188381-Verlaine-P-Dedicaces.pdf
-
Upload
vepsalainen -
Category
Documents
-
view
45 -
download
0
Transcript of 188381-Verlaine-P-Dedicaces.pdf
-
Paul Verlaine
Ddicaces
-
Daprs le Tome III des uvres compltes de Paul Verlaine
chez Lon Vanier (1901).
-
DDICACES
3
I
BALLADE
TOUCHANT UN POINT DHISTOIRE
A Anatole France.
ASS EZ quon sinon plus quassez Dplore avec dsinvolture,
Les uns mes dsordres passs,
Les autres ma Noce ! future ;
Mais tous joignent cette torture
A leurs racontars dplaisants
De me vieillir plus que nature :
Je nai que quarante-trois ans.
Jai mille vices, je le sais,
Et connais leur nomenclature,
Mais pas tous ceux quon a tracs.
La pnible msaventure !
Va-t-il falloir que je lendure ?
Oui, non sans maints ennuis cuisants.
Or voici le cas de rupture :
Je nai que quarante-trois ans.
-
PAUL VERLAINE
4
Jaurai quelque jour un accs
Contre cette littrature.
Je jure alors, foi de Franais !
De courre et nvrer limposture,
Ft-ce au fond de lEstramadure
Ou vers le ple aux froids jusants.
Dilemme : Surcharge ou rture !
Je nai que quarante-trois ans.
ENVOI
Princes du pouf et de lordure,
Sachez-l, choliers maldisants
Que tente une poigne encor dure,
Je nai que quarante-trois ans.
Dcembre 1887.
_____
-
DDICACES
5
II
BALLADE
EN VUE DHONORER LES PARNASSIENS
A Ernest Jaubert.
OR on vivait en des temps fort affreuxO la rclame tait mal en avance.
Dans la bataille aux rimes plus dun preux
Tout juste eut pour lattaque et la dfense
Quelque canard dArtois ou de Provence ;
Mais Phbus vint qui reconnut les siens
Et sut garder, vainqueurs, de toute offense
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.
Bien que tenus un peu pour des lpreux,
Ne touchant gure en fait de redevance
Que tels petits cus des moins nombreux
Et lamour et leau claire pour chevance
Unique avec la faim de connivence,
Tous, aussi bien les neufs que les anciens,
Ils marchaient droit dans la stricte observance,
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.
-
PAUL VERLAINE
6
Ctaient, aprs les Matres valeureux,
Ces pages fiers : Mends en son enfance
Mais qui dj portait des coups heureux,
Ah lui ! ne let oncques la rime en vance
Gn du tout, voir celle en revance,
Heredia, fleur des patriciens,
Dierx, Cazals, que leur nom pur devance,
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.
ENVOI
Princes et rois gards de toute offense ,
Ai-je dit, lun de ces miliciens,
Qu leurs sants boivent leau de Jouvence
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.
_____
-
DDICACES
7
I
A JULES TELLIER
QUA ND je vous vois de face et pench sur un livreVous mavez lair dun loup qui serait un chrtien,
Pardon, rectifiez : qui serait un paen,
En tous cas dun loup peu garou qui saurait vivre.
Je vous vois de profil : un faune mapparat,
Mais un faune select au complet sans reproche
Avec, pour plus de chic, une main dans la poche
Et promenant pas distraits son vu secret.
Vu de dos, vous semblez un sage qui mdite,
A jamais affranchi des fureurs dAphrodite
Et du soin de penser uniquement jaloux.
Vu de loin, on vous veut de prs justes titres,
Et, car la vie, hlas ! a de sombres chapitres,
Quand je ne vous vois pas je me souviens de vous.
1er janvier 1889.
_____
-
PAUL VERLAINE
8
II
AU MME
AIN SI je riais, fou, car la vie est folie !Mais je ne savais pas non plus que tu mourrais,
Moi malade et mourant presque (on et dit exprs,
Sr, mort, du cher tribut de ta mlancolie)
Car tu maimas de sorte ce quon ne loublie,
Esprit et cur enthousiastes toujours prts
A se manifester en quelques nobles traits
Et cest moi qui sur toi dis la triste lalie !
Hlas, hlas ! que tout soit ou semble discord
En ce inonde o qui donc a raison ou bien tort,
A ce qu assure une dure philosophie !
Mon ami, quelle soit la dispute ou la loi,
Je reprends un de mes vers vrais vous en vie :
Quand je ne te vois plus je me souviens de toi.
Juin 1889.
_____
-
DDICACES
9
III
A FRANOIS COPPE
LES passages Choiseul aux odeurs de jadis,Oranges, parchemins rares, et les gantires !
Et nos dbuts , et nos verves primesautires,
De ce Soixante-sept ce Soixante-dix,
O sont-ils ? Mais o sont aussi les tout petits
vnements et les catastrophes altires,
Et le temps o Sarcey signait S. de Suttires,
Ntant pas encore mort de la mort dAthys !
Or vous, mon cher Coppe, au sein du bon Lemerre
Comme au sein dAbraham les justes dautrefois,
Vous gotez limmortalit sur des pavois.
Moi, ma gloire nest quune humble absinthe phmre
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et, si je nen bois pas plus, cest pour des raisons.
_____
-
PAUL VERLAINE
10
IV
J.-K. HUYSMANS
SA douceur nest pas excessive,Elle existe, mais il faut la voir,
Et cest une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.
Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu force il laura telle.
Mais point ne sagit de bagatelle
Et la tche nest pas dun capon.
Et combien mritoire son cas
De soigner ton linge et sa dtresse,
Humanit, crasses et cacas !
Sans jamais dinsolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !
_____
-
DDICACES
11
V
A STPHANE MALLARM
DES jeunes cest imprudent ! Ont, dit-on, fait une liste
O vous passez symboliste.
Symboliste ? Ce pendant
Que dautres, dans leur ardent
Dgot naf ou fumiste
Pour cette pauvre rime iste,
Mont bombard dcadent.
Soit ! Chacun de nous, en somme,
Se voit-il si bien nomm ?
Point ne suis tant enflamm
Que a vers les nymphes, comme
Vous ntes pas mal arm
Plus que Sully nest Prudhomme.
_____
-
PAUL VERLAINE
12
VI
A JEAN MORAS
CES T le beau Jean MorasQui fait dire lchotier
Que lart priclite, hlas !
Aux mains dun si tel routier.
Routier de lpoque insigne,
Violant des villanelles
Coin nie aussi, blancheurs de cygne !
Violant des pronnelles.
Va-ten, sonnet libertin,
Fleurir de rimes gaillardes
Ce chanteur et ce hutin,
Migrateur emmi les bardes,
Que suivent sur ses appels
Tous les curs des archipels.
_____
-
DDICACES
13
VII
A LAURENT TAILHADE
LE prtre et sa chasuble norme dor jusques aux piedsAvec un long pan daube en guipures sur les degrs ;
Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarres
Dorerie et de perle quelque Eldorado pilles ;
Le Sang Rel par Qui toutes fautes sont expies,
Dans un calice clair comme des flammes mordores ;
Lautel tout fusel sous six cierges dmesurs,
Et ces troublants Agnus Dei quon dirait ppis ;
Et ces enfants de chur plus beaux que rien qui soit au monde
Leurs soutanettes carlates, leurs surplis jolis,
Et les lourds encensoirs bercs de leurs mains appalies ;
Cependant que, pote au front royal sur tout haut front,
Laurent Tailhade, tels jadis Bivar, Sanche et Gomez,
rect, et beau chrtien, et beau cavalier, suit la messe.
_____
-
PAUL VERLAINE
14
VIII
A VILLIERS DE LISLE-ADAM
TU nous fuis comme fuit le soleil sous la merDerrire un rideau lourd de pourpres lthargiques,
Las davoir splendi seul sur les ombres tragiques
De la terre sans verbe et de laveugle ther.
Tu pars, me chrtienne on ma dit rsigne
Parce que tu savais que ton Dieu prparait
Une fte enfin claire ton cur sans secret,
Une amour toute flamme ton amour igne.
Nous restons pour encore un peu de temps ici,
Conservant ta mmoire en notre espoir transi,
Tels les mourants savourent lhuile du Saint-Chrme.
Villiers, sois envi comme il aurait fallu
Par tes frres impatients du jour suprme
O saluer en toi la gloire dun lu.
_____
-
DDICACES
15
IX
LON BLOY
LE Dogme certes, et la Loi,Mais Charit qui ne commence
Ni ne finit, norme, immense,
Telle est la foi de Lon Bloy.
Un Abel mais un saint loi :
Enclume et marteau sans clmence,
La raison jusqu la dmence,
Telle est la foi de Lon Bloy.
Une tte froce et douce,
Trs extraordinairement
Un peu va comme je te pousse ;
Un gnie horrible et charmant,
Et tout ltre et tout le paratre
Dun mauvais moine et dun bon prtre.
_____
-
PAUL VERLAINE
16
X
A RAOUL PONCHON
VOU S aviez des cheveux terriblement ;Moi je ramenais dsesprment ;
Quinze ans se sont passs, nous sommes chauves
Avec, tous crins, des barbes de fauves.
La Barbe est une erreur de ces temps-ci
Que nous voulons bien partager aussi ;
Mais lidal serait des coups de sabres
Ou mme de rasoirs nous faisant glabres.
Voyez de Banville, et voyez Lecon-
Te de Lisle, et tt pratiquons leur con-
Duite et soyons, tels ces deux preux, nature.
Et quand dans Paris, tels que ces deux preux,
Nous irons, fleurant de littrature,
Le peuple, bloui, rions prendra pour eux.
