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Sommaire en français du Rapport "Pour que la justice compte" de Human Rights Watch sur le travail de la CPI en Côte d'Ivoire, publié en juillet 2015.

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  • POUR QUE LA JUSTICE COMPTEEnseignements tirs du travail de la CPI en Cte dIvoire

    H U M A N

    R I G H T S

    W A T C H

  • Pour que la justice compte Enseignements tirs du travail de la CPI en Cte dIvoire

  • Human Rights Watch 2015 Tous droits rservs pour tous pays. Imprim aux tats-Unis dAmrique Couverture : Rafael Jimenez Human Rights Watch se consacre protger les droits humains des personnes travers le monde. Nous nous rallions aux victimes et aux militants pour prvenir la discrimination, dfendre les liberts politiques, protger les populations contre les comportements inhumains en temps de guerre, et rclamer la traduction en justice des criminels. Nous menons des enqutes, exposons au grand jour les atteintes aux droits humains et rclamons des comptes aux auteurs de ces violations. Nous exerons des pressions sur les gouvernements et les dtenteurs du pouvoir afin quils mettent un terme aux pratiques rpressives et respectent le droit international des droits humains. Nous mobilisons le public et la communaut internationale pour quils apportent leur soutien la cause des droits humains pour tous et toutes. Human Rights Watch est une organisation internationale qui compte du personnel dans plus de 40 pays et des bureaux Amsterdam, Beyrouth, Berlin, Bruxelles, Chicago, Genve, Goma, Johannesburg, Londres, Los Angeles, Moscou, Nairobi, New York, Paris, San Francisco, Sydney, Tokyo, Toronto, Tunis, Washington et Zurich. Pour de plus amples informations, veuillez consulter notre site web : http://www.hrw.org/fr

  • Pour que la justice compte Enseignements tirs du travail de la CPI en Cte dIvoire

    Rsum ........................................................................................................................... 1 A. Importance de limpact ........................................................................................................ 2 B. Influencer limpact ................................................................................................................ 3 C. Effet des dcisions du Bureau du Procureur sur limpact en Cte dIvoire ............................... 5 D. Actions dinformation et de sensibilisation du public ............................................................ 7 E. Renforcement du rle des victimes ....................................................................................... 8 F. Des rformes prometteuses pour des approches favorables limpact ................................ 11

    Recommandations ......................................................................................................... 13 Au Bureau du Procureur .......................................................................................................... 13 Au Greffe ................................................................................................................................ 13 Aux tats parties au Statut de Rome de la CPI ......................................................................... 13

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    Rsum En octobre 2011, les juges de la Cour pnale internationale (CPI) ont autoris le Procureur de la Cour ouvrir une enqute sur des crimes commis pendant la crise postlectorale de 2010-2011 qui a secou la Cte d'Ivoire. La crise a commenc aprs que lancien prsident, Laurent Gbagbo, sorti perdant des urnes, a refus de cder le pouvoir au prsident lu, Alassane Ouattara. Cinq mois de violence ont suivi ces lections contestes. Au moins 3 000 civils ont t tus dans des attaques perptres au nom de la politique et parfois au nom de lappartenance ethnique et de la religion par des forces affilies Gbagbo ou Ouattara. ce jour, le Bureau du Procureur (BdP) de la CPI a engag des poursuites contre trois personnes, y compris Laurent Gbagbo, pour des crimes prtendument commis par des forces fidles Gbagbo. Le BdP continue actuellement de mener ses enqutes sur les violences postlectorales qui ont frapp le pays. La mission fondamentale de la CPI est de rendre la justice par le biais de procdures pnales justes. Les bienfaits de la justice sont incommensurables : elle veille ce que les victimes obtiennent rparation et elle contribue favoriser le respect des rgles de droit, notamment dans des socits dchires par la guerre. Mais des procdures justes, elles seules, ne suffisent pas. Les bienfaits de la justice sont difficiles raliser moins que les efforts dploys pour obliger les auteurs de crimes rpondre de leurs actes tiennent galement compte des proccupations des communauts affectes et soient clairement compris par ces communauts. Par consquent, les reprsentants de la CPI doivent excuter leur mission en veillant ce que la justice rendue par la CPI soit accessible, significative et perue comme lgitime - en d'autres termes, qu'elle puisse avoir un impact - dans les pays dans lesquels la Cour mne ses enqutes. Ce rapport examine lengagement de la Cour en Cte dIvoire et, dans une moindre mesure au Mali, o le BdP a ouvert des enqutes en 2013. Nos recherches qui se sont appuyes sur des entretiens avec des reprsentants de la socit civile et des journalistes ivoiriens et maliens ainsi que sur l'examen des dcisions de justice et documents policiers

