1. Torturée

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1. Torturée ...

L'original de cet ouvrage a été publié aux éditions Hodder andStoughton de Londres.Traduit de l'anglais par Joseph Thérol.

L'ÉGLISE DU SILENCETORTURÉE POUR LE CHRIST

10 - témoignages

DU MÊME AUTEUR ___

MES PRISONS AVEC DIEUCasterman, Paris - Tournai.

DÉPOSITION DEVANT LE SÉNAT DES ÉTATS-UNISÉditions D. I. D., Châtillon-sous-Bagneux.

NOUVELLE DÉPOSITION - Éditions D. I. D.

Richard WURMBRAND

L'Église du Silence

torturée pour le Christ

Quatrième édition

APOSTOLAT DES EDITIONS46-48 rue du Four - PARIS VIe

Dans la collection «TÉMOIGNA GES»

1 - LETTRES DU DÉSERT, par Carlo Carretto.

2 - CARNETS D'UNE MAMAN, par P. de La Maduère.

3 - MA VOCATION, C'EST L'AMOUR, par Soeur Mary-Laurence, o. p.

4 - CE QUI COMPTE, C'EST D'AIMER, par Carlo Carretto.

5 - LE SCANDALE DE LA FAIM INTERPELLE L'ÉGLISE,par l'Abbé Pierre.

6 - LE CHRIST AU BAGNE, par Charles Alméras.

7 - JEUNES AU RENDEZ-VOUS, par Daniel Picot

8 - REQUIEM A BUCHENWALD, par Jean Héricourt.

9 - VOICI LA NUIT, par Jean Héricourt.

11 - ET QUI EST MON PROCHAIN, par Sally Trench

- LA FEMME DU PASTEUR, par Sabina Wurmbrand(en préparation).

- AU-DELA DES CHOSES, par Carlo Carretto (enpréparation).

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PROFIL BIOGRAPHIQUE

Le Révérend Richard Wurmbrand est un pasteur del'Église Luthérienne qui a subi quatorze ans de prisonscommunistes et de tortures dans le pays où il vivait, laRoumanie. Parmi les écrivains roumains, il est l'un desplus connus du monde, et dans son pays peu de nomssont aussi respectés parmi les chrétiens que le sien.

En 1945, quand les communistes s'emparèrent de laRoumanie et s'efforcèrent de mettre les églises au servicede leur politique, Richard Wurmbrand entrepritaussitôt, auprès de son peuple asservi et des soldatsrusses d'occupation, un ministère «clandestin» efficaceet énergique. Il fut arrêté en 1948. Plus tard sa femmeSabine aussi. Celle-ci fut condamnée à trois ans detravaux forcés. Quant à lui, il passa d'abord trois ansen réclusion, sans voir personne sinon ses bourreaux.Après quoi il fut transféré dans une cellule communependant cinq années durant lesquelles la torture ne luifut pas épargnée.

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En raison de son importance internationale commedirigeant chrétien, des diplomates des ambassadesétrangères s'inquiétèrent de sa sécurité près dugouvernement communiste. Il leur fut répondu qu'ils'était enfui de Roumanie. Plus tard, des inspecteurs dela police secrète, qui se présentèrent comme descamarades de prison, vinrent raconter à sa femme qu'ilsavaient assisté à son enterrement dans le cimetière desprisonniers. Sa famille et ses amis de l'extérieur reçurentavis de ne plus avoir à s'inquiéter de lui, parce qu'il étaitmort.

Au bout de huit ans, il fut relâché et reprit bientôtson apostolat dans l'Église Clandestine. Deux ans plustard, en 1959, il fut arrêté de nouveau et condamné à25 ans de prison.

Une amnistie générale, en 1964, entraîna salibération et il se remit encore à son ministèreclandestin. Mais, comprenant qu'une troisièmearrestation risquerait de lui être fatale, des chrétiens deNorvège négocièrent son départ de Roumanie avec lesautorités communistes. Celles-ci commençaient à«vendre» leurs prisonniers politiques. Le «prix de base»était de 10 000 francs (1969). Richard Wurmbrandfut payé 30 000 francs.

En mai 1966, déposant comme témoin devant leSous-Comité de Sûreté Intérieure du Sénat américain,

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il se déshabilla jusqu'à la ceinture pour montrer les 18cicatrices profondes dont les tortures lui ont zébré lecorps. Les journaux répandirent son histoire à travers lemonde, en Amérique, en Europe, en Asie. Il fut avertien septembre 1966 que le parti communiste deRoumanie avait décidé de le faire assassiner. Cesmenaces de mort ne l'ont pas réduit au silence. On l'asurnommé «la voix de l'Église Clandestine.» Lesdirigeants chrétiens l'appellent «le martyr vivant» et «leSaint Paul du Rideau de fer».

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INTRODUCTION

POURQUOI J'ÉCRIS CE LIVRE

J'apporte à tous les chrétiens du monde libre unmessage de l'Église Clandestine de par-delà leRideau de fer.

Cette Église, dont j'étais l'un des dirigeants, adécidé que je ferais tout mon possible pourrejoindre le monde libre et vous délivrer ce messagepressant. Par un miracle extraordinaire qui va vousêtre raconté, j'ai pu survivre et l'atteindre, le mondelibre. Dans ce livre, j'accomplis la mission dont m'achargé la fidèle Église qui souffre dans les payscommunistes.

Pour que ce message retienne votre pleineattention et vous presse d'agir, je donne d'abordmon témoignage: il vous expose le travailqu'accomplit l'Église Clandestine.

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1UN ATHÉE DÉCOUVRE LE CHRIST

J'AI ÉTÉ élevé dans une famille sans religion.Orphelin de très bonne heure, privé de touteéducation religieuse, j'ai grandi dans l'amertume etla pauvreté pendant les années difficiles de lapremière guerre mondiale. Bref, à quatorze ansj'étais un athée déjà endurci, un sans-Dieu aussiconvaincu que le sont aujourd'hui les communistes.Les livres que je lisais n'étaient certes pas de ceuxqui pouvaient me donner la foi au Christ ou en unDieu quelconque. C'étaient là des notions que jehaïssais comme nuisibles à l'esprit humain. Et monhostilité envers la religion croissait de plus en plus.

Mais, sans que j'y fusse absolument pour rien, carj'avais un détestable caractère, Dieu me faisait — jel'ai compris plus tard — la grâce d'être de ceux qu'Ilchoisit pour d'incompréhensibles raisons.

En dépit de mon athéisme, quelque chosed'inconscient m'attirait toujours vers les églises. Ilm'était difficile de passer près d'un de ces édificessans y entrer. Et pourtant je ne comprenais jamaisrien à ce qui s'y passait. Les sermons que j'yentendais n'éveillaient aucun écho dans mon coeur.

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J'étais persuadé qu'il ne s'y trouvait pas de Dieu.Mais si je détestais la fausse notion de Dieu quej'avais dans l'esprit, j'aurais aimé être sûr qu'ilexistait quelque part, au centre de l'univers, uncoeur aimant. Parce que j'avais été trop privé desjoies de l'enfance et de l'adolescence, je désiraisardemment qu'un coeur plein d'amour battit aussipour moi.

Convaincu de l'inexistence d'un Dieu d'amour,j'en souffrais. Un jour, au cours de ce conflitspirituel intime, j'entrai dans une église catholique.J'y vis quelques fidèles agenouillés et murmurants.La pensée me vint de m'agenouiller à côté d'eux,d'essayer d'entendre ce qu'ils disaient et de répéterleurs prières pour voir ce qui en résulterait. Ilspriaient la Sainte Vierge. «Je vous salue, Marie,pleine de grâce.» Le regard fixé sur une statue de laVierge Marie, je répétai ces mots, encore et encore.Hélas! rien n'arriva. Et j'en fus profondément déçu.

Et puis, un autre jour, moi, l'athée endurci, je memis à prier Dieu. Voici à peu près en quels termes:«Dieu, je suis sûr que tu n'existes pas. Si, parhasard, tu existes, ce que je nie, ce n'est pas mondevoir de croire en toi. C'est toi, au contraire, qui asle devoir de te révéler à moi.» L'athéisme ne medonnait pas la paix du coeur.

Tandis que je souffrais de ce tourment intérieur— je l'appris plus tard — dans un village accroché

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aux montagnes de Roumanie un vieux charpentierpriait ainsi de son côté: «Mon Dieu, je vous ai serviici-bas et je voudrais bien en être récompensé sur laterre comme au ciel. J'aimerais que ma récompensefût de ne pas mourir avant d'avoir amené un juif auChrist, puisque Jésus était juif. Mais je suis pauvre,vieux et malade, il n'y a pas de juif dans monvillage, et je ne peux pas m'en aller pour enchercher un. Amenez-moi donc vous-même un juifici, et je ferai de mon mieux pour le gagner auChrist.»

Une force irrésistible me poussa vers ce village,où je n'avais absolument aucune raison d'aller. Il yen a 12 000 en Roumanie, et c'est à celui-là que jem'en fus. Apprenant que j'étais juif, le vieuxcharpentier se mit à me faire une cour à rendrejalouse une jolie fille. Parce qu'il voyait en moi laréponse à sa prière, il me donna une Bible à lire.Souvent déjà j'avais lu la Bible par simple intérêtculturel. Mais celle qu'il me donna était d'une autresorte. Il me le dit par la suite: pendant des heureslui et sa femme priaient pour ma conversion et cellede ma femme. Aussi, plutôt qu'en caractèresd'imprimerie, sa Bible était écrite en flammesd'amour allumées par ses prières. A peine pouvais-jela lire; je pleurais dessus en comparant ma tristeexistence à celle de Jésus, mon impureté à la puretéde Jésus, ma haine à l'amour de Jésus. Et Jésusm'accepta parmi les siens.

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Peu après ma femme se convertit, elle aussi. Elleamena au Christ d'autres âmes qui, à leur tour, enentraînèrent d'autres et c'est ainsi que naquit enRoumanie une nouvelle communauté luthérienne.

Vint alors le temps des Nazis, et nous eûmesbeaucoup à souffrir. En Roumanie le nazisme prit laforme d'une dictature entre les mains d'élémentsorthodoxes extrémistes qui persécutèrent aussi bienles Protestants que les Juifs.

Dès avant ma préparation au ministère et monordination, j'étais en fait le dirigeant de l'église quej'avais fondée. J'en étais donc le responsable.Plusieurs fois, ma femme et moi, nous fûmes arrêtés,battus, traînés devant les juges nazis. Pour lui éviterla mort, il nous fallut donner à mon fils Mihaï(Michel) un autre prénom sans consonance juive.Mais, pour grande qu'elle fût, la terreur nazie n'étaitqu'un avant-goût de ce qui devait nous arriver sousles communistes.

Cette époque nous fut pourtant avantageuse. Ellenous apprit que nous pouvions supporter d'êtrebattus et qu'avec le secours de la grâce de Dieul'esprit humain est capable de surmonter d'affreusestortures. Elle nous apprit la technique de l'apostolatchrétien clandestin et nous prépara ainsi à deséventualités pires — et justement très proches.

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MON MINISTÈRE AUPRÈS DES RUSSES

Poussé par le remords d'avoir vécu en athée, jedésirais, depuis le premier jour de ma conversion,porter témoignage auprès des Russes. C'est unpeuple qui, dès l'enfance, est plongé dansl'athéisme. Mon désir de l'atteindre allait êtreexaucé, et cela justement pendant l'occupationnazie, qui encombra la Roumanie de milliers deprisonniers de guerre russes parmi lesquels nouspûmes nous livrer à l'apostolat chrétien.

Travail dramatique mais passionnant. Jen'oublierai jamais ma première rencontre avec unde ces prisonniers. Il me dit qu'il était ingénieur.«Croyez-vous en Dieu?» lui demandai-je. S'ilm'avait répondu non, je n'en aurais pas été étonné;chaque homme est bien libre de croire ou de ne pascroire. Mais il leva vers moi des yeux pleins deperplexité et dit: «Mes chefs ne m'ont pas donnél'ordre de croire. S'ils me le donnent, je croirai.»

Des larmes roulèrent sur mes joues, et je mesentis comme si mon coeur allait se briser enmorceaux. J'avais donc devant moi un homme dontla volonté était annihilée, un homme qui avaitperdu le plus riche présent de Dieu à l'humanité: lagrâce de la personnalité. Le lavage de cerveau avaitfait de lui un outil aux mains des communistes, prêtà croire ou à nier sur ordre. Il n'avait plus de penséepersonnelle; c'était le Russe typique fabriqué par

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toutes ces années de domination marxiste. Après lechoc que me produisit cette constatation desrésultats du communisme sur des êtres humains, jepromis à Dieu de vouer ma vie à ces hommes-là, demanière à leur rendre leur personnalité et à leurinsuffler la foi au Christ et à son Père.

Et pour les atteindre je n'eus pas besoin d'aller enRussie. Le 23 août 1944, un million d'hommes del'armée russe pénétrèrent en Roumanie, où, peuaprès, les communistes prirent le pouvoir. Alorscommença un cauchemar au regard de quoi lessouffrances endurées sous les nazis allaient nousparaître légères.

A cette époque, en Roumanie, pour unepopulation de 18 millions d'âmes, le particommuniste ne comptait guère que 10 000adhérents. Mais Vichinsky, ministre des AffairesÉtrangères de l'Union Soviétique, entra en coup devent dans le bureau de notre roi Michel Ier, posa sespoings sur la table et ordonna: «Appelez descommunistes au gouvernement.» Nos troupes etnotre police furent désarmées et, malgré la hainegénérale qui les entourait, les communistesaccédèrent par la force au pouvoir. Ce à quoi,d'ailleurs, les gouvernements américain et anglaisn'eurent pas l'air de s'opposer.

Les hommes sont responsables devant Dieu nonseulement de leurs péchés personnels, mais aussi

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des péchés nationaux. De la tragique captivité detant de peuples la responsabilité pèse sur les coeursdes chrétiens d'Amérique et d'Angleterre. Ilimporte que les Américains sachent bien qu'ils ont— inconsciemment parfois — aidé les Russes ànous imposer leur régime de terreur et d'assassinat.Il faut qu'ils réparent en aidant les peuples captifs àvenir à la!lanière du Christ.

L'AMOUR PARLE LE MÊME LANGAGEQUE LA SÉDUCTION.

Une fois au pouvoir, les communistes usèrentenvers l'Église d'habiles moyens de séduction. Lelangage de l'amoureux est le même que celui duséducteur. Celui qui désire une fille pour la vie etcelui qui la veut seulement pour une nuit et larejettera le lendemain disent tous les deux: «Jet'aime.» Jésus nous a appris à distinguer le langagede l'amour de celui de la séduction et à reconnaîtreles loups sous les peaux de brebis qui les déguisent.

Des milliers de prêtres, de pasteurs et dedesservants ne surent pas distinguer ces deuxlangages quand les communistes prirent le pouvoir.Sur l'ordre de ceux-ci, toutes les organisationschrétiennes se réunirent en congrès dans le Palaisde notre Parlement. Il y avait là 4 000 prêtres,pasteurs et ministres de toutes dénominations. Etqui choisirent-ils comme Président d'honneur? Ce

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Joseph Staline qui, au même moment, présidait leCongrès Mondial des sans-Dieu et exécutait enmasse les chrétiens. L'un après l'autre, des évêqueset des pasteurs se levèrent dans notre Parlement etdéclarèrent que communisme et christianismeétaient fondamentalement apparentés et pouvaientcoexister. L'un après l'autre ils firent l'éloge ducommunisme et se portèrent garants de la loyautéde l'Église envers le nouveau gouvernement.

J'étais là, et ma femme était assise à côté de moi.Soudain elle me dit:

«Debout, Richard! Ils ont craché au visage duChrist. Lave cette honte!»

— Si je le fais, tu perds ton mari, répondis-je.— Je ne tiens pas à avoir un lâche pour époux,

riposta-t-elle.

Alors je me levai et je pris la parole pour louer,non pas les assassins des chrétiens, mais le Christ-Dieu à qui, dis-je, est due d'abord notre fidélité. Lesdiscours du Congrès étant diffusés, tout le pays putentendre le message du Christ proclamé du haut dela tribune du Parlement communiste. Il me fallutplus tard payer cette audace, mais cela en valait lapeine.

Les dirigeants des églises orthodoxes etprotestantes rivalisaient dans la soumission aucommunisme. Un évêque orthodoxe fit broder la

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faucille et le marteau sur ses vêtements et demandases prêtres de ne plus l'appeler «Votre Grâce» mais«Camarade Évêque». Au Coures Baptiste de Resitaqui se tint sous le drapeau rouge — j'y étais —l'hymne de l'Union Soviétique fut chanté par toutel'assistance debout. Le président proclama queStaline ne faisait qu'appliquer les Commandementsde Dieu. «C'est, dit-il, un grand professeurd'Écriture Sainte.» Des prêtres, tels Patrascoiu etRosiany, firent mieux encore: ils devinrent officiersde la police secrète. Rapp, évêque délégué del'Église Luthérienne en Roumanie, se mit àenseigner, dans les séminaires de théologie, queDieu s'est révélé trois fois: par Moïse d'abord, puispar Jésus, enfin par Staline, dont le message est trèssupérieur aux deux précédents.

Les vrais Baptistes, que j'aime beaucoup,n'étaient certes pas d'accord; ils restaient fidèles auChrist et souffraient profondément. Mais leursnouveaux dirigeants étaient nommés par lescommunistes, et non plus par eux, qui ne pouvaientplus que les subir. C'est d'ailleurs ce qui se passeencore aujourd'hui dans les hautes sphèresreligieuses.

Et bientôt, les renégats qui avaient abandonné leservice du Christ pour celui du communismedénoncèrent ceux de leurs frères qui ne sejoignaient pas à eux.

1 Undergrou nd Church, littéraleme nt Église

souterraine.

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Après la Révolution russe, les chrétiens de Russieavaient créé une Église Clandestine. L'arrivée aupouvoir du communisme et la trahison denombreux dirigeants ecclésiastiques nous incitèrentà créer de même en Roumanie une ÉgliseClandestine1 fidèle à prêcher l'Évangile et à éleverles enfants pour le Christ, car les communistesinterdisaient cet apostolat, et l'Église officielle setaisait.

Avec d'autres, j'entrepris donc ce travailsouterrain. La position sociale tout à fait respectableque j'occupais et qui n'avait rien de commun avecune tâche de ce genre me servait de couverture.J'étais le pasteur de la Mission Luthériennenorvégienne et je faisais partie de la représentationen Roumanie du Conseil Mondial des Églises.(Nous ne soupçonnions pas le moins du monde là-bas que cette organisation collaborerait un jouravec les communistes; à cette époque, en ce pays,elle ne s'occupait que d'assistance). Grâce à cesdeux titres, je me trouvais en excellente situationdevant les autorités, lesquelles ne se doutaientnullement de mes activités secrètes, c'est-à-dire demon double ministère: auprès du million de soldatsrusses d'une part, et des populations roumainesasservies, d'autre part.

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LES RUSSES: UN PEUPLE AUX AMESASSOIFFÉES

Prêcher l'Évangile à des Russes, c'est pour moi leciel sur la terre. J'ai parlé à des gens de diversesnations, mais je n'ai jamais vu un peuple assoiffé del'Évangile comme celui-là.

Un jour, un prêtre orthodoxe de mes amis nietéléphona qu'un officier russe voulait me voir pourse confesser; ne connaissant pas le russe et sachantque je le parlais, ce prêtre avait donné mon adresse.Le lendemain, l'officier vint chez moi. Il aimaitDieu, il le désirait, mais n'avait jamais ouvert uneBible, ni assisté à un office religieux (en Russie, trèsrares sont les églises), ni reçu d'éducation religieuse.Il aimait Dieu sans le connaître.

Je lui lus d'abord le Sermon sur la montagne etles paraboles. Il écouta attentivement puis se mit àdanser de joie autour de la pièce en proclamant:«Comme c'est beau! Comment ai-je pu vivre sans leconnaître, ce Christ?» C'était la première fois que jevoyais quelqu'un pareillement ravi par Jésus.

Mais je commis une gaffe. Sans l'y avoir préparé,je lus à cet homme la Passion et la Crucifixion.Apprenant brusquement que le Christ a été flagellé,crucifié et mis à mort, il tomba dans un fauteuil etse mit à pleurer abondamment. Il venait d'entrevoirun Sauveur et ce Sauveur n'était plus.

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En le regardant, j'eus honte de porter moi-mêmeles titres de chrétien et de pasteur, et de m'être crudigne d'enseigner autrui. Jamais je n'avais, commecet officier russe, partagé les souffrances du Christ.Il me semblait contempler Marie-Madeleinepleurant au pied de la Croix, et fidèle encore dansses larmes à ce Jésus qui n'était plus qu'un cadavredans un tombeau.

Je lus alors à l'officier le récit de la Résurrection.Il ne savait pas non plus que son Sauveur était sortivivant du sépulcre. A cette nouvelle étonnante, ilse tapa sur les genoux et proféra un juron tout à faitordurier mais qui, je le crois, méritait assez le«sacré» par quoi il commençait. Après tout, cettegrossièreté n' était-elle pas l'habituelle manière deparler de cet homme? Redevenu joyeux, mon Russes'écria: «Il est vivant! Il est vivant!» Et de nouveaubondissant d'allégresse, il se mit à danser autour dela chambre.

«Prions!» lui dis-je. Il ne connaissait pas deprière, il ignorait nos phrases pieuses. Il tomba àgenoux en même temps que moi et prononça cesmots: «O Dieu, quel chic type vous êtes! Si j'étaisvous et si vous étiez moi, jamais je ne vous auraispardonné vos fautes. Mais vous, vous êtes vraimentun chic type. Je vous aime de tout mon coeur.»

A mon avis, tous les anges du ciel durents'immobiliser et se demander ce qu'ils devaient

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penser de cette prière sublime sur les lèvres d'unofficier russe. En tout cas, celui-ci venait d'êtregagné au Christ.

Dans une boutique, un autre jour, je rencontraideux autres Russes, un capitaine et une femme-officier, en train de marchander différents objets.Comme ils s'entendaient difficilement avec lecommerçant qui ne comprenait pas leur langue, jem'offris à leur servir d'interprète, nous fîmesconnaissance et je les invitai à déjeuner chez moi.Au début du repas, je leur dis: «Vous êtes ici dansune maison chrétienne où l'on a l'habitude de bénirla table.» Je dis une prière en russe. Ils posèrentfourchettes et couteaux et, se désintéressant de lanourriture, ils m'accablèrent de questions sur Dieu,le Christ et la Bible, dont ils ignoraient tout.

La conversation ne fut pas facile. Je leur racontaila parabole de l'homme qui possédait cent brebis eten avait perdu une. Ne la comprenant pas, ils medemandèrent: «Comment cet homme pouvait-ilêtre propriétaire de cent brebis? Il n'y avait doncpas de ferme collective communiste?» Je leur disensuite que Jésus est Roi. Ils ripostèrent: «Tous lesrois furent de mauvaises gens qui tyrannisaient lespeuples. Jésus fut donc aussi un tyran.» Quand jeleur eus raconté la parabole des ouvriers de lavigne, ils dirent: «C'est bien fait! Ils ont eu raisonde se révolter contre cet accapareur; son vignobledevait appartenir à la collectivité.» Tout leur était

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nouveau. La naissance de Jésus leur inspira ce motqui, dans la bouche d'un occidental, eût étéblasphème: «Marie était donc la femme de Dieu?»Et cette discussion, comme beaucoup d'autres,m'apprit que pour prêcher l'Évangile aux Russes, ilfaut employer un langage entièrement renouvelé.

En Afrique centrale, les missionnaires éprouventde grandes difficultés à traduire cette parole d'Isaïe:«Même si leurs péchés sont aussi rouges que l'écarlate,ils deviendront blancs comme la neige.» Personne n'yayant jamais vu de neige, il n'y a pas de terme là-baspour la désigner. Et l'on a dû traduire: «Vos péchésdeviendront aussi blancs que le coeur de la noix decoco.» De même, pour le rendre intelligible auxRusses, il nous fallait traduire l'Évangile en langagemarxiste. C'était là une besogne que nous n'aurionspu accomplir de nous-mêmes, mais que le Saint-Esprit réussit en se servant de nous.

Le capitaine et la femme officier se convertirentce même jour. Et pour notre apostolat parmi lesRusses leur aide nous fut ensuite très utile.

Nous imprimions en cachette pas mal de milliersd'Evangiles et d'autres textes chrétiens, et lessoldats russes convertis nous aidèrent passer encontrebande en Union Soviétique de nombreusesBibles complètes ou abrégées. Nous usions aussid'un autre moyen de diffusion. Beaucoup de cessoldats qui se battaient depuis tant d'années avaient

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laissé au pays des enfants qu'ils n'avaient pas revusde tout ce temps-là. (Les Russes aimentprofondément leurs enfants). Dans les rues et lesparcs, mon fils Mihaï et d'autres gosses de moins de10 ans, avec des Évangiles et d'autres textes pleinleurs poches, s'approchaient des Russes. Ceux-ci,pensant à leurs enfants, caressaient les nôtres, leurparlaient gentiment, leur distribuaient bonbons ouchocolat, et les gosses en échange leur donnaientdes Bibles et des Évangiles qu'ils acceptaient avecempressement. Ce qu'il nous était trop dangereuxde tenter ouvertement, nos enfants le faisaient entoute sécurité; ils se comportaient parmi les Russesen vrais «jeunes missionnaires». Et les résultatsétaient excellents. Nombreux furent les soldats quireçurent ainsi l'Évangile quand il n'y avait pasmoyen de le leur donner autrement.

PRÉDICATION DANS LESCANTONNEMENTS RUSSES.

Nous ne nous contentions pas de ces contactsindividuels. Nous pûmes tout aussi bien travailleren petites réunions de groupes.

Les Russes étaient grands amateurs de montres.Ils en volaient à tout le monde. Ils arrêtaient lespassants dans les rues pour s'en faire donner. Onrencontrait des soldats avec à chaque bras plusieursbracelets-montres et des femmes officiers qui

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portaient un réveil en sautoir autour du cou. N'enayant jamais vu jusqu'alors, ils n'en avaient jamaisassez. Quand des Roumains désiraient se procurerune montre, ils n'avaient qu'à se rendre dans lesbaraquements de l'armée soviétique pour en acheterune, laquelle était souvent celle qui leur avait étévolée. On voyait donc fréquemment des Roumainsentrer dans les cantonnements russes. Et cela nousfournissait, à nous de l'Église Clandestine,d'excellents prétextes pour pénétrer chez lesoccupants.

Pour ma première tentative de prédication dansun baraquement russe, je saisis l'occasion d'une fêteorthodoxe, celle de saint Pierre et saint Paul. Jeprétextai le besoin d'acheter une montre. «Tropchère, celle-ci, dis-je, trop petite, celle-là; tropgrosse cette troisième.» Plusieurs soldats serassemblèrent autour de moi et chacun m'offraitquelque chose à acheter. En riant, je dis:«Quelqu'un d'entre vous se nomme-t-il Pierre ouPaul?» «Oui,» s'écrièrent plusieurs. J'enchaînai:«Savez-vous qu'aujourd'hui l'Église Orthodoxe fêtesaint Pierre et saint Paul?» Quelques-uns des plusâgés le savaient... «Savez-vous qui étaient saintPierre et saint Paul?» Ils l'ignoraient tous. Je me misalors à parler des deux apôtres. L'un des plus vieuxsoldats m'interrompit.

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«Vous n'êtes pas venus pour acheter une montre,mais pour nous parler de la foi. Eh bien! Asseyez-vous et parlez. Mais gare! Il faut se méfier cheznous. Les copains ici présents sont tous de bravesgarçons. Quand je vous toucherai le genou, vousparlerez de montres. Quand j'enlèverai ma main,vous pourrez reprendre votre discours.

Et les hommes qui m'entouraient m'écoutèrentparler de Paul et de Pierre, et du Christ pour quimoururent ces deux apôtres. De temps en temps,quand un étranger suspect s'approchait, le vétéranme touchait le genou et je parlais montres; quandl'étranger s'éloignait je reprenais ma prédication.Très souvent, je pus renouveler de ces visites-là,grâce à des soldats russes chrétiens, dont beaucoupde camarades trouvèrent ainsi le Christ. Et de cettefaçon des milliers d'Évangiles furent secrètementdistribués. Cela valut à nombre de nos frères etsoeurs de l'Église Clandestine d'être surpris etcruellement sanctionnés; mais aucun ne trahitnotre organisation.

Ce travail nous procura la joie de rencontrer desfrères de l'Église Clandestine de Russie et de lesentendre raconter leurs expériences. Dès l'abord,nous voyions en eux des ébauches de grands saints.Ils avaient traversé de longues annéesd'endoctrinement communiste. Plusieurs avaientsuivi les cours des universités marxistes, mais,semblables au poisson d'eau douce transporté dans

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l'eau salée et dont la chair conserve son goût, ilsavaient conservé leur âme claire et pure dans leChrist.

Quelles belles âmes que celle de ces Russeschrétiens! «Nous le savons, disaient-ils, l'étoilefrappée de la faucille et du marteau que nousportons sur nos casquettes est l'étoile del'antéchrist.» Et ils ne cachaient pas leur chagrin.Leur aide nous fut très précieuse pour la diffusionde l'Évangile parmi les soldats soviétiques. Ilsavaient, je peux l'affirmer, toutes les vertuschrétiennes, sauf une: la joie. Celle-ci, uneconversion pouvait seule la leur donner, et elledisparaissait aussitôt. Cela m'étonnait beaucoup.Un jour j'en demandai la raison à un Baptiste.

— Comment se fait-il que vous ne connaissiezpas la joie?

— Et comment pourrais-je être joyeux, merépondit-il, quand je dois cacher au pasteur mêmede mon église que je suis chrétien fervent, que jemène une vie de prière, que j'essaie de gagner desâmes? Ce pasteur est un indicateur de la policesecrète. Nous nous espionnons les uns les autres etce sont les bergers qui trahissent le troupeau. Lajoie du salut est cachée tout au fond de notre coeur,mais la satisfaction qui transparaît sur vous àl'extérieur, nous ne pouvons plus la montrer. Lechristianisme est devenu tragédie pour nous. Vous,

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chrétiens libres, quand vous gagnez une âme auChrist, vous augmentez d'un membre une Église quivit dans la paix. Mais nous, quand cela nous arrive,nous savons que nous condamnons peut-être ceconverti à la prison et que ses enfants risquent dedevenir orphelins, car c'est le prix qu'il faut payerpour cette conquête. Et voilà ce qui ternit notrejoie.

Nous avons donc rencontré un type de chrétienentièrement nouveau: le chrétien de l'ÉgliseClandestine. De là d'innombrables surprises.

De même que beaucoup se croient chrétiens quien réalité ne le sont pas, de même beaucoup deRusses se croient athées et en fait ne le sont pas.

J'ai eu devant moi un couple de Russes, tousdeux sculpteurs. Quand je leur parlai de Dieu, ilsme répondirent: «Non, Dieu n'existe pas. Noussommes des «bezboshniki» — des sans-Dieu. Maisil nous est arrivé quelque chose qui vous intéresseet que nous allons vous raconter. Nous étions entrain, — poursuivit l'homme, — de travailler à unestatue de Staline quand un jour ma femme me dit:

— Mon cher mari, que penses-tu de notrepouce? S'il ne s'opposait pas à nos doigts, si lesdoigts de nos mains étaient comme nos orteils, nousserions incapables de tenir marteau, maillet, outil,livre ou morceau de pain. Sans ce petit pouce,

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impossible serait la vie humaine. Alors, qui l'ainventé, ce pouce? Nous avons tous deux apprisdans les écoles marxistes que le ciel et la terre n'ontpas été créés par un Dieu, qu'ils existent par eux-mêmes, et nous le croyons. Mais ce Dieu qui n'a pascréé le ciel et la terre aurait-il seulement créé lepouce qu'il faudrait lui rendre grâce rien que pourcette petite invention. Nous honorons Édison, Bellet Stephenson parce qu'ils ont inventé l'ampouleélectrique, le téléphone, le chemin de fer et autresmerveilles. Alors, pourquoi pas l'inventeur dupouce? Si Édison n'avait pas eu de pouce, il n'auraitrien inventé. Il est donc juste de remercier le Dieuqui a fabriqué ce doigt.