_____
-
DDICACES
17
XI
A F. CAZALS
ADO NIS expirant sur des fleurs nest pas lui.Narcisse en fleur chang non plus, non plus Arbate
Triste de ne rimer qu peine Mithridate,
Et non plus rien qui nous rappellerait lennui.
Au contraire, les chagrins qui nous auraient nui,
Littral Arlequin, il les bat de sa batte
Comme un Pierrot, et a na rien qui nous pate,
Attendu que le rire en ses yeux bruns a lui.
Dcoratif sa faon sinon la bonne,
Cest la meilleure, il na le cachet de personne
Ni personne le sien, rciprocit !
Le roi des bons enfants et la pire des gales,
Car que de vices, las ! aux noirceurs sans gales :
Jeunesse, esprit, gat, bont, simplicit !
_____
-
PAUL VERLAINE
18
XII
A GERMAIN NOUVEAU
CE fut Londres, ville o lAnglaise domine,Que nous nous sommes vus pour la premire fois,
Et, dans Kings Cross mlant ferrailles, pas et voix,
Reconnus ds labord sur notre bonne mine.
Puis, la soif nous creusant fond comme une mine,
De nous prcipiter, ds libres des convois,
Vers des bars attractifs comme les vieilles fois,
O de longues misses plus blanches que lhermine
Font couler lale et le bitter dans ltain clair
Et le cristal chanteur et lger comme lair,
Et de boire sans soif lamiti future !
Notre toast a tenu sa promesse. Voici.
Que, vieillis quelque peu depuis cette aventure,
Nous navons ni le cur ni le coude transi.
_____
-
DDICACES
19
XIII
MAURICE BOUCHOR
IL sappelle Maurice ainsi que ce soldat.Et se nomme Bouchor comme saint Bouche dor.
Soldat du rire franc, saint, sinon point encor,
Du moins religieux desprit sinon dtat.
Chaque effort de son uvre acclame bien sa date
Et, sous ses deux patrons, ce quen outre elle arbore
Cest bien la bonne foi sortant par chaque pore
Et lamour du mtier que chaque heure constate.
Jeunesse folle bien, extravagante au point :
Tel un page sa dame au cur, sa dague au poing,
Bondissant, comme hennissant, sil meurt, tant pis !
Age dhomme pensif et profond dont tmoigne
On dirait, lon dirait, sonne pleine poigne,
La tour change en nourrice de Saint-Sulpice.
_____
-
PAUL VERLAINE
20
X IV
HENRY DARGIS
RU DIT, graphologue est presque ncromant,Pourtant il est aimable et si mal redoutable
Quil fait belle et digne figure au bal, table,
Au jeu, partout, ce quon dit, et lon ne ment.
Ce sage aime la Femme, et qui croit quil a tort ?
Pour lui plaire, ou plutt pour se plaire soi-mme,
Si jen crois mes auteurs, il prend un soin suprme
Dtre lgant sans rien qui sente un seul effort.
Agile, souple, interrogant, cest un vainqueur.
Son cur a de lesprit comme quatre, et sa tte
Est bonne comme un cur, bien que tte desthte,
Et que son cur soit bte ainsi que tout bon cur.
Ermite deux, parmi chienne et chien chat et chatte,
Il vit, lt comme lhiver, la GrandJatte.
_____
-
DDICACES
21
XV
A ERNEST RAYNAUD
NOU S sommes tous les deux des moitis dArdennais,Moi plus fonc que vous, dirai-je plus sauvage ?
Procdant des Forts quand vous de ce Vallage
Doux et frisque quaussi bien que je vous connais.
Il y a peu de temps quencor jy promenais,
Vous le savez, mon got de son clair paysage,
Poussant les choses jusqu nous mettre en mnage,
Mon rve et moi, l-bas, paysans dsormais.
Faut croire que l-bas joffensai quelque fe,
Car men voil parti plus tt que de saison
Aprs avoir vendu mon clos et ma maison.
Aussi combien en vous jadore, retrouve
Parmi ces gens que nos airs francs font bahis,
La bonne humanit de ce brave pays.
_____
-
PAUL VERLAINE
22
XVI
RAYMOND DE LA TAILHDE
UN jour que la nature avait fait de bons rves,Elle vit sveiller Raymond de la Tailhde
Aux bords o, pour charmer lennui des heures brves,
Le joyeux troubadour procde de lade.
Ple implacablement avec des fois la rose,
Sur la joue et le front, de vingt ans pas encore,
Et, sduisante aussi par-dessus toute chose,
Cette vivacit, mercure, ther, phosphore !
Petit, ainsi quil sied ces futurs grands hommes,
Mais si haut de mpris pour le sicle o nous sommes
Quil voque liogabale, quil lassume
Et quil lincarne, en haine de lheure mauvaise,
Absolument indiffrent la coutume.
Dailleurs correct et gentleman la franaise.
_____
-
DDICACES
23
XVII
A ARMAND SILVESTRE
LA grande Sand porta sur les fonds baptismauxVotre muse robuste et saine et, bonne fe,
Fous prdit le gnie et luvre dun Orphe
Charmant lhomme et la femme et jusquaux animaux,
Jusquau serpent, jusqu loiseau sur les rameaux.
Et vous, pour faire bien la parole prouve,
Vous avez remport ce double cher trophe :
Belle ampleur de lide en lalme ampleur des mots.
Vos livres sont un don mme de la nature,
Tant il fait bon les lire et les relire, ainsi
Quon respire et respire une atmosphre pure.
Vos livres ! o lamour quil faut, jamais transi,
Toujours sincre, clate en vives splendeurs franches,
Puis o le mle au fond quon est prend ses revanches.
_____
-
PAUL VERLAINE
24
XVIII
FERNAND LANGLOIS
HAU T comme le soleil, ple comme la lune,Comme dit vaguement le proverbe espagnol,
Il a presque la voix tendre du rossignol,
Tant son cur fut clment ma triste fortune.
Je lcoute toujours, cette voix opportune
Qui me parlait nagure, est-ce en ut, est-ce en sol ?
Et qui sut relever, furieux sur le sol,
Mon cur, cur sauvage et fou de roi de Thune !
Mais rions ! car mon livre est un livre amusant,
Et ds lors que ce souvenir doux et cuisant
Dun suicide prvenu de mains pieuses
Me remonte ce soir, peut-tre pire encor
Dans un absurde et vraiment sinistre dcor,
Paix-l, pour ces mains-l, mes mains calamiteuses !
_____
-
DDICACES
25
XIX
A IRNE DECROIX
O sont les nuits de grands chemins aux chants bachiquesDans les Nords noirs et dans les verts Pas-de-Calais,
Et les canaux priculeux vers les Belgiques
O, gris, on chavirait en hurlant des couplets ?
Car on riait dans ces temps-l. Tuiles et briques
Poudroyaient par la plaine en hameaux assez laids ;
Les fourbouyres, leurs pipes et leurs bourriques
Dvalaient sur Arras, la ville aux toits follets
Poignardant, espagnols, ces ciels pais de Flandre ;
Douai brandissait de son ct, pour sen dfendre,
Son lourd beffroi carr, si lger cependant ;
Lille et sa bire et ses moulins vent sans nombre
Bruissaient. Oui, qui nous rendra, cher ami, lombre
Des bonnes nuits, et les beaux jours au rire ardent ?
_____
-
PAUL VERLAINE
26
XX
A GEORGE BONNAMOUR
JT AIS malade de regrets, de quels regrets !Toute ma bonne foi pleurait dune mprise.
Mon corps qui fut nagure fort, si faible aprs
Agonisait presque, comme un tigre agonise.
Ma face dure aux poils fauves de barbe grise
Suait froid, mes yeux clos se rejoignaient trop prs,
Daffreux hoquets me secouaient sous ma chemise
Et mes membres salignaient, la mort tout prts.
Puis il fallut manger et boire. Comment faire ?
Mais vous vous trouviez l qui me tendiez mon verre
Et dcoupiez ma chre et me teniez le front.
Et, tout en coutant, pieux, ma juste plainte,
La consolant parfois dun mot franc dit sans crainte,
Berciez lenfant quest moi des beaux jours qui seront.
_____
-
DDICACES
27
XXI
A PATERNE BERRICHON
TOU S deux avons ce traversDe raffoler des bons vers
Et daimer notre repos.
Aussi tout, jusquaux hasards,
Punit sur nos tristes peaux
Ces principes de lzards.
Alors parfois nos rancunes,
Ne connaissant plus dobstacles,
uvrent sans mercis aucunes,
Toutes sortes de miracles ;
Si que le pante morose
Sindigne que, mal civile,
Lu muse mtamorphose
Le lzard en crocodile.
_____
-
PAUL VERLAINE
28
X XII
A GABRIEL CHAUPRE
VOT RE grand-pre des temps chauds, lhonnte Pache,Fut un rpublicain srieux, simple et franc.
Il mprisa largent, abomina le sang
Ft mourut vnr, pur de la moindre tache.
Nous sommes en des jours autres o lon sattache
Au positif ainsi quun abcs sur un flanc,
O le bleu comme le rouge et comme le blanc,
Tous tirent tes pis, notre France, bonne vache ?
Hlas ! France, Patrie, vivre et voir cela !
Mais votre cur loyal bientt se rebella
Contre la manigance actuelle, un mystre
De sottise mchante, et fier, se donna tout
Aux Lettres, comprimant son civique dgot ;
Et vous mourrez trs bien, comme votre grand-pre.
_____
-
DDICACES
29
XXIII
AU DOCTEUR GUILLAND
DAN S ce mien voyage de cure,En dpit de Joanne et de Chaix
Je nai rien vu dAix-les-Bains quAix
Pur, nature, sans fioriture.