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    pertinents rvlent que la Cour na pas encore saisi toutes les opportunits qui soffrent elle pour renforcer limpact de ses procdures en Cte dIvoire.

    A. Importance de limpact Avant la fin 2015, la CPI, la seule cour pnale internationale permanente au monde, va dmnager dans son nouveau sige spcialement construit La Haye, aux Pays-Bas. Depuis le dbut de ses activits en 2003, la CPI utilise des installations temporaires situes dans la banlieue de La Haye. Avec ce nouveau sige impressionnant dont la construction touche sa fin, il est sans doute tentant de considrer la CPI comme une cour exclusivement base La Haye. Les salles daudience et la trs grande majorit de son personnel sy trouvent. Et bien que son cadre lgal permette la CPI de tenir audience sur d'autres sites, il est probable que la plupart des procs aient lieu La Haye. Toutefois, la Cour travaille au quotidien dans les pays dans lesquels elle a ouvert des enqutes. Cest dans ces pays que les crimes instruire devant la Cour ont t commis et, ds lors, que les enqutes doivent en grande partie tre menes. Cest galement l que rsident les personnes et les communauts qui ont t affectes par la perptration de ces crimes au sein de la juridiction de la Cour et qui font face des conflits permanents ou paient les frais des violations massives des droits humains. Ces communauts affectes sont au cur du travail de la Cour. Bien que la CPI puisse compter sur de nombreux soutiens depuis les gouvernements composant ses 123 tats parties jusquaux organisations intergouvernementales apportant leur soutien la CPI en passant par la socit civile internationale qui a fait campagne pour la cration de la Cour , les victimes et les communauts qui ont t directement affectes par ces crimes atroces constituent le principal groupe concern. Dans des situations qui font lobjet denqutes menes par la CPI relativement des conflits secouant le territoire d'un pays donn ou chaque fois que les personnes accuses de crimes sont des figures nationales - comme c'est souvent le cas -, toute la population de ce pays est susceptible d'tre concerne par les affaires portes devant la Cour. Quant limpact de la CPI sur les communauts affectes, il est important que la justice soit rendue mais il est galement essentiel qu'elle soit de qualit et que des efforts soient entrepris pour sassurer que le fait de rendre la justice est visible. titre dexemple, les

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    procs de leaders ou anciens leaders peuvent envoyer un message clair pour montrer que personne nest au-dessus des lois, affirmant ainsi avec force la rgle de droit - mais cela ne vaut que lorsque ce message est entendu et compris par les personnes victimes de cette criminalit. Les efforts dploys par les reprsentants de la CPI pour garantir limpact du travail de la Cour - en d'autres termes pour veiller ce que son travail soit accessible, significatif et peru comme lgitime - au sein des communauts affectes constituent donc une part essentielle de la mission de la Cour.

