons-nous encor chez Vanier ?

    II est mort le petit panier !

    Dire que ton uvre, vannier,

    Je lai tue au bord de Seine.

    Il est mort le petit panier !

    Je lai dtruit lors dune scne.

    Je ne suis pas trop fier, vraiment,

    De a qui nest pas mon chef-duvre,

    Tant sen faut, je le dis crment.

    Je ne suis pas trop fier, vraiment,

    Et mme un remords vhment,

    Me mord ainsi quune couleuvre.

    Je ne suis pas trop fier, vraiment,

    De a qui nest pas mon chef-duvre.

  • DDICACES

    63

    Heureusement il est un dieu

    Pour ceux que la colre enivre.

    Et ce dieu-l nest pas un pieu.

    Heureusement il est un dieu

    Qui tinspirait. Aprs ladieu

    Dit, que ce gage dt revivre.

    Heureusement il est un dieu

    Pour ceux que la colre enivre.

    Et, comme autrefois le phnix,

    Il reparat beau, vaste mme,

    Disant lpre Parque : Nix !

    Et, comme autrefois le phnix,

    Le revoici, daprs un X

    O tel pipo perd son barme.

    Oui, comme autrefois le phnix,

    Il reparat beau, vaste mme.

    Nous irons encor chez Vanier

    Dans des buts peu problmatiques.

    Encor quil semble le nier,

    Nous irons encor chez Vanier

    Avec cet norme panier

    Plein de choses mal esthtiques.

    Nous irons encor chez Vanier

    Dans des buts peu problmatiques.

  • PAUL VERLAINE

    64

    Et nous en reviendrons toujours

    Aprs avoir, sans plus de scne,

    Vid vos querelles, amours,

    Et nous en reviendrons toujours,

    Aprs vous avoir jets, lourds

    Soupons et faux propos, en Seine,

    Aux vrais propos, mais pour toujours,

    Aux francs baisers sans plus de scne.

    _____

  • DDICACES

    65

    LIV

    ANNIVERSAIRE

    A William Ilothenstein.

    Et javais cinquante ans quand cela marriva.

    JE ne crois plus au langage des fleursEt lOiseau bleu pour moi ne chante plus.

    Mes yeux se sont fatigus des couleurs

    Et me voici las dappels superflus.

    Cest en un mot, la triste cinquantaine.

    Moirage mr, pour tous fruits tu ne portes

    Que vue hsitante et marche incertaine

    Et ta frondaison na que feuilles mortes !

    Mais des amis venus de ltranger,

    Nul nest, dit-on, prophte en son pays

    Du moins ont voulu, non encourager,

    Consoler un peu ces lustres has.

    Ils ont grimp jusques mon tage

    Et des fleurs plein les mains, dun ton sans leurre.

    Souhait gentiment mon sot ge

    Beaucoup dautres ans et sant meilleure.

  • PAUL VERLAINE

    66

    Et comme on buvait ces vux du cur

    Le vin dor qui rit dans le cristal fin,

    Il ma sembl que des bouquets, en chur,

    Sortaient des voix sur un air divin ;

    Et comme le pinson de ma fentre

    Et le canari, son voisin de cage,

    Ppiaient gaiement, je crus reconnatre

    LOiseau bleu qui chantait dans le bocage.

    Paris, 30 mars 1894.

    _____

  • DDICACES

    67

    LV

    A MON DITEUR

    I

    MISRE

    JE veux dpeindre en ce sonnetToute mon indignation

    Contre ce Vanier quon connat,

    Aussi la rsignation

    Quil me faut (avec lonction

    Ncessaire au temps o lon est,

    Temps gaspill sous laction

    Dune jeunesse qui renat).

    Or ce Vanier dont la maison

    Telle celle dite Pont-Neuf

    Nest pas au coin du quai, raison

    Insuffisante mon courroux

    Terrible, tel celui dun buf,

    Oui, ce Vanier na pas de sous

  • PAUL VERLAINE

    68

    II

    RICHESSE

    A me mettre hlas dans la poche,

    Mais demain comme il sera tendre

    Il nest tel que de bien attendre

    Avec une tte de Boche,

    Et la chose dtre un gavroche

    Qui ne voudrait ; plus rien entendre

    Que dtre un gas plus ou moins tendre

    Sans peur autant que sans reproche

    Et je vais enfin, digne et riche,

    Mieux quun militaire en Autriche,

    Mpandre et me rpandre encore

    En un luxe sans fin ni bornes

    Qui, buf littral que dcore

    Sa force, te montre les cornes,

    Misre qui voudrait me proposer des bornes.

