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ANALYSE Les maîtres de l’univers Gabriel Banon Lire en pages 22 & 23 INTERNATIONAL La France face à l’Allemagne Dr. Charles Saint-Pro Lire en pages 18 & 19 HISTOIRE D’UNE VILLE Salé, la ville des cierges ou la « Rochelle de l’Afrique » S ituée sur le littoral atlantique du Maroc, sur la rive droite de l’embouchure du fleuve Boure- greg, Salé est liée par un pont à sa jumelle, Rabat, à laquelle elle est aussi rattachée administrati- vement. souad Mekkaoui Lire en pages 30 & 31 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages www.maroc-diplomatique.net N° 32 - JANVIER/FÉVRIER 2019 E lue en juin 2018, aux côtés de l’Allemagne, la Belgique, l’Indo- nésie et la République dominicaine, l’Afrique du Sud rentre au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), à partir de janvier 2019, pour siéger comme membre non-per- manent, pendant deux ans. Si cette présence au sein de l’instance inter- nationale est un enjeu majeur pour la résolution du conflit du Sahara comme le prétendent les autorités algériennes –premier soutien du Polisario avec l’Afrique du sud–, les actions de Pretoria dans ce sens, contre les intérêts du Maroc pourraient surtout accroître les tensions avec le Royaume, pour- tant, autrefois, pays ami et soutien du père de la nation arc en ciel, Nelson Mandela et de son parti l’ANC.. n désiré Beiblo Lire en page 11 C oup sur coup, Sa Majes- té le Roi a procédé, en janvier en moins de 48 heures, à l’inauguration de deux réalisations majeures, le Terminal 1 de l’aéroport Mohammed V et la deuxième ligne de tramway qui consolide le réseau du transport urbain de la métropole écono- mique. Ces projets lancés par le Souverain il y a des mois, sont désormais opérationnels et conso- lident une vision royale des in- frastructures. Ils complètent éga- lement celles qui existent déjà et actent une volonté affichée, de- puis vingt ans, de doter le pays des équipements nécessaires, ca- pables d’assurer le bien-être des populations, de répondre à leurs attentes comme aussi de renforcer l’émergence de nos villes et de nos campagnes, dans le cadre du développement durable. Les infrastructures sont la co- lonne vertébrale de tout pays qui fait du développement son ob- jectif et sa raison d’être. Hassan Alaoui Suite en page 3 DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE Maroc-UE : quand l’utopisme cède le pas au pragmatisme Saad Bouzrou Lire en page 6 ENTRETIEN Benlabbah : « L’Afrique du Sud continuera à apporter son soutien financier au Polisario » Khadija Skalli Lire en page 8 DIPLOMATIE Maroc-Afrique du Sud, une relation en dents de scie L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS Le Roi bâtisseur Refonder la mobilité territoriale, renforcer les infrastructures et promouvoir le modèle de société S.M. le Roi Mohammed VI a inauguré, mardi 22 janvier, le projet d’extension du terminal 1 de l’aéroport international Mohammed V.

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ANALYSE

Les maîtres de l’universGabriel Banon

Lire en pages 22 & 23

INTERNATIONAL

La Franceface

à l’Allemagne Dr. Charles Saint-Pro

Lire en pages 18 & 19

HISTOIRE D’UNE VILLE

Salé, la villedes cierges

ou la « Rochelle de l’Afrique »

Située sur le littoral atlantique du Maroc, sur la rive droite de

l’embouchure du fleuve Boure-greg, Salé est liée par un pont à sa jumelle, Rabat, à laquelle elle est aussi rattachée administrati-vement.

souad MekkaouiLire en pages 30 & 31

15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages www.maroc-diplomatique.net N° 32 - JANVIER/FÉVRIER 2019

Elue en juin 2018, aux côtés de l’Allemagne, la Belgique, l’Indo-

nésie et la République dominicaine, l’Afrique du Sud rentre au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), à partir de janvier 2019, pour siéger comme membre non-per-manent, pendant deux ans. Si cette présence au sein de l’instance inter-nationale est un enjeu majeur pour la résolution du conflit du Sahara comme le prétendent les autorités algériennes –premier soutien du Polisario avec l’Afrique du sud–, les actions de Pretoria dans ce sens, contre les intérêts du Maroc pourraient surtout accroître les tensions avec le Royaume, pour-

tant, autrefois, pays ami et soutien du père de la nation arc en ciel, Nelson Mandela et de son parti l’ANC.. n

désiré BeibloLire en page 11

Coup sur coup, Sa Majes-té le Roi a procédé, en janvier en moins de 48

heures, à l’inauguration de deux réalisations majeures, le Terminal 1 de l’aéroport Mohammed V et la deuxième ligne de tramway qui consolide le réseau du transport urbain de la métropole écono-mique. Ces projets lancés par le Souverain il y a des mois, sont désormais opérationnels et conso-lident une vision royale des in-frastructures. Ils complètent éga-lement celles qui existent déjà et actent une volonté affichée, de-puis vingt ans, de doter le pays des équipements nécessaires, ca-pables d’assurer le bien-être des populations, de répondre à leurs attentes comme aussi de renforcer l’émergence de nos villes et de nos campagnes, dans le cadre du développement durable.

Les infrastructures sont la co-lonne vertébrale de tout pays qui fait du développement son ob-jectif et sa raison d’être.

Hassan AlaouiSuite en page 3

DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

Maroc-UE : quandl’utopisme cède le pas

au pragmatismeSaad Bouzrou

Lire en page 6

ENTRETIENBenlabbah :

« L’Afrique du Sud continuera à apporter son soutien financier

au Polisario »Khadija Skalli

Lire en page 8

DIPLOMATIE

Maroc-Afrique du Sud, une relation en dents de scie

L ’ I N F O R M A T I O N Q U I D É F I E L E T E M P S

Le Roi bâtisseurRefonder la mobilité territoriale, renforcer

les infrastructures et promouvoir le modèle de société

S.M. le Roi Mohammed VI a inauguré, mardi 22 janvier, le projet d’extension du terminal 1 de l’aéroport international Mohammed V.

Page 2: 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages ... · 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages N° 32 - JANVIER/FÉVRIER 2019 E lue en juin 2018, aux côtés de l’Allemagne, la Belgique, l’Indo-nésie

ÉDITORIAL

Le Roi bâtisseurRefonder la mobilité territoriale, renforcerles infrastructures et le modèle de société

Suite de la page 1

Depuis son accession au Trône en juillet 1999, Sa Ma-jesté Mohammed VI en a fait l’un des piliers de son règne, la priorité des priorités. Une vision a été tracée depuis lors par le Souverain qui, nolens volens, s’est appliqué à sa mise en œuvre, mobilisant tous les moyens, financiers, administratifs, techniques, humains, avec l’objectif affi-ché non seulement de mettre à niveau les équipements nationaux, régionaux voire locaux, mais d’asseoir les bases d’un développement intégré, en parant parfois au plus pressé certes, mais sur-tout de jeter les jalons d’un développement continu.

Le Maroc connaît, depuis vingt ans maintenant, un essor infrastructurel mul-tiforme qui concerne, à la fois, tous les secteurs et toutes les régions. La vo-lonté royale en constitue à coup sûr le fil conducteur et mobilisateur. Il s’agit d’une œuvre gigantesque que le regard de l’homme, fût-il le plus spectral, ne sau-rait aisément embrasser d’un seul tenant. Aéroports, ports multiples, gares et lignes ferroviaires, autoroutes serpentant le terri-toire national, complexes divers, adminis-tratifs, sportifs, universitaires, scolaires, hospitaliers, centres culturels, la liste n’en finit pas, témoignage en effet éloquent d’une irrésistible montée en puissance, tel un mouvement brownien maîtrisé où se conjuguent une puissante volonté – celle d’un Roi constamment à pied d’œuvre – et de l’enracinement dans le siècle des défis urgents.

S’il est un exemple édifiant pour illus-trer cette irascible détermination de Sa Majesté Mohammed VI à hisser son pays dans les premiers rangs du peloton des nations avancées, c’est celui de la ville de Tanger : elle a connu en moins de 20 ans, une colossale transformation, dont le volet infrastructurel demeure la dimension majeure. Tanger-Med dans ses multiples composantes ; l’extension et la reconver-sion du port ; la nouvelle gare ; la Mari-na ; le TGV ; l’aéroport ; la rocade enfin, ont constitué, selon la formule consacrée, les Douze travaux d’Hercule. Plus de 200 Milliards d’Euros ont été mobilisés pour Tanger et la région et quelque 2 Milliards d’Euros lui sont consacrés, chaque année. Les chiffres ne sont pas seulement impres-sionnants en soi, ils reflètent une volonté royale d’accélérer à chaque fois le mou-

vement de modernisation qui est à la vi-sion du Souverain ce que l’ardeur est à son combat pour le développement national.

« Construite dans le cadre d’un par-tenariat franco-marocain pour un coût de 2 milliards de dollars, la liaison fer-roviaire de la LGV Tanger Casablan-ca réduit de plus de moitié le temps de trajet entre les deux villes, celui-ci passant de cinq heures à peine plus de deux heures » a-t-on vérifié. De la même manière, assure-t-on, « la dynamique infrastructurelle va se poursuivre cette année, avec l’entrée en service prévue au premier trimestre de l’extension du principal hub logistique du pays, le port de Tanger-Med, après l’achèvement de la construction et de l’équipement de cette dernière en 2018. » Tanger-Med 2 disposera d’une capacité de traitement de 6 millions de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds), soit le double du port existant, qui a récemment été classé premier terminal à conteneurs.

Le souci constant de voir son peuple accéder au bien-être, de livrer ce faisant un combat sans merci à la pauvreté et à la marginalisation est de toute évidence le ressort essentiel qui anime et préside à l’action du Souverain, attentif aux condi-tions de vie des citoyens, sensibles à leurs attentes également. Sa Majesté Moham-med VI , pleinement engagé, a compris depuis longtemps qu’il n’est de dévelop-pement réel et durable que lorsqu’il offre au peuple une sécurisation économique, sociale et territoriale. Quand ce n’est pas lui en personne – mais en réalité c’est toujours lui – qui lance les projets et les chantiers nationaux, il fixe en revanche la feuille de route au gouvernement et en dicte la norme. Le Roi est le constructeur de ce Maroc qui émerge, avec ses auto-

routes, ses chantiers urbains et ruraux de-puis les années 2000, lampions lumineux partout, caractérisé par une intense mobi-lité géographique et une synchronisation tous azimuts de chantiers qui rivalisent, en efficacité et en profondeur, dans un même élan inclusif.

Sans dételer de sa volonté de faire du Maroc un chantier permanent de réformes – politiques, économiques, sociales, édu-cationnelles – le Souverain met toutefois prioritairement l’accent sur les secteurs né-vralgiques que sont l’éducation, la forma-tion professionnelle, la santé et l’emploi. Il y est d’autant plus attaché qu’il est plus que quiconque conscient que le développement ne livre ses fruits que lorsque la société est harmonisée et adhère au credo de l’effort. Mohammed VI n’a de cesse de sillonner le Maroc et d’être à l’écoute de ses popu-lations, de lancer les chantiers structurants et de s’enquérir tour à tour des besoins des habitants du Maroc profond. Le lancement des projets, leur suivi personnel figé dans un imperturbable agenda, enfin la méthode de travail mise en place, autant de ferveur et de pragmatique déployés à tout instant et sans jamais se départir un tant soit peu de l’objectif fixé : donner au Maroc sa réelle dimension et lui offrir les assises d’un dé-veloppement exponentiel.

Sans doute, ne mesure-t-on pas si bien ce que le Maroc de Mohammed VI a réalisé sous son règne en moins de vingt-ans ! En politique institutionnelle, en performances économiques et sociales, en promotions des droits de l’Homme et de consolidation de l’Etat de droits, en libertés individuelles et collectives, de la femme et de programmes de promotion des jeunes…L’œuvre est constamment en éclosion, fougueuse et généreuse. C’est le Roi bâtisseur.n

Hassan Alaoui

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JANVIER/FÉVRIER 2019 3

La 2e tranche du réseau de Tramway de Casablanca a été inaugurée par le Roi Mohammed VI, le 23 janvier 2019.

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4 JANVIER/FÉVRIER 2019 HUMEUR

Souad Mekkaoui

Le Maroc fait couler beaucoup d’encre, on ne le sait que trop bien. Du vitriol mais bien plus de l’encens qui nous fait vivre le doux rêve

du plus beau pays du monde, d’autant plus que c’est vrai puisqu’en 2017, le Royaume a été classé parmi les 50 plus beaux pays du monde, selon le maga-zine US News & World Report. Terre de diversité culturelle, il est aussi un pays patrimoine, par excellence. Plusieurs supports médiatiques étrangers mettent en exergue les divers atouts de ce Maroc qui trône sur une position géographique stratégique, point de rencontre de l’océan atlantique et de la Méditerranée, en tant que l’une des meilleures destinations touristiques de choix. La beauté de ses paysages conjuguée à sa diversité et à sa richesse n’a d’égale que son histoire, ses traditions et ses projets.

Le Maroc vu d’ailleursN’est-ce pas agréable à vivre que

de se plaire dans l’image de ce Maroc, beau pays accueillant, en marche et émergent, que l’on relaie, vu d’en haut? N’est-ce pas réconfortant de voir des plaidoyers comme celui de l’eurodépu-tée espagnole du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démo-crates et membre de la commission du Commerce international au Parlement européen, Inmaculada Rodríguez-Piñe-ro Fernández, qui a crié, haut et fort, que l’Union européenne a tout à gagner à pousser vers une plus grande intégra-tion du Maroc dans le Marché unique européen ?

On se réjouit à découvrir les multi-ples et belles facettes de notre pays qui nous viennent de l’étranger et qui nous confortent dans l’amour qu’on porte pour notre patrie.

Faut-il donc rappeler que sous le règne du Roi Mohammed VI, le Royaume s’est engagé à relever d’énormes défis du monde moderne, de la transition énergétique aux nou-veaux challenges économiques ? Le pays s’est, bel et bien, positionné aux premiers rangs des pays africains les plus performants en accomplissant de nombreuses réalisations, à l’échelle na-tionale, continentale et internationale, grâce à la sage conduite de Sa Majes-té, notamment sa politique africaine et migratoire qui ont conduit de nouveaux succès. De la politique, à l’économie en passant par la diplomatie, le développe-ment des infrastructures, le champ re-ligieux et le domaine sportif, le Maroc a renforcé sa stature et son positionne-ment à l’échelle continentale.

Sur le plan sécuritaire et de lutte contre le terrorisme, il a pu se position-

ner en modèle à l’échelle internationale. La justice, quant à elle, a fait un saut de géant et une avancée de taille a été réali-sée, à savoir l’indépendance institution-nelle complète de l’autorité judiciaire tel que cela est prévu par la constitution. Par ailleurs, le Royaume ne ménage pas d’efforts pour pouvoir intégrer le cercle des 50 premières économies mondiales à l’horizon 2021, selon l’indicateur Doing Business. Secteur vital de l’éco-nomie nationale, l’agriculture s’érige en un incontournable levier de dévelop-pement économique et social du Maroc grâce au Plan Maroc Vert (PMV). Sans parler de l’accélération industrielle dans plusieurs secteurs allant des éner-gies renouvelables à l’automobile, en passant par l’aéronautique. Tous ces efforts font du Maroc l’un des pays les plus avancés du Continent africain et une terre des grands-messes internatio-nales comme la COP22 et la conférence intergouvernementale pour l’adoption du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, pour ne citer que ces deux événements de grande envergure.

C’est dire que des exploits inédits ont été réalisés et concrétisés par le Royaume, dans des domaines aussi nombreux que diversifiés. In fine, le pays se porte bien.

Ces politiques qui entachent l’image

du paysOr de l’intérieur, les choses sont vé-

cues autrement et l’image qu’ont les Marocains de leur pays se dégrade, à tel point que la réputation interne est en baisse, en 2018, de 4 points.

C’est à croire qu’un mécanisme dé-clenché en fond de toile, freine, à quatre fers, la marche du pays et les efforts, - bien réels et reconnus par les experts internationaux, pour un développement durable dans un Etat de droit- à travers le moral, huile de coude essentielle à tout citoyen. En effet, un sentiment d’apathie et de méfiance l’emporte. Et bien des vé-rités démotivent les citoyens notamment le malaise social, l’éthique et transparence qui font défaut, l’environnement institu-tionnel et politique qui laisse à désirer, le système éducatif de plus en plus déplo-rable, la Santé qui se porte mal… C’est dire que la sinistrose s’installe, appuyée, en cela, par les écarts de ce gouverne-ment qui est bien à la peine. Tout n’est pas parfait, c’est évident. Mais quand les partis de la coalition se livrent une guerre médiatique des plus féroces en faisant fi de l’enjeu vital, à savoir l’intérêt su-prême de la Nation, c’est qu’ils sont inconscients de leur rôle qui consiste à travailler, à soigner et à entretenir l’apparence et l’image du pays qu’ils donnent au reste du monde. Nous

sommes à l’ère de l’image qui supplante et devient réalité ; et peut donc détruire bien des cultures et des nations. A l’ère de l’intelligence artificielle, le grand danger est que la guerre a changé de visage et l’image de-vient l’outil puissant dont usent les Etats pour faire, défaire des réputations et tenir en laisse les esprits facilement maniables.

De facto, quand la matière se fait grasse, la tâche se fait d’elle-même et l’image n’a même pas besoin d’être travail-lée. Et c’est ce en quoi excelle le parti politique au pouvoir. Scandales sexuels, adultère, corruption, et plusieurs affaires allant de Hamieddine à Amina Maelai-nine, en passant par Yatim, sont autant de tares dont certains membres ont agrémenté le PJD. Sans parler de l’art de la provocation chez certains pjdistes qui se surpassent en la matière. Le der-nier incident en date est signé Lahcen Daoudi qui, finalement, ne se retire de la scène que pour mieux mitonner ses sorties inédites.

PJD : Ni anges, ni démons

Si d’un côté, le PJD crie au complot, à la machination politique contre lui et à la « guerre psychologique » comme l’a estimé Driss El Azami pour qui « les membres du parti ne sont pas des anges, et leurs erreurs ne doivent pas impacter l’image du parti ». Ce qu’on aurait, certainement, soutenu si le par-ti ne s’était pas décrédibilisé par son double discours dont certains usent, à tous crins, tout en se rendant gloire. D’un autre côté, d’autres voix s’élèvent dans les autres partis pour pointer le parti de la lampe, notamment, le RNI dont le député, Mustapha Baitas, a ap-pelé le PJD, qui selon lui, s’est servi de sa prétendue moralité pour gagner la confiance des électeurs, à se rendre avec armes et bagages, à présenter ses excuses au peuple marocain et à se retirer du gouvernement.

Dès lors, on se prend les pieds dans le tapis. Et l’image que l’on donne à voir impacte sur le climat général et s’étend, bien au-delà, surtout quand la polémique devient une deuxième na-ture chez certains.

Monsieur Daoudi, veuillez revoir vos leçons. Lorsque vous vous en êtes pris aux députés qui ont critiqué le bilan économique et social du gou-vernement, lors des questions au gou-vernement, à la Première chambre du Parlement, le moins que l’on puisse dire est que vous prenez l’ombre pour le corps et que vous en prenez à votre aise. Sa Majesté le Roi ne cesse d’ex-horter votre gouvernement et de revenir

à la charge, à chacun de ses discours, pour la mise en place d’un nouveau modèle de développement. Qu’en est-il, aujourd’hui ? Vous êtes sérieux quand vous lancez, à la face du monde, que le Maroc aurait été mieux s’il avait été gouverné par le parti de la lampe, depuis l’indépendance ? Pour 2018, nous en voulons pour preuve que le taux de croissance du PIB serait de 3% et de 2,9% en 2019, après 4% en 2017, 1,2% en 2016 et 4,5% en 2015. L’in-flation se situerait en-deçà de 2%. Le besoin de financement est de 3,9% en 2018, et de 3,6%, en 2019. D’où le re-cours à l’endettement international, au moins à hauteur de 10 milliards de Dhs. Selon les chiffres donnés par le HCP, L’endettement public global de l’éco-nomie se situe à 83%, environ, tant en 2018 qu’en 2019. Alors, à quel point votre gouvernance est-elle efficace, monsieur le ministre ? Nous comptons, quand même, sur vous pour multiplier les prières rogatoires.

L’axe central des derniers discours royaux était la question sociale, qu’en est-il de la jeunesse, du taux de chô-mage, de la femme, des inégalités so-ciales et territoriales ?

Tout cela nous mène à effeuiller la marguerite « la coalition implosera … n’implosera pas » puisque les par-tis-membres se plaisent à prendre la balle à la volée, tellement les temps sont aux attaques aiguisées et aux ripostes acerbes, alors qu’aucune solution po-litique n’a été apportée aux problèmes sociaux (événements de Jerada entre autres). Prenez la lune avec vos dents autant que vous le voudrez, monsieur le ministre, le bilan de la période 2011-2018 est plus que négatif. Et prendre le maquis n’est pas une solution. Le challenge que le gouvernement, qui se prend une suée, se devrait de remporter est de reconquérir la confiance des Ma-rocains. Mais la tâche est lourde. Très lourde, monsieur le ministre. n

Ce Maroc que l’on aime et … l’autreCE QUE JE PENSE

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DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

Saad Bouzrou

Le Parlement européen a adopté, mercredi 16 janvier 2019, le nouvel accord agricole entre le Maroc et l’UE à la majorité absolue des voix. Il indique que les privilèges accordés aux produits marocains entrant sur les marchés européens seront égale-ment accordés, sans discrimination et dans les mêmes conditions, aux produits provenant des provinces du Sahara. L’accord sur la libéra-lisation du commerce des produits agricoles bruts et transformés, du poisson et des produits de la mer en provenance du Maroc, a reçu le sou-tien initial de 444 législateurs contre 167, avec 68 abstentions.

Le Parlement a également voté contre une proposition demandant la présen-tation de l’accord agricole à la Cour

de justice de l’Union européenne (CJUE). Le vote sur cette question s’est terminé avec 210 voix pour, 414 voix contre et 48 abstentions. Quant à une autre résolution sur le caractère obligatoire de l’accord, celle-ci a recueilli 442 voix contre 172, tandis que 65 se sont abstenues. Ce vote a porté un coup sévère aux partisans de la sécession des provinces sahariennes du Royaume.

Il a également fermé la porte à toute confusion provenant de l’accord précé-dent, lorsque le Polisario avait contesté la légalité de son application aux provinces sahraouies devant la CJUE.

C’est plus qu’un accord, c’est une base solide

Le ministère des Affaires étrangères du Maroc a publié une déclaration dans la-quelle il se déclare satisfait des accords entre le Maroc et l’Union européenne. Le ministère a déclaré que les accords signés entre l’UE et le Maroc confirment « que tout accord couvrant le Sahara maro-cain ne peut être négocié et signé que par le Royaume du Maroc dans le cadre de l’exercice de sa pleine souveraineté sur cette partie de son territoire ».

Commentant l’adoption de cet accord, Nasser Bourita a précisé que le vote « à la majorité absolue marque l’aboutissement d’un long processus de négociations techniques, de consultations politiques et de validations juridiques entre le Maroc et l’UE ».

« Ce qu’il faut dire, c’est que ça n’a pas été de tout repos », souligne le chef de la di-plomatie marocaine, qui fait savoir que pen-dant deux ans, différents acteurs marocains ont été mobilisés pour pousser à l’adop-tion de l’accord. « Les élus marocains de gauche, par exemple, ont pris langue avec des députés européens de leur sensibilité. » La gauche européenne est réputée pour être plus favorable à l’argumentaire séparatiste.

M. Bourita a ajouté que tout au long du

processus de négociation, le Maroc avait retenu trois principes : la défense non négo-ciable de son intégrité territoriale et les fon-dements de sa position vis-à-vis du Sahara marocain, la préservation de ses intérêts économiques dans un secteur important avec un partenaire commercial privilégié et son engagement sincère dans le partenariat multidimensionnel et profond avec l’UE.

A cet égard, deux faits importants font, aujourd’hui, de cet accord une force ju-ridique de tout acabit. D’une part, sa si-gnature est intervenue avec une forte conviction de la part des Européens, de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud. D’autre part, l’UE a fait preuve d’un grand pragmatisme en recevant une déléga-tion d’élus originaires du Sahara marocain, qui ont défendu la signature de l’accord agricole applicable sur tout le territoire ma-rocain, et qui profitera, sans exception, à toute la population locale.

Le Royaume se félicite donc, au-jourd’hui, de l’action de toutes les institu-tions européennes et des Etats membres de l’UE, et de leur engagement continu dans un esprit de responsabilité, en vue de faire face aux manœuvres et magouilles menées par l’Algérie et le Polisario pour torpiller ce partenariat séculaire.

Un coup dur pour les séparatistes

et leurs acolytesEn décembre 2016, la Cour de justice

de l’Union européenne, suite à une plainte déposée par les séparatistes du Polisario, avait décidé que l’accord de libre-échange de 2012, entre l’UE et le Maroc, ne s’ap-pliquait pas au Sahara marocain. Depuis, Rabat s’est engagé, avec une diplomatie réaliste et ferme, pour défendre sa posi-tion. En Europe, le Maroc pouvait compter sur des députés qui soutiennent que « les nouveaux tarifs douaniers bénéficieraient de façon significative aux populations lo-cales », contre le point de vue des sépara-tistes et de leurs soutiens, qui ont dénoncé, infructueusement, cet accord.

Malgré le lobbying du Polisario au Parle-ment européen, le Maroc et l’UE ont adopté l’accord agricole et signé l’accord de pêche pour étendre leur commerce bilatéral. Les deux accords incluaient les provinces du Sud du Maroc au Sahara, frustrant le groupe séparatiste. Le gouvernement ma-rocain a réaffirmé ainsi que le groupe sé-paratiste n’est qu’une fiction qui prétend représenter les Sahraouis. Une des raisons qui explique la position du Maroc est la pétition signée par un groupe de résidents locaux des régions riches en ressources na-turelles de Dakhla-Oued Ed-Dahab et de Laâyoune-Sakia El Hamra.

Dans la pétition, les Sahraouis ont recon-nu le développement rapide du Sahara en raison des accords signés par le Royaume, dans les domaines de la pêche et de l’agri-culture, qui bénéficient à la région. Les pétitionnaires ont appelé, également, les décideurs européens à adopter les accords, compte tenu de l’impact « tangible » des versions précédentes sur la vie des habi-tants des provinces du Sud. «Les provinces du Sud sont maintenant classées au-dessus de la moyenne nationale pour les indica-teurs de développement humain», ont-ils écrit.