    B. Influencer limpact Les organes de la cour ont un certain nombre de missions ou responsabilits autour de l'engagement des communauts affectes et de l'optimisation de l'impact de la CPI. Nombre de ces organes sont soutenus par la prsence du personnel de la CPI, qu'elle soit temporaire ou permanente, dans les pays o la CPI mne ses enqutes. La slection des affaires par le BdP est primordiale en termes de justice et dimpact. La CPI nest pas cense juger toutes les affaires de crime grave dcoulant d'une situation donne ; et le BdP dispose dune grande marge de manuvre pour dcider, sur la base de ses enqutes, des affaires spcifiques instruire. Sagissant de lintensification de limpact, toutefois, la slection et la hirarchisation des affaires par le BdP doivent reflter des profils sous-jacents de crimes graves types de crime, lieu de leur perptration et groupes incrimins tablis la suite denqutes impartiales et indpendantes sur des allgations avances lencontre de toutes les parties. Le BdP doit chercher porter des accusations contre les personnes qui sont les plus responsables et les plus reprsentatives des crimes les plus graves. Dautres critres permettent dorienter la slection des affaires et dtablir un certain ordre de priorit ; et nous ne formulons aucune thorie globale cet gard dans le prsent document. Mais nos observations de lexprience de la CPI dans les pays dont elle examine la situation montrent que, chaque fois que les affaires ne rpondent pas au moins aux critres susmentionns, la Cour peut perdre de sa lgitimit aux yeux des communauts affectes, son impact tant de fait rduit.

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    Les responsabilits de la Cour quant son impact s'tendent au-del de celles assignes au BdP. Elles couvrent notamment les programmes de sensibilisation du Greffe destins rendre les procdures de justice accessibles aux communauts affectes ainsi que des initiatives visant faciliter lexercice des droits garantis par le Statut de Rome permettant aux victimes de prendre part des procdures judiciaires et de demander rparation. Les projets d'assistance mis en uvre par le Fonds au profit des victimes du Statut de Rome dont lobjectif est de proposer une radaptation physique et psychologique ainsi quun soutien matriel peuvent avoir un effet immdiat sur la vie de certaines victimes. En outre, bien quil ait fait lobjet de trop peu d'attention jusqu' aujourd'hui, le rle de la CPI, partag par tous les organes et consistant engager les autorits judiciaires et les professionnels du pays concern eu gard aux procs nationaux des crimes relevant de la CPI (une partie de ce qui est appel la complmentarit positive ), est essentiel pour son impact long terme et sa contribution dans les pays dont la situation est examine par la Cour. Mme si le BdP est indpendant des autres organes de la Cour, la slection d'affaires par le BdP dans une situation nationale donne cre le cadre dans lequel ces autres acteurs doivent excuter leurs propres responsabilits. Ceci se rpercute sous diverses formes. La slection des affaires par le BdP peut tre lorigine de problmes de perception qui vont affecter la neutralit des informations fournies dans le cadre des programmes de sensibilisation de la Cour. Dans le mme temps, les enqutes du BdP et le choix des affaires dclenchent les procdures judiciaires qui vont tre par la suite introduites devant la Cour ; la vitesse des enqutes du BdP et, plus gnralement, la nature imprvisible des dveloppements judiciaires dcoulant de ces enqutes, ont une incidence sur les dlais dans lesquels les autres acteurs peuvent mettre en uvre leurs propres activits. Et daprs la jurisprudence de la Cour, la porte des accusations du BdP dterminera quelles sont les victimes autorises prendre part aux procdures et mme demander rparation. Limpact de la Cour savoir sa pertinence, son accessibilit et sa lgitimit dans les communauts affectes est susceptible de dpendre, dun ct, des affaires slectionnes par le Procureur (et en dernier lieu du caractre quitable ou non de leur instruction) et, d'un autre ct, de la faon dont dautres acteurs de la CPI grent les

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    dcisions du BdP sur la slection des affaires lorsquils sacquittent de leurs propres responsabilits. Pour tous les acteurs de la Cour, loptimisation de son impact nest pas chose aise. Cest notamment vrai si l'on tient compte de sa vaste mission qui impose de travailler simultanment dans plusieurs situations nationales avec des ressources limites. Considrant lexprience de la CPI jusqu aujourdhui ainsi que celle des tribunaux qui lont prcde, il convient de garder lesprit un certain ralisme quant l'impact que la CPI peut avoir. Limpact nest pas seulement le produit de facteurs sous le contrle des reprsentants de la Cour. Les proches des victimes pourront tre davantage proccups par le fait d'amener devant la justice les auteurs des crimes plutt que les commandants, par exemple, alors que la Cour doit se concentrer essentiellement sur les personnes assumant les plus grandes responsabilits dans des abus graves. La CPI va souvent travailler dans des contextes hautement politiss o le soutien de la justice et le rle de la CPI, mme chez les victimes, ne sont pas ncessairement vidents. Mais loptimisation de limpact de la Cour par le biais de son engagement auprs des communauts affectes doit rester un but stratgique pour les reprsentants de la Cour, leur attention et leurs efforts constants tant ncessaires pour avancer sur cette voie.