    _____

  • DDICACES

    69

    LVI

    A LON VANIER

    I

    VOU S voulez tuer le veau grasEt quun sonnet signe la trve.

    Trs bien, le voici, mais mon rve

    Serait pour sortir dembarras

    Et nous bien dcharger les bras

    De la manire la plus brve,

    Tel un lourd fardeau quon enlve

    Que ce veau ft dor et trs gras,

    Afin que parmi cette foule

    Qui nous bouscule et que lon roule,

    Nul, voyant ce pacte nouveau

    Dment paraph de nos plumes,

    Au bas de lacte o nous nous plmes,

    Nul ne dise : On dirait du veau !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    70

    A LON VANIER

    SUITE AU 1er SONNET

    II

    OR puisque le veau dor a lieuEt quon ne dirait plus du veau,

    II nous faut dabord prier Dieu

    De bnir le pacte nouveau.

    Pour nous ruer des travaux

    Tout bonnement prodigieux.

    Prose au kilo, vers frais ou faux,

    Quimporte ? Tant pis et tant mieux !

    Nouer et dnouer des nuds

    Gordiens ou non, et ntant

    Pas plus des princes que des bufs.

    Nanmoins, peiner tant et tant

    Que vous fassiez une fortune buf

    Et que moi, jachetasse un courage neuf.

    Jour de Nol 1892.

    _____

  • DDICACES

    71

    LV II

    TOAST A DISTANCE

    Aux Rosati.

    GEN S du Nord, mes compatriotes,Hlas ! je vous avais promis

    Quelques mots propos de bottes

    Comme on en change entre amis

    Sous le titre de confrence

    Que lon galvaude en de vains us

    Jaurais gaiement pour loccurrence,

    En propos exprs dcousus

    Parl longtemps de la contre

    A laquelle malgr Paris

    Et sa rumeur dmesure

    Rpondront toujours nos esprits.

    Lille, Arras, Douai, Valenciennes,

    Que sais-je encore, Saint-Quentin !

    Hlas ! des douleurs anciennes

    Me tiennent du soir au matin,

  • PAUL VERLAINE

    72

    A ce quon croit rhumatismales,

    Et le docteur, froce et doux,

    Me dfend en phrases normales,

    Trop normales, daller vers vous ;

    Mais il me fait esprer, comme

    Il sied, quand vos toasts envis,

    Dans un mois je serais votre homme.

    En attendant, si vous buviez !

    22 fvrier 1894.

    _____

  • DDICACES

    73

    LVIII

    SOUVENIR DE MANCHESTER

    A Thodore C. London.

    JE nai vu Manchester que dun coin de SalfordDonc trs mal et trs peu, quel que ft mon effort

    A travers le brouillard et les courses pnibles

    Au possible, en dpit dhansoms inaccessibles

    Presque, grce ma jambe male et mes pieds bots,

    Nimporte, jai gard des souvenirs plus beaux

    De cette ville que lon dit industrielle,

    Encore que de telle quintellectuelle

    Place o ma vanit devait se pavaner

    Soi-disant mieux, et dussiez-vous vous tonner

    Des semblantes navets de cette ptre,

    O vous ! quand je parlais du haut de mon pupitre

    Dans cette salle o l lite de Manchester

    Applaudissait en Verlaine lauteur dEsther,

    Et que je proclamais, insoucieux du pire

    Ou du meilleur, mon culte norme pour Shakespeare.

    30 janvier 1894.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    74

    LIX

    FOUNTAIN COURT

    A Arthur Symons.

    LA Cour de la fontaine est, dans le Temple,Un coin exquis de ce coin dlicat

    Du Londres vieux o le jeune avocat

    Apprend ltroite Loi, puis le Droit ample :

    Des arbres moins anciens (mais vieux, sans faute)

    Que les maisons daspect ancien trs bien

    Et la noire chapelle au plus ancien

    Encore galbe, aujourdhui table dhte

    Des moineaux francs picorent joliment

    Car cest lhiver la baie un peu moisie

    Sur la branche prcaire, et posie !

    La jeune Anglaise lAnglais g ment

    Quimporte ! ils ont raison, et nous aussi,

    Symons, daimer les vers et la musique

    Et tout lart, et largent mlancolique !

    Dtre si vite envol, vil souci !

  • DDICACES

    75

    Et le jet deau ride lhumble bassin

    Comme chantait, quand il avait votre ge,

    Lauteur de ces vers-ci, dbris dorage.

    Ruine, pave, au vague et lent dessin.

