15 Guénon, A propos du poisson

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    che dans laquelle devront tre renferms les germes du monde futur ; puis, toujours sous cette mmeforme, il guide lui-mme l'Arche sur les eaux pendant le cataclysme. Cette reprsentation de l'Archeconduite par le poisson divin est des plus remarquables : M. Charbonneau-Lassay cite dans son tude l'ornement pontifical dcor de figures brodes qui enveloppait les restes d'un vque lombard duVIIIe ou IXe sicle, et sur lequel on voit une barque porte par le poisson, image du Christ soutenantson glise ; or on sait que l'Arche a souvent t regarde comme une figure de l'glise ; c'est donc

    bien la mme ide que nous trouvons ainsi exprime la fois dans le symbolisme hindou et dans lesymbolisme chrtien.II y a encore, dans leMatsya-avatra, un autre aspect qui doit retenir notre attention : aprs le cata-

    clysme, c'est--dire au dbut du prsent Manvantara, il apporte aux hommes leVda, qu'il faut enten-dre comme la Connaissance sacre dans son intgralit, suivant la signification tymologique de ce mot(driv de la racinevid, savoir : c'est donc la Science par excellence) ; c'est l une allusion des plusnettes la Rvlation primitive. Il est dit que leVdasubsiste perptuellement, tant en soi-mme ant-rieur tousles mondes ; mais il est en quelque sorte cach ou envelopp pendant les cataclysmes cos-miques qui sparent les diffrents cycles, et il doit ensuite tre manifest de nouveau. L'affirmation dela perptuit du Vda est d'ailleurs en relation directe avec la thorie cosmologique de la primordialitdu son parmi les qualits sensibles (comme qualit propre de l'Ether, Aksha, qui est le premier deslments) ; et cette thorie elle-mme n'est pas autre chose, au fond, que celle de la cration par leVerbe : le son primordial, c'est cette Parole divine par laquelle, suivant le rcit du premier chapitre dela Gense, toutes choses ont t faites. C'est pourquoi il est dit que les Sages des premiers ges ont entendu leVda :la Rvlation, tant faite par le Verbe comme la cration elle-mme (5), est pro-prement une audition pour celui qui la reoit, et le terme qui la dsigne est celui deShruti, qui si-gnifie littralement ce qui est entendu (6).

    Pendant le cataclysme qui spare ceManvantaradu prcdent, leVdatait renferm l'tat d'enve-loppement dans la conque (shankha), qui est un des principaux attributs deVishnu. C'est que la conqueest regarde comme contenant le son primordial et imprissable (akshara), c'est--dire le monosyllabeOm,qui est par excellence le nom du Verbe, en mme temps qu'il est, par ses trois lments (A U M),l'essence du tripleVda (7). D'ailleurs, ces trois lments (mtrs), disposs graphiquement d'une cer-taine faon, forment le schma mme de la conque ; et, par une concordance assez singulire, il setrouve que ce schma est galement celui de l'oreille humaine, l'organe de l'audition, qui doit effecti-vement, pour tre apte la perception du son, avoir une disposition conforme la nature de celui-ci.Tout ceci touche quelques-uns des plus profonds mystres de la cosmologie ; mais qui donc, dansl'tat d'esprit qui constitue la mentalit moderne, peut encore comprendre les vrits qui relvent decette science traditionnelle ?

    Comme Vishnu dans l'Inde, et aussi sous la forme du poisson, l'Oanns chalden, en qui certainsn'ont pas hsit reconnatre dj une figure du Christ (8), enseigne galement aux hommes la doctrineprimordiale : frappant exemple de l'unit qui existe entre les traditions en apparence les plus diffren-tes, et qui demeurerait inexplicable si l'on n'admettait leur rattachement une source commune. Il nous

    (5) Nous avons dj indiqu ce rapport dans notre article sur Le Verbe et le Symbole(janvier 1926).(6) Shruti s'oppose Smriti, ce dont on se souvient , qui dsigne tout ce qui, dans la tradition, est le fruit, non plus de

    la rvlation ou de l'inspiration directe, mais de la rflexion s'exerant sur celle-ci et la prenant comme son principe, pour entirer des applications adaptes aux circonstances contingentes de temps et de lieu. Les rapports de laShruti et de laSmritisont compars ceux du soleil et de la lune, c'est--dire de la lumire directe et de la lumire rflchie.

