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Pour citer cet article :
Gachet (F.) & Zumwald (G.), 2015, Linversion du sujet clitique , in Encyclopdie Grammaticale du
Franais, en ligne : http://encyclogram.fr
LINVERSION DU SUJET CLITIQUE
(F. Gachet & G. Zumwald, 07/2015)
1. DCOUPAGE DU DOMAINE
1.1. Dfinition
La notion d inversion du sujet clitique dpend naturellement de lexistence dune catgorie sujet
clitique . Il convient donc de commencer par prsenter et dfinir celle-ci, avant de pouvoir aborder
linversion elle-mme.
1.1.1. Les sujets clitiques (SCL)
Les sujets clitiques (je, tu, il, elle, on, a, ce, nous, vous, ils, elles) sont des formes non accentues,
utilises conjointement au verbe ; elles ne peuvent tre spares du verbe que par le ne de ngation ou
par dautres formes conjointes (clitiques complments) :
(1) On avait envie de lui demander pourquoi il y consacrait tellement de temps. Il nessaya
jamais de les vendre et il nen fit jamais cadeau personne ; il ne les accrochait mme pas
chez lui ; ds quil en avait fini un, il le rangeait plat dans une armoire et il en
commenait un autre. [Perec, f]
Les sujets clitiques se distinguent des pronoms disjoints comme moi, toi, lui, eux, etc.
(2) Eux, ils ne savaient pas que jtais juif. [Lanzmann, f]
Les formes elle, nous et vous ont la particularit de pouvoir tre employes comme sujets clitiques et
comme pronoms disjoints. Il nest pas dcid sil convient de traiter ces cas comme des formes
homonymes ou comme des emplois diffrents dun mme pronom :
(3) Nous, nous voulons savoir. [Perec, f]
La forme a est dans le mme cas. En position de sujet, elle connat des emplois clitiques ou disjoints.
(4) (a) a, cest dommage ! a, a me fend le cur !
(b) Des hommes, a se remplace, on en a tant quon en veut. Mais un cheval, a cote 5
000 francs. [Sartre, f]
La forme ce est presque exclusivement employe avec le verbe tre, ventuellement assorti dauxiliaires
modaux (devoir, pouvoir) ou temporels (aller), et dans la formule ce (me) semble.
(5) (a) Et puis ce peut tre son jeune boy, pour des raisons personnelles. [A. Jenni, f]
(b) Bientt la neige va fondre, bientt ce va tre le printemps. [Montherlant, f]
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(c) Trs peu de gens, ce me semble, savent ce quest la faim. [Salvayre, f]
(d) Ce nest pas, ce semble, un peu de bruit autour des trains de permissionnaires qui peut
faire douter du moral de larme. [Guilloux, f]
Au contraire du clitique a, ce nest pas employ avec dautres verbes, de trs rares exceptions prs
(par exemple avec un auxiliaire mis au service dun verbe autre que tre) :
(6) De Cioran, et ce pourrait dornavant me servir de devise : Sil me fallait renoncer mon
dilettantisme, cest dans le hurlement que je me spcialiserais. [Lagarce, f]
Le statut catgoriel des sujets clitiques
Le statut catgoriel des sujets clitiques est controvers. Deux approches sopposent.
Lanalyse pronominale
Une premire approche traite les SCL comme des pronoms ayant un statut dargument, au mme titre
que les pronoms toniques de la srie ?moi, toi, lui...?. Cette position est reprsente notamment dans des
travaux dobdience chomskyenne : Couquaux (1986), Rizzi (1986), Laenzlinger (2003), De Cat (2007).
Laenzlinger explique par exemple que la position actuellement dominante en grammaire gnrative
considre les SCL comme des clitiques phonologiques. Dans cette perspective, les pronoms sujets
occupent une place dargument en structure profonde comme en structure de surface ; cest seulement au
niveau phonologique quils deviennent clitiques, se plaant juste avant ou juste aprs le verbe.
Divers arguments sont avancs pour dfendre cette position contre celle qui traite les sujets clitiques
comme des affixes.
(i) Lun est dordre thorique : selon une thse qui a cours en grammaire gnrative, les rgles de
dplacement ne sappliquent qu des constituants de niveau syntaxique ; dans cette optique, une analyse
affixale des clitiques sujets (qui en fait des units morphologiques) est incompatible avec leur inversion.
Les autres arguments sont de nature empirique :
(ii) Les sujets clitiques peuvent porter sur plusieurs verbes coordonns (Rizzi, 1986 ; DeCat, 2007), ce
qui interdit dy voir des affixes morphologiques :
(7) je vous darde et brle et envote jusquaux dlices du pageot. [Boudard, f]
(iii) Autre argument : il existe (dans un emploi toutefois assez rare et bien particulier) des SCL spars
du verbe, par une apposition, une incise ou autre :
(8) Il, le traditaire, dplorait davoir subir le joug dun gamin fort ignare dailleurs pour ce
qui tait de la langue trangre [Queneau, f]
vrai dire, de tels emplois montrent quun SCL peut loccasion perdre son statut prosodique de
clitique, mais ils nimpliquent pas pour autant quil ait le statut syntaxique dun pronom argumental.