    Londres, novembre 1894.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    76

    LX

    A EDMOND LEPELLETIER

    MON plus vieil ami survivantDun groupe dj de fantmes

    Qui dansent comme des atomes

    Dans un rais de lune devant

    Nos yeux assombris et rvant

    Sous les rainures polychromes

    Que lautomne arrondit en dmes

    Funbres o gmit le vent,

    Bah ! la vie est si courte en somme

    Quel sot rveil aprs quel somme !

    Quil ne faut plus penser aux morts

    Que pour les plaindre et pour les oindre

    De regrets exempts de remords,

    Car nallons-nous pas les rejoindre ?

    _____

  • DDICACES

    77

    LXI

    JEAN RICHEPIN

    Splicans !

    (F. Villon.)

    RIC HEPI NNest pas le nom dun turlupin

    Ni dun marchand de poudre de perlinpinpin

    Cest le nom dun bon bougre et dun gentil copain.

    coutez :

    Il blasphme de tous cts,

    Au Bourgeois mme il dit de sales vrits,

    Ses marins lOprCom seraient peu cots.

    Tout le mal

    Il le chante dun ton normal

    Et cest, dire vrai, le plus pire animal.

    Mais les gueux

    Combattant, souffrant avec eux

    Il les aime de quel amour, noble et fougueux !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    78

    LXII

    A ARTHUR RIMBAUD

    MOR TEL, ange ET dmon, autant dire Rimbaud,Tu mrites la prime place en ce mien livre

    Bien que tel sot grimaud tait trait de ribaud

    Imberbe et de monstre en herbe et de potache ivre.

    Les spirales dencens et les accords de luth

    Signalent ton entre au temple de mmoire

    Et ton nom radieux chantera dans la gloire,

    Parce que tu maimas ainsi quil le fallut.

    Les femmes te verront grand jeune homme trs fort,

    Trs beau dune beaut paysanne et ruse,

    Trs dsirable dune indolence quose !

    Lhistoire ta sculpt triomphant de la mort

    Et jusquaux purs excs jouissant de la vie,

    Tes pieds blancs poss sur la de lEnvie !

    _____

  • DDICACES

    79

    LXIII

    A ARTHUR RIMBAUD

    SUR UN CROQUIS DE LUI PAR SA SUR

    II

    En ngre blanc, en sauvage splendidement

    Civilis, civilisant ngligemment

    Ah, mort ! Vivant plutt en moi de mille feux

    Dadmiration sainte et de souvenirs feux

    Mieux que tous les aspects vivants mme comment

    Grandioses ! de mille feux brlant vraiment

    De bonne foi dans lamour chaste aux fiers aveux.

    Pote qui mourus comme tu le voulais,

    En dehors de ces Paris-Londres moins que laids,

    Je tadmire en ces traits nafs de ce croquis,

    Don prcieux lultime postrit

    Par une main dont lart naf nous est acquis,

    Rimbaud ! pax tecum sit, Dominus sit cum te !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    80

    LX V

    A Mll e RENE ZILCKEN

    O Mademoiselle Rene,Fillette exquisement mignonne,

    Que le bon Dieu toujours vous donne

    Vie lgante et fortune.

    Grandissez dment bien-aime

    Dans la sagesse douce et bonne

    Sous lil qui sourit et stonne

    De votre famille charme.

    Soyez lespoir et le bonheur

    De votre pre, lui, lhonneur

    De lart et de votre famille

    Et de votre mre, lhonneur

    Et la grce dune famille

    Stonnant de tout ce bonheur.

    La Haye, octobre 1892.

    _____

  • DDICACES

    81

    L X V

    A Mll e EVELINE

    EVE LINE, mais cest veEn miniature et cest

    Tout le charme et tout le rve

    Que notre esprit caressait

    Quand nagure il sagissait

    Encore denfance brve

    Qui grandit et grandissait

    Dans la femme qui sachve.

    Mais o va donc mon Sonnet ?

    Vous tes toute mignonne

    Et lge en fleurs vous couronne.

    Votre ge gai ne connat

    Que linnocence divine

    Riez, petite Eveline !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    82

    LXVI

    A Mll e LONIE R

    VOU S emplissez dun bruit gentil, quoique terrible,Ma tte que console un tapage denfant,

    Et mon cur quil est difficile quon console !

    Vous me rendez la joie et je suis triomphant

    De moi-mme, ce moi-mme qui fut horrible

    Lorsquune enfant aussi, criait, mchante et folle

    Et bonne, au fond, quand jtais moi-mme un enfant

    Aux yeux vrais, au sang pur comme dune mouette

    Qui revient de trs loin, ainsi que ce pote.