Après l’adoption de l’accord agricole, le ministre marocain de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch, a déclaré que ces accords créaient 66.000 emplois dans les provinces du Sud, dans le cadre du plan Maroc Vert et du plan Ha-lieutis. Le ministre a rappelé la visite des responsables de l’UE dans la région. Il a déclaré aussi que celle-ci avait permis aux parlementaires européens d’être infor-més de la situation dans ces régions, ainsi que des projets de développement qui s’y trouvent.

Ce nouvel accord agricole entre le Maroc et l’UE vient donc, une nouvelle fois, dis-créditer les allégations fausses et faussaires du Polisario, et battre à plate couture, les campagnes de lobbying engagées par l’Al-gérie en faveur des séparatistes. n

JANVIER/FÉVRIER 2019 6

Maroc-Union européenne : quandl’utopisme cède le pas au pragmatisme

«Tout accord couvrant le Sahara marocain ne peut être négocié et signé que par le Royaume du Maroc dansle cadre de l’exercice de sa pleine souveraineté sur cette partie de son territoire ».

Nasser Bourita

Malgré le lobbying du Polisario au Parlement européen, le Maroc et l’UE ont adopté l’accord agricole et signé l’accord de pêche pour étendre leur commerce bilatéral.

L’adoption de cet accord à la majorité absolue est un nouvel exploit pour le Maroc dont la défense de son intégrité territoriale est non négociable.

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SAHARA

Khadija Skalli

A nouveau, le mouvement sé-paratiste du Polisario, encouragé par l’Algérie, joue la carte de la provocation pour saper le pro-cessus politique de Genève. En outre, l’Afrique du Sud, qui siège depuis le 1er janvier, au Conseil de sécurité, se donne comme mis-sion de contrarier les intérêts légitimes du Maroc. La bataille politique dans cette instance onu-sienne s’annonce rude.

L a table ronde, acte II de Genève sur la question du Sahara, est prévue pour ce premier trimestre

de 2019. La première table ronde s’est achevée sur une promesse solennelle de nouvelles retrouvailles en ce début d’année. Les parties ayant pris part à ce premier round des pourparlers, à savoir le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Polisario se sont donné rendez-vous, au siège de l’ONU, dans la ville suisse pour poursuivre des discussions enta-mées les 5 et 6 décembre dernier, suite à l’invitation de l’Envoyé personnel du SG des Nations unies pour le Sahara, Horst Köhler. Cependant, le contexte régional, tendu, soulève des questions sur l’engagement du mouvement sépa-ratiste.

Les agissements

inacceptables du Polisario

L’entité fantoche joue, à nouveau, la carte de la provocation pour saper le processus politique de Genève. En ce mois de janvier, elle a multiplié les provocations et les violations dans la zone tampon de Guergarate, ainsi qu’à l’est du dispositif de défense au Sahara marocain. Pas plus tard que le 6 janvier 2019, les milices armées du Polisario ont organisé des manœuvres militaires et des exercices de combat, avec des équipements lourds et des munitions réelles, dans la localité de Mheiriz. Les séparatistes ne se sont pas contentés de ces agissements qui constituent une violation flagrante des dispositions de la résolution 2414 du 27 avril 2018.

Le 7 janvier, ils ont procédé au dé-placement d’une soi-disant « struc-ture administrative » dans cette même localité de Mheiriz. Le jour suivant, le front séparatiste récidive. En effet, le 8 janvier, l’entité fantoche déploie deux véhicules militaires dans la zone tam-pon de Guergarate.

Le Royaume saisit le Conseil de sécurité et le Secrétaire général des Nations unies. Ainsi, deux missives

ont été adressées par l’ambassadeur, Représentant permanent du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, au président de l’organe exécutif de l’ONU et à Anto-nio Guterres. Avec des preuves irréfu-tables et photos à l’appui. Des images accablant le front séparatiste et qui démontrent qu’il a, bel et bien, mené des incursions militaires dans cette ré-gion, placée sous contrôle des Casques bleus.

Dans ces lettres, Omar Hilale attire, d’abord, l’attention des instances onu-siennes sur les violations commises en trois jours par le Polisario. Ensuite, le diplomate marocain «condamne vi-goureusement» ces actes «déstabilisa-teurs» qui violent l’Accord militaire N° 1 et «menacent dangereusement le cessez-le-feu».

« Ces agissements constituent une violation flagrante des dispositions de la résolution 2414 du 27 avril 2018, par laquelle le Conseil de sécurité a enjoint au Polisario de se retirer, im-médiatement, de la zone tampon de Guerguerate et lui a ordonné de ne pas se livrer aux actes déstabilisateurs de déplacement de structures administra-tives à l’est du dispositif de défense au Sahara marocain », poursuit le diplomate marocain.

Pis encore, par ces manœuvres, le Polisario a failli à ses engagements devant Horst Köhler. Ces agissements représentent un «reniement condam-nable des engagements du Polisario de ne plus retourner à la zone tam-pon de Guergarate, ni transférer au-cune structure à l’est du dispositif de défense». L’ambassadeur marocain rappelle à ce sujet les engagements exprimés par le Polisario à l’Envoyé personnel Horst Köhler, lors de sa visite dans les camps de Tindouf, le 26 juin 2018. Lesquels engagements figurent dans le rapport du Secrétaire général du 3 octobre 2018.

«Il apparaît évident qu’en recou-rant à l’escalade et aux provocations, et en faisant fi de ses engagements, le Polisario vise à torpiller les efforts du Secrétaire général de l’ONU et de son Envoyé personnel pour la relance du processus politique, au lendemain de la réussite de la table ronde de Ge-nève, les 5 et 6 décembre 2018, et à la veille de la deuxième table ronde, prévue dans les prochaines semaines», alerte le diplomate.

La MINURSO dans

le viseur de Washington Depuis sa nomination, en mars der-

nier, au poste très influent de Conseil-ler à la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Bolton critique la Mis-sion onusienne au Sahara.

Le Conseiller de Donald Trump s’est dit même « frustré » quant à la manière dont est géré le dossier du Sahara par l’ONU. C’était lors d’un discours prononcé, le 13 décembre dernier, de-vant le Think Tank Heritage Founda-tion, dans lequel il a présenté la nou-velle stratégie US en Afrique.

En réalité, cette « frustration » cache une volonté de la part de l’administration Trump de réduire ses contributions financières aux opéra-tions de maintien de paix de l’ONU, dès 2019. Une réduction de l’ordre de 3,47 %. La MINURSO coûte, annuel-lement, 52 millions de dollars. Une somme qui risque d’être revue à la baisse cette année.

Compte tenu de ces données, la mis-sion du diplomate marocain à l’ONU, de défendre la cause nationale légi-time, est loin d’être une affaire de tout repos. D’autant plus que l’Afrique du Sud, grand défenseur du Polisario, a intégré le Conseil de sécurité.

L’Afrique du Sud, ennemi juré du Maroc

Depuis le 1er janvier 2019, Pretoria siège, officiellement, en tant que membre non-permanent au sein de l’instance onusienne. Son entrée au Conseil de sécurité n’est pas sans susciter des inquiétudes. L’Afrique du sud est bien décidée à consacrer les deux prochaines années de son mandat à contrarier les intérêts légitimes du Maroc. En témoignent les déclarations hostiles du Président Ramaphosa ainsi que de la cheffe de la diplomatie, Lin-diwe Sisulu.

«Nous sommes aux côtés du Front Polisario », affirme haut le Président sud-africain, lors d’un meeting élec-toral, organisé le 12 janvier à Durban, en préparation des législatives de mai 2019.

Cette position de l’Afrique du Sud a été réaffirmée par la ministre des Affaires étrangères. Lindiwe Sisulu a déclaré que la défense des thèses sépa-ratistes sera une priorité pour son pays au Conseil de sécurité.

Le Maroc ne compte pas baisser pour autant les bras. Il a, sans doute, des cartes en main pour défendre ses droits. La diplomatie marocaine est constamment mobilisée pour défendre la cause nationale.

Pour contrecarrer cette « manœuvre politicienne », le Royaume s’appuie, d’abord, sur la justesse de sa cause et des droits inaliénables à recouvrer son intégrité territoriale, et ensuite, sur ses alliés au sein du Conseil de sécurité n

Pour contrecarrer cette « manœuvre politicienne », le Royaume s’appuie, d’abord, sur la justesse de sa cause et des droits inaliénables à recouvrer son intégrité territoriale, et ensuite, sur ses alliés au sein du Conseil de sécurité

Depuis le 1er janvier 2019, Pretoria siège, officiellement, en tant que membre non-permanent au sein de l’instance onusienne. Son entrée au Conseil de sécurité n’est pas sans susciter des inquiétudes.

7 JANVIER/FÉVRIER 2019

Le Maroc face aux provocations des séparatistes

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ENTRETIEN

Réalisé par Khadija Skalli

Le Conseil de sécurité de l’ONU fait peau neuve à compter de ce mois de jan-vier 2019. L’Afrique du Sud est l’un des cinq pays non permanents qui ont fait leur entrée dans cet organe onusien. Quels sont les enjeux pour le Maroc ? Eclairage avec Rachid Benlabbah, enseignant-chercheur à l’Institut des Etudes africaines relevant de l’Université Mohammed V de Rabat.

l  MAROC DIPLOMATIQUE  : L’Afrique du Sud, fervent défenseur de la thèse séparatiste du Polisario, fait son entrée au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent. Cette nouvelle donne aura-t-elle une influence sur le dossier du Sahara et le processus onusien ?

- Rachid Benlabbah : Tant que l’African National Congress (ANC) reste majoritaire en Afrique du Sud, le gouvernement qui en est issu ne pourra que se conformer aux lignes établies en matière de politique extérieure. La Commission des Affaires étrangères de ce parti exerce un pouvoir d’orientation sur la diplomatie nationale. Au moins, peut-on dire

que durant ces trois derniers mois, et en prévision du mandat provisoire au Conseil de Sécurité des Nations unies qui a déjà commencé en ce début du mois de janvier 2019, la ministre des Relations internatio-nales et de la coopération de l’Etat sud-africain avait essayé d’esquis-ser le travail futur au sein de l’orga-nisation onusienne et les questions internationales et africaines dont elle sera porteuse, notamment en matière de paix, de sécurité et de promotion de la femme.

Lindiwe Sisuslu, dont l’aura per-sonnelle et familiale en fait proba-blement la deuxième personnalité politique la plus influente du gou-vernement après le Président Ra-

maphosa, a dit que son gouvernement compte accorder durant le début du mandat onusien de son pays une grande importance à la crise du Soudan du Sud et à la question du Saha-ra. Cependant, elle n’a directement mention-né ni la RDC (République démocratique du Congo) ni le Sahel et encore moins le Bassin du Lac Tchad et la Libye, voire la RCA (Ré-publique centrafricaine).

l Et pour la crise au Sahara ?- Pour le conflit du Sahara qui nous

concerne, l’ANC et le gouvernement sud-africain vont continuer à apporter un soutien financier, humanitaire et technique au Polisario. Leur travail sera certainement de dynamiser l’action de l’A3 dans ce sens, d’au-tant qu’ils peuvent compter sur des relais sûrs à l’Union africaine. L’enjeu du CPS ( Conseil de paix et de sécurité) reste compliqué. Il ne faut pas oublier que l’Algérie n’avait pas cherché à concurrencer l’Afrique du Sud pour le Conseil de sécurité. On sait très bien que la composition du A3 se prend de manière rota-

tive et consensuelle au niveau d’Addis Abeba, en fonction des CERs (Com-munautés économiques régionales), mais je me demande si l’Algérie, en se présentant comme candidate, n’allait pas avoir plus de chance parce qu’elle ne s’y était plus présentée depuis 2004-2005 alors que l’Afrique du Sud avait réussi à remplir deux mandats assez proches dans le temps, 2007-2008 et 2011-2012. L’Afrique du Nord, en de-hors de l’Egypte qui venait d’y siéger, pourrait nourrir des ambitions l’année prochaine. Il faudra suivre ce proces-sus de près.

l A-t-on pris une position par rap-port à la Table ronde en Suisse sur le Sahara ? Qu’a dit le ministère des Re-lations Internationales sud-africain ?

- Dans son commentaire au len-demain de la rencontre de Genève du 5 et 6 décembre dernier, Lindiwe Sisulu avait salué la reprise des pourparlers sous la conduite de l’Envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies, mais elle n’a pas mentionné la présence de l’Algérie et de la Mauritanie dans ce tour de table, en insistant tout à la fois sur la solution mutuellement ac-ceptée et le soutien au référendum d’autodé-termination. D’ailleurs dans leurs différents discours, les hommes politiques sud-africains soit se réfèrent au référendum sans le relier à l’indépendance, soit le couplent comme pour se conformer à une exigence politique qui conforte le Polisario.

Lorsque Lindiwe Sisulu avait reçu à Pre-toria Bulahi Sid, en mars 2018, elle l’avait assuré de maintenir le soutien financier, hu-manitaire et technique. Elle avait aussi dit que son gouvernement était lié aux principes et valeurs dites de Madiba (Nelson Mandela). Elle a de plus fait appel aux éléments de lan-gage classiques, en termes d’indépendance, de libération, de droit international, de déco-lonisation, d’intangibilité des frontières, de lutte commune des deux peuples, des droits de l’Homme, d’exploitation des ressources naturelles.

Ce qu’il faut retenir, en revanche, est que, pour l’Afrique du Sud, le rôle de l’Union afri-caine devrait être évalué bien que le Sommet de Nouakchott ait clarifié la situation concer-nant l’exclusivité des Nations-unies. D’un autre côté, l’ANC et le gouvernement mettent en parallèle la question palestinienne et le conflit au Sahara. D’ailleurs, durant la 73e ses-sion des Nations unies, en septembre dernier, le Président Ramaphosa avait confirmé son intention de s’activer pour les deux dossiers de concert. Il y a un autre fait qui peut sem-bler moins important relatif à la nouvelle pra-tique introduite par la ministre des Relations internationales et de la coopération. Elle tient un débriefing mensuel avec les médias qui prend l’allure d’évaluation, d’information et de rappel des questions importantes. De plus, on ne sait pas qui des deux ministres délégués auprès de Lindiwe Sisulu aura la charge du dossier du Sahara, quoiqu’on peut penser à

Luwellyn Landers pour avoir visité Tindouf et représenté son ministre au Japon lors du Sommet afro-nippon.

l Comment expliquez-vous cette hostilité de l’Afrique du Sud vis-à-vis du Maroc alors que le Royaume a aidé le parti au pouvoir ANC de Mandela dans son combat contre l’Apartheid ?

- Il ne s’agit pas d’une hostilité, le pro-blème est la version des faits qui a prévalu au sein de l’ANC concernant le litige saharien, malgré l’aide matérielle et morale du Maroc que Mandela n’a jamais caché. Et au-delà, cela concerne presque tous les pays qui com-posent aujourd’hui la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe). L’Etat algérien dit aussi qu’il a toujours soutenu le combat des Sud-africains contre l’Apartheid. Comment rétablir l’exactitude des faits aux élites politiques classiques dans des pays comme l’Afrique du Sud, la Namibie, le Zim-babwe ou le Mozambique, au risque de mettre à mal leurs principes de panafricanisme de libération des peuples et de décolonisation ?

C’est le dilemme auquel est confrontée la politique étrangère marocaine en Afrique. L’intégration économique régionale, si je me fie à mes collègues spécialistes dans ce do-maine, en plus des relations culturelles jouent un rôle important de facilitateur. Il ne faut pas oublier que nous ne savons pas grand chose sur l’Afrique du Sud au Maroc et l’inverse est vrai. Par exemple si nos musées nous in-vitent un jour à une exposition sur l’Apartheid en Afrique du Sud, les Marocains iront voir parce qu’ils se sentent concernés comme ils ont été concernés par le génocide au Rwanda.

l Youssef Amrani a été nommé le 20 août 2018 ambassadeur du Maroc en Afrique du Sud. A ce jour, le diplomate marocain n’a pas encore reçu l’agrément du gouver-nement d’Afrique du Sud. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

- Je vous répondrais en deux mots. Cette si-tuation ne fait pas honneur à Madiba. n

Dans leurs différents discours, les hommes politiques sud-africains soit se réfèrent au référendum sans le relier à l’indépendance, soit le couplent comme pour se conformer à une exigencepolitique qui conforte le polisario.

JANVIER/FÉVRIER 2019 8

Benlabbah : « L’Afrique du Sud continuera à apporter son soutien financier au Polisario »

Rachid Benlabbah

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SAHARA

L e Conseil de sécurité des Na-tions unies a adopté, le 31 octobre dernier, la résolution

2440, qui prolonge le mandat de la Mission des Nations unies au Sahara jusqu’au 30 avril 2019. C’est la deu-xième fois depuis avril 2018 que la mission des Nations unies au Sahara, connue sous le nom de MINURSO, a vu son mandat prolongé de six mois, contrairement à la traditionnelle pé-riode de 12 mois.

L’ONU décidée à résoudre le problème

La résolution reflétait les dévelop-pements récents et se félicitait de la non-survenance de tout incident suscep-tible de déstabiliser la paix dans région. Elle a également souligné, pour la deu-xième fois consécutive, la nécessité de «parvenir à une solution politique réa-liste et durable à la question du Sahara, fondée sur le compromis». Cette phrase signifie que le référendum n’est plus considéré comme une option viable. Cela aidera en principe à en finir avec un conflit qui, depuis 43 ans, n’a pas connu une résolution politique concrète.

Il est très révélateur qu’aucun membre du Conseil de sécurité n’ait mentionné le référendum dans les déclarations des États membres après avoir voté pour l’adoption de la résolution. En outre, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Chine ont souligné que toute solution politique au conflit devrait être convenue d’un commun accord et abou-tie par la négociation.

Indépendamment de la durée du man-dat de la MINURSO, la nouvelle résolu-tion comprend des modifications subs-tantielles qui se révéleront importantes pour le processus politique. Mentionner l’Algérie à trois reprises dans la résolution est remarquable, alors que cette dernière se borne depuis le début du conflit à nier toute implication de sa part. Au troisième paragraphe de la résolution, le Conseil de sécurité s’est félicité de l’acceptation par le Maroc, l’Algérie, le front séparatiste du Polisario et la Mauritanie de participer à la table ronde de Genève qui s’est tenue à Genève les 5 et 6 décembre.

« L’Algérie a une responsabilité flagrante »C’est la première fois qu’une

résolution du Conseil de sécurité im-plique directement l’Algérie dans une résolution depuis au moins 2002 et de-puis le début du processus politique en 2007. En tant que parrain de la résolu-tion, les États-Unis ont dû concilier deux positions diamétralement opposées. Le Maroc a souligné à plusieurs reprises qu›il ne participerait pas à la négocia-tion directe tant que l’Algérie ne se-rait pas considérée comme une partie

au conflit. Rappelons à cet égard que S.M. le Roi Mohammed VI avait bien écrit au Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans un message qui lui a été remis le 4 avril 2018, par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, que «l’Algérie a une responsabilité flagrante. L’Algérie abrite, l’Algérie arme, l’Algérie soutient diplomatiquement le Polisario». À l’inverse, l’Algérie a insisté pour ne participer qu’en tant qu’État voisin.

Pour remédier à cette situation, la délégation américaine a proposé un compromis dans lequel l’Algérie est mentionnée dans la résolution au même niveau que le Maroc et les séparatistes du Polisario. En contrepartie, le Maroc et les États membres favorables à la prolongation du mandat de 12 mois ont dû accepter une période de six mois du mandat de la MINURSO.

Certes, la résolution n’a toujours pas fait de l’Algérie une partie aux négocia-tions. Cependant, le fait même qu’elle soit mentionnée dans la résolution sug-gère que le Conseil de sécurité insiste sur son implication dans les négocia-tions à venir. Cette langue pourrait ou-vrir la voie à de nouveaux développe-ments si le Maroc joue habilement ses mains. Il est significatif qu’il n’y ait pas de distinction entre le Maroc et l’Algérie dans les deux paragraphes où cette der-nière est mentionnée.

Les États-Unis sont aussi conscients que toute négociation sans la partici-pation de l’Algérie ne mènera à aucun progrès. Par conséquent, l’inclure pour la première fois dans la résolution et l’invi-ter à participer à toutes les étapes du pro-cessus politique constitue un premier pas pour en faire une partie de la solution.

En outre, un paragraphe dans lequel le Conseil de sécurité appelle le Maroc et le front séparatiste du Polisario à respecter leurs obligations en vertu de l’accord de cessez-le-feu, et en particulier pour que le Polisario s’abstienne de toute mesure qui changerait le statu quo dans la zone

tampon de Guerguerat et de Bir Lahlou a été ajouté à la résolution. Ce qui est remarquable dans ce paragraphe, c’est que la version finale de la résolution in-cluait également Tifariti, et toute la zone de l’Est du Mur, qui n’était pas mention-née dans les versions précédentes. C’est un fort revers pour le Polisario qui, d’un désespoir à une fuite en avant, s’est lan-cé dans des provocations au niveau de la zone tampon.

Incursions et provocations Ce genre d’accent mis sur les obliga-

tions du Polisario a été un point dur pour certains membres du Conseil de sécu-rité, qui ont estimé que le langage était trop fort contre ce dernier. Cependant, d’autres membres tels que les États-Unis et la France semblent vouloir éviter de refaire le même scénario dans la région au cours des deux dernières années, à la suite des tentatives du Polisario de chan-ger le statu quo et d’imposer un fait ac-compli dans la zone tampon. Il était donc peu probable que le Polisario prenne des mesures aussi provocatrices que celles qu’il a prises au cours des deux dernières années. Toutefois, la lettre envoyée le 11 janvier 2019 à M.Guterres par le Repré-sentant permanent du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, au sujet des violations et des provocations du « Polisario » dans la zone tampon de Guergarate, ainsi qu’à l’Est du dispositif de défense au Sahara marocain, fait état d’une transgression flagrante des deux dernières résolutions, 2414 et 2440, de la part des séparatistes.

Le rôle des Etats-Unis après la démission

de Nikki HaleyLa démission de l’ancienne ambassa-

drice des États-Unis auprès de l’ONU, Nikki Haley, qui a joué un rôle impor-tant dans l’adoption par le Conseil de sécurité de deux résolutions en faveur du Maroc, notamment de la résolution 2351 en avril 2017, est un facteur im-

portant à prendre en compte lors de la prochaine phase de négociations. Nikki Haley avait une grande marge d’autono-mie dans le processus de décision, qu’il s’agisse de questions prioritaires pour les États-Unis, telles que la question palestinienne, l’accord nucléaire avec l’Iran, la Corée du Nord et la Russie, ou de questions de moindre importance.

Alors que le Président américain lui-même est connu pour son langage brutal contre ses adversaires et ses alliés, l’am-bassadrice Haley, connue pour son cha-risme et son sens de la diplomatie, était une addition bienvenue à l’Administra-tion Trump. Elle est également considé-rée comme une représentante modérée du parti républicain, qui a souvent réa-gi de manière positive à la position du Maroc sur la question du Sahara maro-cain. La diplomatie marocaine a profité de « l’indépendance » de Haley et de sa sympathie pour le Maroc pour parvenir à deux résolutions du conseil de sécurité en faveur du Maroc.

L’ambassadeur du Maroc aux Nations unies, Omar Hilale, a déclaré à propos de la démission de Haley : «Elle nous manquera. J’ai travaillé avec elle pen-dant deux ans, et depuis le début, c’était une relation privilégiée et chaleureuse. Le Maroc ne l’oubliera jamais. »

Le fait que l’ambassadeur du Maroc à l’ONU fût l’un des rares diplomates étrangers à avoir fait ses adieux à Haley dans des termes aussi amicaux montre la sympathie qui la lie au Maroc.

Avec la démission de Haley, le rôle du conseiller pour la sécurité nationale, John Bolton, qui est proche du Président Trump, est devenu plus important pour l’élaboration de la politique américaine concernant la question du Sahara ma-rocain. Il est non seulement un ancien ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies, mais également un fin connaisseur des rouages du conflit. En effet, dans les années 1990, il fut assis-tant du précédent envoyé des Nations unies pour le conflit du Sahara, James Baker, lequel n’avait pu cacher sa sym-pathie pour la thèse séparatiste.

Après que Bolton était devenu conseiller national pour la sécurité en avril, il est aussi devenu un personnage influent sur diverses questions de poli-tique étrangère américaine, y compris la question du Sahara. Son influence a été démontrée par la résolution 2414, qui a prolongé le mandat de la MINURSO de six mois seulement pour la première fois depuis 2008.

Compte tenu du caractère de Bolton et de sa proximité avec le Président amé-ricain, il jouera un rôle majeur dans le processus de prise de décisions au sein de l’administration américaine au cours de la période à venir. n

S.B

9 JANVIER/FÉVRIER 2019

Résolution 2440 : le Maroc droitdans ses bottes, l’Algérie au pied du mur

Le mandat de la Mission des Nations unies au Sahara, prolongé encore une fois jusqu’au 30 avril 2019.

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AFRIQUE

Le 32e Sommet ordinaire de l’Union africaine se tiendra, les 10 et 11 février, à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Les discussions porteront, notamment, sur la révision du barème des contributions financières. Largement dé-pendante des aides étran-gères, l’institution africaine peine encore à assurer son autonomie financière. Ce qui la fragilise.

En février prochain, les pro-jecteurs seront braqués sur Addis-Abeba, la capi-

tale éthiopienne, où se tiendra le 32e Sommet ordinaire de l’Union africaine. Cette rencontre des di-rigeants africains sera placée sous le thème « des réfugiés, des rapatriés et des personnes déplacées : pour des solutions durables aux déplacements forcés en Afrique». Elle se déroulera, plus précisément, les 10 et 11 février. Les Chefs d’État se réuniront, le temps de deux jours, pour discuter des ques-tions liées aux personnes déplacées de force en Afrique.

Les préparatifs de ce sommet de l’organisation panafricaine vont bon train. Les représentants permanents des membres de l’UA, dont le Maroc, se sont réunis, les 15 et 16 janvier, à Addis-Abeba, pour préparer l’ordre du jour de ce 32e Sommet ordinaire de l’UA.

Le Maroc a été représenté à cette réunion par une délégation présidée par Abderrazzak Laassel, Directeur du Grand Maghreb et des Affaires de l’Union du Maghreb arabe et de l’Union africaine.

Après deux jours de concertation, ce comité a formulé des recomman-dations. Lesquelles directives seront soumises au Conseil exécutif, qui regroupe les ministres des Affaires étrangères des membres de l’UA.

Cette instance africaine prendra ainsi la relève, les 7 et 8 février pro-chain, pour préparer les résolutions qui seront soumises à l’approbation des Chefs d’Etats.

A l’ordre du jour, la ré-forme financière de l’UA

Lors de ce sommet, les dirigeants africains débattront de la situation des réfugiés, des rapatriés et des personnes déplacées en force dans le continent africain. Le sommet portera également sur la réforme administra-tive et surtout financière de l’UA.

