1.3. Ce corps qui me détruit Mouvement artistique et ... · sêma) il est imparfait car il n’est...

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1.3. Ce corps qui me détruit Pour Platon : le corps est une prison (sôma, sêma) il est imparfait car il n’est pas éternel. Pour le christianisme, c’est pareil. Mouvement artistique et littéraire : le Baroque - XVIe-début XVIIe s. = guerres de religion - découvertes comme le fait que la Terre soit ronde + tourne autour du soleil c.à d. que la Terre ≠ centre de l’univers = choc, déception - Baroque = tout passe, tout lasse Bible : “Vanité des vanités, tout est vanité” → en peinture, qu’est-ce qu’une vanité ? https://www.youtube.com/watch?v=aHP65n-73l E Puis, de la représentation des crânes à la peinture de la beauté féminine :

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1.3. Ce corps qui me détruitPour Platon : le corps est une prison (sôma, sêma) il est imparfait car il n’est pas éternel.

Pour le christianisme, c’est pareil.

Mouvement artistique et littéraire : le Baroque

- XVIe-début XVIIe s. = guerres de religion- découvertes comme le fait que la Terre

soit ronde + tourne autour du soleilc.à d. que la Terre ≠ centre de l’univers= choc, déception

- Baroque = tout passe, tout lasse

Bible : “Vanité des vanités, tout est vanité”

→ en peinture, qu’est-ce qu’une vanité ?

https://www.youtube.com/watch?v=aHP65n-73lE

Puis, de la représentation des crânes à la peinture de la beauté féminine :

Hans Baldung, Les Trois âges de la femme et la mort, 1510

Anonyme, gravure du XVIIe siècle, Le Miroir de la vie et de la mort

Bernardo Strozzi, Vieille femme au miroir, 1635

Mais des artistes plus récents ont repris le même thème.

Allan Gilbert, All is Vanity, 1892

Gustav Klimt, Les Trois Âges de la femme,1911

Ramón Gomez de la Serna, Miroir de la mort, 1917

Buffon (naturaliste, XVIIe siècle) HISTOIRE NATURELLE DE L’HOMME, tome II

De la Vieillesse et de la Mort

Tout change dans la Nature, tout s’altère, tout périt ; le corps de l’homme n’est pas plutôt arrivé à son point de

perfection, qu’il commence à déchoir : le dépérissement est d’abord insensible, il se passe même plusieurs années

avant que nous nous apercevions d’un changement considérable, cependant nous devrions sentir le poids de nos années

mieux que les autres ne peuvent en compter le nombre ; et comme ils ne se trompent pas sur notre âge en le jugeant

par les changements extérieurs, nous devrions nous tromper encore moins sur l’effet intérieur qui les produit, si nous

nous observions mieux, si nous nous flattions moins, et si dans tout, les autres ne nous jugeaient pas toujours beaucoup

mieux que nous ne nous jugeons nous-mêmes. Lorsque le corps a acquis toute son étendue en hauteur et en largeur par

le développement entier de toutes ses parties, il augmente en épaisseur ; le commencement de cette augmentation

est le premier point de son dépérissement, car cette extension n’est pas une continuation de développement ou

d’accroissement intérieur de chaque partie par lesquels le corps continuerait de prendre plus

d’étendue dans toutes ses parties organiques, et par conséquent plus de force et d’activité, mais c’est une simple

addition de matière surabondante qui enfle le volume du corps et le charge d’un poids inutile. Cette matière est la

graisse qui survient ordinairement à trente-cinq ou quarante ans, et à mesure qu’elle augmente, le corps a moins de

légèreté et de liberté dans ses mouvements, ses facultés pour la génération diminuent, ses membres s’appesantissent,

il n’acquiert de l’étendue qu’en perdant de la force et de l’activité. D’ailleurs les os et les autres parties solides du

corps ayant pris toute leur extension en longueur et en grosseur, continuent d’augmenter en solidité, les sucs

nourriciers qui y arrivent, et qui étaient auparavant employez à en augmenter le volume par le développement, ne