    _____

  • DDICACES

    83

    LXVII

    A Mll e JEANNE VANIER

    PAR FOIS dans un local plein de livres, deux hommesSe gourment presque, bien que bons garons au fond ;

    Cest votre pre et moi dont les paroles vont

    De loffre la demande en quels carts de sommes !

    Je nai pas lair commode. Il est mal dispos.

    Choc terrible ! Soudain, au fort de la querelle,

    Petite et fine la croire surnaturelle,

    Une enfant apparat, grands yeux noirs, teint ros.

    Elle senqute, elle tremble, comme inquite

    Srieusement trop ? Non, du bruit de tempte

    Que vont menant ce monsieur chauve et son papa

    Souriants sur-le-champ, et voici la paix faite

    Entre, en un mutuel et franc me culp,

    Votre pre, diteur, et moi, votre pote.

    Paris, 21 avril 1894.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    84

    LXVIII

    SUR UN BUSTE DE MOI

    Pour mon ami Niederhausern.

    CE buste qui me reprsenteAuprs de la postrit

    Lui montre une face imposante

    Pleine de quelle gravit !

    Devant cette tte pesante

    Du poids tous les jours augment

    Dune pense, pas puissante

    Dun souci plutt entt,

    Quest-ce que vont dire les femmes

    Et les hommes des temps futurs ?

    Au fait, on sent, sous ces traits durs

    Et derrire ces yeux aux flammes

    Noires, un monsieur malveillant,

    Mais le sculpteur eut du talent.

    _____

  • DDICACES

    85

    LXIX

    A RAYMOND MAYGRIER

    Lhistoire vridiqueDe la langouste atmosphrique.

    ( Lil crev.)

    COM ME la langouste dHerv Qui portait lherbe magique,

    Sur sa croupe magntique

    Mieux que la langouste dHerv,

    Que ce crustac controuv,

    Vous possdez lart magique

    Et mme le magntique

    Fi dun crustac controuv !

    Puis, vous tes graphologue,

    Et dmleriez, tonnerre ! une glogue

    Dans un grimoire o Nostradamus perdrait son latin.

    Bon Maygrier, sorcier rose,

    Magicien blanc sans rien de morose,

    Dites, prdisez-moi quelque plus sortable destin.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    86

    LXX

    A Mll e ADLE

    MAD EMOI SELL E AdleVous tes un modle :

    Dordre et dautorit

    Qui mauriez complt !

    Mademoiselle Adle,

    Vous tes un modle

    De joie et de gat

    Viv votre autorit !

    Vous mavez dit des choses,

    Presque le drapeau rose

    Quest le drapeau franais,

    Vous mavez dit des choses,

    Presque le drapeau rouge

    Quon voit sur votre bouche.

    _____

  • DDICACES

    87

    LXXI

    A Mme MARIE A

    POUR SA FTE

    LE pote nest pas trs riche !Aussi, devant ce frais jardin

    De bouquets dignes dun den,

    Se voit-il forc dtre chiche

    En ce jour de sainte Marie,

    Votre fte, et chiche ce point

    De ne contribuer, las ! point

    A cette closion fleurie

    De sympathie et damiti.

    Il se contente avec remords

    De vous offrir, non pas des ors

    Ni mme dhumbles rangs de perles,

    Mais son petit air ppi,

    Comme le plus humble des merles.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    88

    LXXII

    A RODOLPHE DARZENS

    JEU NE homme lancComme un peuplier,

    Qui donc a pens

    Quon pt toublier

    Dans ce livre si

    Vraiment amical ?

    Quel sot russi,

    Quel crtin fcal ?

    Jeune homme lanc

    Vers la vie et vers

    Lart et les beaux vers,

    Enfant annonc

    Par ta chanson, viens,

    Entre et sois des miens.

    _____

  • DDICACES

    89

    LXXIII

    A HENRI BOSSANNE

    BON imprimeur de la premire ditionDe Ddicaces

    Vous vntes Paris dans une intention

    Des plus cocasses :

    Sagissait de me voir, de minterviewer

    Pour la province,

    Apprendre ce que pouvait agir et rver

    Ce moi si mince.

    Or il advint quau jour o jeus le cher plaisir

    De vous connatre

    Jtais chez moi, rideaux tirs sur la fentre,

    En manches de chemise et chaussons de loisir,

    Avec deux femmes ! ! !

    Et vous : Ce nest donc pas CE prince des infmes !