    C. Effet des dcisions du Bureau du Procureur sur limpact en Cte dIvoire ce jous, suite ses enqutes en Cte dIvoire, le BdP a engag des poursuites contre trois personnes: Laurent Gbagbo, son pouse, Simone Gbagbo, et Charles Bl Goud, ancien ministre de la Jeunesse, proche alli de l'ex-prsident et leader historique d'une violente milice pro-Gbagbo. Le procs de Gbagbo et de Bl Goud doit dbuter devant la CPI en novembre 2015, alors que Simone Gbagbo se trouve toujours en Cte dIvoire, suite au refus des autorits de la transfrer la Cour. Le BdP a indiqu que ses enqutes en Cte d'Ivoire se poursuivront en toute impartialit mais, quatre ans aprs avoir demand la permission d'ouvrir des enqutes, le BdP na toujours pas port daccusations devant la Cour pour les crimes commis par les allis de Ouattara. Labsence ce jour daffaires portant sur des crimes commis par des forces pro-Ouattara signifie que, jusquici, le BdP a manqu lobjectif visant slectionner des affaires dune

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    faon susceptible d'optimiser son impact dans le pays. Cette omission et dautres dcisions du BdP ont galement t lorigine d'un certain nombre de difficults pour d'autres acteurs de la Cour. Premirement, le BdP a avanc rapidement avec ses premires enqutes ; dans les deux mois qui en ont suivi louverture des enqutes, la CPI a dlivr un mandat darrt contre Gbagbo et ce dernier a t transfr La Haye. La rapidit des enqutes initiales du BdP nest pas en cause ici. Mais cela a fait que dautres acteurs de la Cour et notamment lUnit de la sensibilisation ont fait face dimportants besoins dinformations sur le terrain dans un laps de temps trs court. Deuximement, bien que des crimes aient t commis par les forces pro-Gbagbo Abidjan et dans l'intrieur du pays, notamment l'ouest, le couple Gbagbo et Bl Goud sont seulement accuss de quatre ou cinq incidents qui ont tous eu lieu Abidjan. Par consquent, ce jour, les affaires de la CPI ne refltent pas convenablement l'tendue des violences postlectorales. Troisimement - et c'est sans doute l le point le plus important -, bien que le BdP ait maintenu sa volont denquter sur les crimes commis par toutes les parties au conflit, il a dtermin un ordre pour ses enqutes et a dcid dexaminer en premier lieu les crimes commis par les forces allies Gbagbo. La focalisation des affaires de la CPI jusqu' aujourdhui sur les exactions dune seule partie a contribu la division de lopinion sur la cour et a affect les perceptions sur sa lgitimit. Ce dmarrage rapide, le nombre limit dincidents couverts par les affaires de la Cour et l'approche du BdP axe sur les crimes dune seule partie ont grandement entrav l'excution de la mission du Greffe consistant engager les communauts affectes afin que des informations objectives sur les procdures soient fournies et qu'un plus grand nombre de victimes soient engages dans le cadre des procdures introduites devant la Cour. Et pourtant, les stratgies mises en uvre par ces autres acteurs de la Cour n'ont pas permis de saisir les opportunits qui auraient pu pallier ces difficults et permettre la Cour davoir un plus grand impact sur le terrain.