Pour rappel, l’Union africaine a consacré un sommet extraordinaire, en novembre dernier à Addis-Abeba,

à la réforme institutionnelle de ses instances. Une vaste et ambitieuse réforme qui a pour objectif d’instau-rer une nouvelle approche dans le fonctionnement de l’Union et de ses organes. Et surtout, d’accorder plus de pouvoirs à la Commission, qui est l’Exécutif de l’UA, pour être plus forte et plus efficace. Ainsi, les Chefs d’Etats se sont mis d’accord pour réduire de huit à six le nombre de commissaires. Le mode de sélection de ces derniers a été revu. Il devrait, également, y avoir un changement, dans le mode d’élection du président de la Commission. Cette nouvelle structure ne devrait être opération-nelle qu’en 2021.

Ce sommet extraordinaire avait, notamment, approuvé un dispositif de sanctions graduelles à l’encontre des membres « mauvais payeurs ». Nombreux sont ceux qui accusent un retard dans le versement de leurs contributions financières annuelles au budget de l’organe continental. Ainsi, les membres qui payent avec retard ou ne payent pas leur contribution an-nuelle seront privés de prise de parole durant les réunions de l’UA, voire exclus de toute participation aux ac-tivités de l’institution, y compris les sommets.

A noter que le Maroc est l’un des cinq plus importants contributeurs aux côtés de l’Afrique du Sud, de l’Egypte, de l’Algérie et du Nigeria.

La question financière est restée en suspens. En effet, la révision du

barème des contributions financières n’a pas été discutée, lors du sommet extraordinaire de novembre dernier. Cette question épineuse sera abordée, lors de ce sommet ordinaire de l’or-ganisation continentale du mois de février prochain.

Les contributions des cinq princi-paux donateurs devraient être limi-tées à 40% du budget. De même que la contribution minimale de chaque membre devrait être fixée à 200.000 dollars annuels. Les dirigeants afri-cains devraient se concerter pour trouver un consensus. L’objectif est de réduire la dépendance financière aux dons des bailleurs de fonds étran-gers.

L’UA, un géant aux pieds d’argile

L’Afrique fait face à de grands défis de sécurité, de paix et de développe-ment. Elle est également appelée à jouer un rôle important sur la scène internationale et ce, à travers sa prin-cipale institution continentale qui est l’Union africaine. Toutefois, l’UA reste confrontée à des problèmes de dépendance financière et de gouver-nance qui entravent son efficacité.

L’ambassadeur marocain Moham-med Arrouchi, Représentant perma-nent auprès de l’UA, l’a souligné, lors de la réunion du Comité des Re-présentants permanents de l’Union africaine (COREP), en préparation du 11e Sommet extraordinaire, en no-vembre dernier.

« Le dysfonctionnement » dans la gestion administrative et financière de l’institution africaine « entrave l’efficacité et l’efficience » de cette organisation, révèle l’Ambassadeur marocain.

« L’institution ne peut gagner en crédibilité qu’en remédiant à ses ca-rences et en adoptant la bonne gou-vernance dans la gestion administra-

tive et financière», tranche-t-il. Le président de la Commission

de l’UA, Moussa Faki Mahamat, l’a également affirmé dans son dis-cours d’ouverture du Conseil des ministres de l’UA, en janvier 2018 : « Sans son indépendance, l’Afrique n’est rien du tout. Avec son indépendance, elle peut être tout».

Sans autonomie financière, la voix de l’UA sera inaudible sur la scène internationale. L’institution n’aura aucune crédibilité.

A ce jour, le budget de l’Union africaine reste, largement, dépen-dant des aides étrangères des par-tenaires internationaux. En 2017, le budget total de l’Union afri-

caine est de 782 millions de dollars. Les pays africains ne contribuent à ce budget qu’à hauteur de 26,21%, le reste, soit 73,79%, est financé par les aides étrangères. Les plus gros contributeurs sont les Etats-Unis, la Chine, l’Union européenne et la Tur-quie. Même le siège de l’UA a été construit, en 2012, grâce à un don de la République populaire de Chine.

Les dépenses de fonctionne-ment s’accaparent la part du lion du budget de l’institution africaine. Les missions de paix de l’UA sont finan-cées par les bailleurs étrangers.

Certes, un projet de réforme a été initié, il y a deux ans, par le Président rwandais Paul Kagame, pour mettre en place des mesures d’autofinance-ment de l’institution panafricaine. Mais, le projet ne suscite pas grand enthousiasme de la part de certains pays africains. L’une des mesures phares de ce projet de réforme est l’application de la taxe de 0,2% sur les produits importés. Cette mesure devrait permettre aux membres de l’UA de payer leur contribution finan-cière annuelle. Toutefois, nombreux sont les pays réticents. A ce jour, seu-lement 24 pays ont accepté la mise en application de cette taxe, d’après les chiffres officiels de la Commission de l’UA.

« La taxe de 0,2% aurait permis de réduire de 60% à 30% la dépen-dance de l’organisation continentale vis-à-vis des donateurs », affirme le chef de l’unité de mise en œuvre de la réforme institutionnelle de l’UA, dans une déclaration à rfi.fr.

L’Union africaine est appelée à ac-quérir son autonomie financière pour faire entendre sa voix sur la scène in-ternationale. n

K.S

«Sans son indépendance, l’Afrique n’est rien du tout. Avec son indépendance, elle peut être tout».

dixit Moussa Faki Mahamat

JANVIER/FÉVRIER 2019 10

Union africaine :A quand l’autonomie financière ?

Sans indépendance financière, l’Union africaine sera toujours fragile.

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L’année 2018, qui s’est achevée, a aggravé le désordre mondial. En effet, après la Seconde Guerre

mondiale, le monde était bipolaire, partagé entre l’influence américaine et soviétique jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, et l’effondrement de l’URSS en 1991.

À partir de cette dernière date, les États-Unis se sont élevés au rang d’hyper-puissance, ne subissant aucune opposition marquante dans le monde. Le début du XXIe siècle a vu la montée des pays émergents dont le Brésil, la Russie, l’Inde et surtout la Chine qui est devenue la seconde puissance mondiale. Le monde est ainsi devenu multipolaire, et le centre des décisions mondiales s’est éparpillé dans plusieurs directions. L’Organisation des Nations unies censée représenter la gouvernance mondiale, a perdu beaucoup de son efficacité des suites des nombreux désaccords au niveau du Conseil de sécu-rité.

Le désordre mondial concerne, à la fois, le politique, l’économique et le social. Sur le plan politique, on a assisté à une mon-tée de populisme aussi bien aux États-Unis, avec l’élection de Donald Trump à la présidence, qu’au Brésil avec celle de Jair Bolsanaro. L’Europe a été égale-ment touchée par la montée du populisme en Autriche, Italie, Hongrie et en Pologne. Le populisme se caractérise par l’exa-cerbation du nationalisme, le rejet du multilatéralisme, la promotion du protec-tionnisme et la défiance vis-à-vis de l’im-migration et du changement climatique.

Trump, un activiste du populisme

Les dirigeants populistes ne se contentent pas de discours, mais prennent des mesures concrètes. À titre d’illustration, Donald Tru-mp, mettant en œuvre son slogan électoral « America first », a retiré les États-Unis de l’accord de Partenariat Pacifique (TPP), stoppé les négociations transatlantiques, et exigé la renégociation de l’ALENA, l’ac-cord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.

Il n’a pas cessé de s’attaquer, depuis son élection, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à l’Organisation de l’Atlantique nord (OTAN), en repro-chant aux partenaires des États-Unis de ne pas contribuer, suffisamment, au bud-get de cette institution militaire. Il a retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur le changement climatique, ainsi que de l’ac-cord du nucléaire iranien en imposant de nouvelles sanctions à l’Iran.

Dès son élection, il s’est opposé à l’im-migration aux États-Unis en projetant de construire un mur entre les États-Unis et le Mexique. Devant l’opposition des démocrates, il n’a pas hésité à provo-quer un « Shutdown », paralysant les administrations fédérales…

Autres dirigeants nationalistes…

Mais la mesure la plus dangereuse pour la croissance mondiale a été le déclenchement, par le Président amé-ricain, d’une guerre commerciale vis-à-vis de la Chine, mais aussi vis-à-vis des partenaires asiatiques et européens. En ce qui concerne le Moyen-Orient, Do-nald Trump a apporté un soutien incondi-tionnel à Israël, en transférant, notamment, l’ambassade américaine de Tel Aviv à Al-Qods, et en coupant toute aide financière aux Palestiniens. Pour ce qui est des pays arabes du Golfe, il a pris parti pour l’Ara-bie saoudite malgré l’horrible assassinat, perpétré par les Saoudiens à Istanbul, du journaliste Jamal Khashoggi … cela en contrepartie de la vente d’armes améri-caines et de la baisse du prix du pétrole. Malgré son rapprochement avec le dicta-teur nord-coréen Kim Jong-Un, Donald Trump n’a pas obtenu la dénucléarisation de la péninsule coréenne.

On peut classer dans la même catégorie des dirigeants nationalistes les Présidents russe, turc et iranien. Poutine, après avoir en-

vahi la Crimée qui appartient juridiquement à l’Ukraine, s’est impliqué, militairement, en Syrie pour amplifier l’influence russe au Moyen-Orient. Erdogan s’est également impliqué, militairement, en Syrie pour em-pêcher la création d’une entité kurde. Quant à Rohani, après avoir renforcé l’emprise de l’Iran sur l’Irak, il tente également de le faire en Syrie.

L’Europe en mauvaise posture

Les autres points chauds de l’année 2019 concernent l’Union européenne où un sen-timent anti-européen se développe dans la plupart des pays membres. Il y a des craintes que des partis d’extrême droite ne remportent les prochaines élections euro-péennes de mai 2019. Ceci d’autant plus que le Président Macron, principal leader pro-européen, est très affaibli par le mou-vement social des « Gilets jaunes » qui se déroule en France, depuis plusieurs mois, tandis qu’aucun accord n’a été encore conclu sur le Brexit, sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

L’Afrique instableLes perspectives ne sont pas très promet-

teuses. Le Moyen-Orient vit une situation explosive avec les guerres civiles en Sy-rie et au Yémen, et l’impasse concernant le problème palestinien. En Afrique, la situation instable continue en Libye, tan-dis que plusieurs pays africains souffrent d’un fort endettement public, et que le système démocratique peine à s’affirmer du fait de la tenue d’élections souvent chaotiques, comme cela s’est passé récem-ment dans la République démocratique du Congo (où une fuite de documents, le 15 janvier, révèle que le vrai vainqueur de l’élection serait Martin Fayulu, ndlr) Enfin, le terrorisme jihadiste, malgré la dé-faite de l’État islamique, continue à frapper dans plusieurs pays.

En conclusion, force est de constater un tableau sombre des relations internationales en ce début 2019. Le monde va mal et les problèmes sont très nombreux et profonds. Cependant, nous devons les affronter et ne pas désespérer. Nous devons, chacun à son propre niveau, militer pour un nouvel ordre mondial, basé sur la liberté, la démocra-tie, la solidarité et le vivre-ensemble, dans l’harmonie et la quiétude, et en rejetant tout égoïsme de repli sur soi.n

Président de l'Institut marocain des Relations internationales

Une Afrique « instable » dansle nouveau grand désordre mondial

Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI

POINT DE VUE11 JANVIER/FÉVRIER 2019

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DIPLOMATIE

Elue en juin 2018, aux côtés de l’Al-lemagne, la Belgique, l’Indoné-sie et la République dominicaine,

l’Afrique du Sud rentre au Conseil de sé-curité de l’Organisation des Nations unies (ONU), à partir de janvier 2019, pour sié-ger comme membre non-permanent, pen-dant deux ans. Si cette présence au sein de l’instance internationale est un enjeu majeur pour la résolution du conflit du Sahara comme le prétendent les autorités algériennes –premier soutien du Polisa-rio avec l’Afrique du sud–, les actions de Pretoria dans ce sens, contre les intérêts du Maroc pourraient surtout accroître les tensions avec le Royaume, pourtant, au-trefois, pays ami et soutien du père de la nation arc en ciel, Nelson Mandela et de son parti l’ANC. Au cours de l’histoire, les relations entre les deux pays ont connu de grands changements, entre solidarité, collaboration et brouilles diplomatiques. Retour sur ces dates clés qui ont marqué les rapports entre le Royaume et l’Afrique du Sud.

1960 : Soutien du Marocà la lutte de l’ANC

« L’Afrique du Sud partage des liens d’amitié historique avec le Maroc, de-puis que le Royaume a accueilli sur son sol les héros de notre lutte pour la libération, au début des années 1960 », déclarait, le 30 juillet 2016, le Directeur général de l’Afrique centrale et du Nord, au sein du ministère sud-africain des Af-faires étrangères, Graham Maitland, au cours d’une réception organisée par la représentation diplomatique du Maroc en Afrique du Sud, à l’occasion de la fête du Trône. En effet, les rapports entre le Maroc et l’Afrique du Sud remontent au début des années 60, lorsque Nelson Mandela a séjourné à Oujda, une ville au nord-est du pays, entre 1960 et 1962. A cette époque-là, le Royaume qui fai-sait figure d’exemple dans la lutte pour la libération des pays africains du joug colonial, après l’exil et le retour victo-rieux du Roi Mohammed V, allait être le premier à apporter une aide financière et matérielle, par l’entremise du ministre des Affaires africaines, le Dr Abdelkrim Khatib, au Congrès national africain (ANC), –parti politique sud-africain de la lutte anti-apartheid. Fondé en 1912, il avait pour mission de défendre les intérêts de la majorité « noire » contre la minorité « blanche ». Il a été déclaré hors-la-loi par le Parti national pendant l’apartheid en 1960–, à sa branche ar-mée Umkhonto we Sizwe (MK) et à son dirigeant.

« Je lui ai dit : je veux voir Sa Majesté votre Roi. Nous avons créé une armée. Nos soldats sont entraînés. Nous voulons des armes. Nous voulons de l’argent », racontait Nelson Mandela, au

cours d’un discours prononcé en 1995, dans lequel il rendait un vibrant hommage à « celui qui a été un des architectes de notre lutte armée », le Dr Khatib.

Mai 1994 : Le Maroc et l’Afrique du Sud

établissent officiellement des relations

diplomatiquesLe Maroc et l’Afrique du

Sud ont officiellement établi des rapports diplomatiques, depuis 1994. Entre les deux Etats, il était alors question de renforcer les relations bilatérales, à travers des accords de coopération dans des domaines variés tels que le transport aérien, la promotion commerciale, la recherche agronomique, la coopération institutionnelle, etc. Pour renforcer cette coopération, le Royaume a élevé son Bureau des intérêts, qui opérait à Preto-ria, depuis 1992, au niveau de l’Ambas-sade.

« Les relations ont connu alors un essor remarquable sous la présidence Mandela, avec échange de visites de responsables gouvernementaux dont, du côté Sud-africain, les deux présidents F.W. de Klerk et N. Mandela ainsi que M. Thabo Mbeki, alors responsable du Département des relations internatio-nales de l’ANC. Du côté marocain, on rappellera les visites du Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, et celle du Ministre des Transports. Au plan économique, cette période fut marquée par la négociation et la finalisation d’un certain nombre d’accords de coopération qui seront, formellement, signés en mai 1998, au Cap, lors de la première session de la Commission mixte maroco-sud-afri-caine, sous la coprésidence de Mme Aicha Belarbi, Secrétaire d’Etat à la Coopération, et M. Aziz Pahad, Vice-mi-nistre sud-africain des Affaires Etran-gères », documente l’Institut Royal Des Etudes Stratégiques, sur les relations entre le Maroc et l’Afrique du sud.

Septembre 2004 : Reconnaissance

de la pseudo République arabe sahraouie (RASD)

En septembre 2004, l’Afrique du Sud, alors dirigée par le Président Thabo Mbeki, prend officiellement position, reconnaît la Pseudo République arabe sahraouie démocratique (RASD) au-toproclamée par les séparatistes du Polisario et décide d’établir avec elle

des relations diplomatiques formelles. Comme on pouvait s’y attendre, cette nouvelle a été mal accueillie par le Royaume qui, jugeant inopportune la décision de Pretoria « de reconnaître la prétendue République arabe sahraouie démocratique, autoproclamée», a im-médiatement rappelé son ambassadeur «pour consultation». Le choix, lourd de conséquences, des autorités sud-afri-caines, et pour lequel le Maroc a expri-mé sa déception, a marqué le début de plus d’une décennie de froid diploma-tique entre Rabat et Pretoria. Toutefois, les relations diplomatiques entre les deux pays n’ont pas été rompues, mais reléguées au rang de chargé d’affaires.

Novembre 2017 : Réchauffement

des relations diplomatiquesEn marge du 5e sommet de l’union afri-

caine-Union européenne qui s’est tenu les 29 et 30 novembre 2017, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, Sa Majesté le Roi Moham-med VI s’est entretenu avec le Président sud-africain, Jacob Zuma. A cette occa-sion, les deux dirigeants ont affirmé leur volonté de travailler ensemble pour « se projeter dans un avenir prometteur ». Pour ce faire, ils ont convenu de main-tenir un contact direct et décidé d’une désignation prochaine d’ambassadeurs de haut niveau, à Rabat et à Pretoria.

Août 2018 : Reprise des relations diplomatiques entre

le Maroc et l’Afrique du SudL’an dernier, le Maroc et l’Afrique du

Sud ont, officiellement, décidé de re-nouer leurs relations diplomatiques. De ce fait, le Royaume a nommé un nouvel ambassadeur, treize années après le rap-pel du précédent, suite à la décision des dirigeants sud-africains de reconnaître la pseudo « RASD ». Le choix du Maroc s’est porté sur Youssef Amrani, ancien

ministre délégué aux Affaires étran-gères. Cette nomination aurait pu sonner le glas d’une longue période de froid diplomatique entre les deux puissances économiques africaines, mais depuis, l’ambassadeur, désigné par le Maroc, n’a toujours pas pris ses fonctions.

Janvier 2019 : L’Afrique

du Sud toujours opposée au Maroc sur la question

du SaharaMalgré le renouement de ses rela-

tions diplomatiques avec le Maroc, les positions de l’Afrique du Sud sur la question du Sahara marocain n’ont pas évolué. En visite en Algérie, à l’invita-tion du ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, la ministre des Relations extérieures et de la Coopération internationale de la République d’Afrique du Sud, Lindiwe Sisulu, a réaffirmé, dans un communiqué rendu public le 14 jan-vier 2019, le soutien de son pays au Poli-sario. Quelques jours avant, c’est le pré-sident sud-africain Cyril Ramaphosa qui déclarait : «Nous sommes aux côtés du Front Polisario ». Au vu de ce dévelop-pement, nous sommes en droit de nous demander ce que compte faire l’Afrique du Sud, durant son mandat, de deux ans, au Conseil de sécurité de l’ONU, sur la question du Sahara marocain. n

D.B

L’an dernier, le Maroc et l’Afrique du Sud ont, officiellement, décidé de renouer leurs relations diplomatiques. De ce fait, le Royaume a nommé un nouvel ambassadeur, treize années après le rap-pel du précédent.

JANVIER/FÉVRIER 2019 12

Maroc-Afrique du sud, une relation en dents de scie

S.M. le Roi Mohammed VI et Nelson Mandela.

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SAHARA

Khadija Skalli

Comme prévu, le Conseil de sécurité a tenu une ré-union, à huis-clos, mardi 29 janvier, sur la question du Sahara. L’Envoyé per-sonnel Secrétaire général des Nations unies, Horst Köhler, a annoncé la pré-paration d’un deuxième round des pourparlers entre les parties concer-nées, après celui de Ge-nève, en mars prochain.

L’émissaire de l’ONU pour le Sahara, Horst Köhler, a présenté,

mardi 29 janvier, à huis-clos, au Conseil de sécurité un briefing sur la table ronde, tenue les 5 et 6 décembre 2018, à Genève, sur le Sahara marocain. L’Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies a exprimé aux membres du Conseil de sécurité sa « satisfaction » quant aux « réalisations » accomplies. Il a également annoncé qu’il prépare un deu-xième round des pourparlers entre les parties concernées par ce conflit à savoir le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Polisario.

L’ancien président allemand a informé les membres du Conseil de son intention de mener des contacts directs, en février, avec les parties concernées, dans la perspective d’organiser un deuxième round, probable-ment en mars prochain. Toutefois, Horst Köhler n’a précisé ni la date ni le lieu de la rencontre. L’agenda sera certainement établi suite aux réunions individuelles que Köhler tiendra, au cours de ce mois de fé-vrier, avec les quatre parties participantes à savoir le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Polisario.

L’émissaire de l’ONU pour le Sahara a réitéré, devant le Conseil de sécurité, son en-gagement pour la résolution de ce différend. Il a exprimé sa volonté d’aboutir à « une so-

lution réaliste, pratique et durable » à cette question. Les membres du Conseil, de leur côté, satisfaits des « avancées » réalisées sur le dossier du Sahara, ont exprimé leur soutien aux efforts de Köhler.

A noter que la reprise des pourparlers et du processus politique, en décembre dernier, à Genève, a été jugée « encourageante » et « très positive » notamment par l’émissaire de l’ONU. Rappelons que les pourparlers directs de début décembre 2018 à Genève, sous l’égide de l’ONU, étaient les premières discussions depuis six ans. Les négociations étant à l’arrêt depuis 2012.

Par ailleurs, Köhler a indiqué, que le Programme des échanges des visites entre les familles sahraouies vivant dans les camps de Tindouf, en Algérie et au Saha-ra, devrait reprendre en mars. La reprise de ce programme s’inscrit dans le cadre du renforcement des mesures de confiance. Ce programme des échanges de visites entre familles sahraouies a été, pour rap-pel, suspendu par le mouvement sépara-tiste en 2013.

C’est en 2004 que les Nations unies ont initié ce programme, à travers le Haut-Com-missariat pour les réfugiés (HCR). Il a per-mis à des milliers de Sahraouis des camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie, de vi-siter leurs proches au Sahara. Toutefois, en 2013, le programme a été suspendu, unila-téralement, par le Front Polisario.

La question du Sahara a été soulevée, mardi 29 janvier, lors du point de presse quotidien du porte-parole du Secrétaire gé-néral de l’ONU. « Je pense que le mot du jour reste « réalisme », et lorsque l’Envoyé personnel sera prêt à annoncer un nouveau tour, il le fera », a indiqué Stephan Dujarric, en réponse à une question d’un journaliste sur « le moment propice » de la reprise des pourparlers sur le Sahara.

« Il ne faut pas se faire des illusions. Ce dossier demandera beaucoup de travail de notre part et de toutes les parties concer-nées pour avancer », a-t-il précisé.

Le Maroc reste fort convaincu de la jus-tesse de sa cause nationale et confiant en le processus onusien. n

la reprise des pourparlers et du processus politique, en décembre dernier, à Genève, a été jugée « encourageante » et « très positive » notamment par l’émissaire de l’ONU.

13 JANVIER/FÉVRIER 2019

Horst Köhler convoque un deuxième round des pourparlers en mars

Le Maroc reste fort convaincu de la justesse de sa cause nationale et confiant en le processus onusien.

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AFRIQUE

Par Othmane Semlali

A l’approche de la course vers le Pa-lais d’Abidjan en 2020, les événe-ments semblent se succéder à une

vitesse vertigineuse en Côte d’Ivoire, fai-sant que la scène politique dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, se placera désormais sous la loupe d’experts et d’observateurs parmi les plus avertis.

Face aux gesticulations à répétition des principaux acteurs politiques ivoiriens, la question qui se pose est celle de savoir si la Côte d’Ivoire serait en mesure de préserver la paix et la stabilité pour la tenue d’élection présidentielle apaisée en 2020 ? La question est d’autant plus légitime que ce pays a tra-versé des moments difficiles et des pages sombres par le passé notamment, avec une crise postélectorale de 2010- 2011 aux sé-quelles les plus marquantes à ce jour. Une crise qu’on puisse qualifier pour la moindre de «sanglante» et «meurtrière», avec plus de 3.000 vies humaines perdues et des milliers de familles endeuillées, selon les chiffres des Nations unies.

La question est logique car, la Côte d’Ivoire qui, depuis 2011, plus précisément depuis l’accession officielle du Président Alassane Dramane Ouattara (ADO) aux commandes de son pays, continue de réali-ser des performances économiques considé-rables : entre autres, un taux de croissance annuel soutenu, aux alentours de 10%, de grandes performances dans le Doing Bu-siness 2019, etc. Un exploit qui n’était guère possible sans un véritable climat de paix et de stabilité, et de renforcement de l’édifice démocratique, gage de toute confiance des investisseurs. Ceci dit, si les Ivoiriens se trouvent épuisés par les longues années de crises politico-militaires et aspirent plus à une paix durable et une réconciliation effec-tive, 2020 serait-elle celle de la consolida-tion de ces acquis ?

ADO et les promesses d’une présidentielle apaisée

en 2020 :Dans son discours adressé aux Ivoiriens,

à l’occasion du nouvel an 2019, Alassane Dramane Ouattara a promis de continuer à consolider l’édification démocratique de la Côte d’Ivoire. « Notre débat démocratique doit être à la mesure des attentes des Ivoi-riens, conforme à nos idéaux de tolérance, de respect et de paix. Il y va de la consolida-tion de notre démocratie et de la stabilité de notre Nation », a-t-il souligné.

A ce propos, des instructions ont été données au Premier ministre à l’effet d’in-viter dès le mois de janvier, les respon-sables des partis politiques à se joindre au gouvernement en vue de réexaminer la nouvelle composition de la Commission électorale indépendante (CEI) et ce, en prenant compte des recommandations de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, pour que cette instance

soit à la hauteur de la Présidentielle de 2020.

Alassane Ouattara a rappelé qu’au-delà des divergences politiques, il n’y a qu’une « seule Côte d’Ivoire, notre patrie com-mune ». Elle est une et indivisible. C’est pourquoi, a-t-il dit, « nous devons veiller à ce que les mutations politiques en cours ne fragilisent pas la cohésion des Ivoiriens ».

Si dans sa missive adressée à la nation, ADO s’est engagé solennellement à conti-nuer à travailler pour l’union et le rassem-blement de tous les Ivoiriens autour des idéaux de paix, de dialogue et de fraternité, tels que légués par le Président Félix Hou-phouët-Boigny, sur le terrain, beaucoup d’événements laissent prédire que cette ambition ne serait nullement une entreprise aisée.