Comme il arrive souvent aux maris dont lesépouses font preuve de bon sens, celui-ci se mit encolère: «Assez de sottises! Tu as appris qu'il n'y apas de Dieu. Enfonce-toi ça dans la tête une bonnefois pour toutes. Dans le ciel, il n'y a personne.»

— Voici quelque chose de plus étonnant encore,répliqua la femme. S'il y avait au ciel ce Dieu toutpuissant en qui nos ancêtres ont eu la stupidité decroire, il serait tout naturel que nous ayons unpouce; car un créateur tout puissant peut tout faire,y compris ce doigt-là. Mais s'il n'y a personne au ciel,eh bien! moi, je suis décidée à remercier ce créateurdu pouce qui s'appelle personne.

2 Pour comprendre clairement ce passage, i l faut

recourir au texte anglais. En anglais Personne se dit Nobody,

ce qui l ittéralement signifie Pas de corps. Les deux Russes

disaient donc: “Au ciel i l n'y a pas de corps.” D'où un jeu de

mots intraduis ib le en f rançais et la réponse du pasteur: “En

effet D ieu n'a " p as de co rps ".“

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Ce dit «Personne» tous deux se mirent à l'adorer.Peu à peu leur foi grandit et leur montra aussi enLui le créateur des étoiles, des fleurs, des enfants,de toutes les beautés d'ici-lias. Ainsi, dans Athènesautrefois, saint Paul trouva-t-il des adorateurs d'un«Dieu inconnu».

Comment définir la joie de ce couple lorsqu'ilapprit de moi que sa foi était bien fondée, qu'enréalité il n'y a dans le ciel Personne au sens matérielde ce mot, que Dieu est un pur esprit2: espritd'amour, de sagesse, de vérité, de force. Et que ceDieu- Personne les aime d'un tel amour qu'il aenvoyé son Fils unique se sacrifier pour eux sur lacroix.

Voilà donc des gens qui croyaient en Dieu sansle savoir. Et j'ai eu le précieux privilège de les faireavancer d'un pas dans la connaissance de larédemption et du salut. Une fois, croisant dans unerue une femme officier russe, je m'approchai d'elleet lui dis en m'excusant:

— Je sais qu'il est impoli d'accoster une inconnue

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dans la rue, mais je suis pasteur et n'ai pas demauvaise intention. Je voudrais vous parler duChrist.

— Vous l'aimez, le Christ? me demanda-telle.— Oui, de tout mon coeur.

Alors elle se jeta dans mes bras et m'embrassaplusieurs fois. Situation plutôt gênante pour unecclésiastique. Je lui rendis quand même ses baisersdans l'espoir que les gens nous prendraient pour desparents.

— Moi aussi, j'aime le Christ! s'écria-t-elle.

Je la conduisis chez nous. Là, je découvris avecétonnement qu'elle ignorait tout du Christ sauf lenom. Elle ignorait qu'il est le Sauveur et même ceque signifie le mot salut; elle ignorait sa vie et samort, son enseignement, son ministère. Et pourtantelle L'aimait. Curieux cas psychologique: commentpeut-on aimer quelqu'un dont on ne connaît que lenom?

Cette question, je la lui posai. Elle m'expliqua:

— Enfant, j'ai appris à lire d'après des images: unâne pour A, une boule pour B, un chat pour C, etainsi de suite. A l'école supérieure, on m'a apprisque défendre la patrie communiste est un devoirsacré, on m'a enseigné la morale communiste. Mais

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à quoi cela ressemble-t-il, un devoir sacré, une règlemorale? Pour comprendre, il m'aurait fallu desimages. Depuis j'ai appris que nos ancêtrespossédaient des images pour tout ce qui est beau,digne et vrai dans la vie. Ma grand-mère s'inclinaittoujours devant certaine image et elle me disait:«C'est le portrait de quelqu'un qui s'appelait«Christos». J'aimais ce nom rien que pour lui-même. Il devin t pour moi comme un être réel et ilme suffisait de le prononcer pour me sentir toutejoyeuse.

En écoutant cette femme, je me rappelais ce motde Paul dans son épître aux Philippiens: «Au nom deJésus tout genou fléchira.» Il se peut que, pour untemps, l'antéchrist efface de ce monde laconnaissance de la Loi divine. Mais il y a dans leseul nom du Christ une puissance qui suffira àmener à la Lumière.

Cette femme officier eut le bonheur de trouverle Christ chez nous, et maintenant Celui dont elleaimait le Nom vit en personne dans son coeur.

Toutes mes rencontres avec des Russes étaientpleines de poésie et profondément significatives.

Une de nos soeurs, qui distribuait des Évangiles,donna un jour mon adresse à un officier. Il entra unmatin chez moi. C'était un lieutenant, bel hommede haute taille.

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— En quoi puis-je vous être utile? lui demandai-je.

— Je viens chercher la lumière, répondit-il.Comme je commençais à lui lire certains passagesdes plus essentiels de l'Écriture, il posa sa main surla mienne et dit:

— De grâce, je vous en supplie de tout moncoeur, ne me lancez pas sur un mauvais chemin.J'appartiens à un peuple que l'on maintient dans lesténèbres. Dites-moi, s'il vous plaît, si ce que vouslisez est la vraie Parole de Dieu.

Je le lui certifiai, il m'écouta pendant des heureset ... accepta le Christ.

En matière de religion, les Russes ne sont nilégers, ni superficiels. Qu'ils la combattent ou lapratiquent, ils s'y donnent tout entiers. Aussi, enRussie, tout chrétien est-il un missionnaire avide deconquérir des âmes: en sorte qu'il n'y a pas aumonde de pays aussi mûr pour un travailévangélique fructueux. Le peuple russe est le plusnaturellement religieux de la terre, et la face dumonde changerait si nous mettions assez d'ardeur àlui porter l'Évangile.

Je tiens pour tragique que cette terre de Russie etses populations soient encore si privées de la Parolede Dieu, dont elles ont une telle faim, alors qu'il

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semble qu'elle ait été écrite d'un seul jet presquetout entière pour elles.

Dans un train, un officier russe s'était assis enface de moi. Je lui parlais du Christ depuis quelquesminutes, quand tout à coup il m'interrompit par unflot d'arguments athées: des propos de Marx,Staline, Darwin, Voltaire ri d'antres citations anti-bibliques coulaient de ses lèvres. Sans me laisser lapossibilité de le contredire, il s'entêta à parlerpendant plus d'une heure pour me convaincre del'inexistence de Dieu. Quand il eut fini, je luidemandai simplement:

— S'il n'y a pas de Dieu, pourquoi priez-vousquand vous êtes dans la peine?

Tel un voleur pris en flagrant délit, il répliqua:

— Qui vous a dit que je prie?

Je ne lui permis pas d'esquiver.

— C'est moi qui vous ai questionné le premier. Jevous ai demandé pourquoi vous priez. Répondez-moi, s'il vous plaît.

— Au front, avoua-t-il en baissant la tête, quandles Allemands nous encerclaient, nous priions tous.Nous ne savions pas comment prier. Aussi nousdisions: «Dieu et âme de ma mère.»

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Voilà sûrement une excellente prière au regardde Celui qui sonde les coeurs!

Notre apostolat parmi les Russes a produitbeaucoup de fruit.

Je me rappelle Piotr (Pierre). Nul ne sait enquelle prison soviétique il est mort. Qu'il étaitjeune! Vingt ans peut-être. Venu en Roumanieavec son régiment, il se convertit au cours d'uneréunion clandestine et me pria de le baptiser. Je luidemandai ensuite quel verset de la Bible l'avaitimpressionné au point de le pousser à venir auChrist. C'était — dans le chapitre 24 de saint Lucqu'il avait attentivement écouté — l'histoire de larencontre de Jésus et des deux disciples sur la routed'Emmaüs. Quand à la tombée du jour, les troisvoyageurs atteignirent le village, Jésus fit comme s'ilvoulait continuer son chemin.

— Cette attitude m'étonna. Jésus désiraitcertainement demeurer avec ses disciples. Pourquoidonc leur dit-il qu'il ne voulait pas s'arrêter? Parceque — j'ai pensé — il voulait s'assurer qu'il étaitvraiment désiré. Quand il vit qu'il serait lebienvenu, il entra plein de joie dans l'auberge avecses compagnons. Or, les communistes sont aucontraire malpolis; c'est par effraction qu'ilspénètrent dans nos coeurs et nos cerveaux. Dumatin jusqu'au fort de la nuit, ils nous obligent à lesécouter; par l'école, la radio, la presse, les affiches,

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les films, les meetings athées, où que vous voustrouviez, que cela vous plaise ou non,perpétuellement vous entendez leur propagandeathée. Jésus, lui, respecte notre liberté. Il frappegentiment à notre porte. C'est par sa politesse qu'Ilm'a conquis.

Ce contraste absolu entre le communisme etJésus avait convaincu Piotr. Et ce Russe n'était pasle seul qu'impressionnait ce trait du caractère deJésus — auquel moi, pasteur, je n'avais lamaisencore pensé, je l'avoue.

Après sa conversion, Piotr risqua maintes luis saliberté et sa vie pour introduire en fraude des texteschrétiens et des secours matériels pour l'ÉgliseClandestine, de Roumanie et de Russie. A la fin, ilfut pris. Je sais qu'en 1959 il était toujours enprison. Est-il mort depuis? Est-il déjà au ciel oucontinue-t-il sur terre le bon combat? Je l'ignore.Dieu le sait.

Comme lui, beaucoup d'autres ne se sont pascontentés de se convertir. Nous ne devons jamaisnous arrêter dans la conquête des âmes au Christ;chaque âme gagnée doit à son tour en gagnerd'autres. Et les Russes convertis se faisaient lesmissionnaires de notre Église Clandestine.Infatigables et pleins d'audace pour le Christ, ilstrouvaient toujours insuffisant ce qu'ils pouvaientfaire en faveur de Celui qui est mort pour eux.

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NOTRE MINISTÈRE CACHÉ DANS UNENATION ESCLAVE

Une autre de nos activités secrètes: l'apostolatmissionnaire près des Roumains eux-mêmes.

Bientôt les communistes mirent bas leurs masques.Après avoir d'abord essayé de la séduction pour seconcilier les dirigeants de l'Église, ils se servirent dela terreur. Les arrestations se comptaient parmilliers. Gagner une âme au Christ nous devintalors aussi dangereux que ce l'était depuislongtemps en Russie.

Et ce fut mon tour. Je rejoignis en prison desâmes que Dieu m'avait fait la grâce d'amener auChrist. Dans ma cellule se trouvait un père de sixenfants emprisonné pour sa foi. Sa femme et sespetits étaient privés de tout. Peut-être ne lesreverrait-il plus. Je lui demandai:

— Ne m'en voulez-vous pas de vous avoir amenéau Christ et d'être ainsi la cause de tant de misèrepour les vôtres?

II me répondit:

— Je n'ai pas de mots pour vous remercier dem'avoir conduit à notre Sauveur bien-aimé. Je nevoudrais pas qu'il en fût autrement.

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On conçoit que, dans ces conditions, la terreur nefacilitait pas notre prédication. Nous réussîmes àimprimer plusieurs brochures chrétiennes et à lesfaire passer à travers la sévère censure descommunistes. On y voyait sur la première page unportrait de Karl Marx, avec, pour titre: «La Religionest l'opium du peuple», ou quelque chosed'analogue. Le censeur en concluait qu'il s'agissaitde publications communistes et appliquait sontampon. Les premières pages étaient faites d’extraitsde Marx, de Lénine et de Staline — à la grandesatisfaction dudit censeur — mais la suite contenaitle message chrétien.

Clandestine, notre Église ne l'est quepartiellement. Comme un iceberg, elle se laisse voiren partie. Nous fréquentions les manifestationscommunistes et nous y distribuions nos«brochures». A la vue du portrait de Marx, lesassistants se disputaient pour les acheter. Quand ilsarrivaient à la page 10 et s'apercevaient que la suiteparlait de Dieu et de Jésus, nous étions déjà loin.

Oui, certes, les nouvelles conditions de vie nousrendaient très difficile l'apostolat auprès de noscompatriotes roumains. Les oppresseurscommunistes prenaient tout à tous; le fermier sevoyait enlever champs et bétail; le tailleur ou lebarbier leur boutique. Et les possédants n'étaientpas les seuls expropriés; les pauvres eux aussisouffraient beaucoup. Chaque famille, ou presque,

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avait un de ses membres en prison, et la misère étaitgrande. Certains demandaient: «Comment un Dieud'amour peut-il permettre le triomphe du mal?» Mais,en ce Vendredi Saint où, mourant sur sa croix,Jésus s'écria: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tuabandonné?», les premiers apôtres non plus nepensaient pas qu'il serait facile de prêcher le Christ.

Le travail se faisait quand même, et cela prouveque c'est celui de Dieu, non le nôtre. A de telsproblèmes, la Foi chrétienne trouve toujours unesolution. C'est ce que Jésus nous a enseigné àpropos du pauvre Lazare — aussi persécuté quenous l'étions — ce pauvre Lazare gisant sur songrabat, mourant de faim et dont les chiens léchaientles plaies, mais qu'à la fin les Anges transportèrentdans le sein d'Abraham.

COMMENT L'ÉGLISE CLANDESTINETRAVAILLAIT EN PARTIE A CIELOUVERT

Elle se rassemblait partout où c'était possible:appartements, forêts, sous-sols. Et là, souvent, ellepréparait son «travail de surface». Nous avionsimaginé un plan de prédication dans les rues; ildevint trop risqué sous l'occupation communiste,mais il nous avait permis d'atteindre bien des âmesque nous n'aurions pu toucher autrement. Mafemme s'y montrait très habile. Quelques chrétiens

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se rassemblaient au coin d'une rue et se mettaientà chanter. La foule s'assemblait autour d'eux pourles écouter et ma femme délivrait son message.Nous faisions place nette avant l'irruption de lapolice.

Un après-midi, tandis que j'étais occupé ailleurs,elle prit la parole devant des milliers d'ouvriers, àl'entrée de la grande usine Malaxa, à Bucarest. Elleparla de Dieu et du salut. Le lendemain, denombreux ouvriers de cette usine se révoltaientcontre les injustices communistes. Beaucoup furenttués; notre message leur était parvenu à temps.

Nous étions membres d'une Église Clandestine,mais comme Jean-Baptiste, nous parlionsouvertement du Christ devant les serviteurs et lesmaîtres.

Une fois, sur les marches d'un bâtiment officiel,deux de nos frères chrétiens montèrent jusqu'ànotre premier ministre, Gheorgiu Dèj. Pendant lepeu de temps dont ils disposèrent, ils lui parlèrenten témoins du Christ et le pressèrent de regretterses péchés et ses persécutions. Il les fit jeter enprison pour cet audacieux témoignage. Des annéesplus tard, Gheorgiu Dèj tomba malade; alors lagraine évangélique qu'ils avaient semée en lui etpour laquelle ils avaient tant souffert porta sonfruit. A l'heure où il en sentait le besoin, le premierministre se rappela les mots qui lui avaient été dits

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et qui, selon l'expression biblique, avaient été«rapides, puissants, et plus pénétrants qu'un glaive àdeux tranchants». Tranchée la dure enveloppe deson coeur, il donna son âme au Christ. Il confessases péchés, accepta le Sauveur, et commença à leservir dans sa maladie. Peu après, il mourut, mais cefut pour aller au Rédempteur qu'il venait de trouverparce que deux chrétiens avaient bien voulu enpayer le prix, deux de ces courageux chrétiensexemplaires des pays communistes d'aujourd'hui.

Ainsi l'Église Clandestine ne se dépensait passeulement en réunions et activités secrètes; pouvoirnous révéler ses projets. Plusieurs s'y hardiment,ouvertement, elle proclamait l'Évangile dans lesrues communistes et près des puissants du jour.Nous étions prêts à en payer le prix. Et l'ÉgliseClandestine l'est encore. La police secrète nouspersécutait avec acharnement, parce qu'ellereconnaissait en notre Église la seule résistanceefficace, cette résistance spirituelle qui, laissée libre,eût sapé la puissance des sans-Dieu. Elle voyait là,comme seul le démon sait voir, la menace la plusdirecte contre elle. Elle savait que celui qui croit auChrist ne sera jamais un sujet aveugle et docile,qu'on peut emprisonner les corps mais qu'onn'emprisonne pas la foi en Dieu. Et c'est pourquoielle nous combattait très durement.

Néanmoins, dans le personnel policier et mêmeau sein des gouvernements communistes nous

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avions des sympathisants et des fidèles. Noschrétiens avaient reçu de nous le conseil d'entrerdans la police secrète, d'en porter l'uniforme détestéet méprisé, afin de risquèrent, en prenant grandsoin de dissimuler leur foi. Il est extrêmementpénible d'avoir à supporter le dédain de sa famille etde ses ,unis sans révéler la mission qui impose leport de l'uniforme communiste. Ceux-là lesupportèrent, tant était profond leur amour duChrist.

Quand je fus arrêté dans une rue puis maintenudes années durant au secret le plus strict, unmédecin chrétien demanda un emploi dans lapolice afin de pouvoir s'informer de ma situation.Ses attributions lui donnaient, avec l'accès auxcellules de tous les prisonniers, l'espoir de meretrouver. Le croyant passé aux communistes, tousses amis s'éloignèrent de lui. Se promener sousl'uniforme des bourreaux, n'est-ce pas offrir auChrist un sacrifice plus méritoire que de porterl'uniforme des prisonniers?

Il me découvrit dans une cellule basse etténébreuse et fit savoir que j'étais vivant. C'est lepremier ami que je revis pendant mon premierséjour de huit ans et demi en prison. Sachant grâceà lui que je vivais encore, les chrétiens réclamèrentma libération, quand les prisonniers furent relâchésen 1956 à l'occasion de l'entrevue Eisenhower-Krouchtchev. Je redevins libre pour quelque temps.

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Sans ce médecin chrétien, je serais toujours sous lesverrous, sinon dans la tombe.

Ces fidèles de l'Église Clandestine affiliés à lapolice nous furent souvent d'un grand secours ennous signalant ce qui nous menaçait. Aujourd'huiencore des policiers chrétiens protègent les fidèleset les avertissent des dangers qui planent sur eux.Quelques-uns occupent de hautes situations dansles milieux communistes; ils y conservent leur foi auChrist et leur aide nous est précieuse.Publiquement, un jour dans le ciel ils acclamerontce Christ qu'ils servent aujourd'hui secrètement.

Néanmoins beaucoup de nos frères ont étédénoncés et jetés en prison, car nous avons aussinos Judas. A force de coups, de drogue, de menaceset de chantage, les communistes s'acharnent àtrouver des dénonciateurs parmi les religieux et leslaïcs.

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IIPOUR LE NOM DU CHRIST

J’AI EXERCÉ ce ministère à la fois officiel etclandestin jusqu'au 29 février 1948. Ce jour-là étaitun dimanche, un beau dimanche. Je me rendais àl'église quand la police secrète m'enleva en pleinerue.

Bien des fois je m'étais demandé ce que signifiel'expression «ravisseur d'hommes» qu'on trouve enplusieurs endroits dans la Bible. Le communismenous l'a appris. Nombreux furent à l'époque ceuxqu'on enlevait comme je le fus ce jour-là. Unfourgon de la police stoppa devant moi, quatrehommes en bondirent et me poussèrent dedans.J'étais retiré de la circulation, et pendant plus dehuit ans personne ne sut si j'étais mort ou vivant.Des policiers qui se présentaient comme prisonnierslibérés vinrent rendre visite à ma femme et luiracontèrent qu'ils avaient assisté à monenterrement. Elle en eut le coeur déchiré.

A la même époque furent emprisonnés desmilliers de fidèles de toutes les confessions, et nonseulement des ecclésiastiques, mais aussi de simplespaysans, de jeunes garçons, des jeunes filles qui necachaient pas leur foi. Les prisons étaient bondées,

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et prison, en Roumanie comme dans tous les payscommunistes, signifiait torture.

Parfois celles-ci étaient atroces. Je préfère ne pastrop parler de celles que j'ai endurées; quand je m'ylaisse aller, je n'en dors pas de la nuit suivante.C'est trop douloureux. Dans un autre livre, intitulé«Mes Prisons avec Dieu» j'ai raconté avec beaucoupde détails toutes les épreuves que nous avonsvécues au fond des geôles en compagnie de Dieu.

INDICIBLES TORTURES

Un pasteur nommé Florescu était brûlé au moyende tisonniers et de lames portés au rouge, puissauvagement battu. Après quoi, des rats affamésétaient introduits dans sa cellule à travers un grostuyau. Au lieu de dormir il devait se défendre sanstrêve contre leurs assauts. Cela dura quinze jours etquinze nuits. Les communistes voulaient le forcer àdénoncer ses frères, il résistait sans faiblir. A la fin,ils amenèrent son fils âgé de 14 ans et le fouettèrentdevant lui jusqu'à ce qu'il acceptât de parler.Quand ce spectacle lui devint intolérable, le pèrecria à son enfant: «Alexandre, je vais leur dire cequ'ils désirent, je ne peux plus supporter qu'ils tebattent davantage.» Et son fils répondit: «Non,papa. Ne me fais pas l'injure de me donner untraître pour père. Tiens bon! S'ils me tuent, jemourrai en disant: Pour Jésus et pour ma patrie.»

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Furieux, les communistes battirent à mort lejeune garçon dont le sang giclait sur les murs de lacellule et qui mourut en priant. Notre cher confrèreFlorescu ne fut plus jamais le même hommeensuite.

On nous mettait aux poignets des menottesbardées de pointes acérées. Quand nous restionstout à fait immobiles, celles-ci ne nous déchiraientpas. Mais comme il faisait très froid dans noscellules nous frissonnions souvent et les pointesnous lacéraient les poignets.

Des chrétiens étaient suspendus à des cordes etsi sévèrement battus que leurs corps se balançaientsous les coups comme des pendules. D'autresétaient enfermés dans des glacières, «chambresfrigorifiques» si froides que l'intérieur en étaittapissé de glace. J'y fus enfermé moi-même, trèslégèrement vêtu. Par le judas les médecins de laprison venaient surveiller les patients; aux premierssymptômes de la mort par le froid ils appelaient etdes gardes accouraient pour nous sortir et nousréchauffer. A peu près revigorés, nous étions rejetésdans la glacière pour regeler — encore et encore —dégelés dehors puis regelés dedans jusqu'àl'approche de la mort, puis re-dégelés, et celainterminablement. Il m'arrive aujourd'hui de nepouvoir supporter qu'on ouvre un frigidaire devantmoi.

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D'autres fois on nous enfermait dans des caissesde bois à peine plus larges que nous, où le moindremouvement nous était impossible. Des dizaines depointes aiguës en garnissaient les parois. Tout allaitbien quand nous ne bougions pas. Mais comment setenir debout pendant des heures sans fléchir?Quand sous l'effet de la fatigue nous vacillions oumême tout simplement quand un de nos muscles secontractait, ces abominables pointes nous entraientdans le corps.

Ce que les communistes ont infligé aux chrétienssurpasse l'entendement. J'ai vu de ces bourreauxremplir leur office le visage ravi, rayonnant deplaisir. Pendant qu'ils torturaient on les entendaithurler: «C'est nous le diable!»

Nous luttions moins contre la chair et le sangque contre les principautés et les puissances du mal;il était trop évident que le communisme procèdenon des hommes, mais du Démon. C'est une forcespirituelle — une force diabolique — qui ne peutêtre domptée que par une force spirituellesupérieure, l'Esprit de Dieu.

J’ai souvent demandé à ces bourreaux: Votrecoeur est donc incapable de pitié?» Ils merépondaient habituellement par ce mot de Lénine:«On ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs, onne rabote pas du bois sans faire voler des copeaux.»Je ripostais: «Le morceau de bois raboté est

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insensible. Ici, vous avez à faire à des êtres humains.Chaque coup leur cause une douleur, et il y a desmères qui pleurent.» A quoi bon? Ces gens-là sontdes matérialistes. Pour eux il n'y a que matière,l'homme n'est pas plus que du bois ou de la coquilled'oeuf, et cette idéologie les plonge jusqu'end'incroyables abîmes de cruauté.

Inimaginable est la cruauté de l'athéisme. Quandun homme ne croit pas que les bons serontrécompensés et les méchants punis, il n'y a pas deraison qu'il reste humain; il n'y a pas de limites enlui pour le sombre empire du mal. Nous avonssouvent entendu de ces bourreaux communistesaffirmer: «Il n'y a pas de Dieu, ni, par conséquent,de punition pour le mal. Nous pouvons faire tout ceque nous voulons.» J'en ai même entendu un crier:«Ton Dieu en qui je ne crois pas, je le remercie dem'avoir laissé vivre jusqu'à cette heure où je peuxexprimer tout le mal que j'ai dans le coeur.» Et celatandis qu'il infligeait à des prisonniers des torturesd'une incroyable férocité.

Qu'un crocodile dévore un homme, cela me faitpeine, mais je ne peux pas en blâmer le crocodile.C'est un crocodile, ce n'est pas un être moral. Onne peut rien reprocher non plus aux communistes:ils ont détruit en eux tout sens moral et se glorifientd'avoir un coeur inaccessible à la pitié.

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Mais j'en ai tiré une leçon: puisqu'ils ne laissaientaucune place à Jésus dans leur coeur, je résolus dene pas laisser dans le mien la moindre petite placeà Satan.

J'ai témoigné devant le Sous-Comité du Sénatdes États-Unis. J'y ai décrit des spectaclesterrifiants, par exemple des chrétiens attachés à descroix pendant quatre jours et quatre nuits; les croixétaient étendues par terre et des centaines deprisonniers étaient contraints de venir se soulagersur le visage et les corps des crucifiés. Puis les croixétaient dressées et les communistes hurlaient etricanaient: «Regardez-le, votre Christ! Regardezcomme il est beau!» J'ai raconté comment unprêtre, rendu presque fou par la torture, a été forcéde consacrer des excréments humains et de l'urineet d'en communier des chrétiens; cela s'est passédans la prison roumaine de Pitesti. J'ai demandéensuite à ce prêtre pourquoi il n'avait pas préféré lamort à cette parodie: «De grâce, dit-il, ne me jugezpas, j'ai souffert plus que le Christ.» Toutes lesdescriptions de l'Enfer dans la Bible, tous lessupplices de l'Enfer de Dante ne sont rien encomparaison des tortures infligées dans los prisonscommunistes.

Ce n'est là qu'un détail de ce qui s'est passé tindimanche, et beaucoup d'autres dimanches, dans laprison de Pitesti. On peut en raconter biendavantage. Le coeur me manquerait si je,. devais le

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faire; c'est trop obscène et trop terrible pour que lepapier le supporte. Et pourtant c'est ce qu'ontsupporté nos frères dans le Christ et ce qu'ilssupportent encore maintenant.

L'un des plus exemplaires des héros de la foi futle pasteur Milan Haimovici. Les prisons étaientcombles, les gardiens ne connaissaient pas nosnoms. Ils appelaient donc: «Ceux qui ont étécondamnés à 25 coups de fouet» — pour infractionà telle ou telle règle de la prison. Alors très souvent,le pasteur Milan Haimovici s'offrit aux coups à laplace de quelqu'un d'autre. Ce qui lui valut degagner la vénération des prisonniers non seulementpour lui-même, mais aussi pour le Christ dont ilétait le représentant.

Je n'en finirais pas non plus de raconter, enregard des abominations des communistes, lessacrifices des chrétiens. On n'entendait passeulement parler des tortures, on connaissait aussiles actes d'héroïsme, et ces exemples héroïquesdonnés par les prisonniers étaient d'un grandréconfort pour leurs frères encore libres.

Une de nos messagères de l'Église Clandestine,une jeune fille, distribuait des Évangiles en cachetteet parlait du Christ aux enfants. Avertis, lescommunistes décidèrent de l'arrêter. Mais pour quece fût plus cruel, ils retardèrent l'arrestationjusqu'au jour où la jeune fille devait se marier. Elle

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venait de revêtir sa robe de noce. Quel merveilleuxjour de bonheur dans la vie d'une fille! Tout à coupla porte s'ouvrit avec fracas et la police secrète fitirruption.

Reconnaissant les policiers, la fiancée tendit lesbras et offrit ses poignets aux menottes qui serefermèrent brutalement. Alors elle regarda sonfiancé, baisa ses chaînes et dit: «Je remercie moncéleste Époux de me faire cadeau de ce joyau pourle jour de mes noces. Je le remercie de m'avoir jugéedigne de souffrir pour Lui.» Elle fut emmenée,tandis que son fiancé et les chrétiens présentsfondaient en larmes. Ils ne savaient que trop ce quiattendait les jeunes chrétiennes tombées aux mainsdes gardes communistes. Cinq ans plus tard elle futrelâchée: c'était une femme anéantie, brisée, plusvieille de 30 ans. Son fiancé l'avait attendue.«C'était bien, dit-elle, le moins que je pouvais fairepour mon Christ.»

Qu'ils sont beaux, les chrétiens de l'ÉgliseClandestine!

COMMENT ON LAVE LES CERVEAUX.

Les Occidentaux ont probablement pendant laguerre de Corée et maintenant du Vietnam retenduparler du lavage de cerveau. Je suis moi-même passépar là, c'est la torture la plus horrible.

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Pendant des années nous avons dû rester assisdix-sept heures par jour à entendre:

«Le communisme est bon! Le communisme est bon!Le communisme est bon! Le com'nanisme est bon!

«Le christianisme est stupide! Le christianisme eststupide! Le christianisme est stupide!

«Renoncez-y! Renoncez-y! Renoncez-y!»

Dix-sept heures chaque jour, pendant dessemaines, des mois, des années.

Plusieurs chrétiens m'ont demandé commentnous avons pu résister au lavage de cerveau. Il n'ya qu'une méthode: le lavage du coeur. Si votrecoeur est purifié par l'amour de Jésus, s'il aime leChrist, vous résisterez à toutes les tortures. Que neferait pas une fiancée aimante pour son fiancé bien-aimé? Que ne ferait pas une mère pour son enfant?Si vous aimez Jésus comme Marie l'aima petitenfant dans ses bras, si vous aimez Jésus comme unefiancée son fiancé, alors vous pouvez supporter cessupplices.

Dieu ne nous jugera pas à la mesure de ce quenous aurons enduré, mais à la mesure de notreamour. Je témoigne ici en faveur de nos chrétiens.J'affirme que dans les prisons communistes, ils ontaimé Dieu et le prochain.

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Tortures et brutalités n'avaient jamais de cesse.Quand j'avais perdu connaissance ou que j'étaistrop hébété pour laisser quelque espoir d'aveu auxbourreaux, j'étais ramené dans ma cellule. Là, privéde soins, à moitié mort, on me laissait m'étendre demanière à reprendre assez de vigueur pour êtretravaillé de nouveau. Beaucoup sont morts à cerégime-là mais, je ne sais pourquoi, la force derecommencer m'a toujours été rendue. Au coursdes années que j'ai passées en diverses prisons, lesbourreaux m'ont brisé quatre vertèbres dorsales etbien d'autres os. Je leur dois d'avoir sur le corps lescicatrices d'une douzaine d'entailles et de dix-huitbrûlures creusées dans ma chair.

Quand à Oslo les médecins les virent, ainsi quesur mes poumons les cicatrices d'une tuberculosecontractée là-bas, ils déclarèrent miraculeux que jefusse encore en vie. D'après leur expérience depraticiens, j'aurais dû être mort depuis longtemps.Je le sais bien, que c'est un miracle. Notre Dieu estle Dieu des miracles.

Et je crois que s'il a fait celui-là, c'est afin qu'onpuisse entendre ma voix plaider pour l'EgliseClandestine d'au-delà du Rideau de fer. S'il m'apermis de revenir vivant, c'est pour que je crie àhaute voix le message qui vient de vous, ô mesfrères souffrants et fidèles.

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COURTE LIBERTÉ - NOUVELLEARRESTATION.