servent plus qu’à l’augmentation de la masse, en se fixant dans l’intérieur de ces parties ; les membranes deviennent

cartilagineuses, les cartilages deviennent osseux, les os deviennent plus solides, toutes les fibres plus dures, la peau se

dessèche, les rides se forment peu à peu, les cheveux blanchissent, les dents tombent, le visage se déforme, le corps

se courbe, etc. les premières nuances de cet état se font apercevoir avant quarante ans, elles augmentent par degrés

assez lents jusqu’à soixante, par degrés plus rapides jusqu’à soixante et dix ; la caducité commence à cet âge de

soixante et dix ans, elle va toujours en augmentant ; la décrépitude suit, et la mort termine ordinairement avant l’âge

de quatre-vingt-dix ou cent ans la vieillesse et la vie.

Dans un autre texte: éloge de la vieillesse :

« [...] il y a plus de gain au moral que de perte au physique; tout au moral est acquis ; et si quelque chose au physique

est perdu, on en est pleinement dédommagé. [...] A cinquante-cinq ans, la fortune est établie, la réputation faite, la

considération obtenue, l’état de la vie fixe, les prétentions évanouies ou remplies, les projets avortés ou mûris, la

plupart des passions calmées ou du moins refroidies, la carrière à peu près remplie pour les travaux que chaque

homme doit à la société, moins d’ennemis ou plutôt moins d’envieux nuisibles, parce que le contrepoids du mérite est

connu par la voix du public; tout concourt dans le moral à l’avantage de l’âge, jusqu’au temps où les infirmités et les

autres maux physiques viennent à troubler la jouissance tranquille et douce de ces biens acquis par la sagesse, qui

seuls peuvent faire notre bonheur. »

Question: que faut-il pour vieillir heureux ?

Jean- Claude AMEISEN, médecin et chercheur en biologie. Auteur d’ouvrages de vulgarisation.

Une idée longtemps prédominante en biologie a été que la disparition de nos cellules – comme notre propre disparition en tant qu’individus – ne pouvait résulter que d’agressions de l’environnement, d’accidents, de destructions, de famines, d’une incapacité intrinsèque à résister au passage du temps, à l’usure et au vieil-lissement. Mais au long de cent cinquante ans d’interrogations, de perplexité et de recherches qui se sont long-temps poursuivies dans l’obscurité avant d’émerger en pleine lumière, la réalité s’est progressivement révélée de nature plus complexe et plus paradoxale. Aujourd’hui nous savons que toutes nos cellules possèdent, à tout moment, la capacité de déclencher leur autodestruction, leur mort prématurée, avant que rien, de l’extérieur, ne les détruise. C’est à partir de leurs gènes – de nos gènes – que nos cellules produisent les « exécuteurs » molé-culaires capables de précipiter leur fin, et les « protecteurs » capables un temps de neutraliser ces exécuteurs. Et la survie de chacune de nos cellules dépend, jour après jour, de la nature des interactions provisoires qu’elle est capable d’engager avec d’autres cellules de notre corps, interactions qui seules lui permettent de réprimer le dé-clenchement de l’autodestruction. Une cellule qui a vécu un jour, un mois, ou un an dans notre corps est une cel-lule qui, pendant un jour, un mois ou un an, a réussi à trouver dans son environnement les molécules, fabriquées par d’autres cellules, qui lui ont permis de réprimer son autodestruction. Une cellule qui commence à mourir dans notre corps est, le plus souvent, une cellule qui, pour la première fois, vient de cesser de trouver dans son envi-ronnement les molécules nécessaires à la répression de son autodestruction.