La rupture RDR et PDCI-RDA ouvre le pays

sur d’autres scénarii :A commencer par la rupture entre ADO

(fondateur du parti le Rassemblement des Républicains : RDR), et Henri Konan Bé-dié (HKB), patron du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) en raison, de di-vergences de taille concernant le parti unifié dit : le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), et le rejet par le RDR de toute alternance en 2020 en faveur d’un président PDCI. Ce re-trait du PDCI de la coalition au pouvoir, dit-on, laisse dire que c’est toute une coalition RHDP qui gouvernait le pays depuis 2011, qui a volé en éclat.

Au lendemain de cette rupture, HKB œuvre pour un PDCI, nouvelle version, qui émet tout l’espoir de pouvoir renforcer cette formation politique et mieux la préparer pour les prochaines élections présidentielles, sans exclure la possibilité de recourir à des alliances avec d’autres partis politiques. En effet, ce n’est pas uniquement cette rupture avec le parti unifié (RHDP) qui a marqué,

ces derniers mois, la vie de la plus vieille for-mation politique de Côte d’Ivoire. Le PDCI est en phase d’opérer des réaménagements internes. Devant ce chantier mené par HKB, c’est le 23 décembre 2018, qu’un collectif de ministres PDCI avec à leur tête, l’ex-Pre-mier ministre et actuel vice-Président de la République de Côte d’Ivoire, Daniel Kablan Duncan, qui vient annoncer la création du mouvement PDCI- Renaissance au sein de ce Parti.

Dire « Niet » à la rupture du PDCI d’avec les autres partis membres du RHDP afin que se poursuive le dialogue entre les Présidents Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Voici là, l’essentiel du message dont étaient porteurs Daniel Kablan Duncan, Albert François Amichia, Siandou Fofana et l’en-semble des autres ministres membres du PDCI-RDA.

Faisant montre de sa « grande sagesse » , Daniel Kablan Duncan avait estimé que les enjeux et les défis pour la paix aux-quels la Côte d’Ivoire fait face, doivent maintenir le PDCI dans l’esprit du dia-logue permanent avec ses frères et sœurs de l’alliance des Houphouetistes. Il avait estimé, certes, légitime pour le PDCI de vouloir accéder au pouvoir d’Etat mais, cela ne pourra se faire nulle part ailleurs qu’avec le RHDP. Cela laisse comprendre que ce collectif des ministres PDCI ne dit pas « solennellement » qu’il quitte le PD-CI-RDA, ni encore qu’il adhère désormais au RHDP unifié. Seulement, il refuse la rupture entre ces deux formations et pré-conise le dialogue.

Il a donc fallu attendre le jeudi 03 janvier 2019, pour que le divorce soit désormais consommé entre le « Sphinx de Daoukro », et Daniel Kablan Duncan, compte tenu des divergences de vue entre les deux hommes d’Etat concernant le RHDP unifié. Dans ce cadre, HKB a finalement décidé d’éloigner Daniel Kablan Duncan de la vice-présidence du PDCI ainsi que trois autres ministres pro- RHDP.

Si les Ivoiriens se trouvent épuisés par les longues années de crises politico-militaires et aspirent plus à une paix durable et une réconciliation effective, 2020 serait-elle celle de la consolidation de ces acquis ?

Il a donc fallu attendre le jeudi3 janvier 2019, pour que le divorce soit désormais consommé entre le « Sphinx de Daoukro », et Daniel Kablan Duncan, compte tenu des divergences de vues entre les deux hommes d’Etat concernant le RHDP unifié.

JANVIER/FÉVRIER 2019 14

La Côte d’Ivoire tend-ellevers une Présidentielle apaisée en 2020 ?

Dans son discours de fin d’année, Alassane Ouattara a dévoilé son plan de bataille et promis de continuer à consolider l’édification démocratique de la Côte d’Ivoire.

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AFRIQUE

Au rang des personnalités du PDCI qui subissent le courroux de HKB, figurent aussi Patrick Achi qui occupe le poste de secrétaire général de la Présidence ivoi-rienne, Théophile Ahoua N’Doli, Jean Claude Kouassi, Aka Aouélé et François Albert Amichia. D’autres personnalités, no-tamment le Gouverneur d’Abidjan, Robert Beugré Mambé, Jeannot Ahoussou-Koua-dio et Charles Koffi Diby, respectivement président du Sénat et président du Conseil économique, social, environnemental et culturel.

Quid des nouveaux scénarii du PDCI- RDA sur la scène politique ivoirienne ? Toute la question qui se pose est de savoir si le PDCI mènera le combat seul en prélude à la Présidentielle de 2020 ou s’il accepte-ra d’adhérer à des alliances politiques pour augmenter ses chances lors des prochaines joutes électorales ? Dans ce sillage, on se rappelle la rencontre de HKB avec le lea-der du Front populaire ivoirien (FPI- op-position), Pascal Affi N’Guessan, au terme de laquelle, HKB s’est dit favorable à un rapprochement avec son ennemi politique d’autrefois.

« Rien ne s’oppose à ce que dans une plateforme comportant toutes les forces vives de la Nation, dont les partis politiques, le PDCI et le FPI se retrouvent ensemble », a-t-il assuré.

Si, une telle alliance arriverait à prendre corps, elle aurait toutes les chances de dé-crocher de meilleurs résultats. Ces deux for-mations politiques disposent de larges bases populaires et d’un nombre conséquent de sympathisants sur l’ensemble du sol ivoi-rien. Une rencontre similaire a été tenue à Daoukro entre HKB et Guillaume Kigbafori Soro, président de l’Assemblée nationale, dont les membres du mouvement dit les « Soroistes » affichent déjà l’ambition de le voir briguer un mandat pour 2020.

L’acquittement de Laurent Gbagbo par la CPI et ses retombées

Mieux encore, la décision prise mardi 15 janvier 2019, par la Cour pénale interna-tionale (CPI) au sujet de l’acquittement de l’ancien Président, Laurent Gbagbo, et de son bras droit, Charles Blé Goudé, n’a pas laissé HKB indifférent. Ce dernier, dans un communiqué officiel rendu public le 15 janvier 2019 depuis Daoukro, son fief, a, au nom du PDCI, exprimé sa grande joie de la libération définitive de Gbagbo.

« Je me félicite et salue, au nom du PD-CI-RDA et de mes compatriotes, cette dé-cision courageuse qui honore la justice in-ternationale », écrit-il, avant d’affirmer que « cette décision m’apparait assurément être une opportunité qui renforce les chances de la réconciliation nationale et de la consoli-dation d’une paix durable dans notre démo-cratie ». Si l’acquittement de Gbagbo des charges de «crimes contre l’humanité» a constitué, sans nul doute, un événement ma-jeur aux répercussions directes sur la scène politique ivoirienne, la CPI vient de sus-

pendre mercredi soir 16 janvier 2019, cette décision après un nouvel appel interjeté par le Procureur de cette juridiction.

Suite à cet appel, la CPI a décidé que les deux hommes doivent «rester sous sa garde» jusqu’à ce que l’appel du parquet contre leur acquittement soit examiné. Gba-gbo et Blé Goudé avaient à leur charge 4 chefs d’accusation à savoir : crimes contre l’humanité, meurtres, viols et persécutions et autres actes inhumains. En cas d’acquit-tement total de Gbagbo, plusieurs questions trouvent leur justification à savoir : Décide-ra-t-il de regagner la Côte d’Ivoire ? Quel rôle jouerait-il sur l’échiquier politique ivoi-rien en prélude à la Présidentielle de 2020 ? Réussirait-il à réunifier les rangs du FPI ?

Dans cette même logique, la décision de la CPI du 15 janvier 2019 a provoqué une grande liesse au sein des partisans du fils de la commune abidjanaise de Yopougon, poussant le gouvernement à appeler les Ivoiriens à « garder de la compassion pour les victimes» de la crise postélectorale de 2010- 2011. Pour les autorités ivoiriennes, le retour à la Côte d’Ivoire est une décision qui revient à Laurent Gbagbo, appelant «l’ensemble des populations au calme, au pardon et à la réconciliation ».

Et Guillaume Soro dans ce nouveau paysage

politique ivoirien ?Homme politique fort de la Côte d’Ivoire,

le patron de l’hémicycle, Guillaume Kig-bafori Soro (GKS), continue de susciter la curiosité des observateurs. Le 17 décembre 2018, au-lendemain de la rupture consom-mée entre le RDR et le PDCI-RDA, on assistait à une rencontre solennelle entre HKB et GKS dit son « protégé », « son fils brillant », « valeureux et courageux ». Un rapprochement politique qui n’a pas été vu du même œil par des acteurs politiques ivoi-riens. Certains allaient jusqu’à avancer que si les deux hommes rejettent l’adhésion à un parti unifié, chacun d’eux demeure ani-mé par des ambitions présidentielles qui devraient les diviser. D’autres voient dans cette concertation une « trahison » au chef de l’Etat, ADO. D’autres y voient un rap-prochement de circonstance en arrivant mal à concevoir comment une conciliation avec le FPI pourrait prendre corps.

Face à toutes ces interprétations «poli-ticiennes», il ne faut pas oublier que les deux hommes politiques entretenaient des relations depuis 23 ans après des années de militantisme politico-syndical mené par GKS au cours desquelles, il avait fait preuve d’une intelligence remarquable et d’une vi-sion stratégique en matière de gouvernance politique. Aux termes donc de cette ren-contre, GKS n’avait pas affiché clairement ses ambitions pour la Présidentielle de 2020, se contentant de faire valoir les valeurs de paix, du pardon et de réconciliation comme condition sine qua non d’un avenir radieux pour la Côte d’Ivoire.

Il a aussi démenti toute allégation concer-nant sa rupture avec ADO, notant avoir in-formé le locataire du Palais d’Abidjan, de

son déplacement à Daoukro. Le 13 janvier 2019, Guillaume Soro a fait couler encore beaucoup d’encre après avoir effectué des visites fraternelles et de solidarité, aux dé-putés Jacques Ehouo (PDCI) et maire du Plateau, accusé de détournement de fonds, et Alain Lobognon, un proche de Soro placé sous mandat de dépôt et incarcéré à la prison d’Abidjan. Un autre fait majeur qui a suscité l’intérêt des médias a été relayé par l’hebdo-madaire Jeune Afrique qui dans sa livraison avait annoncé que fin décembre 2018, onze membres de la garde rapprochée de Soro ont été envoyés en formation sans être rempla-cés.

Pour sa part La Lettre du Continent, croyait savoir que Soro a signifié, orale-ment, à Alassane Ouattara, sa démission du poste de président de l’Assemblée nationale, lors de leur entrevue du samedi 5 janvier 2019. Le conseiller en communication de Soro, Moussa Touré, appelé à tirer au clair ces affaires, a affirmé qu’effectivement des membres de la garde rapprochée de Soro ont été rappelés sans avancer de chiffres. Et d’ajouter que «depuis 2014, on a assisté à une réduction progressive des éléments de la garde rapprochée» sans fournir de commentaires ou de critiques à ce sujet. Concernant l’éventuelle démission remise «oralement» au président de la République, Moussa Touré s’est dit «fortement surpris», avant de rappeler le principe de la sépara-tion des pouvoirs. Il a précisé à ce sujet que «Si M. Soro, Président de l’Assemblée na-tionale devait remettre sa démission, ce ne serait pas au Président de la République Alassane Ouattara. Mais plutôt au collège de députés l’ayant élu».

Toutefois, malgré ces précisions, plusieurs médias ivoiriens continuent de parler d’une «hypothèse très sérieuse» de démission du PAN (président de l’Assemblée nationale), car c’est bien lui qui s’est montré peu favo-rable à la création du parti unifié (RHDP). Aussi, il s’est montré distant des préparatifs du congrès du parti unifié prévu le 26 janvier 2019. A cela s’ajoute qu’au sein du RDR (parti d’origine de Soro) certains cadres ap-pellent déjà à sa démission en cas de rejet du RHDP. Du côté de son entourage, on tient à avancer que si le Patron de l’Assemblée na-tionale sera amené à jeter l’éponge, ce serait pas en raison de «pressions» qu’on lui fait subir mais plutôt, «un choix délibéré» moti-vé par des raisons personnelles car, c’est bien lui qui cherche désormais à se donner du temps pour glaner des diplômes, en décidant d’obtenir un «Ph D en Finances» à la pres-tigieuse université américaine de Harvard après avoir décroché un MBA en finances de l’école de commerce de Lyon.

De ce qui précède, la Côte d’Ivoire du XXIe siècle saura, sans nul doute, compter sur ses fils et ses filles, ceux et celles épris de justice, de paix et de stabilité pour fran-chir le cap de 2020 et poursuivre sa marche vers le développement, le progrès et l’émer-gence. Le pays a réalisé de grands acquis sur la voie du pardon et de la réconciliation, et ne serait en aucun cas prêt à les faire tomber dans l’eau, pour laisser le champ libre à des calculs politico-politiciens étriqués. n

15 JANVIER/FÉVRIER 2019

La Côte d’Ivoire tend-elle vers une Présidentielle apaisée en 2020 (Suite)

En cas d’acquittement total de Gbagbo, plusieurs questions trouvent leur justification à savoir : Décidera-t-il de regagner la Côte d’Ivoire ? Quel rôle jouerait-il sur l’échiquier politique ivoirien en prélude à la Présidentielle de 2020 ?

La Côte d’Ivoire du XXIe siècle saura, sans nul doute, compter sur ses fils et ses filles, ceux et celles épris de justice, de paix et de stabilité pour franchir le cap de 2020 et poursuivre sa marche vers le développement, le progrès et l’émergence.

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AFRIQUE

Désiré Beiblo

Les juges de la Cour pénale interna-tionale ont ordonné, mardi le 15 jan-vier, la remise en liberté immédiate de l’ex-Président ivoirien Laurent Gba-gbo, jugé aux côtés de son bras droit, l’ex-ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé, pour crimes contre l’huma-nité dans la crise post-électorale qui a secoué la Côte d’Ivoire, entre 2010 et 2011. A deux ans d’une présidentielle qui cristallise les débats, cette libération pourrait reconfigurer la scène politique dans le pays.

La Cour pénale internationale (CPI) s’est prononcée, le 15 janvier 2019, en première instance, en faveur de

l’acquittement des accusés, après plusieurs années de procès, et a ordonné leur remise en liberté immédiate.

« La Chambre fait droit aux demandes d’acquittement présentées par Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé (ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes, fidèles à M. Gbagbo) concernant l’en-semble des charges » retenues contre eux et « ordonne la mise en liberté immédiate des deux accusés », a déclaré le juge président Cuno Tarfusser. Et pour cause, les juges ont estimé que le procureur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve.

Cependant, cette remise en liberté im-médiate a été suspendue, dans un premier temps, à la demande du procureur, dans l’attente d’un nouvel appel, puis confir-mée, le jour suivant, par la chambre qui a rejeté, à la majorité, la requête du pro-cureur de maintenir l’ex-président et son ancien ministre en détention. Toutefois, la Cour pénale internationale a, une nouvelle fois, suspendu la libération immédiate des acquittés, le vendredi 18 janvier, après un deuxième appel de la procureure Fatou Bensouda à la suite duquel, la Chambre d’appel a décidé du maintien en détention de l’ex-président ivoirien et de son co-ac-cusé, jusqu’à l’audience du 1er février.

En Côte d’Ivoire, la nouvelle de l’ac-quittement et de la libération a donné lieu, à la fois, à des manifestations de joie mais aussi de colère, dans certains quartiers de la capitale Abidjan et dans certaines villes de l’intérieur du pays.

De son côté, le gouvernement ivoirien a pris acte de la décision de la CPI et a appe-lé « l’ensemble des populations au calme, au pardon et à la réconciliation ».

Si cette libération est diversement ap-préciée dans les camps Gbagbo et Ouat-tara –Alassane Ouattara, actuel Président ivoirien opposé à Laurent Gbagbo, lors du second tour des élections de 2010 dont la crise post-électorale a occasionné 3.000 morts – c’est surtout le champ politique ivoirien, déjà mouvementé, qui risque d’en être ébranlé. En effet, si la remise en liberté de Laurent Gbagbo, suite à son ac-quittement «surprise», est effective avant

l’élection présidentielle de 2020, elle viendra jeter un pavé dans la mare.

Porté au pouvoir en 2010 et 2015 par le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), une coa-lition de plusieurs partis politiques dont les poids étaient le RDR et le PDCI-RDA, le Président Alasanne Ouattara achève son second mandat à la tête du pays ; mais le paysage politique a bien évolué depuis sa réélection et le maintien de sa coalition au pouvoir en 2020 n’a rien d’une évidence.

De nouveaux rapports de force

La possibilité d’un retour de Laurent Gbagbo dans l’arène politique en terre d’Eburnie intervient à une période de grande recomposition des forces poli-tiques en Côte d’Ivoire, sous fond de tension entre le RDR d’Alassane Ouatta-ra –en route pour devenir, avec d’autres formations, le RHDP unifié– et son allié d’hier le PDCI d’Henri Konan Bédié.

En effet, au mois d’août, le premier parti politique ivoirien a quitté officielle-ment la coalition au pouvoir et a rejoint les rangs de l’opposition, après avoir soutenu la candidature du Président Ouattara, du-rant les deux dernières élections présiden-tielles.

Comme raison, le PDCI a évoqué des mésententes et des promesses non tenues en rapport avec l’alternance au cœur du deal entre les dirigeants des deux partis. Depuis, Henri Konan Bédié a entamé un rapprochement avec d’autres partis d’op-position, y compris le FPI de Laurent Gbagbo dans le but de créer une plate-forme pour barrer la route au parti d’Alas-sane Ouattara à la prochaine élection.

Une autre «défection» ou presque dans le camp de la coalition au pouvoir, celui du président de l’Assemblée nationale, réputé proche de Bédié, à qui l’on prête des ambitions présidentielles mais qui n’a toujours pas pris de position officielle sur

une prochaine candidature à la magistra-ture suprême, se tenant à l’écart des ten-sions entre le RDR et PDCI.

Mais si la fracture de l’ancienne coali-tion peut laisser penser que le parti pré-sidentiel est affaibli, pour de nombreux observateurs, le Président Ouattara tient la barre et le prochain congrès du RHDP unifié –le 26 janvier 2019– qui se veut une plateforme d’union des partis politiques, devrait confirmer la force du groupement au pouvoir.

FPI, le retour en grâce ?Le 7 août dernier, le Président de la répu-

blique de Côte d’Ivoire a amnistié 800 pri-sonniers de la crise post-électorale parmi lesquelles une majorité de personnalités et de militants du Front populaire ivoirien (FPI). Cette décision, de nature à apai-ser les tensions et poser les bases d’une réconciliation nationale, a été saluée par toute la classe politique ivoirienne, mais elle a surtout été perçue comme un coup de maître de la part d’Alassane Ouattara qui, en remettant Simone Gbagbo dans le jeu politique, a coupé l’herbe sous les pieds du PDCI qui lorgnait sur les sympa-thisants du FPI.

Il faut, toutefois, noter que cette am-nistie ne concerne pas Laurent Gbagbo. En effet, l’ancien Président ivoirien a été condamné, en janvier 2018, à 20 ans de prison et à 329 milliards FCFA d’amende pour le braquage de l’Agence nationale de la (BCEAO), pendant la crise post-électo-rale. Il pourrait donc faire face à la justice ivoirienne, après l’épisode de la Cour pé-nale internationale.

Mais déjà, plusieurs observateurs af-firment qu’il sera, indubitablement, au centre de la prochaine élection présiden-tielle. Les cartes de la politique ivoirienne sont donc rebattues, avec les mêmes ac-teurs de la présidentielle de 2010, mais avec de nouvelles positions et de nou-velles alliances.

Le suspense reste entier. n

JANVIER/FÉVRIER 2019 16

La libération de Laurent Gbagbo redistribue les cartes du jeu politique

En Côte d’Ivoire, la nouvelle de l’acquittement et de la libération a donné lieu, à la fois, à des manifestations de joie mais aussi de colère, dans certains quartiers de la capitale Abidjan et dans certaines villes de l’intérieur du pays.

Les cartes de la politique ivoirienne sont donc rebattues, avec les mêmes acteurs de la pré-sidentielle de 2010, mais avec de nouvel

Présidentielle de 2020 : que va faire Laurent Gbagbo ?

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ÉLECTIONS

Désiré Beiblo

La dernière élection prési-dentielle en République démo-cratique du Congo (RDC) est, incontestablement, l’un des évé-nements les plus retentissements de la fin de l’année 2018 et de ce début 2019. Déjà reporté à trois reprises, depuis 2016, le scru-tin du 30 décembre dernier qui a consacré, à la surprise géné-rale, la victoire, immédiatement contestée, de l’opposant Félix Tshisekedi, pourrait ne pas en avoir fini avec les rebondisse-ments spectaculaires.

Il aura fallu patienter de longs jours, après la fermeture des bureaux de vote pour connaître, enfin, le successeur de

Joseph Kabila, au pouvoir, depuis le 17 janvier 2001, après l’assassinat de son père Laurent Désiré Kabila, puis réélu en 2011. La Céni a déclaré le 9 janvier, Felix Tshisekedi, 55 ans, vainqueur avec 38,57% des voix, devant Martin Fayulu, avec 34,8% des voix. Si l’élection du fils de l’opposant historique du régime Kabila a permis au pays de connaître sa première alternance démocratique, le premier fait majeur qu’il a enregistré, est une contes-tation tous azimuts. En effet, les résultats à peine prononcés, le candidat Martin Fayu-lu a dénoncé, depuis Paris, un « putsch électoral » et déclaré que « ces résultats n’ont rien à voir avec la vérité des urnes ». A sa suite, un ballet de contestations tant au niveau national qu’international a abon-dé dans le même sens.

Une présidentielle sous haute tension

La question du vainqueur de l’élection présidentielle s’est très vite imposée au cœur des débats, bien avant la divulgation des résultats par la Céni. En effet, quatre jours après la fermeture des bureaux de vote, l’église catholique congolaise, à tra-vers la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), a déclaré connaître le nom du vainqueur alors que les centres locaux de compilation des résultats étaient à 20% de collecte, comme l’a révélé Corneille Nangaa, président de la Céni. Celui-ci avait, par ailleurs, interpelé vigoureusement la puissante conférence épiscopale : « Arrêtez de nous intimider, arrêtez d’essayer d’influencer la décision de la Céni ». L’organisation religieuse qui a déployé 40.000 observateurs électoraux sur tout le territoire national, a, très vite, remis en question les résultats provisoires proclamés par la Céni qui « ne corres-pondent pas aux données collectées », donnant Felix Tshisekedi gagnant de la présidentielle, sans, toutefois, commu-niquer les chiffres en sa possession ou

donner le nom du vrai vainqueur qui, se-lon certaines indiscrétions, serait Martin Fayulu. Même son de cloche de la part des gouvernements belge et français qui ont appelé au respect de la volonté du peuple congolais. Si le conseil de sécu-rité de l’ONU, saisi par la France, a sa-lué le bon déroulement des élections, à l’instar des observateurs nationaux et internationaux, les Etats-Unis avaient, très tôt, pris leurs distances sur le dérou-lement du scrutin. « Les élections retar-dées n’étaient ni libres ni équitables (...) Rien de tout cela n’est une surprise (...) Les États-Unis doivent redoubler d’ef-forts pour soutenir le peuple congolais, qui souhaite une transition pacifique et un gouvernement qui réponde à ses prio-rités », a déclaré Ed Royce, le président de la commission des Affaires étrangères du Congrès américain, au lendemain de l’élection.

L’Union africaine mise en difficulté

Alors que la pression internationale est toujours aussi forte, la Cour constitution-nelle saisie par l’opposant Martin Fayulu, qui exigeait un nouveau décompte des voix, a confirmé, le 20 janvier, la victoire de Félix Tshisekedi. Cette confirmation a pris, à contre-pied, les chefs d’Etats de l’Union africaine qui, concluant «à l’existence de sérieux doutes quant à la conformité des résultats provisoires des élections, tels que proclamés par la Commission électorale nationale in-dépendante, avec les votes exprimés », avaient appelé la Cour constitutionnelle

à la « suspension » de la proclamation des résultats définitifs, dans l’attente de l’envoi d’une « délégation de haut ni-veau comprenant le Président de l’Union et d’autres chefs d’État et de Gouverne-ment, ainsi que le Président de la Com-mission de l’UA, pour dialoguer avec toutes les parties prenantes congolaises, aux fins de parvenir à un consensus sur une sortie de la crise post-électorale dans le pays ». Mais c’est surtout le désaveu de plusieurs puissances du continent –l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanza-nie, le Burundi– de même que la Com-munauté de développement de l’Afrique australe (SADC), qui se sont empressés de féliciter le nouveau président de la RDC, qui a contraint l’Union africaine à annuler sine die sa mission, prévue lundi 21 janvier, à Kinshasa. Dans un communiqué, l’institution africaine a dit « prendre note » de la décision de la Cour constitutionnelle et indiqué le report de « la visite de la délégation de haut ni-veau qui devait se rendre à Kinshasa », appelant, par ailleurs, « tous les acteurs concernés » à œuvrer « à la préservation de la paix et de la stabilité, ainsi qu’à la promotion de la concorde nationale dans leur pays ».

Vers un isolement de Martin Fayulu ?

Suite à la confirmation par la Cour constitutionnelle de l’élection de son adversaire, Félix Tshisekedi, l’opposant Martin Fayulu a appelé ses partisans et le peuple congolais à « des manifesta-tions pacifiques sur toute l’étendue du

territoire national » pour faire respecter la vérité des urnes. « Je me considère, désormais, comme le seul président légitime de la République démocratique du Congo. Dès lors, je demande au peuple congolais de ne pas reconnaître tout individu qui se prévaudrait illégitimement de cette qualité, ni obéir aux ordres qui émaneraient de lui. Je demande, par ailleurs, à l’ensemble de la communauté internationale de ne pas reconnaître un pouvoir qui n’a ni légitimité, ni qualité légale pour représenter le peuple congolais. D’ores et déjà, je lance un appel pressant à notre peuple pour qu’il se prenne en charge, en organisant des manifestations pacifiques sur toute l’étendue du territoire national, en vue de défendre sa souveraineté », a-t-il lancé. Mais selon certains observateurs de la scène politique en RDC, le soutien apporté au candidat unique de l’oppo-sition congolaise pourrait s’essouffler très rapidement, après la confirmation de la Cour constitutionnelle, une fois que plusieurs organismes nationaux et internationaux ont déclaré en avoir pris note. En outre, au sein de ses militants, certains seraient prêts à accepter les ré-sultats proclamés, voyant en l’élection de Felix Tshisekedi, le premier triomphe de l’opposition congolaise et l’ouverture du pays sur la démocratie. Cependant, et à bien des égards, Joseph Kabila, en fin stratège, pourrait bien être le grand ga-gnant de cette présidentielle. Celui dont la connivence avec le président, nouvel-lement élu, est décriée, serait -selon cer-taines voix- le maître d’œuvre de cette élection. n

17 JANVIER/FÉVRIER 2019

RDC : Qui a réellement gagnéles élections ?