1956. J'étais en prison depuis huit ans et demi.J'avais terriblement maigri, j'étais couvert de vilainsulcères. J'avais été brutalement battu et frappé àcoups de pied, affamé, écrasé, interrogé jusqu'à lanausée, menacé, humilié. Rien n'avait produit lesrésultats qu'attendaient mes geôliers. Découragés,ils commençaient à me négliger; par ailleurs leurparvenaient des protestations contre monemprisonnement.

Je fus autorisé à retourner à mes anciennesfonctions pour une semaine, pas plus. Je prêchaideux fois. Puis les communistes me convoquèrentet m'interdirent toute prédication ainsi que toutautre ministère religieux. Qu'avais-je bien pu dire?J'avais donné à mes paroissiens ce conseil: «De lapatience, encore de la patience, toujours de lapatience!»

— Cela signifie, me cria le policier, que vous leurconseillez d'attendre que les Américains viennentles libérer.

J'avais dit aussi que la roue tourne, que les joursse suivent et ne se ressemblent pas. Et l'Inspecteurhurlait:

— C'est leur dire que les communistes ne feront

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pas toujours la loi. Autant de mensonges contre-révolutionnaires.

Ainsi prit fin mon ministère public.

Peut-être les autorités avaient-elles supposé queje n'oserais pas les défier ni retourner àl'évangélisation clandestine? En ce cas, elless'étaient trompées. Je me remis à cette tâche et mafamille me seconda.

De nouveau, allant et venant comme une ombresous la protection d'hommes de confiance, je portaitémoignage devant des fidèles secrètementrassemblés. Cette fois-ci mes cicatrices confirmaientla vérité de mon message sur la nocivité del'athéisme, encourageaient les âmes défaillantes àcroire en Dieu et à se montrer vaillantes. Jedirigeais un centre secret d'évangélistes quis'entraidaient pour la diffusion de l'Évangile sous lesyeux des communistes providentiellement aveuglés.Après tout, si un homme est assez aveugle pour nepas voir la main de Dieu en action, peut-être neverra-t-il pas non plus celle d'un évangéliste?

Finalement, l'intérêt que prenait la police à mesactivités et à mes alentours lui fut profitable. Je fusde nouveau pris sur le fait et de nouveau mis enprison! Pourquoi n'y mirent-ils pas en même tempsma famille? Je ne sais. Peut-être en raison de manotoriété. J'avais connu huit ans et demi de

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captivité, puis trois ans d'une liberté relative. Jeretournais en prison pour plus de cinq ans et demi.

Et ce deuxième stage fut en bien des cas pire quele premier. Je savais très bien ce qui m'attendait.Ma condition physique devint aussitôt trèsmauvaise. Mais nous poursuivîmes le travail secretde l'Église Clandestine dans le secret des prisonscommunistes.

UN COMPROMIS. NOUS PRÊCHONS,ILS NOUS BATTENT

Défense stricte nous était faite de prêcher auxautres prisonniers. Il était stipulé que quiconqueétait pris à le faire recevait une sévère correction.Quelques-uns d'entre nous décidèrent de payer leprix du privilège de prêcher. Nous acceptâmes lesconditions. Nous prêchions, et ils nous battaient. Ettout le monde fut satisfait: nous de prêcher. eux denous battre.

Une scène que j'ai vue plusieurs fois me revienten mémoire. Un de nos confrères était en train deprêcher devant d'autres prisonniers quand soudainles gardiens entrèrent, l'arrêtèrent au milieu d'unephrase, le saisirent et l'entraînèrent vers la «salle decorrection». Après une «correction» qui nous parutne devoir jamais finir, ils le ramenèrent enfin et lejetèrent exténué et sanglant sur le sol de la cellule.

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Peu à peu, le malheureux redressa son corps rompu,puis il rajusta péniblement son vêtement, et dit:«Où en étais-je, frères, quand ils m'ontinterrompu?» Et terminant la phrase restée ensuspens, il poursuivit sa leçon sur l'Évangile.

Que de belles choses j'ai vues!

Il arrivait que les prédicateurs fussent des laïcs.Des hommes très simples qu'inspirait le Saint-Espritprêchaient souvent de manière remarquable. Leurcoeur palpitait dans leurs mots, car prêcher en facede pareils risques n'est pas chose à prendre à lalégère; les gardes pouvaient survenir, saisir l'orateur,le rouer de coups et le laisser pour mort.

Dans la prison de Gherla, un chrétien nomméGrécu fut condamné à être battu à mort. La torturedura plusieurs semaines. L'opération fut menéelentement: un coup de matraque de caoutchouc surla plante de chaque pied, puis une pause dequelques minutes, puis un second coup et ainsi desuite. Après quoi, martelage des testicules. Unmédecin lui faisait alors une piqûre, il reprenait sessens, était gratifié d'une excellente nourriture quilui rendait des forces. Et la même torturerecommença jusqu'à ce qu'il expirât sous ces coupslentement répétés. L'un de ses bourreaux était unnommé Reck, membre du Comité central du PartiCommuniste.

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Ce Reck aimait répéter ces mots que lescommunistes redisaient souvent aux chrétiens:«Vous le voyez, Dieu c'est moi. J'ai sur vous pouvoirde vie et de mort. Celui qui est dans votre ciel nepeut décider de vous conserver la vie. Tout dépendde moi. Si je le veux, vous vivrez. Si je le veux, vousêtes morts. C'est moi qui suis Dieu.»

Dans l'atroce situation où il se trouvait, notrefrère Grécu fit un jour à Reck une très intéressanteréponse que Reck lui-même m'a rapportée plus tard:«Vous ne savez pas quel mot profond vous venez dedire. Oui, vous êtes un Dieu. Toute chenille est enréalité un papillon, si elle se développe normalement.Vous n'avez pas été créé pour être un bourreau, untueur, mais pour devenir semblable à Dieu. Jésus adit aux Juifs de son temps: «Vous êtes des dieux.»La vie du Dieu unique bat dans votre coeur.Beaucoup de ceux qui comme vous étaient despersécuteurs, par exemple l'apôtre Paul, ontdécouvert à un certain moment qu'il est honteuxpour un homme de commettre des atrocités, qu'ilspouvaient accomplir de bien plus beaux exploits. Etils sont devenus participants de la nature divine.Croyez-moi, Monsieur Reck, votre vraie vocationest d'être un dieu, image de Dieu, pas un bourreau.»

Reck ne prêta guère alors d'attention aux parolesde sa victime, pas plus que Saul de Tarse aumagnifique témoignage de saint Étienne que l'onexécutait en sa présence. Mais elles lui travaillèrent

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le coeur. Et plus tard Reck comprit quelle était savraie vocation.

Des tortures infligées par les boucherscommunistes émane une grande leçon: l'âme estmaîtresse du corps. Souvent au milieu destourments la douleur que nous ressentions nousparaissait quelque chose d'étranger qui se passaittrès loin de notre âme perdue dans la gloire duChrist présent en nous.

Nous touchions une tranche de pain par semaineet une soupe infecte chaque jour. Nous décidâmesd'en tirer une «dîme»: toutes les dix semaines, nousdonnions notre tranche de pain à un frère plusfaible, à titre de «dîme» au Seigneur.

Un chrétien avait été condamné à mort. Avantl'exécution, il fut autorisé à voir sa femme. Sesderniers mots furent ceux-ci:

— Sache que je meurs dans l'amour de ceux quime tuent. Ils ne savent pas ce qu'ils font, et ladernière chose que je te demande est de les aimeraussi. Qu'il ne te reste au coeur aucune amertumeenvers ceux qui tuent l'homme que tu aimes! Nousnous retrouverons au ciel.

Ces paroles émurent profondément l'officier de lapolice secrète qui assistait à l'entrevue des deuxépoux; il me les rapporta plus tard dans la prison, où

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il fut jeté, lui aussi, parce qu'il s'était fait chrétien.

Dans les geôles de Tirgu-Ocna se trouvait untout jeune prisonnier nommé Matchevici. Il y étaitentré à l'âge de 18 ans. Les tortures l'avaient rendutuberculeux. Sa famille apprit par hasard qu'il étaitgravement malade et lui envoya une centained'ampoules de streptomycine, ce qui pouvait, sinonlui redonner la santé, du moins différer debeaucoup sa mort. Le commissaire politique de laprison le convoqua, lui montra le paquet et lui dit:

— Voici des médicaments qui peuvent te sauverla vie mais tu n'es pas autorisé à recevoir des colisde ta famille. Personnellement, je serais heureux det'aider. Tu es jeune, je ne tiens pas à ce que tumeures en prison. Aide-moi à te venir en aide.Renseigne-moi sur tes camarades de cellule et celame permettra de me justifier devant mes supérieursquand ils me reprocheront de t'avoir transmis cecolis.

Sans hésiter, Matchevici répondit:

— Vivre pour avoir la honte de voir la tête d'untraître quand je me regarderai dans une glace, non,je ne veux pas. Je n'accepte pas vos conditions, jepréfère mourir.

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L'officier lui serra la main et lui dit:

— Je te félicite, je n'attendais pas une autreréponse de ta part. Alors je vais te proposer autrechose. Quelques-uns des prisonniers sont devenusnos indicateurs; ils se proclament communistes etvous dénoncent. Nous n'avons pas confiance en cedouble jeu et nous aimerions savoir dans quellemesure ils sont sincères. Ces gens qui voustrahissent et vous font beaucoup de mal en nousrapportant vos conversations et vos agissements, jesuppose que vous ne tenez pas à les avoir pourcamarades. Eh bien! renseigne-moi sur ces traîtreset tu auras la vie sauve.

Sans plus d'hésitation Matchevici répondit:

— Le Christ, dont je suis le disciple, nous aenseigné d'aimer même nos ennemis. Ces hommesqui nous trahissent nous font en effet beaucoup demal, mais je ne dois pas rendre le mal pour le mal.Je ne peux donc pas vous donner derenseignements sur eux. J'ai pitié d'eux, je prie poureux, mais je ne veux pas me faire complice descommunistes.

Matchevici nous revint après cette entrevue avecle commissaire politique et mourut dans la celluleoù je me trouvais. Je l'ai vu mourir, il priait. Lacharité l'avait emporté en lui sur le désir si naturelde vivre.

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Pour entendre un concert, un pauvre, s'il estgrand amateur de musique, donnera jusqu'à sondernier sou. Le voilà démuni, mais il n'a pas lesentiment d'être frustré: il a entendu des merveilles.Je ne me sens pas frustré, moi non phis, des longuesannées que j'ai passées en prison; j'y ai vu tant demerveilles. Parmi beaucoup de gens insignifiants, j'yai trouvé de grands saints, héros de la foi au mêmedegré que les chrétiens des premiers siècles. C'estavec joie qu'ils acceptaient de mourir pour leChrist. Leur splendeur spirituelle ne se pourrajamais décrire.

Ces faits que je raconte ici n'ont riend'exceptionnel. Les réalités surnaturelles sontdevenues naturelles pour les chrétiens de l'ÉgliseClandestine; cette Église est revenue à l'amour quifait l'objet du premier commandement. J'aimaisprofondément le Christ avant d'être arrêté. Aprésent, après avoir contemplé en prison son«Épouse» — son corps mystique — je puis dire quej'aime autant que le Christ l'Église Clandestine,parce que j'ai vu sa beauf é, son esprit de sacrifice.

CE QUI EST ARRIVÉA MA FEMME ET A MON FILS

Séparé de ma femme, j'ignorais ce qu'elle étaitdevenue. C'est seulement après bien des années deprison que j'appris qu'elle avait été emprisonnée,

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elle aussi. Les femmes chrétiennes avaientbeaucoup plus à souffrir que les hommes. Elle a vudes filles violées par leurs brutes de gardiens,entendu des plaisanteries, des obscénités affreuses.Les femmes étaient obligées de travailler durementà la construction d'un canal, et devaient fournir lamême somme de travail que les hommes. En pleinhiver, elles pelletaient la terre sous la surveillancede prostituées acharnées à tourmenter les fidèles.Pour vivre, ma femme dut mâcher de l'herbe,comme le bétail. Des prisonnières affaméesdévorèrent des rats et des serpents. Le dimanche,un des amusements des gardiens consistait à jeterdes femmes dans le Danube; ils les repêchaient,riaient et se moquaient de leurs corps ruisselants,puis les rejetaient à l'eau et les repêchaient. Mafemme a connu ces baignades dans le Danube.

Quant à mon fils, il erra dans les rues lorsque sesparents lui eurent été enlevés. Élevé religieusementdès sa petite enfance, Mihaï s' intéressait beaucoupaux choses de la foi. A partir de 9 ans, quand il futséparé de nous, sa vie chrétienne traversa unepériode de crise. Il devint amer et mit en questionsa religion. Des problèmes qu'ignorenthabituellement les enfants de cet âge se posèrentalors à lui. Il lui fallait chercher les moyens de vivre.

C'était un crime que d'aider les familles desmartyrs chrétiens. Deux femmes qui venaient enaide à Michaï furent arrêtées et battues à tel point

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qu'elles en sont regrées boiteuses — il y a 15 ans decela —. Une dame qui se risqua à le loger chez ellefut condamnée à 8 ans de prison pour crimed'assistance aux familles des prisonniers; elle eut lesdents cassées à coups de pied, les os brisés. Elle nepourra plus jamais travailler; la voilà, elle aussi,estropiée pour la vie.

MIHAI, CROIS EN JÉSUS

A 11 ans, mon fils commença à gagner sa viecomme ouvrier. Sa foi avait chancelé dans lemalheur. Mais il eut la permission d'aller voir samère emprisonnée depuis deux ans. Et il la vitderrière les barreaux de fer de la prisoncommuniste. Elle était hâve, sale, avec des mainscalleuses, et portait le sordide uniforme desprisonnières. Il la reconnut à peine. Les premiersmots qu'elle lui dit furent: «Mihaï, crois en Jésus.»Pris d'une fureur sauvage, les gardiens l'éloignèrentbrutalement de son fils et l'emmenèrent. A cettevue, Mihaï fondit en larmes et cette minute futcelle de sa conversion. Il comprit que si de pareillessouffrances n'empêchent pas d' aimer le Christ, c'estqu'il est sûrement le véritable Sauveur. Mihaï a ditplus tard: «Si le christianisme ne disposait pasd'autres arguments que la foi de ma mère, cela mesuffirait.» Ce jour-là, il s'était donné entièrement auChrist.

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L'école fut pour lui une lutte continuelle pourl'existence. Il était bon élève et reçut enrécompense le foulard rouge, signe del'appartenance aux Jeunes Pionniers Communistes.«Jamais, dit-il, je ne porterai le foulard de ceux quiont mis en prison mon père et ma mère.» Cela luivalut d'être renvoyé. Après avoir perdu une annéescolaire, il entra dans une autre école en cachantqu'il était le fils d'un prisonnier chrétien. Peu aprèsil eut pour devoir une dissertation sur la Bible. Il yécrivit: «Les arguments anti-bibliques sont faibles etles citations données sont fausses. Le professeur n'acertainement pas lu la Bible; elle est d'accord avecla science.» Et de nouveau il fut renvoyé. Cette foisil allait perdre deux années scolaires.

A la fin, il fut autorisé à faire ses études dans unSéminaire. Là on lui enseigna la «théologiemarxiste». Tout y était exposé conformément auxdirectives de Karl Marx. Mihaï protestapubliquement en classe, d'autres étudiants sejoignirent à lui. Résultat: il fut mis à la porte et neput poursuivre ses études théologiques.

Un jour, à l'école, un professeur débitait undiscours athée; mon fils se leva, osa contredire lemaître et lui dire qu'il assumait une très graveresponsabilité en égarant tant de jeunes esprits.Toute la classe se rangea de son côté. Il suffisaitdonc qu'un seul eût le courage de protester et tousles autres l'appuyaient.

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Pour continuer ses études, Mihaï devaitabsolument cacher qu'il était le fils de Wurmbrand,le chrétien prisonnier. Mais souvent c'étaitdécouvert et la scène habituelle se reproduisait:Mihaï était appelé chez le directeur de l'école etrenvoyé.

Il souffrit aussi de la faim. Dans les payscommunistes les familles des prisonniers chrétienssont rationnées à mort et c'est un grand crime quede leur venir en aide. Je ne vais en donner qu'unexemple dont j'ai été personnellement témoin.

Un de nos frères fut jeté en prison pour son activitédans l'Église Clandestine. Il laissait une femme etsix enfants. Ses filles aînées, 17 et 19 ans, ne purenttrouver de travail, car c'est l'État qui, dans les payscommunistes, fournit les emplois et il en exclut lesenfants des «criminels» chrétiens. Ne jugez pas, jevous prie, cette histoire vraie d'après les règles de lamorale. Tenez-vous-en aux faits. Les deux filles dece martyr chrétien, chrétiennes elles-mêmes, enfurent réduites à se prostituer pour secourir leurmère tombée malade et leurs jeunes frères. Quandil l'apprit, le plus jeune de ceux-ci, 14 ans, devintfou et dut être interné. Lorsque le père eut étéremis en liberté quelques années plus tard, sa seuleprière fut: «Mon Dieu, je ne peux supporter ça.Renvoyez-moi en prison!» Il fut exaucé: le voilà denouveau sous les verrous pour le crime d'avoirrendu témoignage au Christ devant ses enfants. Ses

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filles ne se prostituent plus, elles ont trouvé unemploi: elles ont accepté les propositions de lapolice secrète et se sont faites indicatrices. Fillesd'un martyr chrétien, elles sont bien reçues partout,elles écoutent puis rapportent aux policiers cequ'elles ont entendu. C'est immoral, bien sûr, c'esthonteux, mais ne vous récriez pas; demandez-vousplutôt s'il n'y a pas aussi de votre faute en de pareilsdrames et si des familles chrétiennes ne sont pasdans la détresse parce que vous ne les aidez pas,vous qui êtes libres.

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IIILIBÉRATION

J’AI passé 14 ans en prison. Durant tout ce tempsje n'ai pas vu une Bible ni un autre livre. Je nesavais plus écrire. La faim, l'hébétement, les torturesm'avaient fait oublier l'Écriture Sainte. Mais le jourmême du quatorzième anniversaire de mon entréeen prison, du fond de l'oubli me revint à l'esprit ceverset: «Jacob travailla quatorze ans pour Rachel et letemps lui sembla court parce qu'il l’aimait.»

Très peu après, à la faveur d'une amnistiegénérale due en grande partie à l'influence del'opinion publique américaine, je fus relâché. Jeretrouvai ma femme. Elle m'avait fidèlementattendu. Dans une extrême pauvreté — car dès quequelqu'un est arrêté, on lui enlève tout — nouscommençâmes une vie nouvelle.

Les prêtres et les pasteurs libérés pouvaient êtrechargés de petites paroisses. On m'en donna unedans la ville d'Orsova. Le Département communistedes cultes me fit savoir qu'elle comptait 35 fidèles etm'avertit qu'il ne devrait jamais y en avoir untrente-sixième. Il me commanda aussi de lui servird'agent, de renseigner la police sur ces 35 fidèles etde n'avoir aucun contact avec la jeunesse. C'est

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ainsi que les communistes se servent des églisescomme «d'instruments de contrôle».

Je savais que si je prêchais, les auditeurs ne memanqueraient pas. Je ne tentai donc même pas decommencer un sermon dans l'église officielle. Je meremis au travail de l'Église Clandestine, partageanttoutes les consolations et tous les dangers de ceministère.

Tandis que j'étais en prison, Dieu avait agi demanière extraordinaire. Notre Église n'avait pas étéoubliée et n'était plus abandonnée. Des chrétiensd'Amérique et d'ailleurs avaient commencé à nousaider et à prier pour nous.

Un après-midi que je prenais un peu de reposchez un confrère en province, celui-ci me réveilla etme dit: «Des frères étrangers sont venus nous voir.»Il y avait donc dans l'Ouest des chrétiens qui nenous avaient pas oubliés ni abandonnés. En effet,de simples fidèles y avaient monté une organisationsecrète d'assistance aux familles des martyrs, dediffusion de textes chrétiens et de distribution desecours.

Dans la chambre voisine je trouvai six frèresvenus dans cette intention. Nous parlâmesbeaucoup et longtemps. Ils avaient entendu direqu'en cette maison se trouvait quelqu'un qui avaitpassé quatorze ans en prison et ils désiraient le voir.

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— C'est moi, leur dis-je.

— Nous nous attendions, répondirent-ils, àrencontrer quelqu'un de triste et vous êtes toutjoyeux. Ce ne peut donc être vous.

Je leur certifiai que j'étais bien le prisonnier enquestion et que ma joie provenait de leur présence,parce que celle-ci me prouvait que nous n'étionsplus abandonnés.

Une aide empressée et régulière commençait àparvenir à l'Église Clandestine. Par des canauxsecrets, nous arrivèrent beaucoup de Bibles et destextes chrétiens, de même que des secours pour lesfamilles de nos martyrs. Ainsi soutenus, nouspouvions travailler beaucoup mieux. Nonseulement parce qu'on nous apportait la Parole deDieu, mais parce que nous avions la preuve quenous étions aimés, et ces entretiens avec desétrangers nous étaient d'un grand réconfort.

«Personne ne vous aime plus! Personne ne vousaime plus! Personne ne vous aime plus!» nousavait-on rabâché pendant des années de lavage decerveau. Et voilà que des chrétiens d'Amérique etd'Angleterre risquaient leur vie pour nous montrerqu'ils nous aimaient. Sur nos conseils, ilsperfectionnèrent la technique de leur activitésecrète. Ils réussissaient même à se glisser dans des

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maisons cernées par la police sans qu'elle les vîtentrer.

Un chrétien anglais ou américain qui s'ébatlibrement dans la Bible ne peut apprécier la valeurqu'avaient pour nous les Bibles ainsi distribuées. Nima famille, ni moi, ni d'autres pasteurs et martyrsclandestins des pays communistes n'auraientsurvécu sans l'aide matérielle reçue des chrétiensétrangers. De par mon expérience personnelle, jepeux témoigner de l'importance croissante qu'a euepour nous le secours matériel et moral qui nous vintde la Mission Européenne Chrétienne d'Angleterre.Nous considérions ses émissaires comme des angesvenus du ciel.

En raison de la reprise de notre ministère dansl'Église Clandestine, je fus en très grave dangerd'être arrêté une fois encore. Mais à cette époque,deux organisations chrétiennes — la MissionNorvégienne pour les Juifs et l'Alliance HébraïqueChrétienne — versèrent pour moi une rançon de30 000 francs, et je pus alors quitter la Roumanie.

POURQUOI J'AI QUITTÉ LA ROUMANIECOMMUNISTE

Je ne l'aurais pas fait — en dépit du danger — siles dirigeants de l'Église Clandestine ne m'avaientordonné de saisir cette occasion Ic sortir du pays

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pour être leur «voix» dans le monde libre. Ilsdésiraient qu'en leur nom je vous parle, à vous,Occidentaux, de leurs souffrances et de leursbesoins. Me voici donc en Occident, mais moncoeur est resté là-bas. Si je n'avais pas compris qu'ilest de la plus pressante nécessité que vousentendiez parler des tourments et de l'héroïqueapostolat de l'Église Clandestine, jamais je n'auraisquitté la Roumanie.

Telle est ma mission. Mais avant mon départ, jefus convoqué deux fois à la police secrète. Moninterlocuteur m'apprit qu'on avait reçu l'argent dema rançon (la Roumanie vend ainsi ses citoyens enraison de la crise économique où l'a plongée lecommunisme).

— Partez pour l'Ouest, me dit-il. Prêchez-y leChrist autant qu'il vous plaira, mais ne parlez pas denous. Pas un mot contre nous! Sinon, voici trèsfranchement ce qui vous arrivera. D'abordmoyennant 6 000 francs, nous pouvons trouver untueur qui vous liquidera, ou bien nous vouskidnapperons. (J'avais partagé la même cellule avecl'évêque orthodoxe Vasile Leul, qui fut kidnappé enAutriche et transporté en Roumaine où on lui brisatous les ongles. D'autres de mes compagnonsavaient été enlevés à Berlin, et récemment encoredes Roumains l'ont été en Italie et à Paris). Lepolicier ajouta: «Nous pouvons aussi vous détruiremoralement en répandant sur votre compte des

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histoires de femmes ou de vol ou de quelque péchéde jeunesse. Il est très facile de berner et de tromperles Occidentaux, surtout les Américains.»

Après ces menaces, ils me laissèrent partir versl'Ouest, sûrs du lavage de cerveau que j'avais subi.Ils sont nombreux maintenant en Occident ceuxqui sont passés par les mêmes tribulations que moi,mais ils gardent le silence. Quelques-uns mêmevantent le communisme, dont ils connaissentpourtant très bien les cruautés. Aussi lescommunistes pensaient-ils que je serais muet, moiaussi.

Bref, en décembre 1956, ma famille et moi noussortîmes de Roumanie. Mon dernier geste avantnotre départ fut d'aller sur la tombe du colonel quiavait ordonné mon arrestation et à qui je devaismes années de torture. J'y déposai une fleur. Cefaisant, je me suis consacré à porter les joies quim'étaient venues du Christ aux communistes quisont si dépourvus spirituellement.

Je hais le système communiste, mais j'aime leshommes; je déteste le péché, mais j'aime le pécheur.De tout mon coeur j'aime les communistes. Ilspeuvent tuer les chrétiens, non l'amour que leschrétiens ont pour ceux-là mêmes qui les tuent. Jene conserve pas la plus légère amertume, le moindreressentiment envers les communistes et mesbourreaux.

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IVLA CHARITÉ DU CHRIST NOUS PRESSE

UNE légende juive raconte que lorsque les Juifssortirent d'Égypte après que la Mer Rouge se fûtrefermée sur les Égyptiens les Anges joignirent leurschants de triomphe à ceux des Israélites. Et Dieudit aux anges: «Les Juifs sont des hommes, ilspeuvent donc se réjouir de leur délivrance. Mais devous j'attendais plus d'intelligence. N'ai-je pas aussicréé les Égyptiens? Est-ce que je ne les aime pas,eux aussi? Comment ne sentez-vous pas le chagrinque me cause leur malheureux sort?»

Quand Josué arriva devant Jéricho, il leva lesyeux et vit un homme qui lui faisait face, une épéenue à la main. Il s'approcha de cet homme et dit:«Es-tu pour nous ou pour nos ennemis?» (Josué 5, 13).Si cet inconnu n'avait été qu'un homme, il eûtrépondu: «Je suis pour vous» ou bien «Je suis pourvos ennemis» ou encore «Je suis neutre.» C'étaientlà les seules réponses humaines possible. Mais cetêtre venait d'un autre monde et c'est pourquoi, à laquestion de Josué, il donna une réponse inattendueet difficile à comprendre. «Non», dit-il. Que signifiece non?

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Cet être venait d'un monde où l'on n'est ni pourni contre, ou tout et tous sont compris, considérésavec pitié et compassion, aimés avec ardeur.

Au niveau humain, le communisme doitabsolument être combattu, et par conséquent lescommunistes aussi puisqu'ils sont les suppôts decette cruelle et sauvage idéologie. Mais les chrétienssont plus que des hommes; enfants de Dieu, ilsparticipent à la nature divine. C'est pourquoi lestortures endurées dans les geôles communistes nem'ont pas inspiré la haine des communistes. Ceux-ci sont des créatures de Dieu. Comment les haïrais-je? Je ne peux pas non plus être leur ami. Amitié,cela veut dire une seule âme en deux coeurs. Je nefais pas âme unique avec les communistes. Ilsexècrent l'idée de Dieu, j'aime Dieu.

Si l'on me demandait: «Êtes-vous pour ou contreles communistes?» ma réponse serait complexe. Iln'y a pas pour l'humanité menace plus grave que lecommunisme; j'en suis l'adversaire résolu et je lecombattrai jusqu'à ce qu'il soit abattu. Mais, enesprit, je suis assis aux côtés de Jésus dans lesrégions célestes, dans ce monde du «non» où, endépit de leurs crimes, les communistes sont compriset aimés, où des êtres angéliques s'efforcent d'aiderchaque homme à atteindre le but de sa vie qui estde ressembler au Christ. Mon objectif est donc derépandre l'Évangile parmi les communistes et deleur apporter la bonne nouvelle de la vie éternelle.

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Le Christ, mon Seigneur, aime les communistes.N'a-t-il pas dit lui-même qu'il aime tous les hommeset qu'il préférerait quitter les 99 brebis qui lesuivent plutôt que d'en laisser une seule se perdreloin de lui. En son nom, les Apôtres et tous lesgrands Docteurs du christianisme ont enseigné cetamour universel. Saint Macaire a dit: «Celui quiaime passionnément tous les hommes, mais assurequ'il en est un, un seul, qu'il ne peut aimer, celui-làn'est plus chrétien car sa charité n'est pasuniverselle.» Saint Augustin enseigne: «Si toutel'humanité avait été composée de justes, àl'exception d'un seul pécheur, le Christ serait quandmême venu subir la même Passion pour ce seulhomme, tant il aime chaque personne.»L'enseignement chrétien est clair. Les communistessont des hommes et le Christ les aime. Ainsi secomporte quiconque possède l'esprit du Christ.Nous aimons le pécheur tout en haïssant le péché.

Mesurons à l'amour du Christ pour lescommunistes l'amour que nous avons nous-mêmespour eux.

Dans les prisons, j'ai vu des hommes, portant auxpieds 25 kilos de chaînes, torturés au moyen detisonniers rougis au feu; on leur versait dans lagorge de pleines cuillers de sel puis on les laissaitsans une goutte d'eau; d'autres étaient affamés,roués de coups; d'autres mouraient de froid; touspriaient avec ferveur pour les communistes. C'est

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inexplicable, humainement! C'était dans nos coeursla semence de l'amour du Christ.

Il arrivait que certains de nos bourreaux fussent,eux aussi, jetés en prison. Sous le régimecommuniste, partisans, et même cadres sont aussisouvent emprisonnés que les opposants. Victimes etbourreaux se retrouvaient dans la même cellule.Pleins de haine, les non-chrétiens battaient ceuxqui auparavant leur servaient d'inquisiteurs; parcontre, les chrétiens prenaient la défense de cestraîtres, malgré le risque d'être battus eux aussi etaccusés de complaisance envers le communisme.J'ai vu des chrétiens donner leur tranche de pain (àl'époque où nous n'en touchions qu'une parsemaine) et des remèdes qui pouvaient leur sauverla vie à un bourreau communiste malade devenuleur compagnon de prison.

Voici quels furent les derniers mots de luliuManiu, un chrétien qui avait été premier ministrede Roumanie et qui mourut en prison: «Si lescommunistes sont renversés chez nous, le devoir leplus sacré de chaque chrétien sera de descendredans la rue pour les défendre, au risque de sa proprevie, contre la juste fureur des foules qu'ils onttyrannisées.» Dans les jours qui avaient suivi maconversion, j'avais eu le sentiment que je ne vivraispas longtemps. Quand je marchais dans les rues,chaque femme et chaque homme que je rencontraisme faisait souffrir physiquement. On aurait dit

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qu'un couteau me frappait au coeur, tant mepoignait l'inquiétude de leur salut. Quand unmembre de notre congrégation commettait unefaute, j'en pleurais pendant des heures. Le mêmedésir du salut de toutes les âmes me reste au coeuret les communistes n'en sont pas exclus.

Même isolés dans une cellule, nous ne pouvionsplus prier comme auparavant. Nous étionsinimaginablement affamés, aussi faibles que dessquelettes; on nous avait hébétés jusqu'à nous fairedevenir idiots. L'Oraison Dominicale étaitbeaucoup trop longue pour nous, nous ne pouvionsplus nous recueillir assez pour la réciter. Ma seuleprière, et je la répétais sans cesse, c'était: «Jésus, jet'aime.»

Et puis un jour — ô jour de lumière! — Jésusme répondit: «Tu m'aimes? A mon tour de temontrer mon amour.» Et soudain je sentis au coeurune flamme aussi brûlante que les éruptions de lacouronne solaire. Les disciples d'Emmaüs ontraconté que leur coeur brûlait en eux tandis queJésus leur parlait. De même en était-il du mien. J'aiconnu l'amour de Celui qui est mort en croix pournous tous. Pareil amour ne peut faire exception descommunistes, quelque graves que soient leurspéchés.