Lent, grave figure daugure,
Jallais comparable tel ex-
Boyard quentortille un vortex
De mainte et mainte couverture.
La douche, le lit, trois repas,
Furent le rgime. svre
Que nous suivmes pas pas,
Larthrite et moi dans cette affaire,
Pour, cher Docteur, hter, normal
Mon rtablissement thermal.
_____
-
PAUL VERLAINE
30
XXIV
A LOUIS ET JEAN JULLIEN
SAV ANTI SSIM O DoctoriBonissimoque Scriptori,
Au frre et puis encore au frre
Ce sont les jambes en lair
Qui commence chanter son air
En pur latin de feu Molire !
Ce sonnet pour dire tous deux,
Sur un ton badin mais sincre
Que je les aime bien et serre
Leurs loyales mains tous deux.
Louis, malgr le sort contraire,
Salut vous qui gurissez,
A vous aussi qui punissez
Lordre bourgeois, Jean, mon confrre.
_____
-
DDICACES
31
XXV
A MILE LE BRUN
DAN S le gchis de lan dernierNous fmes, osons le nier
Vous, parlementaire, quatroce !
Moi, boulangiste, si froce !
Or, ne pouvant rouler carrosse,
Lun et lautre enfourchant sa rosse,
Inutile de le nier,
Chacun arriva bon dernier.
Mais quimporte la politique,
Puisque ferme et mme pratique,
Laffection chassa lassaut ?
Malgr ces convictions denses.
Ami des fortes confidences ;
Vous en vouloir, moi ? Quel sot !
_____
-
PAUL VERLAINE
32
XXVI
A HENRI MERCIER
IL nous sied de remercierSur tous les tons de tous les modes
Ballades, sonnets, stances, odes,
Le sage, le juste Mercier.
Car quelle guerre lpicier
Qui trouve ses us incommodes,
Et les truculentes mthodes,
En lhonneur de quels besaciers ?
Puis il va, doux Porthos physique
lit subtil Aramis moral,
De la peinture la musique,
Noctambule mais auroral,
Prince des vers et de la prose
Et bath ami sur toute chose.
_____
-
DDICACES
33
XXVII
A ADRIEN REMACLE
VOT RE femme chantait dlicieusementDe trs anciens vers miens par vous mis en musique
Vers sans grande porte idale ou physique,
Mais que la voix tait exquise et lair charmant !
Si bien que jentrais dans un grand tonnement,
Moi le lass qui rve dtre un ironique,
Dainsi revivre sensuel et platonique.
Quoi, sensuel ? Vraiment ? Platonique ? Comment ?
Ah ! quand jeune jtais ainsi ! Tiens tiens. Possible.
Aprs tout. Oui, rvasseur et mauvais sujet.
Ma tte alors dsirait et ma chair songeait.
Mais jadmire, moi le blas (mais limpassible,
Non !) jadmire combien la sympathie et lart
voqurent lenfant presque au quasi-vieillard.
_____
-
PAUL VERLAINE
34
XXVIII
A ARMAND SINVAL
HAB ITAN T de ces chers confins de la Bastille,O je fus trop heureux et puis trop malheureux,
Battant monnaie ici, l faisant buisson creux
Et passant (cest le mot) de lAmer la Fille,
Tous accrocs et raccrocs dont mon dossier fourmille !
Ami dans ces quartiers, moi qui berc par eux,
Bern par eux damours bizarres et daffreux
Guignons, leur garde comme un regret de famille,
Je vous prie instamment, du fond de ce Broussais,
Un hpital sis Plaisance o le pote
Vit, caress par lombre du drapeau franais,
De porter mon bonjour et mon baiser de fte.
A ce mien pass dor vann reprsent
Par un Gnie en lair, misre et libert !
_____
-
DDICACES
35
XXIX
A CHARLES DE SIVRY
ART ISTE, toi, jusquau fantastique,Pote, moi, jusqu la btise,
Nous voil, la barbe moiti grise,
Moi fou de vers et toi de musique.
Nous voil, non sans quelques travaux,
Riches, moi de leau de lHippocrne,
Quand toi des chansons de la Sirne,
Mrs pour la gloire et ses chafauds.
Bah !nous aurons eu notre plaisir
Qui nest pas celui de tout le monde l
Et le loisir de notre dsir.
Aussi bnissons la paix profonde
Qu dfaut dun trsor moins subtil
Nous donnrent ces ainsi soit-il.
_____
-
PAUL VERLAINE
36
XXX
A CHARLES VESSERON
DAN S nos savoureuses ArdennesO je fis le mal et le bien,
Ici, mortifi, chrtien,
L, perptrant quelles fredaines !
Jai, par le cours aventureux
De mes mrites et du reste,
Coul, dun flot lger et leste,
Quelques jours tout de mme heureux.
Je tais ma paix chaste et profonde
Et je jette un voile sant
Sur mes horreurs de mcrant.
Mais notre amiti toute ronde.
Vaut un los sur un rythme net,
Et jexpress exprs ce sonnet.
_____
-
DDICACES
37
XXXI
A GABRIEL VICAIRE
VOU S tes un mystique et jen suis un aussi :Mais vous lger, charmant, on dirait du Shakespeare,
Moi pas mal sombre, un Dante imperceptible et pire
Avec un reste, au fond, de pcheur mal transi.
Je suis un sensuel, vous en tes un autre :
Mais vous gentil, rieur, un Gaulois et demi,
Moi lombre du marquis de Sade, et ce, parmi
Parfois des airs nafs et faux de bon aptre,
Plaignez-moi, car je suis mauvais et non mchant,
Puis, tel vous, jaime la danse et jaime le chant,
Toutes raisons pour ne plus men vouloir qu peine.
Et puis jaime ! Tout court ! En masse, en gnral.
Depuis la fille amre au souris spulcral
Jusqu Dieu tout-puissant dont la droite nous mne !
_____
-
PAUL VERLAINE
38
XXXII
A MILE BLMONT
LA vindicte bourgeoise assassinait mon nomChinoisement, coups dpingle, quelle affaire
Et la tempte allait plus pre dans mon verre.
Dailleurs du seul grief, Dieu brav, pas un non,
Pas un oui, pas un mot ! LOpinion svre
Mais juste sen moquait autant quune guenon
De noix vides. Ce buf bavant sur son fanon,
Le Public, mchonnait ma gloire encore faire.
Lheure tait tentatrice et plusieurs dentre ceux
Qui maimaient en dpit de Prudhomme complice,
Tournrent carrment, furent de mon supplice.
Ou se turent, la peur les trouvant paresseux,
Mais vous du premier jour vous ftes simple, brave,
FIDLE ; et dans un cur bien fait cela se grave.
_____
-
DDICACES
39
XXVIII
A EMMANUEL CHABRIER
CHA BRIE R, nous faisions, un ami cher et moi,
Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes,
Et tous trois frmissions quand pour bnir nos zles,
Passait lEcce Deus et le Je ne sais quoi.
Chez ma mre, charmante et divinement bonne,
Votre gnie improvisait au piano,
Et ctait tout autour comme un brlant anneau
De sympathie et daise aimable qui rayonne.
Hlas ! ma mre est morte et lami cher est mort,
Et me voici semblable au chrtien prs du port.
Qui surveille les tout derniers cueils du monde,
Non toutefois sans saluer lhorizon
Comme une voile sur le large au blanc frisson,
Le souvenir des frais instants de paix profonde.
_____
-
PAUL VERLAINE
40
XXXIV
A ERNEST DELAHAYE
DIE U, nous voulant amis parfaits, nous fit tous deuxGais de cette gat qui rit pour elle-mme,
De ce rire absolu, colossal et suprme
Qui sesclaffe de tous et ne blesse aucun deux.
Tous deux nous ignorons lgosme hideux
Qui nargue ce prochain mme quil faut quon aime
Comme soi-mme : tels les termes du problme,
Telle la loi totale au texte non douteux :
Et notre rire tant celui de linnocence,
Il clate et rugit dans la toute-puissance
Dun bon orage plein de lumire et dair frais.
Pour le soin du Salut, qui me pique et minspire.
Jestime que, parmi nos faons dtre prts,
Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire.
_____
-
DDICACES
41
XXXV
A MAURICE DU PLESSYS
JE vous prends tmoin entre tous mes amis,Vous qui mavez connu ds lextrme infortune,
Que je fus digne delle, Dieu seul tout soumis,
Sans criard dsespoir ni jactance importune,
Simple dans mon mpris pour des revanches viles
Et dans limmense effort en dtournant leurs coups,
Calme travers ces sortes de guerres civiles
O la Faim et lHonneur eurent leurs torts jaloux,
Et, nest-ce pas, bon juge, et fier ! mon du Plessys,
Quen lamer combat que la gloire revendique,
LHonneur a triomph de sorte magnifique ?
Aimez-moi donc, aimez, quels que soient les soucis
Plissant parfois mon front et crispant mon sourire,
Ma haute pauvret plus chre quun empire.
_____
-
PAUL VERLAINE
42
XXXVI
CHARLES MORICE
IMP RIA L, royal, sacerdotal, comme uneRpublique Franaise en ce Quatre-vingt-Treize
Brlant empereur, roi, prtre, dans sa fournaise,
Avec la danse autour, de la grande Commune
Ltudiant et sa guitare et sa fortune
A travers les dcors dune Espagne mauvaise
Mais blanche de pieds nains et noire dyeux de braise,
Hroque au soleil et folle sous la lune ;
Noptolme, me charmante et chaste tte,
Dont je serais en mme temps le Philoctte
Au cur ulcr plus encor que sa blessure,
Et, pour un conseil froid et bon parfois, lUlysse ;
Artiste pur, pote o la gloire sassure ;
Cher aux femmes, cher aux Lettres, Charles Morice !