Félix Tshisekedi a juré «solennellement devant Dieu et la Nation d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la république».

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INTERNATIONAL

Dr. Charles Saint-Prot

S igné à Aix la Chapelle, le traité franco-allemand du 22 janvier 2019 prévoit, tout uniment, une « conver-

gence » des deux pays en politique étran-gère, défense, sécurité extérieure et inté-rieure, économie, industrie, commerce, social, fiscal, langues (sans doute l’an-glais), exportation d’armement, diploma-tie, lutte contre la criminalité organisée, judiciaire, juridique, environnemental, climat, sanitaire, énergétique, intelligence artificielle, transports, renseignement, police, culture, enseignement, recherche et mobilité ! Outre l’ébauche d’une pré-tendue armée européenne, le texte pré-voit également la création d’un «Conseil des ministres franco-allemand» et qu’un membre du gouvernement d’un des deux États prendra part, «une fois par trimestre au moins et en alternance, au Conseil des ministres de l’autre État». En somme, c’est quasiment une fusion dont même le Troisième Reich n’aurait osé rêver.

Coralie Delaume écrit dans un ex-cellent ouvrage que certains parlent, à tout bout de champ, d’un « couple fran-co-allemand » qui serait la locomotive de l’Europe ; selon la propagande européiste, abondamment diffusée par les médias et la classe dirigeante, les deux pays seraient à égalité pour conduire l’Union européenne. C’est, naturelle-ment, une baliverne. Coralie Delaume note, fort justement, que les structures de l’Union européenne entraînent une consolidation du poids de l’Allemagne chaque fois qu’elle agit dans le sens de l’affirmation ou de la préservation de ses intérêts nationaux. C’est ce que Berlin fait désormais de manière systématique, à l’exact opposé de la France, dont les dirigeants s’inscrivent dans une perspec-tive post-nationale et défaitiste. Loin de former un couple avec l’Allemagne, la France est donc à sa remorque.

« Il n’y a rien de pire que l’équivoque »

La question allemande est la seule grande question de l’Europe, disait Jacques Bainville. L’une des pires ruses du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. L’Allemagne a utilisé ce stratagème durant une trentaine d’années et tout le monde avait cru découvrir un pays nor-malisé, tranquille et amical. À cet égard, il convient de démonter la baudruche de la fameuse « indéfectible amitié fran-co-allemande » et d’en souligner les arrière-pensées et les malentendus.

La réunification des Allemagnes en octobre 1990, à l’encontre de la poli-tique millénaire de la France et qui a recréé en Europe un déséquilibre ; l’er-reur historique de la création de l’euro

(2001), géré à Francfort ; les élargissements à une Europe de l’Est anschlussée par Ber-lin ; l’arrogance d’un Reich sûr de lui et dominateur, ont signé l’avènement d’un nouvel Empire germanique. Dans ces conditions, le prétendu couple franco-allemand est un mythe. Ce qui se passe depuis la ridi-cule rencontre Mitterrand-Kohl à Verdun, puis le lâche renon-cement mitterrandien de 1990 n’a rien de commun avec le traité franco-allemand signé, en 1963, entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer, chancelier de l’Allemagne de l’Ouest.

Cet accord n’a jamais visé à créer un quelconque axe franco-allemand mais simplement à tourner une page de l’Histoire. Pour le reste, on doit garder en mémoire les paroles d’Adenauer à Charles de Gaulle, après la signature du traité : « Alors mon Général, vous avez encore peur de l’Allemagne ? – Bien sûr que non, répondit celui-ci. – Vous avez tort, mon général, moi, j’en ai peur. ». Ce catholique rhénan, partisan de l’au-tonomie de sa province rhénane après la Première Guerre mondiale, voulait dire par là qu’il craignait le retour au pou-voir des Allemands du Nord, Prussiens et autres. Or, n’est-ce pas ce qui s’est passé avec Angela Merkel, fille d’un pas-teur ayant choisi l’Allemagne de l’Est ? Au XXIe siècle, l’Allemagne, redeve-nue prussienne depuis la funeste uni-fication de 1990, est bien l’« homme dangereux de l’Europe » dont se méfiait tant le chancelier Adenauer, hostile à l’idée d’une unification des Allemagnes qui conduirait à créer une puissance germanique incontrôlable.

Jacques Bainville a écrit qu’il n’y a rien de pire que l’équivoque dans les relations entre les peuples. En France, l’amitié franco-allemande est devenue une sorte de slogan pour se rassurer, à bon compte, un lâche soulagement qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre Histoire. La vérité est que « l’Al-lemagne éternelle » utilise le levier de l’Europe fédérale pour assouvir sa volonté de puissance. C’est toute l’équivoque des relations franco-allemandes qui ne peuvent trouver un équilibre satisfaisant qu’à la condition que la France ne baisse pas la garde. Quand un pays se croit trahi par un autre, il l’est surtout par ses propres erreurs. L’erreur funeste des dirigeants français, depuis plus d’une trentaine d’années, a été de croire qu’on pouvait neutraliser l’Allemagne par l’in-tégration dans l’Europe communautaire. Le calcul se révèle d’autant plus faux qu’il s’avère que c’est la France qui se trouve ligotée et de facto vassalisée. Il

n’y a plus que les aveugles professionnels pour célébrer comme des marques de la coopération franco-allemande, des fusions d’entreprises qui se font au seul bénéfice des sociétés allemandes, à leurs conditions et sous leur contrôle.

C’est le cas de Rhône-Poulenc, l’un des fleurons de l’industrie française, passé sous la domination de la société Hoescht au sein du nouveau groupe Aventis ou des AGF avalées par le groupe teuton Allianz, pour ne rien dire du mariage de Matra-Aerospatiale et DASA, la division aérospatiale du géant Daimler, dans une entreprise baptisée d’une façon signi-ficative European Aeronautic, defense and Space, dont le siège est à Leyde, aux Pays-Bas !

Sortir de l’Union européenne

C’est donc l’Allemagne qui im-pose ses règles. Le « couple franco-al-lemand » est une tromperie. Depuis François Mitterrand – l’homme de tous les renoncements -, les dirigeants « français » ne cessent de se prosterner devant l’Allemagne pour l’amadouer, alors que l’Allemagne, à travers l’Union européenne, défend ses seuls intérêts de puissance.

En France, l’amitié franco-allemande est devenue une sorte de slogan pour se rassurer, à bon compte, un lâche soulagement qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre Histoire.

Ce qui se passe depuis la ridicule rencontre Mitterrand-Kohl à Verdun, puis le lâche renoncement mitterrandien de 1990 n’a rien de commun avec le traité franco-allemand signé, en 1963

L’erreur funeste des dirigeants français, depuis plus d’une trentaine d’années, a été de croire qu’on pouvait neutraliser l’Allemagne par l’intégration dans l’Europe communautaire.

JANVIER/FÉVRIER 2019 18

La France faceà l’Allemagne éternelle

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INTERNATIONAL

Le 22 janvier 2018, la chancelière Merkel et Emmanuel Macron ont annoncé que la France et l’Allemagne voulaient signer un nouveau « traité de l’Élysée », prévu pour le 22 janvier 2019. Le projet est effrayant puisqu’il porte en lui tous les germes de la destruction programmée de notre nation : le fédéralisme contre la souveraineté nationale, le régionalisme contre la nation – ce projet va jusqu’à envisager le détachement des régions frontalières de l’ensemble national, sous couvert d’une coopération transfronta-lière qui vassalisera des pans entiers de notre territoire national. En outre, ce nou-veau traité prône une armée européenne censée compléter les forces de l’OTAN, en se fondant dans le pacte Atlantique et en annihilant, ainsi, l’un des derniers vestiges de souveraineté de la France et l’un des ultimes facteurs d’équilibre face à Berlin. L’européanisation de la Défense nationale française devrait, na-turellement, favoriser le projet allemand de ravir à la France son siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Na-tions unies. En même temps, la chance-lière du nouveau Reich a voulu ouvrir la porte à des millions d’immigrés écono-miques, requalifiés de « réfugiés » mais dont on comprend surtout qu’ils seraient pour l’industrie germanique une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. En somme, une forme de nouveau STO. Selon Jean-Pierre Chevènement, le « for-cing » allemand s’inscrit dans une longue suite d’initiatives unilatérales « prises, sans concertation préalable avec la France, comme la sortie du nucléaire

en 2011, la règle d’or en matière budgé-taire en 2009-2012, la menace de jeter la Grèce en dehors de la zone euro, l’ouver-ture de l’Union européenne à l’afflux des réfugiés en 2015, etc. L’Allemagne avait déjà imposé, en 2008, la reprise dans le texte du traité de Lisbonne, de la ‘‘subs-tance’’ du projet de traité constitution-nel européen rejeté à 55% par le peuple français ».

C’est, sans doute, en prélude à cette li-quidation de la France que les modalités de la célébration du centenaire de la vic-toire de 1918 ont été négociées (sic) avec l’Allemagne. Ainsi, quand nos alliés bri-tanniques ont dignement célébré la vic-toire militaire, la France s’est-elle abais-sée à marchander cette célébration avec l’ancien ennemi. On ne saurait mieux tra-hir la mémoire des combattants. Il est vrai que l’Élysée a déclaré que « le sens de la commémoration du 11 novembre, ce n’est pas de célébrer la victoire de 1918 ». Alors qu’a-t-on célébré ? Sans vergogne, le site de l’armée de l’air a répondu à cette question qu’il s’agissait d’honorer « cent ans d’amitié franco-allemande » ! Les poilus de 14-18, les déportés de 39-45, les familles des victimes d’Oradour sur Glane apprécieront. On sait que l’ab-sence d’esprit national a gagné les hautes sphères de l’État, mais il y a, tout de même, des limites.

En tout cas, l’eurocratie, qui nous invite à oublier notre Histoire et à perdre toute mémoire, est à la seule mesure de l’Al-lemagne, laquelle est l’artisan essentiel du projet euro-fédéral contre les nations. L’affirmation de la puissance allemande passe par le rabaissement de l’État-na-

tion français, véritable hantise des di-rigeants allemands qui n’ont de cesse d’imaginer les moyens de sa disparition. C’est pourquoi l’Allemagne encourage les autonomies régionales et ethniques chez ses partenaires et voisins directs ou indirects. Alors qu’elle a imposé son uni-fication, la Germanie rêve de faire éclater les autres nations grâce à la construction européenne. À la chancellerie de Berlin, comme dans les bureaux des présidents des grandes entreprises d’Outre-Rhin, on ne cache plus son jeu, lequel vise à un rééquilibrage géopolitique du Vieux Continent visant à remplir le vide laissé à l’Est par l’écroulement de l’Union sovié-tique et faire de Berlin le centre politique d’une « Europe nouvelle ».

C’est une bonne raison pour sortir de l’Union européenne puisqu’en finir avec l’Europe allemande c’est en finir avec l’Union européenne. À vrai dire, rien n’est plus urgent que le Frexit dans la mesure où il s’agit de récupérer tous les instruments de souveraineté – politiques, économiques, juridiques, militaires, linguistiques…- de notre État-nation pour lutter contre les innombrables dangers qui menacent la France. À commencer par un ultralibéralisme contesté par le pays réel dont le mouvement des « Gi-lets jaunes » exprime l’indignation face à un État, de plus en plus effacé, qui ne tient plus son rôle de défenseur du bien commun, d’arbitre de la vie économique et de régulateur contre la cherté de la vie. n

Directeur général de l’Observatoire d’études

géopolitiques

19 JANVIER/FÉVRIER 2019

La France face à l’Allemagne éternelle (Suite)

L’affirmation de la puissance allemande passe par le rabaissement de l’État-nation français, véritable hantise des dirigeants allemands qui n’ont de cesse d’imaginer les moyens de sa disparition.

L’européanisation de la Défense nationale française devrait, naturellement, favoriser le projet allemand de ravir à la France son siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Loin de former un couple avec l’Allemagne, la France est à sa remorque.

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INTERNATIONAL

Pr. Bichara Khader*

L’Europe ne vit pas dans un îlot isolé : c’est un ensemble géopo-litique en constante interaction

avec le monde entier, à travers les échanges, la circulation des idées, les mouvements mi-gratoires et les réverbérations des crises inter-nationales. Or le monde arabe a sans doute le lourd privilège de se situer dans une zone de proximité où l’Europe possède des intérêts vitaux, ou, en tout cas, des enjeux importants (intérêt géopolitique, économique et éner-gétique, protection des citoyens européens résidant dans le monde arabe, gestion des migrations, solution des conflits, dénucléa-risation régionale, etc.). Il n’est même pas hasardeux de dire que le monde arabe est une région où se joue l’avenir même de l’Europe.

L’Europe en est consciente mais sa po-litique à l’égard du monde arabe est de-meurée handicapée par un processus déci-sionnel encore inachevé, par une relation quasi-pathologique à l’égard d’Israël, par la concurrence entre Etats européens, et par le chevauchement de nombreuses politiques, tantôt de coopération, tan-tôt de partenariat et tantôt de voisinage, qui éclipsent la relation euro-arabe au profit de découpages géographiques qui répondent, davantage, à des impératifs de sécurité politique ou économique de l’UE elle-même qu’aux exigences d’une vision stratégique commune.

Ce texte vise donc à rappeler, à grands traits, les intérêts de l’UE dans le monde arabe pour en finir avec les clichés, glanés ici et là, qui consistent à décrire le monde arabe comme « un panier de crabes », une «arrière-cour», une zone «inutile et désespérante», ou tout simplement un «casse-tête sécuritaire». Parmi les nom-breux intérêts de l’Europe, j’en épin-glerai ici les trois principaux : l’intérêt géopolitique, l’intérêt économique et l’intérêt énergétique.

L’intérêt géopolitique et géostratégique

Situé au point d’intersection de trois continents, le monde arabe est un nœud géographique et un lieu de passage pour la navigation maritime, aérienne et le trans-port terrestre. Il relie la Méditerranée à l’Océan Indien à travers le Canal de Suez, et à l’Océan Atlantique à travers le détroit de Gibraltar. Situé dans le voisinage im-médiat de l’Europe, le monde arabe a une triple fonction : c’est une clé, un carrefour et un corridor (les 3 C). Par conséquent, la stabilité de ce nœud géographique est le premier intérêt vital de l’Europe. En ef-fet, toute perturbation régionale (conflits, guerre civile, mise en question du statu quo régional, etc.) est considérée par l’Europe comme une atteinte à cet intérêt vital. Que l’on se rappelle de la fermeture du Canal de Suez après la guerre de 1967, les consé-

quences néfastes des nom-breuses guerres israélo-arabes, les retombées négatives de la guerre civile algérienne entre 1992 et 2000 en termes d’exode de populations ou même de terrorisme exporté, les actes de piraterie sur les côtes somaliennes, ou, plus près de nous, les flux de réfu-giés syriens et irakiens (2015-2018) pour ne prendre que ces quelques exemples.

Compte tenu de la proximi-té géographique, tout trouble dans le monde arabe rejaillit, automatiquement, sur l’Eu-rope, sous forme de violence, de flux migratoires incontrô-lés, d’exode de citoyens eu-ropéens et de diminution des échanges.

A rebours des discours de ceux qui affir-ment que l’Europe est indifférente à l’in-sécurité régionale du monde arabe, je suis fermement convaincu que l’UE se porte-rait mieux si le monde arabe était mieux gouverné, plus stable et plus sûr. Que sa politique soit en deçà de ses ambitions, c’est une autre question à laquelle j’ai déjà consacré de nombreux ouvrages.

L’intérêt économique : 317 milliards d’euros

d’échanges euro-arabesOn dit souvent que « l’UE est un nain

politique, un ver de terre militaire, mais un géant économique ». Nul doute qu’en ce qui concerne le leadership géopolitique et les capacités militaires, il y a matière à discussion ; mais en ce qui concerne les échanges économiques, il ne fait pas de doute que l’UE est un acteur majeur dans l’économie mondiale. Les chiffres l’at-testent : en 2017, le total des échanges ex-tra-UE oscillait autour de 3.737 milliards d’euros, soit 1.858 milliards d’importa-tions et 1.878 milliards d’exportations. C’est plus que les échanges de la Chine ou des Etats-Unis.

En raison de la proximité géographique et des liens historiques, l’UE a été et reste un partenaire commercial important pour tous les pays arabes, accaparant près de 48 % du total des échanges des pays arabes. Pour les pays du Maghreb, en par-ticulier, elle est même un partenaire incon-tournable avec près de 68 % des échanges tunisiens, 60 % des échanges marocains et 53 % des échanges algériens.

En 2017, le total des échanges de l’UE avec l’ensemble des pays arabes a atteint près de 315,7 milliards d’euros contre 278 milliards en 2008. Ce sont les pays du Conseil de coopération du Golfe qui accaparent la part du lion avec 144 mil-liards d’euros d’échanges avec l’UE,

avec un solde favorable à l’UE de près de 55.9 milliards. Les échanges avec les pays de l’Union du Maghreb sont plus équilibrés (55.2 milliards d’importations européennes et 56.7 milliards d’exporta-tions) soit un total de 112.245 milliards et un solde favorable à l’UE d’à peine 1.499 milliard. Avec tous les autres pays arabes, les échanges de l’UE ne dépassent guère les 60 milliards (soit 22.4 milliards d’im-portations européennes et 37.6 milliards d’exportations), avec un solde favorable à l’UE de près de 15.330 milliards).

Il ressort de tous ces chiffres une évi-dence : le monde arabe est créateur net d’emplois pour l’Europe, puisque celle-ci y réalise un excédent commercial total de 72.753 milliards d’euros. Cet excédent serait nettement plus important si on ex-cluait le pétrole et le gaz des exportations arabes. En effet, la ventilation des expor-tations arabes, par produit, révèle une très faible diversification et, surtout, l’absence de produits à haute valeur ajoutée, ce qui explique la grande dépendance du monde arabe des marchés européens.

A cet égard, la comparaison des échanges des pays arabes et ceux de la Turquie ou Israël avec l’UE est assez frap-pante. A eux deux, les échanges de ces deux pays représentent quasi les deux tiers des échanges arabes (soit 190.4 milliards contre 315,7). Les seuls échanges de la Turquie avec l’UE (154,2 milliards d’eu-ros) représentent la moitié des échanges de tous les pays arabes.

JANVIER/FÉVRIER 2019 20

Les intérêts européensdans le monde arabe

Compte tenu de la proximité géographique, tout trouble dans le monde arabe rejaillit, automatiquement, sur l’Europe, sous forme de violence, de flux migratoires incontrôlés, d’exode de citoyens européens et de diminution des échanges.

En raison de la proximité géographique et des liens historiques, l’UE a été et reste un partenaire commercial important pour tous les pays arabes

Situé dans le voisinage immédiat de l’Europe, le monde arabe a une triple fonction : c’est une clé, un carrefour et un corridor (les 3 C).

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INTERNATIONAL

Certes, ces échanges ne sont pas à l’équi-libre, puisque la Turquie importe pour 84,4 milliards et exporte pour une valeur de 69,7 milliards), mais ces échanges sont nette-ment plus diversifiés. Cela vaut pour Israël dont le total des échanges avec l’UE est de 36,1 milliards (soit 21,3 milliards d’impor-tations israéliennes et 14,8 d’exportation).

Etant donné la faible montée dans la gamme des produits, les pays arabes res-teront, pour longtemps, des marchés ache-teurs. Pour l’UE, c’est une aubaine. Mais ce n’est pas une raison de dormir sur ses lauriers, car sa part de marché dans les pays arabes, en dehors du Maghreb, est en chute libre, en raison de la concurrence achar-née que lui livrent la Chine (250 milliards $ d’échanges avec les pays arabes), l’Inde (140 milliards $), et les pays latino-améri-cains (35 milliards $).

Il est donc de l’intérêt de l’Europe de maintenir les flux commerciaux avec les pays arabes, voire de les consolider. De même, il est de l’intérêt de l’Europe de contribuer à l’intégration régionale des pays arabes, à la diversification de leurs économies, à la montée en gamme des pro-duits, bref au développement général de la région à cause de ses retombées positives sur l’économie européenne. Il a été, en effet, démontré que 10.000 euros de P.I.B supplémentaires dans les pays du Maghreb générèrent, en moyenne, 1.300 d’expor-tations communautaires. Cela vaut aussi, quoique dans une moindre mesure, pour les pays du Golfe et les autres pays arabes.

L’intérêt énergétiqueL’UE est le plus gros importateur de pé-

trole dans le monde, soit 14,1 millions de barils par jour (2017). Au cours de la même année, la Chine a importé 8.4 (m/b/j), les Etats-Unis 7.8, l’Inde 4.9, le Japon 3.4 et le Corée du Sud 2.9. La part de l’UE dans la facturation globale du pétrole importé mondialement ($873 milliards en 2017) est estimée à $ 260 milliards, soit 236 milliards d’euros (en baisse presque de moitié par rapport à 2013).

Les importations pétrolières dans les pays de l’UE représentent près de 70 % de l’ensemble des produits énergétiques im-portés. Sur les 14,1 millions de barils im-portés en 2017, on estime que la part des pays arabes est de l’ordre de 25%, à peine moins que la Russie. Cela représente une facture pétrolière de l’ordre de 55 à 65 mil-liards d’euros, soit la moitié des importa-tions totales européennes des pays arabes.

Selon Eurostat, la dépendance des im-portations pétrolières de l’UE ira en crois-sant d’ici 2040 (92 % au lieu de 85 % en 2017). Mais la consommation de pétrole dans le mix énergétique est appelée à bais-ser de 14,1 millions b/j à 8 millions en 2040 (estimation de la British Petroleum : Energy outlook 2017). Cette évolution est une bonne nouvelle pour les défenseurs de l’environnement et une mauvaise pour les pays arabes pétroliers. Mais d’ici à 2040, les pays européens continueront à importer

du pétrole arabe : c’est là où se trouvent concentrées les plus grandes réserves de pétrole (50 % des réserves mondiales), et c’est là où le coût de production est le moins élevé.

En outre, les pays arabes détiennent aus-si du gaz. Et certains, comme l’Algérie ou le Qatar, sont des géants gaziers. Et si au-jourd’hui l’UE dépend essentiellement du gaz russe et norvégien, elle fait, de plus en plus, appel à l’Algérie et au Qatar. A eux deux, ces pays arabes couvraient, en 2017, 17,1 des besoins gaziers des pays de l’UE. D’autres pays arabes, notamment l’Egypte et l’Arabie saoudite, ont un potentiel gazier important. Compte tenu de la part crois-sante du gaz dans le mix énergétique de l’UE en 2040, et de la volonté européenne de diversifier ses approvisionnements ga-ziers pour éviter une trop grande dépen-dance de la Russie, il y a fort à parier que les pays arabes continueront à être incon-tournables pour l’approvisionnement éner-gétique de l’UE.

Au vu des éléments qui précèdent, il est de l’intérêt de l’UE de s’assurer un accès garanti au pétrole et au gaz arabes. Cela passe par une relation gagnant-gagnant et un dialogue franc avec les pays producteurs rompant avec l’attitude paternaliste. Cela passe aussi par une diplomatie préventive axée sur la prévention des crises et sur le règlement négocié des conflits. A défaut, il y a un risque réel de rupture des appro-visionnements avec des conséquences in-calculables pour la sécurité énergétique et pour les consommateurs européens.

L’intérêt migratoireLa présence arabe, surtout maghrébine,

en Europe est ancienne. Des Algériens ont immigré en France, depuis le début du XXe siècle. Des dizaines de milliers de Ma-ghrébins ont servi, de gré ou de force, dans l’armée française et participé à ses guerres. Mais c’est après la Seconde Guerre mon-diale qu’on a assisté à l’arrivée massive de travailleurs immigrés, surtout des pays d’Afrique du Nord. Ces travailleurs ont pallié le manque de main-d’œuvre en Eu-rope et, généralement, ont fait les travaux considérés comme sales, difficiles et dan-gereux (dirty, difficult, dangerous).

L’immigration de travail d’origine ma-ghrébine concernait des jeunes, venant des régions les plus paupérisées et dont l’ob-jectif était de subvenir aux besoins de leurs familles restées sur place, avant un retour gagnant au pays. Mais avec la fermeture des frontières européennes à l’immigration légale, dans les années 1970, l’Europe faci-lite le regroupement familial transformant la nature de l’immigration qui devient «une immigration familiale et installée». A partir des années 1980, l’Europe s’est entourée de cordons sanitaires pour endiguer les flux mi-gratoires clandestins. Mais elle n’a pas réussi à les stopper de telle sorte qu’on estime, au-jourd’hui, le nombre de Maghrébins instal-lés, régulièrement, ou «illégalement» dans les 28 pays de l’UE à près de 7 millions, dont la majorité réside en France.

Les pays du Machrek n’ont pas été, historiquement, de grands exportateurs de travailleurs immigrés vers l’Europe. Néanmoins, on dénombre, aujourd’hui, près de 3 millions d’Arabes du Machrek et du Golfe (expatriés et travailleurs im-migrés), y compris 1 million de Syriens, d’Irakiens et de Palestiniens ayant immi-gré, en Europe, dans des conditions abo-minables à partir de 2015. Au total, j’es-time à 10 millions les Arabes (y compris les Maghrébins) installés dans les 28 pays de l’UE.

Quel est donc l’intérêt de l’Europe en ce qui concerne ces migrants et expatriés arabes ? Tout d’abord, faciliter leur inté-gration pour éviter les replis identitaires et la marginalisation économique, combattre les mouvements populistes et d’extrême -droite qui attisent le feu, en faisant de l’islamophobie leur fonds de commerce, lutter contre la banalisation générale du discours islamophobe, comprendre le malaise qui conduit certains jeunes musul-mans, nés et scolarisés en Europe, à se ra-dicaliser et à se laisser embrigader par des groupes terroristes et créer, pour ce faire, un climat serein et apaisé de manière à éradiquer les ressentiments et les réflexes xénophobes.

Mais l’Europe doit agir sur un autre front : celui de réguler les nouveaux flux migratoires. Si l’Europe ne peut pas ouvrir ses portes à double-battant -ce serait poli-tiquement irresponsable-, elle ne peut pas, non plus, les fermer à double-tour ce serait humainement inacceptable-. Elle ne peut pas prêcher la libre circulation des biens, des capitaux et des services et interdire la circulation des hommes. Par conséquent, au lieu de multiplier les cordons sanitaires, dont l’efficacité s’est révélée douteuse, l’Europe doit faciliter l’immigration régu-lière quitte à l’encadrer de manière à éviter d’être débordée. Mais plus fondamentale-ment, au lieu de demander aux pays arabes de jouer aux gendarmes anti-migratoires pour le compte de l’UE, l’Europe doit œuvrer à tarir les sources de l’immigra-tion « irrégulière » par une coopération accrue avec les pays d’origine. Après tout si les capitaux ne vont pas là où sont les hommes, les hommes iront là où sont les capitaux. n

* Professeur émérite à l’UCL Spécialiste du monde arabe.