    _____

  • PAUL VERLAINE

    90

    LXXIV

    A MAX ROSA

    ROS A nest pas rosa la rose,Ni Salvador, peintre en brigands,

    Ni la belle dame aux longs gants

    Quun tel pronom signe ou suppose,

    Ni lun de ces rois de la pose,

    Seores par trop lgants

    Ou senhores plus quloquents,

    Ou rastas pour dire la chose.

    Rosa, cest le nom dun ami,

    Parisien de bonne souche

    Et Franais non point demi.

    Il est prompt prendre la mouche,

    Mais le chagrin dautrui le touche :

    Dear friend, Im sorry ; think of me.

    _____

  • DDICACES

    91

    LXXV

    A Mll e A. ROM***

    CE nom, Sedan ! me dit de vacances denfance,De passages en diligence dans un bruit

    Joyeux de clics-clacs et de vitraille qui fuit

    Vers un horizon gai quon dirait qui savance.

    Ce mot, Sedan ! mvoque, ainsi qu tous en France,

    Une plaine lourde de sang ; blme de nuit,

    Des cris teints quune rumeur de rve suit,

    Sur quoi plane trs haut comme de lesprance.

    Sedan ! Sedan ! pourtant il sonne encore doux

    Et frais, non plus pour lavenir ou la mmoire,

    Mais bien dans le prsent bien vivant, grce vous !

    Il sonne, il brille, le futur nom de victoire :

    Accent joli, mignon entrain toujours accru

    Et lArdennais quest moi presque, en reste fru.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    92

    LXXVI

    A A. DUVIGNEAUX

    TROP FOUGUEUX ADVERSAIREDE LORTHOGRAPHE PHONTIQUE

    coi vrman, bon Duvign,Vau zci dou ke l zagn

    E meeur ke le pin con manj.

    Vou melran ce courou ztranj

    Contr(e) ce t de brav(e) jan

    O fon plus bte ke mchan

    Drapan leur linguistic tic

    Dan lortograf(e) fontic ?

    Kel ir(e) donc vou zambala ?

    Vizavi de c zoizola

    Sufi dune parol(e) verde.

    Et pour leur prouv san dba

    Kil d mo ke natin pa

    Leur sistem(e), dison-leur : !

    _____

  • DDICACES

    93

    LXXVII

    A RODOLPHE SALIS

    CAB ARET IER miraculeux,Ainsi quet dit le bon Ptrus

    Aux temps dj si fabuleux

    Du romantisme et de ses us ;

    Cabaretier miraculeux

    Et bonisseur digne dUrsus,

    Puis ennemi mticuleux

    De la sottise et de ses us ;

    Salis quon prnomme

    Rodolphe, Crateur, comme Promthe !

    Flot de liquides, tel un golfe !

    O Matre, nul ne test athe,

    Sauf quelque muffle, lymphe et dartre,

    En ton domaine de Montmartre.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    94

    LVXIII

    A LON CLADEL

    TU fus excessifEt je ten aimais

    Dun amour plus vif,

    Plus vif que jamais,

    Depuis que la mort,

    Cette vie en mieux,

    A bris leffort

    De Toi vers les cieux,

    Vers des cieux voulus

    Par ta volont,

    Des cieux absolus,

    Toi ressuscit

    Aux fins, glorieux.

    Dune vie en mieux.25 juillet 1892.

    _____

  • DDICACES

    95

    LXXIX

    POUR MARIE***

    A F.-A. Cazals.

    CHE Z nos anciens ctait une bonne coutumeQue la dame de nos amis ft clbre.

    Je veux donc dire de ma voix la mieux timbre,

    Et les tracer du bec de ma meilleure plume,

    Vos mrites et vos vertus dans lamertume

    Douce de vous savoir dun autre namoure

    Mais dun autre: moi-mme et la tche sacre

    Dexalter et de promouvoir, or je lassume,

    La louange de vos yeux qui le surent voir,

    Celle de votre cur qui put gagner le sien,

    Et celle due votre, hlas ! fidlit !

    Et, consolation ! celle du bon vouloir

    Qui fait que votre main, sre du respect mien

    Serre la mienne en lui, sr de ma loyaut.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    96

    LXXX

    A GUSTAVE LEROUGE

    LA vie est vraiment si stupide que ; ma foi !Jai, devant cette perspective plus que bte,

    Rsolu de ntre absolument quun pote

    Sans plus, et de vieillir ainsi, ne sachant quoi

    Que ce soit, que daimer au hasard devant moi.

    Aimer pour ne har, aimer damour honnte

    Ou non, destime ou dintrt, en proxnte

    A moins quen martyr, et nayant plus dautre moi !