_____
-
DDICACES
43
XXXVII
A EDMOND THOMAS
MON ami, vous mavez, quoique encore si jeune,Vu dj bien divers, mais ondoyant jamais,
Direct et bref, oui : tels les Juins suivent les Mais,
Ou comme un affam de la veille djeune.
Homme de primesaut et dexcs, je le suis,
Daventure et derreur, allons, je le concde,
Soit, bien ; mais illogique ou mol ou huche ou tide
En quoi que ce soit, le dire je ne le puis,
Je ne le dois ! Et ce serait le plus impie
Pch contre le Saint-Esprit, que rien nexpie,
Pour ma foi que lamour claire de son feu,
Et pour mon cur dor pur le mensonge suprme,
Puisquil nest de justice, aprs lglise et Dieu,
Que celle quon se fait, confesse, soi-mme.
_____
-
PAUL VERLAINE
44
XXXVIII
A MES AMIS DE LA-BAS
GEN S de la paisible HollandeQuun instant ma voix vint troubler
Sans trop, jespre, dire grande
De votre part, voulant parler
A vos esprits que la nature
Fit calmes pour mieux y mler
Lenthousiasme et la foi pure
Et lidal fou de rel
Et la raison et laventure
De sorte quitable, le ciel
Non plus brumeux, mais de par lombre
Mme, et lclat essentiel,
O le ciel aux teintes sans nombre
Quopalisent lombre et lclat
Re votre art clair ensemble et sombre,
Ciel dont il fallait que parlt
La gratitude encor des races.
Et dont il fallait que perlt
-
DDICACES
45
Cette douceur vraiment mystique
Et crue aussi vraiment qui rend
Rveuse notre pre critique,
O votre ciel, fils de Rembrandt !
_____
-
PAUL VERLAINE
46
XXXIX
QUATORZAIN POUR TOUS
O mes contemporains du sexe fort,Je vous mprise et contemne point peu.
Mme il en est que je dteste mort
Et que je hais dune haine de dieu.
Vous tes laids moi compris au-del
De toute expression, et btes, moi
Compris, comme il nest pas permis : cest la
Pire peine mon cur, et son moi
De ne pouvoir tre (ni vous non plus)
Intelligent et beau pour rire ainsi
Quil sied, du choix qui me rend cramoisi
Et pour pleurer que parmi tant dlus
A faire, ces messieurs aient entre tous
Pris Brunetire. O les topinambous* !
_____
* Voir Boileau, pigrammes.
-
DDICACES
47
XL
QUATORZAIN POUR TOUTES
O femmes, je vous aime toutes, l, cest dit !Nallez pas me taxer daudace ou dimposture.
Raffolant de la blonde douce et de la dure
Brune et de la virginit bte un petit
Mais si gente et si prompte se dniaiser,
Comme aussi de lalme maturit (que vicieuse !
Mais susceptible dun grand cur et si joyeuse
Dun sourire et savourant, lente, un long baiser).
Toutes, oui, je vous aime, oui, femmes, je vous aime
Except si par trop laides ou vieilles, dam !
Alors je vous vnre ou vous plains. Je vais mme
Jusqu me voir fru, parfois mon grand dam,
Dune inconnue un peu vulgaire, rencontre
Au coin non pas dun bois sacr ! qui mest sucre.
_____
-
PAUL VERLAINE
48
XLI
A G***
TU mas plu par ta joliesseEt ta folle frivolit.
Jaime tes yeux pour leur liesse
Et ton corps pour sa vnust.
Mais jai dtest tout de suite
La gourmandise de ta chair.
Jabhorre ton besoin de cuite
(Non pas celui qui mest si cher,
Le besoin dtre avec cet homme
Encore vert qui serait moi),
Jabomine pour parler comme
Il faut, ton got pour trop dmoi
Joyeux, gamin, charmant sans doute
Au fait, jy pense, je suis vieux
Tant (cinquante ans !) et tes en route
Pour tes dix-huit ans pauvre vieux !
_____
-
DDICACES
49
XLII
ENCORE POUR G
OUI, gamine bonne, je taimeEt ce sera mon plus cher thme
Dinstinct non moins que de systme.
Oui, certes, gamine bonne !
Je ne suis docteur en Sorbonne
Non plus que riche ou beau, friponne.
Mes amours ne sont enrages
Et mes passions sont ranges
Comme une boite de drages.
Et devant tre et voulant tre
Raisonnable et pur comme un prtre
Srieux, je ne suis le matre,
Las ! de mon cur qui taime, bonne
Gamine que si bien friponne !
Et si peu docteur en Sorbonne !
Et je mennuie, ainsi la pluie
Et je me pleure et je messuie
Les yeux parce que je mennuie
Parce que je suis vieux et parce que je taime.
_____
-
PAUL VERLAINE
50
XLIII
POUR S
OR jadore une chaste SuzanneDont je serais lun et lautre vieillard
Et pour qui donc je brairais comme un ne,
Si ntait par trop chaste ma Suzanne,
Elle rieuse, que non pas ! grasse lard ?
Mais non plus lexcs diaphane
Et je serais heureux sans coq--lne,
Si ne mtait trop chaste ma Suzanne
Et je te dirai tout doucement
Quil faudra bien vite oublier ton amant
Ft-ce moi-mme, chose invraisemblable !
Et je serais alors le plus heureux
Non pas des trois mais que plutt des deux
Et ce ne serait pas dj le diable !
_____
-
DDICACES
51
XLIV
CHANSON POUR L
ENF IN, aprs deux ans, je te revois et taimePour de bon cette fois,
A cause de ton corps dabord, et surtout mme,
En raison de ta voix
Si bonne et si calmante et qui dicte des choses
Paisibles mon cur
Un peu cruel mais doux au fond telles aux roses
Les pines et, sur
Presque aime cause de ta gente sagesse
A travers tant et tant
De gaiet polissonne, et de cette largesse
Dun cur pourtant prudent,
Que ton cur et mon cur rgnent donc sans consteste
Sus notre vie tous
Les deux et ds ce soir ( jour, je te dteste !)
Soyons-nous bons et doux !
_____
-
PAUL VERLAINE
52
X LV
A ***
TON cur est plus grand que le mienMais le mien peut-tre est plus tendre
Qui ne sait que ne pas attendre,
Tant il serait jaloux du tien,
Si je mtais sr de la foi
Quil faut, chre, que (je te prte), pauvre,
Et que riche, je donne en tout aloi
Bon et meilleur ou pire, en vrai pote.
Mon cur est moins grand que le tien
Mais le tien peut-tre est moins vaste
Qui naime gure que le faste
Dtre aim du mien, et fait bien.
_____
-
DDICACES
53
XLVI
LE PINSON DE***
CES T trs miraculeux : ce pinson si joliQui sautillait dun air attentif et poli
Tout au bout des barreaux, prtant sa tte fine
A ma bouche lui sifflant lair de la Czarine,
Il nest plus ! Le voici sans souffle dsormais.
Il avait bien souffert, autant que tu laimais !
Maussade, hlas ! et symptme bien pire encore,
Immobile et muet dans la cage sonore
Du ppiement des autres htes de nos bois
Et vibrante Dieu sait comme de leurs mois,
De leurs bats plus fous que les jeux de la houle.
Il stait accroupi, se contournant en boule,
La tte sous son aile, ayant lair de dormir,
Et ta gardais lespoir, cessant de trop gmir,
De le croire en effet endormi La nuit sombre
Vint, qui nous consola quelque peu. Mais quand lombreSe dissipa, cdant, Soleil, ton effort,
La vrit nous apparut : il tait mort !
Tu reculas dhorreur malgr tout ton courage
Ordinaire, et nosais le sortir de la cage.
Jaccomplis en ton lieu ce douloureux devoir,
Et toi, dpliant en silence un vieux Chat noir ,
-
PAUL VERLAINE
54
Le replias sur le petit cadavre avec des larmes,
Linceul appropri, symbole non sans charmes !
Nous dbattmes un long temps lheure et le lieu
O rendre les derniers honneurs au petit dieu.
Tout coup tu pris ton panier dj clbre
Et partis sans me prvenir du lieu funbre
Destin dans ton cur lenterrement d,
Emportant en ce char loiseau, bien entendu.
Quand tu revins, tavais lair fier et plein de grce
De quelquun ayant fait, sans bruit et sans grimace,
Ce quon peut appeler une grande action :
Je lai jet dans les caveaux du Panthon !
Tcrias-tu, puis, car la femme est toujours femme,
Et tes yeux teignant soudain leur sombre flamme,
Tu repris, et cela me parut aussi beau :
Il aurait peut-tre mieux fait sur mon chapeau !
20 fvrier 1893.
_____
-
DDICACES
55
XLVII
A E
O toi chaude comme lenfer,O toi, froide comme lhiver,
Douce et dure, on dirait du fer
Et de la mousse,
Dure et douce comme la mousse
Et le fer, si dure et si douce,
Va ! sois toi-mme ! Un vent te pousse.
Vent de printemps
Et vent dautomne, et tant dautans
Et de zphirs sont palpitants,
Dans tes grands yeux mahomtans
De catholique
Que jen reste mlancolique
Et joyeux, et sans plus doblique
Madrigal, je taime !
Madrigal, je taime ! O rplique,
Diable anglique.
_____
-
PAUL VERLAINE
56
XLVIII
A E
POUR SES TRENNES
JE mprise, vrai ! ces vers-ciMais jaime le sujet diceux,
Les vers sont-ils tendres ou pisseux ?