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    D. Actions dinformation et de sensibilisation du public Afin de garantir que la justice nest pas seulement rendue mais quelle est galement perue comme telle notamment dans les communauts affectes par les crimes juger, la CPI a besoin de communiquer clairement sur sa mission, sur les procdures de justice et sur d'autres dveloppements pertinents. la CPI, sensibilisation fait rfrence un vritable dialogue dynamique entre la cour et les communauts affectes par les situations examines par la CPI, dialogue par le biais duquel ces informations sont fournies. Le terme sensibilisation pourra inclure la sensibilisation directe , savoir des moyens de communiquer directement avec les communauts (ex : conseils municipaux, programmes de radio communautaire, productions thtrales) ou pourra inclure la sensibilisation par le biais du recours aux mdias. Des ressources limites ont empch le Greffe de la CPI de dtacher un agent charg de la sensibilisation Abidjan avant octobre 2014, soit trois ans aprs louverture des enqutes. Les activits visant fournir des informations sur la Cour et ses procdures taient supervises par un agent bas La Haye et par le biais de missions rgulires organises en Cte d'Ivoire. Du fait de ces ressources limites, lUnit de la sensibilisation du Greffe a donn la priorit, dans son programme de sensibilisation communautaire, la collaboration avec sa Section de la participation des victimes et des rparations (SPVR) et avec un rseau d'organisations non-gouvernementales en vue de fournir des informations aux victimes qui pouvaient ventuellement prendre part aux procdures de justice. Ceci tait ncessaire pour garantir laccs de ces victimes leur droit de participation protg par le Statut de Rome. Toutefois, daprs la jurisprudence de la Cour, seules les victimes qui ont subi un prjudice suite aux incidents voqus dans les charges d'une affaire spcifique ont le droit de prendre part cette affaire (appeles victimes concernes par les affaires traites par la CPI ). Compte tenu que les affaires ouvertes contre le couple Gbagbo et contre Bl Goud concernent seulement quatre ou cinq incidents qui se sont tous produits Abidjan, ceci signifiait que les efforts de sensibilisation de la communaut se limitaient un certain segment de la population ivoirienne.

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    Alors que les recherches de Human Rights Watch indiquent que les victimes concernes par les affaires de la CPI ont eu accs un grand nombre dinformations - une ralisation importante facilite par un membre du personnel de la SPVR sur le terrain -, la priorit donne par lUnit de la sensibilisation aux victimes potentielles concernes par les affaires traites par la CPI a fait que la cour n'a pas t en mesure, par le biais de son programme de sensibilisation communautaire, dengager plus largement la population ivoirienne. Sagissant des victimes dabus commis par les forces pro-Ouattara, ceci pourra avoir aggrav - plutt que palli les problmes de perception occasionns par l'approche du BdP axe sur une seule des parties accuses de crimes. Toutefois, les efforts de lUnit de la sensibilisation ne se limitaient pas la sensibilisation de la communaut. Malgr labsence Abidjan dun responsable en charge de la sensibilisation, l'Unit de la sensibilisation s'est troitement engage auprs de journalistes ivoiriens. Mais compte tenu de la politisation de la presse crite en Cte dIvoire, refltant les divisions sous-jacentes dans le pays et, plus gnralement, de la dfiance de la population lgard des mdias, il est peu probable quil sagisse dun outil de sensibilisation efficace. Les organisations de la socit civile se sont engouffres dans la brche pour mettre en uvre des programmes de sensibilisation de plus grande porte. Mais les ressources rduites ainsi que les limites importantes du rle que doivent, selon toute attente, jouer les acteurs extrieurs la Cour dans la diffusion des informations sur les procdures de la CPI ont montr que, malgr ces efforts, la Cour doit poursuivre ses propres activits de sensibilisation. Le personnel de la Cour semble clairement reconnatre ces lacunes. Un agent en charge de la sensibilisation a dsormais t dtach Abidjan ; et la Cour semble sorienter vers une expansion de ses activits.