    Lerouge ! Et vous ? Tout cur et toute flamme vive,

    Quallez-vous faire en notre exil ainsi quil est,

    Vous, une si belle me en un monde si laid ?

    Bah ! faites comme moi, dussent trouver nave

    Votre ample expansion ceux forts que fallait

    Aimer sans fin ni loi. Et qui maime me suive !

    Broussais, dcembre 1891.

    _____

  • DDICACES

    97

    LXXXI

    AU COMPAGNON LARTIGUES

    Pour Henri Cholin.

    VOU S qui ne connaissez de brigueQue la seule briguedondaine

    Et nourdissez jamais dintrigue

    Quen lespoir de quelque fredaine,

    Un penser damour et de haine

    Pourtant vous hante et vous fatigue

    Et vous fait plate la bedaine :

    Lamour du Pauvre, bon Lartigue !

    Lamour du Pauvre mieux peut-tre

    Que celuidu moderne prtre

    Et de lactuel philanthrope.

    Si cela cest tre anarchiste

    Inscrivez-moi sur votre liste.

    Et que saute la vieille Europe !

    Hpital Broussais, 15 janvier 1893.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    98

    LXXXII

    A M. LE DOCTEUR CHAUFTART

    LE pote nest parbleu pas ce que lon croit.Il na que quand il veut toutes les ignorances

    Sans trop dpre verdeur ou de prjugs rances

    Et parfois mme il sent profond et pense droit.

    Son regard va, cruel et prcis comme un doigt

    Et sa tte, qui sait mrir les apparences,

    Taisant soudain ses bruits de peurs et desprances,

    Voit terriblement clair ce quautrui lui doit.

    Non son cur, proie intarissable linfortune,

    Mais sa tte, aprs tout auguste, et ctera,

    Et ds lors pour beaucoup samasse une rancune

    Qui saura sassouvir, advienne que pourra.

    Mais, fracheur ! pour quelques-uns elle recense

    Et rserve, tout prix ! quelle reconnaissance !

    _____

  • DDICACES

    99

    LXXXIII

    A AMAN JEAN

    SUR UN PORTRAIT ENFIN REPOS QUIL AVAIT FAIT DE MOI

    VOU S mavez pris dans un moment de calme familierO le masque devient comme enfantin comme nouveau.

    Tel jtais, moins la barbe et ce front de tte de veau

    Vers lan quarante-huit, bb rotond, en Montpellier.

    Jallais dans des Peyroux, tranquillement avec ma bonne,

    Jy faisais mille et des fortins de sable inexpugnables

    Et des fosss remplis, mon Dieu, des eaux les moins potables

    Suivant lexemple que Gargantua pompier nous donne.

    Jy voyais passer des processions, des pnitents

    Et proclamer la Rpublique en ces candides temps

    O tant dun tas davis ntaient pas encore invents.

    Mais malgr ce souci de nos jours quil agite et trouble

    Et dautres ! au trfonds de mes moelles encor butes

    Je demeure assur, conforme votre excellent double.

    Hpital Broussais, dcembre 1891.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    100

    LXXXIV

    A Mme MARIE P

    O jeune chevelure blanchePomponnant gaiement une face

    Passionne et perspicace

    Aux yeux trs bons, mais, en revanche,

    Trs mchants, trs poing sur la hanche,

    Pour peu quun faquin les agace,

    Que fin de sicle et fin de race

    Vous tes, chevelure blanche,

    Lorsque vous vous pavanez sous

    Ce chapeau mousquetaire noir

    Et quil fait plaisant de vous voir

    Panache fier aux fiers remous,

    Fleur pompadour gare, Tircis !

    Dune toilette Mdicis !

    _____

  • DDICACES

    101

    LXXXV

    A CSAR C.

    VOU S tes la douceur elle-mme et la paix,Et cest au nom de quoi, mon ami, je vous aime,

    Comme tant la douceur et oui ! la paix, moi-mme,

    La paix, comme je veux, la douceur, o je vais !

    Parfois, cest vrai, je suis mchant et non mauvais.

    Je ne suis plus celui que trouble le problme,

    Je ne suis plus celui quenvolait le pome,

    Je ne suis, par instants, que fais donc ce que fais ,

    Instinctif, et, sinon terrible, prs de ltre,

    Comme vous mavez vu, puis, comme un mauvais prtre

    Affreux dhypocrisie et vil de faux honneur,

    Mais ensuite, et de vous, ami, prenant lexemple,

    Srieusement doux et paisible donneur

    De douceur et de paix ds la porte du temple.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    102

    LXXXV

    A BIBI-PURE

    BIB I-PUR EType patant

    Et drle tant !