Mais le sujet est russi.
Mais jidoltre, au fond, ces vers
Parce quils figurent mon me
Pisseuse ou tendre telle dame
Sur un fond candide ou pervers.
Et ces vers pervers ou candides
Seront le tmoignage, au fond,
De choix qui viennent et qui vont
Et finissent daprs davides,
Davidement cruels dsirs
Et tout ! par tre moins perfides.
1er janvier 1894.
_____
-
DDICACES
57
XLIX
A***
MAU VAIS E, criarde, et a vaut mieuxQuen somme bavarde et muette.
Or tel est le vu de ce pote,
De ce pote criard, bavard et vieux.
Ce pote, bavard et curieux,
Amoureux avant tout de sa tte
Et de ses motions desthte,
Se creuse sa tte denvieux,
Denvieux plutt dtre tranquille
Comme un naufrag nageant vers lle
O se scher des flots furieux
Et comme il se cramponne, le pote,
Avec son bagage lch desthte
A cette mauvaise criarde, et a vaut mieux !
_____
-
PAUL VERLAINE
58
L
A LA MME
NON. Ce nest pas vrai. Vous tes trs bonne,Trs sobre de paroles dures vraiment
Et votre verbe est un pur liniment
Toute en voyelles sans la moindre consonne.
Cest la cause pourquoi je vous pardonne
Quelque vivacit dite ventuellement
Et srement dans le juste moment
O je la mrite, et parlant ma personne.
Car vous tes franche et ce mest doux
Dans ce monde vil et surtout jaloux
De ramper autour de quelquun pour le tromper
Et cest trs bien a, ma si chre amie,
Et je vous en estime (et ne mens mie)
Et je ten aime mieux encor de ne pas me tromper.
_____
-
DDICACES
59
LI
POUR LA MME
ZUT, il nen faut plus, cest une hypocriteA rebours ou cest une folle ou, mieux,
Une sotte en cinq lettres, mais de vieux
Jeu, trop Second Empire, et qui seffrite.
Car jeune elle est trs loin de ltre encor
Et la date de sa naissance est un Trsor
De suppositions contradictoires.
Cela ne ferait rien sans doute au cas prsent
Moi ntant plus non plus ladolescent
Epris de sa cousine, lys ! ivoires !
Mais surtout elle est sotte, dmrite
Pire mes yeux que tous maux sous les cieux
Et, tort non moindre en surplus mes yeux,
Elle a le don qui fait que je mirrite.
_____
-
PAUL VERLAINE
60
LII
A UNE DAME
QUI PARTAIT POUR LA COLOMBIE
NOT RE-DAM E de Santa F de BogotaQui vous apprtez faire le tour de ce monde,
Or, mon motion serait par trop profonde
Dans le chagrin rel dont mon cur clata
A la nouvelle de ce dpart dplorable
Si je navais lorgueil de vous avoir, ta-
Ble dhte, vue ainsi que tel ou tel rasta
Et de vous devoir ce sonnet point admirable.
Hlas ! assez, mais que voici de tout mon cur
Tel que je lai conu dans un rve vainqueur
Dont, hlas ! je reviens avec le bruit qui grise
Dun tambourin, bruyant sans doute mais gentil
Dtre, grce votre talent de femme exquise-
Ment amusante, dcor dun doigt subtil.
_____
-
DDICACES
61
LIII
A E***
I
LOR SQUE nous allons chez VanierDans des buts peu problmatiques,
Tu portes un petit panier
Moins plein dobjets aromatiques,
Persil, cerfeuil, s-authentiques
Torsades dun savant vannier
Et tels bouquins pour les boutiques
Que le Quai n peut renier,
Moins plein, dis-je, de toutes choses
Que de ceci : soucis moroses,
Querelles affreuses, raisons
Mauvaises, jeter en Seine,
Si quau retour, sans plus de scne,
Tout bonnement nous nous baisons.
_____
-
PAUL VERLAINE
62
II
A PROPOS DUN PETIT PANIER QUIL AVAIT DMOLIAU BRAS DUNE DAME DANS UN MOMENT DE VIVACIT
Lorsque nous allons chez VanierDans des buts peu problmatiquesTu portes un petit panier
IL est mort le petit panier !Je lai dtruit lors dune scne.
Irons-nous encor chez Vanier ?
II est mort le petit panier !
Dire que ton uvre, vannier,
Je lai tue au bord de Seine.
Il est mort le petit panier !
Je lai dtruit lors dune scne.
Je ne suis pas trop fier, vraiment,
De a qui nest pas mon chef-duvre,
Tant sen faut, je le dis crment.
Je ne suis pas trop fier, vraiment,
Et mme un remords vhment,
Me mord ainsi quune couleuvre.
Je ne suis pas trop fier, vraiment,
De a qui nest pas mon chef-duvre.
-
DDICACES
63
Heureusement il est un dieu
Pour ceux que la colre enivre.
Et ce dieu-l nest pas un pieu.
Heureusement il est un dieu
Qui tinspirait. Aprs ladieu
Dit, que ce gage dt revivre.
Heureusement il est un dieu
Pour ceux que la colre enivre.
Et, comme autrefois le phnix,
Il reparat beau, vaste mme,
Disant lpre Parque : Nix !
Et, comme autrefois le phnix,
Le revoici, daprs un X
O tel pipo perd son barme.
Oui, comme autrefois le phnix,
Il reparat beau, vaste mme.
Nous irons encor chez Vanier
Dans des buts peu problmatiques.
Encor quil semble le nier,
Nous irons encor chez Vanier
Avec cet norme panier
Plein de choses mal esthtiques.
Nous irons encor chez Vanier
Dans des buts peu problmatiques.
-
PAUL VERLAINE
64
Et nous en reviendrons toujours
Aprs avoir, sans plus de scne,
Vid vos querelles, amours,
Et nous en reviendrons toujours,
Aprs vous avoir jets, lourds
Soupons et faux propos, en Seine,
Aux vrais propos, mais pour toujours,
Aux francs baisers sans plus de scne.
_____
-
DDICACES
65
LIV
ANNIVERSAIRE
A William Ilothenstein.
Et javais cinquante ans quand cela marriva.
JE ne crois plus au langage des fleursEt lOiseau bleu pour moi ne chante plus.
Mes yeux se sont fatigus des couleurs
Et me voici las dappels superflus.
Cest en un mot, la triste cinquantaine.
Moirage mr, pour tous fruits tu ne portes
Que vue hsitante et marche incertaine
Et ta frondaison na que feuilles mortes !
Mais des amis venus de ltranger,
Nul nest, dit-on, prophte en son pays
Du moins ont voulu, non encourager,
Consoler un peu ces lustres has.
Ils ont grimp jusques mon tage
Et des fleurs plein les mains, dun ton sans leurre.
Souhait gentiment mon sot ge
Beaucoup dautres ans et sant meilleure.
-
PAUL VERLAINE
66
Et comme on buvait ces vux du cur
Le vin dor qui rit dans le cristal fin,
Il ma sembl que des bouquets, en chur,
Sortaient des voix sur un air divin ;
Et comme le pinson de ma fentre
Et le canari, son voisin de cage,
Ppiaient gaiement, je crus reconnatre
LOiseau bleu qui chantait dans le bocage.
Paris, 30 mars 1894.
_____
-
DDICACES
67
LV
A MON DITEUR
I
MISRE
JE veux dpeindre en ce sonnetToute mon indignation
Contre ce Vanier quon connat,
Aussi la rsignation
Quil me faut (avec lonction
Ncessaire au temps o lon est,
Temps gaspill sous laction
Dune jeunesse qui renat).
Or ce Vanier dont la maison
Telle celle dite Pont-Neuf
Nest pas au coin du quai, raison
Insuffisante mon courroux
Terrible, tel celui dun buf,
Oui, ce Vanier na pas de sous
-
PAUL VERLAINE
68
II
RICHESSE
A me mettre hlas dans la poche,
Mais demain comme il sera tendre
Il nest tel que de bien attendre
Avec une tte de Boche,
Et la chose dtre un gavroche
Qui ne voudrait ; plus rien entendre
Que dtre un gas plus ou moins tendre
Sans peur autant que sans reproche
Et je vais enfin, digne et riche,
Mieux quun militaire en Autriche,
Mpandre et me rpandre encore
En un luxe sans fin ni bornes
Qui, buf littral que dcore
Sa force, te montre les cornes,
Misre qui voudrait me proposer des bornes.
_____
-
DDICACES
69
LVI
A LON VANIER
I
VOU S voulez tuer le veau grasEt quun sonnet signe la trve.
Trs bien, le voici, mais mon rve
Serait pour sortir dembarras
Et nous bien dcharger les bras
De la manire la plus brve,
Tel un lourd fardeau quon enlve
Que ce veau ft dor et trs gras,
Afin que parmi cette foule
Qui nous bouscule et que lon roule,
Nul, voyant ce pacte nouveau
Dment paraph de nos plumes,
Au bas de lacte o nous nous plmes,
Nul ne dise : On dirait du veau !
_____
-
PAUL VERLAINE
70
A LON VANIER
SUITE AU 1er SONNET
II
OR puisque le veau dor a lieuEt quon ne dirait plus du veau,
II nous faut dabord prier Dieu
De bnir le pacte nouveau.
Pour nous ruer des travaux
Tout bonnement prodigieux.
Prose au kilo, vers frais ou faux,
Quimporte ? Tant pis et tant mieux !
Nouer et dnouer des nuds
Gordiens ou non, et ntant
Pas plus des princes que des bufs.
Nanmoins, peiner tant et tant
Que vous fassiez une fortune buf
Et que moi, jachetasse un courage neuf.