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(iv) On rencontre occasionnellement des sujets clitiques coordonns, ce qui permet de penser quils
occupent une position argumentale :
(9) Aprs un premier rendez-vous qui marche, dans une relation, il et elle sont heureux
ensemble, ils sentraident, ont des projets davenir. ?web : site de rencontres?
Ces exemples, qui remettent surtout en cause le statut phonologiquement clitique de ces lments, sont
gnralement prsents comme des raisons dy voir des pronoms arguments.
Lanalyse affixale
linverse, les partisans de lapproche affixale soutiennent que les pronoms clitiques ne peuvent
occuper une position dargument. Cette approche, actuellement bien rpandue, consiste traiter les
sujets clitiques comme des lments affixs au verbe, fonctionnant aussi bien comme prfixes que
comme suffixes (dans linversion). Cette position tait dj dfendue par Gougenheim (1938: 153) selon
qui les pronoms personnels conjoints entrent dans la composition du groupe verbal, alors que les
pronoms personnels disjoints constituent des groupes nominaux . Parmi les tenants du statut affixal des
clitiques, on peut mentionner galement Jaeggli (1982), Roberge (1990), Zribi-Hertz (1994), Auger
(1995), Creissels (1995), Miller & Monachesi (2003), Berrendonner (2008), Culbertson (2010), Groupe
de Fribourg ( paratre), etc. Dans cette approche, le terme pronom clitique est souvent abandonn au
profit dautres appellations telles que indice pronominal (Creissels 1995) ou agreement marker
(Lambrecht 1981, Auger 1995).
Les cas o les clitiques sujets apparaissent conjointement des sujets nominaux non disloqus
fournissent le principal argument en faveur de leur statut affixal. Il sagit des redoublements du sujet
(frquents dans loral spontan) et des inversions complexes :
(10) je me rends compte que certains dentre eux - ont chacun un peu leurs petites fonctions en
fonction des - euh en fonction des des petites merdes que la vie elle vous met comme a
sous les pieds euh [oral, OFROM]
(11) La bire peut-elle tre considre comme une boisson alcoolique ? [f]
Dans ces deux cas, la position dargument sujet tant sature, le clitique sinterprte comme faisant
partie du syntagme verbal. Plus prcisment, on peut considrer ces clitiques comme des marques
daccord de largument sur le verbe. Les occurrences de redoublements du type de (10) sont souvent
ignores par les dfenseurs dun statut pronominal des SCL (cf. Rizzi 1986) ou cartes comme
dviantes (Laenzlinger 2003 ; De Cat 2007). En revanche, lexistence des inversions complexes nest
gnralement pas discute : pour en rendre compte tout en soutenant une analyse pronominale des SCL,
il faut recourir des solutions complexes, de porte peu gnrale (voir par ex. Kayne 1983 qui est
contraint danalyser les SCL participant une inversion complexe diffremment des SCL apparaissant
dans dautres configurations).
Lanalyse affixale a lavantage de pouvoir rendre compte dune manire simple et gnralise de toutes
les cooccurrences de SN sujets avec un SCL, quil sagisse de redoublements ou dinversions
complexes. Elle peut aussi tre compatible avec les cas de non rptition du SCL aprs coordination (7)
et mme avec les occurrences de SCL suivis dappositions (8) ou coordonns (9), si lon adopte une
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vision largie et non strictement morphologique de la notion daffixe : on peut alors considrer les SCL
comme des affixes de syntagme , dont les proprits diffrent quelque peu de celles, plus connues,
des affixes de lexme tels que les dsinences verbales ou les suffixes de genre et nombre (voir Miller
1992, et Groupe de Fribourg, paratre. La notion daffixe de syntagme correspond aussi, pour
lessentiel, celle de bound word chez Zwicky 1977).
1.1.2. Linversion du sujet clitique
Linversion du sujet clitique (inv-scl) consiste placer le sujet clitique immdiatement la suite du
verbe fini. lcrit, le sujet clitique est reli au verbe par un trait dunion. Lorsque le verbe se termine
graphiquement par une voyelle, un t penthtique vient se placer devant les clitiques voyelle initiale
(il(s), elle(s), on), par analogie avec la dsinence t latente de nombreuses formes verbales la troisime
personne, selon une analyse dj dfendue par Gaston Paris ; il en rsulte une gnralisation des formes
en t-, qui simplifie le paradigme des pronoms inverss au singulier, en liminant les formes [i(l)], [l] et
[] au profit de [ti(l)], [tl] et [t], le t ayant cess dtre une consonne de liaison, pou