Ils ont commis, ils commettent encore deshorreurs, mais «l'abondance des eaux ne peut éteindre

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l'amour, ni les marées le submerger. L'amour est fortcomme la mort. La jalousie est aussi cruelle que latombe.» De même que la tombe exige tout — richeset pauvres, jeunes et vieux, hommes de toutesraces, nations et convictions politiques, saints etcriminels — de même la charité embrasse tous leshommes.Le Christ, qui est la Charité incarnée, n'aurade cesse qu'il n'ait aussi conquis les communistes.

Un pasteur venait d'être jeté dans ma cellule. Ilétait à moitié mort, le sang lui coulait du visage etdu corps, tant il avait été atrocement battu. Nous lelavâmes. Quelques prisonniers se mirent à maudireles communistes. Il gémit: «Ne maudissez pas, s'ilvous plaît! Taisez-vous. Je désire prier pour eux.»

COMMENT ON PEUT ÊTRE JOYEUX,MÊME EN PRISON.

Quand je repense à mes quatorze années deprison, j'y retrouve quelques moments de bontemps. Les autres prisonniers et des gardiens eux-mêmes s'étonnaient de la joie des chrétiens en de siterribles circonstances. Nous ne pouvions nousempêcher de chanter, malgré les sanctions prévues.Les rossignols se tairaient-ils s'ils savaient que leurchant les condamne à mort? Des chrétiensdansaient de joie en prison. Dans cette extrémité,d'où pouvait donc provenir leur allégresse?

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J'ai souvent médité sous les verrous cette parolede Jésus à ses disciples: «Heureux les yeux qui voientce que vous voyez.» Les disciples revenaient alorsd'une tournée en Palestine, au cours de laquelle ilsavaient vu des horreurs. La Palestine était occupée;partout y régnait l'affreuse misère d'un peupletyrannisé. Maladies, famine, ulcères, accablement,voilà ce qu'avaient rencontré les disciples. Lesmaisons où ils étaient entrés retentissaient desanglots de mères et d'épouses, celles des patriotesemmenés dans les prisons. Ah! certes, ce n'était pasbeau à voir. Et pourtant Jésus disait: «Heureux lesyeux qui voient ce que vous voyez» Pourquoi? Parcequ'ils n'avaient pas vu seulement le malheur. Ilsavaient vu aussi le Sauveur universel, le Maître dela béatitude finale, le But que doit atteindrel'humanité. Pour la première fois, des larvesdisgraciées, de ces chenilles qui rampent sur lesfeuilles, comprenaient qu'après cette misérableexistence vient une vie aussi belle que celle dumagnifique papillon multicolore qui vole de fleur enfleur.

Ce bonheur était aussi le nôtre. Autour de moigisaient des Jobs, quelques-uns plus affligés que nele fut Job lui-même. Mais je connaissais la fin del'histoire de Job, je savais qu'il lui a été rendu deuxfois plus que ce qu'il possédait auparavant. Autourde moi se trouvaient de pauvres Lazares, faméliqueset couverts d'ulcères suintants; mais je savais queles anges les emporteraient tous dans le sein

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d'Abraham. Je les voyais tels qu'ils seraient dans cetau-delà. Par-delà le martyr étendu près de moi dansla boue et la sanie, j'entrevoyais le saintglorieusement nimbé du lendemain.

A regarder ainsi les hommes — non tels qu'ilssont, mais tels qu'ils seront — je pouvais aussi, endes persécuteurs pareils à Saül de Tarse, entrevoirle futur saint Paul. Et quelques-uns le sont devenus.Des officiers de la police secrète devant qui nousavions porté témoignage se sont convertis et semontrèrent ensuite très heureux de souffrir enprison parce qu'ils avaient trouvé le Christ. Dans lesgardiens qui nous rouaient de coups, nous voyionsla figure de ce geôlier de Philippes qui fouetta saintPaul et se convertit ensuite; nous rêvions qu'ilsallaient bientôt nous demander: «Que dois-je fairepour être sauvé?» Et ceux qui riaient lorsque deschrétiens barbouillés d'excréments étaient attachésà des croix n'étaient-ils pas ces gens du Golgothaqui bientôt allaient se frapper la poitrine dans lacrainte d'avoir péché?

C'est en prison que nous est venu l'espoir desauver les communistes; c'est là que s'est développéle sens de notre responsabilité à leur égard; c'estlorsqu'ils nous torturaient que nous avons appris àles aimer.

Une grande partie de ma famille a été assassinée.Or c'est dans ma maison que le meurtrier s'est converti.

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C'était bien l'endroit qui convenait le mieux. Etc'est aussi dans les prisons des communistes qu'estnée l'idée d'une mission chrétienne auprès descommunistes.

Nous voyons les choses autrement que lesfourmis et Dieu les voit autrement que nous. Dupoint de vue humain, être attaché à des croix etcouvert d'excréments constitue une chose horrible.Cependant la Bible appelle «afflictions légères» lessouffrances des martyrs. Quatorze ans de prison,cela nous paraît long. Cependant la Bible dit: «Cen'est qu'un moment à passer qui nous mérite uneimmense somme de gloire.» Cela nous donne ledroit de supposer que les furieuses violences descommunistes, qui nous semblent inexcusables etcontre quoi nous devons nous élever de toutes nosforces, sont moins graves aux yeux de Dieu qu'auxnôtres. Devant Dieu, pour qui mille ans sontcomme un jour, peut-être leur tyrannie, vieille d'undemi-siècle, n'est-elle qu'un simple momentd'aberration? Ils peuvent encore être sauvés.

La Jérusalem céleste est une mère, elle aimecomme une mère. Les portes du ciel ne sont pasfermées, la lumière n'est pas éteinte pour lescommunistes. Comme tout autre ils peuvent seconvertir. Et nous avons le devoir de les appeler àla pénitence.

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Seul l'amour les transformera, un amour qu'il nefaut pas confondre avec cette complaisance enversle communisme à laquelle se laissent aller beaucoupd'autorités ecclésiastiques. La haine aveugle. Hitlerétait un anticommuniste, mais haineux: c'estpourquoi, au lieu de faire leur conquête, il a aidé lescommunistes à se soumettre le tiers du monde.

L'amour était en prison la base de notre apostolatmissionnaire auprès des communistes. Nouspensions surtout à leurs chefs. Certains directeursde missions paraissent avoir étudié fort peul'histoire de l'Eglise. Comment la Norvège a-t-elleété gagnée au Christ? Par la conversion de son roiOlaf. La Russie a accepté l'Évangile quand son roiVladimir se fut converti, la Hongrie lorsque futgagné son roi saint Étienne. De même la Pologne.En Afrique la conversion du chef entraînait toute latribu. Les missions que nous organisons s'adressentaux hommes du rang, qui peuvent certes devenird'excellents chrétiens, mais dont l'influence trèsréduite est incapable de modifier l'état de choses.

Ce sont les chefs qu'il faut gagner, lespersonnal ités pol it iques, économiques,scientifiques, artistiques. Ce sont elles quimanoeuvrent les esprits, qui modèlent les âmes deshommes. En les gagnant, nous gagnons le peuplequ'elles dirigent et influencent.

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Du point de vue missionnaire, le communismeprésente un avantage que n'offrent pas les autressystèmes sociaux: il est plus centralisé. Si leprésident des États-Unis se faisait Mormon, celan'entraînerait pas l'Amérique dans le mormonisme.Par contre, si Mao Tsé-toung — ou Brejnev, ouCeaucescu — se convertissaient au christianisme,leurs peuples tout entiers seraient pris, tant estpuissante sur eux l'emprise des dirigeants.

Mais peut-on convertir un dirigeantcommuniste? Oui, parce qu'il est aussi malheureuxet menacé que ses victimes. Presque tous les leaderssoviétiques russes ont fini en prison ou exécutés parleurs propres compagnons. De même en Chine. DesMinistres de l'Intérieur eux-mêmes, tels Yagoda,Yezou, Béria, qui semblaient tenir solidement lepouvoir entre leurs mains, ont fini comme desimples contre-révolutionnaires: une balle dans lanuque et tout fut dit. Récemment Shelepin,ministre de l'Intérieur de l'U.R.S.S., et Rankovitch,ministre yougoslave de l'Intérieur, ont été limogéscomme des guenilles malpropres.

COMMENT ATTAQUERSPIRITUELLEMENT LE COMMUNISME

Le régime communiste ne rend personneheureux, pas même ses profiteurs. Toutes les nuits,

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ceux-ci tremblent dans l'attente du fourgon depolice qui viendra les enlever parce que le parti achangé de ligne. J'ai personnellement connubeaucoup de leaders communistes. Ce sont deshommes terriblement inquiets. Jésus seul leurdonnera le repos.

Gagner au Christ des chefs communistes, ceserait sauver le monde de la destruction nucléaireet sauver l'humanité de la famine qu'entraînel'affectation des ressources à des armementscoûteux; ce serait la fin de la tension internationale.Cela comblerait de joie le Christ et les anges, et ceserait le triomphe de l'Église. Toutes les terres queles missionnaires labourent avec tant de peine, laNouvelle Guinée par exemple ou Madagascar,suivront aussitôt si les chefs communistes sontgagnés, parce que la conversion de ceux-ci donneraau christianisme une impulsion nouvelle.

Des communistes convertis, j'en ai connupersonnellement, et moi-même, dans ma jeunesse,j'étais un athée militant. J'affirme que les athées etles communistes convertis aiment beaucoup leChrist parce qu'ils ont beaucoup péché.

L'apostolat missionnaire a besoin d'être penséstratégiquement. Du point de vue du salut toutesles âmes se valent, mais non pas du point de vue dela stratégie missionnaire. Ils est plus important deconquérir un homme de grande influence, qui en

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conquerra d'autres à son tour, que d'endoctriner unsauvage dans la jungle pour assurer son salutpersonnel. C'est pourquoi Jésus à voulu achever sonministère non pas dans une quelconque bourgade,mais à Jérusalem, quartier général spirituel dumonde. Et c'est pour la même raison que Paul a tantdésiré se rendre à Rome.

«La postérité de la Femme écrasera la tête duserpent», dit la Bible. Et nous, nous chatouillons leventre du serpent. Il s'en moque. Sa tête se trouvequelque part entre Moscou et Pékin, non pas àTunis ou à Madagascar. C'est le mondecommuniste qui doit être l'objectif principal deschefs de l'Église, des directeurs de missions et detous les chrétiens attentifs.

Abandonnons le ministère routinier: «Mauditcelui qui fait mollement le travail de Yahvé» (Jer48,10). Contre le communisme, la bataillespirituelle doit être menée de front. C'est l'offensivequi gagne les guerres, non la défensive. Jusqu'àprésent l'Église s'est tenue sur la défensive en facedu communisme et elle a perdu au bénéfice decelui-ci les peuples l'un après l'autre. Il faut changercela tout de suite, et totalement. Il est dit dans unpsaume que Dieu casse en deux les barres de fer; leRideau de fer n'est donc pour lui qu'un fétu.

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La primitive Église travaillait dans le secret etl'illégalité; elle a triomphé. Apprenons à travaillerde la même manière. Avant l'avènement ducommunisme, je n'avais pas compris pourquoi tantde personnages du Nouveau Testament ont étédotés de surnoms: Siméon fut appelé le Noir, Jeanfut appelé Marc, et ce fut le cas de bien d'autres.Pour notre apostolat en pays communiste, servons-nous, nous aussi, de pseudonymes. Je n'avais pascompris pourquoi, lorsqu'il envoya préparer sondernier repas, Jésus ne précisa pas d'adresse et secontenta de dire: «Allez dans la ville, vousrencontrerez un homme portant une cruche d'eau.»Pour le travail de l'Église Clandestine, utilisons,nous aussi, des signes secrets de reconnaissance. Sinous adoptons ces façons d'agir — ce sera d'ailleursrevenir aux méthodes des premiers chrétiens —nous travaillerons efficacement pour le Christ dansles pays communistes.

Or, quand j'ai rencontré tels ou tels chefs del'Église en Occident, au lieu de cette charité enversles communistes qui aurait abouti depuis longtempsà l'organisation de l'apostolat missionnaire derrièrele Rideau de fer, qu'ai-je trouvé? La politique de lacomplaisance envers les communistes. Je n'ai pastrouvé la compassion du Bon Samaritain en faveurdes âmes égarées de la maison de Karl Marx.

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Ce qui fait le vrai croyant ce n'est pas le credoqu'il récite, c'est la foi dans les réalités pourlesquelles il est prêt à mourir.

Les chrétiens de l'Église Clandestine ont prouvéqu'ils sont prêts à mourir pour leur foi. L'apostolatque je continue d'exercer peut me valoir un nouvelemprisonnement en pays communiste, de nouvellestortures et la mort, parce que je dirige une MissionSecrète détachée derrière le Rideau de fer, et quej'en prends sur moi tous les risques. Ce que j'écris,je le crois.

J'ai le droit de demander: «Les chefs de l'Église del'Ouest qui font amitié avec le communisme sont-ilsprêts à mourir pour cette foi-là? Qui les empêche dequitter leurs hautes situations de l'Ouest pourdevenir à l'Est des pasteurs officiels et collaborer —sur le tas — avec les communistes? Eh bien! Aucunchef d'Église en Occident n'a encore donné cettepreuve de foi.

Le langage humain est né du besoin des hommesde se comprendre l'un l'autre pour la chasse, lapêche, la production des objets nécessaires à la vieet pour exprimer leurs sentiments réciproques. Iln'existe pas de mots humains pour exprimer lesmystères de Dieu et les altitudes de la viespirituelle. Il n'en existe pas non plus pour décrireles profondeurs de la cruauté diabolique. Pouvez-vous trouver des mots capables de définir ce que

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ressent un homme que les Nazis vont jeter dans unfour crématoire ou qui y voit jeter son fils? Il estdonc vain d'essayer de décrire ce que des chrétiensont souffert et souffrent encore sous lescommunistes.

Je me suis trouvé en prison avec LucretiuPatrascanu, l'homme qui a amené le communismeau pouvoir en Roumanie, ce dont ses compèresl'avaient récompensé en le fourrant sous les verrous.Il n'avait pas perdu la raison et cependant ilsl'internèrent dans un asile de fous, jusqu'à ce qu'ildevînt fou lui-même. Ils infligèrent le même sort àAnna Pauker, leur exsecrétaire d'État. Et ce genrede traitement est souvent appliqué aussi à deschrétiens qui subissent électro-chocs et camisole deforce.

Ce qui se passe dans les rues de Chine faithorreur au monde. A la vue de tous, libre cours yest donné aux Gardes Rouges terroristes. Essayezd'imaginer ce qui peut arriver aux chrétiens dansces geôles chinoises où personne ne va voir. Auxdernières nouvelles, un écrivain évangéliste chinois,ainsi que d'autres chrétiens qui refusaientd'apostasier, ont eu les deux oreilles, la langue et lesjambes coupées.

Mais les communistes commettent un crime pireencore que de torturer les corps et de tuer. Ilsfalsifient désespérément les pensées des hommes,

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pervertissent la jeunesse et l'enfance. Ils ont placédes agents à eux à des postes de direction dansl'Église pour dévoyer les chrétiens et détruire lestemples. Ils apprennent aux jeunes non seulementqu'il ne faut pas croire à Dieu et au Christ, maisaussi qu'il faut haïr ces Noms.

Par quels mots pourrions-nous exprimer le dramedes chrétiens qui, rentrant chez eux après desannées de prison, se voient traités avec mépris parleurs enfants devenus en leur absence des athéesmilitants?

Ce livre est écrit moins avec de l'encre qu'avec lesang jailli des coeurs transpercés. Néanmoins, demême qu'au temps de Daniel les trois jeuneshommes sortirent de la fournaise sans avoir souffertdu feu, de même les chrétiens sortis des prisonscommunistes ne conservent pas de ressentimentcontre leurs bourreaux.

Une fleur, si vous l'écrasez sous vos pieds, sevenge en vous donnant son parfum. Ainsi nosmartyrs, en échange des tortures, donnent del'amour. Nous avons amené au Christ beaucoup denos gardiens. Et un seul désir nous domine: donneraux communistes ce que nous avons de meilleur, lesalut qui vient de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Je n'ai pas eu, comme tant de nos frères, leprivilège de mourir en prison de la mort des

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martyrs. J'ai été libéré, j'ai même pu sortir deRoumanie pour venir en Occident. Et qu'ai-jetrouvé encore en Occident, chez beaucoup de chefsde l'Église? Le sentiment contraire de celui quiprédomine dans l'Église Clandestine par-delà lesrideaux de fer et de bambou. La preuve en est qu'ilsne font rien pour sauver ceux qui se trouvent enpays communistes. Ils ont des missions pour lesJuifs, des missions pour les musulmans, des missionspour les bouddhistes; ils en ont même pourpersuader les chrétiens de passer d'une confessionà une autre. Mais ils n'ont pas de missions pour lescommunistes. C'est donc qu'ils ne les aiment pas.S'il en était autrement, ils auraient créé depuislongtemps ces missions-là, tout comme Carey paramour pour les Hindous, ou Hudson Taylor paramour pour les Chinois, ont créé leurs missions enChine et aux Indes.

Encore n'est-ce pas assez dire. Non seulement ilsn'aiment pas les communistes et ne font rien pourles gagner au Christ, mais, par complaisance, parnégligence, et dans certains cas, par volontédélibérée de complicité, plusieurs chefs des Églisesd'Occident confirment les communistes dansl'infidélité. Ils les aident à s'introduire dans leséglises de l'Ouest, à prendre la direction dans toutesles églises du monde. Et par eux les chrétiensdeviennent inattentifs aux dangers ducommunisme.

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N'aimant pas les communistes, ne se souciant pasde les gagner au Christ (ils prétextent que ce n'estpas permis — comme si les premiers chrétiensavaient attendu de Néron la permission de prêcherl'Évangile I) ils n'aiment pas non plus leur propretroupeau. Si, en effet, les communistes ne sont pasconquis au Christ, ils conquerront l'Ouest et ydéracineront aussi le christianisme.

LES LEÇONS DE L'HISTOIRE SONTIGNORÉES.

Dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, il yavait en Afrique du Nord une chrétientéflorissante. Saint Augustin et Saint Cyprien en sontsortis, et Saint Athanase et Tertullien. Elle nenégligea qu'un seul devoir: convertir les musulmanslorsque cette nouvelle religion se répandit à partirdu r siècle. Résultat: les musulmans envahirentl'Afrique du nord et en extirpèrent le christianismepour des centaines d'années.

Écoutons donc les leçons de l'Histoire!

Au temps de la Réforme, les intérêts religieux deHuss, Luther et Calvin coïncidèrent avec ceux desprinces européens désireux d'être indépendants parrapport au Pape. De même aujourd'hui les intérêtsde l'Église Clandestine dans la diffusion del'Évangile à la fois aux communistes et à leurs

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victimes coïncident avec l'intérêt vital de tous lespeuples libres, s'ils veulent continuer de vivre enliberté.

Il n'existe pas de puissance politique capable derenverser le communisme. Celui-ci dispose del'énergie nucléaire; l'attaquer militairemententraînerait une guerre mondiale qui ferait descentaines de millions de morts. En outre, beaucoupde dirigeants occidentaux sont atteints par le lavagede cerveau et n'ont même pas le désir de neutraliserles chefs communistes. Ils l'ont assez souventproclamé. Ils désirent que le goût de la drogue, legangstérisme, le cancer et la tuberculosedisparaissent, mais pas le communisme, lequel apourtant exigé plus de victimes que tous ces fléauxensemble.

L'écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg dit que siStaline n'avait rien fait d'autre toute sa vie qued'écrire le nom de ses victimes, il n'aurait pas vécuassez longtemps pour en dresser la liste. Au XXeCongrès du Parti communiste Krouchtchev aaffirmé: «Staline a liquidé des milliers d'honnêtes etinnocents communistes... Sur 139 membres etcandidats du Comité Central élus au XVII/congrès, 98, soit 70 pour cent, ont été ensuitearrêtés et exécutés.»

Imaginez maintenant ce que Staline a pu faireaux chrétiens! Mais s'il a désavoué son

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prédécesseur, Krouchtchev a continué de marchersur ses traces. Depuis 1959 la moitié des églisesencore ouvertes en Russie Soviétique ont étéfermées.

En Chine déferle une nouvelle vague de barbariepire que celle de la période stalinienne. Il n'y a plusdu tout là-bas de liberté ni de vie pour l'Église. EnRussie et en d'autres pays se produisent denouvelles arrestations (nous venons justementd'apprendre qu'en Russie les chrétiens sont arrêtésen masse).

Par la terreur et le mensonge, en des pays quicomptent un milliard d'habitants, la jeunegénération est élevée dans la haine de tout ce quiest occidental, et particulièrement la chrétienté.

Il n'est pas rare de voir en Russie des autoritéslocales s'installer devant l'église pour guetter lesenfants. Ceux qui sont pris en train d'y aller sontgiflés et repoussés. Les futurs destructeurs de lachrétienté occidentale sont soigneusement etsystématiquement préparés.

Une seule force peut abattre le communisme.C'est celle qui a permis aux États chrétiens deremplacer la Rome païenne, la force qui, desBarbares Teutons et Vikings, a fait des chrétiens, laforce qui a renversé la sanglante Inquisition. C'estla puissance de l'Évangile et c'est celle que

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représente l'Église Clandestine dans tous les payscommunistes.

Soutenir cette Église et l'aider n'est passeulement affaire de sympathie pour les frèrespersécutés. C'est une question de vie ou de mortpour votre patrie et vos églises. Soutenir l'ÉgliseClandestine n'est pas seulement de l'intérêt deschrétiens libres, ce devrait être aussi la politique desgouvernements du monde libre.

Elle a déjà ramené au Christ des dirigeantscommunistes. Le premier ministre de RoumanieGheorgiu Dej est mort converti après avoir confesséses péchés. Derrière le Rideau de fer, certainsgouvernants sont secrètement chrétiens. Cela peutse développer. Alors il sera possible d'espérer unchangement dans la politique de plusieursgouvernements communistes — et non pas desmodifications comme il s'en est produit chez Tito etGomulka, sous lesquels le même parti athée acontinué d'exercer sa cruelle dictature — mais unchangement réel qui tendra vers le christianisme etla liberté.

Actuellement d'exceptionnelles occasions seprésentent. Souvent aussi sincères dans leurscroyances que les chrétiens dans leur foi, lescommunistes traversent une crise grave. Ils avaientréellement cru que le communisme créerait lafraternité entre les nations et ils voient qu'au

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contraire leurs pays se disputent comme des chiens.Ils avaient réellement cru que le communismecréerait un paradis terrestre qu'ils opposeraient à cequ'ils appelaient l'illusoire paradis du ciel. Etmaintenant leurs peuples sont affamés, ils sontobligés d'importer de la nourriture achetée aux payscapitalistes. Ils avaient foi en leurs chefs; et ils ontlu dans leurs propres journaux que Staline aordonné des exécutions massives et queKrouchtchev est un idiot. De même pour leurshéros nationaux, Rakosi, Gero, Anna Pauker,Rancovici, et autres. Ils ne croient plus àl'infaillibilité de leurs chefs; les voilà pareils à ce queseraient des catholiques sans Pape.

Le vide s'est fait dans leurs coeurs, et seul leChrist peut le combler. Par nature le coeur humaincherche Dieu. Chaque homme ressent ce videspirituel tant que le Christ ne l'a pas rempli. Celavaut également pour les communistes. Il y a dansl'Évangile une puissance d'amour qui peut lesattirer, eux aussi. C'est arrivé, je l'ai vu. Je sais doncque c'est possible.

Des chrétiens tournés en dérision et torturés ontpardonné et oublié ce qui leur a été infligé, à eux età leurs familles. Ils font de leur mieux pour aider lescommunistes à traverser la crise et à trouver la voiequi mène au Christ. Pour cela, ils ont besoin devotre secours.

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Et pas seulement pour cela. La charitéchrétienne embrasse tous les hommes et tous lespeuples. Chez des chrétiens, la partialité ne doit pasexister. Jésus a dit que Dieu fait luire son soleil pourles méchants comme pour les bons. Ainsi fait lavraie charité chrétienne.

Les dirigeants chrétiens de l'Ouest quimanifestent de l'amitié pour les communistes sejustifient en invoquant l'enseignement de Jésus: «Etmoi je vous dis: aimez vos ennemis.» Mais jamais Jésusn'a enseigné que, pour aimer nos ennemis, nousdevons oublier nos frères. Ils manifestent leurcharité en invitant à leur table des gens dont lesmains dégouttent de sang chrétien, mais ils ne leurservent pas la bonne nouvelle du Christ. Et ilsoublient ceux que les communistes persécutent.Ces frères persécutés, ils ne les aiment pas. Aucours de ces sept dernières années les églisesévangéliques et catholiques de l'Allemagne del'Ouest ont donné 620 millions de francs pour lessous-alimentés. Les chrétiens d'Amérique donnentmême davantage. Beaucoup de peuples souffrent dela faim, mais je ne crois pas qu'il y ait plus affamésque les martyrs chrétiens, ni que personne ait droitdavantage aux secours de chrétientés libres. Si leséglises allemandes, anglaises, américaines,françaises récoltent à ce titre tant d'argent, cessecours doivent aller, certes, à tous ceux qui sontdans le besoin, mais d'abord et en premier lieu auxmartyrs chrétiens et à leurs familles.

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Est-ce là ce qui se passe à présent?

J'ai été délivré contre rançon versée par desorganisations chrétiennes, cela prouve qu'il estpossible de racheter des chrétiens. J'en restepourtant le seul exemple. N'en peut-on conclurequ'en certains cas les organisations chrétiennes del'Ouest commettent la faute de négliger leur devoir?

Les premiers chrétiens se demandaient si l'Églisenouvelle n'avait été instituée que pour les Juifs ousi elle devait aussi accepter les Gentils. Cettequestion a reçu sa juste réponse. Sous une autreforme, le même problème s'est posé de nouveau auXXe siècle. Le christianisme n'est pas seulementpour l'Ouest. Le Christ n'est pas propriété exclusivede l'Amérique, de la France ou des autres paysdémocratiques. Sur sa croix, l'une de ses mains setendait vers l'ouest, l'autre vers l'est. Il voulait êtrele roi non seulement des Juifs, mais aussi desGentils, le roi des communistes tout autant que dumonde occidental: «Allez! Enseignez toutes lesnations, a-t-il ordonné, et prêchez l'Évangile à toutecréature.»

Son sang a été versé pour tous les hommes ettous doivent entendre l'Évangile et croire.

Ce qui encourage à le prêcher dans les payscommunistes c'est que là-bas les convertis brûlentde charité et de zèle. Je n'ai jamais rencontré de

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chrétien tiède chez les Russes. D'anciens JeunesCommunistes peuvent devenir des disciplesexceptionnels du Christ.

De même qu'il aime tous les pécheurs et désireles guérir de leurs péchés, le Christ aime lescommunistes et désire les guérir du communisme.Voilà la seule attitude qui convienne et pourtantquelques églises en adoptent une autre opposée: lacomplaisance envers le communisme. C'estfavoriser le péché, aider au triomphe ducommunisme et faire obstacle autant au salut descommunistes qu'à celui de leurs victimes.

CE QUE J'AI DÉCOUVERT APRÈS MALIBÉRATION

Quand, sorti de prison, j'eus retrouvé ma femme,elle me demanda mes intentions pour l'avenir. Je luirépondis:

— Mon idéal serait la vie spirituelle des ermites.

— J'ai eu la même pensée, dit-elle.

Dans ma jeunesse, j'avais un tempéramentfougueux. Mais la prison, et spécialement mesannées de solitude en cellule, ont fait de moi unhomme de méditation, un contemplatif. Toutes lestempêtes de mon coeur s'étaient apaisées. Je ne

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m'inquiétais plus du communisme, je n'y prêtaismême pas attention. J'étais dans les bras de l'Épouxcéleste. Je priais pour ceux qui me faisaient du malet m'efforçais de les aimer de tout mon coeur. Il merestait vraiment fort peu d'espoir d'être délivré, maisquand de temps en temps il m'en venait une lueuret que je me demandais ce que je ferais en ces cas-là, je rêvais toujours de me retirer quelque part poury vivre la douce union avec le céleste Époux.

Dieu est «la Vérité». La Bible est «la vérité sur laVérité». La théologie est «la vérité sur la vérité àpropos de la vérité». Le peuple chrétien se noiedans toutes ces vérités concernant la Vérité et enconséquence ne possède pas «la Vérité». Mourantde faim, roués de coups, hébétés, nous avions oubliéla théologie et la Bible, les «vérités sur la Vérité...»et en conséquence nous vivions dans «la Vérité». Ilest écrit: «Le Fils de l'Homme viendra à l'heure oùvous n'y penserez point et vous en ignorez le jour.»Nous n'y pensions plus. Aux heures les plussombres de nos souffrances le Seigneur vint à nous,et les parois de la prison étincelèrent comme desdiamants, et la lumière emplit les cellules. Quelquepart, bien loin au-dessous de nous, les bourreauxétaient relégués dans le domaine du corps; l'âme,elle, se réjouissait dans le Seigneur. Cette joie, nousne l'aurions pas cédée pour tous les palais des rois.

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Se battre contre quelqu'un ou quelque chose?Rien n'était plus loin de mon esprit. Je ne désiraismener aucune guerre, même juste. Mon désir étaitde devenir pour le Christ un temple vivant. Et c'estdans l'espoir de vivre de tranquilles années decontemplation que je sortis de prison.

Mais, dès le lendemain de ma délivrance, je butaicontre des aspects du communisme plus affreux quene m'avaient paru toutes les tortures de la prison.L'un après l'autre, je rencontrai de grandsprédicateurs et pasteurs de différentes églises, etmême des évêques: ils m'avouaient simplement qu'àleur grand regret ils servaient d'indicateurs à lapolice secrète contre leurs propres ouailles.«Accepteriez-vous, leur demandais-je, de lâchercette besogne au risque d'être vous-mêmesemprisonnés?» Tous me répondirent non. Ce qui lesen empêchait, expliquaient-ils, ce n'était pas qu'ilscraignaient pour eux-mêmes. Et ils me parlaient demutations dans les églises, d'événements survenusdepuis mon arrestation, en sorte que leur refusd'informer la police pouvait entraîner la fermetured'un temple.

Le gouvernement a installé dans chaque ville uncontrôleur des cultes, agent de la police secrètecommuniste. Ce personnage a le droit deconvoquer n'importe quel prêtre ou pasteur quandil le veut et de lui demander qui est allé à l'église,qui fréquente la communion, qui fait preuve de zèle

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religieux et apostolique, ce que les gens ont avouéen confession, etc. Le ministre qui ne répond pasest limogé et remplacé par un autre, qui peut-êtresera plus bavard que son prédécesseur. Partout oùle gouvernement ne peut installer ce contrôleur (cequi est rare) l'église est fermée, tout simplement.

Beaucoup d'ecclésiastiques renseignaient lapolice secrète; les uns hésitaient, essayaient decacher certaines choses; d'autres en avaient prisl'habitude et leurs consciences s'étaient endurcies;d'autres encore y avaient pris goût et racontaientplus qu'il ne leur était demandé. J'ai entendu enconfession des enfants de martyrs chrétiens: souspeine d'abandonner leurs études, ils avaient étécontraints de donner des renseignements sur lesfamilles amies qui les recevaient.

Je me suis rendu à un Congrès Baptiste, lequelétait rassemblé sous le signe du Drapeau Rouge. Lescommunistes y venaient de désigner lespersonnalités qui seraient élues à la direction deséglises. Je savais que les ministres chargés deséglises légales étaient des hommes imposés par leParti. Mais je me suis alors rendu compte que j'avaisdevant les yeux ce que Jésus a appelé«l'abomination de la désolation installée dans leSaint des Saints».

Il y a toujours eu de bons et de mauvais pasteurset prédicateurs. Mais pour la première fois dans

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l'histoire de l'Église, on voit le Comité central d'unparti athée, qui a crié sur les toits sa volonté dedéraciner la religion, désigner les recteurs deséglises. Et cela, dans quel dessein? Assurément,c'est pour qu'ils l'aident dans son travail dedestruction.