    Quel Dieu te cre

    Ce chic, pourtant,

    Qui nous agre,

    Pourtant, aussi,

    Ta gentillesse

    Notre liesse,

    Et ton souci,

    De lobligeance,

    Notre gat,

    Ta pauvret,

    Ton opulence ?

    _____

  • DDICACES

    103

    LXXXVII

    A UN PASSANT

    MON cher enfant que jai vu clans ma vie errante,Mon cher enfant, que, mon Dieu, tu me recueillis,

    Moi-mme pauvre ainsi que toi, purs comme lys.

    Mon cher enfant que jai vu dans ma vie errante !

    Et beau comme notre me pure et transparente,

    Mon cher enfant, grande vertu de moi, la rente

    De mon effort de charit, nous, fleurs de lys !

    On te dit mort Mort, ou vivant, sois ma mmoire !

    Et quon ne hurle donc plus que cest de la gloire

    Que je moccupe, fou quil fallut et quil faut

    Petit ! mort ou vivant, qui fis vibrer mes fibres,

    Quoi quen aient dit et dit tels imbciles noirs,

    Petit compagnon qui ressuscitas les saints espoirs,

    Va donc, vivant ou mort, dans les espaces libres.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    104

    LXXXVIII

    POUR ROBERTE

    A Henri Degron.

    SEC ONDE me de mon ami, son autre cur,Roberte, or, vous voici veuve pour une anne,

    Et je viens avec vous penser sa langueur

    A lui loin de vos yeux vous, sa Destine

    En quelque sorte, et trs pieusement je viens

    Et reviens avec vous tristement vous redire

    Quil pleure autant que vous et que, non son martyre

    (Ce serait blasphmer, car nous sommes chrtiens)

    Mais son impatience est gale la vtre.

    Et ne faisons donc plus ici le bon aptre

    Et parlons franchement dun chagrin trop rel,

    Sans rien exagrer puisque, Roberte chre,

    Il va bien, il vous aime bien et que son ciel

    Cest de vous revoir comme il est sr de le faire.

    _____

  • DDICACES

    105

    LXXXIX

    AU VICOMTE DE LAUTREC

    CE nest pas un bonjour tout sec,Mon cher Guy, vicomte Lautrec.

    Que je vous donne, cest, avec

    Un vu qui ne part pas du bec,

    Mais un qui vient du cur vraiment

    Et ce, sous la foi du serment

    Dailleurs vous savez quil ne ment,

    En dpit de la rime en ment

    Rime calomnie et trop

    Mprise ainsi quun sirop

    Qui sucrerait trop un poison !

    Et voici ma forte raison :

    Souvenez-vous de lhpital !

    Vous voyez que ctait fatal.

    1er janvier 1893.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    106

    XC

    POUR Mll e D. A.

    JE vous aime trop, Andre,Au trot comme au galop !

    Vous tes mon adore

    Au galop tout comme au trot.

    Andre, je taime trop

    (Bien que trop dans la pure)

    Et cest au trot que je be

    Aprs ton jupon salop.

    Puis chantons-nous la romance

    Quil faut que lon recommence

    Comme oiseaux sans feu ni lieu

    Et prouvons-nous lesprance,

    Et la bonne confiance

    Quon se doit au iiom de Dieu.

    _____

  • DDICACES

    107

    XCI

    A PH

    I

    TU me demandes des vers,a, cest gentil comme un cur.

    En voici, mais point pervers :

    Car mon amour, tout vigueur,

    Tout force et dvouement jusque

    Au sang mien, tu ne lignores

    Pas, a cess tout ton brusque

    Depuis quil a vu, sonores,

    Les rives du sombre bord

    Strcir autour de lui,

    Sonores cris de mort,

    Et quil ta vue en lennui.

    De la crainte lgitime

    Dun trpas sans conscience

    De soi-mme. Aussi ma rime

    Fleure aujourdhui dinnocence !

  • PAUL VERLAINE

    108

    Et demain en fleurira.

    Car notre amour est sacr,

    Tmoin des et (ctera)

    Dun deuil qui viendra, malgr

    Tout, et songeons bien, chrie,

    A ces tristes fins dernires.

    Hlas ! ma pauvre chrie,

    Songeons nos fins dernires.

    Hpital Broussais, 9 juillet 1893.