    E. Renforcement du rle des victimes L'une des innovations les plus significatives du Statut de Rome est le droit des victimes faire part de leurs vues et proccupations ou, comme il est dit devant la CPI, prendre

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    part aux procdures. La CPI a t le premier tribunal pnal international reconnatre ce droit mais la cour a pein sassurer du sens de la participation des victimes, la fois pour les personnes et pour les procdures de justice. Comme indiqu plus haut, d'aprs la jurisprudence de la Cour, les juges ont fait la distinction entre les victimes ayant qualit pour agir dans des affaires spcifiques et les victimes ayant qualit pour agir dans des procdures couvrant la situation plus vaste qui donne lieu ces affaires. De meilleures opportunits de participation se sont prsentes aux victimes ayant qualit pour agir dans des affaires spcifiques ; et des limitations affectant le locus standi formel dautres victimes ont men une impasse. Mais, dun autre ct, compte tenu du fait que la jurisprudence de la Cour impose aux victimes de dmontrer un lien avec les accusations afin de prendre part une affaire spcifique, l'laboration de ces accusations pourra teindre tous droits formels une participation. Ceci rend dautant plus importante la mise en pratique des engagements politiques existants du BdP portant sur la consultation des victimes dans toutes les phases de son travail de faon veiller ce que sa slection et sa hirarchisation des affaires tiennent compte de lexprience des victimes, un facteur cl pour garantir l'impact. Human Rights Watch recommande au BdP de mettre en place une stratgie spcifique pour consulter les victimes relativement ses dcisions sur la slection des affaires. Lengagement dun plus grand nombre de victimes dans les procdures de justice reste dans une certaine mesure possible avant louverture des affaires. En Cte dIvoire, les juges et le Greffe nont toutefois pas saisi toutes les opportunits potentielles. Premirement, conformment au paragraphe 3 de larticle 15 du Statut de Rome, les victimes en Cte d'Ivoire avaient la possibilit d'adresser des reprsentations aux juges de la Cour relativement la demande formule par le BdP concernant louverture denqutes dans le pays. Le BdP avait besoin de demander lautorisation des juges pour enquter car, mme si le gouvernement ivoirien avait fait des dclarations selon lesquelles il acceptait la comptence de la Cour, la Cte dIvoire ntait pas encore un tat partie au Statut de Rome et ne pouvait pas dfrer une situation au Procureur de la CPI. En labsence de renvoi dun tat ou de renvoi du Conseil de scurit des Nations Unies, le BdP devait, en vertu de larticle 15 du Statut de Rome, demander la permission des juges pour ouvrir des enqutes dites proprio motu .

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    Le BdP a entrepris des missions en Cte d'Ivoire et a parl publiquement de sa demande d'ouverture denqutes ainsi que du droit des victimes soumettre des observations crites la Cour. Les juges se sont fonds en partie sur les dclarations soumises par les victimes pour rendre leur dcision concernant l'autorisation des enqutes du BdP. En fait, le BdP doit dterminer si, dans le cadre de son engagement constant en faveur de la consultation des victimes, il doit chercher ou non rpliquer les aspects de la procdure de cet article 15 mme dans des enqutes ouvertes suite des renvois d'un tat ou du Conseil de scurit des Nations Unies. Mais les juges nont pas ordonn aux deux organes de la Cour, lUnit de sensibilisation et la SPVR, de mener des activits particulires dans le pays relativement la procdure de soumission des reprsentations. Deuximement, les ressources limites ont empch la SPVR de pouvoir soutenir en continu des activits ne ciblant pas seulement des victimes potentielles concernes par les affaires traites par la CPI mais galement la population plus vaste de victimes. Cette hirarchisation est comprhensible ; et il nest pas facile de communiquer efficacement avec les autres victimes sur ce qui constitue, selon toute vraisemblance, des opportunits trs limites pour agir en justice. Il existe un risque rel de faire natre des attentes irralisables ; et l'exprience dans certains des premiers pays concerns par lintervention de la CPI, parmi lesquels l'Ouganda et la Rpublique dmocratique du Congo, le confirme. En effet, la diffrence entre lattente et la ralit de la participation des victimes avant louverture daffaires spcifiques a amen un expert conclure que, alors que les victimes doivent conserver certains droits fondamentaux devant la CPI les autorisant contester la slection des charges par le BdP, il est prfrable de porter plutt l'attention sur une plus grande reconnaissance de ces droits dans des mcanismes de responsabilit nationaux. Toutefois, une approche de la CPI qui, pendant longtemps, est trop troitement cible et dtermine par lidentification des affaires par le BdP pourra manquer de vision. Une stratgie dinformation proactive auprs de toutes les victimes est essentielle pour minimiser la mise lcart judiciaire de ces personnes.