Jour de Nol 1892.
_____
-
DDICACES
71
LV II
TOAST A DISTANCE
Aux Rosati.
GEN S du Nord, mes compatriotes,Hlas ! je vous avais promis
Quelques mots propos de bottes
Comme on en change entre amis
Sous le titre de confrence
Que lon galvaude en de vains us
Jaurais gaiement pour loccurrence,
En propos exprs dcousus
Parl longtemps de la contre
A laquelle malgr Paris
Et sa rumeur dmesure
Rpondront toujours nos esprits.
Lille, Arras, Douai, Valenciennes,
Que sais-je encore, Saint-Quentin !
Hlas ! des douleurs anciennes
Me tiennent du soir au matin,
-
PAUL VERLAINE
72
A ce quon croit rhumatismales,
Et le docteur, froce et doux,
Me dfend en phrases normales,
Trop normales, daller vers vous ;
Mais il me fait esprer, comme
Il sied, quand vos toasts envis,
Dans un mois je serais votre homme.
En attendant, si vous buviez !
22 fvrier 1894.
_____
-
DDICACES
73
LVIII
SOUVENIR DE MANCHESTER
A Thodore C. London.
JE nai vu Manchester que dun coin de SalfordDonc trs mal et trs peu, quel que ft mon effort
A travers le brouillard et les courses pnibles
Au possible, en dpit dhansoms inaccessibles
Presque, grce ma jambe male et mes pieds bots,
Nimporte, jai gard des souvenirs plus beaux
De cette ville que lon dit industrielle,
Encore que de telle quintellectuelle
Place o ma vanit devait se pavaner
Soi-disant mieux, et dussiez-vous vous tonner
Des semblantes navets de cette ptre,
O vous ! quand je parlais du haut de mon pupitre
Dans cette salle o l lite de Manchester
Applaudissait en Verlaine lauteur dEsther,
Et que je proclamais, insoucieux du pire
Ou du meilleur, mon culte norme pour Shakespeare.
30 janvier 1894.
_____
-
PAUL VERLAINE
74
LIX
FOUNTAIN COURT
A Arthur Symons.
LA Cour de la fontaine est, dans le Temple,Un coin exquis de ce coin dlicat
Du Londres vieux o le jeune avocat
Apprend ltroite Loi, puis le Droit ample :
Des arbres moins anciens (mais vieux, sans faute)
Que les maisons daspect ancien trs bien
Et la noire chapelle au plus ancien
Encore galbe, aujourdhui table dhte
Des moineaux francs picorent joliment
Car cest lhiver la baie un peu moisie
Sur la branche prcaire, et posie !
La jeune Anglaise lAnglais g ment
Quimporte ! ils ont raison, et nous aussi,
Symons, daimer les vers et la musique
Et tout lart, et largent mlancolique !
Dtre si vite envol, vil souci !
-
DDICACES
75
Et le jet deau ride lhumble bassin
Comme chantait, quand il avait votre ge,
Lauteur de ces vers-ci, dbris dorage.
Ruine, pave, au vague et lent dessin.
Londres, novembre 1894.
_____
-
PAUL VERLAINE
76
LX
A EDMOND LEPELLETIER
MON plus vieil ami survivantDun groupe dj de fantmes
Qui dansent comme des atomes
Dans un rais de lune devant
Nos yeux assombris et rvant
Sous les rainures polychromes
Que lautomne arrondit en dmes
Funbres o gmit le vent,
Bah ! la vie est si courte en somme
Quel sot rveil aprs quel somme !
Quil ne faut plus penser aux morts
Que pour les plaindre et pour les oindre
De regrets exempts de remords,
Car nallons-nous pas les rejoindre ?
_____
-
DDICACES
77
LXI
JEAN RICHEPIN
Splicans !
(F. Villon.)
RIC HEPI NNest pas le nom dun turlupin
Ni dun marchand de poudre de perlinpinpin
Cest le nom dun bon bougre et dun gentil copain.
coutez :
Il blasphme de tous cts,
Au Bourgeois mme il dit de sales vrits,
Ses marins lOprCom seraient peu cots.
Tout le mal
Il le chante dun ton normal
Et cest, dire vrai, le plus pire animal.
Mais les gueux
Combattant, souffrant avec eux
Il les aime de quel amour, noble et fougueux !
_____
-
PAUL VERLAINE
78
LXII
A ARTHUR RIMBAUD
MOR TEL, ange ET dmon, autant dire Rimbaud,Tu mrites la prime place en ce mien livre
Bien que tel sot grimaud tait trait de ribaud
Imberbe et de monstre en herbe et de potache ivre.
Les spirales dencens et les accords de luth
Signalent ton entre au temple de mmoire
Et ton nom radieux chantera dans la gloire,
Parce que tu maimas ainsi quil le fallut.
Les femmes te verront grand jeune homme trs fort,
Trs beau dune beaut paysanne et ruse,
Trs dsirable dune indolence quose !
Lhistoire ta sculpt triomphant de la mort
Et jusquaux purs excs jouissant de la vie,
Tes pieds blancs poss sur la de lEnvie !
_____
-
DDICACES
79
LXIII
A ARTHUR RIMBAUD
SUR UN CROQUIS DE LUI PAR SA SUR
II
En ngre blanc, en sauvage splendidement
Civilis, civilisant ngligemment
Ah, mort ! Vivant plutt en moi de mille feux
Dadmiration sainte et de souvenirs feux
Mieux que tous les aspects vivants mme comment
Grandioses ! de mille feux brlant vraiment
De bonne foi dans lamour chaste aux fiers aveux.
Pote qui mourus comme tu le voulais,
En dehors de ces Paris-Londres moins que laids,
Je tadmire en ces traits nafs de ce croquis,
Don prcieux lultime postrit
Par une main dont lart naf nous est acquis,
Rimbaud ! pax tecum sit, Dominus sit cum te !
_____
-
PAUL VERLAINE
80
LX V
A Mll e RENE ZILCKEN
O Mademoiselle Rene,Fillette exquisement mignonne,
Que le bon Dieu toujours vous donne
Vie lgante et fortune.
Grandissez dment bien-aime
Dans la sagesse douce et bonne
Sous lil qui sourit et stonne
De votre famille charme.
Soyez lespoir et le bonheur
De votre pre, lui, lhonneur
De lart et de votre famille
Et de votre mre, lhonneur
Et la grce dune famille
Stonnant de tout ce bonheur.
La Haye, octobre 1892.
_____
-
DDICACES
81
L X V
A Mll e EVELINE
EVE LINE, mais cest veEn miniature et cest
Tout le charme et tout le rve
Que notre esprit caressait
Quand nagure il sagissait
Encore denfance brve
Qui grandit et grandissait
Dans la femme qui sachve.
Mais o va donc mon Sonnet ?
Vous tes toute mignonne
Et lge en fleurs vous couronne.
Votre ge gai ne connat
Que linnocence divine
Riez, petite Eveline !
_____
-
PAUL VERLAINE
82
LXVI
A Mll e LONIE R
VOU S emplissez dun bruit gentil, quoique terrible,Ma tte que console un tapage denfant,
Et mon cur quil est difficile quon console !
Vous me rendez la joie et je suis triomphant
De moi-mme, ce moi-mme qui fut horrible
Lorsquune enfant aussi, criait, mchante et folle
Et bonne, au fond, quand jtais moi-mme un enfant
Aux yeux vrais, au sang pur comme dune mouette
Qui revient de trs loin, ainsi que ce pote.
_____
-
DDICACES
83
LXVII
A Mll e JEANNE VANIER
PAR FOIS dans un local plein de livres, deux hommesSe gourment presque, bien que bons garons au fond ;
Cest votre pre et moi dont les paroles vont
De loffre la demande en quels carts de sommes !
Je nai pas lair commode. Il est mal dispos.
Choc terrible ! Soudain, au fort de la querelle,
Petite et fine la croire surnaturelle,
Une enfant apparat, grands yeux noirs, teint ros.
Elle senqute, elle tremble, comme inquite
Srieusement trop ? Non, du bruit de tempte
Que vont menant ce monsieur chauve et son papa
Souriants sur-le-champ, et voici la paix faite
Entre, en un mutuel et franc me culp,
Votre pre, diteur, et moi, votre pote.
Paris, 21 avril 1894.
_____
-
PAUL VERLAINE
84
LXVIII
SUR UN BUSTE DE MOI
Pour mon ami Niederhausern.
CE buste qui me reprsenteAuprs de la postrit
Lui montre une face imposante
Pleine de quelle gravit !
Devant cette tte pesante
Du poids tous les jours augment
Dune pense, pas puissante
Dun souci plutt entt,
Quest-ce que vont dire les femmes
Et les hommes des temps futurs ?
Au fait, on sent, sous ces traits durs
Et derrire ces yeux aux flammes
Noires, un monsieur malveillant,
Mais le sculpteur eut du talent.
_____
-
DDICACES
85
LXIX
A RAYMOND MAYGRIER
Lhistoire vridiqueDe la langouste atmosphrique.
( Lil crev.)
COM ME la langouste dHerv Qui portait lherbe magique,
Sur sa croupe magntique
Mieux que la langouste dHerv,
Que ce crustac controuv,
Vous possdez lart magique
Et mme le magntique
Fi dun crustac controuv !
Puis, vous tes graphologue,
Et dmleriez, tonnerre ! une glogue
Dans un grimoire o Nostradamus perdrait son latin.
Bon Maygrier, sorcier rose,
Magicien blanc sans rien de morose,
Dites, prdisez-moi quelque plus sortable destin.