Lénine a écrit: «Toute idée religieuse, toute idéede Dieu, et même toute sympathie pour l'idée deDieu est une abjection inqualifiable de l'espèce laplus dangereuse, la contagion la plus abominable. Ily a, et de loin, beaucoup moins de danger dans desmillions de péchés, d'actions immondes, d'actes deviolence et de maladies contagieuses que dans lasubtile idée spirituelle d'un Dieu.»

Tous les partis communistes des pays soviétiquessont léninistes. Pour eux la religion est plus néfasteque le cancer, la tuberculose et la syphilis. Et cesont eux qui nomment les chefs religieux! Et c'estavec eux que collaborent et transigent plus oumoins les dirigeants de l'Église légale!

J'ai vu des enfants et des jeunes empoisonnés parl'athéisme parce que les autorités religieuses légalessont dans l'impossibilité absolue de s'y opposer. ABucarest vous ne trouverez dans aucune église unpatronage de jeunes ou une école du dimanche. Lesenfants des chrétiens sont élevés à l'école de lahaine.

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C'est en voyant tout cela que je me suis mis àdétester le communisme plus que je ne l'avaisdétesté sous la torture. Je le déteste, non pas àcause de ce qu'il m'a fait subir, mais pour le tortqu'il fait à la gloire de Dieu, au Nom de Jésus, etaux âmes des centaines de millions d'hommes quivivent sous sa domination.

De tous les coins du pays, des paysans venaientme voir et me raconter les méfaits de lacollectivisation. Sur ce qui était autrefois leurschamps et leurs vignes, ils vivaient à présentcomme des esclaves affamés. Ils manquaient depain, et leurs enfants de lait et de fruits, et cela dansun pays où la nature est aussi généreuse que dansl'antique Chanaan. Des frères m'ont avoué que lerégime communiste les acculait au vol et aumensonge. Pour manger, il leur fallait dérober cequi autrefois était à eux et maintenant appartenaità la collectivité; après quoi, pour dissimuler leurslarcins, ils se voyaient obligés de mentir. Desouvriers m'ont parlé de la terreur qui règne dans lesusines, où les travailleurs sont exploités suivant desnormes de travail dont n'oseraient même pas rêverles capitalistes. Et le droit de grève ne leur est pasreconnu.

Quant aux intellectuels, en dépit de leursconvictions intimes, ils sont obligés d'enseignerl'inexistence de Dieu.

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La vie et la pensée, sur un tiers de la terre, sontbouleversées et détruites.

Des jeunes filles sont venues se plaindre parceque l'organisation de la Jeunesse Communiste lesavait convoquées, blâmées et menacées. Quellefaute avaient-elles donc commise? Elles avaientembrassé un garçon chrétien. Et le Comité leur ennomma un autre qu'elles auraient le droitd'embrasser.

Bref, tout me paraissait désespérément faux etlaid.

Et puis, j'ai retrouvé des militants de l'ÉgliseClandestine, d'anciens compagnons; certainsn'avaient pas été arrêtés, d'autres avaient repris lecombat après leur sortie de prison. Ils medemandèrent de me joindre à eux. J'ai assisté à leursréunions secrètes au cours desquelles ils chantaientdes cantiques qu'ils lisaient sur des feuilles copiéesà la main.

Je me suis rappelé le grand saint Antoine. Depuis30 ans, retiré du monde, il vivait dans le désert etpassait son existence à jeûner et à prier, quand ilentendit parler de la dispute entre saint Athanaseet Arius à propos de la divinité du Christ. Ilabandonna la vie contemplative et se rendit àAlexandrie pour aider au triomphe de la vérité.

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Je résolus de faire ce qui est le devoir de toutchrétien: suivre l'exemple du Christ, imiter l'ApôtrePaul et les grands saints, abandonner l'idée de laretraite et reprendre la lutte.

Mais quel genre de lutte?

En prison, les chrétiens ne cessaient de prierpour leurs ennemis et de donner à ceux-ci unmagnifique témoignage. Notre voeu le plus ardentétait que nos bourreaux fussent sauvés, et quandcela se produisait nous en ressentions une vive joie.Mais j'exécrais l'odieux système communiste etdésirais me porter en renfort de l'Église Clandestine,la seule force qui puisse renverser cette cruelle tyranniepar la puissance de l'Évangile.

Je n'envisageais pas seulement la Roumanie, jepensais à tout le monde communiste.

Or, qu'ai-je trouvé en Occident? beaucoupd'indifférence. Partout, dans le monde, des gens delettres ont protesté quand deux écrivainscommunistes — Siniavsky et Daniel — ont étécondamnés à la prison par leurs propres camarades.Et les églises ne protestent pas quand des chrétienssont jetés en prison pour leur foi.

Qui s'inquiète du frère Kuzyck, condamné pourle crime d'avoir distribué du «poison», c'est-à-diredes publications chrétiennes, par exemple les livres

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de dévotion de Torrey ou des abrégés de la Bible?Du frère Prokofiev, condamné pour distribution desermons manuscrits? Du Juif chrétien Grunwaldcondamné pour des crimes analogues et dont le filsest emprisonné à vie? Je sais trop ce que j'ai souffertquand j'ai été séparé de mon fils Mihaï pour ne passouffrir avec Grunwald, Ivanenko, GrannyShevchuk, Taysia Tkachencho, EkaterinaVekazina, Georgi Vekazin, les époux Pilat enLettonie, et tant d'autres, dont les noms sont ceuxde saints et de héros de la foi en notre XXe siècle.Je m'agenouille pour baiser leurs chaînes, comme lespremiers chrétiens celles de leurs frères quipartaient pour les arènes où les attendaient lesbêtes féroces.

Mais ils n'intéressent pas tels et tels chefs deséglises de l'Occident. Les noms de ces martyrs nefigurent pas sur leurs livres de prières. Tandis qu'onles torturait et condamnait à mort, certains chefs del'Église Baptiste Russe et de l'Église orthodoxe —qui les avaient dénoncés et livrés — étaient reçusen grande pompe à New Delhi, à Genève et dansd'autres Conférences internationales, où ilsaffirmaient à qui voulait les entendre que la libertéreligieuse est totale en Russie. Un président duConseil Mondial des Églises à même embrassél'archevêque bolchevik Nicodème qui lui endonnait l'assurance; après quoi ils banquetèrentensemble au nom prestigieux de ce ConseilMondial, cependant qu'au nom de Jésus-Christ les

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saints, dans leurs prisons, «se régalaient» de chouxfarcis d'intestins non lavés — comme ceux que j'aidû avaler moi-même.

Cela ne pouvait durer. L'Église Clandestinedécida que je quitterais le pays à la premièreoccasion pour aller vous raconter ce qui se passe, àvous, chrétiens. Et moi, sans cesser d'aimer lescommunistes, j'ai décidé de dénoncer lecommunisme. Car je suis convaincu que, si on ne ledénonce pas, on ne prêche pas le véritableÉvangile.

«Prêchez le pur Évangile», me recommandentcertains. Cela me rappelle que la police secrètecommuniste m'a demandé, elle aussi, de parler duChrist mais sans faire aucune allusion aucommunisme. Se peut-il que le même esprit animeles agents de cette police et les tenants de ce qui estappelé — par eux-mêmes — «le pur Évangile»?

Qu'est-ce donc, ce «pur Évangile»? Je n'en saisrien. Était-elle pure, la prédication de Saint JeanBaptiste? Il ne disait pas seulement «Faites pénitence,car le Royaume de Dieu est proche», il disait aussi:«Toi, roi Hérode, tu es coupable.» Et parce qu'il nes'était pas contenté d'enseigner à moitié, il futdécapité. Jésus ne s'est pas contenté de prononcerle «pur» Sermon sur la Montagne, il a aussiprononcé ce que certains chefs actuels de l'Églisequalifieraient de «sermon négatif»: «Malheur à vous,

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Scribes et Pharisiens hypocrites... génération devipères.» C'est pour ce prêche «impur» qu'il a étécrucifié, car les Pharisiens ne se seraient pastellement révoltés contre le Sermon sur laMontagne.

Il faut appeler le péché par son nom. Dans lemonde actuel, le péché le plus dangereux est lecommunisme. Tout Évangile qui ne le stigmatisepas n'est pas le pur Évangile. Au risque de la libertéet de la vie, l'Église Clandestine le stigmatise!Allons-nous garder le silence, à l'Ouest?

Je me suis résolu à dénoncer le communisme,non pas à la manière de ceux qu'on nommed'ordinaire «anti-communistes». Hitler était deceux-ci et n'en fut pas moins un tyran. Nous, quihaïssons les péchés, nous aimons le pécheur.

POURQUOI JE SOUFFRE EN OCCIDENT

Je souffre à l'Ouest plus que je n'ai souffert dansles pays communistes.

Et d'abord, et avant tout, parce que je soupireaprès les indicibles beautés de l'Eglise Clandestine,cette Église si conforme à l'antique conseil latin:«Nudi nudum Christum sequi» (suivre nus le Christnu).

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Dans le camp communiste, le Fils de l'Homme etles siens ne trouvent nulle part de quoi reposer leurtête. Là-bas les chrétiens ne peuvent se bâtir demaisons. A quoi bon? On les leur confisquerait dèsleur première arrestation. La seule possession d'unemaison neuve fournirait contre eux un grave chefd'accusation, car les communistes voudraient sel'approprier. Là-bas vous ne prenez pas le tempsd'ensevelir votre père ou de dire adieu aux vôtresavant de suivre le Christ. Qui est votre père, votrefrère, votre soeur? Vous êtes, à cet égard,semblables à Jésus. Votre mère et votre frère sontceux qui font la volonté de Dieu. Quant aux liensnaturels, peuvent-ils encore compter lorsqu'il arrivesi souvent que la fiancée dénonce son futur, lesenfants leurs parents, les épouses leurs maris? Deplus en plus seule subsiste la fidélité spirituelle.

L'Eglise Clandestine est pauvre et souffrante,mais elle ne compte pas de tièdes.

Un office religieux y est ce qu'il était voilà dix-neuf cents ans dans la primitive Église. Leprédicateur ne connaît qu'une théologie sommaire.Tout comme Pierre, il ignore l'homélie; n'importelequel de nos professeurs de théologie aurait colléune mauvaise note au Prince des Apôtres pour sonsermon du jour de la Pentecôte. On connaît peu lesversets de la Bible dans les pays communistes, parcequ'on y manque de Bibles. En outre, il est plus que

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probable que les prédicateurs sont restés en prisonsans Bible pendant des années.

Professent-ils leur foi en un Père? Leur professionde foi est pleine de sens, parce qu'elle cache undrame. Chaque jour, en prison ils ont demandé dupain au Père tout-puissant, et ils ont reçu du choufarci d'immondices: ils croient pourtant que Dieuest un Père tout-puissant. En cela, ils sont pareils àJob qui a dit: «Je croirais en Dieu même si Dieu memenaçait de mort.» Ils sont pareils à Jésus quiappelait «mon Père» ce Dieu qui paraissaitl'abandonner sur la Croix.

Celui qui a connu la splendeur spirituelle del'Église Clandestine ne peut plus se contenter duvide de certaines Églises de l'Occident. Je souffre àl'Ouest plus que n'ai souffert dans les geôlescommunistes, parce que je vois maintenant de mesyeux agoniser la civilisation occidentale.

Dans le Déclin de l'Occident, Oswald Spengler aécrit: «Vous êtes à l'agonie. Je discerne en vous tousles symptômes de la décadence. Votre abondance etvotre pénurie, votre capitalisme et votre socialisme,vos guerres et vos révolutions, votre athéisme etvotre pessimisme et votre cynisme, votreimmoralité, vos divorces, votre contrôle desnaissances, tout ce qui en bas vous couvre de sanget injecte en haut la mort dans vos cerveaux, toutcela, je peux vous prouver que ce sont les signes

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caractéristiques des époques qui ont vu s'écroulerles états de l'Antiquité, Alexandrie et la Grèce, etRome la névrosée.»

Cela fut écrit en 1926. Depuis lors, la démocratieet la civilisation sont déjà mortes dans la moitié del'Europe et jusque dans la lointaine Cuba. Le restede l'Occident dort.

Mais il reste une force qui ne s'endort pas, celledes communistes. Tandis qu'à l'Est ils ont perduleurs illusions, à l'Ouest le communisme estdemeuré virulent. Ses partisans de l'Ouest necroient tout simplement pas à ces comptes-rendusfâcheux de cruautés, de misère et de persécutiondans les pays communistes. Poussés par un zèleinfatigable, ils vont propageant partout leur foi,dans les salons des riches, dans les cerclesintellectuels, les collèges, les quartiers pauvres et leséglises. Nous autres, chrétiens, le plus souvent nousn'engageons qu'à moitié notre coeur au service dela pleine vérité. Eux, ils sont toujours de plein coeurau service du mensonge.

Et pendant ce temps les théologiens de l'Ouestdiscutent de vétilles. Cela me rappelle qu'en 1493,tandis que les années de Mahomet II assiégeaientConstantinople et qu'il allait se décider pour dessiècles si les Balkans seraient placés sousdomination chrétienne ou musulmane, un concileecclésiastique local, réuni dans la ville attaquée,

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discutait des problèmes que voici: «De quellecouleur étaient les yeux de la Vierge? Quel est lesexe des Anges? Qu'arrive-t-il lorsqu'une mouchetombe dans l'eau bénite? la mouche est-elle bénite,ou l'eau polluée?» Ce n'est peut-être là qu'unelégende. Mais examinez attentivement lespériodiques d'Église d'aujourd'hui, et vousdécouvrirez que les questions qu'on y agite sontanalogues à celles-là. Presque jamais la menacecommuniste et les souffrances de l'ÉgliseClandestine n'y sont mentionnées.

Interminables sont les discussions qui portent surdes mttières de théologie et de rituels ou sur desdétails secondaires.

Un jour, dans un salon, au cours d'une réception,quelqu'un demanda: «Si vous vous trouviez sur unnavire en perdition et que vous puissiez gagner uneîle perdue en emportant avec vous un livre, un seul,de la bibliothèque du bateau, quel livre choisiriez-vous?» La Bible, dit l'un. Shakespeare, dit un autre.Un écrivain donna la bonne réponse: «Je choisiraisun livre qui m'apprendrait comment construire unbateau et retourner au port. Là je pourrais lire toutce qui me plairait.»

Il est plus important pour toutes les confessionset toutes les théologies de conserver la liberté et dela regretter quand on l'a perdue à cause des

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persécutions communistes, que d'insister sur telleou telle opinion théologique.

«La liberté vous délivrera», a dit Jésus. Il est aussivrai de dire: «La liberté, la liberté seule, vousdonnera la vérité.» Et au lieu de nous quereller àpropos d'insignifiances, nous ferions mieux de nousunir dans le combat pour la liberté contre latyrannie du communisme.

Je souffre aussi parce que je partage les tourmentsde l'Église située derrière le Rideau de fer. Moi quiai passé pas ces tourments, je peux me lesreprésenter.

En juin 1966 les journaux soviétiques Izvestia etDerevenskaia Jizn accusèrent les Baptistes russesd'enseigner que des enfants doivent être immolésen expiation des péchés. C'est la vieille accusationde meurtre rituel qui fut longtemps lancée contreles Juifs. Mais je sais ce qu'elle signifie. J'ai eu dansma prison en 1953, à Cluj en Roumanie, uncompagnon nommé Lazarovici, condamné pourl'assassinat d'une jeune fille. Il n'avait que trenteans, mais une seule nuit de tortures avait suffi pourque ses cheveux devinssent blancs. On eût dit unvieillard. Il n'avait plus d'ongles; on les lui avaitarrachés un à un pour lui faire avouer ce crime qu'iln'avait pas commis. Au bout d'un an de supplices,son innocence fut reconnue et il fut relâché. Que

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lui importait désormais la liberté? C'était un hommeà jamais anéanti.

D'autres peuvent lire ces articles et rire de lastupidité des accusations lancées contre lesBaptistes par la Presse soviétique: je sais, moi, cequ'elles signifient pour les accusés.

Il est horriblement douloureux de se trouver enOccident et d'y avoir constamment de pareillesimages devant les yeux.

Où se trouve à présent l'archevêque Yermogène,de Kaluga (URSS) et les sept autres évêques quiont protesté contre les inconditionnels de lacollaboration avec le Régime Soviétique, tels lePatriarche Alexis et l'archevêque Nicodème,simples instruments manipulés par lescommunistes? Si je n'avais vu mourir près de moiles évêques roumains protestataires, le sort de cesdeux pieux pontifes dont je parle m'inquiéteraitbeaucoup moins.

Les prêtres Nicolas Eschliman et Gleb Yakuninont été sanctionnés par le Patriarche pour avoirdemandé la liberté religieuse en faveur de l'Église.L'Ouest connaît bien cette affaire. Mais je me suistrouvé en prison avec le Père Jean de Wladimireshti(Roumanie) à qui la même chose était arrivée.Apparemment il n'avait été frappé que d'unesanction ecclésiastique; seulement les chefs de

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notre Église légale, comme tous leurs confrères despays communistes, travaillent la main dans la mainde la police secrète, et ceux qu'ils sanctionnenttombent sous les coups plus efficaces des prisons:tortures, fouets, narcotiques.

Je tremble à la pensée de ce que souffrent lespersécutés dans le camp communiste. Je tremble àla pensée de l'éternité qui attend leurs bourreaux. Jetremble pour les chrétiens de l'Ouest qui ne secourentpas leurs frères persécutés.

Oui! L'intime désir de mon coeur serait dem'occuper de l'entretien de mon propre jardin et den'être pas mêlé à cette lutte gigantesque. J'aimeraistant jouir quelque part de la tranquillité et du repos.Hélas! c'est impossible. Le communisme est à nosportes. Quand ses troupes envahirent le Tibet, c'enfut fini là-bas de ne s'intéresser qu'à la purespiritualité. C'en fut fini tout autant, dans monpays, pour tous ceux qui ne voulaient pas voir laréalité. Les Églises furent fermées, les monastèresdispersés, il n'en resta que ce qui était indispensablepour faire illusion aux étrangers. Le tranquille reposdont je rêve me préserverait certes de la réalité,mais elle mettrait mon âme en grand danger.

Cette lutte, si périlleuse pour ma personne, c'estpourtant mon devoir d'y prendre part. Si jedisparais, soyez sûrs que ce sont les commu nistesqui m'auront enlevé. Ils m'ont arrêté dans une rue

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en 1948 et mis en prison sous un faux nom. AnnaPauker, qui était notre Secrétaire d'État, dit alors àl 'ambassadeur de Suède, Patrick vonReuterswaerde: «En ce moment même, Wurmbrandflâne dans les rues de Copenhague.» Et cependantle ministre suédois avait en poche une lettre quej'avais réussi à faire sortir en fraude de prison; il sutainsi qu'on venait de lui mentir. Cela peut sereproduire. Si je suis assassiné, ce sera par un tueuraux gages des communistes; eux seuls ont uneraison de me tuer. Si vous entendez des bruitsm'accusant de dépravat ion, de vol ,d'homosexualité, d'adultère, d'incompatibilitépolitique, de mensonge ou autres gentillesses demême genre, ne cherchez pas les responsables: c'estla police secrète qui mettra à exécution sa menace:«Nous vous détruirons moralement.»

Je tiens de bonne source que les communistesont décidé de me tuer après ma déposition devantle Sénat des États-Unis. Ils vont donc attenter soità ma vie soit à ma réputation. Ils essaieront de mefaire chanter en menaçant de terroriser mes amis deRoumanie. Leurs moyens sont puissants.

Mais je ne peux pas me taire. Et vous avez, vous, ledevoir de prendre au sérieux ce que je dis. Même sivous pensez que ce que j'ai souffert m'a donné lamanie de la persécution, demandez-vous combienil faut que le communisme soit terrible pour que sessujets soient atteints d'un pareil complexe, et

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combien il faut le craindre puisque des Allemandsde l'Est vont jusqu'à cacher leurs enfants dans desbull-dozers pour traverser les barbelés au risqued'être tués avec eux.

L'Occident dort. Il faut le réveiller.

-§-

Les hommes qui souffrent cherchent un boucémissaire qu'ils chargeront de leurs fautes. S'ils entrouvent un, leur fardeau sera beaucoup plus léger.Je ne peux m'y résoudre. Je ne placerai pas lefardeau sur les épaules des chefs religieux de l'Ouestqui pactisent avec le communisme. Le mal ne vientpas d'eux. Il est bien plus ancien; ils sont eux-mêmes ses victimes. Ils n'ont pas créé le gâchis dansl'Église; ils l'y ont trouvé.

Depuis que je suis en Occident, j'ai visitébeaucoup de séminaires de théologie. J'y ai entendudes cours sur l'histoire des cloches et de la musiqueliturgique, sur des règles canoniques depuislongtemps périmées ou sur une disciplineecclésiastique qui n'a plus de raison d'être. J'ai vudes étudiants en théologie en train d'apprendre quedans la Bible l'histoire de la création n'est pas vraie,qu'il n'y a pas eu d'Adam, ni de Déluge, ni demiracles de Moïse; que les prophéties ont été écrites

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après coup; que la Conception virginale est unmythe, tout comme la Résurrection de Jésus; queles ossements du Christ sont quelque part dans untombeau; que les Epîtres ne sont pas authentiques;que la Révélation est l'oeuvre d'un fou... mais quela Bible est tout de même le Saint Livre (cela nouslaisse un livre saint dans lequel sont allégués plus demensonges que dans un journal communiste).

Voilà ce que les chefs actuels de l'Église ontappris dans les séminaires. Voilà l'ambiance danslaquelle ils vivent. Pourquoi auraient-ils foi en unMaître sur lequel on leur a conté de si étrangeshistoires? Pourquoi ces chefs de l'Église croiraient-ils à une Église où l'on peut en toute libertéenseigner que Dieu est mort?

L'Église officielle qu'ils dirigent n'est pas l'Épousedu Christ, c'est une Église dont beaucoup demembres ont livré le Christ et lorsqu'ils rencontrentquelqu'un de l'Église Clandestine, souffrante etmartyre, ils le regardent comme un être d'uneespèce inconnue.

Et puis, il n'est pas juste de ne juger les hommesque sur une partie de leur comporte. ment. En lefaisant, nous serions pareils aux Pharisiens quireprochaient à Jésus de ne pas respecter les règlesdu sabbat. Cela leur cachait ce qu'il pouvait avoird'aimable, même à leurs propres yeux.

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Les chefs religieux coupables de pactiser avec lecommunisme peuvent être sincères et droits enbeaucoup de points. Et même ils peuvent revenir del'erreur qu' ils commettent.

J'ai rencontré un jour en Roumanie unmétropolite orthodoxe. C'était un agentcommuniste qui dénonçait ses propres brebis. Je luipris la main et lui racontai la parabole de l'Enfantprodigue. Nous étions dans son jardin, le soirtombait. Je conclus: «Voyez avec quel amour Dieuaccueille le pécheur qui revient à Lui. Il accueilleavec la même joie l'évêque qui se repent.» Et je memis à chanter des cantiques chrétiens. Ce pécheurs'est converti.

Je me suis trouvé en prison dans la même cellulequ'un prêtre orthodoxe qui écrivait des sermonsathées dans l'espoir qu'il gagnerait ainsi sa liberté. Jelui parlai. Au risque de ne jamais sortir de prison, ildéchira ce qu'il venait d'écrire.

Non, pour alléger le fardeau qui pèse sur moncoeur je ne veux faire de personne un boucémissaire.

-§-

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Autre souffrance, encore. Mes amis les plusintimes eux-mêmes ne me comprennent pas.Certains m'accusent de rigorisme et de ressentimentcontre les communistes, et je sais bien que ce n'estpas vrai.

L'écrivain mosaïque Claude Montefiore a dit quel'attitude de Jésus envers les Scribes et lesPharisiens, la condamnation publique qu'il a portéecontre eux, sont contraires à son commandementd'aimer nos ennemis et de bénir ceux qui nousmaudissent. Et le Dr. W. R. Matthews, qui arécemment pris sa retraite comme Doyen de Saint-Paul de Londres, conclut qu'en effet il y avait làincohérence et contradiction provenant de ce queJésus n'était pas un intellectuel.

L'idée que Montefiore se faisait de Jésus étaitfausse. Ces Pharisiens qu'il stigmatisaitpubliquement, Jésus les aimait. A son exemple, touten les dénonçant, j'aime les communistes et ceuxqui sont leurs instruments dans l'Église.

Constamment je m'entends dire: «Ne pensez plusaux communistes! Consacrez-vous aux chosesspirituelles I» Un chrétien qui a été persécuté parles nazis m'a dit: «Je vous donne entièrement raisonquand vous témoignez pour le Christ. Maisabstenez-vous du moindre mot contre lecommunisme.» Je lui ai répondu: «Les chrétiens quicombattaient Hitler en Allemagne avaient-ils tort?

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Devait-on leur imposer de parler seulement de laBible et de ne rien dire contre le tyran?» Il riposta:«Hitler a exterminé six millions de Juifs. C'était undevoir de s'élever contre lui.» A quoi je rétorquai«Le communisme a exterminé trente millions deRusses et des millions de Chinois et d'autres. Il aaussi massacré des Juifs. Faut-il donc ne protesterque lorsque les victimes sont juives, pas lorsqu'ellessont Russes?» «C'est tout à fait différent,» conclutmon interlocuteur, et c'est tout ce qu'il me donnaen fait d'explication.

J'ai été roué de coups par la police sous Hitler etsous les communistes et je n'y vois pas dedifférence. Dans les deux cas, j'ai tout autantsouffert.

Certes, le communisme n'est pas la seule sorte depéché contre lequel la chrétienté doive lutter; il yen a beaucoup d'autres et nous ne sommes pasobsédés par ce seul problème. Mais pour le momentla chrétienté n'a pas d'ennemi plus puissant ni plusdangereux. Il faut s'unir contre lui. Le redirai-je?L'homme a pour fin de devenir semblable à Dieu, etl'objectif essentiel des communistes est de l'enempêcher. Ils croient qu'après la mort l'homme setransforme en sels et en minéraux. Aussi ramènent-ils toute son existence au niveau de la matière.

Ils ne connaissent que les masses. Ils font leurcette parole que le Nouveau Testament met dans la

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bouche du démon auquel on vient de demanderson nom: «Je m'appelle légion.» La personnalité — leplus précieux cadeau que Dieu ait fait à l'humanité— ils veulent l'écraser. Ils ont emprisonné unhomme parce qu'il lisait un livre d'Alfred Adlerintitulé: «Psychologie de l'individu»; et les officiersde la police secrète qui l'arrêtèrent criaient:«L'individu! Toujours l'individu! Jamais lacollectivité!»

Le Christ désire que nous soyons des personneshumaines. Il n'existe donc pas de compromispossible entre les communistes et nous. Ils le saventbien. Leur magazine Nauka i Religia (Science etReligion) écrit: «Religion et communisme sontincompatibles. Celui-ci est l'ennemi de celle-là. Lecontenu du programme du Parti communiste est uncoup mortel asséné à la religion ... Il a pour but decréer une société athée dans laquelle le peuple seradébarrassé à jamais de toute contrainte religieuse.»

Vous demandez-vous si le christianisme et lecommunisme ne pourraient pas coexister? Eh bien!voilà la réponse des communistes: «Lecommunisme est un coup mortel asséné à lareligion.»

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VL'ÉGLISE DU SILENCE

JE VAIS maintenant reparler de l'ÉgliseClandestine.

Elle travaille dans des conditions extrêmementdifficiles. Dans tous les pays communistes,l'athéisme est religion d'État. Ils laissent plus oumoins de liberté aux vieilles gens attachés à leurspratiques héréditaires, mais les enfants et lajeunesse ne doivent pas croire. Tout — radio,télévision, théâtre, presse, édition — a pour objectifl'anéantissement de la foi en Dieu.

L'Église Clandestine n'a que de très faiblesmoyens à opposer aux forces énormes de l'Étattotalitaire. Ses ministres en Russie n'ont pas reçu deformation théologique; ce sont des pasteurs quin'ont jamais lu entièrement la Bible.

Un exemple vous montrera comment beaucoupd'entre eux ont été ordonnés. Nous avions fait laconnaissance d'un jeune pasteur clandestin russe.«Qui vous a ordonné?» lui demandai-je. Il merépondit: «Il n'y avait plus d'évêque fidèle etl'évêque légal ne voulait ordonner personne sansl'accord préalable du Parti Communiste. Nous

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étions dix jeunes chrétiens. Nous nous sommesrendus sur la tombe d'un évêque martyr. Deuxd'entre nous ont posé leurs mains sur la pierretombale. Les autres ont formé le cercle et nousavons demandé au Saint-Esprit de nous ordonner.Et nous sommes sûrs de l'avoir été par les mainstranspercées de Jésus.»

Je tiens l'ordination de ce jeune chrétien pourvalide devant Dieu. Eh bien! Ce sont des pasteursainsi ordonnés, sans formation théologique etsouvent fort ignorants de la Bible, qui continuentlà-bas le ministère du Christ.

Telle était l'Église des premiers siècles. De quelsséminaires sont sortis les hommes qui ont mis lemonde sens dessus dessous en lui apportant leChrist? Savaient-ils seulement tous lire? Et d'oùleur seraient venues les Bibles? Dieu leur parlaitdirectement.

Nous, de l'Église Clandestine, nous ne disposonspas de cathédrales. Mais existe-t-il cathédrale plusbelle que la voûte du ciel vers laquelle se levaientnos regards quand nous nous rassemblions encachette dans les forêts? Le gazouillis des oiseauxnous tenait lieu d'orgues. Le parfum des fleurs étaitnotre encens. Et le misérable vêtement des martyrsrécemment sortis des prisons nous paraissait pluspoignant que les ornements sacerdotaux. En fait delumi paire, nous avions la lune et les étoiles. Et les

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acolytes qui nous les allumaient, c'étaient lesAnges.

Jamais je ne pourrai décrire ta splendeur de cetteÉglise.

Souvent, à l'issue d'un de ces servicesclandestins, des chrétiens sont arrêtés et envoyés enprison. Là ils portent leurs chaînes avec autant dejoie qu'une fiancée le bijou offert par son bien-aimé.En prison, la tempête s'apaise. Les baisers que vousrecevez sont ceux du Christ, Il vous serre dans sesbras, et vous ne céderiez pas votre place pour untrône de roi. Je n'ai vraiment trouvé la joiechrétienne que dans la Bible, l'Église Clandestine etla prison.

L'Église Clandestine est opprimée, mais elle aaussi pas mal d'amis, même dans la police secrète,même parmi les gouvernants, et parfois ces croyantsinsoupçonnés se font ses protecteurs. Récemmentdes journaux se sont plaints du nombre croissantdes «sans-dieu apparents». Ceux-ci, expliquaient-ils, sont les innombrables fonctionnaires masculinset féminins placés aux divers échelons del'administration communiste — dans les servicesd'État, les départements de la propagande et partout— qui, extérieurement, agissent en communistesmais en réalité sont des croyants masqués et desmembres de l'Église Clandestine.

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La presse soviétique a raconté l'histoire d'unejeune femme employée au département de lapropagande communiste. Après le travail ellerentrait chez elle et y retrouvait son mari revenu luiaussi. Tous deux après dîner rejoignaient un groupede jeunes voisins pour des réunions d'étudesbibliques et de prières. Voilà ce qui se passe dans lemonde communiste. Ces «sans-dieu apparents», il yen a des dizaines de milliers. Ils trouvent plus sagede ne pas assister aux comédies d'église légale où ilsseraient épiés et n'entendraient qu'un Évangiledéformé, de conserver les emplois d'autorité et deresponsabilité qu'ils occupent, et là, tranquillementet efficacement, de témoigner pour le Christ.

La fidèle Église Clandestine compte dans cesemplois-là des milliers de membres qui se réunissenten cachette dans des caves, des mansardes, desappartements.

En Russie personne ne se rappelle plus lesarguments pour ou contre le baptême des enfantsou des adultes, pour ou contre l'infaillibilité duPape. On n'y trouve pas de pré - ou de post-millénaristes. Faute de pouvoir interpréter lesprophéties, on ne s'y querelle pas à leur sujet. Maisj'y ai été souvent très étonné de l'aptitude deschrétiens à démontrer aux athées l' existence deDieu.