    (7) Nous avons dj signal la prsence de ce mme idogrammeAumdans l'ancien symbolisme chrtien, la fin de no-tre article sur L'ide du Centre dans les traditions antiques, mai 1926, p. 486 ; cf. aussi l'tude de M. Charbonneau-Lassaysur Le Symbolisme de la Rose, mars 1926, p. 303. - En sanscrit, la voyelleo est forme par la runion deaet u ; c'est pour-quoi le monosyllabe sacr doit se transcrire parOm, ce qui correspond d'ailleurs sa prononciation relle, bien que ce soit laforme Aum qui reprsente exactement sa dcomposition en ses trois lments constitutifs.

    (8) Voir ce sujet les travaux du Hiron de Paray-le-Monial. - Il est intressant de noter que la tte de poisson, qui for-mait la coiffure des prtres d'Oanns, estaussi, dans l'glise chrtienne, la mitre des vques.

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    semble d'ailleurs que le symbolisme d'Oannsou deDagonn'est pas seulement celui du poisson en g-nral, mais doit tre rapproch plus spcialement de celui du dauphin ; celui-ci, chez les Grecs, tait liau culte d'Apollon(9) et avait donn son nom Delphes ; et, ce qui est bien significatif, on disait que ceculte venait des Hyperborens. Ce qui nous donne penser qu'il convient d'envisager un tel rappro-chement (que nous ne trouvons pas nettement indiqu, par contre, dans le cas de la manifestation deVishnu), c'est surtout l'troite connexion qui existe entre le symbole du dauphin et celui de la Femme

    de mer (l'Aphrodite Anadyomnedes Grecs) (

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    ); prcisment, celle-ci se prsente, sous des noms di-vers, comme la pardre d'Oannsou de ses quivalents, c'est--dire comme figurant un aspect compl-mentaire du mme principe (11). C'est la Dame du Lotus (Istar, comme Esther en hbreu, signifie lotus , et aussi quelquefois lis , deux fleurs qui, dans le symbolisme, se remplacent souvent l'unel'autre) (12), comme la Kouan-Yn extrme-orientale, qui est galement, sous une de ses formes, la Desse du fond des mers ; il y aurait beaucoup dire sur tout cela, mais ce n'est pas l ce que, pourcette fois, nous nous sommes propos (13). Ce que nous avons voulu montrer, c'est que le symbole dupoisson tait tout particulirement prdestin figurer le Christ, comme reprsentant deux fonctionsqui lui appartiennent essentiellement (et cela sans prjudice de son rapport avec l'ide de la fcondit etdu principe de vie , qui fournit encore une raison supplmentaire de cette figuration), puisque, sousce symbole, le Verbe apparat la fois, dans les traditions antiques, comme Rvlateur et comme Sau-veur.

    REN GUNON.

    P.-S. - Certains s'tonneront peut-tre, soit propos des considrations que nous venons d'exposer,soit propos de celles que nous avons dj donnes dans d'autres articles ou que nous donnerons en-core; par la suite, de la place prpondrante (quoique nullement exclusive, bien entendu) que nous fai-sons, parmi les diffrentes traditions antiques, celle de l'Inde ; et cet tonnement, en somme, serait as-sez comprhensible, tant donne l'ignorance complte o l'on est gnralement, dans le monde occi-

    (9) C'est ce qui explique le rattachement du symbole du dauphin l'ide de la lumire, signal par M. Charbonneau-

    Lassay dans son dernier article (janvier 1927, p. 149).(10) I l ne faut pas confondre cette Femme de mer avec la sirne, bien qu'elle soit quelquefois reprsente sous uneforme similaire.

    (11) La Dea Syra est proprement la Desse solaire ; le nom deSyria, qui n'a pas toujours dsign exclusivement lepays qui le porte encore aujourd'hui, est le mme que Srya, nom sanscrit du Soleil ; et c'est dans le mme sens qu'il fautentendre la tradition suivant laquelle Adam, dans le Paradis terrestre, parlait la langue syriaque .

    (12) Le lis et le lotus, ayant respectivement six et huit ptales, correspondent aux deux formes de la roue six et huitrayons, ainsi que nous l'avons dj indiqu (L'ide du Centre dans les traditions antiques, mai 1926, p. 480). - En hbreu,les deux noms Esther et Sushanah ont la mme signification, et, de plus, ils sont numriquement quivalents ; leur nombrecommun est 661, et, en plaant devant chacun d'eux la lettreh, signe de l'article dfini, dont la valeur est 5, on obtient 666,ce dont certains n'ont pas manqu de tirer des dductions quelque peu fantaisistes ; pour notre part, nous ne donnons cetteindication qu' titre de simple curiosit.