_____
-
PAUL VERLAINE
86
LXX
A Mll e ADLE
MAD EMOI SELL E AdleVous tes un modle :
Dordre et dautorit
Qui mauriez complt !
Mademoiselle Adle,
Vous tes un modle
De joie et de gat
Viv votre autorit !
Vous mavez dit des choses,
Presque le drapeau rose
Quest le drapeau franais,
Vous mavez dit des choses,
Presque le drapeau rouge
Quon voit sur votre bouche.
_____
-
DDICACES
87
LXXI
A Mme MARIE A
POUR SA FTE
LE pote nest pas trs riche !Aussi, devant ce frais jardin
De bouquets dignes dun den,
Se voit-il forc dtre chiche
En ce jour de sainte Marie,
Votre fte, et chiche ce point
De ne contribuer, las ! point
A cette closion fleurie
De sympathie et damiti.
Il se contente avec remords
De vous offrir, non pas des ors
Ni mme dhumbles rangs de perles,
Mais son petit air ppi,
Comme le plus humble des merles.
_____
-
PAUL VERLAINE
88
LXXII
A RODOLPHE DARZENS
JEU NE homme lancComme un peuplier,
Qui donc a pens
Quon pt toublier
Dans ce livre si
Vraiment amical ?
Quel sot russi,
Quel crtin fcal ?
Jeune homme lanc
Vers la vie et vers
Lart et les beaux vers,
Enfant annonc
Par ta chanson, viens,
Entre et sois des miens.
_____
-
DDICACES
89
LXXIII
A HENRI BOSSANNE
BON imprimeur de la premire ditionDe Ddicaces
Vous vntes Paris dans une intention
Des plus cocasses :
Sagissait de me voir, de minterviewer
Pour la province,
Apprendre ce que pouvait agir et rver
Ce moi si mince.
Or il advint quau jour o jeus le cher plaisir
De vous connatre
Jtais chez moi, rideaux tirs sur la fentre,
En manches de chemise et chaussons de loisir,
Avec deux femmes ! ! !
Et vous : Ce nest donc pas CE prince des infmes !
_____
-
PAUL VERLAINE
90
LXXIV
A MAX ROSA
ROS A nest pas rosa la rose,Ni Salvador, peintre en brigands,
Ni la belle dame aux longs gants
Quun tel pronom signe ou suppose,
Ni lun de ces rois de la pose,
Seores par trop lgants
Ou senhores plus quloquents,
Ou rastas pour dire la chose.
Rosa, cest le nom dun ami,
Parisien de bonne souche
Et Franais non point demi.
Il est prompt prendre la mouche,
Mais le chagrin dautrui le touche :
Dear friend, Im sorry ; think of me.
_____
-
DDICACES
91
LXXV
A Mll e A. ROM***
CE nom, Sedan ! me dit de vacances denfance,De passages en diligence dans un bruit
Joyeux de clics-clacs et de vitraille qui fuit
Vers un horizon gai quon dirait qui savance.
Ce mot, Sedan ! mvoque, ainsi qu tous en France,
Une plaine lourde de sang ; blme de nuit,
Des cris teints quune rumeur de rve suit,
Sur quoi plane trs haut comme de lesprance.
Sedan ! Sedan ! pourtant il sonne encore doux
Et frais, non plus pour lavenir ou la mmoire,
Mais bien dans le prsent bien vivant, grce vous !
Il sonne, il brille, le futur nom de victoire :
Accent joli, mignon entrain toujours accru
Et lArdennais quest moi presque, en reste fru.
_____
-
PAUL VERLAINE
92
LXXVI
A A. DUVIGNEAUX
TROP FOUGUEUX ADVERSAIREDE LORTHOGRAPHE PHONTIQUE
coi vrman, bon Duvign,Vau zci dou ke l zagn
E meeur ke le pin con manj.
Vou melran ce courou ztranj
Contr(e) ce t de brav(e) jan
O fon plus bte ke mchan
Drapan leur linguistic tic
Dan lortograf(e) fontic ?
Kel ir(e) donc vou zambala ?
Vizavi de c zoizola
Sufi dune parol(e) verde.
Et pour leur prouv san dba
Kil d mo ke natin pa
Leur sistem(e), dison-leur : !
_____
-
DDICACES
93
LXXVII
A RODOLPHE SALIS
CAB ARET IER miraculeux,Ainsi quet dit le bon Ptrus
Aux temps dj si fabuleux
Du romantisme et de ses us ;
Cabaretier miraculeux
Et bonisseur digne dUrsus,
Puis ennemi mticuleux
De la sottise et de ses us ;
Salis quon prnomme
Rodolphe, Crateur, comme Promthe !
Flot de liquides, tel un golfe !
O Matre, nul ne test athe,
Sauf quelque muffle, lymphe et dartre,
En ton domaine de Montmartre.
_____
-
PAUL VERLAINE
94
LVXIII
A LON CLADEL
TU fus excessifEt je ten aimais
Dun amour plus vif,
Plus vif que jamais,
Depuis que la mort,
Cette vie en mieux,
A bris leffort
De Toi vers les cieux,
Vers des cieux voulus
Par ta volont,
Des cieux absolus,
Toi ressuscit
Aux fins, glorieux.
Dune vie en mieux.25 juillet 1892.
_____
-
DDICACES
95
LXXIX
POUR MARIE***
A F.-A. Cazals.
CHE Z nos anciens ctait une bonne coutumeQue la dame de nos amis ft clbre.
Je veux donc dire de ma voix la mieux timbre,
Et les tracer du bec de ma meilleure plume,
Vos mrites et vos vertus dans lamertume
Douce de vous savoir dun autre namoure
Mais dun autre: moi-mme et la tche sacre
Dexalter et de promouvoir, or je lassume,
La louange de vos yeux qui le surent voir,
Celle de votre cur qui put gagner le sien,
Et celle due votre, hlas ! fidlit !
Et, consolation ! celle du bon vouloir
Qui fait que votre main, sre du respect mien
Serre la mienne en lui, sr de ma loyaut.
_____
-
PAUL VERLAINE
96
LXXX
A GUSTAVE LEROUGE
LA vie est vraiment si stupide que ; ma foi !Jai, devant cette perspective plus que bte,
Rsolu de ntre absolument quun pote
Sans plus, et de vieillir ainsi, ne sachant quoi
Que ce soit, que daimer au hasard devant moi.
Aimer pour ne har, aimer damour honnte
Ou non, destime ou dintrt, en proxnte
A moins quen martyr, et nayant plus dautre moi !
Lerouge ! Et vous ? Tout cur et toute flamme vive,
Quallez-vous faire en notre exil ainsi quil est,
Vous, une si belle me en un monde si laid ?
Bah ! faites comme moi, dussent trouver nave
Votre ample expansion ceux forts que fallait
Aimer sans fin ni loi. Et qui maime me suive !
Broussais, dcembre 1891.
_____
-
DDICACES
97
LXXXI
AU COMPAGNON LARTIGUES
Pour Henri Cholin.
VOU S qui ne connaissez de brigueQue la seule briguedondaine
Et nourdissez jamais dintrigue
Quen lespoir de quelque fredaine,
Un penser damour et de haine
Pourtant vous hante et vous fatigue
Et vous fait plate la bedaine :
Lamour du Pauvre, bon Lartigue !
Lamour du Pauvre mieux peut-tre
Que celuidu moderne prtre
Et de lactuel philanthrope.
Si cela cest tre anarchiste
Inscrivez-moi sur votre liste.
Et que saute la vieille Europe !
Hpital Broussais, 15 janvier 1893.
_____
-
PAUL VERLAINE
98
LXXXII
A M. LE DOCTEUR CHAUFTART
LE pote nest parbleu pas ce que lon croit.Il na que quand il veut toutes les ignorances
Sans trop dpre verdeur ou de prjugs rances
Et parfois mme il sent profond et pense droit.
Son regard va, cruel et prcis comme un doigt
Et sa tte, qui sait mrir les apparences,
Taisant soudain ses bruits de peurs et desprances,
Voit terriblement clair ce quautrui lui doit.
Non son cur, proie intarissable linfortune,
Mais sa tte, aprs tout auguste, et ctera,
Et ds lors pour beaucoup samasse une rancune
Qui saura sassouvir, advienne que pourra.
Mais, fracheur ! pour quelques-uns elle recense
Et rserve, tout prix ! quelle reconnaissance !
_____
-
DDICACES
99
LXXXIII
A AMAN JEAN
SUR UN PORTRAIT ENFIN REPOS QUIL AVAIT FAIT DE MOI
VOU S mavez pris dans un moment de calme familierO le masque devient comme enfantin comme nouveau.
Tel jtais, moins la barbe et ce front de tte de veau
Vers lan quarante-huit, bb rotond, en Montpellier.
Jallais dans des Peyroux, tranquillement avec ma bonne,
Jy faisais mille et des fortins de sable inexpugnables
Et des fosss remplis, mon Dieu, des eaux les moins potables
Suivant lexemple que Gargantua pompier nous donne.
Jy voyais passer des processions, des pnitents
Et proclamer la Rpublique en ces candides temps
O tant dun tas davis ntaient pas encore invents.
Mais malgr ce souci de nos jours quil agite et trouble
Et dautres ! au trfonds de mes moelles encor butes
Je demeure assur, conforme votre excellent double.
Hpital Broussais, dcembre 1891.
_____
-
PAUL VERLAINE
100
LXXXIV
A Mme MARIE P
O jeune chevelure blanchePomponnant gaiement une face
Passionne et perspicace
Aux yeux trs bons, mais, en revanche,
Trs mchants, trs poing sur la hanche,
Pour peu quun faquin les agace,
Que fin de sicle et fin de race
Vous tes, chevelure blanche,
Lorsque vous vous pavanez sous
Ce chapeau mousquetaire noir
Et quil fait plaisant de vous voir
Panache fier aux fiers remous,
Fleur pompadour gare, Tircis !