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Leurs réponses sont simples. «Si vous étiezinvités à un banquet où l'on vous servirait toutessortes de mets excellents, croiriez-vous quepersonne ne les a fait cuire? Eh bien! La nature estun banquet qui nous est offert. Tomates, pêches,pommes, lait, miel, qui a préparé tout cela pour leshommes? La nature est aveugle. Si vous ne croyezpas en Dieu, comment expliquez-vous qu'unenature aveugle ait réussi à nous confectionner, ensi grande abondance et diversité, juste ce dont nousavons besoin?»

Ils sont capables de prouver qu'il y a une vieéternelle. J'ai entendu l'un d'entre eux plaiderdevant un athée en ces termes: «Supposez que vouspuissiez parler avec un embryon et que vous luidisiez que la vie embryonnaire est brève et serasuivie d'une autre vie véritable et longue. Que vousrépondra-t-il? Tout justement ce que vous, lesathées, vous nous répondez quand nous parlons duciel et de l'enfer. Il vous dira qu'il n'y a qu'une vie,celle qu'on mène dans les entrailles de sa mère, etque tout le reste n'est que superstition. Mais sil'embryon pouvait raisonner, il se dirait à lui-même:«Voilà qu'il me vient des bras! Je n'en ai nullementbesoin. Je ne peux même pas les étendre. Pourquoime viennent-ils? Probablement en prévision d'unstade futur de mon existence pendant lequel j'auraibesoin d'eux. Des jambes me poussent aussi, et jesuis obligé de les tenir repliées contre ma poitrine.Pourquoi ces jambes? Probablement parce que je

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vais avoir à vivre dans un autre monde où je devraimarcher. Des yeux aussi? Dans ces épaissesténèbres où ils ne me servent à rien? Pourquoi?Probablement parce que je vais passer dans ununivers de lumière et de couleurs.» Bref, sil'embryon pouvait réfléchir sur son développement,il comprendrait qu'il existe une vie hors desentrailles maternelles, une vie qu'il ne connaît pasencore. C'est la même chose pour nous. Aussilongtemps que nous avons la jeunesse, nous avonsla force et nous ne savons pas en userconvenablement; puis quand, avec les années, nousavons grandi en science et en sagesse, le corbillardvient nous prendre pour nous mener au tombeau.Pourquoi donc avions nous grandi en science et ensagesse puisque cela ne nous sert plus à rien?Pourquoi des bras, des jambes, des yeux viennent-ils à l'embryon? C'était en prévision de ce qui allaitsuivre. Et nous, si nous grandissons en science et ensagesse, en expérience, en connaissances, c'est enprévision de ce qui doit suivre. Elles nous préparentà servir à un niveau plus élevé qui suit la mort.»

La doctrine officielle communiste nie que Jésusait existé. A cela les ouvriers de l'Église clandestineont beau jeu de répondre: «Quel journal avez-vousen poche? La Pravda d'aujourd'hui, ou d'hier?Laissez-moi voir. Ah! 14 janvier 1964. Pourquoi1964? 1964 à partir de quoi? A partir d'un UN quin'a pas existé ou n'a joué aucun rôle? Vous ditesque ce Premier n'a jamais vécu et pourtant vous

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comptez les années à partir de sa naissance. Letemps existait avant lui. Mais quand il est venu, ila semblé à l'humanité que tout ce qui s'était passéauparavant ne comptait pas et que le temps réelcommençait avec Lui. Votre journal communistelui-même prouve que Jésus n'est pas un être fictif.»

Les pasteurs de l'Ouest affirment généralementque leurs fidèles sont convaincus des principalesvérités chrétiennes alors qu'eux-mêmes ne le sontpas. Il est rare qu'on les entende prononcer unsermon qui prouve le bien-fondé de notre foi. Parcontre, derrière le Rideau de fer, des hommes quin'ont jamais appris à le faire donnent à leursconvertis des bases doctrinales très solides.

Il n'y a pas de ligne de démarcation précise quipermette de dire où finit l'Église clandestine —principale position de résistance du christianisme— et où commence l'Église officielle. Toutes deuxs'entremêlent. Beaucoup de pasteurs des églises légalespoursuivent parallèlement un ministère secret quioutrepasse largement les limites fixées par lescommunistes.

L'Église légale, celle de la collaboration avec lecommunisme, a déjà une longue histoire. Elle acommencé aussitôt après la Révolution socialisterusse sous le nom de «Église vivante» et sous ladirection d'un prêtre nommé Serge. A cette époque,elle proclamait publiquement à Moscou: «Notre

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objectif n'est pas de rebâtir l'Église, mais de l'abolirafin de déraciner toute religion.» Beau programmepour une Église!

Et chaque pays communisé a eu son Serge. EnHongrie, parmi les catholiques, ce fut le P. Baloghqui, avec quelques ministres protestants, aida lescommunistes à s'emparer de l'État. En Roumanie,c'est avec le soutien du prêtre orthodoxe Burducea,ancien fasciste, qu'ils prirent le pouvoir; ses fautesd'autrefois l'avaient obligé à se livrer aux Rouges etil devint plus rouge encore que ses nouveauxmaîtres; lors de l'installation du gouvernementcommuniste, il se trouvait aux côtés du Secrétaired'État Vishinski, et manifesta son approbation ensouriant quand celui-ci déclara: «Ce gouvernementétablira le Paradis sur terre et vous n'aurez plus àvous préoccuper d'un Paradis céleste.»

Quant à l'archevêque russe Nicodème, il est bienconnu que c'est un indicateur. Le commandantDeriabin, ex-membre de la police secrètesoviétique, a certifié que ce Nicodème était de sesagents.

Presque toutes les confessions se trouvent dansla même situation. L'Église Baptiste roumaine s'estvu imposer par la force ses dirigeants actuels, quidénoncent les chrétiens fidèles, comme le font lesdirigeants des Baptistes de Russie. Le président desAdventistes roumains m'a dit à moi-même qu'il

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avait servi d'informateur à la police secrète dès lepremier jour de la prise du pouvoir par lescommunistes.

Ceux-ci ont fermé beaucoup d'églises, mais pastoutes. Ils ont eu l'astuce d'en laisser ouvertesquelques-unes, églises piégées qui leur servent defenêtres pour observer, contrôler et éventuellementdétruire chrétiens et christianisme. Mieux valait,pensaient-ils, conserver la structure de l'Église afind'en faire, en même temps qu'un instrument desurveillance, un moyen de tromper les touristesétrangers. On m'en a offert une à moi-même, àcondition que moi, le pasteur, je dénonce mesfidèles. Il me semble qu'accoutumés à voir tout enblanc ou noir, les Occidentaux ne comprennentrien à ce double jeu. Mais l'Église Clandestinen'acceptera jamais ces «Églises-pièges», chaires deremplacement d'où un faux évangile est «prêché àtoute créature», y compris la jeunesse.

Néanmoins, en dépit de la trahison de beaucoupde leurs recteurs, il se trouve dans les églises d 'Étatune réelle vie spirituelle. (J'ai l'impression que lasituation est analogue dans beaucoup de celles del'ouest). Quelquefois les communautés restentfidèles, non pas à cause, mais en dépit de leurschefs.

La liturgie orthodoxe est demeurée inchangée etnourrit les coeurs des siens, malgré les flatteries

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adressées aux communistes dans les sermons.Luthériens, Presbytériens et autres Protestantscontinuent à chanter les mêmes psaumes, et lesprêches des indicateurs eux-mêmes ne peuvent pasne pas contenir quelque chose de la Sainte Écriture.En sorte que des gens se convertissent grâce à deshommes qu'ils considèrent d'avance comme destraîtres, bien qu'ils sachent que leur conversion serasignalée à la police et qu'ils auront à cacher leur foià ceux-là mêmes qui la leur auront donnée par unsermon corrompu. C'est là le grand miracle de Dieuà propos de quoi il est écrit en langage symboliquedans le Lévitique (11, 37): «Si quelque chose tombed'un cadavre (lequel, d'après la loi mosaïque, estimpur) sur une semence qui doit être semée, cettesemence sera pure.»

L'honnêteté nous oblige toutefois à reconnaîtreque les dirigeants de l'Église légale même parmi leshautes autorités, ne sont pas tous agents descommunistes. Il y a dans les charges ecclésiastiquesofficielles les plus importantes des membres del'Église Clandestine, choisis bien entendu parmiceux qui ne sont pas obligés de se cacher. Et ilsprennent garde à ce que le christianisme, loin des'affadir, reste une foi militante. Quand la policesecrète alla fermer le monastère de Vladimireshti,en Roumanie, elle passa un mauvais quart d'heure,ainsi qu'en beaucoup d'endroits de Russie: plusieurscommunistes payèrent de leur vie le crime d'essayerd'interdire la religion.

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Mais les églises légales deviennent de plus enplus rares. Je serais bien étonné qu'il y en eûtencore cinq ou six mille dans toute l'UnionSoviétique (pour une population à peu près aussinombreuse les Etats-Unis en comptent quelque300.000). Et ce ne sont pas des églises comme nousnous les figurons, ce sont le plus souvent des réduitsétroits. Les visiteurs étrangers auxquels on montreà Moscou une église pleine — c'est le seul templeprotestant de cette ville — en déduisent que laliberté religieuse règne là-bas. Les églises débordent,racontent-ils joyeusement à leur retour. Ils nevoient pas ce qu'il y a de tragique dans la survied'une seule église protestante pour sept millionsd'âmes. Et ces réduits-églises, les distances n'enpermettent l'accès qu'à huit pour cent de lapopulation russe. Ce sont donc des multitudes qu'ilfaut abandonner, ou bien atteindre par desméthodes clandestines d'évangélisation. Il n'y a pasd'autre choix.

Plus le communisme progresse dans un pays, plusl'Église y est obligée de se cacher. Et lesorganisations antireligieuses viennent tenir leursmeetings dans les églises légales fermées.

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COMMENT UNE LH FÉRATURE ATFIÉEALIMENTE L'ÉGLISE CLANDESTINE

A la manière d'Elie ravitaillé par un corbeau,l'Église Clandestine est «alimentée» par les athées,en raison même de l'habileté et du zèle que ceux-cidéploient pour critiquer et ridiculiser les versets dela Bible.

Ils ont publié des livres intitulés La Bible comiqueet la Bible pour croyants et incroyants, dans lesquelsétaient cités nombre de passages bibliques dont ilsvoulaient prouver la stupidité. Quelle aubaine pournous! Cette critique était si bête que personne ne laprenait au sérieux. Par contre, ces livres, tirés à desmillions d'exemplaires, étaient remplis de citationsqui restaient inexprimablement belles malgré tousles efforts des communistes pour les tourner enridicule. Jadis, les «hérétiques» condamnés parl'Inquisition et conduits en procession à la potenceétaient vêtus de toutes sortes d'habits dérisoirespeints de flammes infernales et de démons. Etpourtant quels saints, ces hérétiques! Ainsi en va-t-il des vérités de la Bible, même citées par le Diable.

Des milliers de lettres demandant qu'onréimprime ces livres athées parvinrent à la maisond'édition communiste. Elle s'en réjouit vivement etne comprit pas que ce courrier lui était adressé parl'Église Clandestine, laquelle n'avait que ce moyende se procurer les Saintes Écritures.

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Nous savions très bien aussi profiter des meetingsathées. Au cours de l'un d'eux, un professeurcommuniste démontrait que Jésus ne fut pas autrechose qu'un magicien. Il avait devant lui un pichetd'eau. Il y versa une poudre et l'eau devint rouge.«Voilà tout le miracle, expliqua-t-il. Jésus avaitcaché dans ses manches une poudre comme celle-ci; il prétendit ensuite qu'il avait fait le miracle dechanger l'eau en vin. Hé bien! regardez! Je vais,moi, faire mieux encore que lui: je vais changer levin en eau.» Et il versa une autre pincée de poudredans le liquide qui vira en blanc, puis redevintrouge avec une autre pincée, etc. Un chrétien seleva et dit:

— Ce que vous venez de faire nous a beaucoupintéressés, camarade professeur. Nous ne vousdemanderons qu'un petit détail supplémentaire:buvez un peu de votre vin.

— Impossible, dit le professeur. Cette poudre estun poison.

— Voilà, constata le chrétien, ce qui fait ladifférence entre Jésus et vous. Lui, avec son vin,nous a versé deux mille ans d'allégresse, et vous,avec le vôtre, vous nous empoisonnez.

Ce chrétien fut jeté en prison. Mais l'incident,largement répandu, fortifia la foi. Nous sommes defrêles petits David. Mais nous sommes plus forts que

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le Goliath de l'athéisme, parce que Dieu est avecnous. C'est nous qui possédons la Vérité.

Un orateur communiste donnait un jour dansune usine une conférence sur l'athéisme. Tous lesouvriers avaient reçu l'ordre d'y assister et parmieux se trouvaient beaucoup de chrétiens.Tranquillement assis, ils écoutèrent les argumentsavancés contre Dieu et la stupidité de la foi auChrist. Le conférencier s'efforçait de démontrerqu'il n'y a pas de monde spirituel, ni de Dieu; ni deChrist, ni d'au-delà et que l'homme n'est quematière sans âme. «Il n'y a que matière, répétait-il,seule la matière existe.» Un chrétien se leva etdemanda la parole. Elle lui fut accordée. Il saisitalors sa chaise pliante, la leva, la jeta à terre et restaimmobile un moment à la regarder. Après quoi ilalla gifler le conférencier. Celui-ci fut pris d'uneviolente colère. Le visage rouge d'indignation,hurlant des obscénités, il appela ses camaradescommunistes pour faire arrêter l'audacieux.

— Comment as-tu osé me souffleter? Etpourquoi?»

— Vous venez de nous prouver vous-même,répliqua le chrétien, que vous êtes un menteur.Vous nous avez dit: tout est matière, rien quematière. J'ai pris une chaise et je l'ai jetée par terre.Elle est vraiment matière, elle ne s'est pas mise encolère, elle n'est rien que matière et la matière ne

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peut pas devenir folle de colère. Mais vous, quandje vous ai giflé, vous n'avez pas réagi comme lachaise; au contraire, la colère vous a rendu furieux.J'en conclus, camarade professeur, que vous aveztort. L'homme n'est pas seulement matière. Noussommes des êtres spirituels.»

Par d'innombrables procédés de ce genre, desimples chrétiens de l'Église Clandestine réfutent lesargumentations des athées.

Un jour en prison, le commissaire politique medemanda: «Combien de temps encore tiendrez-vousà votre stupide religion?» Je lui répondis: «J'ai vu denombreux athées regretter sur leur lit de mortd'avoir été des sans-Dieu et appeler le Christ à leuraide. Pouvez-vous imaginer qu'à l'approche de lamort un chrétien regrette d'avoir été chrétien etappelle Marx et Lénine à le débarrasser de sa foi?»L'officier se mit à rire: «Voilà une réponseingénieuse,» dit-il. Je poursuivis: «Quand uningénieur a construit un pont, si un chat passedessus cela ne prouve pas que le pont est solide. Ily faut le passage d'un train. Que vous soyez athéequand tout va bien, cela ne prouve pas l'excellencede l'athéisme; il ne vous sera pas d'un grand secoursdans les moments de crise grave.» Et je lui prouvai,d'après les oeuvres de Lénine, que, même après êtredevenu premier ministre de l'Union Soviétique,Lénine priait quand les choses tournaient mal.

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Nous sommes sans inquiétude, nous pouvonsattendre en toute tranquillité la suite desévénements. Ce sont les communistes qui sontinquiets. Et, en multipliant leurs campagnesantireligieuses, ils illustrent ce mot de Jésus à saintAugustin: «Votre coeur est inquiet jusqu'à ce qu'ilse repose en Moi.»

POURQUOI L'ON PEUT CONVERTIRMÊME LES COMMUNISTES.

Si vous l'aidez, vous, chrétiens libres, l'ÉgliseClandestine pourra conquérir les coeurs descommunistes et changer la face du monde. Elle lepourra parce qu'il est contre nature d'êtrecommuniste. Le chien tient à son os. Et le coeur descommunistes se révolte contre le rôle qu'on leur faitjouer et les absurdités qu'on les oblige à croire.

Certains nous affirmaient-ils que tout estmatière, que nous ne sommes qu'une poignéed'ingrédients chimiques agglomérés d'une certainefaçon et qu'après la mort nous redevenons sels etminéraux? Il suffisait de leur demander: «Commentse fait-il alors qu'en tant de pays des communistesaient donné leur vie pour leur idéal? Une poignéede produits chimiques peut-elle avoir un idéal? Desminéraux peuvent-ils se sacrifier volontairementpour le bien d'autrui?» A ces questions, ils sevoyaient incapables de répondre.

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Et la brutalité? Les hommes n'ont pas été créésbrutes et ne peuvent supporter longtemps d'être desbrutes. On l'a bien vu lors de la défaite des nazis:certains se sont donné la mort, tandis que d'autresse repentaient et confessaient leurs crimes.

Significatif est le niveau très élevé de l'ivrogneriedans les pays communistes. Elle provient du désirde s'échapper vers une vie plus libre que lecommunisme rend impossible. Le Russe moyen estprofond, doué de beaucoup de coeur et généreux.Ne trouvant pas dans le communisme, qui est uneombre superficielle, la vie profonde qu'il recherche,il la demande à l'alcool. L'alcoolisme exprime sonhorreur de l'existence brutale et décevante qu'onl'oblige à vivre. Il demande à l'alcool de lui prêterun moment ce qu'il posséderait s'il était libre.

Une fois, à Bucarest, pendant l'occupation russe,je ressentis l'irrésistible désir d'entrer dans unetaverne. Je demandai à ma femme dem'accompagner. Quand nous entrâmes, uncapitaine russe, revolver en main, exigeait un verrede plus qu'on lui refusait parce qu'il était déjà ivre.Une peur panique étreignait les clients.Connaissant le patron, je lui demandai de servir cecapitaine et lui promis de m'asseoir près de celui-cipour veiller à ce qu'il se tînt tranquille. L'une aprèsl'autre des bouteilles de vin nous arrivèrent. Il yavait verres sur notre table. Le capitaine les remplitpoliment... mais les but tous les trois. Ni ma femme

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ni moi n'en eûmes une goutte. Malgré l'ivresse trèsavancée, le capitaine n'avait pas perdu sa lucidité.Je me mis à lui parler du Christ. Il m'écouta avecune attention que je n'espérais pas. A la fin, il medit:

— Vous venez de me raconter qui vous êtes; àmon tour de vous révéler qui je suis. Je suis unprêtre orthodoxe qui fut des premiers à renier sa foiquand commença la grande persécution sousStaline. Je m'en fus alors de village en villagedonner des conférences où je niais l'existence deDieu. Je disais: «J'ai été prêtre, c'est-à-dire que jevous ai menti et trompés. Tous les prêtres sont desmenteurs.» Mon zèle fut très apprécié. Je fusnommé officier dans la police secrète. Dieu m'apuni; ma punition est d'avoir avec cette main-là tuédes chrétiens, après les avoir torturés. Etmaintenant, je bois pour pouvoir oublier ce que j'aifait. Hélas! je n'oublie pas.

Nombreux sont les communistes qui se donnentla mort. Par exemple les grands poètes Essénine etMaiakovski, et le grand écrivain Fadeev. Celui-civenait de terminer un roman intitulé Le bonheur,dans lequel il expliquait que le bonheur consiste àtravailler pour le communisme. Il en était lui-mêmetellement heureux qu'il se tua; son âme ne pouvaitplus supporter une existence aussi écrasante. Jof-Tomkin, qui avaient été sous les tsars des leaderscommunistes militants, ne purent pas non plus

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supporter le spectacle de la réalité communiste:tous deux finirent par le suicide.

Les communistes, même leurs grands chefs, neconnaissent pas le bonheur. Staline était trèsmalheureux! Après avoir exécuté presque tous sesanciens compagnons, il vécut constamment dans lacrainte du poison ou de l'assassinat. Il disposait dehuit chambres à coucher qui pouvaient être closesaussi hermétiquement que des coffres-forts dansune banque. Personne ne savait dans laquelle ils'enfermerait la nuit suivante. Il ne mangeait pas sile cuisinier ne goûtait d'abord devant lui le platprésenté. Non, le communisme ne rend personneheureux, pas même ses dictateurs. En l'abattant,nous délivrerons non seulement ses victimes, maisaussi les communistes eux-mêmes. Ils ont besoin duChrist: c'est leur besoin le plus profond. L'ÉgliseClandestine travaille à le satisfaire. Aidez-la!

-§-

Le trait caractéristique de l'Église Clandestine estl’ardeur de sa foi.

Dans son ouvrage sur Les Catacombes de Dieu unpasteur, qui se cache sous le pseudonyme de«Georges», rapporte l'incident que voici. Uncapitaine de l'armée russe en Hongrie vint

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demander à un pasteur un entretien seul à seul.C'était un garçon jeune et fier, très conscient de saqualité de vainqueur. Lorsque la porte se futrefermée sur la chambre où ils n'étaient que tous lesdeux, il montra d'un signe de tête le crucifixaccroché au mur.

— Vous savez que c'est un mensonge, dit-il aupasteur. C'est un truc d'illusionniste dont vous, lesprêtres, vous vous servez pour abuser les pauvresgens afin que les riches les maintiennent plusfacilement dans l'ignorance. Allez! nous sommesseuls. Avouez: vous n'avez jamais cru que Jésus-Christ était le Fils de Dieu.

— Mais si! dit en souriant le pasteur. Mais si!malheureux jeune homme, bien sûr que je le crois.C'est la vérité.

— Ne vous amusez pas à ça avec moi, hurla lecapitaine. Assez plaisanté. Je parle sérieusement.

Ce disant, il dégaina son revolver, colla le boutdu canon contre la poitrine de son interlocuteur.

— Avouez que vous mentez, ou je fais feu.— Je ne peux pas avouer cela, dit le ministre.

Notre-Seigneur est vraiment et réellement le Fils deDieu.

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O surprise! Le capitaine jeta son arme à terre etembrassa le pasteur. Des larmes lui coulaient desyeux.

— C'est donc vrai! s'écria-t-il, c'est donc bienvrai! Je le crois, moi aussi, mais j'ai voulu m'assurerpar moi-même qu'il y a des hommes prêts à mourirpour cette vérité. Oh! merci! Vous me confirmezdans la foi. Je peux, moi aussi, maintenant, mourirpour le Christ. Vous venez de me montrer commenton fait.

J'ai connu d'autres cas semblables. Au temps oùles Russes occupaient la Roumanie, deux de leurssoldats entrèrent dans une église, le fusil à la mainet crièrent:

— Nous ne voulons pas de votre foi. Reniez-latout de suite. Ceux qui refuseront, nous lesabattrons sur-le-champ. Les autres, rangez-vous àdroite.

Quelques fidèles passèrent à droite; ordre leur futdonné de sortir de l'église et de rentrer chez eux.Pour sauver leur vie, ils s'enfuirent. Après leurdépart, les soldats embrassèrent ceux qui étaientrestés et dirent:

— Nous aussi, nous sommes des chrétiens. Nousdésirions nous trouver entre amis, et nous n'en

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voulons pas d'autres que des gens pour qui la véritémérite que l'on meure pour elle.

Voilà les hommes qui combattent pour l'Évangiledans nos pays. Et pas seulement pour l'Évangile,mais aussi pour la liberté.

A l'Ouest, beaucoup de chrétiens passent unepartie de leur temps chez eux à écouter de lamusique. Chez nous aussi on peut en entendre,mais son bruit couvre des conversations surl'Évangile et sur le travail de l'Église clandestine, demanière que les voisins ne surprennent rien de cequi se dit et n'en puissent informer la police secrète.

Qu'ils sont heureux là-bas quand, trop rarement,l'occasion leur est donnée de rencontrer de vraischrétiens venus de l'Occident!

Qu'importe l'homme qui écrit ces lignes! Il est lavoix de ceux qui sont sans voix, de ceux qui sontmuselés et dont personne à l'Ouest ne s'inquiète.En leur nom, je vous conjure d'être trèssérieusement attentifs aux problèmes de la foi et dela chrétienté. En leur nom, je réclame vos prières etvotre aide matérielle pour les fidèles de l'Égliseclandestine persécutés dans les pays communistes.

-§-

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Nous les conquerrons certainement, lescommunistes. J'ai dit pourquoi. D'abord et avanttout parce que Dieu est avec nous; ensuite parceque notre message correspond aux besoins les plusprofonds de leurs coeurs. Plusieurs d'entre eux, quisont passés par les prisons nazies, m'ont avoué qu'ilsavaient prié pendant les heures difficiles. J'ai mêmevu de leurs officiers mourir en murmurant: «Jésus,Jésus.»

Nous les conquerrons aussi parce que nous vanspour nous tout l'héritage culturel de notre peuple.Les Russes peuvent interdire les publicationschrétiennes d'aujourd'hui; il reste les oeuvres deTolstoï et de Dostoievski, et leurs lecteurs ytrouvent la lumière du Christ. De même lesAllemands de l'Est dans Goëthe, les Polonais dansSienkiewicz, etc. Le plus grand écrivain roumain estSadoveanu: les communistes ont publié sa Vie desSaints sous le titre la Légende des saints, mais sous cetitre différent subsistent les exemples qui poussentà

Ils ne peuvent pas exclure de l'Histoire de l'Artdes reproductions de Raphaël, de Léonard de Vinci,de Michel-Ange. Et ces images parlent du Christ.

Quand j'invoque Jésus devant un communiste,j'ai comme allié et appui le besoin le plus profond deson coeur. Pour cet homme, le plus difficile n'estpas de répondre à mes arguments, c'est de faire taire

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la voix de sa propre conscience, laquelle me donneraison.

J'ai connu des professeurs de marxisme qui, avantleurs cours d'athéisme, priaient Dieu de leur veniren aide. J'ai connu des communistes qui allaienttrès loin à nos réunions secrètes. Quand ils étaientrepérés, ils mentaient et protestaient qu'il nes'agissait pas d'une réunion de l'Église clandestine;puis, en pleurant, ils regrettaient de n'avoir pas eule courage de confesser la foi qui les y avaitconduits. Ce sont des hommes, eux aussi.

Dès que la foi a touché un individu — fût-ellerudimentaire — elle se développe et progresse enlui. Et nous, de l'Église clandestine, nous sommessûrs qu'elle aura la victoire, parce que nous l'avonsvu multiplier ses conquêtes.

Le Christ aime les communistes. Il est possible, etc'est un devoir, de les amener à Lui. Cela ne se feraau-delà du Rideau de fer que par l'EgliseClandestine. Quiconque, par conséquent, veutsatisfaire le désir du Coeur de Jésus — qui est desauver toutes les âmes — doit soutenir cette Eglisedans ses efforts. «Enseignez toutes les nations», aordonné Jésus. Il n'a pas dit de s'arrêter devant leRideau de fer. La foi en Dieu et cet ordre souverainnous imposent l'obligation de le franchir pouratteindre ne serait-ce qu'un homme sur trois deceux qu'asservit le communisme.

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Et cela, nous pouvons déjà le faire ici, ensecondant l'effort de l'Eglise Clandestine.

LES TROIS CENTRES VITAUX DEL’EGLISE CLANDESTINE

1/ - Pasteurs et desservants chassés par les communistes

Ils sont des milliers qui ont été éloignés de leurtroupeau parce qu'ils ont refusé de transiger surl'Evangile. Beaucoup d'entre eux ont enduré desannées de prison et de torture. Relâchés, ils ontaussitôt repris du service dans le ministère secret del'Eglise Clandestine. Leurs églises ont été ferméespar les communistes ou bien ils ont été remplacéspar d'autres desservants plus «coopératifs», mais ilsse livrent à un apostolat plus efficace dans desgranges, des greniers, des caves, des champs de foinla nuit, dans toutes les «caches» où ses rassemblentles fidèles. Ils sont des «martyrs vivants» qui necéderont jamais à la crainte de nouvellesarrestations et de nouvelles tortures.

2/ - L'Eglise des laïcs

C'est l'immense armée des hommes et desfemmes qui se dévouent pour la foi. Il faut d'abordbien comprendre qu'en Russie et en Chine il n'y aplus de chrétiens purement nominaux, tièdes etsomnolents; le prix à payer y est beaucoup trop

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élevé. Il faut ensuite se l'appeler que lespersécutions ont toujours produit des chrétiensmeilleurs, des chrétiens qui n'ont pas peur detémoigner, des conquérants d'âmes. La persécutioncommuniste a chauffé les nôtres à blanc; elle en afait des apôtres d'un zèle ardent, dont on voitrarement l'égal dans les pays libres, et qui necomprennent pas que l'on puisse être chrétien sansbrûler du désir de gagner toutes les âmes que l'onrencontre.

L'Étoile Rouge (qui est le journal de l'Arméerusse) s'est moquée des Russes chrétiens en cestermes: «Les adorateurs du Christ aiment plantersur n'importe qui leurs griffes de gloutons.» C'estavouer que par l'éclat de leur vie ils se gagnentl'estime et le respect dans leurs villages et leursalentours. Dans chaque localité, dans chaque ville,c'est eux que l'on recherche de préférence, et on lesaime. Une femme est-elle trop malade pours'occuper de ses enfants? Une mère chrétiennevient prendre soin d'eux. Un homme est-ilincapable de scier son bois? Un chrétien le fait pourlui. Ils «vivent» leur christianisme. Aussi, lorsqu'ilsse mettent à témoigner pour le Christ, on les écouteet on les croit parce qu'on voit le Christ vivre eneux. Depuis que, seuls, les pasteurs autorisés parl'Etat peuvent prêcher dans les églises, des millionsde chrétiens fervents et généreux gagnent des âmesdans tous les coins du monde communiste, enprenant la parole ou en exerçant la charité sur les

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marchés, autour des pompes de village, et partoutoù l'occasion s'en présente. Ouvrez les journauxcommunistes. Vous y verrez que des boucherschrétiens glissent des tracts évangéliques dans lespapiers qui enveloppent la viande remise au client.Vous y verrez que des chrétiens occupant desemplois d'autorité dans les imprimeriescommunistes reviennent furtivement tard dans lanuit, mettent des presses en marche, tirent desmilliers de textes chrétiens et repartent avant lelever du jour. Vous y verrez qu'à Moscou desenfants chrétiens ont reçu des Évangiles provenantde «source inconnue», en ont copié des passages àla main, et les ont glissés dans les pochesdes pardessus que leurs maîtres suspendaient dansles placards de l'école. Dans tous les payscommunistes un immense corps de laïcs, hommes etfemmes, constitue déjà une force missionnairepuissante, efficace et qui conquiert les âmes.

Des missionnaires revenus de Cuba ont déclaréqu'une «église laïque» est entrée en action là-basdepuis que les pasteurs fidèles sont emprisonnés, oupersécutés, ou remplacés par des «desservants»communistes.

Ces millions de laïcs croyants, sincères, fervents,zélés, les communistes espéraient bien que lapersécution les détruirait. Au contraire, ils sontsortis de la fournaise purifiés et trempés.

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3/ - Pasteurs et desservants officiels qui refusent d'êtrebridés et de se taire.

Le troisième centre vital de l'Église Clandestineest constitué par le vaste corps des pasteurs quirestent fidèles dans les églises légales, mais y sontcontrôlés et muselés. L'Église Clandestine n'est passans communication avec l'autre. Dans plusieurspays communistes, Yougoslavie, Pologne, Hongrie,nombreux sont les membres du clergé officiel quiexercent un ministère parallèle secret. En certainesrégions, les rapports sont étroits entre eux et lesclandestins. Ils ont interdiction de parler du Christen dehors de leur réduit-église, de rassembler lesenfants et les jeunes, et la peur détourne d'eux lesnon-chrétiens. Ils ont interdiction d'aller chez leursfidèles prier pour les malades. Bloqués de tous côtéspar les règlements communistes qui font de la«liberté religieuse» une fumisterie, leur ministèreofficiel n'a plus de sens. Alors, très souvent, ilsrisquent courageusement leur liberté pour se livreren cachette à un ministère qui déborde amplementles limites imposées par les communistes: apostolatauprès des enfants et des jeunes, prédications dansles demeures privées et les caves, contrebande detextes chrétiens destinés aux âmes affamées, toutcela comme s'ils ignoraient les interdictionsofficielles, auxquelles en apparence ils obéissentdocilement tout en faisant bon marché de leur viepour répandre secrètement la Parole de Dieu. En

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Russie dernièrement, beaucoup ont été surpris,arrêtés et condamnés à plusieurs années de prison.