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    F. Des rformes prometteuses pour des approches favorables limpact Concernant les efforts de sensibilisation et les activits destines faciliter la participation des victimes, le Greffe de la CPI semble avoir suivi de prs les choix oprs par le BdP ou les critres dfinis par les juges. En dautres termes, les initiatives lies la sensibilisation et la participation des victimes ont donn, dans une large mesure, la priorit la diffusion d'informations aux victimes qui pouvaient potentiellement prendre part aux affaires introduites par le BdP. Compte tenu des limites des affaires du BdP qui, ce jour, concernent uniquement des incidents survenus Abidjan et qui ne concernent pas encore des crimes commis par toutes les parties impliques dans les actes de violence -, ceci pourra avoir renforc lide que le BdP a adopt une approche slective plutt que de stre efforc de saisir toutes les opportunits pour engager plus largement les Ivoiriens. Human Rights Watch recommande au Greffe de prendre des mesures afin de porter davantage d'attention l'impact. Le Greffe doit notamment envisager d'adopter au sein de tout lorgane des stratgies dimpact spcifiques chaque pays dans chaque situation relevant de la CPI. Les stratgies mises en place au sein du Greffe doivent chercher dfinir, depuis le tout dbut des activits du Greffe, la faon dont les missions du Greffe peuvent conjointement contribuer l'impact. Les stratgies du Greffe devront tre troitement lies aux choix du BdP et aux procdures judiciaires, comme louverture des affaires ou l'introduction des procdures en premire instance, de faon plus gnrale. Mais elles doivent donner au Greffe les moyens de rpondre aux demandes et de tirer le meilleur parti des opportunits dimpact dans les pays dont la situation est examine par la CPI, ce qui surviendra souvent indpendamment de ces procdures. Des rformes rcentes concernant le Greffe de la CPI et la prsence de la cour sur le terrain doivent donner aux agents et au personnel du Greffe les moyens de tirer le meilleur parti de cette recommandation. La prsence de la Cour dans les pays dont la situation est examine par la CPI a t longue mettre en place. Sans doute cause de l'absence dagrment des tats parties concernant les ressources permettant de financer le dtachement de responsables comptents vers des bureaux extrieurs dans les pays dont la situation est examine par la CPI, son approche est devenue, selon nous, excessivement lie aux dveloppements judiciaires.

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    Dans une nouvelle structure de Greffe, ces responsables de bureau, appels Chefs de bureaux extrieurs , seront dsormais placs dans un certain nombre de bureaux extrieurs et superviseront des quipes pluridisciplinaires composes de membres spcialiss dans la sensibilisation et la participation des victimes. Ces Chefs de bureaux extrieurs doivent pouvoir tre en mesure de contribuer l'laboration d'approches plus stratgiques, spcialement adaptes chaque situation nationale, et de surveiller la mise en uvre de ces approches sur le terrain. Dans le mme temps, il faudra se prmunir contre le risque associ la combinaison des diffrentes missions de sensibilisation et de participation des victimes au sein d'une seule et mme quipe pluridisciplinaire qui est susceptible daboutir laffaiblissement de l'une des deux missions.

  • 13 AOT 2015 | HUMAN RIGHTS WATCH

    Recommandations

    Au Bureau du Procureur Consulter davantage les communauts affectes en vue de mieux informer les

    dcisions sur la slection et la hirarchisation des affaires la lumire des expriences des victimes ; et

    Inclure dans lensemble des indicateurs performances en cours de dveloppement lchelle de la Cour des indicateurs de performances pertinents pour le renforcement des consultations auprs des communauts affectes.