21 JANVIER/FÉVRIER 2019

Les intérêts européens dans le monde arabe (Suite)

D’ici à 2040, les pays européens continueront à importer du pétrole arabe : c’est là où se trouvent concentrées les plus grandes réserves de pétrole (50 % des réserves mondiales), et c’est là où le coût de production est le moins élevé.

L’immigrationde travail d’origine maghrébine concernait des jeunes, venant des régions les plus paupérisées et dont l’objectif était de subvenir aux besoins de leurs familles restées sur place, avant un retour gagnant au pays.

Etant donné la faible montée dans la gamme des produits, les pays arabes resteront, pour longtemps, des marchés acheteurs. Pour l’UE, c’est une aubaine.

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ANALYSE

Gabriel Banon

L es Gilets jaunes en France, les populistes en Italie, les «Trumpistes» aux Etats-Unis,

toutes ces manifestations du peuple profond, apparemment sans liens, sont les indices avant-coureurs d’une prise de conscience et d’une révolte contre l’ordre établi et surtout contre ceux que l’on appelle « les Maîtres de l’Uni-vers ».

Ils sont rarement des élus, ils ne re-présentent qu’eux mêmes, leur puis-sance d’argent et leur capacité de nui-sance. Ce sont incontestablement les Maîtres de l’Univers.

La complexité du Monde n’empêche pas de constater qu’une poignée d’ac-teurs exercent une influence prépon-dérante sur les affaires du monde et, souvent, aux dépens des autres.

Il ne s’agit pas ici de complot, au sens littéral du terme, il ne s’agit nul-lement de conspiration, encore moins d’une structure secrète de gouver-nance mondiale.

C’est une construction progressive que les clans, comme les grandes écoles, les grandes institutions, ont bâ-tie, petit à petit, par cette arme redou-table, la cooptation. C’est ainsi que se sont construites les Élites qui gou-vernent, politiquement, économique-ment et socialement. Ces élites sont soumises au bon vouloir des lobbies, dont les groupes de pression idéolo-gues, servent d’alibi. Ces lobbies sont une des armes qu’utilisent les vrais acteurs du monde économique et fi-nancier.

Au niveau des Nations, on ne peut nier la prépondérance de l’influence des Etats-Unis sur le reste du monde depuis 1945, année qui marque le sommet de leur puissance et le début de leur déclin. De nos jours, ils pré-sident encore largement au devenir du monde, mais partagent, maintenant, cette influence active avec d’autres puissances comme la Chine, la Russie mais plus ou pas encore l’Europe.

Politique américaine, voix des classes

possédantesNoam Chomsky, philosophe, lin-

guiste et historien américain, lors d’une de ses interventions publiques, a décrit la politique étrangère des Etats-Unis comme une volonté de fa-voriser, coûte que coûte, l’expansion ou le maintien de l’empire américain. Pour lui, «les États-Unis ne peuvent tolérer le nationalisme, la démocra-tie et les réformes sociales dans le tiers monde, parce que les gouver-nements de ces pays devraient alors répondre aux besoins de la popula-tion et cesser de favoriser les intérêts des investisseurs américains». Sans approuver complètement ce jugement,

force est de reconnaître que la politique américaine, qui est l’expression des classes possédantes, a été impliquée dans « le renversement de la démocratie, l’entrave au dé-veloppement indépendant et la légitimation de la force dans le monde, au nom de la démo-cratie ».

Aux États-Unis, le mouve-ment des « Occupy » a été la première réaction au cynisme de ces classes. Occupy Wall Street (OWS) ou Occupy New York, est un mouvement de contestation pacifique, dénonçant les abus du capitalisme financier, créé en 2011 et qui a fait tache d’huile aux Etats-Unis.

Tant que ce cynisme durera, on assistera à une amplification de ces mouvements qui créent des commu-nautés, des solidarités et des idées qui seront durables.

Hausse du pouvoir d’achat, dites-vous ?

Quant à la démocratie européenne, elle est menacée par la concentration des richesses et les écarts, de plus en plus importants, entre les démunis et les riches.

La foi des citoyens dans les insti-tutions démocratiques est pire en Eu-rope qu’aux États-Unis : Bruxelles concentre les pouvoirs décisionnels et les élections européennes n’ont prati-quement aucune incidence sur sa po-litique.

Les élites gouvernantes, après le choc pétrolier de 1973, n’ont pas eu le courage de dire au peuple que le mo-dèle économique des 30 années précé-dentes, fondé sur une énergie peu coû-teuse, était remis en cause.

La baisse réelle du pouvoir d’achat a été masquée par les politiques mo-nétaires, par l’inflation, les délocalisa-tions d’origine des biens consommés.

Lorsque le Président Mitterand déclare au peuple français que nous ne sommes plus à l’ère du travail mais à celle des loisirs, il égare la population dans un concept totalement erroné dont les effets seront amplifiés par le passage aux 35 heures.

Des produits fabriqués dans des pays à bas salaires arrivent en Occi-dent avec des prix plus bas que s’ils avaient été produits en Europe.

Cela donne une fausse idée d’une hausse du pouvoir d’achat.

L’emploi se délocalise, une forte pression pèse sur les revenus salariaux qui n’évoluent plus que peu.

Les salariés sont pris en tenaille. L’accroissement de la masse monétaire qui se place en immobilier, fait croître les prix. Cette hausse fait passer de 6% le revenu consacré au logement des

ménages à 20/25/30% aujourd’hui. Le revenu disponible pour les autres dé-penses est donc nettement en baisse.

Aujourd’hui, l’indice du coût de la vie n’est plus le reflet de la réalité.

Dans ce contexte, le peuple se sent floué pas ses élites qui, dans le même temps, s’attribuent des avantages sa-lariaux énormes et même des exemp-tions d’impôts incroyables (comme dans le cadre du Parlement européen).

Le cocktail est explosif : baisse réelle du pouvoir d’achat, des élites vivant dans le luxe, avec des rentes inacceptables, des nantis ayant ache-té de l’immobilier préservé de l’éro-sion réelle, voient leur fortune croître, d’autres nantis effrayés par une fisca-lité trop lourde, prennent la fuite.

Le pouvoir des élitesMais « les Maîtres de l’Univers »

ne représentent pas les populations des puissances dominantes. Malgré le crédo de la démocratie, l’influence de la population sur les décisions politiques est des plus minimes. Le vrai pouvoir d’influence et in fine de décision, est exercé par des élites économiques et des organismes supranationaux, agissant au nom d’intérêts commerciaux. Leur in-fluence sur la politique gouvernementale a pour moteur une forme sophistiquée du chantage.

La foi des citoyens dans les institutions démocratiquesest pire en Europe qu’aux États-Unis

Des produitsfabriqués dans des pays à bas salaires arrivent en Occident avec des prix plus bas que s’ils avaient été produits en Europe.Cela donne une fausse idée d’une hausse du pouvoir d’achat.

La complexité du Monde n’empêche pas de constater qu’une poignée d’acteurs exercent une influence prépondérante sur les affaires du monde et, souvent, aux dépens des autres.

JANVIER/FÉVRIER 2019 22

Les maîtres de l’univers

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ANALYSE

De ce fait, la population au bas de l’échelle, c’est-à-dire la majorité, se voit dans les faits, exclue des choix politiques au profit d’une mince couche de la popu-lation à qui est donnée une influence dé-mesurée.

Mais le peuple, même s’il n’est pas au courant du détail de l’élaboration des décisions, sent, inconsciemment, cet état de chose. Tant qu’il reçoit une partie du gâteau, aussi infime soit-elle, ses velléi-tés de rejet, restent au stade du « café du commerce ». Cette prise de conscience se traduit, d’abord, par l’abstention aux consultations. La montée de l’abstention est le signal d’alarme. C’est le premier signe d’un rejet des élites et le premier acte de défiance envers les acteurs poli-tiques.

Aujourd’hui, une vaste majorité des po-pulations, un peu partout dans le monde occidental, est convaincue que les poli-tiques obéissent à un ensemble d’intérêts dominants.

L’inégalité galopante, le phénomène quasi général de la paupérisation des uns et de la richesse grandissante des autres, amène le peuple à rechercher un nouveau « messie » en dehors de l’élite gouvernante. Il serait simpliste d’appeler le phénomène « Populisme » ou encore

« opportunisme ». Les centres de décision en Europe, par exemple, se sont éloignés des citoyens, les bureaucrates de Bruxelles les ignorant superbement. Les partis po-litiques, obnubilés par l’argent néces-saire à leurs campagnes électorales, ne se montrent pas à la hauteur des situations. Ils n’analysent plus les événements qui les portent plus qu’ils ne les maîtrisent.

La guerre des classes est dépassée par l’information en temps réel, son histoire est longue et parfois amère. Les « mar-chands et manufacturiers » d’Angleterre, du temps d’Adam Smith, ont laissé la place aux « complexes militaro-indus-triels » et aux GAFAS.

Chaque jour ou presque apporte son lot d’inquiétantes découvertes scientifiques détournées par les militaires. Tout aussi funeste est la menace grandissante d’une guerre nucléaire s’accompagnant d’un sentiment d’impuissance.

Alors, le petit peuple veut prendre son destin en main. Fini le « Politiquement correct », fini les problèmes confiés à des commissions ad oc, fini l’exclusivité du savoir aux élites.

Le peuple ne se contente plus de gron-der, il agit. Il agit et bouscule les institu-tions et l’ordre établi. Il veut être entendu et respecté.

Aux Etats-Unis, ils ont mis un des leurs

à la Maison Blanche ; en Italie, ils ont pris le pouvoir. Le reste de l’Occident retient son souffle.

Mais les élites restent les élites, et la bonne gouvernance n’est pas à la por-tée du premier venu, fusse-t-il un « Gilet jaune ».

La structure démocratique n’est plus contraignante pour les puissances mon-diales actuelles. Ces puissances ont, au-jourd’hui, un tel potentiel destructeur, qu’il est urgent, pour la sauvegarde de l’humanité, de prêter plus d’attention à ceux qui les critiquent. n

Politologue, Consultant international

23 JANVIER/FÉVRIER 2019

Les maîtres de l’univers (Suite)

Le peuple ne se contente plus de gronder, il agit. Il agit et bouscule les institutions et l’ordre établi. Il veut être entendu et respecté.

La population au bas de l’échelle, c’est-à-dire la majorité, se voit dans les faits, exclue des choix politiques au profit d’une mince couche de la population à qui est donnée une influence démesurée.

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ADMINISTRATION

Younes Eteib *

Vingt ans après, le « nouveau concept de l’autorité », lancé par S.M le Roi Mohammed VI, en 1999, reste

une actualité majeure, comme étant la trame profonde de la gouvernance voulue par la plus haute autorité du pays. Ce n’est pas pour rien que presque tous les discours royaux ont, sans cesse, insisté sur l’obligation des gouvernements successifs à mettre en place les conditions d’une gestion transparente des affaires publiques, et de la gouvernance territoriale, avec les attentes des citoyens marocains comme le pilier autour duquel se construit la dynamique des politiques publiques.

Aussi, à plusieurs reprises, le gouver-nement a été vivement critiqué, et invité à user de ses prérogatives, pour mettre à niveau l’arsenal juridique de la gestion administrative, en mettant en œuvre une déconcentration effective que les citoyens pourront ressentir dans leur vécu. Or, sans une charte de la déconcentration adminis-trative, efficiente et globale, le vœu de la mise à niveau ne pouvait que rester peine perdue.

Une déconcentration administrative pour aller

de l’avantDésormais, depuis le 27 décembre 2018,

le décret portant Charte de la déconcentra-tion administrative, ayant été publié dans le Journal officiel du Royaume, les choses sérieuses peuvent commencer. De quoi s’agit-il exactement ?

Une ambition, d’abord. Cette réforme majeure ambitionne «d’accompagner le chantier de la régionalisation avancée, et de favoriser une mise en œuvre intégrée et complémentaire des politiques publiques

au niveau territorial». En plus simple, il s’agit d’une déconcentration et des mécanismes de sa mise en œuvre. Il s’agit, aussi, d’une répartition des attributions entre les services, centraux et déconcentrés, de l’administration marocaine. Pour cela, deux fondements supportent l’ensemble du dispositif

- La région, considérée comme le terri-toire pertinent pour la mise en œuvre des politiques publiques.

- Le wali de la région, pourvu d’un rôle accru de représentant de l’autorité centrale au niveau territorial.

Ainsi, la charte fixe les objectifs de la nouvelle déconcentration administrative, comme suit :

- Une meilleure application des orienta-tions générales de l’Etat, à travers la réor-ganisation de ses services, aux niveaux ré-gional et provincial, avec des missions qui leur sont clairement attribuées.

- La territorialisation des politiques pu-bliques, en prenant en considération les spécificités locales.

Pour que la matrice puisse fonctionner, une complémentarité des missions des services déconcentrés et des collectivités territoriales est obligatoire. Des mécanismes communs de coopération doivent être mis en place à cet effet. Par ailleurs, les services déconcen-trés seront appelés à fournir le soutien aux collectivités territoriales, et les accompagner dans la mise en œuvre de leurs programmes de développement. Le challenge est réelle-ment immense. Une nouvelle culture est à favoriser, pour ne pas dire qu’elle est à faire émerger, à partir d’une réalité sans lien avec toutes ces belles ambitions.

Les parties prenantes au niveau des ter-ritoires, doivent accepter de coopérer, de façon intelligente et respectueuse des in-térêts du développement des territoires, et,

au-delà, des intérêts suprêmes du pays. Les clivages sectoriels et les lenteurs bureau-cratiques sont à bannir. Idem pour les égos de personnes et les cloisonnements des ap-partenances institutionnelles, qui sont des pièges à éviter impérativement.

Pour tous les acteurs publics, il s’agira de promouvoir la convergence des poli-tiques publiques, de faire prévaloir l’effi-cacité dans l’exécution des programmes et de rendre les services publics de proximité performants, et à valeur ajoutée réelle pour les citoyens. Sans doute pour parer à ces travers, plusieurs nouveautés sont prévues dans cette nouvelle charte.

Il s’agit, en premier lieu, de l’élaboration de schémas directeurs relatifs aux services déconcentrés des différents ministères. Une sorte de feuille de route qui précise les démembrements des ministères au niveau des territoires, ainsi que les attributions dé-cisionnelles transférées par le centre aux services dans les régions, les provinces et préfectures.

Cadre juridique plus imposableCette nouvelle architecture d’attributions

fera du Wali de la région, le coordinateur des activités des services. Il devra veiller à assurer la convergence et la cohérence des actions de tous les intervenants. Si cette réa-lité n’est pas nouvelle, puisqu’elle existe et est considérée comme une réalité consentie, même sans «charte de déconcentration ad-ministrative», désormais le cadre juridique et institutionnel est plus clair et plus imposable. Chacun devra donc assumer, et tenir le rang d’une responsabilité publique de haute facture ; faute de quoi il devra céder le champ et ne pas entraver la marche de la dynamique.

Pour que la matrice puisse fonctionner, une complémentarité des missions des services déconcentrés et des collectivités territoriales est obligatoire.

Les parties prenantes au niveaudes territoires, doivent accepterde coopérer, de façon intelligente et respectueuse des intérêts du développement des territoires, et, au-delà, des intérêts suprêmes du pays.

JANVIER/FÉVRIER 2019 24

Pour que réussisse la modernisationde la gouvernance publique

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ADMINISTRATION

La nouvelle charte prévoit, également, la création de pôles administratifs au niveau local, afin de donner la possibilité à des mi-nistères de mettre en place des représenta-tions communes, au niveau des régions ou des provinces, et optimiser, ainsi, les coûts en mutualisant les ressources humaines et matérielles. L’idée est intelligente, mais croire qu’il suffit de la décréter par un texte de loi pour qu’elle devienne opérationnelle serait se mentir. Sur le terrain, les choses se-ront assurément plus complexes, du moins autant que le sont les enjeux de personnes, les héritages de privilèges et les acquis de positions.

Autres défis : le niveau, la nature et la marge consentie,

pour le renforcement des pouvoirs des services déconcentrés.

Il s’agira, ni plus ni moins, d’assurer un réel transfert des attributions aux respon-sables des régions, provinces et préfec-tures. Ces derniers passeront au statut de « donneur d’ordre ». Or, cette dimension, justement, a constitué le premier point sen-sible qui, subtilement, a toujours bloqué les efforts antérieurs pour une déconcentration administrative au Maroc. L’enjeu n’est pas mince. Toute la dynamique de gestion des moyens et des ressources est en jeu. Par ail-leurs, la gestion des ressources humaines, des emplois et des compétences, ainsi que des plans de carrières, sera un casse-tête dif-ficile à résoudre.

Autre point sensible : La coordination, le suivi et l’évaluation qui restent un enjeu majeur. La charte a, en effet, prévu la mise en place d’une commission ministérielle de la déconcentration, présidée par le chef du gouvernement. Elle est censée formu-ler des propositions pour l’exécution des orientations générales de l’Etat, et suivre leur mise en œuvre. Le gouvernement de-vra aussi élaborer des rapports périodiques traçant l’évolution de la mise en œuvre des politiques publiques au niveau des régions. La Commission ministérielle procédera à des évaluations régulières de la politique de déconcentration, afin que le gouvernement puisse procéder aux recadrages nécessaires.

Le wali, chef d’orchestreAu niveau des régions, des commissions

de coordination seront effectives. Elles au-ront un secrétariat général des affaires ré-gionales qui doit assurer la préparation des réunions de ces mêmes commissions de coordination, appelées à accompagner le wali dans ses attributions au niveau territo-rial. Justement, en plus de devoir être très fin et pertinent, le wali, considéré comme un «chef d’orchestre», aura justement besoin de beaucoup de talents et de compétences en conseils, autour de lui, sinon la sym-phonie de la gouvernance territoriale risque d’être très mal jouée, voire inaudible.

Si l’on ne peut que se féliciter de voir ce texte, finalement, sorti des arcanes du gou-vernement, il reste, toutefois, légitime de préconiser la vigilance et la lucidité, tant

ce vaste chantier ne fait que démarrer. Vu les défis en perspective et les déficits de la gouvernance publique accumulés depuis des années, il est fort probable que, très vite, soient révélés des cas de blocage et de résis-tance, plus ou moins déclarés. Ce ne serait que normal. Mais, cela ne veut absolument pas dire que ces cas sont à tolérer. Certes, le gouvernement nous a, à plusieurs reprises, fort surpris par son inertie, ses hésitations, et calculs politiciens. Mais désormais, il en va, pour le gouvernement, de la préservation de ce qui reste du peu du capital confiance, qu’ont à son égard les citoyens, à propos de sa capacité réelle à piloter la mise en œuvre d’un chantier immense de réforme du fonc-tionnement des appareils et leviers de l’ac-tion publique. Le défi a besoin de beaucoup d’intelligence, de patience et d’endurance, qui sont des vertus obligatoires pour tenir le coup des multiples enjeux qui ne vont pas tarder à s’exprimer.

Du coup, à moins qu’une volonté véri-table ne s’exprime pour rassurer l’opinion publique sur les aptitudes de l’actuel Exé-cutif à accompagner ce chantier, par des actions fortes, courageuses et innovantes, l’optimise peut vite laisser place à un scep-ticisme rampant.

Un des signaux forts serait que le gouver-nement nous rassure sur sa capacité à procé-der à un vaste mouvement de nominations, qui renouvelle le pilotage et les directions générales de plusieurs administrations et établissements publics, afin d’injecter du sang nouveau dans les artères d’une admi-nistration publiques qui est restée, malgré les talents dont elle dispose, bloquée par des inerties, des pratiques d’un autre âge, et des cultures rétrogrades au niveau ma-nagériales. Cette dynamisation attendue de la part du gouvernement, doit s’affranchir des « considérations partisanes » qui ont, jusque-là, prévalu dans plusieurs nomi-nations, que ce soit avec l’actuel Exécutif ou avec le précédent. Les médias, les ac-teurs de la société civile et plusieurs partis politiques n’ont eu de cesse de relever ces pratiques malsaines. Il s’agit d’un enjeu stratégique.

Pas de processus de modernisation

sans l’implication citoyenneA ce propos, le gouvernement doit

prendre conscience que ne sauront piloter ce vaste chantier structurel que des res-ponsables compétents et intègres, accros aux approches modernes de management, connaisseurs des diverses cultures admi-nistratives ambiantes au niveau local, et ayant une ouverture sur les territoires qui leur permettra d’en saisir les enjeux.

En effet, sans un réel capital de proxi-mité avec les populations, les jeunes et les moins jeunes, les pauvres et les plus aisés, et sans un code éthique fait de respect des citoyens, la bataille de la communication, premier levier du management territorial, sera perdue. Aussi, sans une digne em-pathie envers les «usagers des services publics», libres et différents, et sans une forte conviction que l’on ne peut servir les citoyens si on ne les écoute pas, et si on n’est pas capables d’assurer, parmi eux et pour eux, la promotion des vertus de la concertation et du dialogue, loin des égos démesurés, la bataille d’ensemble risque d’être perdue d’avance.

De ce fait, des éléments importants s’imposent : beaucoup de communica-tion, des mécanismes de suivi et d’éva-luation, un dispositif de préservation de la probité et de l’éthique, une culture de l’exemplarité, beaucoup d’intransigeance quand il faudra user de la loi pour inhiber les nuisances des «brebis galeuses».

Or, les «success story» du management public n’existent que trop bien, et le gouvernement devra juste procéder à un benshmark pertinent. Nous, citoyens, nous nous devons, tous, d’aider à faire aboutir ce chantier. Il en va de la consoli-dation du processus de modernisation et de construction démocratique de l’Etat marocain. n

* Consultant en gouvernance territoriale

25 JANVIER/FÉVRIER 2019

Pour que réussisse la modernisation de la gouvernance publique (Suite)

Toute la dynamique de gestion des moyens et des ressources est en jeu. Par ailleurs,la gestion des ressources humaines, des emplois et des compétences, ainsi que des plans de carrières, sera un casse-tête difficile à résoudre.

Nous, citoyens, nous nous devons, tous, d’aider à faire aboutir ce chantier. Il en va de la consolidation du processus de modernisation et de construction démocratique de l’Etat marocain.

La mise en œuvre des dispositions de la charte de la déconcentration administrative sera progressive et s’étendra sur trois ans. Le wali y jouera un rôle prépondérant.

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CHRONIQUE

Hicham BERJAOUI*

Nombreuses et va-riées sont les crises qui façonnent et,

force est de le remarquer, détruisent la planète. En effet, beaucoup de peuples, de part et d’autre dans le monde, revendiquent des régimes politiques plus participatifs, d’une part, et beaucoup d’Etats se dis-putent la souveraineté sur des territoires revêtus d’en-jeux économiques juteux, d’autre part.

Les résultats de ces si-tuations conflictuelles s’in-carnent dans des désastres humanitaires qui remettent en cause la crédibilité voire l’utilité de l’Organisation mondiale, à laquelle l’Hu-manité a délégué la mis-sion de préserver la paix planétaire, en l’occurrence l’Organisation des Nations unies (ONU).

L’ONU garantde paix et de sécurité

Instituée en 1945, l’ONU compte, actuellement, 193 membres, c’est-à-dire la qua-si-totalité des Etats du monde entier. Il est loisible de rappeler que l’idée de créer une organi-sation internationale chargée de réguler les rapports intergouver-nementaux, a été formulée, en 1919, par le Président américain Woodrow WILSON. Celui-ci

avait proposé aux Etats gagnants de la Première Guerre mondiale, la création d’une organisation universelle pour empêcher la reproduction des guerres.

La proposition de WILSON s’est concrétisée dans la Société des Nations (SdN). Or, le bilan de celle-ci était insatisfaisant, et la principale manifestation de son échec s’est incarnée dans le 2e Conflit mondial qu’elle n’avait pas pu prévenir.

Les puissances occidentales se sont, donc, rendu compte de l’importance cruciale de réviser les mécanismes institutionnels de la protection de la paix et la sécurité internationales, en vue d’une action plus performante. C’est la raison pour laquelle elles ont créé l’ONU et l’ont do-tée de pouvoirs plus importants que ceux ayant été impartis à sa devancière.

Le fonctionnement de l’ONU se base sur les mécanismes de la sécurité collective qui lui donnent un pouvoir coercitif. Toutefois, les modalités de mise en application de ce pouvoir sont décriées avec récurrence.

Il convient de préciser, d’em-blée, que la Charte de l’ONU, et cela à l’opposé du Pacte de la SdN, interdit formellement le recours à l’arme à l’occasion du règlement des différends inter-nationaux. En effet, cette Charte oblige les Etats à résoudre leurs problèmes par des moyens paci-fiques. L’interdiction formelle du recours à la guerre constitue un apport cardinal de l’édifice

onusien. De plus, l’ONU peut édicter des sanctions à l’en-contre des Etats dont le com-portement préjudicie la paix et la sécurité internationales. A cet égard, la Charte autorise le Conseil de sécurité (CS), qui constitue l’organe dirigeant de l’ONU, à engager une action armée contre l’Etat dont les agissements sont attentatoires à la stabilité des relations mon-diales. Malgré tout cela, l’action de l’ONU est constamment cri-tiquée pour ne pas dire éreintée, par plusieurs pays en voie de dé-veloppement.

Que reproche-t-on à l’ONU ?

La critique fréquemment adressée à l’ONU concerne son processus décisionnel dominé par le CS. La Charte de l’ONU octroie les pouvoirs détermi-nants en matière de protection de la paix et de la sécurité in-ternationales au CS. Ce dernier est régenté par les 5 membres permanents et ne donne, par conséquent, qu’un rôle subsi-diaire aux autres membres de l’Organisation. Si l’on se réfère à la Charte, on remarque que l’action coercitive ne peut être déclenchée que par le Conseil, à condition qu’elle soit entéri-née par tous ses membres per-manents.

Outre sa gestion interne ac-cusant un déficit démocratique notoire, l’ONU a été éreintée en Irak, en Syrie, au Liban, en Birmanie, en Afrique et dans

d’autres pays où son action se caractérise par une inertie dé-concertante.

L’action de l’ONU, et des institutions relevant de son es-tablishment, se soumet à une conception réaliste des rela-tions internationales dans la mesure où les Etats puissants peuvent transgresser répéti-tivement et impunément les dispositions de la Charte. De ce fait, l’égalité souveraine des Etats, qui est un principe bran-di par la Charte, se transforme, dans les faits, en une chimère juridique.