    _____

  • DDICACES

    109

    XCII

    A LA MME

    II

    OUI, soyons-nous pote et museMais dans le mode familier,

    Nous avons pass le millier

    Des heures jeunes o lon ruse

    Pour faire croire aux bonnes gens

    Dont on est le premier soi-mme.

    Quon naime en tout a que lextrme !

    Fiers, paradoxaux, exigeants.

    La vie avec sa vraie outrance

    A pris soin de nous corriger

    Du travers de nous rengorger,

    Ne nous laissant de lesprance

    Rien que la simple illusion

    Dtre un couple encore sensible

    Et ne livrant notre cible

    Quun but, la rsignation !

  • PAUL VERLAINE

    110

    Ce lot est prfrable en somme.

    A des apptits quil est bon,

    Toi, veuve au fait, moi ce barbon,

    De rgler de sorte conome.

    Profitons, puisquil en est temps

    De cette sagesse dont rage

    Qui vient dote notre mnage.

    Pour faire uvre de pnitents ?

    Que non pas ! Fmes-nous des crimes ?

    Pas mal de pchs voil tout.

    De ces pchs lgers quabsout

    Le seul pardon de leurs victimes,

    Et leurs victimes ce fut nous,

    De ces victimes sans rancune.

    Toi, reste encor longtemps ma brune.

    Toujours la bonne qu genoux

    Invoquent mes instants de doute,

    De tristesse ou de dsespoir,

    Mon toile dans le ciel noir,

    Lauberge frache en l pre route.

  • DDICACES

    111

    Moi devenu calme ce nest

    Pas malheureux, car tant de frasques,

    Et de rles, sous que de masques !

    Je suis celui qui ne connat

    Et ne chante plus que les choses,

    Et lhumanit quil convient.

    La vrit seule me tient,

    Soient ses aspects sombres ou roses.

    Mes vers pris dornavant,

    De la raison mais de la saine

    Ne dclameront plus en scne

    Ils vivront dans tout cur vivant.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    112

    XCIII

    A LA MME

    III

    AH ! dtre heureux puisquon le peut, puisque la vieTumultueuse nous a tu toute envie

    Autre que dtre calme en un lieu calme enfin !

    Nous boirons quand nous aurons soif. Quant la faim,

    Des repas frugaux mais nourris sauront lteindre.

    Que nous dussions jamais lun ou bien lautre atteindre

    Aux splendeurs, aux sommets, nous en dsesprons,

    En nous aimant plus fort, nous nous consolerons.

    Les dimanches et jours de ftes, car tu gotes

    a, lon ne verra plus que nous deux sur les routes

    De Svres Clamart et de Meudon au Pecq,

    Avec des propos gais, mais retenus au bec.

    Nous rentrerons vans, fauchs lor embarrasse

    Parfois et puis nous dormirons, chair lasse,

    Aprs, hein ? Si tu veux, des manires nous.

    Et je commencerai la fte tes genoux.

    Puis sur ton cur, et nous dormirons sans grand rve.

    Lhiver, nous irons au thtre ! je nen crve

    Plus de dsir, mais toi tu raffoles de a.

  • DDICACES

    113

    Et nous verrons de beaux dcors quun tel brossa,

    Et nous applaudirons tel calembour superbe.

    Puis nous irons coucher, mieux encor que sur lherbe,

    Dans le grand lit de chtaignier quaura vu tant

    De fois moi dans le paradis, sage et prudent,

    Quest devenu le tien pendant nos durs passages

    Dailleurs cest a, restons toujours prudents et sages

    Quelquun nous bnira qui dj nous bnit.

    Aimons-nous en poux apaiss dans leur nid.

    La tendresse ny perdra rien, tout au contraire

    Rien dexquis que dtre aux yeux des gens sur et frre !

    Hpital Broussais, 12 juillet 1804.

    _____

  • PAUL VERLAINE

    114

    XCIV

    A EDMOND PICARD

    PUI SQUIL nest pas permis en ce libre paysQui pourtant fut la France et prtend encore ltre,

    De parler librement dun homme libre et matre

    De soi, dun citoyen, dun artiste, obis,

    Pote, ton ide, et faisons bahis !

    Les sots et les puissants, mme chose peut-tre,

    En clbrant cet homme, un soldat ? Non. Un prtre ?

    Non ! tout cela dans toi, Picard, qui ne trahis

    Ni ta foi politique (en ce sicle critique

    Il sied vraiment davoir une foi politique).

    Ni la foi littraire, artistique quil faut

    Avoir aussi pour consoler lme indigne

    Des choses de la vie encor que rsigne

    Et pour laquelle on meurt aussi, car ce le vaut.

    Hpital Broussais, juil