    Au Greffe Adopter au sein du Greffe des stratgies dimpact spcifiques chaque pays, en

    regroupant les diffrentes missions en vue dlargir lengagement de la CPI dans les pays dont elle examine la situation ; ces stratgies devront tre lies aux dveloppements judiciaires mais devront galement reconnatre que les opportunits dimpact ainsi que les besoins dinformations au sein des communauts affectes ne seront pas toujours lis ces dveloppements ;

    Tirer le meilleur parti des rformes envisages, y compris la mise en place de Chefs de bureaux extrieurs dans les bureaux locaux de la CPI, en vue de dvelopper des stratgies dimpact spcifiques chaque pays, de garantir une approche coordonne au sein du Greffe dans la mise en uvre de ces stratgies et de sengager auprs des autorits nationales et des partenaires internationaux dans les pays dont la situation est examine par la CPI relativement aux programmes de renforcement des capacits dans le secteur de la justice nationale qui revt une pertinence pour limpact long terme de la CPI ; et

    Inclure dans lensemble des indicateurs de performances en cours de dveloppement lchelle de la Cour des indicateurs de performances pertinents pour augmenter limpact de la CPI dans le cadre des missions du Greffe.

    Aux tats parties au Statut de Rome de la CPI Apporter des ressources additionnelles, si ncessaire, au budget de la CPI aux fins de

    soutenir la mise en uvre par la Cour de stratgies dimpact plus solides.

  • hrw.org/fr

    Les unes de plusieurs quotidiens exposes dans unkiosque journaux dAbidjan, le 1er octobre 2014, etconsacres en partie laudience prliminaire alors encours dans une affaire dont a t saisie la Cour pnaleinternationale la suite des violences post-lectorales de2010-2011 en Cte dIvoire.

    2014 Human Rights Watch

    La Cour pnale internationale (CPI), juridiction qui nagit quen dernier ressort, a un rle essentiel jouer dans la justice renduepour les atrocits perptres grande chelle. La CPI est toutefois confronte des dfis denvergure, devant sassurer que lesprocdures quelle engage ne rendent pas seulement la justice mais ont galement un impacten dautres termes quelles sontefficaces, accessibles et perues comme tant lgitimesau sein des communauts affectes par les crimes quelle juge. Garantirun tel impact requiert une approche cible de la part des responsables de la Cour.

    Le prsent rapport, Pour que la justice compte : Enseignements tirs du travail de la CPI en Cte dIvoire , analyse lengagementde la CPI en Cte dIvoire et value si les responsables judiciaires ont pris les mesures ncessaires pour veiller ce que la Courexerce un maximum dimpact.

    En octobre 2011, le Procureur de la CPI a ouvert une enqute sur les exactions perptres lors des violences post-lectorales dontle pays a t le thtre en 2010-2011. Lenqute est en cours mais ce jour, les actions engages par la CPI pour les crimes quiauraient t commis ne visent quun seul des camps impliqus dans les violences. Ce fait polarise les opinions par rapport laCPI, limite les possibilits de recours de certaines victimes, et pose dimportants dfis dautres protagonistes de la CPI en cequi concerne la diffusion dinformations neutres propos de la Cour et le renforcement du rle des victimes.

    Ce rapport tablit galement que ces autres responsables de la Cour au sein du Greffe ont dfini leurs stratgies par rapport auxaffaires en cours en troite corrlation avec les dcisions prises par le Bureau du Procureur, ce qui a limit les possibilits dlargirlengagement de la Cour. Les contraintes en matire de ressources ont constitu un facteur important, relve le rapport.

    Le rapport Pour que la justice compte recommande que lactuelle Procureure de la CPI multiplie les consultations avec les vic-times, afin de veiller ce que les actions engages soient en adquation avec leurs expriences. Le rapport recommande parailleurs que le Greffe de la CPI tire le meilleur parti possible des rformes envisages, entre autres une prsence renforce dansles pays, afin de mettre en uvre les stratgies conues pour accrotre limpact de la Cour sur le terrain.

    POUR QUE LA JUSTICE COMPTEEnseignements tirs du travail de la CPI en Cte dIvoire