Il faut reconnaître que l’ONU a besoin d’une réforme substantielle de ses modalités d’action. En propos concis, le fonctionnement actuel de l’ONU correspond aux équi-libres géopolitiques issus de la Seconde Guerre mondiale. Or, aujourd’hui, on sait que de nouveaux Etats tels que l’Al-lemagne, le Japon, le groupe BRICS, exercent des rôles loin d’être secondaires dans les relations internationales. Le monde s’inscrit dans un nou-vel équilibre duquel l’ONU devrait tenir compte et par rap-port auquel elle devrait revisi-ter sa gouvernance, devenue, en l’état actuel, obsolète et al-térée par l’usure du temps tant politique qu’économique. n

*Faculté des Sciences Juridiques, Economiques

et Sociales Ain Chock. Université Hassan II –

Casablanca.

Le fonctionnement de l’ONU se base sur les mécanismes de la sécurité collective qui lui donnent un pouvoir coercitif. Toutefois, les modalités de mise en application de ce pouvoir sont décriées avec récurrence.

Outre sa gestion interne accusant un déficit démocratique notoire, l’ONU a été éreintée en Irak, en Syrie, au Liban, en Birmanie, en Afrique et dans d’autres pays où son action se caractérise par une inertie déconcertante.

27 JANVIER/FÉVRIER 2019

Le déficit démocratique de l’ONU

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MEDIA

Abdellah Chbani

Après que plusieurs tu-multes ont secoué Facebook et provoqué des conséquences qui s’étendent jusque dans la sphère politique, quel est l’avenir de la société améri-caine qui tente, malgré tout, de se refaire une santé ? Ana-lysons le fonds de commerce du plus grand réseau social au monde et ce qui pourrait provoquer son déclin.

Quelles sont les nouvelles mesures mises en place par Facebook et son manage-

ment pour contrevenir aux scan-dales soupçonnés d’être causés par une légèreté de la part de sa direc-tion, poussant le fondateur Mark Zuckerberg à des explications solennelles ? Comment le réseau social compte-t-il se renouveler tandis que son système commercial ne se base que sur la gratuité et l’oblige à offrir de la publicité ciblée par les annonceurs ? Telles sont les problématiques auxquelles le monstre des ré-seaux sociaux fait face, actuellement, pour se renforcer ou inévitablement, décliner.

Le réseau social, avec un nombre d’abonnés dépas-sant le milliard, offre un filet de pêche aux publici-taires qui ne tarissent pas de stratagèmes pour mettre en place des publicités de plus en plus personnalisées, avec un système qui a la possibilité de nous connaître plus que nous-mêmes, à travers des analyses de don-nées poussées. Si vous ne vous rappelez pas ce que vous avez liké la semaine dernière, les algorithmes, eux, ne l’oublieront pas et une compilation d’informa-tions diverses, plus que vous ne pouvez en posséder sur vous-même, crée une machine de publicité imbat-table expliquant son succès actuel.

Il se pose alors la question de savoir comment tien-dra ce modèle économique gratuit, qui ne base ses re-venus, néanmoins confortables, que sur l’exploitation de datas d’utilisateurs.

Ce réseau social qui aura connu une apogée mar-quée, lors de la dernière décennie, pour devenir l’un des géants des Gafas, a fait de l’information le nou-veau pétrole. De fait, les quatre premières sociétés Google, Amazon, Facebook et Apple, depuis un certain temps déjà, feraient plus de bénéfices que les quatre premières sociétés pétrolières mondiales.

Période électorale et campagne de communication digitale

Mark Zuckerberg a récemment plaidé devant le congrès américain, suite aux accusations relatives à «Cambridge Analytica». Son entreprise est accusée d’une utilisation supposée de données d’utilisateurs, qui est vue par les autorités comme un recoupement massif et délibéré de nos informations personnelles. Il était question de plus de 87 millions d’utilisateurs Facebook, dont les données recueillies depuis 2014, ont servi à influencer les intentions de vote, en faveur d’hommes politiques. Une utilisation crapuleuse de nos précieuses données dont les tumultes et la résolu-tion ne se règleront sûrement pas dans le court terme.

Certains malfaiteurs, ayant pris l’habitude de jouer avec ces informations, ont montré leur pouvoir, ca-pables de déstabiliser certaines élections en favorisant une candidature ou en semant le doute chez une partie des électeurs, en attisant nos craintes profondes et nos préjugés pour mieux orienter nos intentions de vote sur la période cruciale des campagnes électorales.

Facebook cherche, désormais, à montrer patte blanche en prenant différentes mesures dissuasives à ce propos : renforcement des règles concernant les publicités politiques et l’identité aussi bien que la lo-calisation des auteurs de ces dites publicités rendues publiques. Une meilleure transparence quant à leur ori-gine, notamment, depuis les accusations d’ingérence russe dans la présidentielle américaine qui a vu l’élec-tion de Trump à la Maison Blanche. Certaines sources avaient, en effet, soupçonné que des agents russes pro-fitant des informations sur les utilisateurs, gracieuse-ment fournies par Facebook, auraient créé de fausses pages d’information, renforçant ainsi le sentiment de peur, et ce, dans le but caché d’influer sur le vote élec-toral, en mettant, côte à côte, fake news et publicités politiques pouvant être difficilement digérés par l’élec-teur américain, en quête d’espoir et de renouveau. Si le procédé n’est pas forcément illégal, il est classé répré-hensible par les instances de régulation qui cherchent tant bien que mal à avoir des explications.

Savez-vous que vous êtes « une catégorie » ?

Une étude menée par le Pew Research Center dévoile que 74% des utilisateurs n’ont aucune idée des « catégories publicitaires que le réseau social leur a assignées», ignorant totalement l’existence de ces dites catégories. Cela en incluant 75% des utili-sateurs américains qui ignorent même que leurs com-portements sont tracés. 59% des sondés affirment que cette catégorisation les « représentent de façon fidèle, voire très fidèle». 73% des utilisateurs estiment que la plateforme les reflète correctement, même jusqu’à leurs orientations politiques.

Cette aggravation des failles de la démocratie ex-ploitée, qui a conduit à l’élection de Trump ou en-core faussé le référendum du Brexit par l’utilisation des données d’utilisateurs à des fins de manipulation,

est-elle la cause de notre ignorance ou bien d’un fait accompli, celui d’être embarqué dans un schéma de monétisation immédiate de nos désirs afin de nous proposer des publicités ? En tout cas, il s’agit bien de 2,27 milliards d’utilisateurs que compte le réseau so-cial Facebook, qui ne considère comme rival que le réseau social chinois WeChat, qui appartient au groupe Tencent et qui n’est actuellement populaire que dans l’empire du milieu.

L’information, une manne sensibleFacebook est-il un géant des nouvelles technologies

ou une compagnie media ? Et avec un modèle écono-mique basé sur la publicité et donc l’inhérente capta-tion de l’attention des utilisateurs, qui crée une certaine manipulation de ladite susceptibilité afin de proposer plus de publicités, la désinformation et l’information peuvent-elles se confondre ? Cela pourrait être le cas si une désinformation créant de l’audience devient, par le biais d’un algorithme peu scrupuleux, une manne favorable à exploiter. Comme pour le journalisme où le sensationnel fait vendre, le réseau social est en proie à la même dialectique d’appât du gain qui se confronte à l’éthique.

Les réseaux sociaux sont, bel et bien, un service d’utilité publique comme l’était l’agora d’autrefois, et cela, du fait qu’ils permettent l’expression libre, la communication directe entre les parties et l’informa-tion. Seulement, la face cachée de cette médaille porte en elle un type nouveau d’utilisation de nos données et d’un certain type d’espionnage qui ferait pâlir les meilleurs services de renseignements au monde. Si la captation de vos informations ne vous pose pas pro-blème, peut-être que le fait de savoir que des personnes mal intentionnées peuvent y accéder et s’en servir vous fera réagir.

Que doivent faire les nations face à ces géants trans-nationaux qui prennent du pouvoir et montrent leur utilité au quotidien autant que le mal qu’ils causent ? Il serait peut-être temps que nous nous réapproprions le domaine du World wide web et que ces géants soient démantelés pour être refondus avec la réglementation nécessaire à une existence cohérente et saine. n

JANVIER/FÉVRIER 2019 28

Facebook : déclin annoncé du géant des réseaux sociaux ?

Comment le géant des réseaux sociaux manipule ses utilisateurs.

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SOCIÉTÉ

Entre le début de la guerre civile syrienne en 2011 et la fin de

l’année 2018, environ 40.000 combattants étrangers, is-sus de 120 pays différents, s’étaient rendus en Syrie et en Irak pour rejoindre le pseu-do-État islamique (également connu sous le nom d’État islamique en Irak et au Le-vant [EIIL], ou Daech). Bien que ce ne soit pas la première fois qu’un groupe jihadiste a attiré des Occidentaux ou des Arabes à sa cause, au-cune organisation similaire n’a connu ce succès en atti-rant des terroristes étrangers. Les raisons étaient complexes et variées et la recherche sur ce phé-nomène en est encore à ses débuts. Cependant, un certain nombre de facteurs clés ont, sans aucun doute, contribué à ce résultat.

La brutalité au cœur de la propagande

Daech a orienté sa stratégie jiha-diste vers la création et la diffusion de la propagande. Son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, avait plusieurs ailes pro-pagandistes qui produisaient des films adaptés à un public spécifique. Les représentations graphiques de la vio-lence, notamment les décapitations et les autres exécutions terrifiantes, étaient destinées à attirer moult catégories de personnes.

Bien que l’on ait souvent supposé que ce type d’ultra-violence servirait à retarder plutôt qu’à attirer des recrues potentielles, cela n’a pas toujours été le cas avec Daech. De telles représen-tations inhumaines et écœurantes ont contribué à renforcer le message central de la propagande, relayé par l’organisa-tion, à savoir qu’elle a rétabli le « cali-fat », un super-État islamique basé sur l’application stricto sensu de la Charia. Pour ses affidés, le plus grand crime sur Terre est l’acceptation de lois créées par l’Homme. À leurs yeux, Dieu est le seul souverain sur les lois de l’humanité et

permettre à des personnes de créer des lois est un péché équivalant à un culte d’idole. De nombreuses recrues, après avoir adopté l’idéologie de Daech, ont été attirées par le concept de cette uto-pie et ont accepté et admiré la violence qui, à leur avis, était nécessaire pour rétablir la loi divine. Les exécutions et autres actes d’extrême violence, uti-lisés pour dissuader physiquement et psychiquement « l’ennemi », ont donc contribué à l’établissement du pseudo Etat-islamique, et ont été présentés, par la suite, comme conformes à l’interpré-tation jihadiste de la loi islamique.

« Daech n’a pas jeté des perles aux pourceaux »En plus de miser sur la violence pour

tenter de légitimer Daech, les propa-gandistes du groupe terroriste n’ont pas voulu jeter des perles aux pourceaux. Ils ont cherché à offrir aux jeunes chô-meurs et désœuvrés une nouvelle iden-tité et un nouveau sens d’appartenance. Une grande partie de leur production a montré la nouvelle vie que l’organisa-tion prétendait offrir, avec des vidéos et des images décrivant le niveau de vie enviable et la camaraderie parmi les jeunes combattants. Et pour cer-tains révolutionnaires, déçus du « Prin-temps arabe », qui ne voulaient guère une transition politique, mais qui ont parié sur une catharsis apocalyptique, Daech était un jardin d’Eden. Pour eux, rejoindre le califat autoproclamé et la mission de le préserver et de l’élargir offrait une nouvelle raison d’être. En devenant partie intégrante de Daech, ils ont pu adopter une nouvelle identité et assouvir un désir d’aventure juvénile. Les personnes qui menaient, aupara-vant, des vies peu glorieuses et peu gratifiantes, se croyaient désormais des «soldats du califat», des lions héroïques de l’islam qui participaient à l’un des moments les plus cruciaux de toute l’histoire de la religion.

Toutefois, si Daech séduit par un discours sur l’application stricte de la charia, l’organisation ne semble pas, dans la réalité, se soucier de savoir si ses recrues sont véritablement croyants

ou, au fait, des mythomanes de la reli-gion. Les entrepreneurs de la violence de l’organisation terroriste agissent, certainement, selon la maxime qui veut que l’ignorance soit la première des vertus, disposant ainsi d’une armada humaine perméable à la version de l’Is-lam recousue par Daech et dédiée à la recherche de la mort pour le jihad.

Il leur fallait également des femmes

Cependant, ce n’est pas seulement la gent masculine qui a rejoint Daech. De nouvelles recherches ont été consacrées au nombre croissant des femmes qui ont voyagé pour s’engager dans la nébuleuse terroriste. Alors que leurs motivations différaient peu de celles des combattants masculins, ces femmes combattaient rarement et, en fait, assumaient souvent des rôles de soutien. En Occident, ce-pendant, les femmes ont pris part à des attaques terroristes, l’exemple le plus notable étant celui de Tashfeen Malik. Le 2 décembre 2015, à San Bernadino, en Californie, elle et son mari, Syed Fa-rook, ont perpétré une fusillade au nom de Daech, faisant 14 morts. L’organisa-tion terroriste a célébré et salué ensuite de tels actes commis par des femmes en Occident. De ce fait, une grande partie de la propagande était centrée sur l’im-portance des femmes pour l’instauration et l’expansion du pseudo-califat en Syrie et en Irak -. Et pour devenir un véritable « État » doté d’une société performante, il fallait aussi des femmes pour procréer et élever la prochaine génération. Dans certains cas, des familles entières ont migré vers les territoires contrôlés par Daech pour contribuer à ce projet.

Le contenu de la propagande de Daech reflétait souvent les besoins du pseudo-califat au cours d’une période donnée. Par exemple, lors de la pre-mière allocution télévisée d’Abou Bakr al-Baghdadi en 2014, il a souligné le besoin de médecins, d’ingénieurs infor-maticiens et d’autres personnes haute-ment qualifiées. À une époque où l’Or-ganisation essayait de construire son pseudo-Etat, il lui fallait plus que des combattants, et son message était ajusté

en fonction de ses besoins.

Internet, cette épée à double tranchant

Internet a rendu la diffusion de la propagande de Daech relative-ment simple. Grâce aux réseaux sociaux et aux sites de télécharge-ment non réglementés (Darknet en est l’exemple par excellence) qui abritent les films de l’Organisa-tion terroristes les plus récents, les sympathisants (et les recrues poten-tielles) du groupe dans le monde en-tier ont pu accéder à ce type de pro-duction de manière simple et peu risquée. Dans le cadre de sa straté-gie, Daech a également permis la

décentralisation de son message. Dans le passé, les groupes jihadistes contrôlaient étroitement leur production par le biais des centres de presse officiels. Tout en conservant ses propres entités, Daech a également encouragé ses acolytes à créer et à diffuser leurs propres supports, en utilisant des séquences brutes des champs de bataille, d’exécutions et de paramètres similaires fournis en ligne par le groupe. Cela a permis d’adapter davantage les messages à des publics spécifiques dans divers pays.

Les communications en ligne ne constituaient toutefois pas une voie à sens unique et Internet offrait aux groupes extrémistes de nouveaux moyens de recruter, d’inspirer et de diriger des attaques terroristes. Les ré-seaux sociaux comme Twitter et Face-book ont permis aux terroristes d’avoir un accès direct aux membres de Daech en Irak ou en Syrie, ce qui a permis aux « recruteurs » de l’organisation de nouer des relations avec des personnes vulnérables et entamer un processus de « listing » en ligne qui a conduit, dans la plupart des fois, à une radicalisation ra-pide. Les premiers contacts ont souvent été établis sur des plates-formes de ré-seaux sociaux ouvertes et, dès lors que le « recruteur » considérait le « candi-dat » comme approprié pour le groupe, il était dirigé vers des applications de discussion en ligne cryptées telles que Telegram et SureSpot. Là, ils pour-raient avoir des conversations détaillées sans craindre d’attirer l’attention des services de renseignement. Cette ap-proche était hautement personnalisée et permettait aux « recruteurs » de s’im-pliquer intimement dans la vie de leurs convertis potentiels afin de faire appel à leurs peurs et à leurs frustrations. Ces interactions pourraient éventuellement commencer à couvrir des sujets tels que des instructions spécifiques sur la façon de se rendre sur le territoire de Daech ou des conseils tactiques sur la conduite d’attaques terroristes dans les pays d’origine. n

S.B

Tout en conservant ses propres entités, Daech a également encouragé ses acolytes à créer et à diffuser leurs propres supports, en utilisant des séquences brutes des champs de bataille, d’exécutions et de paramètres similaires fournis en ligne par le groupe.

29 JANVIER/FÉVRIER 2019

Pourquoi les gens rejoignent Daech ?

Les recruteurs s’impliquent intimement dans la vie de leurs convertis potentiels afin de mettre la main sur leurs faiblesses.

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HISTOIRE D’UNE VILLE

Souad Mekkaoui

Située sur le littoral at-lantique du Maroc, sur la rive droite de l’em-

bouchure du fleuve Boure-greg, Salé est liée par un pont à sa jumelle, Rabat, à laquelle elle est aussi rattachée admi-nistrativement.

Nichée sur le site compre-nant la nécropole mérinide de Chella, elle est connue pour être l’une des villes les plus anciennes de l’Occident musulman. Ses murailles et ses portes suintent l’Histoire millénaire de la cité fondée, par les explorateurs phéni-ciens, au IIIe siècle avant J.-C. La ville a connu son heure de gloire, tant au niveau reli-gieux, militaire et économique, sous les Al-mohades puis, un essor sans précédent, sous les Mérinides dont l’empreinte témoigne de sa grandeur passée, à travers les monuments et les ruines qui se dressent, ça et là, pour rappeler un passé glorieux. Grâce à ses mé-dersas, ses mosquées, ses bibliothèques, ses fontaines et son école de médecine (maris-tane), la ville a pu être un pôle culturel in-contournable. C’est dire que l’essor de Salé et son organisation sont étroitement liés aux événements historiques qui ont fait l’histoire séculaire de cette ville mythique, dont les recoins respirent l’histoire millénaire et la succession des dynasties.

Salé, berceau de civilisations millénairesIl paraît que la ville de Salé tire son nom

de l’appellation de l’Oued Bouregreg qui, jusqu’au XIIIe siècle, portait le nom de Oued Sala « la rivière salée ». Les premières traces de la ville où Robinson Crusoé serait passé, après avoir été capturé par les corsaires de Salé, remonteraient à l’ère romaine, avec la fondation d’une colonie baptisée Sala Colo-nia, d’après plusieurs récits. D’ailleurs, tout comme Lixus et Mogador, Chellah avait été, également, peuplée par les Phéniciens. Or ce qui est sûr, c’est que Salé est une cité médiévale dont le premier noyau remonte à l’époque de la principauté des Beni Ifren, au début du XIe siècle.

Sa position stratégique sur la voie terrestre reliant Fès à Marrakech et son port, centre d’échanges entre l’Europe et le Maroc, ont fait que la ville avait connu un important développement du temps des Almohades (XIIe siècle) et des Mérinides (XIVe siècle). C’est l’arrivée des réfugiés musulmans d’Espagne qui allait donner un autre ton de rivalité avec la ville de Rabat. Au Ve siècle, l’invasion des Vandales vient mettre fin à l’influence romaine et seule Chella échappe-ra à la démolition que subiront tous les éta-blissements romains. Elle reste sous domi-nation byzantine jusqu’en 682, à la conquête

du commandant Oqba Ibn Nafii Al Fihri. Et c’est le clan ifrénide des Beni Achara qui constituera le premier noyau urbain de la ville, en construisant, notamment, une citadelle, un oratoire et quelques demeures au XIe siècle. Salé allait être davantage ren-forcée par l’arrivée des familles andalouses.

Mais l’histoire de la ville a été secouée par le grand massacre qu’elle avait connu, en 1260, signé par les troupes d’Alphonse X de Castille. Plus de 3.000 personnes ont été capturées et prises en esclaves, déportés à Séville et beaucoup d’autres, tuées.

Entre 1609 et 1610, la ville connaît un flux massif de migrants musulmans et de Juifs chassés d’Espagne. Ainsi, et sous le règne du Sultan Moulay Ismail, au XVIIe siècle, la « République des pirates de Boure-greg » puisait sa réputation de son port cor-saire, considéré comme le plus important du littoral atlantique marocain. Une mosaïque de tissu humain constituait une population faite de Morisques expulsés d’Espagne, de marins, de marchands musulmans et de re-négats. À cette époque-là, Salé-le-Neuf (ac-tuelle Rabat) était surtout célèbre pour son intense activité maritime et les Andalous en font la capitale des corsaires. La ville devient alors le terreau des corsaires les plus redou-tables et les plus prospères du Maghreb de l’époque. Les pirates salétins faisaient des raids jusqu’en Islande, en 1927, où le village de Grindavik était pillé. Plusieurs de ses ha-bitants étaient emmenés comme esclaves. De facto, les corsaires de Salé avaient lais-sé, pour longtemps, dans la mémoire des Européens, l’image des « écumeurs de Salé ».

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’activité com-merciale permet à Salé d’étendre son in-fluence dans la région, tout en menant des activités de piraterie dans des contrées très éloignées. Ce qui lui a valu d’être, fréquem-ment, attaquée par les puissances euro-péennes surtout la France, si bien que depuis Louis XIV, les canons étaient toujours en batterie.

Mais en 1666, la dynastie alaouite s’em-

pare de la ville et met fin à l’autonomie po-litique de la République du Bouregreg. Ain-si, le règne de Moulay Slimane donne une autre orientation à l’histoire de Salé grâce à la signature de la convention de 1818, avec certains Etats européens et l’arrêt de mort de la piraterie. La ville entre, d’ores et déjà, dans une nouvelle ère économique et de peuplement basé sur sa situation remar-quable de nœud de communications entre le Nord et le Sud du Maroc.

Au cours du XIXe siècle et pendant l’époque des protectorats français et espa-gnol, Salé demeurera un haut lieu de culture, de religion et de résistance.

Par ailleurs, en plus des bombardements de la flotte française, Salé a dû essuyer les dégâts importants liés aux tremblements de terre de 1755, 1757 puis 1773. Sans parler des crises agricoles et sanitaires qui avaient causé la mort de plusieurs habitants surtout en 1845 et en 1851.

Et seulement trois ans après, une vague de choléra emporte plus de 6.000 personnes dans les villes de Rabat et Salé.

La résistante qui vit dans l’ombre de la sœur jumelleFaut-il rappeler que les émeutes provo-

quées par le traité franco-marocain ins-taurant le protectorat français dans le pays avaient poussé le Sultan Moulay Abdelhafid à prendre la fuite, en direction de Fès, en 1912 ?

Salé fut alors reléguée au second plan par l’Administration française, au bonheur de Rabat. Mais la ville connaît ses titres de no-blesse avec la résistance nationale, qui com-mençait à se nicher dans la ville culturelle et religieuse, d’où fut lancé l’appel au « latif », le 27 juin 1930, par feus Hajs Ahmed Maâ-ninou, Abdellatif Sbihi et Abdelkrim Hajji. Il allait être relayé, par la suite, dans les prin-cipales mosquées du Royaume. Le 28 août 1930, une pétition contre le Dahir berbère est remise au Sultan Mohammed Ben Yous-sef puis au Résident général.

30 JANVIER/FÉVRIER 2019

Salé, la ville des ciergesou la « Rochelle de l’Afrique »

L’essor de Salé et son organisation sont étroitement liés aux événements historiques qui ont fait l’histoire séculaire de cette ville mythique, dont les recoins respirent l’histoire millénaire et la succession des dynasties.

En 1666, la dynastie alaouite s’empare de la ville et met fin à l’autonomie politique de la République du Bouregreg. Ain-si, le règne de Moulay Slimane donne une autre orientation à l’histoire de Salé grâce à la signature de la convention de 1818, avec certains Etats européens et l’arrêt de mort de la piraterie.

Salé, une ville qui reprend ses droits.

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HISTOIRE D’UNE VILLE

Devenue capitale du Royaume, Rabat occupe les premiers rangs et Salé s’en trouve, peu à peu, marginalisée par l’administration de telle façon qu’elle était souvent apparentée à une ville-dortoir

Les multiples portes et murailles de la ville, où Cervantes fut prisonnier, rappellent la richesse des civilisations qui ont fleuri à différentes époques.

Les remparts, fortifications et bastions qui constituent l’enceinte de la médina seront classés monuments historiques, en octobre 1914.

31 JANVIER/FÉVRIER 2019

Salé, la ville des cierges ou la « Rochelle de l’Afrique » (Suite)

Les contestations finiront par avoir gain de cause et la France finit par retirer, en 1934, le dahir qui visait la division des Ma-rocains. Cette même année, l’école An-Na-hda voit le jour pour tenir tête au protec-torat français. Sur un autre plan, Salé était la première ville à avoir célébré la Fête du Trône, le 18 novembre 1933.

Devenue capitale du Royaume, Rabat oc-cupe les premiers rangs et Salé s’en trouve, peu à peu, marginalisée par l’administra-tion de telle façon qu’elle était souvent apparentée à une ville-dortoir, banlieue de la ville de Rabat. Et bien que chacune des deux cités dispose de son histoire, son identité et de ses traditions propres à elle, Salé, nettement plus ancienne que Rabat, se voit, tout de même, vivre dans l’ombre de « la sœur rivale dominante ». L’exode rural massif de populations fuyant la misère et la sécheresse y élit domicile.

Un patrimoine en témoignage

d’une grande histoire Les multiples portes et murailles de la

ville, où Cervantes fut prisonnier, rap-pellent la richesse des civilisations qui ont fleuri à différentes époques. La médina de Salé, quant à elle, bâtie par les Ifrénides, est la plus ancienne du littoral marocain. A partir de 1068, et pendant 90 ans, Salé sera sous l’emprise des Almoravides, qui renforceront les défenses de la ville en l’entourant d’une muraille et d’une série de remparts percés de grandes portes, notam-ment Bab Mrisa près du centre-ville, et qui serait le plus vieux monument mérinide du Royaume, Bab-Bouhaja, Bab El Khémiss et Borj Addoumoue, bastion fortifié, bâti sur la plage en souvenir du massacre que la ville a connu. Les Almohades, quant à eux, détruiront les remparts et Abd al-Mumin fera construire la Kasbah, où il bâtira une enceinte, connue sous le nom de « Ribat al-Fath » après la victoire des armées almo-hades en Espagne. Les remparts, fortifica-tions et bastions qui constituent l’enceinte de la médina seront classés monuments historiques, en octobre 1914.

En 1709, le Sultan Moulay Ismaïl or-donne la construction de la Kasbah des Gnaouas pour y installer guich Abid al-Bukhari. Mais les habitants de la ville la détruiront, en 1758, suite au viol d’une jeune fille de la famille du Pacha par un sol-dat de la garde noire.

La médina qui représente l’âme de la ville et le mellah, fondé en 1807, ainsi que l’ancien quartier français appelé Rmel sont les quartiers les plus anciens de la ville.