Anciens pasteurs chassés et persécutés, laïcs,pasteurs officiels dévoués au ministère secret, voilàdonc les militants de l'Église clandestine. Et cetteÉglise persévérera jusqu'à la défaite ducommunisme. Ici ou là, tel groupe est plus actif queles deux autres, mais tous trois courent le mêmerisque pour le service du Christ. Au retour d'unvoyage dans les pays communistes, un homme, quipasse souvent le Rideau de fer et s'intéresse auxquestions religieuses, a écrit qu'il n'a jamaisrencontré l'Église clandestine. C'est comme si,revenant d'une visite aux primitifs de l'Afriquecentrale, un voyageur disait: «J'ai enquêtésérieusement. J'ai demandé à tous s'ils parlent enprose. Tous m'ont répondu non.» La vérité est queces gens ne savent pas que, lorsqu'ils parlent, ils«font de la prose».

Les chrétiens des premières décennies nesavaient pas non plus qu'ils étaient chrétiens. Sivous les aviez questionnés sur leur religion, ils vousauraient répondu qu'ils étaient Juifs, Israélites,partisans du Messie Jésus, frères, saints, enfants deDieu. Le nom de chrétiens leur a été donné pard'autres bien plus tard, et pour la première fois àAntioche.

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Aucun de ceux qui suivaient Luther ne savaitqu'il était luthérien, et Luther lui-même protestaitavec énergie contre cette dénomination.

Le nom d'Église Clandestine nous est venu descommunistes, et aussi des Occidentaux qui, curieuxde la situation religieuse à l'Est, pressentaientqu'une organisation secrète s'y était forméespontanément. Quant à eux, les membres de cetteÉglise se dénomment eux-mêmes chrétiens,croyants, enfants de Dieu. Mais ils poursuivent untravail clandestin, ils se rencontrent à l'écart, ilsrépandent l'Évangile dans des réunions tenues encachette, où se trouvent parfois des étrangers quidiront n'avoir pas vu l'Église clandestine. Ainsi cequalificatif, qui lui convient tout à fait, a été donnéà notre Église tant par des ennemis que par desadmirateurs étrangers de son organisation secrète.

Vous pouvez voyager pendant des années enOccident sans jamais rencontrer un espionsoviétique avoué. En faut-il conclure qu'il n'y a pasd'espions soviétiques à l'Ouest? Non, mais qu'ils nesont pas assez sots pour se livrer à la curiosité desvoyageurs.

On trouvera dans le chapitre qui suit des extraitsde la Presse Soviétique prouvant l'existence etl'importance grandissante de la vaillante ÉgliseClandestine.

1 La première édition de cet ouvrage a été

publiée en octobre 1967.

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VIL'ICEBERG

JE vous ai parlé par expérience personnelle de ladiffusion secrète du message du Christ dans l'ArméeRusse et en Roumanie communiste.

Je vous ai appelés à l'aide pour que le Christ soitprêché aux communistes et aux peuples qu'ilsoppriment. Cette prétention est-elle «chimérique» et «irréalisable»? Est-il au contraire possible de laréaliser?

Existe-t-il en ce moment une Église clandestineen Russie et dans d'autres pays? L'apostolat est-ilencore possible actuellement là-bas?

A toutes ces questions je peux répondre pard'excellentes nouvelles.

Les communistes sont en train de célébrer lecinquantenaire1 de leur prise de pouvoir. Mais cettevictoire est une défaite. Le vainqueur, c'est lechristianisme. La presse russe, que notre

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organisation scrute soigneusement, abonde eninformations sur l'Église clandestine. Celle-ci estdevenue si puissante qu'elle travaille assezouvertement pour effrayer les communistes. Etd'autres informations provenant d'autres sourcesconfirment les comptes-rendus des journauxsoviétiques.

Rappelez-vous: l'Église Clandestine ressemble àun iceberg. La masse la plus importante estimmergée, mais une petite partie est visible au-dessus de la surface. Dans les pages qui suivent, jedonne un résumé très sommaire des nouvelles lesplus significatives.

LE SOMMET DE L'ICEBERG

Le 7 novembre 1966, à Suhumi (Caucase)l'Église clandestine tint une grande réunionpublique. Beaucoup de croyants étaient venus dediverses autres villes pour y participer.Après l'appel à la repentance, quarante-sept jeunesacceptèrent le Christ et furent aussitôt baptisésdans la Mer Noire, comme cela se faisait auxpremiers temps de l'Église.

Ils n'avaient pas reçu de formation religieusepréalable. Après 50 ans de dictature communiste,privés de Bibles et de tout autre livre chrétien,dépourvus de séminaires, comment les pasteurs

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pourraient-ils être des théologiens consommés? Lediacre Philippe ne l'était pas davantage; etcependant lorsque l'eunuque, avec lequel il avaitpeut-être parlé une heure seulement, lui demanda:«Voici de l'eau, qu'est-ce qui t'empêche de me baptiser?»Philippe répondit: «Si tu crois de tout ton coeur, lupeux l'être.» Ils descendirent aussitôt dans l'eau et leconverti fut baptisé (Actes des Apôtres, 8, 36-38).

L'eau ne manque pas dans la Mer Noire etl'Église clandestine a repris les pratiques des empsbibliques.

Utchitelskaia Gazeta (Le Journal de l'Enseignant)du 23 août 1967 rapporte qu'à Rostovsur-le-Dondes Baptistes — qui refusent de déclarer leurorganisation conformément aux lois impies etd'obéir à leurs pseudo-leaders appointés par lescommunistes — avaient organisé unedémonstration dans les rues. C'était un premiermai. De même que Jésus opérait des miracles le jourdu Sabbat pour défier ses adversaires pharisiens, demême l'Église clandestine choisit les jours de fêtescommunistes pour défier les lois communistes. Lepremier mai est le plus important de ces jours-là,celui des plus grandes manifestations officielles, àquoi tout le monde reçoit l'ordre d'assister. Et cettefois, la deuxième puissance de Russie — l'ÉgliseClandestine — se déploya elle aussi dans les rue deRostov.

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Cinq cents croyants étaient venus. Le seul amourdu Christ les y avait poussés. Ils savaient qu'ilsrisquaient leur liberté, ils savaient que la prison, sesprivations et ses tortures les attendaient.

En Russie tous les croyants connaissent le«Manifeste secret» imprimé à Barnaud par lesChrétiens Évangéliques. Il raconte commentmadame Hmara, du village de Kulunda, a appris lamort en prison de son mari, qui la laissait veuveavec quatre jeunes enfants. Quand elle reçut ladépouille, elle put remarquer sur les poignets lestraces des menottes; les mains, les doigts, la plantedes pieds étaient affreusement brûlés; l'abdomenmontrait des cicatrices de coups de couteau. Unoedème gonflait le pied droit. Les deux piedsprésentaient des traces de coups. Tout le corpsétait zébré de plaies provenant de cruellesflagellations.

Tous les chrétiens présents à cette manifestationde Rostov se savaient menacés du même sort. Etpourtant, ils étaient venus. Car ils savaient aussique ce martyr, qui avait donné sa vie pour Dieutrois mois seulement après sa conversion, avait étéenterré en présence d'une grande foule de croyantsqui portaient des banderoles où l'on pouvait lire:

«Ma vie c'est le Christ et mourir m'est un gain.»

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«Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps maisne peuvent tuer l'âme.»

«Et je vis sur l'autel ceux qui sont morts! mur laParole de Dieu.»

C'est l'exemple de ce martyr qui enthousiasmaitles Croyants à Rostov-sur-le-Don. Ils s'étaientrassemblés dans les rues autour d'une petite maison.Il y en avait partout, jusque sur les toits voisins etdans les arbres, comme Zachée autrefois. Quatre-vingts personnes se convertirent, surtout desjeunes, dont 33 étaient d'anciens Komsomols(membres de l'organisation de la JeunesseCommuniste). Les Croyants traversèrent ensuitetoute la ville en direction du Don, où les convertisfurent baptisés.

Bientôt survinrent des autos pleines de policierscommunistes qui les acculèrent au fleuve dansl'intention de se saisir de ceux des frères quiadministraient les baptêmes. (Impossible d'arrêter500 personnes à la fois). Aussitôt les croyantss'agenouillèrent et adressèrent à Dieu une ferventeprière qui le suppliait de défendre son peuple et depermettre d'achever la cérémonie. Après quoi,frères et soeurs, épaule contre épaule, entourèrentleurs ministres dans l'espoir vain d'empêcher leurarrestation. La situation était dramatique.

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Uchitelskaia Gaze ta rapporte que l'OrganisationBaptiste «illégale» dispose à Rostov d'uneimprimerie clandestine (en Russie le mot Baptisteinclut aussi bien les Évangélistes que lesPentecôtistes). Des publications en sortent quiappellent la jeunesse à se dresser en faveur de la foi.L'une d'elles demande aux parents — et je trouvecela excellent — «d'emmener leurs enfants auxenterrements pour leur apprendre à ne pass'attrister à propos de choses qui passent». Elle leurdemande aussi de procurer à leurs enfants uneéducation chrétienne comme antidote contrel'athéisme qui les empoisonne dans les écolescommunistes. Et l'article se termine ainsi:«Pourquoi les enseignants se mêlent-ils sitimidement de la vie des familles où les enfants sontrendus idiots (par la religion)?»

Le même «Journal de l'Enseignant» a racontéce qui est arrivé lors du jugement des frères quiavaient administré des baptêmes en cachette.«Devant le tribunal des jeunes croyants appeléscomme témoins montrèrent insolence et dédain.Leur attitude était une hostilité fanatique. Dejeunes femmes, témoins elles aussi, regardaient lesdéfenseurs avec admiration et le public athée avecréprobation.»

Les membres de l'Église Clandestine ont bravé lescoups et la prison pour aller réclamer, devant le

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Quartier Général du Parti Communiste en Russie,une plus large liberté.

Nous possédons un Document confidentielprovenant du Comité des Églises Baptistes etÉvangéliques «illégales» de l'Union Soviétique. CeComité s'oppose à «l'Union Baptiste» contrôlée parles communistes et que dirige le traître Karev,lequel, dans «Sputnik» de Londres (n. 7 de 1968)vante l'humanité des massacreurs de chrétiens etexalte la «liberté» régnante. Ce document a étépassé à l'Ouest par des cheminements secrets. Ilraconte une autre héroïque manifestation, àMoscou cette fois. J'en extrais ce qui suit.

«Communiqué urgent. Très chers frères et peurs,bénédictions et paix de la part de Dieu, notre Père,et de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous nousempressons de vous faire savoir que les délégués desChrétiens Évangéliques Baptistes, au nombre decinq cents, venus à Moscou le 16 mai 1966 pourrencontrer les Organes du Pouvoir Central, se sontprésentés devant le siège du Comité Central duParti Communiste de l'U.R.S.S. pour demanderd'être reçus et entendus. Nous étions porteurs d'unepétition adressée au Secrétaire Général, Brejnev.»

Le document explique que ces 500 délégués setinrent toute la journée devant l'immeuble. C'étaitla première manifestation publique anticommunisteà Moscou, et elle était le fait d'une délégation de

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l'Église Clandestine. A la fin du jour, ils firenttransmettre à Brejnev une seconde pétition danslaquelle ils se plaignaient du fait qu'un certain«camarade» Stroganov avait refusé la première etles avait menacés.

Toute la nuit, en dépit des cars qu'on faisaitcirculer pour les arroser de boue et d'ordures, sansparler des insultes, et malgré la pluie, ilsdemeurèrent devant le siège du Parti. Le lendemainmatin, on leur proposa d'entrer dans un autreimmeuble où les recevraient des sous-ordres; mais«sachant que les croyants reçus par les autorités ontété souvent battus à l'entrée des immeubles où il n'yavait pas de témoins, la délégation refusaunanimement et continua d'attendre que Brejnevla reçût.»

Enfin, l'inévitable se produisit. A 13 h. 45 vingt-huit fourgons automobiles arrivèrent et lavengeance se déchaîna. «Nous formions le cercleet, la main dans la main, nous chantions le cantique«Les plus beaux jours de notre vie sont les jours où nousporterons la croix». Les policiers se mirent à nousbourrer de coups sans distinction de jeunes ou devieux. Ils empoignaient les gens l'un après l'autre,les frappaient sur le visage et le crâne, lesrenversaient sur l'asphalte et les traînaient par lescheveux vers les autobus. Ceux qui résistaientétaient passés à tabac jusqu'à l'évanouissement.Quand les véhicules furent pleins, les croyants

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furent emmenés vers une destination inconnue. Ilschantaient et nous entendions les chants de nosfrères et de nos soeurs s'élever des fourgons de lapolice secrète. Tout cela s'est passé en présenced'une foule de spectateurs.»

Mais voici plus beau encore. Après l'arrestationde ces 500 délégués, qui furent certainementtorturés ensuite, Frère G. Vins et un autre membredu Comité «illégal», Horev (vrais bergers dutroupeau du Christ) eurent le courage d'aller auComité Central du Parti Communiste —exactement comme après l'arrestation de saint JeanBaptiste Jésus commença rn prédication publiqueau même endroit et dans les mêmes termes pourlesquels Jean souffrait: «Repentez-vous car leRoyaume de Dieu est proche.» Vins et Horevdemandèrent où se trouvaient les délégués arrêtéset réclamèrent leur libération. Et ces deux frèrescourageux disparurent, eux aussi, tout simplement.On devait apprendre plus tard qu'ils étaientenfermés à la prison Lefortovskaia.

Avaient-ils peur, ces chrétiens de l'ÉgliseClandestine? Mais non, puisque aussitôt d'autresrisquèrent de nouveau leur liberté en publiant ledocument que j'ai sous les yeux et qui raconte cettehistoire, à quoi il ajoute: «A eux-là, la grâce a étédonnée non seulement de croire au Christ, mais encorede souffrir pour Lui» (Épître aux Philippiens 1, 29).Puis cette exhortation aux frères: «Que personne ne

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se laisse ébranler par ces tribulations, auxquelles, vousle savez, nous sommes destinés» (Thessal. 3, 3). Etaussi l'Épître aux Hébreux (12, 2) qui invite lescroyants à avoir «les yeux fixés sur Jésus, l'auteur et leréalisateur de la foi, qui, au lieu de la joie qui lui étaitproposée, a supporté la croix dont il a méprisél'infamie.»

A Rostov, à Moscou, l'Église Clandestine s'estopposée ouvertement à l'empoisonnement de lajeunesse par l'athéisme. Partout en Russie ellecombat le poison communiste ainsi que les traîtresqui dirigent l'Église légale; à propos de ceux-ci elleécrit, dans ce document confidentiel: «De nos joursc'est Satan qui commande et "l'Église" acceptetoutes les décisions contraires aux commandementsde Dieu» (Cité dans Pravda Ukraini du 4 octobre1966).

Pravda Vostoka a publié le procès des chrétiensAlexei Neverov, Boris Germashov, et Axen Zubovqui organisaient des réunions pour écouter lesémissions évangéliques d'Amérique dont ilsprenaient des copies qu'ils faisaient circuler. Ilsétaient également accusés d'avoir organisé desrencontres évangéliques secrètes sous formed'excursions et de réunions artistiques. Voilà letravail de l'Église Clandestine, à la manière mêmede l'Église primitive dans les catacombes de Rome.

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Sovietskaia Moldavia du 15 septembre 1966 seplaint de ce que l'Église Clandestine produise desfac-similés de brochures. Ses membres, écrit-elle, serassemblent sur les places publiques encontravention avec la loi et s'en vont de place enplace témoigner pour le Christ. Le même journalrapporte que, dans un train entre Reni etChishinan, trois jeunes gens et quatre filles ontchanté l'hymne chrétien: «Vouons notre jeunesse auChrist.» Et le reporter avoue qu'il est révoltéd'entendre des croyants prêcher dans les rues, lesgares, les crains, les autobus et même lesétablissements de l'Etat. Encore une fois, voilà letravail de Clandestine en Russie.

Quand le tribunal annonça la condamnation deces accusés pour crime d'avoir chanté des hymneschrétiens en public, les condamnés tombèrent àgenoux et dirent: «Nous nous remettons entre lesmains de Dieu. Merci à Toi, Seigneur, parce que tunous a accordé de souffrir pour notre foi.» Puis lesassistants, entraînés par le «fanatique» Madan,chantèrent devant la cour l'hymne pour lequel leursfrètes venaient justement d'être condamnés à laprison et à la torture.

Pour le premier Mai, les chrétiens des villages deCopceag et de Zaharovska, faute d'églises, ontorganisé un service divin dans la forêt. Ilsorganisent aussi des réunions sous prétexte decélébrer un anniversaire. Beaucoup de familles qui

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comptent quatre ou cinq membres prétextent ainsijusqu'à 25 anniversaires par an pour tenir desréunions secrètes.

Ni prison ni tortures n'effraient les fidèles del'Église Clandestine. Comme dans la primitiveÉglise, la persécution ne fait qu'aviver leur zèle.

Pravda Ukraini, du 4 Octobre 1966, parlant deProkofiev — un des dirigeants de l'ÉgliseClandestine Russe — précisait qu'il avait été déjàtrois fois en prison, mais qu'aussitôt relâché ilrecommence à organiser en secret des Écoles dudimanche. Pour le moment, il est de nouveauarrêté. Il a écrit dans une adresse confidentielle:«En se soumettant aux lois humaines (c'est-à-direaux lois communistes) l'Église légale s'est privéeelle-même des bénédictions de Dieu.»

Et ne vous figurez pas, quand vous entendezparler de la condamnation d'un chrétien russe, quesa prison ressemble à celles de l'Ouest. Là-basprison signifie faim, torture et lavage de cerveau.

Nauka i Religia (Science et Religion), dans sonnuméro 9 de 1966, rapporte que les chrétiensdiffusent des passages de l'Évangile sous descouvertures d'Ogoniok, périodique du genre deParis-Match. Ils éditent des livres dont la couvertureporte «Anna Karénine, roman par Léon Tolstoï»,

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alors qu'à l'intérieur se trouve une reproduction dela Bible.

Ils chantent sur l'air de l'Internationale deschants dont les paroles glorifient le Christ(Kazakstanskaia Pravda, 30 juin 1966).

Dans une lettre confidentielle rendue publique àKulunda (Sibérie) les chrétiens expliquent que ladirection officielle des «Baptistes» détruit l'Église, etce qu'elle compte de vrais serviteurs dans le monde,de la même façon que les grands-prêtres, lesscribes et les Pharisiens ont traduit Jésus devantPilate». Mais la fidèle Église Clandestine poursuit satâche, l'rpouse du Christ continue de servir sonrpoux. Et ce sont les communistes eux-mêmes quime donnent raison quand j'affirme que cette Égliseles gagne au Christ. Oui, ils peuvent Lui êtregagnés.

Bakinskii Rabochi (Le Travailleur de Bakou) du27 avril 1966 reproduit une lettre de TaniaChiugunova (membre de la Ligue des JeunessesCommunistes) qui venait de se convertir, lettresaisie par les autorités communistes:

«Chère tante Nadia, je te souhaite lesbénédictions de notre bien-aimé Seigneur. TanteNadia, je crois que tu comprends sa parole: «Aimezvos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites

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du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux quivous font du mal.»

Quand cette lettre eut été interceptée, PelerSerebrennikov, le pasteur qui avait amené au Christsa signataire et beaucoup d'autres jeunescommunistes, fut condamné à la prison. Le journalcite cet extrait de l'un de ses sermons: «Nousdevons croire en notre Sauveur tout comme lespremiers chrétiens. Pour nous la loi principale c'estla Bible. Nous n'en voulons pas connaître d'autre.Notre devoir est de nous efforcer de délivrer leshommes du péché, surtout les jeunes.» Quand il luifut rappelé que la loi soviétique interdit de parler duChrist à la jeunesse, il répéta: «Notre seule loi est laBible» — réponse qui convient tout à fait dans unpays gouverné par une cruelle dictature athée.

Puis le journal communiste décrit une scène qu'ilqualifie de «sauvage». «Jeunes gens et jeunes filleschantent des cantiques spirituels. Ils reçoivent lebaptême rituel et pratiquent le malfaisant ethypocrite enseignement de l'amour enversl'ennemi.» Bakinskii Rabochi reconnaît quebeaucoup de jeunes des deux sexes, membres de laLigue des Jeunesses Communistes, sont en réalitédes chrétiens. Et l'article se termine par ces mots:«Faut-il que l'école communiste soit faible,ennuyeuse et dépourvue d'attrait... pour que lespasteurs lui enlèvent si facilement ses élèves sous lenez des professeurs indifférents.»

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Kazakstanskaia Pravda du 30 juin 1966 découvreavec horreur que le meilleur élève dans la meilleurecatégorie est un enfant chrétien. Kirgizkaia Pravdadu 17 janvier 1966 cite un imprimé chrétienclandestin adressé aux mères de famille: «Unissonsnos efforts et nos prières pour que la vie de nosenfants soit vouée à Dieu dès le berceau... Gardonsnos enfants de l'influence du monde.» Ces effortssont couronnés de succès, témoin la pressecommuniste. Le christianisme progresse dans lajeunesse.

Un journal de Celiabinsk, en Russie, explitou.comment une jeune fille nommée Nina, membredes Jeunesses Communistes, est devenuechrétienne: en participant à une assembléeclandestine de chrétiens.

Sovictskaia Justitia dans son numéro 9 de 1966décrit l'une de ces assemblées: «Elle se tint àminuit. En cachette, se méfiant même de leurombre, des hommes arrivaient de différentesdirections. Les frères remplirent la pièce étroite etbasse de plafond. Ils étaient si nombreux qu'ilsn'avaient pas la place de s'agenouiller. Par manqued'air, la lumière de la pauvre lampe à gaz s'éteignit.La sueur coulait sur les visages. Dans la rue, l'un desserviteurs du Seigneur faisait le guet par crainte (lespoliciers.» C'est dans une assemblée comme celle-làque Nina dit avoir été reçue à bras ouverts etentourée de cordialité et d'attenions. «Ils avaient,

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comme moi maintenant, une foi vive etenthousiasmante — la foi en Dieu — Dieu nousprend sous sa protection. Que les Komsomols quime connaissent passent aujourd'hui près de moisans me saluer, qu'ils me regardent avec mépris etme jettent comme un soufflet le nom de «Baptiste»,que m'importe! Je n'ai pas besoin d'eux!»

Et, comme elle, beaucoup d'autres jeunescommunistes ont pris la résolution de servir leChrist jusqu'au bout. Kazakstanskaia Gazeta du 18août 1967 rend compte du procès des chrétiensKlassen, Bondar et Teleghin. Elle ne dit pas lacondamnation, mais elle proclame leur crime: ilsprêchaient le Christ à des enfants.

Sovietskaia Kirghizia du 15 juin 1967 se lamenteparce que les chrétiens «s'attirent eux-mêmesl'application de mesures administratives». C'estpourquoi, continuellement provoquées par cesobstinés chrétiens qui n'aiment pas rester libres, lesinnocentes autorités communistes venaient d'enarrêter un autre groupe. Leur crime: ils avaient unepresse à imprimer illégale qui leur servait à tirer destextes chrétiens.

D'après la Pravda du 21 février 1968 on adécouvert que des milliers des femmes et de fillesportent des ceintures et des rubans sur lesquels sontimprimés des versets bibliques et des prières. Aprèsenquête, les autorités ont appris que l'homme qui a

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lancé cette nouvelle mode — je la recommande àl'Occident —est tout simplement un chrétienmembre de la police communiste, Frère Stasiuk, deLimberta, dont le journal annonce l'arrestation.

Les réponses des chrétiens de l'Église Clandestineà leurs juges communistes sont d'inspiration divine.A un juge qui lui demandait: «Pourquoi attirez-vousles gens à votre secte interdite?» une chrétiennerépondit: «Notre luit est d'attirer au Christ le mondeentier.»

Pendant un autre procès, à un juge qui luiobjectait en ricanant: «Votre religion est anti-scientifique», l'accusée, une étudiante, riposta:«Êtes-vous plus savant qu'Einstein ou que Newton?C'étaient des croyants. Notre univers porte le nomd'Einstein; j'ai appris à l'École Supérieure qu'on lenomme l'univers einsteinien. Eh bien, Einstein aécrit: «Si nous purifions le judaïsme des Prophèteset le christianisme enseigné par Jésus de tout ce quiest venu ensuite, en particulier le cléricalisme, nousavons une religion capable de préserver le mondede tous les malaises sociaux. Tout homme a ledevoir sacré de faire de son mieux pour le triomphede cette religion.» Rappelez-vous aussi notre grandbiologiste Pavlov, dont nos livres nous disent qu'ilétait chrétien. Et Marx lui-même, dans la préfacede son Capital, écrit: «Le christianisme avec sonculte de l'être humain abstrait, est la religion la plusindiquée.» Eh bien, le péché avait détérioré mon

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caractère. C'est Marx qui m'a appris que la religionchrétienne est la plus indiquée. Comment vous, desmarxistes, pouvez-vous me juger pour cela?»

Le juge en resta bouche close, et l'on comprendpourquoi.

A cette même accusation de pratiquer unereligion anti-scientifique, un chrétien réponditdevant le tribunal: «Je suis sûr, Monsieur le Juge,que vous n'êtes pas aussi savant que Simpson,l'inventeur du chloroforme et de beaucoup d'autresremèdes. Quelqu'un lui demanda un jour ce qu'ilconsidérait comme sa plus grande découverte.Simpson répondit: «Ce n'est pas le chloroforme. Matrouvaille la plus importante, c'est d'avoir découvertque je suis pécheur et que la grâce de Dieu peut mesauver.»

Le sacrifice de la vie, le renoncement à soi-même, le sang que ses membres sont prêts à verserpour la foi, voilà les principaux arguments del'Église Clandestine en faveur du christianisme. Elleconstitue ce que le célèbre missionnaire d'Afrique,Albert Schweitzer, a appelé «la compagnie sacréede ceux qui sont marqués par la douleur», lacompagnie à laquelle appartient Jésus, l'Homme desDouleurs. Le lien d'amour qui l'unit à son Sauveurlie aussi ses membres l'un à l'autre. Personne aumonde ne peut les vaincre.

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Dans une lettre passée en fraude, l'ÉgliseClandestine a écrit: «Nous prions pour devenir nonpas de meilleurs chrétiens, mais le seul genre dechrétiens que Dieu veut que nous soyons: des chrétienssemblables au Christ, c'est-à-dire des chrétiens quiportent la croix de bon coeur pour la gloire de Dieu.»

Appliquant la prudence des serpents à lapratique des enseignements de Jésus, les chrétiensrefusent obstinément de révéler les noms de leursdirigeants quand on les questionne à part ou devantun tribunal.

Pravda Vostoka (la Vérité de l'Est) du 15 janvier1966 raconte que l'accusée Marie Sevciuk,interrogée sur celui qui l'avait amenée au Christ,répondit: «C'est Dieu qui m'a attirée parmi lessiens.» Une autre, à cette question: «Qui est votrechef?» répondit: «Notre chef ne se trouve pas parmiles hommes.»

«Qui vous a dit de quitter les Pionniers etd'abandonner le port du foulard rouge?» demandait-on à des enfants. «Personne, répondirent-ils. Nousl'avons fait de notre plein gré.»

Si l'on voit en certains endroits percer la pointede «l'iceberg», en d'autres les chrétiens baptisenteux-mêmes afin d'éviter l'arrestation de leur clergé.En divers lieux où les baptêmes se font dans unerivière, celui qui baptise et celui qui est baptisé se

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masquent tous les deux, de manière que personnene puisse les reconnaître sur une photographie.

Uchitelskaia Gazeta du 30 janvier 1964 parled'une conférence athée donnée dans le village deVoronin, district de Volcesino-Korskii. Dès la fin dela conférence «les croyants lancèrent publiquementdes questions qui étaient autant d'attaques contrel'enseignement athée» et le conférencier n'y putrépondre. «Où donc, demandèrent-ils, lescommunistes ont-ils pris les principes que vousproclamez — mais auxquels vous n'obéissez pas —tels que «Ne volez pas! Ne tuez pas!» Et ilsprouvèrent à l'orateur que chacun de ces principesétait pris dans cette Bible que les communistescombattent. Le conférencier demeura confondu etla séance se termina en victoire pour les croyants.

LA PERSÉCUTION DE L'ÉGLISECLANDESTINE S'AGGRAVE

Ses membres souffrent aujourd'hui plus quejamais. En Russie, toutes les religions sontpersécutées. C'est un crève-coeur pour les chrétiensde savoir que les Juifs sont opprimés dans les payscommunistes. Mais la cible préférée despersécuteurs est l'Eglise Clandestine. Par vaguessuccessives, les arrestations en masse et les procèsemplissent les colonnes de la Presse Soviétique. Atel endroit, 83 chrétiens ont été internés dans un

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asile d'aliénés: quelques jours plus tard 24 étaientmorts. De quoi? De cette maladie: «Une prièreprolongée.» Depuis quand une longue prière est-ellemortelle? Imaginez donc ce que ces priants ont euà supporter! La pire souffrance infligée auxchrétiens, la voici: si l'on découvre qu'ils enseignentle Christ à leurs enfants, ceux-ci leur sont enlevéspour la vie, et ils n'ont pas le droit de leur rendrevisite.

L'Union Soviétique a signé la Déclaration desNations Unies «condamnant la discrimination dansle domaine de l'éducation» et qui stipule: «Lesparents ont le droit d'assurer à leurs enfants uneéducation morale et religieuse conforme à leurspropres convictions.» Dans son article cité plushaut, le traître Karev, chef de l'Église Baptistelégale, affirme que ce droit est une réalité en Russie— et il y a des dupes pour le croire! Ecoutezmaintenant ce que raconte la Presse Soviétique.

Ouvrons Sovietskaia Russia du 4 juin 1963. Nousy lisons qu'une Baptiste nommée Makrinkowa s'estvu enlever ses six enfants parce qu'elle leurenseignait la foi chrétienne et leur défendait deporter le foulard des Pionniers. En entendant lasentence, elle s'est contentée de dire: «Je souffrepour la foi.» Elle a été en outre condamnée à payerla pension des enfants qu'on lui a arrachés et quisont maintenant empoisonnés par l'athéisme. Mèreschrétiennes, pensez à la douleur de cette mère!

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D'après Uchitelskaia Gazeta la même chose estarrivée à Ignace Mullin et à sa femme. Le juge leurdemanda de renier leur foi. «Choisissez, leur dit-il,entre votre Dieu et votre fille. Choisissez-vousDieu?» Réponse du père: «Je ne renierai pas mafoi.»

«Toutes choses tournent au bien ...» a dit saintPaul. J'ai vu de ces enfants qui avaient été élevéschrétiennement, puis enlevés à leurs parents etplacés dans des écoles communistes. Mais, au lieud'être pourris par l'athéisme, ils répandaient parmileurs camarades la foi qu'on leur avait apprise à lamaison.

La Bible dit que celui qui aime ses enfants plusque Jésus n'est pas digne de Jésus. Derrière leRideau de fer ces mots prennent leur pleinesignification.

Essayez de vivre une semaine sans voir vosenfants. Vous saurez ce que souffrent nos frères enRussie.

Aujourd'hui encore on continue d'y dépouillerles chrétiens de leurs droits de parents. Lesexemples les plus récents, donnés par la PresseSoviétique elle-même, concernent Madame Sitsh— qui, d'après la Znania lunosti du 29 mars 1967s'est vu enlever son fils Vsetsheslav parce qu'ellel'élevait dans la crainte du Seigneur — et Madame

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Zabavina, de Kabarovsk — que, d'après SovietskaiaRussia du 13 janvier 1968, l'on a séparée de sapetite-fille orpheline, Tania, parce qu'elle lui avaitdonné une «éducation dénaturée», c'est-à-direchrétienne.

Il serait injuste de parler seulement de l'Égliseclandestine protestante.