Dune toilette Mdicis !
_____
-
DDICACES
101
LXXXV
A CSAR C.
VOU S tes la douceur elle-mme et la paix,Et cest au nom de quoi, mon ami, je vous aime,
Comme tant la douceur et oui ! la paix, moi-mme,
La paix, comme je veux, la douceur, o je vais !
Parfois, cest vrai, je suis mchant et non mauvais.
Je ne suis plus celui que trouble le problme,
Je ne suis plus celui quenvolait le pome,
Je ne suis, par instants, que fais donc ce que fais ,
Instinctif, et, sinon terrible, prs de ltre,
Comme vous mavez vu, puis, comme un mauvais prtre
Affreux dhypocrisie et vil de faux honneur,
Mais ensuite, et de vous, ami, prenant lexemple,
Srieusement doux et paisible donneur
De douceur et de paix ds la porte du temple.
_____
-
PAUL VERLAINE
102
LXXXV
A BIBI-PURE
BIB I-PUR EType patant
Et drle tant !
Quel Dieu te cre
Ce chic, pourtant,
Qui nous agre,
Pourtant, aussi,
Ta gentillesse
Notre liesse,
Et ton souci,
De lobligeance,
Notre gat,
Ta pauvret,
Ton opulence ?
_____
-
DDICACES
103
LXXXVII
A UN PASSANT
MON cher enfant que jai vu clans ma vie errante,Mon cher enfant, que, mon Dieu, tu me recueillis,
Moi-mme pauvre ainsi que toi, purs comme lys.
Mon cher enfant que jai vu dans ma vie errante !
Et beau comme notre me pure et transparente,
Mon cher enfant, grande vertu de moi, la rente
De mon effort de charit, nous, fleurs de lys !
On te dit mort Mort, ou vivant, sois ma mmoire !
Et quon ne hurle donc plus que cest de la gloire
Que je moccupe, fou quil fallut et quil faut
Petit ! mort ou vivant, qui fis vibrer mes fibres,
Quoi quen aient dit et dit tels imbciles noirs,
Petit compagnon qui ressuscitas les saints espoirs,
Va donc, vivant ou mort, dans les espaces libres.
_____
-
PAUL VERLAINE
104
LXXXVIII
POUR ROBERTE
A Henri Degron.
SEC ONDE me de mon ami, son autre cur,Roberte, or, vous voici veuve pour une anne,
Et je viens avec vous penser sa langueur
A lui loin de vos yeux vous, sa Destine
En quelque sorte, et trs pieusement je viens
Et reviens avec vous tristement vous redire
Quil pleure autant que vous et que, non son martyre
(Ce serait blasphmer, car nous sommes chrtiens)
Mais son impatience est gale la vtre.
Et ne faisons donc plus ici le bon aptre
Et parlons franchement dun chagrin trop rel,
Sans rien exagrer puisque, Roberte chre,
Il va bien, il vous aime bien et que son ciel
Cest de vous revoir comme il est sr de le faire.
_____
-
DDICACES
105
LXXXIX
AU VICOMTE DE LAUTREC
CE nest pas un bonjour tout sec,Mon cher Guy, vicomte Lautrec.
Que je vous donne, cest, avec
Un vu qui ne part pas du bec,
Mais un qui vient du cur vraiment
Et ce, sous la foi du serment
Dailleurs vous savez quil ne ment,
En dpit de la rime en ment
Rime calomnie et trop
Mprise ainsi quun sirop
Qui sucrerait trop un poison !
Et voici ma forte raison :
Souvenez-vous de lhpital !
Vous voyez que ctait fatal.
1er janvier 1893.
_____
-
PAUL VERLAINE
106
XC
POUR Mll e D. A.
JE vous aime trop, Andre,Au trot comme au galop !
Vous tes mon adore
Au galop tout comme au trot.
Andre, je taime trop
(Bien que trop dans la pure)
Et cest au trot que je be
Aprs ton jupon salop.
Puis chantons-nous la romance
Quil faut que lon recommence
Comme oiseaux sans feu ni lieu
Et prouvons-nous lesprance,
Et la bonne confiance
Quon se doit au iiom de Dieu.
_____
-
DDICACES
107
XCI
A PH
I
TU me demandes des vers,a, cest gentil comme un cur.
En voici, mais point pervers :
Car mon amour, tout vigueur,
Tout force et dvouement jusque
Au sang mien, tu ne lignores
Pas, a cess tout ton brusque
Depuis quil a vu, sonores,
Les rives du sombre bord
Strcir autour de lui,
Sonores cris de mort,
Et quil ta vue en lennui.
De la crainte lgitime
Dun trpas sans conscience
De soi-mme. Aussi ma rime
Fleure aujourdhui dinnocence !
-
PAUL VERLAINE
108
Et demain en fleurira.
Car notre amour est sacr,
Tmoin des et (ctera)
Dun deuil qui viendra, malgr
Tout, et songeons bien, chrie,
A ces tristes fins dernires.
Hlas ! ma pauvre chrie,
Songeons nos fins dernires.
Hpital Broussais, 9 juillet 1893.
_____
-
DDICACES
109
XCII
A LA MME
II
OUI, soyons-nous pote et museMais dans le mode familier,
Nous avons pass le millier
Des heures jeunes o lon ruse
Pour faire croire aux bonnes gens
Dont on est le premier soi-mme.
Quon naime en tout a que lextrme !
Fiers, paradoxaux, exigeants.
La vie avec sa vraie outrance
A pris soin de nous corriger
Du travers de nous rengorger,
Ne nous laissant de lesprance
Rien que la simple illusion
Dtre un couple encore sensible
Et ne livrant notre cible
Quun but, la rsignation !
-
PAUL VERLAINE
110
Ce lot est prfrable en somme.
A des apptits quil est bon,
Toi, veuve au fait, moi ce barbon,
De rgler de sorte conome.
Profitons, puisquil en est temps
De cette sagesse dont rage
Qui vient dote notre mnage.
Pour faire uvre de pnitents ?
Que non pas ! Fmes-nous des crimes ?
Pas mal de pchs voil tout.
De ces pchs lgers quabsout
Le seul pardon de leurs victimes,
Et leurs victimes ce fut nous,
De ces victimes sans rancune.
Toi, reste encor longtemps ma brune.
Toujours la bonne qu genoux
Invoquent mes instants de doute,
De tristesse ou de dsespoir,
Mon toile dans le ciel noir,
Lauberge frache en l pre route.
-
DDICACES
111
Moi devenu calme ce nest
Pas malheureux, car tant de frasques,
Et de rles, sous que de masques !
Je suis celui qui ne connat
Et ne chante plus que les choses,
Et lhumanit quil convient.
La vrit seule me tient,
Soient ses aspects sombres ou roses.
Mes vers pris dornavant,
De la raison mais de la saine
Ne dclameront plus en scne
Ils vivront dans tout cur vivant.
_____
-
PAUL VERLAINE
112
XCIII
A LA MME
III
AH ! dtre heureux puisquon le peut, puisque la vieTumultueuse nous a tu toute envie
Autre que dtre calme en un lieu calme enfin !
Nous boirons quand nous aurons soif. Quant la faim,
Des repas frugaux mais nourris sauront lteindre.
Que nous dussions jamais lun ou bien lautre atteindre
Aux splendeurs, aux sommets, nous en dsesprons,
En nous aimant plus fort, nous nous consolerons.
Les dimanches et jours de ftes, car tu gotes
a, lon ne verra plus que nous deux sur les routes
De Svres Clamart et de Meudon au Pecq,
Avec des propos gais, mais retenus au bec.
Nous rentrerons vans, fauchs lor embarrasse
Parfois et puis nous dormirons, chair lasse,
Aprs, hein ? Si tu veux, des manires nous.
Et je commencerai la fte tes genoux.
Puis sur ton cur, et nous dormirons sans grand rve.
Lhiver, nous irons au thtre ! je nen crve
Plus de dsir, mais toi tu raffoles de a.
-
DDICACES
113
Et nous verrons de beaux dcors quun tel brossa,
Et nous applaudirons tel calembour superbe.
Puis nous irons coucher, mieux encor que sur lherbe,
Dans le grand lit de chtaignier quaura vu tant
De fois moi dans le paradis, sage et prudent,
Quest devenu le tien pendant nos durs passages
Dailleurs cest a, restons toujours prudents et sages
Quelquun nous bnira qui dj nous bnit.
Aimons-nous en poux apaiss dans leur nid.
La tendresse ny perdra rien, tout au contraire
Rien dexquis que dtre aux yeux des gens sur et frre !
Hpital Broussais, 12 juillet 1804.
_____
-
PAUL VERLAINE
114
XCIV
A EDMOND PICARD
PUI SQUIL nest pas permis en ce libre paysQui pourtant fut la France et prtend encore ltre,
De parler librement dun homme libre et matre
De soi, dun citoyen, dun artiste, obis,
Pote, ton ide, et faisons bahis !
Les sots et les puissants, mme chose peut-tre,
En clbrant cet homme, un soldat ? Non. Un prtre ?
Non ! tout cela dans toi, Picard, qui ne trahis
Ni ta foi politique (en ce sicle critique
Il sied vraiment davoir une foi politique).
Ni la foi littraire, artistique quil faut
Avoir aussi pour consoler lme indigne
Des choses de la vie encor que rsigne
Et pour laquelle on meurt aussi, car ce le vaut.
Hpital Broussais, juil