Le 14 novembre 1913, une Maison de convalescence est fondée par l’épouse du maréchal Lyautey.

En plus de ces bâtiments publics, Salé recèle un riche patrimoine architectu-ral domestique, qui apparaît à travers les nombreuses maisons et demeures de la ville qui compte, aussi, plusieurs musées et bibliothèques.

C’est dire que l’enceinte de Salé compte parmi les chefs-d’œuvre de défense isla-miques les plus anciens du Maroc.

Terre du culturel et du cultuel

Réputée pour être la destination de dé-vots, dès l’avènement de l’Islam, Salé abrite plusieurs sites de recueillement et des lieux de culte à savoir une centaine de zaouïas, des mosquées et médersas en plus de cimetières de religions diverses et des sanctuaires. D’ailleurs, la Grande mosquée, construite entre 1028 et 1029, (classée troisième plus grande mosquée après la mosquée Hassan II de Casablanca et la mosquée Al Qaraouiyine de Fès) et la Médersa mérinide ont fait de Salé le deu-xième centre religieux, après Fès, à cette époque-là.

Couleurs locales de la villeIl va sans dire que des milliers de familles

salétines vivaient et vivent encore de l’ar-tisanat distingué de la ville. Le travail du bois, la poterie, la broderie, la dentellerie, la vannerie et le zellige sont autant d’activités artisanales qui ont fait la renommée de la ville avant que Fès, Marrakech et Tétouan ne viennent lui disputer le vedettariat. Mais les nattes tissées et introduites par des mi-grants andalous constituent, toujours, une spécialité de la ville. L’influence andalouse s’étend même jusqu’aux tons musicaux qui s’imprègnent du passé glorieux. D’au-tant plus que la musique chrétienne venue d’Espagne et du Portugal s’accorde aux notes maures pour constituer un héritage luxuriant du berceau de l’art du Samaa

(louanges chantées en chœur). A cheval sur les traditions, la ville de Salé est la seule à avoir su préserver la tradition de la procession des cierges. Une habitude qui remonte au règne d’Ahmed al-Man-sour Addahbi dont l’exil, en pays ottoman, a laissé une forte fascination pour la pro-cession organisée, à l’occasion de l’Aïd al-Mawlid. Marrakech a connu la première célébration avant qu’elle ne s’étende à Salé, en 1569, puis, dans tout le pays.

Salé-–la neuveAujourd’hui, la ville des corsaires renaît

de ses cendres et refuse de rester en marge du Maroc en marche. Reprendre ses droits est sa devise pour un développement du-rable sur tous les plans. D’ailleurs, Dar Sekka, édifice emblématique, vient don-ner de la notoriété à la ville et la sortir de l’ombre, en mars 1987. Suivra l’Agence pour l’aménagement de la vallée de Boure-greg, créée aussi, dans ce sens. Elle se join-dra, plus tard, à Al-Maâbar d’Abou Dhabi pour doter la ville de l’un de ses plus grands projets, avec ses résidences luxueuses, ses hôtels, ses commerces, sa cité des arts, ses restaurants, etc. Magic Park et Bouregreg Marina donnent de nouvelles couleurs à la cité. Malheureusement, la tare de la ville est le fardeau que lui lègue la capitale. En effet, rien qu’entre 1971 et 1994, la ville s’est vu envahir de population avec un taux d’ac-croissement d’environ 265%.Pour finir, la ville dont l’air a imbibé les poumons de l’historien Ahmad Ibn Kha-lid Naciri, le chanteur compositeur Lhou-cine Slaoui, l’écrivain Abdallah Chaqroun, l’écrivain français Alain Sanders et bien d’autres figures emblématiques est la pre-mière ville marocaine, méditerranéenne, africaine et arabe à signer la Convention des Maires, projet financé par l’Union eu-ropéenne, qui vise à contribuer au dévelop-pement durable de l’énergie. n

En plus de ses monuments, Salé recèle un riche patrimoine architectural domestique.

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JANVIER/FÉVRIER 2019 32À VRAI DIRE

Né à la fin du XVIIIe siècle, le natio-nalisme s’est développé au XIXe et au XXe siècle. Il a épousé des

contenus chauvinistes et franchement tota-litaires en Europe à partir des années 20 du siècle dernier. C’est ainsi que le nazisme s’était amplement installé en Allemagne et le fascisme en Italie, dès l’aube des années 30 du XXe siècle. Nous savons à quels drames apocalyptiques ces mouvements idéologiques mongoliens avaient abouti, avant et durant la Seconde Guerre mon-diale.

Aujourd’hui, l’histoire semble se répé-ter à plus d’un titre un peu partout dans le monde. Outre les Etats-Unis d’un Tremp scandant à-tout-va son « America first » et bafouant les principales règles internationales en matière de coopération multilatérale, pas moins de 11 nations eu-ropéennes sont, aujourd’hui, dirigées par des partis national-populistes ou des coa-litions comprenant ces partis, de l’Italie à la Pologne !

Est-il besoin d’évoquer ici la Russie poutinienne qui s’est drapée d’un natio-nalisme d’extraction slave doublé d’un retour fulgurant de la religion orthodoxe ?

Même en France qui s’enorgueillit tant et à juste titre de son héritage huma-niste, le virus national-populiste connaît une prospérité électorale tant à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche du système politique hexagonal.

Pis encore, la jacquerie des « Gilets jaunes » a secrété des discours aux relents nationalistes inquiétants. Un simple coup d’œil sur la masse des revendications renseigne sur une forte demande de l’Etat-providence par opposition aux agrégats financiaristes exigés par l’Union européenne, relayée par le FMI.

En vérité, la propagation du discours populiste à travers le monde semble être la conséquence directe d’une mondiali-sation qui laisse peu de place aux aspira-tions sociales.

L’émergence de nouvelles forces éco-nomiques hors de la sphère occidentale, la prohibition des déficits qui faisaient aupa-ravant office d’amortisseur social et, sur-tout, la réduction des coûts du travail ont fragilisé peu à peu les classes moyennes et les couches défavorisées.

Au « moindre État » des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix du siècle précédent succède une forte demande d’«Etat-providence» que relaye un discours nationaliste, parfois ultra-protectionniste.

Importée des USA, la crise financière de 2008 semble avoir favorisé les mouve-ments populistes exprimés par les urnes sur toute l’étendue de l’espace européen, d’abord au Sud (les Indignés, la Cata-

logne en Espagne, Gouvernement Conte en Italie…etc.), puis à l’Est (Jobbik en Hongrie, FPÖ en Autriche, etc.)

C’est que la mondialisation a permis le transfert du centre du monde de l’Occi-dent vers l’Asie où la Chine a pu déclas-ser les États Unis, dès 2015, à la tête de l’économie mondiale.

En vérité, la compétition mondiale a marginalisé les classes moyennes oc-cidentales et créé une classe moyenne dynamiquement ascendante en Chine. Durant deux décennies, pas moins de vingt à trente millions de Chinois sont propulsés vers les trois strates de la classe moyenne grâce à un Etat fort et lui-même dynamique au registre de la compétitivité.

L’avènement de Tremp, électorale-ment soutenu par les dizaines de millions de victimes de la crise de 2008 et ses prolon-gements socioéconomiques, semble n’être rien d’autre que la conséquence de ce déclas-sement face aux dragons asia-tiques, Chine en tête.

Ce déclassement a pu toucher nombre de nations occiden-tales, dont la France qui s’est vue ainsi reléguée à un rang comparable à celui du Brésil, alors qu’elle s’était longtemps positionnée au 4e rang mondial.

Ainsi, au pays de 1789, 1830, 1848, 1871 et 1936, on a vu prospérer le national-po-pulisme non seulement sur la scène politique où le Front national, devenu le Rassem-blement tout aussi national, put accéder au second tour des présiden-tielles, mais également au niveau intel-lectuel où un Finkielkrut put aisément rejoindre l’Académie française !

La parole national-chauviniste s’est ainsi libérée au détriment des forces progressistes au point qu’un Parti socia-liste jadis triomphant s’est vu quasiment écrasé durant les dernières échéances électorales.

Ainsi donc, partout en Occident, la longue alliance de la bourgeoisie éclai-rée avec les couches sociales modestes a été pulvérisée par les mutations qui ont privilégié les nouvelles technologies de l’information au détriment de l’indus-trie, la financiarisation de l’économie à la défaveur de la production. Le now how semble remplacer les biceps, ce qui jette à la marche des millions de travailleurs manuels.

Qu’en est-il du populisme au Maroc où le PJD conduit le gouvernement depuis deux législatures ?

A l’épreuve du pouvoir, le parti isla-miste ne s’est pas privé de toutes sortes d’envolées populistes où les «à-peu-près» dogmatiques, les charges anti-mo-dernitaires ou encore le fatalisme « in-challahesque » ont prospéré, notamment durant le Gouvernement Benkirane. Ce-lui-ci put ainsi, toute honte bue, se récla-mer de la pensée exclusionniste du même Ibn Taymiya qui a copieusement nourri la pensée wahhabite !

Au Maroc, les réseaux sociaux pul-lulent de discours anti-occidentaux, voire anti-modernitaires et parfois franchement racistes et antisémites.

Pis encore, la notion de la nation semble émigrer vers un national-populisme tein-té d’islamisme où, à titre d’exemple, le statut de la femme est relégué à une hon-

teuse infériorité. Paradoxalement, l’explosion des auto-

routes de l’information a engendré un an-ti-progressisme aux relents exclusivistes où s’insèrent des populations démunies de culture et donc de sens critique. Des slogans du type « hijabi ‘iffati » (mon hijab est ma pudeur) deviennent le credo d’une élite dirigeante qui rêve d’aliéner les acquis du Code de la famille institué à l’aube des années 2000.

A vrai dire, un peu partout dans le monde, la peur gouverne de plus en plus les esprits et les comportements. On se dirait au lendemain de la crise de 1929 qui avait engendré un national-populisme vite métamorphosé en idéologies dévas-tatrices.

Il est donc temps de protéger la nation marocaine contre ce fléau qui s’est empa-ré du rigorisme islamiste pour développer un anti-occidentalisme revanchard qui n’est rien d’autre que le paravent d’un ac-tivisme anti-modernitaire. n

La montée du national-populisme :la grande menace contre l’humanisme

Abdessamad Mouhieddine

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LU POUR VOUS

Après 12 millions d’exemplaires de « Sapiens » et « Homo Deus », Yuval Noah Harari, docteur en

histoire de la prestigieuse université an-glaise d’Oxford, signe un nouveau car-ton planétaire : « 21 leçons pour le XXIe siècle », une nouvelle plongée dans notre avenir proche.« En 2010, l’obésité et les maladies qui lui sont liées ont tué autour de trois mil-lions de personnes ; les terroristes ont fait 7.697 victimes à travers le monde, pour la plupart dans les pays en voie de dévelop-pement. Pour l’Américain ou l’Européen moyen, Coca-Cola représente une menace plus mortelle qu’Al-Qaïda. »

Reçu en grande pompe par Angela Mer-kel et Emmanuel Macron, encensé par Ba-rack Obama qui ne cache pas son amour envers cette « humanité vue du ciel », ou encore par Bill Gates et Mark Zuckerberg qui n’hésitent pas à faire la promotion de ses livres «toniques», disent-ils, Harari a réussi, en peu de temps, son rêve, en s’of-frant le fan-club le plus cossu du monde et en devenant ainsi un écrivain mondial de renommée, jusqu’à ce que les médias septentrionaux lui attribuent l’auréole du penseur le plus important du monde.

En dépit du fait qu’il se dit bouddhiste, Harari adhère, manifestement, à une vision moins pacifiste que celle défendue par un certain Steven Pinker, son challenger nu-méro un dans une bataille d’idées où cha-cun veut imposer son dernier mot, sans pour autant manquer de se recommander l’un l’autre. Harari se démarque de son ri-val quand il ajoute son regard d’historien flétri : « Il ne faut jamais sous-estimer l’ir-rationnalité humaine » dit-il.

Entre l’histoire de l’humanité et son avenir,

il n’y a que deux livres !Son premier ouvrage a hanté, de par

ses questions, tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’humanité : Comment Sa-piens a-t-il pu supplanter tous ses enne-mis et résister, il y a 30.000 ans malgré

toutes les menaces qu’il a rencontrées, depuis le néolithique jusqu’à nos jours ? Se distinguant ain-si de l’homme de Néan-dertal qui a longtemps pâti de jugements néga-tifs : fruste, laid et attar-dé. A cette question, Yu-val Noah Harari répond par un trait de génie. Il explique la supériorité d’Homo sapiens, à tra-vers son pouvoir de fic-tion et sa capacité unique à coopérer avec d’autres espèces. Cet apanage exclusif dont dispose l’ancêtre de l’homme, lui permet de créer un tas d’histoires imaginaires sous forme de dieux communs ou de mythes

afin d’assurer la stabilité et la pérennité du groupe, explique-t-il. Ces mythes de-viennent ainsi pour Sapiens des réalités imaginaires qui servent, en premier lieu, à éradiquer les réalités objectives (dangers naturels) et rechercher des modus vivendi avec ses semblables pour mieux coexister. L’auteur a choisi de donner à ce pouvoir le surnom de révolution cognitive dans un premier chapitre, laquelle est complé-tée par une révolution agricole (la décou-verte de l’agriculture permet ipso facto une croissance démographique) et une autre scientifique dans un dernier chapitre où il évoque une révolution contre l’ignorance et un début de l’avidité humaine pour de nouvelles découvertes (ex. découverte des Amériques ).

Paru il y a quatre ans, le premier livre de Harari est traduit en 42 langues et il va bientôt être adapté au cinéma par Ridley Scott. En France, il s’est écoulé à 250.000 exemplaires et il s’en achète encore 2.000 par semaine. L’édition anglaise, elle, s’est vendue à un million d’exemplaires. Ce landslide mondial s’explique par l’origina-lité inédite de l’auteur. À une époque où le développement des sciences est sans égal et l’éclatement des technologies a atteint son summum, l’être humain se demande plus que jamais d’où il vient, qui il est, où il va et ce qu’il va devenir. Le total de 500 pages qui prétend répondre à toutes ces in-terrogations et enseigner au monde entier le résumé de son histoire depuis la nuit des temps, en se basant sur des sources scrupu-leuses, a tout pour conquérir des millions de lecteurs.

La suite de Sapiens est une sorte de deuxième tome intitulé « Homo deus, une brève histoire de l’avenir » (Albin Michel). Son lectorat fait de ce deuxième bijou une nouvelle bible qui a réussi à concevoir ce que deviendrait cet être humain tiraillé, chaque jour, entre les manipulations gé-nétiques et l’évolution incontrôlable de la technologie, ses méfaits en filigrane. Paru en anglais en 2016, il n’est traduit et pu-blié en France qu’une année après. Ce pro-longement de Sapiens examine les grands cheminements de l’histoire humaine, dé-crivant ainsi, avec beaucoup de nuance, les derniers progrès de l’humanité en termes de biologie, d’informatique et des sciences sociales, avant de présager tel une pythie, l’avenir proche et lointain des humains, mais sans manquer de souligner qu’il ne prétend jamais réincarner Jeanne d’Arc : « Toutes les prédictions qui parsèment ce livre ne sont rien de plus qu’une tentative pour aborder les dilemmes d’aujourd’hui et une invitation à changer le cours de l’avenir ».

Harari nous apprend en 11 chapitres que le caractère imprévisible de l’humain fait que ses aspirations et ses priorités vont le conduire à se hisser au rang d’un homo sa-piens qui perd le contrôle et qui devient, crescendo, l’esclave des machines qu’il a et qu’il va lui-même créer, et qui vont - iro-nie du sort- savoir mieux que lui ce qui est le bien et le mal pour tous, y compris pour lui-même. Ce système, si terrifiant soit-il,

pourrait selon l’auteur mettre l’homme sur la touche.

Si les historiens ont toujours été d’excellents donneurs de leçons, Harari

l’est aujourd’hui aussi« L’humanite perd la foi dans le récit libéral qui a dominé la vie politique mondiale dans les dernières décennies, au moment précis où la fusion de la biotech et de l’infotech nous lance les plus grands défis que l’humanité ait jamais dû relever ».

Après la préhistoire, la conquête du monde, grâce aux fictions (Sapiens) et les prédictions effrayantes d’un futur plus dé-plaisant qu’appétissant (Homo Deus), il ne manquait donc que le présent. « 21 leçons pour le XXIe siècle » n’est pas un récit his-torique mais un choix de leçons qui nous met face aux grands défis de notre époque. En 21 chapitres, l’auteur aborde les grandes questions contemporaines : Crise du modèle économique libéral et de la dé-mocratie, dérives belligènes et risques po-tentiels d’une guerre nucléaire, une Europe en pleine crise migratoire, avant de s’in-terroger sur d’autres phénomènes : quelle puissance domine le monde aujourd’hui ? Quelles solutions face au terrorisme ? Que faire pour endiguer le flux des fake news ? (« dans un monde inondé d’informations sans pertinence, le pouvoir appartient à la clarté », ce que nous défendons par ail-leurs au Maroc Diplomatique)...

Pour Harari, seules la perspicacité, l’in-telligence et la clarté peuvent remédier à tout cela, dans un cadre institutionnel, autre que l’Etat-nation qui pour l’auteur, est devenu obsolète face à des problèmes bien plus globaux comme le réchauffe-ment climatique ou encore les nouvelles technologies qui risquent d’inverser le rap-port de force qui existe entre les humains et leurs inventions.

On peut, toutefois, s’offrir un peu le luxe de reprocher au penseur de sur-estimer le pouvoir de la technologie comme unique grille de lecture de l’avenir de l’homme, et de sous-estimer d’autres problèmes ac-tuels comme la question migratoire ou la montée du populisme. n

S.B

Paru il y a quatre ans, le premier livre de Harari est traduit en 42 langues et il va bientôt être adapté au cinéma par Ridley Scott. En France, il s’est écoulé à 250.000 exemplaires et il s’en achète encore 2.000 par semaine.

Après la préhistoire, la conquête du monde, grâce aux fictions (Sapiens) et les prédictions effrayantes d’un futur plus déplaisant qu’appétissant (Homo Deus), il ne manquait donc que le présent.

33 JANVIER/FÉVRIER 2019

Yuval Noah Harari, l’historien de l’avenir

Page 31: 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages ... · 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages N° 32 - JANVIER/FÉVRIER 2019 E lue en juin 2018, aux côtés de l’Allemagne, la Belgique, l’Indo-nésie

LIVRES

Dans le monde moderne, les causes de frus-tration sont nombreuses et nous impactent,

dans nos différents domaines de vie : sociétal, familial et professionnel. Beaucoup de per-sonnes ne se retrouvent pas dans cette société en déperdition de valeurs et de repères, ce qui les oblige, souvent, à abandonner leurs rêves et par conséquent perdre de vue leur vrai potentiel pour pouvoir se réaliser pleinement et rayonner.

Évoluer dans cet environnement en perpétuel changement nécessite une auto-motivation constante, une prise en main de sa réussite et un pilotage de ses projets.

Le concept « Osez rayonner » avec La mé-thode S.O.L.A.I.R.E apporte la réponse à ce questionnement et à ce besoin permanent de développement.

Cette méthode guide la per-sonne, dans sa démarche, selon une logique simple qui néces-site d’explorer, à partir d’une situation initiale inconfortable, les axes prioritaires qui per-mettent de se réaliser et d’iden-tifier les actions à entreprendre.

Le livre met à la disposition du lecteur des outils et des techniques pour oser rayon-ner à travers l’histoire de Chams, une femme de 50 ans qui se sent perdue et se remet

en questions par rapport au développement de ses projets professionnels. Elle se fait donc ac-compagner par une coach avec la méthode S.O. L.A.I.R.E qui l’aidera à clarifier son projet et atteindre l’objectif qu’elle va se fixer.

Osez Rayonner est un long cheminement vers le rayonnement intérieur, donc à chacun de trou-ver son rythme. C’est un livre qui a été réfléchi pour accompagner le lecteur dans la réalisation de ses projets. Les exercices sont à faire sur une durée moyenne de 90 jours, renouvelables pour chaque nouveau projet. Il est aussi documen-té, en filigrane, par l’histoire de Chams qui se cherche et qui trouve ses réponses en 7 séances, guidée par la méthode S.O.L.A.I.R.E.

Entrepreneure, coach et conférencière internatio-nale, Amal Hihi est diplômée en Marketing de l’IHEES Bruxelles. Elle est certifiée coach PCC par ICF USA, formée au leadership à HEC Paris, certifiée en process com, en Management 3.0 et en PNL.

Inventrice du concept «Osez rayonner» avec la méthode de coaching S.O.L.A.I.R.E, Amal accompagne les dirigeants vers le rayonnement profes-sionnel.n

«F ace à certaines

épreuves, les questions sont plus impor-tantes que les r é p o n s e s ! » , répondit Suzanne, ancienne athlète canadienne à Nadia, jeune marocaine de 36 ans, au bord du burnt out. Des échanges entre deux femmes que rien ne prédestinait à se connaître, deux destins de vie où se mêleront trois autres destins de femmes, toutes aussi émouvantes et atta-chantes, qui ont su réussir leur vie malgré toutes les difficultés et les souffrances. Chacune de leur histoire répond à une question existentielle de Na-dia. Un récit inspiré de parcours réels de femmes qui ont su triom-pher et réaliser leurs objectifs grâce à des aptitudes que chacune de nous possède. Ces femmes ont, à un moment donné, activé cette clé que nous avons toutes en

nous. Une sorte de conte moderne où nous deve-nons actrice de notre vie ! « Après m’avoir donné beaucoup de choses, la Vie m’a tout repris...pour ne me rame-ner que l’essen-tiel », Sabr Deb-bah résume ainsi sa vie.

Dans sa période de chaos, elle se pose la question : Qu’est-ce qui fait que certaines femmes, face à l’épreuve, trouvent l’énergie de se battre et de réussir et pas d’autres ? Elle va aller à la rencontre de femmes qui ont réussi à réaliser leurs objectifs et ce malgré les obstacles rencontrés. Elle s’ins-pirera elle-même de ces femmes pour trouver sa voie et continuer d’avancer. « Pourquoi pas moi » nous livre les secrets et la clé de réussite de toutes ces femmes inspirantes, à travers des histoires vraies qui nous ressemblent !n

Le dernier livre de Mohammed Ennaji aborde le sujet épineux

de la perception de la femme dans les textes religieux. Voici un ou-vrage courageux, élégant et éru-dit qui répond à la question non moins épineuse «Qu’en est-il de la femme dans le Coran, l’a-t-il à ce point grandie pour qu’on en fasse autant la louange, ou bien l’a-t-il déconsidérée, et jusqu’à quel point ? »

Au-delà du rapport du Coran à la femme qu’on retrouve le long du texte, au-delà de la représentation is-lamique finement décrite d’un corps féminin diabolisé ainsi que du statut quasi servile de la femme, le livre aborde des questions taboues, se rapportant à l’institution des « mères des croyants ». Il en dévoile les non-dits en décryptant le texte sacré selon une dé-marche nourrie par les sources les plus auto-risées.

Comme le sou-ligne l’introduction, «le thème profond de ce livre est la contes-tation féminine à la naissance de l’islam et la façon dont les

textes religieux, Coran et Sunna, l’ont étouffée et ligotée, en un mot enchaînée ».

Mohammed Ennaji «n’a pas froid aux yeux» dans son approche du sacré, l’expression est de Régis Debray dans sa préface à un autre titre du même auteur. Elle se vérifie à nouveau dans Le Corps enchaîné.

« Les trois niveaux susdits se rap-portant au corps – servitude, liberté, espace frontalier de bascule – reliés entre eux, posent le problème du corps féminin en islam, au moins sous certains de ses aspects. C’est de ce corps, à couvert et à décou-vert, qu’il est question ici. Y aurait-il des corps distincts, celui des femmes libres et celui d’autres femmes qui ne le sont pas ? Au-delà du juridique

pur, ces corps ont-ils des natures et des existences dif-férentes ou alors s’agit-il, tout compte fait, du même corps, du seul et unique, celui sexuel et so-cial, celui des femmes de toutes conditions, celui de la femme tout court, indépendamment de sa condition? »n

Osez rayonner avec la méthode solaireAmal HIHI, Les Editions Actuelles

Pourquoi pas moi ?Sabr Debbah, Le Lys bleu

Modernités arabes, de la modernitéà la globalisation

Khalid Zekri, La Croisée des Chemins

Ê tre ici et ailleurs, circuler entre plusieurs

cultures, pratiquer plusieurs langues n’a jamais été contre-productif. Il est aisé de constater que, dans les contextes culturels arabes, seuls les individus, cultu-rellement monolithiques, sombrent dans le fantasme de l’authenticité identi-taire. C’est ce que tente de démontrer cet essai à triple objectif de Khalid Zekri.

Il rend d’abord compte des discours modernistes et contre-modernistes qui ont marqué la rencontre du monde arabe avec les Empires européens. Ensuite, il opère une critique des conséquences de l’hégémonie occiden-tale sur les cultures postcoloniales. Enfin, il analyse les formes de réappropriation de soi et les nouvelles subjectivités qui remettent en question le fantasme du «comme un» dans les contextes arabo-islamiques. Il est également question d’une politique de la multiplicité des appartenances à l’ère de la globalisation.

Issu des séminaires dispensés par Kha-lid Zekri en tant que professeur invité dans les universités de Leipzig, Mannheim et Aix-la-Chapelle, Modernités arabes est un essai qui met en relief le paradigme d’une modernité disjonctive au-delà du dilemme

dichotomique tradition arabo-islamique ou mo-dernité occidentale. Le dé-passement de ce dilemme s’inscrit dans un double mouvement : relativiser le singulier de la modernité occidentale, érigé en para-digme universel, et propo-ser une réflexion sur la mo-dernité hétérogène venue d’Occident et d’ailleurs.

Questions auxquelles répond le livre

Pour étayer son argu-mentation, Khalid Zekri

remonte au XIXe siècle pour mieux com-prendre la généalogie de cette modernité lors du contact entre le monde arabe et les Empires européens pour arriver ensuite à notre actualité marquée par la globalisation.

L’auteur aborde dans son essai un en-semble de questions cruciales :

De quoi cette diversité culturelle est-elle l’expression ? Que signifie participer à plu-sieurs temporalités et être façonné par plu-sieurs cultures ?

Comment peut-on qualifier cette autre modernité qui échappe à la logique cultu-relle occidentale tout en s’en inspirant ? Quelles sont les répercussions de la globa-lisation sur les concepts, les valeurs, les dé-sirs, les peurs et les espoirs qui marquent le monde arabe ?...n

Le Corps enchaîné, Comment l’Islam contrôle la femme

Mohammed Ennaji, La Croisée des Chemins

JANVIER/FÉVRIER 2019 34