Les chrétiens orthodoxes russes sontcomplètement transformés. Des millions d'entre euxont passé par la prison. Là, plus d'étoles, ni decrucifix, ni de saintes images, ni d'encens, ni decierges. Plus de prêtres ordonnés au service desprisonniers laïcs. Les prêtres n'avaient plus nichapes, ni pain de froment, ni vin pour laconsécration, ni saintes huiles, ni missels. Et ilsdécouvrirent ce qu'ils pouvaient obtenir de cedépouillement total: l'accès direct à Dieu par laprière. Ils prièrent et Dieu leur infusa son Esprit. Unauthentique renouveau spirituel, tout il faitsemblable au christianisme primitif, se produit enRussie parmi les Orthodoxes.

Il en va de même dans tous les pays satellites oùexiste une Église clandestine orthodoxe, laquelle esten réalité évangélique, revenue aux sources et trèsétroitement unie à Dieu, bien qu'elle ne conserve,par la force de l'habitude, que quelques élémentsseulement du rite orthodoxe. Elle aussi, elle adonné de magnifiques martyrs. Encore une fois, qui

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peut dire où se trouve à présent le vieil archevêquede Kaluga, Yermogène? Il avait osé protester contrela trahison qu'est la collaboration du Patriarcheavec le gouvernement communiste des sans-Dieu.

Cinquante années de gouvernement communiste! Et la presse russe est pleine des succès de l'ÉgliseClandestine. Celle-ci a passé en Russie pard'indicibles épreuves, mais elle est demeuréefidèle... et elle progresse.

Nous, en Roumanie, par notre travail caché nousavons jeté la semence dans l'Armée Russe. D'autresont semé en Russie même et dans les pays envahispar les Soviétiques. La semence a poussé son fruit.

Le monde communiste peut être gagné au Christ,les communistes peuvent devenir chrétiens. Et aussiceux qu'ils oppriment. Il suffit que vous vouliez lesaider. La preuve que j'ai raison, c'est qu'en UnionSoviétique, en Chine, et dans tous les paystotalitaires, l'Église clandestine est florissante.

Pour vous montrer la beauté de nos compagnonschrétiens en de si terribles circonstances, je vouscite ci-après quelques lettres venues de Russie, lesdernières qui aient pu sortir des prisons russes.

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UNE JEUNE COMMUNISTE, VARIA,TROUVE LE CHRIST, TÉMOIGNE, ESTCONDAMNÉE AUX TRAVAUX FORCÉS.

Les trois premières lettres sont de Maria, unejeune chrétienne qui a conduit Varia au Christ.

Première lettre

«... Je vis toujours ici. On m'aime bien. J'ai mêmepour amie une fille qui est de la cellule desKomsomols (Ligue des Jeunesses Communistes).Elle m'a dit: «Je ne comprends pas quel être vousêtes. Ici beaucoup vous insultent et vous blessent etpourtant vous les aimez tous.» J'ai répondu queDieu nous a enseigné d'aimer non seulement nosamis, mais aussi nos ennemis. Auparavant, cettefille m'avait beaucoup maltraitée, mais je priaisspécialement pour elle. Comme elle me demandaitsi je pouvais l'aimer elle aussi, je l'ai embrassée etnous nous sommes mises à pleurer. A présent nousprions ensemble.

S'il vous plaît, priez pour elle! Elle s'appelleVaria.

Quand vous entendez des gens renier Dieu àhaute voix, vous croyez que c'est vrai, maisl'expérience montre que beaucoup d'entre eux, touten maudissant Dieu du bout des lèvres, en ont le vifdésir au coeur. Et ces coeurs, vous les entendez

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gémir. Ces gens-là ont soif de quelque chose, etcouvrent le vide intérieur du masque de l'impiété.Votre Soeur dans le Christ, Maria.»

Deuxième lettre

«Dans ma lettre précédente je vous parlais d'unefille athée, Varia. Je m'empresse aujourd'hui, meschers amis, de vous dire notre grande joie. Varia aaccepté le Christ, le reconnaît comme son Sauveuret en témoigne ouvertement devant tous.

Quand la foi au Christ lui a fait connaître la joiedu salut, en même temps elle s'est sentie trèsmalheureuse, parce qu'elle a milité autrefois contrel'existence de Dieu. Maintenant, elle est biendécidée à expier cette faute.

Nous sommes allées, avec Varia, à une réuniondes sans-Dieu. Je l'avais avertie de se tenir sur laréserve, mais ce fut inutile. Quand elle s'y rendit, jel'accompagnai pour voir ce qui allait arriver. Aprèsle chant de l'hymne communiste auquel elle n'avaitpas participé, Varia demanda la parole. Son tourvenu, elle alla se placer face à l'assistance.Courageusement et avec beaucoup d'émotion, elletémoigna du Christ son Sauveur et demandapardon à ses anciens camarades d'avoir jusqu'àprésent tenu fermés les yeux de son esprit, den'avoir pas vu qu'elle allait à sa perdition et qu'elle

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y en entraînait d'autres. Elle les conjura tous dequitter le chemin du péché et de venir au Christ.

Le silence était complet, personne n'interrompitVaria. Quand elle eut fini de parler, elle chanta desa voix splendide l'hymne chrétien: «Je n'ai pashonte de proclamer le Christ qui est mort pournous, de défendre ses commandements et lapuissance de sa croix,» Après ... Eh bien, après, ilsont emmené Varia. Nous sommes le 9 maiaujourd'hui, et nous sommes sans nouvelles d'elle.Mais Dieu est assez puissant pour la sauver. Priez!

Votre Maria!»

Troisième lettre

«Hier 2 août j'ai eu en prison un entretien avecVaria. Mon coeur saigne quand je pense à elle. Enfait c'est encore une enfant. Elle n'a que 19 ans. Etpour ce qui est de la foi dans le Seigneur, elle estencore spirituellement comme un bébé. Mais ellel'aime de tout son coeur et va vers lui par unchemin très difficile. Elle a tellement faim, la pauvrefille! En apprenant qu'elle était en prison, nous luiavions envoyé des colis, mais elle n'a reçu qu'untout petit peu de ce qui lui a été envoyé.

Quand je l'ai vue hier elle était maigre, pâle,épuisée. Seuls ses yeux, qui rayonnaient la paix duChrist, montraient une joie qui n'est pas de la terre.

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Oui, chers amis, ceux qui n'ont pas goûté lamerveilleuse paix du Christ ne peuvent comprendrecela. Mais comme ils sont heureux, ceux qui lapossèdent! Pour nous qui sommes du Christ, ni lessouffrances ni les déceptions ne nous peuventretenir ...

Je lui ai demandé à travers les barreaux de fer:«Varia, ne regrettes-tu pas ton imprudence?» —«Non, répondit-elle, et s'ils me libéraient j'irais àeux de nouveau et je leur dirais l'immense amourdu Christ. Ne pense pas que je souffre. Je suis trèsheureuse que le Christ m'aime autant et me donnele bonheur de souffrir pour son Nom.»

Je vous demande de prier tout spécialement pourelle, du fond du coeur. Elle va probablement êtreenvoyée en Sibérie. Ils lui ont tout retiré, il ne luireste rien que le vêtement qu'elle a sur elle. Commeelle n'a pas de parents, il faudra quêter pour luiprocurer le nécessaire. J'ai réservé la dernièresomme que vous m'avez adressée. Si Varia estdéportée, je la lui remettrai. Je crois que Dieu luidonnera assez de force pour supporter ce quil'attend. Que Dieu la garde!

Votre Maria.»

Quatrième lettre (de Varia, celle-ci)

«Chère Maria, enfin je peux t'écrire. Noussommes bien arrivés à ... Notre camp est à 14 km

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d'une ville. Je ne décris pas notre existence, tu laconnais. Je te parlerai seulement un peu de moi. Jeremercie Dieu de me donner la santé et la force detravailler. Soeur X. et moi sommes employées dansun atelier, aux machines. Le travail est pénible etsoeur X. ne va pas bien. Il faut donc que je travaillepour deux et que je l'aide après avoir fini mabesogne. Nous travaillions douze à treize heures parjour. La nourriture est comme la vôtre, tout à faitinsuffisante. Mais ce n'est pas de ça que je veux teparler.

Mon coeur loue Dieu et le remercie de m'avoirmontré par toi le chemin du salut. Maintenant queje suis ce chemin, ma vie a un but, je sais où je vaiset pour qui je souffre. Je sens le désir de parler et detémoigner devant tous de la joie du salut quim'emplit le coeur. Qui pourra nous séparer del'amour de Dieu dans le Christ? Rien ni personne,ni prison, ni souffrance. Les souffrances que Dieunous envoie ne font que fortifier de plus en plusnotre Foi en Lui. Mon coeur est si plein de sa grâcequ'il déborde. A l'atelier, ils me tourmentent et mepunissent, m'obligent à des travauxsupplémentaires, parce que je ne peux pas me taireet que j'ai besoin de raconter ce que le Seigneur afait pour moi. Il a fait de moi un être nouveau, unecréature nouvelle, de moi qui courais à ma perte.Puis-je le taire? Non, jamais! Tant que mes lèvrespourront parler, je porterai à tout le monde letémoignage de Son immense amour pour moi.

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Sur la route du camp, nous rencontronsbeaucoup de frères et de soeurs dans le Christ.Quelle surprise vous ressentez lorsque, en lesvoyant pour la première fois, l'Esprit vous faitdeviner en ces inconnus d'autres enfants de Dieu.Pas besoin de paroles. Le premier regard suffit, voussavez qui ils sont.

Une fois, alors que nous rentrions au camp, unefemme dans une gare s'approcha, nous donnaquelque chose à manger, et nous dit seulement cesmots: «Dieu est vivant.» Le soir de notre arrivée ici(il était tard) on nous a conduits dans desbaraquements souterrains. Nous avons salué ceuxqui s'y trouvaient en disant: «La paix soit avec vous!»A notre grande joie nous vint cette réponse: «Etavec vous aussi! Soyez les bienvenus.» Et dès cepremier soir nous nous sommes sentis en famille.

Oui! c'était bien cela. Nous sommes ici beaucoupqui croyons au Christ comme en notre Sauveur.Plus de la moitié des prisonniers sont des croyants.Il y a parmi eux de grands chanteurs et de grandsprédicateurs de l'Évangile. Le soir, quand nous nousretrouvons après notre travail accablant, comme ilest merveilleux de passer quelque temps à prierensemble aux pieds de notre Sauveur! Avec leChrist, on est libre partout. J'ai appris beaucoup debeaux cantiques et chaque jour, grâce à Dieu, unpeu plus de Sa Parole. A 19 ans, j'ai célébré pour lapremière fois la Nativité du Christ. Je n'oublierai

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jamais ce beau jour-là! Nous avions dû travaillertoute la journée. Quelques-uns de nos frères purentaller cependant jusqu'à la rivière proche. Là, ilsbrisèrent la glace et préparèrent l'endroit où, durantla nuit, conformément à la Parole de Dieu, moi etsept frères nous fûmes baptisés. Oh! que je suisheureuse et combien j'aimerais que toi, chèreMaria, tu sois aussi avec moi, afin que j'expie aumoins par mon amitié pour toi un petit peu du tortque je t'ai causé autrefois. Mais Dieu a fixé sa placeà chacune de nous et nous devons tenir ferme oùDieu nous a placées.

Salue pour moi toute la famille des enfants deDieu. Qu'II daigne bénir abondamment votretravail commun, comme il m'a bénie, moi. Lirel'Épître aux Hébreux, 12, 1-3.

Tous nos frères vous saluent et sont heureux quevotre foi en Dieu soit si forte et que vous Leglorifiiez sans cesse par vos souffrances. Si lu écris àd'autres, dis-leur nos amitiés.

Ta Varia.»

Cinquième lettre

«Chère Maria. Enfin j'ai l'occasion de t'écrirequelques lignes. Sache, ma très chère amie, quepar la grâce de Dieu moi et soeur X nous sommesen bonne santé et nous nous sentons très bien.

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Nous sommes en ce moment à... On nous envoieà... et nous y demeurerons.

Merci pour tes maternelles attentions. Nousavons reçu tout ce que tu nous avais adressé. Mercisurtout pour le plus précieux, la Bible. Merci à tous,et quand tu leur écriras transmets-leur mes amitiéset ma reconnaissance pour tout ce qu'ils ont faitpour moi.

Depuis que le Seigneur m'a révélé le profondmystère de Son amour, je me considère comme laplus heureuse du monde. Les persécutions que jesubis, je les tiens pour une grâce spéciale. Je suiscontente que le Seigneur m'ait accordé dès lespremiers jours de ma foi le grand privilège desouffrir pour Lui. Priez tous afin que je Lui demeurefidèle jusqu'au bout.

Qu'Il daigne vous garder tous et vous réconfortepour le combat sacré.

Soeur X et moi vous embrassons tous. Quandnous serons à... peut-être aurons-nous la chance devous écrire. Ne vous tourmentez pas pour nous.Nous sommes heureuses, nous nous réjouissonsparce que notre récompense sera grande dans lescieux (Matthieu 5, 11-12)».

Cette lettre est la dernière reçue de Varia, lajeune fille communiste qui a trouvé le Christ et qui

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a été condamnée à l'esclavage du travail forcé pouren avoir témoigné. On n'a plus entendu parlerd'elle, mais son bel amour et son témoignagemontrent la splendeur de la fidèle ÉgliseClandestine qui souffre dans ce tiers du mondedominé par le communisme.

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VIIMESSAGE QUE VOUS ADRESSE

PAR MOI L'ÉGLISE CLANDESTINE

ON M'A surnommé «la voix de l'Église dusilence». Et je me sens bien indigne de parler aunom d'une partie si digne d'honneur du Corpsmystique du Christ.

Néanmoins, j'ai dirigé pendant des années dansdes pays communistes une fraction de l'ÉgliseClandestine. Par miracle, j'ai survécu à 14 annéesde prison et de tortures, dont deux ans dans la«chambre des agonisants». Par un miracle pluséclatant encore, Dieu a donné je ne sais quel coupde scie aux barreaux de ma prison afin que, délivré,je puisse me rendre encore en Occident et parler àl'Église libre.

Je parle donc au nom de mes frères qui gisentdans d'innombrables fosses anonymes. Je parle aunom de mes frères qui, en ce moment, sontrassemblés en cachette dans des forêts, des sous-sols, des greniers et autres caches semblables.

C'est l'Église Clandestine qui a décidé quej'essaierais de quitter mon pays et de porter unmessage aux chrétiens libres du monde entier.

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Grâce au miracle qui m'a délivré, j'accomplis latâche dont m'ont chargé ceux que j'ai laissés là-bas,et qui travaillent, risquent, souffrent, agonisent surles terres communistes. Et voici le message que jevous apporte de leur part.

«Ne nous abandonnez pas!«Ne nous oubliez pas!«Ne nous passez pas par profits et pertes.«Donnez-nous les instruments dont nous avons

besoin. Nous paierons ce qu'il en coûtera de nousen servir!»

Je parle pour l'Église bâillonnée, l'ÉgliseClandestine, l'Église «muette» qui n'a pas de voixpour s'exprimer.

Entendez les cris de vos frères et de vos soeursdes pays communistes. Ils ne demandent pas às'échapper, à vivre en sûreté une vie facile. Ilsdemandent seulement de quoi combattre l'athéismequi empoisonne leurs jeunes — la génération quimonte. Ils demandent des Bibles pour répandre laParole de Dieu. Comment la répandront-ils s'ilsn'en ont pas?

L'Église Clandestine ressemble à un chirurgienqui voyageait en chemin de fer. Son train entra encollision avec un autre et des centaines de gensétaient étendus sur le sol, blessés, mutilés,mourants. Allant et venant au milieu de ces

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malheureux, le chirurgien répétait: «Si seulementj'avais mes instruments! Si seulement j'avais mesinstruments!» Muni de sa trousse, combien de viesil aurait sauvées! Il en avait la volonté mais... pasles moyens. Voilà dans quel état se trouve l'ÉgliseClandestine. Elle aussi veut tout donner, elle veutmême donner ses martyrs, elle veut risquer desannées de prisons communistes. Mais toute cettevolonté est inutile, si elle ne dispose pas desinstruments nécessaires. Près de vous, qui êteslibres, l'argument de la vaillante et fidèle ÉgliseClandestine est celui-ci: «Donnez-nous lesinstruments, Évangile, Bibles, livres, secours... etnous ferons le reste».

COMMENT LES CHRÉTIENS LIBRESPEUVENT AIDER L'ÉGLISECLANDESTINE.

Chaque chrétien du monde libre peut tout desuite l'aider des trois manières que je vais dire.

Les athées n'admettent pas l'origine surnaturellede la vie. Ils sont fermés à tout ce qui est mystèredans l'univers et dans les êtres vivants. L'aide laplus efficace que les chrétiens peuvent leur apporterest donc de se conduire eux-mêmes non par lesyeux du corps mais par les yeux de la foi, en vivantdans la compagnie du Dieu invisible.

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Ils peuvent nous aider en menant une viechrétienne réelle, une vie de sacrifice. Ils peuventnous aider en protestant publiquement chaque foisque des chrétiens sont persécutés. Ils peuvent nousaider en priant pour le salut des communistes. Voilàqui peut sembler naïf. Quoi? Prier pour des gens quidemain nous tortureront davantage qu'avant notreprière! Mais la prière du Seigneur sur Jérusalemétait naïve, elle aussi, car c'est ensuite qu'ils l'ontcrucifié. Oui... seulement, quelques jours plus tard,cinq mille hommes se frappaient la poitrine et seconvertissaient à la foi; pour les autres, la prière nefut pas perdue. Toute prière que refuse celui pourqui vous intercédez vous revient avec d'abondantesbénédictions tandis qu'elle devient malédictionpour celui qui en était l'objet. Conformément auprécepte du Christ, nous avons, moi et beaucoupd'autres chrétiens, prié pour Hitler et pour seshommes. Et je suis sûr que notre prière a plus faitpour leur défaite que les balles des soldats alliés.

Nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes. Les communistes sont notre prochainautant que n'importe qui. Ils sont le résultat dunon-accomplissement de ces mots du Seigneur: «Jesuis venu pour vous donner la vie et pour que vousl'ayez en abondance.» Les chrétiens n'ont pas encorefait ce qu'il faut pour que chacun ait la vie enabondance. Ils ont laissé certains manquer de ce quiaide à vivre. En conséquence des hommes se sontrévoltés et ont constitué le parti communiste.

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Souvent les communistes ne sont que des victimesde l'injustice sociale. Ils sont maintenant acharnéset cruels. Nous devons les combattre. Mais, mêmeen le combattant, les chrétiens doivent comprendreet aimer l'ennemi.

S'il y a des communistes c'est un peu de notrefaute. Nous sommes au moins coupables d'avoirnégligé notre devoir. En cette faute, nous devonsl'expier en aimant les communistes (ce qui n'est pasla même chose que de les trouver bons) et en priantpour eux.

Je ne suis pas assez niais pour croire que l'amourpeut à lui seul résoudre le problème communiste. Jen'irais pas recommander aux autorités politiques derésoudre par l'amour le problème du gangstérisme.Il faut contre les gangsters des policiers, des juges,des prisons, et pas seulement des pasteurs. Si lesgangsters ne se repentent pas, qu'on les boucle! Jen'emploierai jamais le précepte chrétien de«l'amour» pour contrecarrer le juste combatpolitique, économique ou culturel contre lescommunistes, car je sais par expérience qu'ils nesont pas autre chose que des gangsters à l'échelleinternationale. Les gangsters volent desportefeuilles; les communistes volent des paysentiers.

Mais le pasteur et le simple chrétien doivent fairechacun de son mieux pour amener au Christ le

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communiste — quelque crime qu'il ait commis —aussi bien que ses victimes innocentes.

BIBLES, ÉVANGILES SONT D'URGENTENÉCESSITÉ

Deuxième manière pour les chrétiens libresd'aider l'Église Clandestine: lui envoyer des Biblesou des extraits de la Bible. Il existe des moyens deles acheminer sûrement dans les pays communistes.Depuis que je suis sorti de là-bas, j'en ai déjàexpédié beaucoup. Les modalités d'expédition sontau point. Nous vous demandons seulement à vous,libres chrétiens, de nous donner ce qui doit aller àvos frères et soeurs de l'Église Clandestine. Quandj'étais encore en Roumanie, j'ai reçu moi-mêmebeaucoup de Bibles par certains intermédiaires.L'envoi ne pose donc pas de problème. Il suffit quevous nous donniez ce qui doit être expédié.

Ils en ont là-bas un besoin extrême. Depuis vingtou cinquante ans, en Russie et dans les payssatellites, des milliers de chrétiens n'ont jamais vude Bible ni d'Évangile.

Un jour des paysans tout crottés sont venus mevoir. Ils avaient quitté leur village Taies l'intentionde s'embaucher pour bêcher ton t l'hiver la terregelée afin de gagner de quoi s'acheter... une Bible,même vieille et déchirée, qu'ils rapporteraient chez

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eux. J'en oyais reçu d'Amérique, je pus leur endonner une, et non pas déchirée, mais toute neuve.I k n'en croyaient pas leurs yeux. Ils voulurent mepayer avec l'argent qu'ils avaient gagné endéfonçant la terre gelée. J'ai refusé, bien entendu.Ils s'en retournèrent en hâte et quelques jours plustard je reçus une lettre, pleine d'une joiedébordante, qui me remerciait pour les Écritures».Elle était signée par trente villageois. Ils avaientpartagé ma Bible en trente morceaux et se lespassaient l'un à I 'autre.

Il est émouvant au possible d'entendre un Russequémander une page de la Bible. Il en nourrit sonâme. C'est très volontiers qu'ils l'échangent contreune vache ou une chèvre. le connais un homme quia vendu son anneau de mariage pour se procurer unNouveau Testament en mauvais état. Nos enfantsn'ont jamais vu une carte de Noël. S'ils entrouvaient une, tous les gosses de l'endroit serassembleraient autour, un vieillard leurexpliquerait l'Enfant Jésus et la Sainte Vierge, etcela les mènerait jusqu'à l'histoire du Christ et de laRédemption. Tout cela ... à partir d'une simplecarte de Noël. Nous pouvons expédier Bibles,Évangiles et autres livres. Voilà pour vous unemanière de faire quelque chose.

Troisièmement, nous devons imprimer et envoyerdes études destinées spécialement à combattre lepoison athée administré à la jeunesse depuis le

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jardin d'enfants jusqu'au collège. Les communistesont fabriqué un Guide de l'Athée qui est la Bible del'athéisme. Des versions simplifiées en sont utiliséesau jardin d'enfants, d'autres de plus en plusélaborées suivent le jeune à mesure qu'il grandit.Cette «Bible» du mal qui l'accompagne duranttoute sa croissance l'empoisonne tout le long duchemin. Le monde chrétien n'a jamais imprimé deréponse au Guide de l'Athée. Nous pouvons etdevons le faire, et envoyer là-bas cette réponsechrétienne aux enseignements vénéneux del'athéisme. Et c'est tout de suite qu'il faut le faire,parce que l'Église Clandestine n'a rien à donner à lajeunesse intoxiquée par ce guide. Elle aura lesmains liées derrière le dos tant qu'elle ne disposerapas d'imprimés de cette sorte dans toutes leslangues parlées en pays communistes.

Il faut que nos jeunes, contaminés, connaissentcette réponse — la réponse de Dieu — la réponsechrétienne — la nôtre. Voilà encore pour vous unemanière de nous aider: nous fournir, sous forme delivres illustrés pour la jeunesse et de Bibles pourenfants, ces publications, ces antidotes contre leGuide de l'Athée.

La quatrième chose que nous devons faire est detravailler «la main dans la main» avec les membresde l'Église Clandestine en leur fournissant lesmoyens financiers de voyager et d'aller ci et là pourdes prédications évangéliques en petit comité. En

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ce moment beaucoup d'entre eux sont «cloués» à lamaison faute des fonds qui leur permettraientd'acheter billets de chemin de fer ou de car etnourri Lure pour le voyage. Et les voilà rivés,incapables de se déplacer, cependant qu'à 30 ou 40kms des villages les appellent pour des réunionssecrètes. Avec 50 ou 100 francs par mois nouspouvons leur donner la possibilité de répondre à cesappels et de porter plus loin encore, dans lescampagnes et les villes, la Parole de Dieu.

Animés d'un ardent amour pour les âmeségarées, des pasteurs qui ont été chassés de leuréglise et emprisonnés pour leur foi sont porteursd'un brûlant message évangélique mais ils n'ont pasles moyens de le faire connaître. Ces dons mensuelsles leur accorderont.

Quant aux laïcs chrétiens, hommes ou femmes,eux aussi ont grand besoin d'aide. En raison mêmede leur qualité de chrétiens ils gagnent à peine dequoi vivre et il ne leur reste rien pour aller devillage à village, de ville en ville avec des Evangiles.Voilà un «miracle» que quelques francs chaquemois pourront opérer.

Et les pasteurs de l'Église légale qui mènent àgrands risques un ministère parallèle clandestin?Pour cette tâche il leur faut pouvoir disposer defonds secrets. Le «salaire» que leur octroie legouvernement communiste est extrêmement réduit.

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Ils ont beau mépriser les règlements officiels etrisquer leur liberté pour prêcher en cachettel'Évangile aux enfants, aux jeunes et même auxadultes, leur bonne volonté est loin de suffire. Ilfaut leur donner la possibilité de poursuivre leurfructueux ministère secret. 50 ou 100 francs parmois les aideront à semer efficacement l'Évangile.Et voilà pour vous une autre manière de venir enaide à l'Église Clandestine.

Nous lançons déjà par radio des émissionsévangéliques pour vingt pays communistes. Enutilisant des émetteurs du monde libre, nousalimenterons spirituellement l'Église clandestine quia grand besoin elle-même du Pain de Vie. Lesgouvernements communistes se servent des ondescourtes pour leur propagande parmi leurs peuples,ce qui fait que des millions de Russes et autresnationaux possèdent des postes qui recevront nosémissions. Dès maintenant des portes nous sontouvertes qui nous assurent l'usage de quelquesémetteurs. Ce travail de radiodiffusion doit sedévelopper pour fournir abondamment la nourriturespirituelle l'Église clandestine des payscommunistes. Et voilà encore pour vous une autreoccasion de nous aider.

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LE DRAME DES FAMILLES DES MARTYRSCHRÉTIENS

Elles aussi ont besoin de secours. En ce momentmême des dizaines de milliers de ces famillessouffrent plus qu'on ne saurait dire. Quand unfidèle de l'Église clandestine est arrêté, un drameterrible s'abat sur les siens. La loi interditabsolument de leur venir en aide et lescommunistes mettent tout en oeuvre pour aggraverle malheur de la femme et des enfants abandonnés.Le départ d'un chrétien pour la prison — etsouvent la torture et la mort —n'est pour sa familleque le commencement du malheur; elle ne cesseraplus de souffrir. Je peux me donner en exemple: side simples chrétiens du monde libre ne nousavaient pas envoyé de secours, à moi et aux miens,nous n'aurions pas survécu, nous ne serions pasvenus vivre parmi vous et je n'écrirais pas ceslignes.

En ce moment même, une nouvelle vagued'arrestations massives et de terreur déferle àtravers la Russie et ailleurs. Le nombre des martyrsaugmente tout le temps. Bien qu'ils aillent par latombe à la récompense, le sort de leurs familles n'enest pas moins affreusement tragique. Il faut lesaider, c'est un devoir. Assurément nous devonssecourir les sous-alimentés des Indes et de l'Afrique.Mais qui donc mérite davantage les secours deschrétiens que les familles de ceux qui sont morts

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pour le Christ ou qui sont torturés dans les prisonscommunistes en haine de leur foi?

Ces secours, la Mission Chrétienne Européenneleur en a envoyé beaucoup déjà depuis malibération. Ce qui a été fait est pourtant bien peu dechose en comparaison de ce que nous pourronsfaire, si vous nous aidez.

Comme membre survivant de l'EgliseClandestine, sauvé et libéré par miracle, je vous aiapporté un message, un appel, un plaidoyer de lapart des frères que j'ai laissés là-bas.

Je vous ai dit l'urgence de porter le Christ aumonde communiste. Je vous ai dit l'urgenced'envoyer des secours aux familles des martyrschrétiens. Je vous ai dit les moyens pratiques quevous avez d'aider l'Eglise Clandestine à remplir samission de Semeuse d'Évangile.

Quand on me fustigeait la plante des pieds, malangue criait. Pourquoi ma langue? Ce n'était paselle qui était battue. Mais elle criait parce quelangue et pieds font partie d'un même corps. Etvous, chrétiens libres, vous êtes partie de ce mêmecorps du Christ qui est flagellé dans les prisonscommunistes et qui en ce moment donne desmartyrs au Christ.

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Pouvez-vous ne pas ressentir nos douleurs?

C'est la primitive Eglise qui, dans toute la beautéde son dévouement et de son sacrifice, revit dansles geôles communistes.

Pendant son agonie, tandis que Notre SeigneurJésus-Christ priait au Jardin de Gethsemani, Pierre,Jacques et Jean se trouvaient à la distance d'un jetde pierre du plus grand di aine de l'histoire, mais ilsétaient plongés dans- un profond sommeil. Et vous,chrétiens, ni quelle mesure vous intéressez-vous àl'Eglise martyre, et quel secours lui apportez-vous?Demandez à vos pasteurs et aux chefs de vos Eglisesce qu'ils font en votre nom pour aider vos I ivres etvos soeurs de derrière le Rideau de fer.

Là-bas se renouvellent le drame, la vaillance ri lemartyre de la Primitive Eglise... et l'Eglise libre dort.

Là-bas, seuls et sans aide, nos frères,courageusement engagés dans la plus grandebataille du 20e siècle, égalent en vaillance, endévouement, en héroïsme les chrétiens de laprimitive Eglise. Et, sans souci de leur lutte et deleur agonie, tout comme Pierre, Jacques et Jeandormaient pendant l'agonie de leur Sauveur, l’Egliselibre dort.

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Pendant que vos frères dans le Christ de l'EgliseClandestine souffrent et combattent seuls pourl'Evangile, allez-vous dormir, vous aussi?

Entendrez-vous notre message: «Souvenezvous!Aidez-nous! Ne vous laissez pas dans la détresse!»

J'en ai fini. Je vous ai transmis le message de lafidèle Eglise Clandestine martyrisée dans les payscommunistes, le message de vos frères et soeurs quisouffrent dans les chaînes du communisme athée.

-§-

Chers lecteurs,

Au terme de ces pages bouleversantes, peut-êtreressentirez-vous le désir de témoigner à nos frèresqui souffrent persécution votre soutien spirituel etmatériel. Les lecteurs peuvent écrire à l'auteur, àl'adresse de la Mission chrétienne européenne, 40 ruedu 22 septembre, - 92 - COURBEVOIE (France) àlaquelle les contributions pourront être envoyées.

c.c.p Mission chrétienne européenne, 15 445-14Paris

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TABLE DES MATIÈRES

Profil biographique ............................................ 7

Introduction: pourquoi j'écris ce livre 10

I - Un athée découvre le Christ ................... 11

2 - Pour le nom du Christ ........................... 45

3 - Libération ........................................... 69

4 - La charité du Christ nous presse .... 75

5 - L'Église du Silence .............................. 125

6 - L'iceberg .............................................. 155

7 - Message que vous adresse par moi

l'Église Clandestine .............................. 187

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Torturée ...

204

Ce livre est écrit moins avec del'encre qu'avec le sang jailli decoeurs transpercés.

Néanmoins, de même qu'autemps de Daniel les trois jeuneshommes sortirent de la fournaisesans avoir souffert du feu, demême les chrétiens sortis despr i sons communis tes neconservent pas de ressentimentcontre leurs bourreaux.

Une fleur, si vous l'écrasezsous vos pieds, se venge en vousdonnant son parfum. Ainsi nosmartyrs, en échange des tortures,donnent de l'amour. Nous avonsamené au Christ beaucoup de nosgardiens. Et un seul désir nousdomine : donner aux communistesce que nous avons de meilleur, lesalut qui vient de Notre SeigneurJésus-Christ. APOSTOLAT DE S ÉDITIONS