    (13) Nous ferons cependant remarquer encore que la figure de l'Eababylonien, moiti chvre et moiti poisson, telle quel'a reproduite M. Charbonneau-Lassay, est identique celle du Capricorne zodiacal, dont elle a peut-tre mme t le proto-type ; or il est important de se rappeler, cet gard, que ce signe du Capricorne correspond, dans le cycle annuel, au solsticed'hiver et laJ anua Cli. Le Makara, qui, dans le Zodiaque hindou, tient la place du Capricorne, n'est pas sans prsenterune certaine similitude avec le dauphin ; l'opposition symbolique qui existe parfois entre celui-ci et le poulpe doit donc seramener celle des deux signes solsticiaux du Capricorne et du Cancer (ce dernier, dans l'Inde, est reprsent par le crabe,ce qui explique aussi que ces deux mmes animaux se soient trouvs associs dans certains cas, par exemple sous le trpiedde Delphes et sous les pieds des coursiers du char solaire, comme indiquant les deux points extrmes atteints par le soleildans sa marche annuelle (voir janvier 1927, pp. 149-150) ; enfin, le rle du dauphin comme conducteur des mes bienheu-reuses (ibid., p. 147) se rapporte videmment laJ anua Cli. Il importe de ne pas commettre ici de confusion avec un autresigne zodiacal, celui des Poissons, dont le symbolisme est diffrent et doit tre rapport exclusivement celui du poissoncommun, envisag notamment comme emblme de fcondit (et surtout au sens spirituel). - On pourra remarquer, en outre,qu'Ea tient devant lui, comme le scarabe gyptien, une baule qui reprsente l' uf du Monde .

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    dental, de la vritable signification des doctrines dont il s'agit. Nous pourrions nous borner faire re-marquer que, ayant eu l'occasion d'tudier plus particulirement les doctrines hindoues, nous pouvonslgitimement les prendre comme terme de comparaison; mais nous croyons prfrable de dclarer net-tement qu'il y a cela d'autres raisons plus profondes et d'une porte tout fait gnrale. A ceux qui se-raient tents d'en douter, nous conseillerons vivement de lire le trs intressant livre du R. P. WilliamWallace, S. J ., intitulDe l'vanglisme au Catholicisme par la route des Indes (14),qui constitue cet

    gard un tmoignage de grande valeur. C'est une autobiographie de l'auteur, qui, tant all dans l'Indecomme missionnaire anglican, fut converti au Catholicisme par l'tude directe qu'il fit des doctrineshindoues ; et, dans les aperus qu'il en donne, il fait preuve d'une comprhension de ces doctrines qui,sans tre absolument complte sur tous les points, va incomparablement plus loin que tout ce que nousavons trouv dans d'autres ouvrages occidentaux, y compris ceux des spcialistes . Or le R. P. Wal-lace dclare formellement, entre autres choses, que leSantana Dharma des sages hindous (ce qu'onpourrait rendre assez exactement par Lex perennis : c'est le fond immuable de la doctrine) procdeexactement du mme principe que la religion chrtienne , que l'un et l'autre visent le mme but et of-frent les mmes moyens essentiels de l'atteindre (p. 218 de la traduction franaise), que Jsus-Christapparat aussi videmment le Consommateur duSantana Dharmades Hindous, ce sacrifice aux piedsdu Suprme, que le Consommateur de la religion typique et prophtique des juifs et de la Loi deMose (p. 217), et que la doctrine hindoue est le naturel pdagogue menant au Christ (p. 142). Ce-la ne justifie-t-il pas amplement l'importance que nous attribuons ici cette tradition, dont l'harmonieprofonde avec le Christianisme ne saurait chapper quiconque l'tudie, comme l'a fait le R. P. Wal-lace, sans ides prconues ? Nous nous estimerons heureux si nous parvenons faire sentir quelquepeu cette harmonie sur les peints que nous avons l'occasion de traiter, et faire comprendre en mmetemps que la raison doit en tre cherche dans le lien trs direct qui unit la doctrine hindoue la grandeTradition primordiale.

    R. G.

    (14) Traduction franaise du R. P. Humblet, S. J. ; librairie Albert Dewit, Bruxelles, 1921.

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