Ces données ont commencé à modifier les représentations que nous nous faisons de la mort. À l’image ancienne de la mort comme une faucheuse, surgissant du dehors pour détruire, s’est surimposée, au niveau cellulaire tout du moins, une image nouvelle, celle d’un sculpteur, au cœur du vivant, à l’œuvre dans l’émergence de sa forme et de sa complexité. Et ces données ont aussi commencé à modifier les représentations que nous nous faisons de la vie, au niveau tout du moins des cellules qui nous composent. Nous percevons habituellement la vie comme un phénomène positif, qui va de soi, mais ces notions que je viens d’évoquer suggèrent qu’elle résulte de la négation continuelle d’un événement négatif, de la répression continuelle d’une autodestruction. Nous percevons habituellement la vie comme un phénomène individuel – une cellule vit – mais ces notions suggèrent que la vie a aussi une dimension collective. En d’autres termes, lorsque nous observons une cellule et que nous nous demandons quels sont les éléments qui sont à la fois nécessaires et suffisants à sa survie, nous ne pouvons pas véritablement répondre si nous oublions qu’une partie de la réponse est « la présence d’autres cellules ». Nous sommes des sociétés cellulaires dont chacune des composantes vit en sursis, et dont aucune ne peut survivre seule. Et c’est de cette précarité même, de cette fragilité, de cette vulnérabilité et de l’interdépendance absolue qu’elles font naître que dépend notre existence en tant qu’individu. […]Chaque jour, plusieurs dizaines de milliards de nos cellules s’autodétruisent – en moyenne plusieurs centaines de milliers par seconde – et sont remplacées par des cellules nouvelles. Être vivant, c’est être, à tout moment, pour partie en train de mourir et pour partie en train de renaître.

Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, Fayard, 2005.

La jeunesse était le temps du bonheur, sa saison unique ; menant une vie oisive et dénuée de soucis,

partiellement occupée par des études peu absorbantes, les jeunes pouvaient se consacrer sans limites à la

libre exultation de leurs corps. Ils pouvaient jouer, danser, aimer, multiplier les plaisirs. Ils pouvaient sortir,

aux premières heures de la matinée, d’une fête, en compagnie des partenaires sexuels qu’ils s’étaient

choisis, pour contempler la morne file des employés se rendant à leur travail. Ils étaient le sel de la terre, et

tout leur était donné, tout leur était permis, tout leur était possible. Plus tard, ayant fondé une famille, étant

entrés dans le monde des adultes, ils connaîtraient les tracas, le labeur, les responsabilités, les difficultés de

l’existence ; ils devraient payer des impôts, s’assujettir à des formalités administratives sans cesser

d’assister, impuissants et honteux, à la dégradation irrémédiable, lente d’abord, puis de plus en plus rapide,

de leur corps ; ils devraient entretenir des enfants, surtout, comme des ennemis mortels, dans leur propre

maison, ils devraient les choyer, les nourrir, s’inquiéter de leurs maladies, assurer les moyens de leur

instruction et de leurs plaisirs,

et contrairement à ce qui se passe chez les animaux cela ne durerait pas qu’une saison, ils resteraient jusqu’au bout esclaves de leur progéniture, le temps de la joie était bel et bien terminé pour eux, ils devraient continuer à peiner jusqu’à la fin, dans la douleur et les ennuis de santé croissants, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus bons à rien et soient définitivement jetés au rebut, comme des vieillards encombrants et inutiles. Leurs enfants en retour ne leur seraient nullement reconnaissants, bien au contraire leurs efforts, aussi acharnés soient-ils, ne seraient jamais considérés comme suffisants, ils seraient jusqu’au bout, du simple fait qu’ils étaient parents, considérés comme coupables. De cette vie douloureuse, marquée par la honte, toute joie serait impitoyablement bannie. Dès qu’ils voudraient s’approcher du corps des jeunes ils seraient pourchassés, rejetés, voués au ridicule, à l’opprobre, et de nos jours de plus en plus souvent à l’emprisonnement. Le corps physique des jeunes, seul bien désirable qu’ait jamais été en mesure de produire le monde, était réservé à l’usage exclusif des jeunes, et le sort des vieux était de travailler et de pâtir. Tel était le vrai sens de la solidarité entre générations : il consistait en un pur et simple holocauste de chaque génération au profit de celle appelée à la remplacer, holocauste cruel, prolongé, et qui ne s’accompagnait d’aucune consolation, aucun réconfort, aucune compensation matérielle ni affective.